Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1825

  • Relire « Ravage » de René Barjavel

    PARIS (NOVOpress) - En ces temps de crise, que certains perçoivent comme pré-apocalyptiques, il est indispensable et même absolument nécessaire de lire ou relire Ravage, de René Barjavel. Celui que l’on a intronisé, bien tardivement, père de la science-fiction française, fait plutôt œuvre, ici, de prophète. Car ses extraordinaires visions sont enveloppées d’une grande poésie. Ravage pourrait très bien se situer au carrefour de Giono, de Jules Verne ou même du Georges Orwell de 1984.

    Imaginer dès 1942 une société hyper-technologique dans laquelle tout – ou presque – se fait grâce à l’énergie électromagnétique, était déjà réussir un tour de force. D’autant que la cohérence de l’ensemble ne nous suggère, à aucun moment, le moindre doute. Mais lorsque Barjavel met en scène la destruction, en quelques heures, de cette non-civilisation technicisée par une panne énergétique totale, on ne peut que tomber béat devant une telle lucidité.

    Ultra-concentration urbaine, industrie agro-alimentaire, frénésie bougiste, hypersexualisation médiatique, règne du plastique ou encore ultra-dépendance énergétique … le cadre posé ressemble à s’y méprendre aux sociétés occidentales de 2013. Quant au grand choc décrit, à la convergence des crises en œuvre, elles semblent tout droit sorties du dernier ouvrage de Piero San Giorgio (1).

    Dans le gigantesque chaos qui suit, l’Homme peut-il survivre ? Et quels hommes ? C’est la formidable épopée que nous fait vivre René Barjavel. Ravage n’est ni un divertissement gratuit – il vous laissera des stigmates, ni un nouveau manuel d’entraînement pour survivaliste en devenir. Il constitue en revanche, un formidable outil pour tout « éveilleur de peuple », pour quiconque souhaite partager sa vision d’un nécessaire retour au réel (2), d’une redécouverte des savoirs primaires, d’un ré-enracinement des plus concrets.

    « Ne sais-tu pas que les hommes se perdirent justement parce qu’ils avaient voulu épargner leur peine ? »

    Pierre Saint-Servant http://fr.novopress.info/

    1) Essayiste, théoricien du survivalisme. Dernier ouvrage paru : Rues barbares : Survivre en ville (coécrit avec Vol West), éditions Le Retour aux sources, 2012

    2) Notion chère au philosophe Gustave Thibon. Retour au réel. Nouveaux Diagnostics, Lyon, Lardanchet, 1943

  • Les papes face à la persécution anticatholique au XIXème siècle

    De telles histoires sont excellentes pour exaspérer les imbéciles et rafraîchir l’imagination des bons chrétiens.

    Léon Bloy

    J’ai déjà indiqué que Swift recense la destruction du christianisme en Angleterre au début du XVIIIe siècle. Montesquieu écrit ensuite dans ses lettres moins persanes qu’anglaises que le pape est « une vieille idole que l’on encense par habitude ». Puis il y eut la révolution française et son invraisemblable et systématique caractère antichrétien.

    Le dix-neuvième siècle semble plus paisible. Mais les papes au XIXe siècle ont pourtant subi toutes les avanies ; dans un monde déjà positiviste, laïque, agressif, tourné vers le matériel et les manipulations, ils n’ont eu de cesse de défendre la Foi et leur autorité, mais aussi les Etats de la papauté, menacés par l’inquiétant Etat italien qui les a dépourvus de tout en plusieurs fois. Cet Etat italien profitera de la défaite de Napoléon III pour détruire ce qui restait des Etats de l’Eglise. Napoléon III et son idiosyncrasie avaient réussi l’exploit bonapartiste d’être à la fois du côté des agresseurs, en aidant Cavour et le Piémont, et des agressés... Les émeutes, les rebellions, grossièrement et surtout inutilement violentes, toutes fabriquées ou manipulées, ont créé de façon récurrente des situations extrêmement douloureuses. Deux grands papes ont bien écrit à ce sujet, comme s’ils cherchaient à nous consoler par avance des épreuves que nous traversons. Il s’agit de Pie IX, que j’ai déjà cité, et de Grégoire XVI.

    Ce dernier écrit dans une encyclique célèbre, Mirari Vos, en 1832 :

    « A ce motif de silence, s’en joignit un nouveau : l’insolence des factieux qui s’efforcèrent de lever une seconde fois l’étendard de la rébellion. A la vue de tant d’opiniâtreté de leur part en considérant que leur fureur sauvage, loin de s’adoucir, semblait plutôt s’aigrir et s’accroître par une trop longue impunité et par les témoignages de notre paternelle indulgence, nous avons dû enfin, quoique l’âme navrée de douleur, faire usage de l’autorité qui nous a été confiée par Dieu, les arrêter la verge à la main (I Cor. IV,21), et depuis, comme vous pouvez bien conjecturer, notre sollicitude et nos fatigues n’ont fait qu’augmenter de jour en jour. »

    Au début de son texte, le Saint-Père est même très ému ; Grégoire décrit une espèce de fin des Temps, de chaos organisé et généralisé ; on est déjà en mai 68, avec le sang en plus des violences révolutionnaires de l’époque, qui ne s’éteindront qu’avec la fin du nazisme et les agonies du communisme. C’est le monde moderne en plein :

    « Nous pouvons dire en toute vérité, c’est maintenant l’heure accordée à la puissance des ténèbres pour cribler, comme le froment, les enfants d’élection (LUC. XXII,53). "La terre est vraiment dans le deuil ; elle se dissout, infectée par ses habitants ; ils ont en effet transgressé les lois, changé la justice et rompu le pacte éternel" (ISAI. XXIV,5). Nous vous parlons, vénérables Frères, de maux que vous voyez de vos yeux, et sur lesquels par conséquent nous versons des larmes communes. La perversité, la science sans pudeur, la licence sans frein s’agitent pleines d’ardeur et d’insolence ; la sainteté des mystères n’excite plus que le mépris, et la majesté du culte divin, si nécessaire à la foi et si salutaire aux hommes, est devenue, pour les esprits pervers, un objet de blâme, de profanation, de dérision sacrilège. »

