COMMENTANT, dans notre n° du 15 mai 1975, l'Histoire de l'Emigration (1789-1814) que Ghislain de Diesbach venait de publier chez Grasset, notre grand ancien Robert Poulet (1893-1989) écrivait : « Ce qui s'est produit en 1789-1793, l'élimination d’abord spontanée, ensuite forcée, d'une classe, dégénérée par l'intérieur et par l' extérieur, mésalliances, incurie, abus de la spéculation intellectuelle, devrait être un grand exemple pour ceux de nos contemporains qui se préparent si étourdiment à former l'Emigration de demain. Je crains cependant que la leçon ne soit perdue, comme elle l'a toujours été pour les dirigeants des civilisations déclinantes, puisqu'on doit reconnaître qu'ils commettent toujours les mêmes erreurs. » Encore, à l'époque, nos pays ne connaissaient-ils pas le white flight qui, parti d'une Angleterre envahie par ses anciens sujets du Commonwealth, incite désormais tant d'Européens à déserter leur ville, voire leur pays natal pour aller chercher dans des lieux encore préservés un asile où l'avenir et même la vie de leurs proches seront mieux assurés.
C'est dire que la réédition, cette fois dans une collection de poche accessible à tous, de cette Histoire de l'Emigration* vient à son heure tant certaines leçons restent actuelles. Ghislain de Diesbach signale certes l'effet de mode et d' entraînement auquel cédèrent certains aristocrates (qui, un lustre plus tôt, avaient parfois été enragés de philosophie) mais, moins sévère que Robert Poulet, il démonte la politique de terreur qui fut systématiquement utilisée par les Grands Ancêtres pour inciter ou contraindre à la fuite tous les cadres comme on ne disait pas alors - qui, par leur autorité temporelle ou spirituelle, étaient susceptibles de s'opposer à l' avènement de l'homme et du peuple nouveaux issus des Lumières. Les religieux étant les premières cibles de cette « épuration idéologique» (mais aussi ethnique, la réaction étant assimilée à une race). « Ainsi désignés comme les ennemis naturels du genre humain, écrit ainsi notre éminent ami, les malheureux prêtres insermentés sont condamnés soit à émigrer, soit à mourir de faim dans un pays qui, suivant l'une de ses expressions favorites, "les vomit de son sein". Pendant la quinzaine de Pâques, les persécutions se multiplient à l'égard des ecclésiastique et des fidèles désireux de pratiquer librement le culte romain. Tout rassemblement est aussitôt travesti en complot et puni comme un crime de lèse-nation. Les Girondins vont accélérer le vote de mesures exceptionnelles de sûreté contre le clergé et soutiennent une motion demandant la déportation de tout prêtre dénoncé par vingt citoyens actifs ».
Le clergé et la haute noblesse ne sont pas les seule victimes de ces persécutions qui, à partir de 1789, jettent 300000 personnes sur les routes de l'exil. Objets de mille brimades, promis au « couteau républicain », des roturiers fidèles à la Couronne, ou simplement attachés à la tradition, décident aussi de s'expatrier, bien plus nombreux qu'on ne le croit, et certains feront d'ailleurs fortune en Angleterre, en Russie ou aux États-Unis.
Car ils ne sont pas toujours les bienvenus à Coblence, où chacun en rajoute sur ses quartiers de noblesse. Ghislain de Diesbach n'est pas tendre pour cette Cour où, malgré la menace pesant sur nous, subsistent clivages et dissensions.
Les nobles de haute lignée toisent les hobereaux, les conservateurs méprisent les "éclairés", les catholiques se méfient des protestants, tous antagonismes exacerbés par les ragots et les egos. À Coblence où « tout s'agite, se pavane et chante victoire avant même d'avoir engagé le combat, si grande est la certitude du succès », raconte Ghislain de Diesbach, « la mentalité est celle d'une coterie dont les membres, fort jaloux les uns des autres, ne s'entendent que pour restreindre le nombre des élus. Cet état d'esprit règne non seulement dans les salons mais aussi dans l'armée. Loin d'accueillir avec empressement les volontaires qui se présentent encore (... ), les différents corps de troupes font l'impossible pour les rebuter... Lorsque le comte de Montlosier, esprit brillant mais monarchien, vient offrir ses services comme simple soldat, le général de Malseigne le rabroue grossièrement », lui disant qu'il ferait « tout aussi bien de s'en aller ». À Coblence comme dans l'armée des Princes, et cela aura les pires conséquences dans la conduite des opérations militaires, « les sentiments royalistes, comme les quartiers de noblesse, ne se présument pas; ils doivent être prouvés. Rien ne sert d'avoir fait cent lieues ou même davantage, d'avoir couru mille dangers et risqué cent fois sa vie; si le moindre soupçon plane sur le postulant, celui-ci est immédiatement rejeté. On se montre aussi sévère, de ce côté du Rhin, qu'on l'est à Paris sur les preuves de civisme », déplore l'auteur qui pointe avec justesse « une espèce de jacobinisme à rebours ». Comme quoi on est forcément pollué, quoi qu'on en ait et quelle que soit l'époque, par le maudit « air du temps ».
Ce qui précède montre la pénétration de Ghislain de Diesbach dans son approche de l'Emigration - qui est aussi, et par la force des choses, un tableau « en creux » de la Révolution. Cette Histoire de l'Emigration ne vaut pas seulement par la prodigieuse érudition de l'auteur et son aisance à découvrir la pépite dans les innombrables Journaux et Mémoires laissés par les émigrés. Elle explique aussi avec une rare intelligence - et dans une langue parfaite dont l'ironie n'est jamais absente - comment, avec les meilleures intentions du monde, on peut mener une entreprise à l'échec, le couple royal et les Princes exilés n'étant d'ailleurs pas exempts de tout reproche. Pourtant ménager de ses éloges, Robert Poulet, qui félicitait Ghislain de Diesbach d'avoir « traité le sujet à fond, sans en négliger aucun aspect », estimait qu'il avait "admirablement" mené son récit. Il avait tout à fait raison.
CI.L RIVAROL
*Histoire de l'Emigration, 640 pages, 12 €. Ed. Tempus/Perrin.
culture et histoire - Page 1928
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L'Émigration, résultat d'une épuration idéologique
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Renouveau païen dans la pensée française, de Jacques Marlaud
Extrait - « La vision polythéiste du monde nous sera d’un grand secours pour sortir de la vision binaire, du véritable manichéisme états-unien et atlanto-européen qui oppose le Bien au Mal, l’Occident aux barbares, les démocraties au terrorisme… »
Entretien avec Jacques Marlaud, auteur du Renouveau païen dans la pensée française, préfacé par Jean Cau (éditions L’Æncre). Propos recueillis par Fabrice Dutilleul.Pourquoi aborder un sujet à la fois aussi vaste et aussi controversable ?Le paganisme comme objet d’étude historique, littéraire et esthétique est aujourd’hui moins controversable qu’il l’était autrefois, même si, comme le constatait déjà Jean Cau dans la préface qu’il m’a accordée, jamais les « valeurs » chrétiennes laïcisées ne se sont autant épanouies à travers la novlangue humaniste, les grand-messes de la « Démocratie » hypostasiée. «Rouges, noirs ou roses, mais tous se proclamant frères en Humanité, jamais les prêtres ne furent aussi nombreux. Christianisme pas mort, Humanité et Humanitarisme suivent. Chasse au Grand Pan toujours ouverte. Tirer à vue ! » Le phénomène de laïcisation est ancien et les « prêtres », les vecteurs de morale humanistoïde contre lesquels s’insurgent mes sujets d’étude (Montherlant, Louis Pauwels, Jean Cau et Pierre Gripari principalement) officiaient depuis longtemps dans les amphithéâtres d’université et dans les médias plutôt que dans les églises où, au contraire, se sont maintenus parfois certains rites pagano-chrétiens, par exemple à travers le culte des Saints, hérité de celui des dieux et des héros qui prévalait dans l’univers païen antique.Le paganisme que vous préconisez n’a pourtant rien à voir avec une quelconque pratique religieuse telle qu’on la trouve chez certains druides ou odinistes contemporains…D’abord, je ne préconise rien. Je recherche, comme un fil conducteur, un certain état d’esprit qui caractérise ce qu’on peut appeler la philosophie et la littérature « païennes » mais aussi la musique, la sculpture, la peinture et les beaux-arts en général, voire la politique ou « métapolitique ». Or, un survol « païen » de la littérature, comme celui qui compose la dernière partie de mon ouvrage montre que celle-ci, tout comme les autres domaines artistiques, est essentiellement païenne et seulement marginalement chrétienne. Ce constat peut d’ailleurs s’appliquer à bien des auteurs d’obédience chrétienne comme un Péguy, un Claudel ou un Bernanos qui, sous le vernis de leur croyance, révèlent d’authentiques instincts païens.Quant aux néo-païens, sans vouloir les mettre tous dans le même sac, je souscris à l’analyse d’Oswald Spengler qui voit en eux les pratiquants d’une religiosité seconde : ils se marginalisent eux-mêmes en prétendant revivre une religion morte dont nous connaissons très peu de choses et dont ils ne peuvent reprendre que les aspects superficiels, extérieurs. Rien à voir avec la recherche d’une philosophie païenne qui imprègne tout un pan de notre pensée européenne à condition d’oser ouvrir grands nos yeux et oreilles.Quel usage peut-on faire du paganisme aujourd’hui s’il ne peut, comme vous dites, être vécu religieusement ?Individuellement ou en petits cercles, la conception païenne de la vie peut nous donner une très grande force grâce à la poésie de la contemplation et de l’affirmation du monde au lieu de sa négation nihiliste actuelle (dont le misérable art contemporain est l’expression la plus visible). Mais au-delà de cette initiation salutaire, la vision polythéiste du monde nous sera d’un grand secours pour sortir de la vision binaire, du véritable manichéisme états-unien et atlanto-européen qui oppose le Bien au Mal, l’Occident aux barbares, les démocraties au terrorisme, etc. Dans un récent ouvrage qui porte ce titre, l’ancien ministre chrétien libanais Georges Corm se fait l’avocat d’une lecture profane des conflits qui cesserait de privilégier leur dimension religieuse ou ethnique pour prendre en compte « les facteurs démographiques, économiques, géographiques, sociaux, politiques, historiques, mais aussi l’ambition des dirigeants, les structures néo-impériales du monde et les volontés de reconnaissance de l’influence de puissances régionales » (cf. Le Monde Diplomatique, février 2013).Une telle approche multifactorielle et multipolaire du champ de forces internationales est éminemment politique, au sens de Carl Schmitt, et païenne en ce qu’elle donne toute sa place à la pluralité des valeurs, des peuples, des intérêts et des ambitions qui s’affrontent (au Mali, comme en Syrie, en Palestine ou en Asie centrale…). Le raccourci, de la littérature aux affaires internationales, peut paraître fulgurant, et pourtant, une bonne dose de païennie littéraire pourrait aider nos décideurs à cesser de voir le vaste monde à travers la lorgnette dé(sin)formante de l’Occident américanocentré.Le renouveau païen dans la pensée françaisede Jacques MarlaudPréface de Jean Cau283 pages, 27 eurosÉditions L’ÆncreCollection « Patrimoine des religions »dirigée par Philippe Randa -
La vieille droite est morte. Elle l’a bien mérité
Elle est morte d’avoir vécu de son héritage, de ses privilèges et de ses souvenirs. Elle est morte de n’avoir eu ni volonté ni projet. Il y a seulement quinze ou vingt ans, se dire « de droite » était une formule courante. Sans doute la droite était-elle divisée : elle l’a toujours été. Chaque clan se faisait d’elle une certaine idée, qui était aussi, souvent, une certaine idée de la France. Mais dans l’ensemble, l’étiquette ne faisait peur à personne. C’était la préhistoire. La droite, aujourd’hui, semble avoir disparu. Plus exactement, personne ne veut plus en entendre parler. C’est à se demander si elle a jamais existé. Tout se passe comme si le mot « droite » se connotait désormais de la charge affective réservée naguère au terme « extrême droite ». Dans ce domaine, le vocabulaire est d’ailleurs prodigieusement normalisé. La gauche est de gauche. L’extrême gauche est de gauche. Les giscardiens et les gaullistes jouent à savoir qui tournera l’autre par la gauche. Il n’empêche, a dit Giscard d’Estaing, que la France entend être gouvernée au centre. Mais au centre de quoi ? Par quel miracle politico-géométrique une gauche sans droite peut-elle encore sécréter un centre ?
Beaucoup d’auteurs se sont essayés à définir la droite. Ces définitions n’ont jamais fait l’unanimité — et ne pouvaient pas la faire. Jean-François Revel a défini comme doctrine de droite « celle qui fonde par principe et sans dissimulation l’autorité sur autre chose que la souveraineté inaliénable des citoyens » (Lettre ouverte à la droite, Albin Michel, 1968). Cette définition me semble un peu courte. Elle laisse entendre que dans les régimes de gauche, l’autorité dépend toujours du « peuple souverain ». Nous avons (et Jean-François Revel a certainement, lui aussi) de bonnes raisons d’en douter. Il faudrait admettre en effet que les doctrines de gauche deviennent de droite une fois qu’elles sont passées dans les faits — ce qui serait tout à fait abusif. Je ne définirai pas non plus la droite par le goût de l’ordre et de l’autorité. Toute société humaine reposant sur ces notions, tout pouvoir impliquant une minorité dirigeante et une majorité dirigée, ce goût me semble la chose du monde la mieux partagée. Enfin, je ne retiendrai pas la distinction faite par René Rémond (La Droite en France, Aubier-Montaigne, 1963) entre une droite traditionaliste et monarchiste, une droite libérale et « orléaniste », une droite plébiscitaire et « bonapartiste ». Encore qu’elle corresponde à une réalité certaine, cette distinction ne serait ici d’aucune utilité.
On peut, en revanche, tracer quelques lignes de démarcation.
