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culture et histoire - Page 1799

  • Une géographie pittoresque par Georges FELTIN-TRACOL

    Les bizarreries géographiques seraient-elles devenues le nouveau fond de commerce de l’édition ? Après le Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours de Jean-Claude Rollinat et Mais qu’est donc devenu le Tanganyika ? de Harry Campbell, voici Le Seuil qui publie Le mont Blanc n’est pas en France ! d’Olivier Marchon.

    Sous ce titre intriguant, l’auteur traite de trente cas étranges dont la valeur peut être géopolitique et qui résultent souvent des effets de l’histoire sur les territoires. L’intitulé général est déjà en lui-même une surprise. Le point culminant de l’Europe fait l’objet d’un conflit de souveraineté entre la France et l’Italie toujours en cours. Si une carte française localise le mont Blanc en France, une carte italienne indique, elle, qu’il est partagé entre les deux États. Juristes, géographes, historiens et diplomates des deux pays ne sont toujours pas parvenus à trouver un accord satisfaisant pour tous.

    Un exemple contraire existe entre la France et la Confédération helvétique dans la vallée des Dappes en Franche-Comté. S’y trouve « la principauté d’Arbézie […] 1000 m2 de terre jurassienne sur laquelle sont installés un hôtel – restaurant et ses bâtiments attenants, véritable pied de nez à la motion de frontières et aux “ administrations traumatisées ” (p. 162) ». Cette « principauté » correspond à une maison construite en 1863 à cheval sur la frontière franco-suisse ! L’endroit possède un nom français et un nom helvétique avec, par conséquent, deux adresses, l’une en France et l’autre en Suisse. « Évidemment, sur place, c’est cocasse : dans certaines chambres, la frontière passe au milieu du lit, dans le hall, seules les quatre premières marches de l’escalier qui mènent à l’étage sont en France, dans la salle du restaurant, on trouve une table offrant aux convives la possibilité de dîner chacun dans un pays différent… et bien sûr, le zinc binational permet aux piliers de bar des deux pays d’échanger sur la vie politique de Franche-Comté ou du canton de Vaud (p. 161) ». Sous l’Occupation, le propriétaire, Max Arbez, profite de la situation et, membre de la Résistance, transforme son établissement en lieu de passage clandestin.

    Cette particularité hôtelière n’est pas unique. Olivier Marchon rappelle que le 17 juillet 1945, la Suite 212 de l’hôtel Claridge’s de Londres devint une journée territoire yougoslave afin que le prince héritier Alexandre puisse un jour prétendre au trône. L’auteur évoque aussi des particularités territoriales plus connues comme Moresnet-Neutre entre l’Allemagne, la Belgique et les Pays Bas, la République soviétique juive de Birobidjan en Extrême-Orient, la tentative de Nueva Germania au Paraguay (une colonie allemande, aryenne et végétarienne fondée en 1887 par Bernhard Förster et son épouse Elisabeth Nietzsche, sœur du Grand Éveilleur) ou bien la fameuse principauté maritime et métallique de Sealand, 550 m2 occupés par Roy Bates.

    Olivier Marchon signale aussi quelques héritages historiques incongrus. On sait peut-être que le président de la République française est chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran à Rome, de l’église parisienne de Saint-Germain-des-Prés et proto-chanoine de la cathédrale d’Embrun. On ignore en revanche que « la République française possède des Lieux saints en Terre sainte. Et il convient de préciser que ces quatre domaines ne constituent pas des “ territoires ” français au sens strict, elles ne sont que des propriétés de l’État français; ce qui veut dire que c’est bien la loi israélienne qui s’y applique, et que la France y est considérée par les autorités locales comme n’importe quel propriétaire privé. […] On apprend que le consul de France prend chaque année part à une trentaine de “ messes consulaires ” pour la République française, organisées dans ces mêmes établissements. Au cours de ces cérémonies, les ecclésiastiques présentent Évangiles et eau bénite au consul de France, avant de l’encenser. Et c’est par la très officielle Prière pour la République en latin que s’achèvent systématiquement les célébrations : “ Domine, salvam fac rem publicam, Seigneur, sauve la République ! (p. 59) » Qu’en pensent donc Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et Manuel « Gaz » ?

    Dans ce petit ouvrage sont aussi étudiés l’île de Sercq, proie de l’hyper-classe mondialiste, ce « Tibet chrétien » interdit aux femmes qu’est la République monastique autonome du Mont Athos ou le Triangle égypto-soudanais de Bir Tawil qui serait la seule terra nullius (territoire non revendiquée) au monde ! L’auteur ne pouvait pas ne pas mentionner la situation originale de l’île de la Conférence. Située au milieu de la Bidassoa, l’île est depuis 1659 un condominium franco-espagnol interdit au public. Administrée par Madrid du 1er février au 31 juillet, elle passe ensuite sous l’autorité de Paris du 1er août au 31 janvier. C’est au commandant de la base navale de l’Adour qui revient d’y représenter la France en tant que « vice-roi de l’île de la Conférence (p. 132) » comme le fut l’écrivain Pierre Loti.

    L’ouvrage traite aussi des enclaves. Celle de Llivia est assez connue. C’est 12,84 km2 d’Espagne et 1388 habitants situés à quelques kilomètres de la frontière. Cette situation est finalement simple. Aujourd’hui divisée entre Grecs et Turcs, l’île de Chypre doit aussi composer avec deux bases militaires : Dhekelia et Akrotiri. Mais « il existe, au milieu des terres gérées par les S.B.A. [Sovereign Base Aeras], quatre morceaux de terre chypriotes : deux villages, ainsi que la centrale de Dhekelia et son lotissement dédié (pp. 37 – 38) ». « Le fonctionnement de ces Sovereign Base Aeras est des plus étranges. Leur administration est militaire, mais leur police et leur justice sont civiles et appliquent une loi calquée sur la loi chypriote en lieu et place de la loi britannique. Elles ne font pas partie de l’Union européenne, alors que la République de Chypre et le Royaume-uni en sont tous les deux membres. Et l’euro, monnaie en cours à Chypre mais pas au Royaume-Uni, est la devise qu’on y utilise (p. 38). »

    La situation demeure toutefois relativement facile à comprendre et à cartographier à grande échelle. Dans les Émirats arabes unis existe l’enclave de Madha qui appartient au sultanat d’Oman. C’est 75 km2 et environ 2000 habitants. Or Madha possède en son sein une contre-enclave émiratie : Nahwa (7 km2 et 40 habitants) qui bénéficie, elle, des retombées de la manne pétrolière… En Europe aussi, on découvre un enchevêtrement d’enclaves et de contre-enclaves, en particulier entre les Pays-Bas et la Belgique. Ainsi, « Baarle est un village néerlando-belge. Baarle-Hertog, partie belge de Baarle, est composée de quatre morceaux en Belgique, le long de la frontière entre les deux pays, et de vingt-deux enclaves en territoire néerlandais, au milieu du morceau principal de Baarle-Nassau, qui est la partie néerlandaise de Baarle, elle-même composée d’un morceau principal, de sept contre-enclaves dans deux des vingt-deux enclaves de Baarle-Hertog et d’une enclave dans un des morceaux de Baarle-Hertog en Belgique… (p. 18) ». Cette complexité administrative territoriale remonte au Moyen Âge et a toujours été approuvée par les habitants !