    Soixante millions de morts, des décennies de dictature, aujourd’hui une piteuse chute de la civilisation continentale, ce sera le prix à payer pour la société postchrétienne en Europe. L’expression très belle de dérision sacrilège annonce bien la culture actuelle libérale-libertaire : on est dans les temps sans foi et de l’éclat de rire. Grégoire XVI fait même une pudique allusion au mariage des prêtres que l’on exige déjà entre froncements de sourcils et deux éclats de rire :

    « De là, la sainte doctrine altérée et les erreurs de toute espèce semées partout avec scandale. Les rites sacrés, les droits, les institutions de l’Eglise, ce que sa discipline a de plus saint, rien n’est plus à l’abri de l’audace des langues d’iniquité. On persécute cruellement notre Chaire de Rome, ce Siège du bienheureux Pierre sur lequel le Christ a posé le fondement de son Eglise ; et les liens de l’unité sont chaque jour affaiblis de plus en plus, ou rompus avec violence. La divine autorité de l’Eglise est attaquée ; on lui arrache ses droits ; on la juge d’après des considérations toutes terrestres, et à force d’injustice, on la dévoue au mépris des peuples, on la réduit à une servitude honteuse. L’obéissance due aux évêques est détruite et leurs droits sont foulés aux pieds. »

    Grégoire fait ensuite allusion à l’enseignement et à toutes les formes modernes de subversion éducative. Et il écrit sur ces sociétés conspiratrices qui corrompent la jeunesse, ou lui apprennent avec la théorie du genre qu’elle n’a plus à être déterminée :

    « On entend retentir les académies et les universités d’opinions nouvelles et monstrueuses ; ce n’est plus en secret ni sourdement qu’elles attaquent la foi catholique ; c’est une guerre horrible et impie qu’elles lui déclarent publiquement et à découvert. Or dès que les leçons et les examens des maîtres pervertissent ainsi la jeunesse, les désastres de la religion prennent un accroissement immense, et la plus effrayante immoralité gagne et s’étend. Aussi, une fois rejetés les liens sacrés de la religion, qui seuls conservent les royaumes et maintiennent la force et la vigueur de l’autorité, on voit l’ordre public disparaître, l’autorité malade, et toute puissance légitime menacée d’une révolution toujours plus prochaine. Abîme de malheurs sans fonds, qu’ont surtout creusé ces sociétés conspiratrices dans lesquelles les hérésies et les sectes ont, pour ainsi dire, vomi comme dans une espèce de sentine, tout ce qu’il y a dans leur sein de licence, de sacrilège et de blasphème. »

    Comme on voit, rien de nouveau sous le soleil, sinon un désir éternel et permanent de poursuivre et de persécuter, chez l’Adversaire, ce qui relève de la Divinité et de l’Autorité sacrée, mais aussi des droits les plus ordinaires.

    ***

    Je laisse le grand et méconnu Grégoire XVI et termine en citant à nouveau Pie IX, ce héros de mon enfance (il a toujours dit non !), et son encyclique Etsi Multa. Je le fais en italien, car le Saint-Père écrit superbement cette langue, et que je suis fatigué de la mienne ; je traduis juste en français les mots moins compréhensibles pour donner au lecteur le loisir la prose du Saint-Siège. Ici le pape est épuisé par ses épreuves et il vient - et il l’écrit - à préférer la fin de ses jours à la vie dans l’affrontement avec l’increvable et modernité harcelante :

    « Benché fin dagli stessi inizi (bien que dès le début) del Nostro lungo Pontificato abbiamo dovuto subire sofferenze e lutti, di cui Noi abbiamo trattato nelle encicliche a Voi spesso (souvent) inviate ; tuttavia in questi ultimi anni la mole (la quantité) delle miserie è venuta crescendo in maniera tale che quasi ne saremmo schiacciati (écrasés), se non Ci sostenesse la benignità divina. »

    C’est ici qu’il dit préférer la mort à l’écoeurant affrontement avec les frères et les vénérables des loges et autres parlements dits libéraux :

    « Anzi, le cose sono ora giunte a tal punto che la stessa morte sembra preferibile ad una vita sbattuta da tante tempeste, e spesso con gli occhi levati al cielo siamo costretti ad esclamare: "E meglio per Noi il morire, che vedere lo sterminio delle cose sante" (1Mac 3,59). »

    Pie IX écrit ce merveilleux texte après la prise traîtresse de Rome, jusque là empêchée par les chevau-légers et les troupes chrétiennes françaises demeurées fidèles à la papauté. Voici comment il décrit cette prise :

    « Certamente da quando questa Nostra nobile Città, per volere di Dio, fu presa con la forza delle armi, e assoggettata al governo di uomini che calpestano (piétinent) il diritto, e sono nemici (ennemis) della religione, per i quali non esiste distinzione alcuna fra le cose divine ed umane, non è trascorso quasi giorno alcuno, che al nostro cuore, già piagato (mortifié) per le ripetute offese e violenze, non s’infliggesse una nuova ferita (blessure). »

    Ici le pape pleure le sort des religieux expulsés, hommes et vierges :

    « Risuonano tuttora alle nostre orecchie i lamenti ed i gemiti degli uomini e delle vergini appartenenti a famiglie religiose che, cacciati dalle loro case e ridotti in povertà, vengono perseguitati e dispersi, come suole accadere (se passer) dovunque (partout où) domina quella fazione, la quale tende a sovvertire l’ordine sociale. »

    Quella fazione... cette faction, écrit le Saint-Père, prend divers noms : les sectes maçonniques, les machinations, la synagogue de Satan. En utilisant ce verbe enflammé, le pape se préparait aussi à être fortement contesté par la science historique contemporaine, si objective et scientifique (le pape c’est Hitler, etc.), celle qui criminalisera à la suite de l’impayable Jules Isaac l’histoire de la pensée chrétienne, pères de l’Eglise et évangélistes compris..