Je m’en tiendrai, pour ma part, à une définition tant idéologique que psychologique. J’appelle ici de droite, par pure convention, l’attitude consistant à considérer la diversité du monde et, par suite, les inégalités relatives qui en sont nécessairement le produit, comme un bien, et l’homogénéisation progressive de monde, prônée et réalisée par le discours bimillénaire de l’idéologie égalitaire, comme un mal. J’appelle de droite les doctrines qui considèrent que les inégalités relatives de l’existence induisent des rapports de force dont le devenir historique est le produit — et qui estiment que l’histoire doit continuer — bref, que « la vie est la vie, c’est-à-dire un combat, pour une nation comme pour un homme » (Charles de Gaulle). C’est-à-dire qu’à mes yeux, l’ennemi n’est pas « la gauche » ou « le communisme », ou encore « la subversion », mais bel et bien cette idéologie égalitaire dont les formulations, religieuses ou laïques, métaphysiques ou prétendument « scientifiques », n’ont cessé de fleurir depuis deux mille ans, dont les « idées de 1789 » n’ont été qu’une étape, et dont la subversion actuelle et le communisme sont l’inévitable aboutissement. On peut, bien entendu, discuter sur le détail. Je pense néanmoins qu’il n’y a pas de critère plus fondamental. Soit l’on se situe dans une perspective antiégalitaire, qui implique de juger des hommes, non sur le simple fait de leur présence au monde (politique ontologique), mais sur leur valeur, appréciée en fonction des critères propres à leur activité personnelle et des caractères spécifiques des communautés dans lesquelles ils s’inscrivent. Soit l’on se situe dans une perspective égalitaire, qui voit dans toute inégalité une manière d’injustice, qui prétend que la morale est l’essence de la politique et qui implique le cosmopolitisme politique et l’universalisme philosophique.
Cela ne signifie pas, bien entendu, que toute inégalité soit à mes yeux nécessairement juste. Il y a, au contraire, de nombreuses inégalités parfaitement injustes ; ce sont souvent celles — généralement économiques — que notre société égalitaire laisse subsister. Je ne suis pas de ceux qui confortent le désordre établi. Je n’approuve aucun privilège de caste. Je fais de l’égalité des chances un réquisit de toute politique sociale. Aussi bien, professer une conception anti-égalitaire de la vie, ce n’est pas vouloir accentuer les inégalités souvent détestables que nous voyons s’instituer autour de nous. Mais c’est estimer que la diversité est le fait-du-monde par excellence ; que cette diversité induit inéluctablement des inégalités de fait relatives ; que la société doit prendre en compte ces inégalités et admettre que la valeur des personnes diffère selon les multiples critères auxquels nous nous référons dans la vie quotidienne. C’est estimer que dans les rapports sociaux, cette valeur est essentiellement mesurée par les responsabilités que chacun assume, rapportées à ses aptitudes concrètes ; que la liberté réside dans la possibilité effective d’exercer ces responsabilités ; qu’à ces responsabilités correspondent des droits proportionnés, et qu’il en résulte une hiérarchie, basée sur le principe unicuique suum.
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Dans un pays où chacun reconnaît qu’à de rares intermèdes près — Front populaire, expérience Mendès France, etc., la gauche n’a jamais occupé le pouvoir politique, rares sont donc les hommes qui se déclarent de droite. « Pourvue pendant plus d’un siècle de partis, de journaux considérables, de théoriciens éminents, observe Gilbert Comte, la droite n’offre plus d’elle-même aucune représentation officielle, franche et admise ». Il ajoute, non sans raison : « Les répugnances de la droite actuelle à porter ses propres couleurs ne trompent certainement personne. Par-delà l’opportunisme, la versatilité des individus, elle trahit la persistance d’un trouble profond, d’une espèce de fracture morale, à l’intérieur même de la France contemporaine » (Le Monde diplomatique, janvier 1977).
La réticence de la droite à se définir comme telle a diverses causes. La plus noble, serait-on tenté de dire, est un refus implicite d’apparaître comme le représentant d’une partie de la réalité des choses. La droite ressent la division de la communauté nationale en parties (et en partis) comme le début de ce qu’elle conteste — comme l’amorce de la guerre civile. Consciemment ou non, elle repousse la tendance à donner de la réalité une explication unique. Elle repousse tous les grands unilatéralismes réducteurs fondés sur l’économie, la sexualité, la race, la lutte des classes, etc. Elle n’aime pas qu’on mette le monde en équations. Elle ne croit pas à la cohérence d’une image du monde châtrée par rapport aux possibilités de perception que nous en avons — pas plus qu’elle ne croit qu’il y a un destin pour les nations divisées. Dans l’attribution des étiquettes, elle décèle une manœuvre obscurément castratrice. Un arrière-goût d’hémiplégie.
On a dit que les mots clés du vocabulaire droitier avaient été discrédités par les fascismes. Disons plutôt que ce discrédit a été savamment créé et entretenu par des factions expertes dans la diffusion de mythes incapacitants et culpabilisants. Il faut être net à ce propos. Nous ne sommes pas ici en présence d’une analyse, mais d’une propagande. Cette propagande consiste à assimiler au « fascisme » toute doctrine de droite s’affirmant avec quelque vigueur, et, corollairement, à définir comme seuls « démocratiques » les régimes qui conçoivent la liberté sous la forme d’un laisser-passer en quelque sorte statutaire aux entreprises révolutionnaires de l’ultra-gauche. Par extension, cette assimilation s’exerce rétrospectivement. On voit ainsi Ernest Kahane, de l’Union rationaliste, affirmer que l’œuvre de Gobineau est « du côté du crime » — ce qui est à peu près aussi intelligent que d’accuser Jean-Jacques Rousseau de porter la responsabilité du Goulag. Notre société offre alors le spectacle étonnant d’une droite qui ne peut s’affirmer telle sans se voir taxer de « fascisme », et d’une gauche et d’une extrême gauche qui peuvent à tout moment se dire socialistes, communistes ou marxistes, tout en affirmant, bien sûr, que leurs doctrines n’ont rien à voir avec le stalinisme ni, d’ailleurs, avec aucune forme de socialisme historiquement réalisé. Or, si les tenants des diverses variétés de socialisme ne se sentent engagés par aucune des expériences concrètes qui les ont précédés — et notamment par les plus criminelles d’entre elles —, je ne vois pas pourquoi la droite moderne, qui repousse formellement toute tentation totalitaire, aurait à battre sa coulpe ou à se justifier. Devant le prodigieux culot de partisans d’une doctrine au nom de laquelle on a déjà massacré cent cinquante millions d’hommes, et qui ne s’en présentent pas moins, la main sur le cœur et la rose au poing, comme les défenseurs de la liberté, qu’elle réponde par un rire libérateur — et qu’elle poursuive son chemin.
Tout se passe en vérité comme si la droite avait perdu jusqu’au goût de se défendre. Critiquée, harcelée, houspillée de toutes les façons, elle reste purement passive — et pratiquement indifférente. Mise en accusation, elle se replie sur elle-même. Non seulement elle ne répond plus à l’adversaire, non seulement elle ne cherche plus à se définir, mais elle ne prête presque aucune attention au mouvement des idées, aux polémiques en cours, aux disciplines nouvelles. Mieux, elle se désintéresse, dans ce mouvement des idées, de ce qui pourrait la conforter dans ce qu’elle est. Elle ignore les résultats de l’éthologie, de la génétique, de l’historiographie, de la sociologie, de la microphysique. En Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne, plus de soixante livres ont paru récemment sur les implications politiques et sociales des nouvelles sciences de la vie. En France, rien — ou quasiment rien. Le livre de A.S. Neil, Libres enfants de Summerhill (Maspéro, 1970), sur l’éducation « anti-autoritaire », s’est vendu à plus de 260 000 exemplaires. Il y en a eu à l’étranger de nombreuses réfutations. Mais ici, c’est le silence. Sur Konrad Lorenz, sur Dumézil, sur Althusser, sur Lévi- Strauss, sur Gramsci, la droite semble n’avoir rien à dire. La droite pourrait tirer argument de ce qu’écrivent Jules Monnerot, Raymond Aron, Debray-Ritzen, Louis Rougier, etc., mais, curieusement, on a le sentiment que c’est surtout à gauche qu’ils sont lus, par des adversaires plus attentifs que ne le sont leurs présumés partisans. Parallèlement, la gauche, opérant en son propre sein une perpétuelle remise en cause, arrive elle-même aux résultats sur lesquels une réflexion droitière aurait dû déboucher. C’est désormais la gauche, non la droite, qui critique le mythe d’un « progrès » absolu, lié à l’idée absurde d’un sens de l’histoire. C’est la gauche qui, après avoir soutenu que la fête est essentiellement révolutionnaire (thèse de Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, Weber, 1973), s’aperçoit aujourd’hui qu’elle est avant tout conservatrice (travaux de Mona Ozouf). C’est la gauche qui, après avoir porté aux nues l’espoir d’une égalité des chances réalisée par l’école, y voit maintenant une « mystification » (Christopher Jencks, Inequality. A Reassessment of the Effect of Family and Schooling, Basic Books, New York, 1972). C’est elle qui souligne les limites d’un rationalisme réducteur et pseudo-humaniste, constate que l’esprit des masses est plus transitoire que révolutionnaire, etc. La droite se fait ainsi peu à peu déposséder de ses thèmes et de ses attitudes mentales. Et même, il arrive qu’elle les critique — sans exploiter la contradiction dont ils sont le lieu — lorsqu’elle les retrouve chez l’adversaire, sans comprendre que c’est en son propre sein qu’ils ont été puisés. Du même coup, la droite ouvre le champ à toutes les récupérations. Devenue morte ou figée, sa pensée est retapée, remise en forme et finalement annexée par une gauche, qui devient dès lors d’autant plus crédible qu’à son héritage traditionnel, elle s’affaire, non sans succès, à annexer des thèmes droitiers — thèmes « neutralisés » et sur lesquels elle opère une inversion de sens.
Dans un article fort intéressant sur « la droite livrée au pillage » (Le Monde diplomatique, janvier 1977), Paul Thibaud, directeur de la revue Esprit, remarque : « Certains thèmes classiquement de droite reparaissent avec intensité dans la pensée contemporaine. La haine de l’abstraction faussement universaliste qui inspirait Burke surgit de tous côtés ; le sentiment réaliste des limites, et d’abord de la mort, est une obsession collective qu’impose la menace écologique ; la valeur de l’enracinement dans un particularisme culturel ou géographique est devenue un lieu commun. Mais ce renversement de tendances parait s’être opéré sans que la droite intellectuelle y gagne rien. C’est à l’intérieur de la gauche que tout cela s’est passé. La gauche joue tous les rôles, elle énonce les thèses et leur fait des objections, lance les modes et les combat. Les contenus intellectuels ne peuvent se faire admettre qu’en se rattachant à la gauche. Tout nationalisme se doit d’être révolutionnaire, tout régionalisme ne peut que se vouloir socialiste (…) Rien n’est plus caractéristique que le changement de statut de certains auteurs aujourd’hui soumis à relecture. En affrontant ses critiques les plus virulentes, ou des pensées marginales, la gauche se refait elle-même. On voit désormais des lectures de gauche, ou gauchistes, de Chateaubriand, de Balzac, de Péguy… Sorel revient à gauche dans les bagages de Gramsci. Tocqueville devient une référence pour les autogestionnaires. Les échecs de la gauche semblent être à l’origine d’une vitalité intellectuelle nouvelle, d’un antidogmatisme qui lui ouvre des champs jusqu’alors frappés d’interdit ».
La droite sociologique a toujours manifesté une certaine réticence devant les doctrines. Dans le meilleur des cas, on a pu voir dans cette attitude une réaction assez saine contre une forme d’intellectualisme consistant à n’envisager la vie que sous l’angle d’une problématique — What’s your problem ? comme disent si bien (si mal) les social workers américains. Mais aujourd’hui, la lutte est inégale. Face à un adversaire qui s’avance à la bataille armé d’un corpus idéologique en pleine efflorescence, l’homme de droite est proprement désarmé. Des théories, Goethe disait qu’elles sont toujours grises et les opposait à l’arbre toujours vert de la vie. Je ne vois malheureusement pas d’autre issue, pour l’heure présente, que d’entrer dans la carapace des théories.
Sans théorie précise, pas d’action efficace. On ne peut pas faire l’économie d’une idée. Et surtout, on ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs. Toutes les grandes révolutions de l’histoire n’ont fait que transposer dans les faits une évolution déjà réalisée, de façon sous-jacente, dans les esprits. On ne peut pas avoir un Lénine avant d’avoir eu un Marx. C’est la revanche des théoriciens — qui ne sont qu’en apparence les grands perdants de l’histoire. L’un des drames de la droite — de la droite « putschiste » à la droite modérée —, c’est son inaptitude à comprendre la nécessité du long terme. La droite française est « léniniste » — sans avoir lu Lénine. Elle n’a pas saisi l’importance de Gramsci. Elle n’a pas vu en quoi le pouvoir culturel menace l’appareil de l’État. Comment ce « pouvoir culturel » agit sur les valeurs implicites autour desquelles se cristallise le consensus indispensable à la durée du pouvoir politique. Elle n’a pas réalisé comment l’attaque politique frontale recueille les fruits de la guerre idéologique de position. Une certaine droite s’épuise en groupuscules. Une autre, parlementairement forte, va toujours au plus pressé — c’est-à-dire aux prochaines élections. Mais à chaque fois, elle perd un peu plus de terrain. À force de jouer le court terme, la droite finit par perdre le long terme. La gauche, quant à elle, progresse. Elle doit ce progrès à l’activité de ses partis et de ses mouvements. Mais elle le doit surtout au climat général qu’elle est parvenue à créer métapolitiquement, et par rapport auquel son discours politique sonne de plus en plus vrai. Or, un tel travail n’est possible que lorsque une théorie a été produite, lorsqu’une ligne juste et des références précises ont été dégagées. C’est en cela qu’il y a une « pratique théorique », pour parler comme Louis Althusser. Un pas en avant dans la théorie = deux pas en avant dans la pratique pure. Ce serait une grave erreur d’imaginer qu’une droite qui n’ose pas dire son nom peut se maintenir longtemps au pouvoir quand son mutisme a fait disparaître l’humus psychologique dans lequel elle plonge ses racines.