    Le contexte belgo-néerlandaise n’est pas compliqué en comparaison avec le Cooch Behar sur la frontière entre l’Inde et le Bangladesh. Existe là « une terre indienne, située au milieu d’un territoire bangladeshi, lui-même au milieu d’un territoire indien, se trouvant lui aussi en terre bangladeshie (p. 23) ». Bonjour les formalités douanières d’autant que le passage des frontières est souvent meurtrier du fait des tensions entre Delhi et Dacca. Toujours en Asie a existé jusqu’en 1997 l’endroit le plus densément peuplé au monde : Kowloon Walled City à Hong Kong alors britannique avec 1,4 million d’habitants au km2 puisque 35 000 personnes occupaient 2,5 ha ! La Kowloon Walled City fut longtemps un espace soumis aux Triades chinoises qui y développèrent toutes leurs activités illégales. Olivier Marchon aurait pu aussi parler de ces enclaves étatsuniens en France depuis 1945, les cimetières militaires et certains lieux du débarquement allié en Normandie.

    La Normandie précisément. Pourquoi trouve-t-on une immense statue du roi des Belges Albert Ier à Sainte-Adresse ? Tout simplement parce que la ville balnéaire fut pendant la Grande Guerre la capitale de la Belgique libre. Ce fut dans cette ville qu’on avait installé les ministères belges, d’où le maintien d’une boîte aux lettres rouges typiquement belge. Encore un autre motif pour que les Normands s’intéressent à la Belgique !

    Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/

    • Olivier Marchon, Le mont Blanc n’est pas en France ! Et autres bizarreries géographiques, Le Seuil, Paris, 2013, 188 p., 14,50 €.

  • Lordon progressiste, Michéa conservateur

    Euh... J'ai pô tout compris !

    Frédéric Lordon, très pertinent quand il se limite aux sujets économiques, vient de pondre deux petites analyses critiques de la pensée de Jean-Claude Michéa, qui ne décevront que les naïfs et confirment juste qu'en réalité, l'auteur du Complexe d'Orphée a décidément raison de distinguer la vraie gauche, à laquelle il appartient sans aucun doute, de la fausse, dernièrement épinglée, qui inclut manifestement Lordon et ses pareils, ces derniers étant pourtant en général bien plus médiocres que celui-ci.
    C'est à lire et ici.
    Au plan social, Lordon se déclare clairement progressiste, là où Michéa est conservateur, ce qui déplaît grandement à nos bonnes consciences degôche, électoralement dépendantes de leur clivage artificiel d'avec une droâte tout aussi fausse que leur gôche, et inconsciemment bourgeoises (à l'appellation bobo, bourgeois bohème, je préfère bourgeois tout court, beaucoup plus signifiant en profondeur).
    Mais si, dans l'analyse du progressisme, Michéa est intelligent, Lordon, ultra-conformiste (Bourdieu à la rescousse), n'est qu'un intellectuel, aux arguments aussi faux que tarabiscotés.
    Au point qu'en lisant un autre article récent de sa part (passons sur quelques critiques relativement fondées du FN qu'on y trouvera aussi, ce n'est pas le sujet ici), je me dis que décidément, les gauchistes, même sympathiques, culturés, la langue et le clavier bien pendus, restent d'indécrottables agents du « Système ».
    Classiquement, comme Mélenchon l'apparatchik rabatteur du PS, ces extrémistes républicains affirment, contre toute réalité historique et juridique (cf. les textes constitutionnels), que la Révolution aurait érigé en principe l'immigrationnisme et l'indistinction ethnique. Ils seraient bien sûr dans l'impossibilité de le prouver, on est donc prié de les croire sur parole.
    Il est piquant de voir le principal penseur antilibéral français attaqué par l'une des icônes de la gogôche anticapitaliste à la Mélenchon, dont le plus pressé est la régularisation des immigrés clandestins, comme si l'indéniable déflation salariale par l'immigration était principalement le fait de ceux-ci...
    Au passage, le sieur Lordon se garde bien, du haut de sa science tout universitaire, d'aller demander aux ouvriers autochtones ce qu'ils en pensent, comme de remarquer que bien des libéraux partagent sa sympathie, voire son idée. Au contraire, souligner l'adhésion du MEDEF à l'idéologie du vivre-ensemble lui sert, via une contorsion mentale grotesque, à accuser le patronat de servir au FN la soupe de la xénophobie économique !
    Mais là où il culmine dans la mauvaise foi et le conformisme les plus répugnants, c'est lorsqu'il s'élève contre le « fixisme » social de l'ordre ancien, sans jamais observer que la sécurité et la protection de l'emploi étaient souvent bien plus forts sous l'Ancien Régime, société organique avec son système des corporations, que dans la mondialisation néo-libérale, que pourtant il condamne, société éclatée et atomisée où les syndicats ne sont que des garanties d'exploitation politiquement correcte.
    Lordon, en définitive, se montre incapable de dépasser ses parti-pris idéologiques.
    Quand il finasse interminablement pour essayer de démontrer que Michéa ne saurait pas ce qu'est la common decency, la décence commune chère à Orwell, laquelle ne serait qu'un concept creux, il ne fait que tomber dans le relativisme le plus minable et le plus artificiel, en niant à grand renfort de poncifs bien-pensants ce qui est une évidence culturelle et anthropologique pour le commun des mortels enraciné dans la morale européenne plurimillénaire.
    Quand il fait l'éloge du « bougisme », voire du nomadisme modernes, on croirait lire de l'Attali...
    J'ai la flemme de dresser la liste de toutes les pâles critiques lordonesques, comme par exemple celle consistant à reprocher à Michéa de ne pas accorder aux prétendues solutions prônées par Marx et Engels la même valeur qu'à leurs analyses économiques et sociales, ou encore celle par laquelle il prétend imputer au populo les mêmes perversions et responsabilités qu'aux élites, sans réaliser qu'il rejoint par là, dans une conception universaliste et très pessimiste de la nature humaine, les penseurs libéraux du moindre mal...
    Non, décidément, ce Lordon-là, faible penseur caché derrière une rhétorique alambiquée qui ne peut faire illusion que sur les gogos, est un piètre Lordon, un Lordon de commande, un Lordon aux ordres de sa chapelle plus ou moins mélenchoniste, une fade décalcomanie du Lordon brillant et décapant en guerre contre la Bourse et le capitalisme débridé.
    Lordon, merde quoi ! Tu vaux mieux que ça. Tes attaques contre Michéa ne prouvent qu'une chose : il a raison, et ça vous dérange, vous les bourgeois degôche.