    Nous ne sommes pas sortis de l’auberge rouge de la modernité. On ressort la formule en italien, pour exaspérer les imbéciles !

    « Da esse infatti è formata la sinagoga di Satana, che ordina il suo esercito contro la Chiesa di Cristo, innalza la sua bandiera e viene a battaglia. »

    Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info/

  • La démocratie, un mythe ?

    par Grégoire Arnould

    L’Institut Coppet, présidé par Damien Theillier, est connu pour promouvoir l’école française d’économie politique. Aujourd’hui, il s’attaque à la forme moderne de la démocratie.

    Say, Turgot, Bastiat. Ce sont les noms des penseurs les plus fameux de l’école française d’économie politique. Aujourd’hui méconnue en France, celle-ci connut un âge d’or au XIXe siècle, portée par une revue : Le journal des économistes.

    C’est à l’étranger que les idées de l’école française d’économie politique se sont le plus propagées. En Autriche, où Ludwig Von Mises et Friedrich Von Hayek se sont appuyés sur ses travaux et aux Etats-Unis, chez les libertariens - à ne pas confondre avec liberal ou libertaire - qui s’enracinent dans cette tradition de pensée. [...]

    La suite sur Politique Magazine

  • Les raisons de vivre et les raisons de mourir sont bien souvent les mêmes

    Hommage d’Alain de Benoist à Dominique Venner.
    Voici la transcription du très bel hommage rendu par Alain de Benoist à Dominique Venner lors de la cérémonie publique du 31 mai 2013.

    Les raisons de vivre et les raisons de mourir sont bien souvent les mêmes. Tel était le cas indéniablement pour Dominique Venner dont le geste a cherché à mettre en accord profondément sa vie et sa mort. Il a choisi de mourir de la manière qui, disait‑il, constituait l’issue la plus honorable en certaines circonstances et en particulier lorsque les mots deviennent impuissants à décrire, à exprimer ce que l’on ressent. Dominique Venner est mort finalement comme il avait vécu, dans la même volonté, dans la même lucidité, et, ce qui frappe le plus tous ceux qui l’ont connu, c’est de voir à quel point toute sa trajectoire d’existence se situe dans une ligne à la fois claire et droite, une ligne parfaitement rectiligne d’une extrême droiture.

    L’honneur au-dessus de la vie
    Le geste accompli par Dominique Venner est évidemment un geste dicté par le sens de l’honneur, l’honneur au-dessus de la vie, et, même ceux qui pour des raisons personnelles ou autres réprouvent le suicide, même ceux qui contrairement à moi ne le trouvent pas admirable, doivent avoir du respect pour son geste, car on doit avoir du respect pour tout ce qui est accompli par sens de l’honneur.
    Je ne vous parlerai pas de politique. En juillet 1967, Dominique Venner avait définitivement rompu avec toute forme d’action politique. Il regardait, en observateur attentif, la vie politique et il faisait connaître, bien entendu, son sentiment. Mais je crois que l’essentiel pour lui était ailleurs, et beaucoup de choses qui ont été déjà été dites aujourd’hui le montrent à foison.
    Au‑dessus de tout, Dominique Venner plaçait l’éthique et cette considération première était déjà la sienne lorsqu’il était un jeune activiste. Elle est restée la sienne, lorsque peu à peu le jeune activiste s’est mué en historien, en historien méditatif, comme il le disait. Si Dominique Venner s’intéressait tellement aux textes homériques dans lesquels il voyait les textes fondateurs de la grande tradition immémoriale européenne, c’est que l’Iliade et l’Odyssée, c’est d’abord l’éthique : les héros de l’Iliade ne délivrent aucune leçon de morale, ils donnent des exemples éthiques, et l’éthique est indissociable, bien sûr, d’une esthétique.

    C’est le beau qui détermine le bien
    Dominique Venner ne faisait pas partie de ceux qui croient que le bien détermine le beau, il était de ceux qui pensent que le beau détermine le bien ; il croyait en l’éthique et les jugements qu’il portait sur les hommes, ce n’était pas tant en fonction de leurs opinions ou de leurs idées, mais en fonction de leur plus ou moins grandes qualités d’être, et d’abord de cette qualité humaine par excellence qu’il résumait en un mot : la tenue.

    La tenue
    La tenue, qui est une façon d’être, une façon de vivre et une façon de mourir. La tenue qui est un style, ce style dont il avait si bellement parlé, dans Le Cœur rebelle, son livre paru en 1994, et, bien sûr, aussi dans tous ses ouvrages et je pense plus particulièrement au livre qu’il avait publié en 2009 sur l’écrivain allemand Ernst Jünger, et dans ce livre Dominique disait très clairement que, si Jünger nous donnait, nous donne un grand exemple, ce n’est pas seulement par ses écrits, mais c’est aussi parce que cet homme, qui a eu une vie si longue et qui est mort à 103 ans, n’a jamais failli aux exigences de la tenue.
    Dominique Venner était un homme secret, attentif, exigeant, et d’abord exigeant de lui-même ; il avait intériorisé en quelque sorte toutes les règles de la tenue : ne jamais se laisser aller, ne jamais se répandre, ne jamais s’expliquer, ne jamais se plaindre car la tenue appelle et va vers la REtenue. Evidemment, lorsque l’on évoque ces choses, on risque d’apparaître aux yeux de beaucoup comme l’habitant d’une autre planète, à l’époque des smartphones et des Virgin Mégastores, parler d’équanimité, de noblesse de l’esprit, de hauteur de l’âme, de tenue, c’est là employer des mots dont le sens même échappe à beaucoup, et c’est sans doute la raison pour laquelle les Béotiens et les Lilliputiens qui rédigent ces bulletins paroissiens de la bien-pensance que sont devenus les grands médias aujourd’hui ont été incapables pour la plupart de comprendre le sens même de son geste qu’ils ont essayé d’expliquer par des considérations médiocres.