Laissée à elle-même, la vieille droite raisonne de façon purement manichéenne. Pour elle, il y a les « bons » et les « méchants », comme dans Jérémie ou Les Lamentations. Elle se préoccupe peu de ce que valent effectivement les hommes. Il lui suffit de savoir s’ils sont du « bon » ou du « mauvais » côté. C’est ainsi qu’elle s’est accrochée successivement aux généraux (et aux maréchaux) étoilés, aux braves militaires de l’Algérie française, au vaillant petit régime bien corrompu de Saigon, à son allié américain, etc. Il arrive même qu’elle s’étonne, après cela, de ses échecs répétés. Cela donne prétexte à des langueurs calculées, dans les dîners en ville, ou à des exaltations mystiques, chez les Billy Graham du traditionalisme. Il serait temps, à mon sens, que la droite résolve son complexe du père. Qu’elle cesse de s’en remettre au roi, au président, au général et au petit Jésus, et qu’elle apprenne à juger des hommes et des situations par elle-même, au moyen d’une praxis rigoureuse.
N’ayant pas de stratégie, la vieille droite ne tire jamais les leçons de ses revers — et les dieux savent pourtant qu’ils sont nombreux ! Au contraire, elle cherche toujours à se justifier et réserve ses critiques à ceux qui tentent de déterminer le véritable enchaînement des causes et des effets. L’idée même d’autocritique positive lui est insupportable. Prenons l’exemple de l’Algérie française. On peut en penser ce que l’on veut. Je suis moi-même plus que partagé. Mais là n’est pas la question. D’un point de vue froid, deux constatations s’imposent :
1 - Comparée aux révoltes analogues qui se sont déroulées depuis le début du siècle, la révolte des partisans de l’Algérie française a bénéficié de moyens absolument prodigieux, tant en hommes qu’en matériel, en argent, en armes, en capital de sympathies, etc. (ce qui ne l’a pas empêchée d’aboutir à un échec, mais cela est une autre histoire) ;
2 - Toujours par comparaison, cette révolte s’est révélée d’une stérilité politique non moins prodigieuse. Bien d’autres aventures de ce genre ont échoué dans leurs objectifs immédiats. On n’en connaît aucune qui, par contrecoup, ait eu si peu de répercussions. Les rapatriés d’Algérie demandent des indemnités. Les anciens chefs de l’OAS écrivent leurs mémoires. Et c’est tout. Le reste de l’épopée s’est perdu dans les brumes de l’activisme méditerranéen et du racisme anti-arabe (politiquement, le plus stupide de tous). Je ne pense pas qu’il devait nécessairement en être ainsi.
Autre exemple : le Portugal. Pendant trente ans, la vieille droite a communié dans l’admiration émue du « vaillant petit Portugal », qui, sous la houlette du bon Salazar, résistait contre vents et marées aux tendances négatives à la mode. Là-dessus, en avril 1974, le Portugal se réveille socialiste et communiste. Et c’est l’armée, ô désespoir, qui mène le bal. Qui donc, à droite, a alors cherché à faire une critique positive de l’événement ? Personne. Personne n’a cherché à savoir comment on avait pu en arriver là. Ni ne s’est demandé si, par hasard, un peuple n’attendait pas de son gouvernement autre chose que des matches de football et des miracles à Fatima. Personne, enfin, n’a ouvert un débat pour savoir quelle stratégie il convenait d’adopter en vue d’une riposte.
Par rapport à ce qu’ils étaient il y a trente ans, les centres de décision ne sont évidemment plus les mêmes. Mais la vieille droite, ne voit pas que les lieux et les formes du pouvoir ont changé. Elle pense que, comme du temps de La Rocque et de Boulanger, les partis restent la meilleure ou la principale voie d’accès au pouvoir. Certes, les partis continuent à jouer un rôle important. Mais ils ne sont plus les seuls. Et d’autre part, des mécanismes de blocage sont désormais en place pour que certains courants de pensée ne puissent plus toucher, par ce moyen, autre chose qu’une frange d’opinion relativement minime. Les media, les groupes de pression ont pris le relais des forces politiques classiques. Les volumes sociologiques s’articulent différemment.
L’information ne circule plus de la même manière dans les structures sociales — du moins en dehors des périodes de crise aiguë, qui sont pour la plupart imprévisibles. Cela n’empêche pas les hommes de droite de s’affairer dans des partis, de créer des mouvements, de faire et de défaire d’éphémères rassemblements. Jusqu’à ce que les hommes craquent ou que les mouvements disparaissent. Je ne pense pas que ce soit là un bon emploi des énergies. Mais je ne nie pas qu’il faille parfois en passer par là. D’ailleurs, pour certains, c’est une question de physiologie. Beaucoup plus de gens qu’on ne croit ne peuvent pas vivre sans distribuer des tracts ou faire tourner une ronéo.
À force de jouer le court terme, la bourgeoisie finit toujours par perdre le long terme. Elle gagne dans un premier temps, et puis sa marge de succès se rétrécit. On en arrive ainsi à des majorités de 51 % : avant-goût de la basculade. La droite, elle aussi, croit qu’il existe des raccourcis dans l’histoire. L’idée d’œuvrer pour quelque chose dont elle ne verra pas l’aboutissement lui est difficilement supportable. Réflexe humain, trop humain. Malheureusement, l’histoire n’est pas seulement une affaire de volonté. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de révolution possible, pas de changement possible dans l’ordre du pouvoir, si les transformations que l’on cherche à opérer dans le domaine politique n’ont pas déjà été réalisées dans les esprits. Toutes les grandes révolutions de l’histoire ont concrétisé sur le plan politique une évolution qui s’était déjà faite dans les esprits — à commencer, bien sûr, par celle de 1789. C’est ce qu’avait bien compris l’Italien Antonio Gramsci, dont les néo-marxistes contemporains appliquent si amplement les leçons.
Il va sans dire que la vieille droite qui, dans son ensemble, n’a lu ni Marx ni Lénine, n’est pas près de lire Gramsci. On se demande d’ailleurs ce qu’elle peut lire, en dehors des journaux satiriques et des magazines littéraires, quand on s’aperçoit qu’au cours de ces dernières années, aucun des ouvrages fondamentaux dont elle aurait pu tirer argument, dans un sens ou dans l’autre, ne semble avoir retenu son attention. La paresse intellectuelle de la vieille droite ne s’explique pas seulement par sa méfiance instinctive vis-à-vis des idées pures. Pendant longtemps, les saintes Écritures lui ont servi de doctrine. Tout étant censé avoir été dit, il apparaissait comme inutile de constituer une autre Summa que celle de Thomas d’Aquin. Cette conviction prévaut encore aujourd’hui dans un certain nombre de cénacles. Mais pour combien de temps ? Après avoir été, nolens volens, la religion de l’Occident, après avoir été porté par un esprit, une culture, un dynamisme européens, qui l’avaient précédé de quelques millénaires, le christianisme, opérant un retour aux sources, redécouvre aujourd’hui ses origines. Pour assumer sa vocation universaliste et devenir la religion du monde entier, il entend se « désoccidentaliser ». Dans l’immédiat, il développe une stratégie, dont on peut se demander si elle ne revient pas à lâcher la proie pour l’ombre. Le christianisme sociologique est en train de disparaître, laissant la place au militantisme évangélico-politique. L’impulsion vient de la tête. La hiérarchie accélère le mouvement. Les traditionalistes, attachés dans leur Église à tout ce dont celle-ci ne veut plus entendre parler, auront du mal à faire croire que le meilleur moyen d’endiguer la « subversion » est de batailler dans une croyance qui les a déjà abandonnés pour passer à l’ennemi.
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Dans Le Complexe de droite et Le Complexe de gauche (Flammarion, 1967 et 1969), Jean Plumyène et Raymond Lasierra allaient plus loin que la boutade en affirmant que l’homme de droite a une tout autre gastronomie que l’homme de gauche. C’est qu’effectivement aucun domaine n’échappe à l’idéologie, ou, plutôt, à la vue-du-monde dont on a hérité ou que l’on a choisie. Tout est neutre en dehors de l’homme. Mais dans les sociétés humaines, rien n’est neutre. L’homme est l’animal qui donne du sens aux choses qui l’entourent. Il y a différentes façons de voir le monde et d’être-au-monde (des façons « de droite » et « de gauche », si l’on y tient), et celles-ci englobent aussi bien les connaissances pures que les croyances intuitives, les émotions, les valeurs implicites, les choix quotidiens, les sentiments artistiques, etc. Entendons-nous. Je ne crois pas qu’il y ait véritablement des idées de droite et de gauche. Je pense qu’il y a une façon de droite et de gauche de soutenir ces idées. (La défense de la « nature » n’est pas plus de droite que de gauche, mais il y a une façon de droite et de gauche d’appréhender le concept de nature.) Les arts, les lettres, la mode, les symboles et les signes, rien n’échappe à l’interprétation qu’une vue-du-monde spécifique est susceptible de donner. En général, l’homme de gauche l’a compris, et c’est ce qui a longtemps fait sa supériorité méthodologique. Il sait ce qu’il faut penser, de son point de vue, des rapports de production à l’époque féodale, de la peinture abstraite, du cinéma-vérité, de la théorie des quanta ou de la forme des HLM. Ou du moins, il sait que sur cela comme sur tout, la théorie dont il se réclame à quelque chose à dire. L’homme de droite, pour sa part, se contente trop souvent de hausser les épaules. Il ne veut pas voir pour n’avoir pas à faire. Je pense que la droite aura grandement progressé lorsqu’elle aura : 1 - compris la nécessité de se déclarer pour ce qu’elle est ; 2 - identifié son « ennemi principal », c’est-à-dire l’égalitarisme, négateur et réducteur de la diversité du monde ; 3 - admis que rien n’est « neutre » dans l’existence, et que sur tout sujet elle se doit de produire un discours.
Devant ses échecs répétés, une certaine droite s’est recroquevillée dans un simple refus. Cela n’était pas dans sa nature. La vocation naturelle de la droite tient dans une approbation — l’approbation tragique de ce monde et de ce qui y advient. L’homme de droite, contraint au refus, est généralement devenu un naïf, qui ne décèle plus la manœuvre adverse, ou un aigri saisi par la plaie de l’hypercriticisme. Disons-le tout net : la droite française a bien souvent hypertrophié, non les meilleurs aspects du caractère national — l’exaltation d’un certain style —, mais les plus contestables : l’individualisme, le comportement « verbomoteur », la xénophobie. La droite n’a su ni prévoir ni analyser des faits aussi fondamentaux que l’accession du Tiers-Monde à la décision politique, le conflit sino-soviétique, la situation géopolitique créée par le nouveau partage des forces, la débâcle des doctrines constituées, les transformations de structure des sociétés occidentales, l’évolution des États-Unis, la formation de l’eurocommunisme, etc. À ces données nouvelles, elle a trop souvent répondu par des slogans et des bons mots. Il y a une droite guettée par Méphisto. Par le ricanement hypercritique. La droite de l’aigreur, de la rancœur et de la mauvaise humeur. Elle a cru avoir remporté une victoire au soir de la mort du général de Gaulle. Ses sentiments me sont étrangers.
La droite est devenue « massiste ». Elle se rassure par l’idée d’une « majorité silencieuse » — nouvel avatar du « pays réel » maurrassien. Elle ne voit pas que cette masse est silencieuse avant d’être majorité — ou plutôt qu’elle n’est majorité que comme silence. Elle en profite pour ne pas se poser le problème de la nature des centres de décision, et de la façon d’y accéder. Elle croit que nous sommes devenus faibles parce que nous avons été « subvertis ». Alors que c’est le contraire qui s’est produit : nous avons été « subvertis » parce que nous sommes devenus faibles. La gauche n’est forte que des faiblesses de la droite, de ses doutes, de ses hésitations. Certes, dans le monde actuel, les sujets de mécontentement ne manquent pas. Ce n’est pas une raison pour se borner à déplorer. La droite, avec son lamento, verse dans une erreur de la gauche : celle qui consiste à attribuer aux autres la responsabilité de son propre sort. Un regard plaintif n’est pas une analyse. Il n’atteste qu’une incompréhension. Porter un diagnostic, c’est d’abord identifier les causes. Mais la droite n’identifie pas les causes. Il semble parfois qu’elle y renâcle. Ou bien elle s’en remet aux causes immédiates, qui sont, elles aussi, des effets. La droite parle de « subversion ». C’est vrai qu’une subversion est à l’œuvre. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Dire la subversion, ce n’est pas seulement énumérer des symptômes. La droite a abandonné son rôle explicatif ; elle a laissé cela aux pédagogues, dont c’est le métier. Seulement, les pédagogues sont passés à la subversion.
Et pourtant, l’idéologie de droite existe. À l’intérieur. La droite ignore souvent ce qu’elle porte en elle. Elle n’a jamais complètement pris conscience, sur le plan formel, de tout ce que ses aspirations impliquent. Son message est implicite. Tout le travail est de l’amener en surface. On demande un docteur Freud.
Cela dit, la question de savoir, personnellement, si je suis ou non de droite m’est complètement indifférente. Pour l’heure, mes idées sont à droite ; elles ne sont pas pour autant nécessairement de droite. Je peux même très bien imaginer des situations où elles pourraient être à gauche. Plus exactement, je discerne à droite comme à gauche des idées qui correspondent à ce que je pense. La seule différence, aujourd’hui, c’est qu’à droite on me reconnaît ces affinités, et qu’à gauche on me les dénie. On verra ce qu’il en adviendra avec le temps. D’un autre côté, on ne peut pas perpétuellement siéger au plafond. Acceptons donc ce terme de droite : les mots, après tout, ne sont pas les choses. Et disons qu’en France aujourd’hui, à une époque où tort le monde se dit de gauche, ou peu s’en faut, être « de droite » est encore le meilleur moyen d’être ailleurs.