    Boreas

    Source et compléments: Vers la révolution

    http://cerclenonconforme.hautetfort.com/

  • Sept pas vers la soumission

    Polémia reprend du site Metapo infos un texte « grinçant de François-Bernard Huyghe » et « consacré à l’abandon de toute idée d’indépendance nationale ou européenne ».
    Polémia
    Depuis le mois de juin, nous avons appris :
    1/ que le G8 était écouté et qu’un délégué ne pouvait aller au cybercafé du coin sans que les services de sa Majesté n’interceptent ses messages ;
    2/ qu’aux Etats-Unis, l’opérateur téléphonique Verizon (comme sans doute d’autres) livrait à la National Security Agency des millions de métadonnées, non pas le contenu de conversations téléphoniques, mais des indications sur qui s’est connecté avec qui, d’où à où et quand, indications qui révèlent largement ce que fait quelqu’un et de quel réseau il fait partie, qu’il s’agisse d’un réseau terroriste, politique ou d’affaires… ceci sans compter les écoutes « classiques » et légales ;
    3/ que les grands du Net, Google, Skype, Apple, Facebook, et autres donnaient un accès qui semble incontrôlé aux mêmes services : contenu des échanges, métadonnées, données personnelles confiées aux opérateurs ou plates-formes. Cette opération dite Prism devrait fournir à la fois a) des informations très fines sur des individus (même des sociétés commerciales en croisant quelques données personnelles et des données sur vos connexions en ligne savent très vite votre âge, votre sexe,  votre niveau de revenu, vos goûts dans différents domaines, vos relations…) b) des informations non moins précieuses sur des mouvements collectifs d’opinion, voire des « conspirations » ;
    4/ que tout ceci est légal puisque des cours secrètes suivant des procédures secrètes l’autorisent ; et que de toutes les manières, il ne s’agit de surveiller que des étrangers et des gens qui ne résident pas aux USA, donc que cela ne viole en rien la constitution. Mais au fait, comment savez-vous qu’ils sont étrangers ? Réponse : nos ordinateurs repèrent que leurs messages contiennent des termes qui indiquent avec 51 %  de probabilité qu’ils sont étrangers. Question : comment obtenez-vous ces mots-clefs sans intercepter préalablement leur correspondance et qu’en est-il des 49% d’erreur probable ? pas de réponse ;
    5/ Que la NSA britannique, le GCHQ, étudie encore davantage de communications, suivant la même méthode de « pêche au chalut » (intercepter des millions de messages, les conserver et faire effectuer des recherches sémantiques par des ordinateurs surpuissants pour y découvrir des éléments suspects) mais ils le font sur des câbles sous-marins ;
    6/ Que, comme tout ce qui précède ne suffit pas, les services américains font également de l’espionnage ciblé sur des ambassades, ou des institutions comme l’Union Européenne, chez eux et à l’étranger, avec micros, pénétration dans les ordinateurs, etc ;
    7/ Que quelqu’un qui révèle tout ce qui précède est un dangereux espion mettant en péril le monde libre et qu’il est donc parfaitement normal de détourner l’avion d’un chef d’État susceptible d’abriter ce personnage en quête d’asile et de fouiller de fait l’aéronef suspect. Ceci avec l’aide d’alliés complaisants et sur la foi d’indications dont personne n’a révélé la source. Et pendant que nous négocions un accord commercial dont est sensé dépendre le sort de la planète : une véritable ouverture dans notre monde encore trop cloisonné… car qui pourrait imaginer que l’administration Obama fasse de l’espionnage économique ou diplomatique ?
    Imaginons un quart de seconde que tout ceci ait été le fait de Vladimir Poutine et de quelques gouvernements fantoches à sa solde. Avec quel mâle courage nous aurions dénoncé l’autocrate ! Quel intéressant débat nous aurions pu ouvrir, intellectuels, mes frères, sur la comparaison avec l’époque soviétique, les causes structurelles et les causes contingentes du Panoptique.
    Certes nous avons roulé des yeux. Nos gouvernants ont déclaré « intolérable » (vous avez bien lu, intolérable, autrement plus viril que Madame Merkel) ce que nous avons toléré trois jours après.
    Puis vinrent les reculades. Sanctionner les USA, retarder les négociations ? Peut-être amis à conditions que nos vingt-sept amis européens dont plus de la moitié sont des atlantistes convaincus nous suivent sur cette voie. Une commission Théodule étudiera la question et Obama a promis qu’il rassurerait le président « Houlan ».
    Ce n’est pas sous Sarkozy l’Américain que l’on aurait vu cela (pour la petite histoire : L’Express avait révélé à la fin de l’année dernière que les services américains avaient pénétré l’intranet de l’Elysée sous ledit Sarkozy sans que cela fasse réagir toute mesure la nouvelle présidence).
    Rassérénée, la patrie des droits de l’homme à refusé le survol de son espace aérien à un avion présidentiel où aurait pu se dissimuler Snowden, l’obligeant de fait à atterrir en Autriche. Explication donnée : il y a eu des « informations contradictoires » (lesquelles ? fournies par qui ? par quels alliés en qui nous avons toute confiance ?), et par simple erreur, quelqu’un à Matignon (le planton de service ?) a pris une décision que le président de la République a corrigée aussitôt qu’il a appris que le président Morales était – devinez où – à bord de son avion présidentiel, entre temps déjà détourné.
    Sur ce, un journal d’une rigueur morale irréprochable révèle que la DGSE fait à peu près la même chose avec ses stations d’interception électronique. Nous aurions même des ordinateurs de pointe pour mouliner des millions de mots clefs. Nous serions alors en mauvaise posture pour critiquer les États-Unis. Plus fort que tout, alors que le budget de la NSA se situe peut-être jusqu’à 10 milliards de dollars, la DGSE à réussi à se doter de ce matériel époustouflant sans éveiller l’attention sans doute par quelque habile manipulation comptable.
    Du coup, on se souvient que, dans les années 90, il y a eu l’affaire Échelon. (occasion pour des millions de gens de découvrir l’existence de la NSA et du gigantesque système des « Grandes oreilles d’oncle Sam ») et que l’affaire Échelon avait amené en réaction la révélation de l’affaire dite Frenchelon (des stations d’interception françaises). Donc pourquoi se frapper pour cette vieille affaire, pour ne pas dire ce secret de Polichinelle ?
    Et au final, le ministre de l’Intérieur peut déclarer dans une interview à l’Usine Digitale : « Il faut cependant être lucides : pour protéger leurs populations, tous les États ont besoin d’accéder à certaines communications électroniques, aussi bien en matière de renseignement que de poursuites judiciaires… Mais l’exploitation des métadonnées ou des contenus n’est légitime que si elle se rapporte à des finalités de sécurité bien circonscrites : lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée ou encore protection des intérêts fondamentaux des États. » Il suffirait donc de les cibler sur des individus qui présentent une menace réelle, et ce avec une finesse toute française.
    Nous voici donc lucides et contents. Certains refusent de parler de coup d’État en Égypte, d’autres d’espionnage entre amis.
    De quoi faut-il le plus s’émouvoir dans cette affaire ? De savoir que des amis vous espionnent et que les arcanes de la Realpolitik prospèrent toujours ? ou de ce que cela ne change rien de le savoir ?
    François-Bernard Huyghe, Huyghe.fr 9/07/2013)
    http://www.polemia.com

  • L’âge des limites. À la recherche d’une vie meilleure par Pierre LE VIGAN

     L’alternative de notre temps commence à devenir de plus en plus claire : soit la course à l’infini dépourvu de tout sens, le « progrès » pour le progrès, la mégamachine auto-alimentée, soit la recherche de la vie meilleure, dans le cadre des évidentes limites qui sont celles de la terre, du pouvoir humain, de la finitude de la vie de l’homme, et du fait que l’homme ne résume pas le tout du monde.

    D’un côté, nous avons donc la poursuite logique de l’idéologie du progrès, qui est à la racine des grands totalitarismes, nazi ou communistes, et maintenant de la démonie de l’économie et de l’Empire du moindre mal qu’est le libéralisme. D’un autre côté nous avons une autre ambition, celle du qualitatif, celle de la mesure. À partir du moment où on tire la conclusion de la présence de limites en tous domaines, on ne peut que refuser l’idée d’une croissance indéfinie, fut-elle appelée « développement » indéfini. C’est de cette religion du progrès et de la croissance que Serge Latouche nous propose de nous débarrasser.