    Une façon de protester contre le suicide de l’Europe
    Dominique Venner n’était ni un extrémiste ni un nihiliste et surtout pas un désespéré. Les réflexions sur l’histoire auxquelles il s’était livré pendant si longtemps l’avaient amené, au contraire, à développer un certain optimisme. Ce qu’il retenait de l’histoire c’est qu’elle est imprévisible et qu’elle est toujours ouverte, qu’elle fait les hommes, et que la volonté des hommes la fait également. Dominique Venner récusait toutes les fatalités, toutes les formes de désespoir.
    Je dirais paradoxalement, parce qu’on ne l’a pas suffisamment remarqué, que son désir de se donner la mort était une façon de protester contre le suicide, une façon de protester contre le suicide de l’Europe auquel il assistait depuis tant de temps.

    Un suicide d’espérance pensé comme acte de fondation
    Dominique Venner ne supportait tout simplement plus de voir l’Europe qu’il aimait, sa patrie, sortir peu à peu de l’Histoire, oublieuse d’elle‑même, oublieuse de sa mémoire, de son génie, de son identité, vidée en quelque sorte de cette énergie dont pendant tant de siècles elle avait su faire preuve ; c’est parce qu’il ne supportait plus ce suicide de l’Europe que Dominique Venner lui a opposé le sien, qui, lui, n’était pas un suicide d’affaissement, de démission mais au contraire un suicide d’espérance.
    L’Europe, disait Dominique, est en dormition. Il a voulu la réveiller. Il a voulu, comme il le dit, réveiller les consciences assoupies. Il faut donc être très clair sur ce point : il n’y a aucun désespoir dans le geste de Dominique Venner. Il y a un appel à agir, à penser, à continuer. Il dit : je donne, je sacrifie ce qui me reste de vie dans un acte de protestation et de fondation. C’est ce mot de « fondation », je crois, qui doit être retenu ; ce mot de « fondation » qui nous a été légué par un homme dont le dernier souci a été de mourir debout.

    Un samouraï d’Occident
    Dominique Venner n’était pas non plus un nostalgique, mais il était un véritable historien qui s’intéressait, bien sûr, au passé en vue de l’avenir ; il ne faisait pas de l’étude du passé une consolation ou un refuge ; il savait simplement que les peuples qui oublient leur passé, qui perdent la conscience même de leur passé, se privent par là même d’un avenir. L’un ne va pas sans l’autre : le passé et l’avenir sont deux dimensions de l’instant présent mais pas n’importe lesquelles : des dimensions de profondeur. Et dans cette démarche, Dominique Venner se souvenait, bien sûr, d’un certain nombre de souvenirs et d’images. Il avait le souvenir des héros et des dieux homériques ; il avait le souvenir des vieux Romains, de ceux qui l’ont précédé dans la voie de la mort volontaire : Caton, Sénèque, Regulus, tant d’autres. Il avait en mémoire les écrits de Plutarque et les histoires de Tacite. Il avait en tête le souvenir de l’écrivain japonais Yukio Mishima, dont la mort à tant d’égards ressemble tellement à la sienne et ce n’est certes pas un hasard si le livre, le dernier livre qu’il aura publié et qui va paraître d’ici quelques semaines et qui sera publié par Pierre‑Guillaume de Roux, s’appelle Un samouraï d’Occident : un samouraï d’Occident ! Et dans les images sur la couverture de ce livre Un samouraï d’Occident, on voit une image, une estampe, une gravure célèbre : Le Chevalier, la Mort et le Diable, de Dürer.

    Le Chevalier, la Mort et le Diable, de Dürer

    Cette gravure, Dominique Venner l’a choisie à dessein. C’est à ce personnage du chevalier que Jean Cau, il y a quelque temps, avait consacré un livre admirable qui portait d’ailleurs ce titre : Le Chevalier, la Mort et le Diable. Dans l’une de ses toutes dernières chroniques, rédigée quelques jours à peine avant sa mort, Dominique Venner a précisément écrit un texte d’hommage à ce chevalier qui, dit‑il, chemine et cheminera, continuera toujours de cheminer, vers son destin, vers son devoir, entre la mort et le diable.
    Et Dominique Venner dans cette chronique relevait un anniversaire. C’est en 1513, il y a très exactement 500 ans, que Dürer a gravé cette estampe Le Chevalier, la Mort et le Diable, et cette insistance m’a donné personnellement une idée, un geste, que tout le monde peut faire, très simple : je suis allé voir les dates de naissance et de mort de Dürer, l’homme qui a gravé, il y a très exactement 500 ans, Le Chevalier, la Mort et le Diable, et je me suis aperçu que Dürer était né en 1471, qu’il était né le 21 mai 1471. Dürer est né un 21 mai, Dominique Venner a choisi de mourir un 21 mai. Si c’est une coïncidence, elle est extraordinaire, mais on n’est pas forcé de croire aux coïncidences.