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Parmi les causes de ce qu’on appelle habituellement le « malaise » des esprits, l’une des plus caractéristiques me semble être l’évacuation progressive de la substance de l’État. L’État se dépolitise. Non au sens de la « politique politicienne », plus présente que jamais. Mais au sens du politique. De l’essence du politique. L’État devient purement gestionnaire. Par là même, il se met en position d’être renversé par les pouvoirs qui se constituent en dehors de lui — et contre lui. L’État nie son propre principe, qui est un principe d’autorité et de souveraineté, pour ne s’occuper essentiellement que de problèmes économiques et sociaux. Mais les hommes ne vivent pas seulement pour leur pouvoir d’achat. Ils vivent pour tout autre chose. Jamais nous n’avons vécu dans une société aussi riche. Jamais le niveau de vie du plus grand nombre n’a été aussi élevé. Jamais l’éducation n’a été aussi massive. En même temps, pourtant, jamais le malaise n’a été si grand, jamais la contestation n’a été si forte, jamais l’inquiétude n’a autant régné. L’État est devenu prisonnier du « principe du plaisir » : au lieu d’apaiser la revendication, toute satisfaction donnée à ceux qui réclament la rend encore plus aiguë. C’est que l’État a lui-même enfermé cette revendication dans l’enclos économique et social. Dans le domaine spirituel, l’État ne dit plus rien, ne propose plus rien, ne sécrète plus rien. Il ne trace l’ébauche d’aucun destin. Je dis que les hommes, une fois leurs besoins élémentaires satisfaits, aspirent à un destin, aspirent à l’autorité que justifie un projet. Car seul un projet peut donner du sens à leurs vies. Or, l’État ne donne pas de sens. Il ne fournit pas des raisons de vivre — mais des moyens d’exister. (Rien n’a plus de valeur, mais chaque chose a un prix). Et dès lors que ce rôle n’est plus rempli par l’État, les sectes, les partis, les groupes de pression, les sociétés de pensée tendent à le remplir, dans le désordre et la confusion. Évacué de sa sphère naturelle, le politique resurgit partout.
La gauche, de son côté, au-delà du foisonnement des théories, me semble dominée par l’influence — avouée ou non — du « gramscisme » (au plan de la méthode) et de l’école de Francfort. Jamais la critique négative, prêchée par Horkheimer et Adorno, ne s’est exercée avec autant de virulence. L’ultra-gauche a compris qu’au sein d’une structure sociale où tout se tient (où l’arrangement de la société est le reflet d’une structure mentale), il n’y a pas de réforme possible : il n’y a qu’une révolution — qui soit la contestation de tout. L’écologisme, le néo-marxisme, le néo-féminisme, le freudo-christianisme sont dans leur logique intérieure quand ils exigent l’abolition de toute l’histoire dont notre culture a été le vecteur ; quand ils dénoncent les institutions (toute institution) comme « aliénantes », le pouvoir (tout pouvoir) comme « répressif », quand ils travaillent à la disparition de l’État, à la remise en cause de la technologie, à la réhabilitation de la folie, etc. C’est, progressivement, la réalisation du célèbre programme de Pierre Dac : « Pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour ».
L’ultra-gauche danse sur les ruines d’un pouvoir qui se nie. Elle en pourchasse partout les traces et les vestiges. Elle en cerne les « ruses » dans l’inconscient du concept. Jacques Attali (Bruits, Seuil, 1977) prétend libérer la musique de la « norme » — la libérer, la malheureuse, de l’aliénation de la gamme et du contrepoint. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Roland Barthes a déclaré : « La langue n’est ni réactionnaire ni progressiste, elle est tout simplement fasciste ». Il entend par là que la langue oblige à dire, qu’elle contraint tout locuteur à mouler sa pensée dans la forme d’un langage donné. Ainsi, le spécifiquement humain — la pensée conceptuelle et le langage syntaxique — serait « fasciste ». Toute société, en tant qu’elle met en forme un corps social, est « fasciste ». L’État est « fasciste ». La famille est « fasciste ». L’histoire est « fasciste ». La forme est « fasciste ». Alors, il ne reste qu’une étape à franchir pour l’avouer : le phénomène humain est « fasciste », puisque toujours et partout, il met du sens, de la forme, de l’ordre, et qu’il s’efforce de les faire durer. Mais en même temps, la « théorie critique » n’aboutit qu’à une perpétuelle frustration. Si tout langage est « fasciste », que faire sinon se taire ? Si tout pouvoir est « fasciste », que faire sinon renoncer à l’action? Et si la « fête » elle-même se cristallise en Éternel Retour, que deviennent les retrouvailles de l’être avec son propre ? Il reste alors le refus absolu. Les communautés « horizontales », la musique « planante », l’art informel, la drogue, la rupture avec le monde, l’accession — par tous les moyens — à l’univers des essences fraternelles, de l’ « amour » universel et des abstractions métaphysiques. En attendant, comme les structuralistes nous l’annoncent, que l’homme disparaisse. Voilà où en est l’ultra-gauche « avancée ».
Un autre trait caractéristique du monde actuel est probablement l’éclatement des systèmes constitués. Les écoles de pensée rigides ne tiennent plus. L’Église fait son aggiornamento. L’URSS a eu son XXème Congrès. La psychanalyse éclate en mille sectes. On « relit » Marx à la lumière de Freud, et Freud à la lumière de Marx. On cherche à ressusciter le christianisme médiéval — ou celui des catacombes. Dans une sorte de fièvre, chacun cherche à rénover ce qui fut déjà. À l’autre bout de l’horizon politique, dans le monde des réalités, c’est un pragmatisme prudent qui domine. Les gouvernements des pays occidentaux évitent de plus en plus de se référer à un système donné. Les hommes d’État « pilotent à vue » ou tentent de se mettre d’accord à court terme par de fréquentes rencontres au sommet Les spéculations sur le système monétaire, sur l’économie mondiale, sur la dissuasion nucléaire, deviennent des calculs hyper-abstraits que personne ne sait plus manier réellement. La crise latente des structures politiques, économiques et sociales, se double d’un ébranlement profond de toutes les certitudes acquises. Le doute, alimenté par des remises en cause de plus en plus systématiques, ronge les croyances les plus élémentaires. L’accord ne se fait plus sur rien.
Cette confusion m’apparaît comme un fait acquis. Il ne sert à rien de le déplorer. Mais on peut se préoccuper de ce qui vient. Dans cette inadéquation de plus en plus évidente des formules et des idéologies toutes faites, il y a un sentiment qui se fait jour. L’aspiration à une synthèse. Nombreux sont ceux qui ressentent la nécessité d’aller au-delà des lignes de partage actuelles. La façon dont, depuis quelques années, certains thèmes passent de la droite à la gauche (ou de la gauche à la droite) est l’un des signes d’une telle aspiration. Mais c’est là, précisément, que les choses achoppent. Il ne faut pas se le dissimuler : ce dont la fin de ce siècle a besoin, c’est d’une synthèse des aspirations positives qui, jusqu’à présent, se sont présentées d’une façon éparse. Cette synthèse équivaut à un dépassement du stade actuel de la condition humaine. Je crois à la possibilité d’une telle synthèse. Mais je ne suis pas sûr que nous aurons assez d’audace pour la mettre en oeuvre. Je crains que l’idéologie égalitaire nous empêche de la réaliser.
Nous savons aujourd’hui plus de choses que l’homme, avant nous, n’en a jamais su. Mais il semble que nous en comprenions de moins en moins. L’une des grandes erreurs de ce temps — elle est à la base de la conception égalitaire de l’enseignement — est de croire qu’en accumulant les connaissances, on sait automatiquement comment s’en servir. C’est l’inverse qui est vrai. Sans un fil d’Ariane de la pensée, sans une vue-du-monde clairement formée, l’accumulation des connaissances est inhibitrice et paralysante. À force de savoir le pour et le contre de toutes choses, sans avoir le moyen de discriminer et de trancher, on ne fait plus rien. Je connais des hommes qui sont si savants qu’ils ne peuvent plus rien écrire : dès qu’ils tracent une phrase sur le papier, ils perçoivent immédiatement tant d’arguments contraires qu’ils ont renoncé à dire quoi que ce soit. Globalement parlant, je crois que notre société est dans ce cas. Il me semble qu’autrefois, on avait des certitudes à proportion qu’on avait des doutes. Aujourd’hui, on a surtout des doutes. Et surtout, on a peur de se tromper. Alors, on ne juge plus et l’on dit que « tout le monde a raison ». C’est là également qu’intervient l’égalitarisme : si tous les hommes se valent, toutes les opinions se valent aussi. Je considère que ce doute est mortel — et surtout qu’il correspond à une idée fausse de la « vérité ». En matière de devenir historique, il n’y a pas de vérité métaphysiquement établie. Ce qui est vrai, c’est ce qui se met en position d’exister et de durer. Ce qui mériterait d’être, sera. Ce qui méritait d’être, est déjà. Si fausses dans l’abstrait que puissent être les idéologies les plus néfastes, elles deviennent « vraies » dans la mesure où elles constituent la réalité quotidienne qui nous environne et par rapport à laquelle nous nous définissons. Le marxisme peut être la « vérité » de demain. Mais c’est une « vérité » que l’on est en droit de refuser pour lui en opposer une plus forte. Ce qui nous parait avoir été hier la vérité, n’était qu’un refus du doute — parfois même, une ignorance du doute. Là où il y avait une volonté, il y avait un chemin. On ne se demandait pas si ce chemin était conforme à une vérité abstraite. On créait le chemin, et le reste s’ensuivait. Les « connaissances » n’avaient pas grand-chose à voir avec cette création. C’est que le savoir n’est pas univoque, alors que l’énergie créatrice l’est obligatoirement. Nos contemporains se comportent comme s’il existait en dehors d’eux-mêmes une vérité absolue à laquelle il leur faudrait se conformer au plus près. C’est du moins l’impression que l’on retire de leur terreur à découvrir que « tout est convention ». L’ultra-gauche hypercritique proclame que rien, ni les mots, ni les signes, ni la science, etc., que rien n’est innocent. La belle évidence ! Non, rien n’est innocent. Et pourquoi les choses devraient- elles l’être ? Dès que l’homme est là, il met du sens ici. À lui seul, le regard qu’il pose sur le monde lui donne du sens. Et ce sens varie selon ce regard. Et ce sens ne vient que de lui. Et ce sens ne dure que par lui. Non, les choses ne sont pas « innocentes ». Heureusement.
Je ne crois ms à l’objectivité, mais je crois à la nécessité de tendre à l’objectivité. Je ne crois pas à la vérité pure — à cette terrible vérité au nom de laquelle on a tenté de transformer le monde par le génocide, le racisme de classes ou l’Inquisition. Je crois, comme Malraux, qu’en matière de destin historique, le monde réel n’existe que comme encadrement d’images et accroche-mythes. Je crois que l’objet en soi est inaccessible à l’entendement comme à la perception, mais qu’il suffit à l’un et à l’autre qu’ils puissent se construire comme les données d’un sujet. Je crois surtout que c’est parce que la vérité pure est indécidable qu’il faut, plus que jamais, construire « héroïquement ». Sauf à voir la pensée régresser vers l’indéterminé où, comme dit Hegel, « toutes les vaches sont grises ».
La formule « si Dieu n’existe pas (ou plus), tout est permis » n’est qu’une expression littéraire : personne ne se comporte comme si tout était permis. (Re)mettre un ordre en place, (re)créer des normes sociales, revient donc à se demander ce que l’on va (ré)instituer comme instance dernière ou comme tiers suprême. Ce défi est au cœur de la crise du monde contemporain. Qui oserait dire aujourd’hui, comme Périclès : « Notre audace nous a frayé par la force un chemin sur terre et sur mer, élevant partout à elle-même des monuments impérissables pour le bien comme pour le mal ? » Je pense qu’une nouvelle droite pourrait répondre à ce défi. Une droite pour laquelle la force véritable consisterait, non à détenir la vérité, mais à ne pas en craindre les manifestations.
Les excès marchent par couple. Je me fais une certaine idée de la troisième voie. Celle qui rejette, de part et d’autre, les extrémismes et les unilatéralismes. Une ligne juste est toujours nuancée. J’entends par là qu’elle prend en compte ce qu’il peut y avoir de juste dans chaque système ou dans chaque point de vue. Seule une telle démarche peut aboutir à une synthèse. Mais je ne crois pas non plus que la troisième voie soit une voie « moyenne », une sorte de compromis — pas plus qu’une étape transitoire vers l’un ou l’autre des systèmes existants. Toute vraie synthèse est un dépassement. Elle n’est pas un peu de ceci et un peu de cela, successivement, mais ceci et cela, avec la même intensité, au même moment. Cela exige qu’on ne se laisse jamais enfermer dans une alternative, que l’on adopte une logique mentale du tiers inclus. Et bien sûr, l’aboutissement de cette démarche « de droite » ne peut être que la résorption en un seul ensemble des notions de « droite » et de « gauche » comme on les conçoit actuellement. Je n’entends pas par là que l’on ne soit « ni de droite ni de gauche » — ce qui ne veut rien dire. Mais que l’on parvienne à être en même temps et la droite et la gauche. Je crois que l’avenir appartient à ceux qui seront capables de penser simultanément ce qui, jusqu’ici, n’a été pensé que contradictoirement. Héraclite disait : « Dieu est le jour et la nuit, l’été et l’hiver, la guerre et la paix, le pain et la faim ». Paracelse déclarait : « Tout est en toi-même et rien ne peut te venir de l’extérieur ni d’en haut ». Je crois que l’homme est la quintessence de tout, qu’il peut réaliser l’unité et le dépassement des contradictions. Coincidentia oppositorum.