    « Selon les Grecs, ceux que les dieux voulaient perdre, ils les faisaient s’abîmer et entrer dans la démesure, dans l’hubris » écrit Alain Caillé. Nous y sommes.  Comment rompre avec cette passion de l’illimité ? Serge Latouche fait le point sur les limites, sur ce qui borne nos vies. Limites géographiques : notre monde est fini. Limites politiques : la mondialisation s’accompagne de la multiplication des États et des conflits frontaliers. Le mythe mondialiste de l’abolition des frontières n’est pas tenable. D’autant que la suppression de certaines frontières est une forme de la guerre économique. La frontière est donc nécessaire, celle qui filtre sans couper, et si possible dans le cadre de grands espaces ou biorégions (Raimon Panikkar). Limites culturelles : « Le démantèlement de toutes les “ préférences nationales ”, c’est tout simplement la destruction des identités culturelles », note Serge Latouche. Il n’y a pas de culture de toutes les cultures, pas plus qu’il n’y a de religion de toutes les religions. En imposant son universalisme au monde, l’Occident est devenu ethnocidaire et auto-ethnocidaire. Limites écologiques : sur 51 milliards d’hectares (= 510 millions de km2) de surface de la terre, 12 milliards d’ha. sont utilisables, en comptant large, soit toutes les terres émergées sauf celles aux conditions de vie trop hostiles pour l’homme. Compte tenu de la population mondiale actuelle, chaque personne dispose de 1,8 ha. Or les hommes consomment déjà 2,6 ha chacun en moyenne. C’est ce que l’on veut faire comprendre en disant qu’il nous faudrait déjà presque deux planètes. Il nous en faudrait bien sûr beaucoup plus si la population continue de croître et si nous nous continuons à nous « développer » à la mode des pays du Nord. Conclusion : ce n’est pas possible. Limites économiques : « Le Capital ressent toute limite comme une entrave », notait Marx (pour qui le Capital est un rapport social). Si les besoins ont des limites, les désirs par définition n’en ont pas, ou plus exactement sont manipulables à l’infini, à coup de publicité, le deuxième budget mondial après l’armement. « La félicité de cette vie ne consiste pas dans le repos d’un esprit satisfait. […] La félicité est une continuelle marche en avant du désir d’un objet à un autre », avait remarqué Hobbes pour s’en réjouir (dans Le Léviathan). C’est en entretenant cette insatisfaction plutôt que de la réguler que l’économie est devenue la nouvelle religion de notre temps. Elle repose sur la pleonexia (l’avidité) et le désir de se singulariser en ayant plus que les autres. C’est l’imposture économique dénoncée par Michel Musolino. Pleonexia ou sens de la vie : il faut choisir. Limites de la connaissance : les communistes, russes ou autres, avaient défendu l’idée qu’il ne peut y avoir de limites aux progrès scientifiques de l’homme. La réalité a dépassé leurs propos. L’utérus artificiel « libérera » la femme de la maternité et la rendra enfin « égale » à l’homme. Mais les créations ex nihilo se heurtent toujours à des limites, qu’il s’agisse de la manipulation du vivant, de la création de nouvelles énergies, de biotechnologies, de projets de modifications du climat, etc. Sans compter l’hétérotélie. L’ultime transgression envisagée est de reconstruire l’homme lui-même afin de le reprogrammer comme un être hors-limite, et hors-sol (l’immigration de masse va dans ce sens). Objectif : en arriver à la biomachine, l’homme-machine de La Mettrie. Cet homme nouveau, en fait moins humain mais plus mécanique, serait plus compatible avec la mégamachine, c’est-à-dire le dispositif de sujétion de l’homme à la technique et au profit. Il s’agit, là encore, de désenclore l’homme de ses limites culturelles, religieuses, anthropologiques. Il y a enfin des limites morales : « Au bout du compte, le problème des limites est peut-être fondamentalement un problème éthique », écrit Serge Latouche. L’« amoralisme corrupteur » est indissociable du principe même de l’individualisme libéral et destructeur du lien social. Il favorise l’expansion de la « banalité du mal ».

    Comme il est vrai qu’il n’y a jamais de limites naturelles au projet d’« émancipation de tous les préjugés » affirmé par les Lumières,  il n’y a pas non plus de limites aux passions tristes identifiées par Spinoza (avidité, envie, égocentrisme). Notre monde artificialisé veut évacuer le propre de la condition humaine : le malheur, le tragique, la mort. Face à ce déni, les limites morales sont nécessaires. Elles le sont d’autant plus que les « élites » sont devenues la caste des parvenus, c’est-à-dire des suradaptés à une société malade. Krishnamurti affirme : « Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être adapté à une société malade. » Il faut donc s’appuyer, conclut Serge Latouche, sur les limites mêmes de la morale pour « limiter l’illimitation ». Il faut mettre des bornes à la démesure, sortir de l’autisme de la raison raisonnante, aller vers l’autonomie (Cornélius Castoriadis), la proximité, le local, les frontières-écluses (et non les murs-frontières), l’objection de croissance et la sobriété sereine.

     

    Pierre Le Vigan http://www.europemaxima.com/

     

    • Serge Latouche, L’âge des limites, Mille et une nuits, 148 p., 4 €.

     

     

    • D’abord mis en ligne sur Métamag, le 26 mai 2013.

  • Statut de l’enseignement catho : trottinette plutôt que char Leclerc ?

    Alors qu’avec l’irruption massive  du dogme « gender » au sein de l’éducation nationale, jamais nécessité d’une école véritablement alternative n’a été plus prégnante, le nouveau statut de l’enseignement catholique en France, tel qu’il vient d’être voté par la conférence plénière des évêques, laisse pour le moins perplexe.

    Là où, pour résister, il faudrait  un char Leclerc n’envoie-t-on pas une trottinette ? Là où pour parler efficacement au corps enseignant et aux parents, il faudrait un document concis, net, concret et ferme, on trouve 51 pages et 382 articles (soit deux fois plus que dans l’ancien statut de 1992), maniant des concepts et un vocabulaire consensuel à résonance ambigüe, -qu’est-ce au juste que « la dignité de la personne humaine »  et « l’intérêt général » dont il est question dans ce document, en quoi sont-ils différents de la dignité de la personne humaine et de l’intérêt général tels qu’on les trouve dans la bouche de Vincent Peillon ?-,  et multipliant les vœux pieux (le chef d’établissement est « envoyé en mission ». Super. Mais pour faire quoi au juste ?), en évitant prudemment  toute illustration pratique plus précise.

    On se souvient du courroux de Vincent Peillon, au mois de janvier,  contre les établissements  catholiques qui avaient eu l’outrecuidance de vouloir  ouvrir un débat sur le mariage pour tous, (simplement ouvrir un débat !) ,  et de la lettre qui avait suivi, adressée à tous, je dis bien tous, les recteurs de France.  Dans ce courrier grave et solennel qui se présentait comme un appel à la « vigilance » contre « les phénomènes de rejet et les stigmatisations homophobes », Peillon rappelait que le gouvernement s’était engagé à « s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités », et il recommandait aux recteurs, -outre de dénoncer les « initiatives contraire à ces principes »-, de « favoriser les interventions en milieu scolaire des associations qui luttent contre les préjugés homophobes (…)».  Il  invitait « également à relayer avec la plus grande énergie au début d’année, la campagne de communication relative à la « ligne azur » ligne d’écoute pour les jeunes en questionnement à l’égard de leur orientation ou leur identité sexuelles ». Et ceux qui ont eu l’idée de s’aventurer sur cette fameuse ligne azur n’ont pas été déçus du voyage.

    De quelles marges de manœuvre  disposeront les professeurs de l’enseignement catholique pour résister à l’ingérence de l’Etat, par quels moyens cet enseignement catholique pourra-t-il lutter pour préserver sa liberté pédagogique dans un domaine aussi gravement contraire à l’enseignement de l’Eglise,  de quelles protections pourront se prévaloir les professeurs lors d’inspections, comment  garantir des directeurs et des professeurs en cohérence avec le projet éducatif de l’enseignement catholique ? De cela il n’est nulle question, comme si somme toute tout cela pouvait se régler de façon annexe à la bonne franquette, comme l’organisation des services de la cantine.