    Le cœur rebelle sera toujours là
    Voilà ce que je voulais vous dire en souvenir de Dominique Venner qui maintenant est parti dans une grande chasse sauvage, dans un paradis où l’on voit voler les oies sauvages. Ceux qui l’ont connu, et moi je le connaissais depuis 50 ans, ceux qui l’ont connu se disent sans doute qu’ils ont perdu un ami ; je crois qu’ils ont tort, je crois que depuis le 21 mai 2013 à 14h42 ils doivent savoir, au contraire, qu’il sera désormais nécessairement toujours là. Toujours là aux côtés des cœurs rebelles et des esprits libres confrontés depuis toujours à l’éternelle coalition des Tartuffes, des Trissotins et des Torquemadas.
    Alain de Benoist, 31/05/2013  http://www.polemia.com
    L’intégralité de l’hommage public du 31 mai est visible sur : Cérémonie d’hommage à Dominique Venner - ProRussia.tv …

  • Au sujet d'un ouvrage faisant l'objet d'un entretien concernant le paganisme

    Au sujet d'un ouvrage faisant l'objet d'un entretien concernant le paganisme
    Dans le cadre d'un entretien (1) effectué par Fabrice Dutilleul, Guillaume Sincyr nous présente son livre (2) intitulé « Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe ». L'entretien n'étant pas long et disponible à la lecture, le point de vue de l'auteur, qui est assez bien explicité, n'est pas difficile à pénétrer.
    Si l'on peut apprécier le retour aux origines (3) et adopter une démarche essentialiste quant à la France ou l'Europe, il faut se méfier d'une adhésion par trop catégorique. Se pose par exemple le problème de savoir si ces origines, au motif qu'elles sont, doivent nécessairement être célébrées. Est-il besoin, par exemple de rappeler que, et Vercingétorix (un celte), et Clovis (un germain), furent en leur temps, eux aussi, des métèques envahisseurs ? Ce que l'on a coutume de qualifier d'indo-européens, sont en fait des peuplades qui n'avaient rien à faire sur le sol de l'Europe. On peut donc considérer que si les zélateurs d'aujourd'hui des Celtes et des Germains avaient été présents à l'époque dans l'hexagone, ils les eurent alors très probablement combattus. La France des origines, c'est peut être bien celle de Néanderthal... Est-ce donc bien sérieux, sachant cela, d'aller célébrer une certaine forme d'essentialisme ? Que le christianisme soit étranger à l'Europe des origines, c'est en effet exact puisqu'il est issu du terroir palestinien. Rappelons en toute honnêteté que ce ne sont nullement les druides qui sont allés faire du prosélytisme en Palestine alors que la réciproque est fausse. Quant à célébrer la catholicité, phénomène d'importation, au motif qu'elle a structuré la France, un autre problème appert: on ne peut plus alors de façon définitive exclure l'islam, parce que religion d'importation elle est aussi. Et en effet, rien ne permet d'affirmer définitivement avec certitude que l'islam, lui aussi, n'apportera pas beaucoup sur le long terme.
    On perçoit donc dès lors la double erreur consistant à se rattacher ou à l'essentialisme, ou à l'historicisme.
    Il n'est pas impossible d'ailleurs qu'il faille chercher du côté de l'animisme pour trouver la proto-religion de l'Europe.
    Au sujet de certaines formulations effectuées par l'auteur, elles peuvent être motif à légitime interrogation. Ainsi:
    « Si les églises se vident, ce n’est pas parce que l’homme a perdu le sens du sacré, c’est parce que l’Européen se sent mal à l’aise vis-à-vis d’une religion qui ne répond pas à sa sensibilité. ».
    Il semblerait, bien au contraire, que la période dans laquelle nous sommes entrés voici une quarantaine d'années, qualifiée par le terme de postmodernité, se marque justement par la perte du sacré. Plus grave, il semble y avoir consensus sur le sujet au vu des études effectuées sur le sujet. Qui méconnaît « le désenchantement du monde » (4) écrit voici une trentaine d'années ? Ce qui caractérise les temps présents, c'est justement une positivité poussée à l'extrême: efficacité, utilité, facilité... Et notre contemporain donc de vous interroger sur le pourquoi de son absence à la messe ? « Pas amusant et puis, à quoi ça sert ? ». De surcroît, si le problème venait d'une religion au motif qu'elle ne fusse pas conforme à la sensibilité de l'Européen, pourquoi alors tous ces siècles durant lesquels, les églises furent remplies ? On constate bien que les arguments ne tiennent pas.
    Mais aussi,
    « Plus les populations sont évoluées, plus on constate leur rejet de l’approche monothéiste avec un Dieu responsable de tout ce qui est bon, mais jamais du mal ou de la souffrance, et devant qui il convient de se prosterner. »
    Evoluées ? C'est en effet un droit que de considérer que Français et Européens sont de plus en plus évolués; il me semble au contraire, et c'est là le point de vue des Nôtres et de la mouvance, que plus nous avançons dans l'histoire et plus nous chutons. Est-on certain par exemple que la chute de la monarchie constitua une réussite ? Pense t-on vraiment qu'aujourd'hui le Français, ne serait-ce qu'en terme de politesse, d'état d'esprit, de lien avec les siens, ait « évolué » depuis un demi-siècle ?
    Et enfin,
    « Le Paganisme est une Vue du monde basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme. »
    Et l'heimarménè des Grecs ? Et le fatum des Romains ? Sans commentaire...
    Philippe Delbauvre http://www.voxnr.com
    Notes :
    (1) Entretien avec Gilbert Sincyr, auteur du livre Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe (préface d’Alain de Benoist) par Fabrice Dutilleul
    Votre livre Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe est un succès. Pourtant ce thème peut paraître quelque peu « décalé » à notre époque.