La menace principale, aujourd’hui, quelle est-elle ? Elle est la disparition progressive de la diversité du monde. Le nivellement des personnes, la réduction de toutes les cultures à une « civilisation mondiale » bâtie sur ce qu’il y a de plus commun. Déjà, d’un bout à l’autre de la planète, on voit s’élever le même type de constructions, s’instaurer les mêmes habitudes mentales. De Holiday Inn en Howard Johnson, on voit se dessiner les contours d’un monde uniformément gris. J’ai beaucoup voyagé — sur plusieurs continents. La joie que l’on éprouve au cours d’un voyage, c’est de voir des modes de vie variés encore enracinés, c’est de voir vivre à leur rythme des peuples différents, d’une autre couleur de peau, d’une autre culture, d’une autre mentalité — et qui sont fiers de leur différence. Je crois que cette diversité est la richesse du monde, et que l’égalitarisme est en train de la tuer. C’est pour cela qu’il importe, non seulement de « respecter les autres », mais de susciter partout le désir le plus légitime qui puisse être : le désir d’affirmer une personnalité à nulle autre pareille, de défendre un héritage, de se gouverner soi-même selon ce qu’on est. Et cela implique de lutter, de front, contre un pseudo-antiracisme négateur des différences, et contre un racisme menaçant, qui n’est, lui aussi, que le refus de l’Autre — le refus de la diversité.
Nous vivons aujourd’hui dans une société bloquée. Au plan mondial, nous commençons à peine à distinguer les moyens de sortir de l’ordre institué à Yalta. Au plan national, jamais, en temps de paix, la coupure entre les factions politiques n’a été aussi vive. Au plan philosophique et idéologique, nous ne cessons d’osciller entre des excès inverses, sans parvenir à trouver un équilibre. La cause comme le remède de cette situation se trouvent en l’homme. Dire que notre société est en crise n’est qu’un lieu commun. L’homme est une crise. Il est la tragédie même. Chez lui, rien, jamais, n’est définitivement dit. Toujours, homme peut trouver en lui-même la trame d’un nouveau discours, correspondant à une nouvelle façon d’être-au-monde, à une nouvelle forme de son humanité. L’homme est en crise depuis qu’il existe. L’originalité de notre temps n’est pas là. L’originalité — la triste originalité — de notre temps réside dans le fait que, pour la première fois, l’homme recule devant les implications de ce que seraient son désir et sa volonté de résoudre la crise. Pour la première fois, l’homme croit que les problèmes le dépassent. Et ils le dépassent effectivement dans la mesure où il le croit, alors que ces problèmes sont nés de lui, qu’ils sont à sa mesure et à la mesure des solutions qu’il porte en lui.
Nous ne sommes plus à l’époque où les hommes s’entretuaient parce qu’ils n’étaient pas nés du même côté d’une frontière. Les guerres d’aujourd’hui n’opposent plus les nations (ou, plus exactement, ne les opposent que secondairement), mais bien des vues-du-monde différentes, des idéologies, des façons d’être opposées. La lutte dont le monde est désormais le théâtre, lutte dont un seul protagoniste semble être pour l’heure pleinement conscient et à laquelle, pour la première fois également, participe la totalité de la planète, oppose des façons différentes d’appréhender le monde, de le concevoir et de chercher à le reproduire. Une façon différentialiste et une façon universaliste. Une façon anti-égalitaire et une façon égalitaire. Une façon qui aspire à une société organique, fondée et gouvernée par toujours plus de diversité, et une façon qui aspire à une société mécanique, où règnerait toujours plus d’homogénéité.
Je pense enfin que nous sommes entrés dans l’avant-guerre. Jusque vers 1965-1968, les principaux événements politiques se situaient dans le prolongement direct de la situation créée en 1945. La démocratie chrétienne, la guerre froide, la décolonisation, etc., ont été autant de phénomènes résiduels. Les événements que nous vivons aujourd’hui ne terminent pas, ne « complètent » pas une époque. Ils en annoncent une autre. Ils en forment déjà une autre. Ce sont des signes annonciateurs. De quoi ? De ce que nous voudrons que cette fin de siècle soit. Depuis 1974-75, nous sommes entrés dans la « décennie décisive » — celle où les choses se décantent, où les eaux se séparent, où de nouvelles factions se mettent en place. Je suis convaincu que les lignes de partage à venir seront très différentes de celles qui existent encore aujourd’hui. Je crois que la prochaine décennie ruinera les prévisions de beaucoup de « futurologues ». Et qu’elle redonnera son importance à la politique étrangère — la seule, finalement, qui compte vraiment. Ernst Jünger disait : « Il n’y eut pas de création au début, mais il est possible à chaque époque de s’enflammer à sa mesure ». Je crois que nous pourrons encore nous « enflammer ».
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La vieille droite, en France, a de tout temps été réactionnaire. L’esprit réactionnaire est peut-être la chose au monde que j’exècre le plus. La vieille droite française semble toujours vouloir ressusciter quelque chose, comme si elle voulait retourner à un stade antérieur, automatiquement jugé meilleur. Les uns veulent revenir en 1789, les autres en 1933 ou en 1945. Cela dépend des nostalgies. Ce type d’attitude s’est toujours révélé stérile. L’histoire se répète, mais elle ne repasse pas les plats. Elle est riche d’enseignements, non parce qu’elle permet de savoir ce qui va se passer, mais parce qu’elle aide à retrouver l’esprit qui a produit un certain type d’événement. C’est ce que voulait dire Nietzsche, qui, en même temps qu’il prêchait l’Éternel Retour, affirmait : « On ne ramène pas les Grecs ». En clair : on ne recommencera pas le miracle grec, mais en se pénétrant de l’esprit qui l’a produit, on se mettra peut-être en mesure de créer quelque chose d’analogue. C’est ce qu’on pourrait appeler la régénération de l’histoire.
Nous sommes au siècle où tout semble avoir été dit. La culture est en crise : comme si elle était arrivée à épuisement. On continuera à faire des peintures et des sculptures, mais il est peu probable que de nouvelles révolutions se produiront dans ce domaine. Il en va de même sur le plan musical. Wagner, en quelque sorte, a clos le cycle de la musique occidentale. On ne peut, après lui, que « wagnériser », « mozartiser », etc., ce que font tous les compositeurs contemporains, de l’avant-garde aux variétés. Même dans le secteur scientifique, apparemment en plein développement, la technique prend de plus en plus le pas sur la recherche pure. Ou, plus exactement, cette dernière ne semble plus en mesure d’aboutir à une révolution comparable à celles induites par Copernic ou Einstein. (J’appelle ici « révolution » l’éclosion d’une discipline qui, pour s’exprimer et produire, doit créer son propre langage et, par là même, fonder une nouvelle vue-du-monde). La dernière en date des révolutions dans l’ordre des façons d’appréhender le monde est celle de la microphysique. Depuis, nous n’avons plus que des perfectionnements et des confirmations. L’éthologie , par exemple, est une discipline à la fois nouvelle et passionnante. Mais elle confirme simplement ce que l’on savait il y a deux ou trois mille ans : que l’homme est un loup pour l’homme.
En décelant ainsi dans notre époque une césure fondamentale, je ne crois pas céder à la tentation de juger de l’histoire seulement par rapport à nous. Je pense véritablement que nous arrivons au terme d’un processus, qui est peut-être, tout simplement, l’histoire de l’homme actuel. Ce qui a été fondé lors de la révolution néolithique en est peut-être à son terme. Dans ces conditions, l’alternative est à la fois simple et redoutable. Il s’agit de savoir si l’homme ira plus loin. S’il relèvera ce défi fondamental qu’il en est ainsi venu à se lancer à lui- même. Ou, au contraire, s’il retombera au-dessous de sa condition, dans le paradis horizontal où les êtres sont « agis » par leur structure et leur appartenance à l’espèce. En d’autres termes, il s’agit de choisir entre la progression ou la régression : entre le surhomme ou l’infrahumanité . Mais nous voilà évidemment assez loin des problèmes de la droite.
Revenons-y. Au mot « réaction », j’oppose celui de « conservatisme ». Cela peut surprendre : preuve que nous sommes constamment piégés par le vocabulaire. (Tout discours « de droite » commence par des définitions). J’appelle réactionnaire l’attitude qui consiste à chercher à restituer une époque ou un état antérieur. J’appelle conservatrice l’attitude qui consiste à s’appuyer, dans la somme de tout ce qui est advenu, sur le meilleur de ce qui a précédé la situation présente, pour aboutir à une situation nouvelle. C’est dire qu’à mes yeux, tout vrai conservatisme est révolutionnaire. Entre le ghetto néo-fasciste (ou intégriste) et le marais libéral, je crois à la possibilité d’une telle doctrine. Beaucoup n’y verront qu’une exaltation des contraires. Ils n’auront pas tort. L’homme de l’avenir sera le seigneur des contraires. Il aura la mémoire la plus longue et l’imagination la plus forte. Il pratiquera un romantisme d’acier.
Toute idéologie s’exprime au cours de l’histoire dans une succession de trois formes : 1 - sous la forme d’un mythe ; 2 - sous la forme d’une théorie « séculière » ; 3 - sous la forme d’une « science ». Dans un premier temps, l’idéologie s’impose, non par sa vérité intrinsèque (les idées justes ne sont pas nécessairement celles qui ont le plus de succès, autre évidence fortement méconnue à droite), mais par sa puissance affective. Ce n’est que par la suite qu’elle a besoin d’une démonstration. À la suite de quoi, de « théologique », elle devient terrestre et profane. Enfin, dans un dernier temps, elle ne prétend plus à l’autorité absolue qu’en prétendant reposer sur des fondements scientifiques. Dans le développement de l’idée égalitaire, ces trois formes ont correspondu successivement au christianisme (égalité devant Dieu), à la théorie démocratique du XVIIIème siècle (égalité politique des sociétaires), et au marxisme et à ses dérivés (égalité de fait dans tous les domaines de la vie). Si l’on admet cette distinction, il est clair que le « moment » actuel de l’idée égalitaire ne correspond nullement au « moment » actuel de l’idée anti-égalitaire. La première arrive à la fin d’un cycle, l’autre n’en est qu’au début. C’est peut-être ce qui peut donner espoir. Si l’égalitarisme arrive à son « succès final », ce qui viendra après lui sera nécessairement autre chose que lui. En outre, si le monde actuel est la matérialisation de la fin d’un cycle, il est non moins clair que la seule source d’inspiration possible pour ce qui est à naître ne peut qu’être antérieure à ce qui vient de s’écouler. La force projective pour le futur réside dans l’esprit du plus lointain passé.
Le « nihilisme positif » de Nietzsche n’a pas d’autre sens que celui- ci : on ne peut construire que sur une place préalablement rasée. Il y a ceux qui ne veulent pas construire (une certaine gauche) et ceux qui ne veulent pas raser (une certaine droite). Je crois que ces deux attitudes sont également condamnables. Si l’on veut faire naître une nouvelle droite, tout reste encore à faire. Et vu le retard à rattraper, il doit nous rester quelque chose comme un siècle avant d’aboutir. Autant dire qu’il n’y a pas une minute à perdre.
Janvier 1976 — avril 1977. Alain de Benoist http://www.voxnr.comNotes :
En janvier-février 1976, la revue Item, qui venait de se lancer, publiait une série d’ « opinions libres » consacrées à la droite. Ce texte, qui devait susciter des réactions diverses, fut rédigé pour figurer dans le cadre de l’enquête.
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13 février 1945 : démonstration d’éthique démocratique
Le 13 février 1945, les démocraties anglaise et américaine commencent le plus brutal bombardement de la 2e Guerre mondiale (excepté le Japon).
7 000 tonnes de bombes incendiaires sont larguées sur la ville de Dresde, joyau architectural, où s’étaient réfugiés de très nombreux civils.Des dizaines de milliers d’hommes, femmes, vieillards, enfants (entre 135 000 et 250 000 victimes) meurent, souvent brûlés au phosphore, dans des souffrances indescriptibles.
La destruction de cette ville ne répondait pas à des objectifs militaires ou économiques mais s’inscrivait dans une logique de terrorisme, hors de toute morale, visant à ébranler le moral des Allemands.
Civils habitant ou réfugiés à Dresde.
Dresde, avec Hiroshima et Nagasaki, sont les exemples les plus connus de la barbarie anglo-américaine, mais on ne doit pas oublier les civils volontairement assassinés par de lâches bombardements un peu partout, dont des dizaines de milliers en France (voir Quand les Alliés bombardaient la France).
Tandis que les USA, toujours flanqués de la Grande-Bretagne, se permettent de donner continuellement des leçons de morale au monde entier et n’hésitent toujours pas à pratiquer le terrorisme (comme en Serbie il y a peu), la résistance nationale d’outre-Rhin rend chaque année hommage aux morts de Dresde :
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QU'EST-CE QUE LE PAGANISME ?
« La religion de l’Europe est d’essence cosmique. Elle voit l’univers comme éternel, soumis à des cycles. Cet univers n’est pas regardé comme vide de forces ni comme « absurde » comme le prétendent les nihilistes. Tout fait sens, tout est forces et puissances impersonnelles régies par un ordre inviolable, que les Indiens appellent Dharma (concept récupéré plus tard par les Bouddhistes), terme qui peut sembler exotique, mais que les Grecs traduisent par Kosmos : Ordre. Depuis des millénaires, notre religion, reflet de la tradition primordiale, pousse l’homme à s’insérer dans cet ordre, à en connaître les lois implacables, à comprendre le monde dans sa double dimension visible et invisible. Le païen d’aujourd’hui, comme il y a trois mille ans, fait siennes les devises du Temple d’Apollon à Delphes : connais-toi toi-même et rien de trop. » (Christopher Gérard, La Source pérenne, L'Âge d'Homme, 2007).