    Pourquoi s’inquiéter, n’est-ce pas, puisque l’article 13 du nouveau statut stipule le « respect mutuel » entre l’école catholique et l’Etat ? C’est gentil ça, mais un tout petit peu dangereux. Comme une armistice qui ne serait signée que par un seul des belligérants, un cessez-le-feu unilatéral. Quid des modalités d’évangélisation d’une école peuplée de plus en plus minoritairement d’élèves catholiques ?  Qui des écoles catholiques hors contrat ? De toutes ces questions dérangeantes, il n’est nulle question.

    La vérité est que pour mettre sur pied un nouveau statut il aurait fallu avoir le courage de regarder la vérité en face : Qu’est-ce que l’enseignement catholique aujourd’hui ? D’un côté, « le sous-contrat », De belles bâtisses majestueuses  disséminées à travers tout le territoire, chaque ville de France pouvant se prévaloir de la sienne, abritant des écoles raisonnablement coûteuses, dans lesquelles on inscrit ses enfants, selon la localisation, soit pour le niveau élevé, soit pour les fréquentations, soit au contraire pour la possibilité qu’elle offre en payant d’accueillir un enfant difficile éjecté du «public »,  soit pour l’ascension sociale qu’elle symbolise au sein de la petite bourgeoisie locale. Rarement pour l’enseignement religieux, réduit le plus souvent,- à quelques exceptions près -, au plus petit dénominateur commun, à savoir l’apprentissage  d’une gentillesse polie et tolérante.

    Les familles réellement pratiquantes catéchisent en sus  ailleurs leurs enfants, mais s’escriment, diplomatiquement, à pas feutrés, et quand la direction leur en laisse le loisir, à introduire ici un peu « d’adoration », là une célébration ou une confession, saupoudrées sur le temps scolaire, dans l’espoir de semer un peu sur une terre en friche.  Des parents qui acceptent par-ailleurs avec plus ou moins de fatalisme (on ne peut rien y faire, tous ceux qui protestent se heurtent le plus souvent à un mur), des professeurs de SVT, histoire ou français  faisant parfois ouvertement montre dans leurs cours, de convictions en opposition radicale avec l’enseignement de l’Eglise.

    De l’autre le « hors-contrat », ayant préservé sa liberté de dispenser un enseignement d’essence véritablement catholique, mais au prix fort. Profondément dépourvu de moyens, disposant de locaux souvent  provisoires et toujours exigus, de personnel en sous-effectifs,  il exige  de grands sacrifices financiers doublés  d’investissements personnels  lourds (de l’organisation de la kermesse à la surveillance de la cantine), de la part de parents dotés fréquemment de familles nombreuses.

    LA vérité est que ce nouveau statut, hélas ne saurait venir à bout ni  l’indigence spirituelle des uns ni de l’indigence matérielle des autres.