    Bien au contraire : si les églises se vident, ce n’est pas parce que l’homme a perdu le sens du sacré, c’est parce que l’Européen se sent mal à l’aise vis-à-vis d’une religion qui ne répond pas à sa sensibilité. L’Européen est un être qui aspire à la liberté et à la responsabilité. Or, lui répéter que son destin dépend du bon vouloir d’un Dieu étranger, que dès sa naissance il est marqué par le péché, et qu’il devra passer sa vie à demander le pardon de ses soi-disant fautes, n’est pas ce que l’on peut appeler être un adulte maître de son destin. Plus les populations sont évoluées, plus on constate leur rejet de l’approche monothéiste avec un Dieu responsable de tout ce qui est bon, mais jamais du mal ou de la souffrance, et devant qui il convient de se prosterner. Maintenant que l’Église n’a plus son pouvoir dominateur sur le peuple, on constate une évolution vers une aspiration à la liberté de l’esprit. C’est un chemin à rebours de la condamnation évangélique, originelle et perpétuelle.
    Alors, qu’est-ce que le Paganisme ?
    C’est d’abord un qualificatif choisi par l’Église pour désigner d’un mot l’ensemble des religions européennes, puisqu’à l’évidence elles reposaient sur des valeurs communes. C’est donc le terme qui englobe l’héritage spirituel et culturel des Indo-européens. Le Paganisme est une Vue du monde basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme. Il est fondé sur le sens de l’honneur et de la responsabilité de l’Homme, face aux évènements de la vie. Ce mental de combat s’est élaboré depuis le néolithique au fil de milliers d’années nous donnant une façon de penser, une attitude face au monde. Il est à l’opposé de l’assujettissement traditionnel moyen-oriental devant une force extérieure, la volonté divine, qui contrôle le destin de chacun. Ainsi donc, le Paganisme contient et exprime l’identité que se sont forgés les Européens, du néolithique à la révolution chrétienne.
    Vous voulez donc remplacer un Dieu par plusieurs ?
    Pas du tout. Les temps ne sont plus à l’adoration. Les Hommes ont acquit des connaissances qui les éloignent des peurs ancestrales. Personne n’a encore apporté la preuve incontestable qu’il existe, ou qu’il n’existe pas, une force « spirituelle » universelle. Des hommes à l’intelligence exceptionnelle, continuent à s’affronter sur ce sujet, et je crois que personne ne mettrait sa tête à couper, pour l’un ou l’autre de ces choix. Ce n’est donc pas ainsi que nous posons le problème.
    Le Paganisme, qui est l’expression européenne d’une vue unitaire du monde, à l’opposé de la conception dualiste des monothéismes, est la réponse spécifique d’autres peuples aux mêmes questionnements. D’où les différences entre civilisations.
    Quand il y a invasion et submersion d’une civilisation par une autre, on appelle cela une colonisation. C’est ce qui s’est passé en Europe, contrainte souvent par la terreur, à changer de religion (souvenons-nous de la chasse aux idoles et aux sorcières, des destructions des temples anciens, des tortures et bûchers, tout cela bien sûr au nom de l’amour). Quand il y a rejet de cette colonisation, dans un but de recherche identitaire, on appelle cela une libération, ou une « Reconquista », comme on l’a dit de l’Espagne lors du reflux des Arabes. Et nous en sommes là, sauf qu’il ne s’agit pas de reflux, mais d’abandon de valeurs étrangères au profit d’un retour de notre identité spirituelle.
    Convertis par la force, les Européens se libèrent. « Chassez le naturel et il revient au galop », dit-on, et voilà que notre identité refoulée nous revient à nouveau. Non pas par un retour des anciens Dieux, forme d’expression d’une époque lointaine, mais comme un recours aux valeurs de liberté et de responsabilité qui étaient les nôtres, et que le Paganisme contient et exprime.
    Débarrassés des miasmes du monothéisme totalitaire, les Européens retrouvent leur contact privilégié avec la nature. On reparle d’altérité plutôt que d’égalité, d’honneur plutôt que d’humilité, de responsabilité, de volonté, de défi, de diversité, d’identité, enfin de ce qui constitue notre héritage culturel, pourchassé, rejeté et condamné depuis deux mille ans.
    S’agit-il alors d’une nouvelle guerre de religion ?
    Pas du tout, évidemment. Les Européens doivent dépasser ce qui leur a été imposé et qui leur est étranger. Nous devons réunifier sacré et profane, c’est-à-dire réaffirmer que l’homme est un tout, que, de ce fait, il est le maître de son destin car il n’y a pas dichotomie entre corps et esprit. Les Européens ne doivent plus s’agenouiller pour implorer le pardon de fautes définies par une idéologie dictatoriale moyen-orientale. Ce n’est pas vers un retour du passé qu’il nous faut nous tourner, gardons-nous surtout d’une attitude passéiste, elle ne serait que folklore et compromission. Au contraire des religions monothéistes, sclérosées dans leurs livres intouchables, le Paganisme, comme une source jaillissante, doit se trouver de nouveaux chemins, de nouvelles expressions. À l’inverse des religions du livre, bloquées, incapables d’évoluer, dépassées et vieillissantes, le Paganisme est l’expression de la liberté de l’homme européen, dans son environnement naturel qu’il respecte. C’est une source de vie qui jaillit de nouveau en Europe, affirmant notre identité, et notre sens du sacré, pour un avenir de fierté, de liberté et de volonté, dans la modernité.
    (2) Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe de Gilbert Sincyr, éditions de L’Æncre, collection « Patrimoine des Religions », dirigée par Philippe Randa, 232 pages, 25 euros.
    http://francephi.com/boutique/le-paganisme-recours-spirituel-et-identitaire-de-leurope/
    (3) Jean Guilaine – La France d'avant la France, Du néolithique à l'âge du fer. Hachette. 1980
    (4) Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985 (ISBN 207070341X).