Le paganisme se caractérise fondamentalement par la compréhension intuitive de l’ordre intrinsèque du réel, ordre fondé sur un réseau de correspondances qui relient le corps, l'âme et l'esprit de chaque homme, sujet des phénomènes (microcosme) à un ordre cosmique, ou ordre des phénomènes extérieurs au sujet (macrocosme). Cet ordre inhérent, appelé Rita chez les Indiens, Asha chez les Iraniens, Cosmos chez les Grecs, a un prolongement dans la société humaine, appelé Dharma en Inde pour l'aspect éthique et Varna pour l'aspect social, ou encore symbolisé chez les Grecs par une déesse de la mesure et de l'équité, Némésis.
Un des plus grands symboles de cet ordre est le zodiaque, celui que tout le monde connaît, mais aussi le zodiaque des runes, ou celui des positions de la lune, qui a survécu en Inde, faisant référence à de multiples processus concomitants, d'ordre temporel, mais aussi atmosphérique, mental, social, rappelant que les grands dieux exprimaient un ordre extérieur aussi bien qu'intérieur, un ordre cosmique aussi bien que social, ignoré par le monothéisme simpliste. La méthode comparative appliquée sur les textes védiques d'une part, et les textes traditionnels plus tardifs d'Europe d'autre part, a bien montré que les indo-européens avaient placé au centre de leur religiosité une cosmologie, permettant à de nombreuses cosmogonies de prospérer.
Et c'est précisément l’intérêt de la tradition védique d'avoir été un remarquable conservatoire de cette antique religiosité. Un sanskritiste comme Jean Varenne avait bien montré que ces cosmogonies pouvaient se classer selon les trois grandes fonctions duméziliennes, car il existe dans les textes védiques des cosmogonies décrivant l'apparition du monde par l'action de la parole sacrée, avec la formule “fendre la montagne par le hurlement sacré pour délivrer la lumière cachée” ou par l'action guerrière du champion des dieux, Indra, contre des puissances de résorption et de renfermement, ou par l'action d'un démiurge constructeur et organisateur, comme Vishvakarman. Cette cosmologie, dont on retrouve des traces chez tous les peuples d'origine indo-européenne, est extrêmement ancienne, elle remonte à leur commune préhistoire. Elle tient la place qu’occupe l'eschatologie dans les grandes religions abrahamiques, qui ont pour corollaire un temps linéaire et orienté.
Au contraire, dans le paganisme, le temps est cyclique, il existait même un culte de l'année avec un rituel très précis et paradoxalement, il est possible de gagner l'immortalité justement en transcendant les cycles, ce qui est impossible et impensable avec un temps linéaire. La toile de fond de ces cosmogonies est la même que celle des cosmogonies grecques : l'eau, sous la forme de l'océan et des rivières célestes qui lui sont associées, forme l’élément primordial duquel est issu le monde. Du ciel supérieur, les dieux veillent au maintien de l'Ordre dont ils ont saisi les secrets, à la fois par la raison, mais aussi par la volonté. De ceci découle une mode d'existence, une façon d’être au monde, qui se caractérise par de multiples aspects bien soulignés par des centaines d'auteurs sur le sujet.
Les pouvoirs de la volonté
La reconnaissance des pouvoirs de la volonté, pour laquelle ont été conçus de multiples exercices spirituels, simples et efficaces, se basant sur la méditation, le contrôle du corps, la maîtrise des sens, la magie et la prière, dont le but est d'affirmer un potentiel de spiritualité, lequel s’élève vers le sacré et se fixe sur ses symbolisations multiples. Tous ces exercices spirituels puissants et effectifs, découlent de la vision païenne et doivent être dirigés vers des buts bien déterminés, comme autant de flèches précises sur leur cible. C'est ce qu'avaient observé les Anciens, qui érigèrent un dieu pour chaque force de la nature, pour chaque puissance cosmique, pour chaque manifestation relevant des mystères divins, pour chaque vertu morale.
La primauté de l'énergie sur la parole
La reconnaissance de la primauté de l’énergie sur la parole : La méditation, la prière et l'intercession sont des actes magiques dont nous ignorons encore toute la puissance. La psychanalyse caractérise partiellement ce processus en le comparant au phénomène physique de la sublimation. C'est une source incomparable qu'il faut savoir diriger en condensant les énergies. Le christianisme, comme toutes les religions abrahamiques, met l'accent sur la parole révélée, sur un logos qui serait créateur, sur la Loi et sur l'Amour, bref toutes sortes de processus qui peuvent se perpétuer sans fin en déconnexion du réel.
La reconnaissance de l'art comme voie d’accès au divin : Sous toutes ses formes, par la concrétisation de l'idéal, du beau, du sublime, non seulement dans ses expressions religieuses mais profanes. La sculpture, l'architecture, la peinture, la danse, la musique, la poésie, la philosophie, le sport, toute activité résulte plus ou moins de l'inspiration du divin, du sacré, dans ce que l'homme peut de meilleur et de plus élevé. L'artiste ou l'artisan, ou ce qui est plus difficile aujourd'hui, le travailleur, le citoyen, le militant, condensent inévitablement leur pensée sur l'oeuvre à laquelle ils adhèrent. Le paganisme, par sa glorification de la nature, s'adresse à un homme centré et équilibré, et finalement plus à l'esprit qu'au cœur. Il inculque le sens de la grandeur, de l'harmonie, et de la santé par le sens de la mesure et des proportions, par la maîtrise et l’unification de l’être trinitaire esprit/âme/corps totalement inséparables, par la culture de la beauté des formes et la noblesse des sentiments.
Jean Vertemont, Vouloir n°142/145, 1998. vouloir -
L’école à l’image de la France…
Le FN une nouvelle fois avait vu juste. D’abord en dénonçant dés l’origine les conséquences néfastes de l’ultra libre échangisme des euromondialistes bruxellois, qui permet aux mafias les plus diverses de prospérer, notamment dans le domaine alimentaire. Bruno Gollnisch a pointé comme tout le monde le cas emblématique des lasagnes du groupe suédois Findus, étiquetées comme étant au bœuf mais, au terme d’un incroyable périple transfrontalier, contenant de la viande de cheval en provenance de Roumanie. Et cette découverte qui doit tout au hasard d’un contrôle, n’est bien sûr que la pointe émergé de l’iceberg. Nous pourrions multiplier les exemples d’étiquetages mensongers, des produits élaborés à base de matières premières que nous produisons mais importées des contrées les plus exotiques et n’offrant pas toujours les meilleures garanties de qualité, d’AOC bidons ou détournées…
Dans un tout autre domaine, relevons encore que comme Marine Le Pen ou Bruno Gollnisch, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, a affirmé ces dernières heures dans un entretien accordé à la télévision russe qu’ « Au Mali, la France lutte contre ceux qu’elle avait armés en Libye contre le régime de Kadhafi en violant l’embargo du Conseil de sécurité de l’ONU. »
Les mêmes groupes djihadistes luttent en Syrie contre le régime du président Bachar el-Assad, a-t-il souligné, groupes eux aussi financés par nos « amis» du Qatar ajouterons nous. M. Lavrov a pointé « l’incapacité (des) partenaires(de la Russie, NDLR) d’arrêter de fixer un point sur la carte et d’avoir une vue d’ensemble sur la région. »
Une vue d’ensemble qui manque aussi cruellement à ce gouvernement dans sa volonté de réforme de l’éducation, politique de gribouille compensée il est vrai par un activisme idéologique qui lui ne doit rien au hasard.
Activisme que l’on voit à l’œuvre dans la démarche franchement pathétique, qui en dit long sur le degré de perversité intellectuelle de certains socialistes, qui est celle du député PS de Paris, Sandrine Mazetier.
Mme Mazetier a annoncé avoir saisi le gouvernement pour faire… débaptiser l’école maternelle, « qui renvoie trop à l’image de la seule mère » ! « Changer le nom en petite école ou première école, c’est neutraliser d’une certaine manière la charge affective maternante du mot maternelle. » Là aussi la haine de l’altérité, des différences sexuelles, incite le PS a éradiquer les termes qui sont des obstacles à l’avènement d’une société de genre.
Si M. Peillon a gardé un silence prudent sur le voeu de sa camarade socialiste, il sait en tout cas qu’être un ministre de gauche ne vaccine pas contre la grève : aujourd’hui de nombreux enseignants du premier degré ne prendront pas le chemin de l’école pour exiger une « réforme des rythmes scolaires réussie pour tous. »
Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp, syndicat très ancré à gauche et que l’on a vu à la manœuvre lors de la dernière élection présidentielle pour relayer les mots d’ordre anti FN, s’élève contre la réforme portée par Vincent Peillon .
Au motif que celle-ci « ne sera réussie que dans les communes où l’on aura l’argent et l’ingénierie éducative adéquate. Elles seules auront les moyens financiers de proposer des activités sportives et artistiques intéressantes. Par ailleurs, rien dans le décret sur les rythmes ne garantit que tous les enfants bénéficieront d’activités périscolaires gratuites. »
L’Association des maires de France (AMF) par la voix de Pierre-Alain Roiron, son vice-président chargé de l’éducation, note pareillement que «certaines communes disposent d’intervenants municipaux, d’autres pas. Dans ce contexte, plusieurs d’entre elles ne pourront proposer que de la garderie scolaire aux élèves»
Les difficultés financières se heurtent donc au souhait d’éveiller les enfants dés leur plus jeune âge en les soustrayant à leur environnement familial. L’idéologue Peillon étant de ceux qui estiment que l’école de la République ne doit pas se contenter d’instruire les enfants mais bel et bien de les éduquer en lieu et place des parents…Dans son texte évoquant la « refondation » de l’enseignement, il affirme que «l’école assure conjointement avec la famille l’éducation morale et civique ».
Le ministre l’a répété à de nombreuses reprises, l’introduction d’un cours de « morale laïque » dans les programmes et l’ouverture de l’école aux enfants des l’âge de deux ans, participe de sa vision républicaine qui consiste à distiller les valeurs du socialisme et de la société ouverte, auxquels des parents un peu réacs pourraient s‘opposer. Bref l’autorité parentale doit être battue en brèche, au même titre que la famille traditionnelle doit être définitivement mise au rayon des vieilleries dépassées …
Nous le notions en octobre dernier, François Hollande avait annoncé que la scolarisation des enfants de moins de 3 ans serait relancée en priorité dans les zones à forte densité d’immigration, baptisées en novlangue, « territoires en difficulté », afin de réduire les inégalités sociales et culturelles entre les élèves issus de « milieux défavorisés » et les autres.
Le Bulletin d‘André Noël, rappelait de son côté que M. Peillon a clairement affiché la couleur dans deux ouvrages. On peut lire, sous sa plume « que la vraie laïcité à la française, ce n’est pas la neutralité religieuse mais l’instauration d’une nouvelle religion : C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi ( dans son ouvrage intitulé La Révolution française n’est pas terminée). Mais comment y arriver ? « A l’école donc de dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines et de l’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est ainsi seulement que la laïcité deviendra la religion de toutes les religions, de toutes les confessions, la religion universelle (dans le livre Une religion pour la République: la Foi laïque de Ferdinand Buisson). Peillon ne fait rien d’autre que de mettre en œuvre ce scandaleux programme. »
Dans la logique qui est la sienne, rien d’étonnant à ce qu’il ait aussi affirmé dernièrement qu’il était normal de faire la promotion du « mariage gay » dans les établissements publics, au nom de la de la lutte contre l’homophobie… mais qu’il est interdit d’en parler dans les établissements catholiques, parce que cela favoriserait l’homophobie !
Mais les Français seraient en droit d’attendre de M. Peillon qu’il délaisse ses mauvaises obsessions humanistes et qu’il se montre moins pusillanime, verbeux et creux qu’un Luc Chatel. Au moins à l’époque de Jules Ferry les petits Français savaient lire et écrire!
Car la chute du niveau scolaire en France ne cesse de progresser, un constat alarmant pointé par Bruno Gollnisch. En décembre 2010 nous avions évoqué l’ enquête Pisa qui mesure le niveau scolaire atteint par les jeunes de 15 ans des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Un indicateur plutôt fiable de la constante dégringolade de notre nation, de sa tiers-mondisation grandissante.
Ladite enquête plaçait la France très péniblement à peine dans la moyenne, au 22e rang (sur 65) en lecture et en mathématiques, au 27e en science et atteignait une moyenne inférieure à celle des pays de l’OCDE…Rappelons que le budget de l’Education nationale est le premier budget de l’Etat…
Polemia précisait en décembre dernier que «L’enquête sur le niveau d’orthographe en CM2 montre qu’en 2007 la proportion d’élèves faisant plus de 15 fautes atteint 46% contre 26% en 1987 (Le Monde du 4 mai 2012). L’enquête INSEE de 2011 montre aussi qu’une personne sur six a des « difficultés à l’écrit » et que la part des jeunes de 30/34 ans – c’est-à-dire ceux qui sont sortis du système éducatif – ne cesse d’augmenter dans ce total. Et les performances en calcul diminuent aussi (Les Échos du 18 novembre 2012).».
.« Quant au classement, dit de Shanghai, des universités, si 20 françaises se classent dans le « Top 500 », celui-ci comprend par contre 150 établissements américains, 42 chinois, 38 britanniques et 37 allemands. Au surplus, la première française (Paris Sud) n’arrive qu’en 37e rang et celui des autres décline (LePoint.fr du 14 août 2012).».
Il y a deux ans, un blogueur du site de Marianne relevait à ce sujet : « il y a ce que PISA se garde bien ou, en tout cas, oublie de dire : les pays les plus en difficulté, en dépit des moyens qu’ils allouent, comme l’Allemagne ou la France, ou encore l’Angleterre sont aussi des pays de très forte immigration ».
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Les nationalistes autonomes en France : l'offensive
Le recentrage du Front National et des Identitaires laisse un espace libre pour des groupes militants nationalistes ou identitaires qui cultivent un discours sans concession et qui veulent révolutionner les pratiques de la mouvance.