    http://gabrielle-cluzel.fr/

  • Témoignage pour l’Action française

    Antoine Murat, avocat honoraire, a commencé à militer dans les camelots du Roi en 1928 à peine âgé de vingt ans. Sa fidélité à l'Action française – qu'il a souvent défendue en justice ne s'est jamais démentie depuis lors. Retiré aujourd'hui à Bordeaux il continue à s'associer à la vie du journal et du mouvement d'A.F. À la suite d'un long entretien qu'il a eu en janvier 2006 avec Pierre Pujo et Philippe Prévost qui lui rendaient visite, il a souhaité rédiger ses souvenirs de l'entre-deux guerres. Nous publions ci-dessous son texte, qui constitue un précieux témoignage sur les haines déchaînées contre l'Action française aussitôt après la guerre de 1914-1918.
    La victoire due à l’’héroïsme des combattants devait une partie de son être aux actions de Léon Daudet, de Bainville et de Maurras. C’’était évident pour qui avait suivi le déroulement du conflit. Mais un grand nombre de contemporains avaient vécu -– c’’est naturel– - au jour le jour, sans bien savoir.
    Les champs de bataille avaient gardé les meilleurs. Toute la jeunesse de France, son élite, son avenir, était meurtrie ; la plupart avaient été couchés “froids et sanglants” sur la terre qu’ils avaient défendue.
    Les responsables du conflit, les idéologues qui s’’étaient trompés, les amis de l’’Allemagne, les traîtres (Almerayda), les lâches, les embusqués, la clique des Caillaux, des Malvy, Painlevé, Briand et autres politiciens, redoutaient l’’avenir. Ils avaient à rendre des comptes. Normalement leur échec aurait dû être si patent que leur carrière en fût à jamais brisée.
    Les poilus revenaient épuisés, fatigués, ayant souffert. Ils aspiraient au repos. À la paix. “Unis comme au front” : la devise était belle. Elle était vraie, dans son essence. Elle était aussi fragile, car le temps estompe, efface, et l’’oubli s’étend. Les deuils et la gloire composaient un climat où dominait, me semble-t-il, le désir de se reposer. Le prix des efforts soufferts était un immense besoin de se laisser aller.
    Des élections étaient nécessaires. Ce fut la Chambre bleu horizon. Et Déschanel prit la succession de Poincaré (1). La camaraderie des tranchées s’’atténua, et les politiciens manœœuvrèrent de plus en plus librement. Les condamnations de Caillaux et de Malvy fournissent des points de repère. Le prix de la trahison n’est pas élevé.
    Désillusions
    Fait capital : aux yeux de la plupart des Français, la République avait gagné la guerre. Le livre de Sembat avait été un cri d’’alarme. En 1913 ce compagnon de Jaurès, qui fut “leader” de L’’Humanité, avait été contraint de reconnaître la nécessité d’’un roi pour mener une guerre : Faites un roi sinon faites la paix. Marcel Sembat admettait la force des arguments de Maurras. Ses 250 pages méritent d’être relues. Elles confirment Kiel et Tanger.
    L’’héroïsme obtint ce qui paraissait inconcevable. L’’Action française se sacrifia dans l’’Union sacrée, et elle se donna tout entière. Un esprit aussi remarquable que Pierre Lasserre interpréta, faussement, le succès militaire français comme le démenti du jugement qu’'il avait porté sur la totale incapacité du régime républicain à soutenir une guerre. J’’ai entendu autour de moi, alors que j’’étais un enfant, d'’anciens combattants se dire républicains parce que la République avait battu l’’Allemagne et l’’Autriche, et parce qu’’elle était à la tête d'’un empire colonial... La suite a réduit ces illusions à néant.
    La IIIe République avait affaibli l’’armée (affaire Dreyfus, affaire des fiches, campagne contre la folie des armements) ; elle continua son œœuvre de mort, elle sabota la victoire et elle conduisit à la catastrophe de 1940. Vingt années lui suffirent... Qui s’’opposa à ce crime contre la patrie ? Peu à peu, l’’Action française, qui était à la tête de la résistance, se vit mise à part.
    La révolution russe avait fait s’’écrouler un empire. L’’esprit révolutionnaire s'’incarnait, et il se propageait à travers l’’Europe. Le germanisme lui apportait des éléments d’’action, comme aussi les principes de 1789, l’’expérience de la Terreur, celle de la Commune. L’’exemple de Béla Kun était un échantillon de ces forces destructrices... Un peu partout les violences éclataient, ajoutant misères, ruines, anarchie et mort. Toutes sortes de tendances voyaient le jour : séparatisme rhénan, fascisme italien, entre autres, réagissaient pour contenir les périls.
    Ce chambardement permettait à bien des politiques de masquer leurs échecs, même patents, et de se poser en hommes d’’avenir. Tout était remis en question. Caillaux et Malvy pouvaient revenir, Briand, “finasser”.
    Les politiciens de métier ne savaient pas gouverner bien ; ils savaient se faire élire. D’’instinct, ils ne se sont pas trompés sur l’’adversaire : l’’Action française. Ils en ont éloigné les anciens combattants. Le discours de Ba.ta.clan illustre assez exactement la manœœuvre. Pourquoi se séparer de la République ?
    Ce ne fut pas un éloignement entre hommes qui s’'estimaient, mais une rupture. La coupure allait s'’aggravant. Sans cesse des accusations répétées tenaient lieu de vérités, et de nouveaux griefs servaient à rendre crédible ce qui était faux. On divisait : l’'affaire de Georges Valois(2) est caractéristique. La baisse de l’influence de Maurice Barrès à la fin de sa vie devrait être examinée avec soin, car elle est le résultat d’’habiles manœœuvriers agissant contre un maître si longtemps respecté.
    Daudet, cible rêvée
    Daudet a été la cible rêvée. Il n’’avait cessé d’être au premier rang. Par son adolescence, il touchait au milieu des Hugo, Charcot et autres grands hommes de la république. Il avait rompu pour mener librement une carrière d’homme de lettres et de journaliste. Ses trouvailles de style époustouflaient. Il était l’’auteur de L’’Avant-guerre. Il s’’était battu, à visage découvert, contre les traîtres, contre le “joug allemand”. Daudet enthousiasmait la jeunesse intellectuelle par la beauté, l’’imprévu, la puissance et la vérité de son verbe. Mais, inévitablement, il blessait certains de ceux qu’’il étrillait ; et d’’autant plus qu’’il avait en général raison.
    Un ouragan de haine se déchaîna contre lui. C’’est quelque chose d’’inouï, d’’incroyable. Les pires élucubrations étaient soutenues, avec méchanceté, voire grossièreté. On prétendit qu’’il était un fainéant, un ivrogne, un goinfre, un noceur, un cerveau malade, ou, comme l’’écrivait un certain Gaucher, un obsédé sexuel...
    La presse de ces années 1920-1939 est riche de ces horreurs. Elles sont aujourd’’hui oubliées. Tant mieux. Mais elles ont fait grand mal. Il faudrait que des historiens relisent ces articles nauséabonds. L’œ’Œuvre et Le Canard enchaîné y ont joué un rôle particulièrement sournois. On ne saurait résumer. Ce dont je me souviens, et dont je garde un sentiment de souffrance, c’’est que les hommes d’’Action française étaient tous des fanatiques, des violents, sectaires, sans scrupule, capables des pires choses, des gens aux mœœurs dépravées, sans foi ni loi. J’’en étais effrayé.
    Philippe Daudet est mort dans des conditions qui dénoncent un assassinat (3). Son père a cherché la vérité. Parmi ceux qu’’il accusait, le chauffeur de taxi qui avait transporté l’’enfant lui intenta un procès en diffamation. Chose scandaleuse, Léon Daudet fut condamné à cinq ans de prison et 1 500 francs d’’amende. Les comptes rendus permettent de revivre les audiences. Pour qu’’un jury – car en ce temps-là les procès de presse étaient soumis aux assises, afin que ce soit l’’opinion publique elle-même qui se prononce – condamne aussi sévèrement alors que la bonne foi méritait l’’acquittement, il fallait que l’’inculpé inspirât du mépris. L’’affaire de Philippe Daudet démontre quel degré de haine les campagnes de presse avaient atteint.
    Assassinats
    Ces campagnes accompagnaient les meurtres dont étaient victimes les hommes d’’A.F. Philippe Daudet est mort le 25 novembre 1923. Quelques mois auparavant, le 22 janvier 1923, Marius Plateau, héros et grand blessé de la guerre, chef des camelots du Roi, avait été assassiné par Germaine Berton. Celle-ci n’’avait pu abattre Maurras le 21 janvier à la messe de Louis XVI. Elle se rattrapa le lendemain.
    En décembre 1923, Germaine Berton fut acquittée. Je me souviens de la réflexion que fit, devant moi, un brave homme qui était un homme brave, à propos de l’’assassinat de Plateau. Les anciens combattants auraient manifesté leur colère si Plateau n’’avait pas été d’’A.F... Car l’’A.F. c’’est la violence. Tant pis pour ceux qui osent se défendre ! C’’est pourtant presque toujours du même côté que sont les assaillants : la longue série des assassinats politiques a la gauche pour auteur. L’’horrible liste est instructive.
    Les morts se succèdent. Les victimes sont de droite. Maurras l’a échappé belle. À sa place, Berger (4) qui travaille à l’’A.F. est abattu : son assassin s’’est trompé de cible... Il est absolument nécessaire de publier la liste des victimes. Elles sont ignorées aujourd’’hui. Or ces années sanglantes sont une terrible leçon. Rappelons les noms qui nous sont familiers, à nous seuls, hélas. C’est un devoir de mémoire, de piété. Ces années sont marquées par le sang d’’innocents. L’’hécatombe est lourde.
    La lettre à Schrameck
    Le Cartel des gauches succède le 11 mai 1924 à la Chambre bleu horizon. Les tueries se multiplient à Paris, en province, à Marseille... Ainsi, le 23 avril 1925, les communistes tuaient par balle quatre membres des Jeunesses patriotes qui sortaient d’’une réunion, rue Damrémont. Il y avait des blessés. L’’un d’eux était mon confrère et ami Émile Meaux (plus tard vice-président de la Légion). Le mal révolutionnaire étendait son empire.
    Le coup d’’arrêt fut donné par la lettre à Schrameck (5). La menace de Maurras porta : le ministre de l’’Intérieur eut peur ; sa responsabilité personnelle entraînait le châtiment ; il céda.
    Une étude brève mais complète serait un enseignement incomparable. Comment arrêter une tyrannie sanguinaire ? Comment en finir avec le terrorisme ? Le témoignage en justice de Maritain, défendant notre maître, vaut d’être lu, ou relu : « Il faut que la bienfaisance de l’’acte héroïque que Maurras eut l’’audace et le courage d’accomplir soit parfaitement établie. Cela s’’impose. Sinon la perfidie aura grande facilité à changer en mal ce qui fut un remède sauveur. » La lettre à Schrameck, incomprise, fait sa partie dans le chœœur qui maudit la cruauté des gens d’’A.F. Leur courage effraie les prétendus bienpensants.
    Le succès total ainsi remporté permit, un peu plus tard, de couper court aux dangers que faisaient courir à la paix et aux rapports franco-italiens les partisans d’’Haïlé Sélassié, qui agissaient dans l’’anonymat. La révélation de leurs noms désignait quels seraient les responsables. [Voir l’’enjeu : Mussolini, le Brenner, Dollfuss, puis... l’’Anschlluss…] Le précédent de l’’affaire Schrameck était dans les esprits (6).
    “La violence au service de la raison”
    L'’occasion s'’offre de montrer avec quelle mesure se fait la politique d’’Action française. La violence au service de la raison supplée à l’’absence du droit dont souffre notre régime. Parce que la force est employée pour éviter un mal ou arriver au bien, elle est maniée avec prudence. On la montre pour n’’avoir pas à s’’en servir. Nos mains sont pures. Nos maîtres ont rejeté des disciples qui allaient au-delà du juste. Votre père a mis à sa place, c’’est-à-dire au ban de la société, la Cagoule. Il a trouvé le nom qui ridiculisait, et donc amoindrissait la force mauvaise. Aux camelots, nous nous sommes séparés d’’hommes qui étaient de bonne volonté mais se conduisaient facilement en brutes. Nous qui voulons toujours raison garder.”
    La lettre était sévère. Les coups pleuvaient de partout : anarchistes, pacifistes, germanophiles, communistes, radicaux, francs-maçons, métèques, socialistes, démocrates-chrétiens — et j’’en oublie. Il y avait aussi l’’aide que leur apportaient les timorés, les tièdes, les ambitieux qui cherchaient des places.
    Sans doute, la supériorité intellectuelle de l’’A.F. s’’imposait. À Paris, le Quartier latin en était l’’incontestable manifestation. Là se préparait l’’avenir, là se renouvelaient les générations. Chaque année, à la rentrée universitaire, la salle Bullier était comble. Des maîtres, hautement qualifiés et respectés, venaient déclarer publiquement leur ralliement. Pour le droit, un Martin, un Ernest Perrot, un Charles Benoist... Les revues littéraires avaient de nombreux rédacteurs amis de l’’A.F., un Thibaudet, un Jouhandeau, un Eugène Marsan, un Henri Massis et des philosophes, et des poètes, et des religieux. Maurras avait été un des fondateurs de la Revue universelle, à l’’origine dirigée conjointement par Bainville et Maritain. Daudet rayonnait chaque semaine dans l’’excellent Candide. Toute une jeunesse se pressait aux débuts de Je suis partout (qui, depuis...).
    Mais l’’opinion hostile ne décolérait pas. Elle possédait la puissance, celle du pouvoir et celle de l’’argent (les Lederlin, les Hennessy et tutti quanti). La plus grande partie de la presse était ennemie de l’’A.F. En tête, L’œ’Œuvre, L’’Huma, Le Populaire, Le Quotidien, et plus particulièrement pour la province, L’’Ouest-Éclair de l’’abbé Trochu en Bretagne, La Dépêche de Toulouse, Le Populaire du Centre, et tant d’autres. Avec un style différent, il y avait Le Temps.
    Les mouvements d’’opinion se fabriquent le plus souvent sans scrupule ; tout autre est l’effort de rechercher le réel, la vérité, le bien.
    Accusations vaticanes
    L’’intelligence applaudissait Maurras et elle admirait son œœuvre. En 1923, l’’Académie française lui préféra un inconnu du monde littéraire. Daudet avait imposé son talent d’’orateur à la Chambre des députés. Il cessa d’être parlementaire quand se termina son mandat.
    Le contraste est net. D’’un côté la raison est satisfaite par la pertinence des démonstrations, dont la justesse est régulièrement confirmée par les événements. De l’’autre côté se dresse une opposition farouche. C’’est elle qui gagne sur le terre à terre. La force matérielle l’’emporte. 1940 approchait.
    Un véritable séisme se produisit le 25 décembre 1926. Rome condamna l’’Action française. Il faut écrire avec délicatesse des années douloureuses. Si le travail est fait comme il doit l’’être, dans la sérénité de la vérité, ce sera particulièrement bon. La Providence a permis que l’’épreuve – dont les conséquences se font encore sentir – soit surmontée. Les hommes se sont trompés. L'’Église, dont ils ont voulu se servir, s’'est prononcée, puis s’’est rétractée en 1939. Il n’’y a pas eu de condamnation doctrinale. Mais toute la haine a trouvé la plus invraisemblable justification dans les accusations venant du Vatican. Nous étions des misérables.
    Et nous sommes restés fidèles à l’’Église, à la France, au Roi. À nous-mêmes.
    Antoine MURAT L’’Action Française 2000 du 18 au 31 mai 2006
    (1) Paul Deschanel élu président de la République en 1920 en remplacement de Raymond Poincaré.
    (2) Georges Valois, directeur de la Nouvelle Librairie nationale, se sépare de l’’Action française en 1925 et fonde “le Faisceau”.
    (3) Philippe Daudet, fils de Léon Daudet et âgé de 14 ans, assassiné par les anarchistes en novembre 1923.
    (4) Ernest Berger, trésorier de la Ligue d’’Action française, assassiné dans un escalier du métro Saint-Lazare le 28 mai 1925 (cf. L’’AF 2000 du 7/7/2005).
    (5) Abraham Schrameck, ministre de l’’Intérieur du gouvernement du Cartel des Gauches. Il laissait les communistes et les anarchistes attaquer impunément les patriotes. Maurras l’’ayant rendu personnellement responsable dans une lettre fameuse, les agressions cessèrent (1925).
    (6) En 1935, Maurras menaça de faire abattre les cent quarante parlementaires qui avaient approuvé les sanctions décidées par la Société des nations contre l’’Italie qui avait envahi l’’Ethiopie. Le vote des parlementaires risquait de jeter l’’Italie dans les bras de l’’Allemagne hitlérienne, ce qui arriva.