  • “Le cauchemar pavillonnaire” de J-L. Debry – Analyse par Pierre Le Vigan

    Depuis plus de 10 ans la construction de logements individuels dépasse celle de logements collectifs. Par voie de conséquence les zones périurbaines s’étendent. La campagne est mitée par les lotissements et perd son caractère propre. C’est un phénomène qui relève de l’imaginaire même de notre société : l’idéal pavillonnaire se confond avec l’accès aux classes moyennes. Le pavillon est toutefois bien différent des maisons de l’aristocratie ouvrière des années trente. Ces maisons généraient une autre forme de ville. Il s’agit maintenant de nier la ville.

    « Les zones pavillonnaires effacent la notion de ville » écrit l’auteur. Aucune activité ne peut plus se faire sans la voiture d’où un accroissement des dépenses contraintes, des risques de surendettement et une dépendance accrue aux banques.

    Le libéralisme fonctionne selon une sainte trinité : le travail, la consommation, la propriété. L’accession à la propriété du pavillon regroupe ces trois éléments. Elle représente donc le salut. La société se recompose sur le mode du huit-clos et du règne de l’ego. Symbole de réussite, le pavillon, dans une société d’hyper-compétition, apparait en même temps un refuge. Mais en fait, il aggrave l’acculturation et privatise l’anxiété sociale. Loin d’être une autre forme de ville, l’espace pavillonnaire devient un non-lieu. Le social est réduit à « une immense et unique communauté de consommateurs segmentée en tribus ». Un entre-soi accroit la misère culturelle d’un homme réduit à un consommateur en quête d’un « bonheur conforme » dont le pavillon est la figure archétypale. Cette critique métaphorique de l’univers pavillonnaire, nourrie de Jacques Ellul et de Jean Baudrillard, fera date.

    Pierre Le Vigan http://fr.novopress.info/

    - Jean-Luc Debry, Le cauchemar pavillonnaire, éditions l’échappée, 164 pages, 12 euros.

    Source : Metamag.

  • John Law ou la chute spectaculaire d’un banquier central

    Quand John Law a fait face à la dette énorme de l’État en France au dix-huitième siècle, il a émis beaucoup de papier monnaie -avec succès- et le pays s’est senti riche. Il était intelligent, courageux, charmant, honnête – et pour un temps- extrêmement populaire. Malheureusement, il a ainsi ruiné tous ceux qui avaient de l’argent en France, ce qui a fait de l’ombre à ses autres qualités. Il est intéressant de se pencher sur ce qui s’est passé.

    John Law était écossais. Il est né à Edimbourg en 1671, d’un père banquier et joaillier qui avait réussi. A l’âge de 14 ans, il commença son apprentissage dans ces métiers et s’en retourna à 17 ans, juste à temps pour hériter de son père qui décéda cette même année. Il était déjà connu alors pour ses talents mathématiques et sa popularité auprès des dames.

    Apprendre son métier
    Riche du domaine familial, il s’en fut à Londres où il ajouta le jeu à ses compétences. Il gagnait régulièrement et s’attira ce mélange de respect et de jalousie qui poursuivent un homme qui réussit tant aux tables de jeux qu’en chambre.

    Malheureusement, ses conquêtes en chambre cachaient certains risques. Londres était à cette époque un lieu où l’honneur d’une dame était une raison suffisante pour mourir (c’était il y a vraiment longtemps) et quand Law fut défié en duel, et qu’il accepta, il tira sur son adversaire et, ce qui n’était pas déraisonnable, le tua.

    Condamné à être pendu, il est communément accepté qu’il obtînt une aide amicale pour s’échapper pendant le procès en appel et comme Londres était n’était plus un lieu sûr pour lui, il se mit en route pour l’Europe continentale.

    Obtenir le meilleur poste

    Pendant quelques années, il vécut grâce à son esprit dans les salons. Il était gros joueur et ce train de vie le conduisait à entrer en contact régulier avec le duc d’Orléans. Et pourtant, de manière surprenante pour un joueur, il existait des signes précurseurs montrant que Law croyait fermement à un destin plus élevé.

    Il avait déjà, sans qu’on le remarqua beaucoup, publié des traités sérieux d’économie et s’intéressait de près aux métiers de la finance dont il avait tout appris à Amsterdam. Le duc pensait suffisamment de bien de lui pour prendre au sérieux ses idées sur le commerce et la finance.

    L’Histoire, pendant ce temps, poursuivait normalement son cours avec un grand roi. Louis XIV était mourant et ayant été largement célébré et honoré pendant toute sa vie, on se souviendrait bientôt de lui avec quelque amertume en raison de la taille de la dette nationale qu’il laissait à ses héritiers. A sa mort, le jeune Louis XV avait seulement sept ans et c’est le duc d’Orléans qui fut nommé Régent. Son problème immédiat, c’étaient les trois millions de livres emprunté par feu le Roi.

    Une dévaluation eu lieu rapidement. Le gouvernement ôta 20% de la quantité de métal précieux des pièces, ce qui n’eut d’autre conséquence que mener à l’éviction des pièces anciennes en circulation. Ensuite, l’État décida d’offrir des primes aux informateurs dénonçant les thésaurisateurs. Les coupables étaient enfermés à la Bastille.

    Alors que les choses se détérioraient, Law était introduit auprès du duc à Paris. Son plan était simple. On lui donnerait une banque et la gestion des revenus royaux et le droit d’émettre de la monnaie-papier. Le papier serait garanti par une combinaison des revenus royaux et de ses domaines –une idée qu’il avait proposé dans ses articles sérieux plusieurs années plus tôt.

    La Banque de France royale

    Le 5 mai 1716, la banque de Law fut créée. Ses billets seraient ensuite utilisés pour le paiement des impôts. Son capital était constitué de 25% en pièces et 75% de bons du Trésor -trop nombreux- comptabilisés à leur valeur nominale (mais qui à cette époque se négociaient avec un taux d’escompte élevé).

    Ensuite en garantissant sa monnaie-papier non pas par n’importe quelle monnaie mais par les pièces émises lors de la création de ses billets, il vit rapidement que son papier était préféré aux pièces récemment dévaluées et qui allaient certainement être encore dévaluées davantage.

    Grâce à cette manœuvre impressionnante, il récolta la majeure partie du stock de métal précieux du pays. A la fin de l’année, ses billets valaient 15% de plus que les pièces équivalentes et la dette de l’État se négociait à environ 80% en dessous de sa valeur nominale.

    Il n’avait pas encore fini. Son projet suivant était d’activer l’optimisme des possessions françaises aux États-Unis. Il persuada donc le duc de lui octroyer un monopole complet sur le négoce de la partie française du Mississippi. Ayant déjà le contrôle de la frappe de la monnaie, de l’émission du papier-monnaie et de la levée des impôts, il eut alors le pouvoir exclusif du plus grand espoir français- le commerce avec le nouveau monde.