LA POLITIQUE A HORREUR DU VIDE
Un contexte favorable s'ouvre pour eux. L'absence de dynamisme et d'organisation de terrain du Front National de la Jeunesse ne lui permet plus d'être un pôle de regroupement pour la jeunesse nationaliste, et encore moins d'être l'aiguillon radical qu'il fut pour le parti dans les années 1990. De plus, il n'est pas certain que la "normalisation" de sa direction par Marine Le Pen lui laissera beaucoup d'autonomie.
Cette situation a profité, en partie, au Bloc Identitaire et surtout à sa branche jeune, « l'Autre Jeunesse ». Mais si l'implantation identitaire est forte auprès de jeunes souvent sans formation politique, le mouvement est jugé défavorablement par les plus radicaux des militants de base. Les liens avec Riposte Laïque et certains réseaux sionistes au nom de la lutte contre « l'islamisation de l'Europe » auront fait grincer beaucoup de dents.
Emerge donc en réaction une mouvance de groupes affinitaires dans plusieurs villes. Influencés à la fois par les expériences allemandes et italiennes des années 1990-2000, certains d'entre eux se définissent comme « nationalistes autonomes » et revendiquent « une rupture militante ».
LES EXPÉRIENCES ALLEMANDES ET ITALIENNES
Au tournant des années 2003-2004, une partie de la jeunesse nationaliste allemande décide de rompre avec le folklore de l'Extrême Droite d'Outre-Rhin. Sur la forme, il adopte le "look" des « Blacks Bloks » anarchistes qui faisaient alors parler d'eux à la suite des contre-sommets du G8. Ce style moderne et jeune permet très vite de regrouper une masse importante d'activistes dans l'ensemble de l'Allemagne et d'organiser des manifestations impressionnantes. Le phénomène déborde largement l'Extrême Gauche qui ne peut plus se targuer de contrôler la rue.
Sur le fond, les nationalistes autonomes se définissent comme partisans d'un « socialisme national » et se disent réfractaires à la mondialisation. Ils s'affirment nationalistes révolutionnaires et n'hésitent pas à mener campagne sur des thématiques sociales et anti-capitalistes qui rencontrent un écho particulier dans l'Est du pays.
L'idée d'autonomie est très importante pour cette mouvance. La constitution de groupes autonomes locaux formés sur le modèle de la "kameradschaft" ("camaraderie" militante) implique directement les militants dans l'organisation d'un réseau informel à l'échelle du pays. Malgré la répression de l'État allemand, il se développe constamment et lance des initiatives politiques et culturelles. Utilisant toute les ressources du net, il diffuse ses idées radicales dans une large frange de la jeunesse allemande qui n'avait jamais été touchée par les idées nationalistes. Anti-parlementaristes, les nationalistes autonomes sont plus ou moins cordiaux avec les partis « d'Extrême droite » nationaux même si la thématique de certaines de leurs actions, comme les manifestations d'hommages aux victimes du bombardement de Dresde, permet de créer l'unité. Le modèle allemand s'est largement exporté en Europe de l'Est. Il existe maintenant des "NA" en Russie, en Ukraine, en République Tchèque, en Hongrie... Le cas italien a déjà été abordé dans notre journal (voir l'article « Casapound, les fascistes du troisième millénaire » de Yann Kermadec en Janvier 2011). Mais nous pouvons ajouter que le succès de la Casa Pound a abouti à la création d'un nouvel esprit, créatif et militant, dans l'ensemble de l'Europe. C'est un phénomène majeur qu'il faut prendre en compte pour comprendre le désir d'action d'une nouvelle génération. Il est relayé par l'activité débordante du site Zentropa, l'un des meilleurs sites d'information politique et culturelle du net.
L'ALTERNATIVE MILITANTE EN FRANCE
Les nationalistes autonomes français se retrouvent dans plusieurs structures. Reprenant le modèle allemand, les « Nationalistes Autonomes » français se regroupent principalement dans l'Est de la France. En Lorraine, en Picardie, en Bourgogne, dans le Nord et la région parisienne, des actions communes sont menées sous ce sigle sans qu'une véritable structure ne vienne les encadrer. Ce réseau revendique cette forme de "non-organisation" : « La mouvance autonome n'existe qu'à travers l'investissement de ses membres ; elle est donc furtive et insaisissable mais possède un potentiel d'action considérable. Le terme autonome signifie que nous sommes indépendants des mouvements existants et que nous agissons au sein d'une "section" sans lien avec les autres groupes d'autonomes. Nos membres ne sont ni des adhérents ni des inscrits mais militent librement pour les causes qui leur sont chères. Nous pensons en effet qu 'au vu des dangers actuels, il est important de savoir mettre de côté les divergences doctrinales qui nous opposent afin de réagir en bloc face à certaines atteintes ».
Plus structuré, le groupe Vox Populi, basé à Tours, a fait le choix de l'action locale avant tout : « Nous sommes un mouvement strictement local. Ce choix de vouloir rester à l'échelle tourangelle a été fait dès la création de Vox Populi, il y a 16 mois. La première raison est simplement de pouvoir être présents à tout moment chez nous, avec nos voisins, nos collègues, nos camarades en agissant pour le bien-être des nôtres dans la cité. Il est évident qu'à l'heure où le rouleau compresseur de la mondialisation veut faire oublier aux habitants du globe d'où ils viennent et qui ils sont, la meilleure réponse à ce raz-de-marée global est de rester scellé à la terre qui nous a vu naître. C'est le premier moyen (simple) de ne pas oublier quel sang coule dans nos veines ».
La campagne contre la statut de « Dame Loire » aura permis de faire connaître Vox Populi dans toute la région. Louis Dubois, son porte-parole, déclarait en conclusion de « la marche de la fierté tourangelle » organisée par l'association : « Nous avons un boulevard devant nous ! À nous de savoir poser les bonnes pierres et construire les bons édifices qui reposent sur des fondements stables et intemporels. À nous de chasser la peur qui veut nous dissuader d'agir ! Votre pire ennemi c'est vous-mêmes mes amis, ce vieil homme qui tape à la porte de votre âme et dont vous écoutez trop souvent les mauvais conseils ! Fiers du passé mais les yeux fixés vers l'avenir, il nous faut dès aujourd'hui mettre nos différents dons au service d'une stratégie militante, en phase avec le réel... C'est avec nos voisins, nos camarades de classe, nos collègues que commence l'aventure ici et maintenant ! ». Au niveau idéologique, on remarquera qu'il est le groupe de cette mouvance le plus proche de l'héritage nationaliste et catholique traditionaliste.
Proche à l'origine des Identitaires, la Vlaams Huis (Maison Flamande) est devenue une force autonome et enracinée sur Lille. Ce local est un pôle important pour les activités culturelles et de formation sur le Nord de la France. Il tente de mettre en place un réseau de « Maisons du Peuple » ; sorte de base autonome durable pouvant être un point de ralliement pour les militants dans toute la France (des projets de ce type sont en cours à Lyon et dans l'Artois). Sur Paris, le Local de S. Ayoub participe de cette dynamique. En parallèle, il a relancé la mythique organisation nationaliste révolutionnaire des années 1980, Troisième Voie.
UNE CONTRE-CULTURE EN FORMATION ?
Plus largement, il existe des groupes encore informels ou en gestation comme à Rouen, Reims, Nancy, Lyon, Limoges. Un réseau autonome tente de se structurer grâce aux liens que des actions militantes ou culturelles peuvent créer. En effet, plusieurs projets lancés par cette mouvance rencontrent un large écho.
Au niveau "métapolitique", les radios web comme Méridien Zéro ou Europa Radio accroissent et modernisent la diffusion des idées dissidentes. Des activités sportives et de formation politique régulières font vivre la camaraderie. De plus, cette mouvance reçoit le soutien de l'équipe de la revue Réfléchir & Agir, qui ouvre largement ses colonnes à ses actions.
Il reste encore beaucoup de route à faire pour que cette mouvance devienne une réelle force. Elle devra se montrer intelligente face à la répression et aux pressions médiatiques. Gagner en maturité et affirmer sa différence théorique pour pouvoir incarner cette nécessaire rupture.
Monika BERCHVOK. Rivarol du 17 juin 2011
Les sites de référence en France :
Zentropa : < http://zentropa.splinder.com/ >
Les N-A français : < http:llwww.nationalistes-autonomes.tk/ >
Vox Populi : < http://voxpopuliturone.blog-spot.com >
MAS : < http://www.mas-org.com/ >
VLAAMS HUIS : < http://www.vlaams-huis.com >
Troisième Voie : < http://www.3emevoie.org/ >
Méridien Zéro : < http:llmeridienzero .hautet-fort.com/ >
Europa Radio : < http:lIeuroparadio.hautet-fort.com/ > -
Polémistes et pamphlétaires français : Jules Vallès
Né en 1832 d'un père professeur et d'une mère, religieuse défroquée, à moitié folle, Jules Valiez (c'est son vrai nom) eut une enfance difficile qu'il évoqua dans sa trilogie romanesque L'Enfant, Le Bachelier et L'Insurgé. Son père alla jusqu'à le faire interner, à l'âge de 18 ans pour « aliénation mentale ». Il y a certes des façons plus équilibrantes de faire son entrée dans la vie. Très jeune, il s'engagea par ses écrits mais aussi par l'action. Républicain, sans doute, et socialiste, mais avant tout de ces gens qui s'insurgent. Il y a, comme le relève Pierre Dominique (Les polémistes français depuis 1789), de l'anarchiste en lui. Il se dresse contre l'État, contre l'uniforme aussi. Debout, derrière une barricade, symbolique ou non, avec un fusil ou une plume. Il participe aux événements révolutionnaires de 1848, crée un club qui a pour programme la suppression du baccalauréat, des examens, et la « liberté absolue de l'enfance ». C'est Mai-68, avant la lettre… Il s'oppose évidemment au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, et cherche à mobiliser les étudiants parisiens. Il tâta à plusieurs reprises de la prison sous l'empereur Napoléon III qui n'appréciait que modérément ses propos virulents. Il se présente en 1869 aux élections législatives, mais est battu. Son programme : « J'ai toujours été l'avocat des pauvres, je deviens le candidat du travail, je serai le député de la misère ! La misère ! Tant qu'il y aura un soldat, un bourreau, un prêtre, un gabelou, un rat-de-cave, un sergent de ville cru sur serment, un fonctionnaire irresponsable, un magistrat inamovible : tant qu 'il y aura tout cela à payer, peuple, tu seras misérable ! » En 1870, la guerre contre la Prusse est déclarée. Vallès se déclare “pacifiste” et est arrêté. Il appelle de ses vœux la Commune et réclame « la réquisition générale, le rationnement gratuit, l'attaque en masse ». Durant celle-ci, il en dénonce l'arbitraire. Partisan de la liberté de la presse “illimitée”, il proteste, comme Rochefort, contre la suppression par la Commune des journaux conservateurs. Il fait tout son possible pour empêcher l'exécution de l'archevêque de Paris et de ses compagnons. Vallès se bat cependant jusqu'au bout. Les Versaillais veulent sa peau. On fusille deux inconnus qu'on prend pour lui. Il s'enfuit à Bruxelles, où il rencontrera Séverine, militante d'extrême gauche et féministe, qui fut paradoxalement une grande amie de Drumont qui lui dédia un de ses livres. Séverine devint le disciple et la collaboratrice de Vallès.
Vallès avait la plume acerbe. Plus pamphlétaire que polémiste. Et parfois parfaitement injuste. Voilà ce qu'il écrit de Baudelaire : « Baudelaire sentait uniquement son orgueil fermenter et s'aigrir, mais il avait les entrailles pauvres et se tordait sans accoucher. […] Il n'était pas le poète d'un enfer terrible, mais le damné d'un enfer burlesque. Instruit de son infécondité par les douleurs secrètes de ses nuits solitaires, il essaya défaire croire, à force d'esprit, à son génie, et se dit qu'il pouvait paraître exceptionnel en semblant singulier ». Dans son journal, Le Cri du Peuple, dont le mot d'ordre est « La Sociale arrive, entendez-vous ! Elle arrive à pas de géant, apportant non la mort, mais le salut », Vallès mène de furieuses campagnes socialistes et anticolonialistes. À noter que Jacques Doriot créa, en 1940, un quotidien du Parti Populaire Français, destiné à s'adresser à la classe ouvrière, dont le titre était… Le Cri du Peuple. Vallès, ce réfractaire, ce révolté entendait se battre seul, « et sans numéro sur le képi ». Il vomissait Marx, déclarant : « Ne me parlez pas… des conceptions nuageuses et humanitaires de Marx... ». Il vomissait aussi et plus encore Gambetta qu'il appelle « le borgne sonore » : « Car la vulgarité même de Gambetta sert à sa vogue, la banalité de son fonds d'idées est l'engrais de son talent. […] il fait le soiffeur, le riboteur, le Gargantua et le Roquelaure. Il se crée autour de ses tapages et de ses orgies une légende. Ce mélange de libertinage soulard et de faconde tribunitienne emplit d'admiration […] les ratés du café de Madrid qui s'en vont en criant à la foule : “Hein ! est-ce un mâle !” » Et Vallès de conclure sa diatribe par « Cabotin, cabotin ! »
Vallès, épuisé par la maladie, meurt le 14 février 1885 en murmurant : « j'ai beaucoup souffert ». Il est accompagné au cimetière du Père-Lachaise par des dizaines de milliers de Parisiens et des survivants de la Commune.
R. S. RIVAROL 1er AVRIL 2011 -
Verlaine : Tableaux de Paris et d’ailleurs
Le XIXe siècle est celui des poètes maudits. La raison de cet ostracisme est simple, le triomphe du monde libéral, de la société bourgeoise qu’avait engendrés la Révolution refusant une place à ces inutiles que, jadis, nos Rois eussent pensionnés afin qu’ils puissent écrire et avoir du génie tout à loisir
La compensation offerte à ces damnés de la plume était d’être beaux, souvent, aimés, presque toujours, et très conscients, en sus, de leur talent. Mais, à Paul Verlaine, la Fortune refusa tout cela. Il fut de ces poètes maudits qui sont également des hommes déchus.