  • Jean-Marie Le Pen & Bruno Gollnisch "Quel avenir pour la droite nationale ?" arch 2012

  • « Fatigue du sens » de Richard Millet

    Polémia a publié récemment un article sur « La révolte des intellectuels ». L’essai fulgurant de Richard Millet, Fatigue du sens, en est l’illustration. Didier Marc présente ici l’œuvre de l’ « écrivain prolifique et magnifique » qui en est l’auteur : le témoignage courageux et passionné d’un écrivain-guerrier pour qui « l’Europe tout entière n’est plus qu’une déchirure raciale dont l’islam et l’antiracisme sont les fourriers et le libéralisme le grand ordonnateur ».

    Richard Millet est un écrivain prolifique et magnifique. Son œuvre comprend une cinquantaine de livres, des romans et des essais, tous écrits dans une langue et un style qui n’ont guère d’équivalent dans la littérature française contemporaine.

    Le sentiment de la langue
    L’auteur du Sentiment de la langue (1), ouvrage qui a obtenu le Prix de l’essai de l’Académie française en 1994, est né en Haute-Corrèze et a vécu au Liban de six à quatorze ans, double enracinement que l’on retrouve dans toute son œuvre. Le pays de sa prime enfance c’est celui des hauts plateaux du Limousin, celui de Siom, son village entre Tulle et Aubusson, un pays « obscur entre l’eau, le granit et le ciel », aux gens repliés « dans les éternelles postures primitives ». Puis viendra le Liban et Beyrouth, cette ville pleine d’odeurs, de « chants d’oiseaux et de cris d’enfants », où il devient adolescent « dans un creuset de langues, de vocables et d’accents [qui] incitait à la tolérance », mais où, plus tard, il éprouvera « au plus haut le fait de vivre tout en achevant de [se] séparer de l’espèce humaine ».
    Ces lieux de mémoire lui inspireront la plupart de ses livres, parmi lesquels deux sont particulièrement emblématiques : Ma vie parmi les ombres (2) pour la Corrèze, et La Confession négative (3) pour le Liban.
    Le premier est un roman autobiographique, une plongée dans l’univers crépusculaire, funèbre, d’un monde rural que ses habitants abandonnent et qui meurt ; c’est une sorte de requiem pour une civilisation millénaire qui disparaît. C’est là qu’il erre, « perdu ou sauvé par l’écriture, ombre parmi les grandes ombres de Siom ». Ce livre pourrait être placé sous l’invocation de Patrice de la Tour du Pin selon lequel « les pays qui n’ont plus de légendes sont condamnés à mourir de froid ».

    Confessions négatives
    Le second livre, La Confession négative, est également autobiographique. C’est le récit de l’engagement de l’auteur, alors âgé de 22 ans, à Beyrouth aux côtés des chrétiens maronites et de leurs phalanges armées, lors de la guerre civile de 1975-1976. Millet était venu au Liban « chercher la poésie », et il n’y a trouvé que « la fleur inverse de [sa] propre abjection ». Ce mot renvoie sans doute, comme l’a souligné le critique Richard Blin (4), aux Fleurs du mal, « livre atroce », disait Baudelaire, dans lequel « j’ai mis tout mon cœur, toute ma haine ». Dans son journal, Mon cœur mis à nu, il écrivait aussi : « Il n’y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat. L’homme qui chante, l’homme qui bénit, l’homme qui sacrifie et se sacrifie ». C’est à ces hauteurs (celles où l’on côtoie Jünger, Malaparte ou Malraux) que se situe Richard Millet dans cet admirable récit qu’il définit lui-même comme un « opéra baroque ».
    Après le Liban, il regagnera l’Europe « où les hommes ne croient plus à rien et où les ormes sont morts de maladie » et consacrera une part importante de son œuvre à défendre et illustrer la langue française, notamment avec sa trilogie sur Le sentiment de la langue.