    Il leva du capital de manière conventionnelle en vendant ses actions pour un prix fantastique payable en bons du Trésor très discomptés et dont personne ne pouvait se débarrasser suffisamment vite.

    “C’est alors que la griserie de la spéculation commença se répandre sur la nation. La banque de Law avait réalisé tant de bien, que toutes les promesses qu’il pensait être autorisé à faire pour l’avenir étaient crues instantanément. Le Régent conférait chaque jour de nouveaux privilèges à l’entrepreneur fortuné. La banque obtint le monopole de la vente de tabac, le droit unique de raffinage de l’or et de l’argent et fut finalement élevée au rang de Banque Royale de France.

    En plein milieu de l’extase due à la réussite, Law et le Régent oublièrent tous deux la maxime proclamée si bruyamment par ce dernier, selon laquelle un banquier qui émettait du papier-monnaie sans le garantir par des fonds équivalents méritait la mort. Dès que la banque privée devint une institution publique, le Régent fut à l’origine de la fabrication de billets pour plus de mille millions de livres. Ce fut le premier écart aux principes sains et un pour lequel on ne peut pas blâmer Law. » Charles Mackay -1841.

    Peu de temps après, le monopole des droits de commerce avec l’Est fut également octroyé à la compagnie et dans une succession d’émissions d’actions- chacune à un prix plus élevé que la précédente – un public complaisant se battait pour le droit de convertir ses bons du trésor qui possédaient de moins en moins de valeur en échange des billets de Law et des certificats de participation du Mississippi proliférant de toutes parts.

    La bête avait développé sa propre dynamique. Paris fleurissait. Les biens de luxe étaient vendus dès qu’ils entraient dans les magasins. Les jardins proches de la banque de Law s’étaient transformés en une cité de tentes et servaient de bourse financière impromptue. La valeur des biens immobiliers et des loyers explosait alors que le marché des actions montait et montait jusqu’à ce que les propres cochers des spéculateurs deviennent eux-mêmes des magnats et emploient ceux qui avaient été leurs égaux.

    Le duc en conclut que ce qui était clairement bénéfique dans cette quantité particulière pourrait difficilement ne pas être deux fois aussi bénéfique dans une quantité deux fois plus grande. Et que dire du commerce supplémentaire et de la simple difficulté à distribuer suffisamment de liquidités pour tenir le rythme de la conversion des actions de la compagnie ?

    Il se décida donc à émettre encore plus de papier-monnaie en contournant Law, qui lui probablement en connaissait les risques, mais qui avait probablement déjà suspendu sa discipline rigoureuse de banquier au profit des applaudissements nombreux de son ingénuité financière. De plus, l’en empêcher aurait très certainement ennuyé son patron.

    C’était à peu près à cette époque, tandis que Paris frétillait et se ravissait, que le Prince de Conti arriva avec l’intention d’acheter autant d’actions qu’il pourrait en obtenir. Il fut outragé qu’on lui refuse sa part entière et envoya trois charriots à la banque de Law pour demander une restitution immédiate – en pièces d’or- de son stock complet de billets émis par Law.

    Le prince fut payé mais fut aussi instruit, qu’au risque de déplaire grandement au duc –une chose fort peu conseillée-, il devait rendre deux charriots immédiatement. Il le fit. Mais ce fut suffisant pour que les opérateurs les plus malins entrevoient la lumière.

    Au début, par petites quantités les professionnels commencèrent à convertir leur papier. Les pièces, les lingots et toutes les autres choses de valeur étaient subrepticement transportés ailleurs – en Belgique, Hollande et Angleterre.

    Bientôt, il devint nécessaire de fixer par décret la prime que les billets, de manière naturelle, avaient appelé sur les pièces et le parlement déclara qu’à partir de maintenant les pièces n’auraient plus comme valeur que 95% de celle du papier. Le décret fut tout aussi utile que les décrets similaires du passé et du présent.

    Law n’eut pas d’autre choix que de jouer le dernier atout de sa carrière de banquier. Pour briser la traditionnelle thésaurisation française de l’or et de l’argent, Law interdit la possession de plus de 500 livres de métaux précieux par foyer, sous peine de confiscation et d’amende. Une récompense est promise aux dénonciateurs, et des perquisitions ont lieu, même chez les ecclésiastiques.

    Le 11 mars, pour décourager le public de la monnaie métallique, il suspend la valeur libératoire de l’or, à dater du 31 décembre. Alors que l’opinion publique gronde, il fait arrêter les « semeurs de faux bruits », qui sont déportés aux colonies, ce qui crée un scandale. Dès le 24 mars, la banqueroute est connue des initiés.

    Parallèlement, la propagande orchestrée par Law sur l’Eldorado de la Louisiane ne trouve plus preneur. Les grands, comme Louis Armand de Bourbon-Conti, prince de Conti, ou le duc de Bourbon, viennent en personne retirer de l’or au siège de la banque, rue Quincampoix, ce qui entraîne des émeutes. Le cours des actions chute, sans que Law parvienne à le contrôler.

    Le 17 juillet, 17 morts sont ramassés suite aux émeutes rue Quincampoix. Le 21 juillet, un arrêt institue une semi-banqueroute. Le Parlement, qui tente de résister, est exilé à Pontoise. Ceci précipite la chute du système, qui est supprimé par paliers en septembre et octobre. Le 10 octobre, on annonce la suspension des billets de banque à partir du 1er novembre.

    Le système de Law n’est plus. Law lui-même, qui a démissionné du contrôle général, s’enfuit de Paris le 14 décembre, avant de s’exiler à Venise. John Law devint l’homme le plus haï de France. Comme tous les joueurs de talent, il s’en était allé vers le jeu suivant grâce auquel il continua son existence pendant encore 9 ans. Beaucoup de l’argent qu’il gagna à cette époque provenait sans doute de ce qui lui avait échappé dans la fuite des capitaux qu’il avait rendue hors-la-loi.

    24HGold  http://fortune.fdesouche.com