Rien ne le prédisposait, en venant au monde, à embrasser cette carrière aventurée. Il naquit à Metz, au foyer d’un officier de carrière passablement dépourvu d’ambition et sans avenir, et d’une dame qui paraissait, tant ses espoirs avaient été déçus, devoir renoncer à la maternité. C’était en 1844 et Paul, enfant inattendu d’un couple vieillissant, devait rester fils unique. il fit, très jeune, une découverte douloureuse : à une stature de gringalet un peu ridicule, il ajoutait une de ces laideurs dont on n’ose même pas dire qu’elles sont intéressantes… Cette disgrâce physique allait pousser l’adolescent à tous les modes d’évasion possibles. Le premier, fort commun chez les ratés accomplis ou en puissance de l’époque, fut l’absinthe. Le poison vert devait conduire Verlaine à un alcoolisme précoce qui finirait par le tuer ; entretemps, il aurait fait fuir son épouse et transformé la vie de sa mère en un long et désespérant enfer quotidien…
En poésie, sa laideur s’estompe
Le second fut plus heureux : le jeune homme se mit à écrire. Or, lorsque Verlaine écrit, il devient un autre personnage, qui n’a guère de rapport avec la triste réalité, En poésie, sa laideur s’estompe et disparaît ; les belles le regardent tendrement et, rassuré, il en oublie son attirance inavouable pour l’homosexualité. Ainsi peut-il alors entamer cette carrière, chantée en mode mineur, où s’alignent, avec une exquise délicatesse, les tableautins précieux, doux et tristes qui font tout son art. Verlaine est un paysagiste de l’âme plutôt que d’une scène réelle. Son expression est suggestion. Il na pas le goût, ni le besoin, des grandes machineries pompeuses. Sous sa plume aux allures de pinceau maniéré et charmant, le lecteur, ravi, découvrira Paris embrassé d’un regard en deux mots, les Ardennes et les Flandres françaises et belges, ou des parcs intemporels d’une Ile-de-France enfuie, si tant est qu’elle ait jamais existé.
Ces jardins symboliques se rencontreront souvent dans la thématique verlainienne. Peut-être ne sont-ils pas la plus parfaite expression, mais ils en sont l’une des plus attachantes. Les uns, reflets exacts de l’âme angoissée, honteuse, coupable et insatisfaite du poète se complaisent en des automnes navrés. Les autres, fabriqués sur le modèle de Watteau et de la peinture du XVIIIe siècle, sont beaux, sereins, précieux et artificiels. La rencontre entre ces deux univers n’étant pas exclue, ainsi qu’en témoigne, au coeur des “Fêtes galantes”, l’élégance désespérée du “Colloque sentimental”. Ils ont un dénominateur commun : sous le maquillage, le bonheur n’est pas au rendez-vous…
“Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur”
Les « masques et bergamasques / Jouant du luth, et dansant » sont « quasi tristes sous leurs déguisements fantasques ». « Ils n’ont pas l’air de croire a leur bonheur ». « Au calme clair de lune triste et beau, / Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres / Et sangloter d’extase les jets d’eau ». Dans “Les Ingénus” « Le soir tombait, un soir équivoque d’automne ». Ainsi avance-t-on, pas à pas, vers ce “Colloque sentimental”. « Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux formes ont tout à l’heure passé. / Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles / Et l’on entend à peine leurs paroles. / Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux spectres ont évoqué le passé. / Te souvient-il de notre extase ancienne ? / Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ? » Vers qui sont l’indéniable écho, sous leur maniérisme, du célébrissime “Chanson d’automne” des “Poèmes saturniens” : « Les sanglots longs / Des violons / De l’automne ».
À l’instar de Baudelaire, Verlaine, visionnaire tenaillé de crainte, présage, derrière les plus belles apparences, l’écroulement final, la vieillesse et la mort.
Conjurer l’omniprésence de l’angoisse
Hors l’absinthe, de quels exorcismes dispose-t-il afin de conjurer cette omniprésence de l’angoisse qui lui gâte toute joie ?
Verlaine va tâter de l’amour, à la mode honnête et bourgeoise, en osant, nonobstant ses moeurs et ses goûts, demander la main d’une demoiselle à sortir d’un roman de la Comtesse de Ségur, Mathilde de Fleurville.
Il va alors écrire, certains de ses admirateurs diraient : il va commettre… “La Bonne chanson”, hymne naïf à la félicité conjugale. Hymne naïf mais non dénué de talent et d’intérêt, n’en déplaise aux grognons. L’inspiration n’est peut-être pas très renouvelée, depuis Ronsard, mais elle a fait ses preuves et ces « Mille cailles / Chantent, chantent dans le thym », ces alouettes, ces champs de blé mûr et sa Mie endormie encore appartiennent bel et bien à la meilleure veine poétique de notre littérature : celle qui exalte, en sus des amours campagnardes, l’opulence dorée de nos plaines.
Pourquoi davantage mépriser ces vers : « L’étang reflète, / Profond miroir, / La silhouette / Du saule noir / Où le vent pleure. » Veine classique et qui a fait ses preuves, dont l’imagerie est aussi celle de nos chansons folkloriques.
L’orage viendra des Ardennes, en 1871, sous les traits d’un adolescent de Charleville : Arthur Rimbaud. Pour lui, subjugué, Verlaine va tout quitter : Paris, Mathilde et l’enfant qu’elle attend… Partir en Angleterre… Lugubre retour du bâton : Paul, qui battait sa mère, est quotidiennement rossé par son cher Arthur… A bout de souffrance amoureuse et physique, Verlaine s’enfuit jusqu’en Belgique, menace, en l’air, de s’engager dans la guerre contre les partisans de Don Carlos en Espagne, ou, plus vraisemblablement, de se suicider.
Il supplie Mathilde de le rejoindre à Bruxelles. « De ses deux mains blanches », l’épouse délaissée déchire impitoyablement ce coeur qui, contrairement aux affirmations du propriétaire, s’est avisé de battre pour quelqu’un d’autre que sa femme. C’est Arthur qui arrive et recommence à agonir son compagnon d’insultes et de méchancetés.
En proie à un accès de folie meurtrière mêlé d’une jalousie féroce, Verlaine, qui a acheté un revolver, tire sur Rimbaud et, heureusement, le manque… Terrifié, Arthur dénonce son assassin potentiel à la police… Paul Verlaine est condamné à deux ans de prison. Si son incarcération sonne le glas de sa vie conjugale, elle ouvre devant l’homme et devant le poète une ère de rédemption qui laissera croire, un temps, que le pauvre Paul est sauvé. Il se convertit.
À l’inspiration religieuse, aux fresques historiques se superposent de claires images de nature ; celles, précisément, que lui ont dérobées les murs de sa cellule. « Elle voulut aller sur les flots de la mer / Et comme un vent bénin soufflait une embellie / Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie. » « Des oiseaux blancs volaient alentour mollement / Et des voiles au loin s’inclinaient toutes blanches. »
Il rêve au Grand Siècle
Il rêve au Grand Siècle, au soleil couchant sur Versailles et à ces beaux esprits d’alors qui « Le printemps venu, prenaient un soin charmant / D’aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses. » Dans une comparaison empruntée à Chateaubriand et au “Génie du christianisme”, Verlaine, dans “Sagesse”, met en parallèle la douleur païenne et la douleur chrétienne à leur paroxysme : les mères confrontées à la mort de leurs enfants. AÀl’Antiquité. le poète reprend les deux figures fameuses de la vieille Hécube, la reine de Troie qui a vu périr ses cinquante fils et ses cinquante filles, et de Niobé, l’audacieuse dont l’orgueil imprudent avait osé, la vouant ainsi au trépas, trouver sa propre progéniture plus belle que celle de Latone… Mais Hécube « court le long du rivage / Bavant vers le flot écumant / Hirsute, criarde, sauvage / La chienne littéralement. » Quant à Niobé, « elle meurt dans un geste fou », définitivement inhumaine. En contraste, Verlaine trouve le ton juste pour évoquer la Mater dolorosa incarnant, au coeur de son oeuvre de Corédemptrice, toute la peine sublimée de l’humanité rachetée. « La douleur chrétienne est immense. / Elle, comme le coeur humain / Elle souffre, puis elle pense / Et, calme, poursuit son chemin. / Elle est debout sur le calvaire / Pleine de larmes et sans cris ». Qu’importe, alors, que Paul Verlaine, dans les années qui suivirent, soit retombé dans ses vices ? qu’il soit mort misérablement, dans le galetas d’une prostituée qui avait fini par le recueillir ?
Une apologie sereine du catholicisme
Cet ivrogne halluciné, cette brute homosexuelle, avait, presque toute sa vie et dans presque toute son oeuvre, communié à l’inépuisable fond où puisèrent nos plus grands auteurs : cet univers gai et triste, bucolique, un rien artificiel ; mais aussi, mais surtout, cette apologie sereine du catholicisme, ces vêpres rustiques, ces Vierges en pleurs. C’est pourquoi résonne encore sur sa tombe cette invitation éperdue : « Agneau de Dieu, qui sauves les hommes / Agneau de Dieu qui nous comptes et nous nommes / Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes / Donne-nous la paix (…) »
par Anne Bernet Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 1 du 21 avril 1993
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Identité Nationale. Du sentiment à la conscience, de Jean-Michel Thouvenin
Extrait - « Il est hors de question de nous islamiser pour complaire à une immigration dont j’attends toujours qu’on me prouve qu’elle est une chance pour la France ».Entretien avec Jean-Michel Thouvenin, auteur de « Identité nationale. Du sentiment à la conscience » (éditions L’Æncre). Propos recueillis par Fabrice Dutilleul.Votre essai ne va pas manquer de faire grincer les dents. Pourquoi prendre le risque de relancer aujourd’hui un débat aussi controversé que l’identité nationale ?Parce que les Français sont restés sur leur faim en 2010, les bien-pensants s’étant violemment opposés à ce thème à même de froisser une certaine immigration dont on a coutume de ménager la susceptibilité ; et parce que la raison qui a suscité ce débat hier est plus que jamais d’actualité.Quelle est cette raison ?Le sentiment prégnant que notre identité s’étiole au moment où il faudrait qu’elle se renforce. Dans un contexte où les instances politiques et économiques internationales rongent peu à peu notre souveraineté, nous sommes en butte à une immigration de peuplement qui non seulement s’intègre mal, mais, qui plus est, impose progressivement ses coutumes, sa langue, sa morale, ses rites… grâce à notre lâcheté et à nos renoncements. Est-il acceptable de retirer toute nourriture à base de porc dans certains aliments et dans des cantines afin de ne pas heurter des « Français » récents ?Ne craignez-vous d’être taxé d’islamophobie et de xénophobie ?Les « bien-pensants » de tout poil ne manqueront pas de le faire. Mais ce n’est pas être islamophobe d’affirmer que l’islam ne fait pas partie des fondements de notre identité. Par ailleurs, moi je pose sincèrement la question de la place qui reviendra à l’islam dans l’identité de la France de demain. Ça, c’est un vrai sujet que l’on ne pourra bientôt plus occulter. Ce qui est sûr, en attendant, c’est qu’il est hors de question de nous islamiser pour complaire à une immigration dont j’attends toujours qu’on me prouve qu’elle est une « chance pour la France ».Votre livre accorde une place prépondérante à l’Histoire et à ce que vous appelez « la religion historique »… Qu’apportez-vous d’original au débat ?Je rappelle d’abord que l’on ne doit pas confondre une France millénaire avec la République. La première est chrétienne, la seconde est héritière d’une révolution régicide et déicide qui a voulu effacer totalement le passé. Or l’Histoire de son pays est un des fondements de l’identité d’une Nation. Donc, ne s’en référer qu’à la République était une erreur. Je profite de ce chapitre pour stigmatiser au passage la déchristianisation avec ses conséquences en termes de morale, d’éthique, de perte de repères.À cette occasion, vous dénoncez les délinquants, les profiteurs et les doctrinaires qui les défendent, non sans un humour parfois acerbe…On peut traiter de sujets sérieux sans se croire obligé d’être sinistre. Moi, je vis mes convictions et ma foi avec enthousiasme. Tant mieux si cela transparaît dans mes écrits !En ce qui concerne l’originalité de mon livre, j’explique que l’on a eu tort de définir l’identité nationale à partir des droits de l’homme, de la démocratie et de la laïcité. Si l’on peut à juste titre être fier de certaines valeurs, celles-ci restent universelles et n’ont pas vocation à fonder notre identité. La France n’est pas un agrégat d’idéologies et de concepts.D’où quelques formules percutantes…Je fais partie de ces Français qui sont exaspérés que les notions de droit et d’égalité soient magnifiées au point que l’on en fasse de nouvelles religions avec leurs cohortes d’intégristes et de fondamentalistes. Il en va d’ailleurs de même pour la laïcité ce qui, vous en conviendrez, est un comble !Votre dernier chapitre trahit votre amour passionné pour la Patrie. Changeant de style, vous allez jusqu’à écrire que la France, on peut l’aimer de façon « charnelle ». N’avez-vous pas l’impression d’aller trop loin ?Au diable les intellectuels glacés qui voudraient faire de la France un laboratoire à doctrines. « Du sentiment à la conscience », avons-nous choisi pour titre. Tout commence donc par de l’amour et de la fierté pour finir par une conscience collective chargée d’espoir. C’est avec cette appréhension des choses que l’on peut vraiment parler d’identité nationale.Identité nationale. Du sentiment à la consciencede Jean-Michel ThouveninPréface du général Henri Pinard Legry174 pages, 23 eurosÉditions L’ÆncreCollection « À nouveau siècle, nouveaux enjeux »dirigée par Philippe Randa.