    Langue sans appartenance, nationalité sans fondement…
    Cet amour du français se retrouve dans l’essai qu’il vient de publier sous le titre Fatigue du sens. Il y dénonce, en effet, le déclin de notre langue devenue « simple outil de communication, d’information, de propagande ». Le français d’aujourd’hui, le « sous-français contemporain […] est une langue sans appartenance véritable, de la même façon qu’il existe des nationalités ou des identités sans fondement ». En d’autres termes, le déclin de la langue est consubstantiel à la décadence de la nation. On assiste ainsi aujourd’hui à une véritable « tiers-mondisation des langues nationales par quoi le libéralisme établit le règne du Marché ».

    Le cri de douleur d’un écrivain français, soucieux des origines
    Ce thème n’est toutefois qu’un des aspects de cet essai qui est avant tout le cri de douleur d’un écrivain français qui a le « vaste souci de l’origine » et s’interroge sur « ce qu’il advient du sens de la nation et de [son] identité devant une immigration extra-européenne qui la conteste comme valeur et […] ne peut que la détruire, non pas avec l’intention de le faire mais parce que l’illimitation de son nombre et son assentiment aux diktats du libéralisme international rencontrent cette terrible fatigue du sens qui affecte les Européens de souche ». Par ce propos liminaire, le ton du livre est donné. Mais Millet n’est ni un pamphlétaire ni un provocateur. C’est un écrivain de souche française qui clame son appartenance à un peuple qui n’est plus aujourd’hui qu’une « population – une variabilité statistique ». Le peuple français, « parfaite synthèse » des Latins, des Celtes et des Germains, « ne peut qu’entrer en conflit avec une immigration extra-européenne » devenue massive.

    L’immigré, figure emblématique de la société post-moderne
    Cette immigration, estime-t-il, est devenue un « cauchemar », pour les autochtones comme pour les immigrés, car elle n’est, sous tous ses aspects, qu’un « trafic d’êtres humains où les intérêts mafieux rencontrent ceux du capitalisme international ». Il n’hésite pas à dire que « seuls les imbéciles et les propagandistes du Bien » peuvent continuer à prétendre que l’immigration est une « chance pour la France ». Pour lui, elle est, au contraire, porteuse d’une « guerre civile innommée ». Elle est devenue une idéologie, l’acmé de la pensée dominante, et l’immigré (le clandestin, le sans-papiers, le Rom) non seulement le nouveau prolétaire, mais la figure emblématique de la société post-moderne.
    Ecrivain enraciné dans le sol français, dans la « vieille terre de la langue », Richard Millet ne peut se résoudre à « voir des minarets se dresser sur le plateau de Millevaches […] déjà défiguré par des éoliennes ». Il souffre de ne plus se reconnaître dans le pays qui est le sien, qui a honte de lui-même et ne cesse de se repentir et de se renier. Il se demande « comment être le citoyen d’un pays dont Yannick Noah, « cet histrion du Bien, miroir de l’insignifiance française, symbole de l’idéologie mondialiste » est la personnalité préférée. La France n’est plus qu’un « grand corps épuisé », un « non-lieu » incrusté dans une « mosaïque de non-lieux labellisés » (l’Europe, le monde).

    Français de sang
    Dans la même veine, il stigmatise l’idéologie racialiste du métissage généralisé et l’antiracisme, cet « appareil idéologique d’Etat » qui « finira par jeter l’opprobre sur ceux qui, n’appartenant à aucune minorité visible, ne sont que des Français de souche », expression à laquelle il préfère celle de « Français de sang ».
    Comment en est-on arrivé là ? « C’est dans l’enseignement que tout s’est joué », énonce fort justement l’auteur. Ancien professeur dans la banlieue sud-est de Paris, il a pris conscience que face à une majorité d’élèves issus de l’immigration il ne pouvait plus « dire nous, ni renvoyer à un champ référentiel historique, géographique, culturel, religieux commun ». Ce constat l’a amené à renoncer à la « conception intégrationniste » de l’enseignement qu’il avait fait sienne et à abandonner ce métier. Mais il n’oublie pas de pointer également la responsabilité des idéologues et des pédagogues qui ont « mis à mal le système éducatif français au nom d’idéaux égalitaristes ». Ils ont notamment, au nom du fameux « apprendre à apprendre » cher aux « experts » en sciences de l’éducation, vidé la notion d’apprentissage de son sens. « Pourquoi apprendre et quel savoir », s’interroge l’ancien professeur, « lorsque l’idée de connaissance obéit à la logique horizontale et que la haine de l’intelligence, de l’héritage, de la profondeur, de l’effort est une des caractéristiques du monde contemporain ! »
    Sans craindre le reproche incapacitant d’islamophobie, il écrit que l’islam est incompatible avec le christianisme européen et que sa « ruse suprême est de faire croire qu’il n’a rien à voir avec l’islamisme ». Il considère que l’islam, devenu, volens nolens, la deuxième religion en France, est un « universalisme expansif et réducteur ».

    L’Europe, espace de disneylandisation ethnique
    Millet n’est cependant pas un anti-immigré obsessionnel, comme voudraient le faire croire tous ceux, et ils sont nombreux, que ses idées insupportent et qui le détestent. Il n’hésite pas à montrer du doigt la figure du « Français de souche fatigué d’être lui-même au point de devenir l’esclave de […] sa veulerie, de sa médiocrité, de son acrimonie petite-bourgeoise… ». Il condamne également la « sous-américanisation » de la France et, au-delà, de l’Europe qui sont devenues « un espace de dysneylandisation ethnique […], le modèle du “parc humain” (5) de l’avenir où l’esprit est mis à mal par le divertissement et le spectacle ». Il se sent en exil, enfin, dans ce monde d’aujourd’hui que gouvernent « la Loi, la Tolérance, le Bien, l’Humanité » et que régentent les « lobbies sexuels, religieux, ethniques, régionalistes, maçonniques, etc. ».
    En écrivant, dans une phrase qui pourrait résumer l’ensemble de son livre, « l’Europe tout entière n’est plus qu’une déchirure raciale dont l’islam et l’antiracisme sont les fourriers et le libéralisme le grand ordonnateur », Richard Millet a sans doute encore élargi le cercle de ses contempteurs. Mais il n’en a cure, car son essai, scandaleux pour la doxa et tous les bien-pensants du politiquement correct, est un véritable livre de combat. Il constitue, malgré parfois certaines généralisations un peu excessives, un ensemble de « fragments en forme de carreaux d’arbalètes » décochés sur le « monde horizontal » qui est le nôtre, c’est-à-dire le monde qui a renoncé « à toutes les valeurs de la verticalité ». Fatigue du sens est le témoignage courageux et passionné d’un écrivain-guerrier.
    Didier Marc , 6/07/2011 http://www.polemia.com
    Richard Millet, Fatigue du sens, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2011, 154 pages, 16 €.
    Notes
    (1) Le Sentiment de la langue, I, II, III, La Table Ronde, puis coll. Petite Vermillon, 2003.
    (2) Gallimard, 2003, puis Folio, 2005.
    (3) Gallimard, 2009.
    (4) In Le matricule des anges,
    (5) Cf. Allusion à Peter Sloterdijk, n° 100, février 2009. Règles pour le parc humain. Une lettre en réponse à la Lettre sur l’Humanisme de Heidegger, Paris, Editions Mille et Une Nuits, « La petite collection », 2000.