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culture et histoire - Page 1950

  • Tribune libre : Démystifier le "choc des civilisations"

    Des événements tels que la parution des caricatures du prophète publiées par Charlie Hebdo et le film L’Innocence des Musulmans relancent régulièrement le débat sur un potentiel "choc des civilisations". Celui-ci tend souvent à être réduit à un simple affrontement entre un Occident sécularisé et un monde musulman tenté par le fanatisme religieux.

    Pourtant, la pensée du créateur du concept, Samuel Huntington (1), s’avère être beaucoup plus complexe : il n’a nullement la volonté de réduire les relations internationales à ce simple phénomène et ne prophétise en aucun cas un inéluctable affrontement entre ces civilisations. L’auteur lui-même invitait donc à relativiser son propre concept et les presque deux décennies qui se sont écoulées depuis sa parution confirment d’ailleurs que ses prévisions se sont révélées en grande partie aléatoires. 

    Pour Samuel Huntington, le choc des idéologies (nazisme, communisme, capitalisme) a été un accident dans l’histoire : les civilisations sont condamnées à s’affronter et le concept de choc des civilisations explique la majeure partie des relations internationales. Il le définit cependant comme un paradigme permettant de simplifier les relations internationales pour se raccrocher à un modèle mais, comme il l’affirme lui-même, ce modèle n’a pas vocation à tout expliquer. Un parallèle peut être fait avec le concept de guerre froide : la majeure partie des relations internationales se sont inscrites dans ce concept de 1945 à 1989 mais de nombreux éléments, par exemple les décolonisations, ne s’y inscrivent que partiellement ou même pas du tout.

    En outre, l’ouvrage de Samuel Huntington ne se limite en aucun cas à une dichotomie entre Occident et monde musulman. S’il définit neuf civilisations différentes, de manière d’ailleurs relativement douteuse puisqu’il se borne au critère religieux, les potentialités conflictuelles entre la Chine et les Etats-Unis sont selon lui bien plus préoccupantes.

    Ainsi, réduire toute question relative aux relations entre l’Occident et le monde arabe, voire à l’ensemble des relations internationales, uniquement au choc des civilisations revient à une réduction simplificatrice de la pensée de l’auteur du concept

    Par ailleurs, le choc des civilisations n’a nullement le caractère belliqueux qu’on tend abusivement à lui prêter. Samuel Huntington appelait ainsi les Occidentaux à se méfier de leurs tendances à l’universalisme : "La croyance occidentale dans la vocation universelle de sa culture a trois défauts majeurs : elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse". C’est pourquoi, logiquement, la meilleure façon selon lui d’éviter ce choc des civilisations était de pratiquer une politique de non-ingérence dans les autres civilisations. On est là bien loin du "wilsonisme botté" des néoconservateurs américains ! 

    En dehors de la nécessaire relativité à prendre suite à la lecture de l’ouvrage d’Huntington, on peut également s’apercevoir que 16 ans après sa parution, nombre de ses prévisions se sont révélées hasardeuses.

    Ainsi, Samuel Huntington estimait que l’explosion démographique du monde musulman génèrerait un stress social lui-même facteur d’accroissement de l’emprise de la religion sur les sociétés. Si effectivement la plupart des pays musulmans disposent encore d’une population jeune, ils sont cependant en passe de réaliser leur transition démographique (par exemple, le taux de fécondité de l’Iran est largement inférieur à celui des Etats-Unis).  Et, comme le souligne Emmanuel Todd (2), c’est peut-être justement cette transition démographique, entrainant une émancipation des femmes et un accroissement de l’éducation des plus jeunes, qui génère un stress interne aux sociétés musulmanes dans lesquelles, en conséquence, les pouvoirs traditionnels et religieux se retrouvent confrontés à une érosion de leur influence. Ce phénomène s’en trouve démultiplié par ce qu’Amin Maalouf (3) décrivait en 2009 comme étant une crise de légitimité interne liée à l’autoritarisme des régimes politiques en place, conduisant par la suite au fameux Printemps arabe. Car finalement, cette "crise" est bien plus interne à ces sociétés que tournée contre l’Occident : les victimes du fanatisme religieux sont bien plus nombreuses chez les musulmans que chez les occidentaux tandis que l’immense majorité des musulmans établis dans des pays occidentaux adhère massivement à la sécularisation de la société. 

    Ainsi, le "choc des civilisations" ne peut être considéré, au mieux, que comme un paradigme permettant de donner une clé de compréhension partielle et imparfaite des relations internationales. Il ne saurait être considéré comme un concept absolu, d’autant plus que dans ce cadre il pourrait bien prendre un aspect auto-constructiviste (4). Le sage conseil d’Amin Maalouf prend alors tous son sens : "Toute théorie de l’Histoire est fille de son temps ; pour comprendre le présent, elle est fort instructive ; appliquée au passé elle se révèle approximative, et partiale ; projetée vers l’avenir, elle devient hasardeuse, et quelques fois destructrice." (5)

     Cdt Alain MESSAGER http://www.theatrum-belli.com

    Ancien stagiaire de l’Ecole de guerre (2011-2012), le commandant Alain Messager suit actuellement une formation de master spécialisé "management de la maintenance" à l’Ecole nationale supérieure des Arts & Métiers dans le cadre de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique (EMSST). Il s’exprime ici à titre personnel. 

    NOTES : 

    (1) Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Odile Jacob 1996.

    (2) Emmanuel Todd, Après l’empire, Folio 2004.

    (3) Amin Maalouf, Le Dérèglement du monde¸ Le Livre de poche 2009.

    (4) Cf. Tzetan Todorov, La peur des barbares,

    (5) Amin Maalouf, Ibid., page 269.

  • Pour une Europe iconoclaste

    Depuis octobre 2006 paraît tous les deux mois la revue politique et culturelle, nationale et identitaire, Synthèse nationale dirigée par Roland Hélie. Disposant d’un site Internet et tenant une manifestation annuelle de rencontres, d’échanges, de discussions et de réflexions dans la capitale, voilà qu’elle dispose dorénavant d’une maison d’éditions. Celle-ci vient de publier un ouvrage collectif d’auteurs français, espagnols, belges et hongrois. « Ce livre, écrit Roland Hélie, publié à l’occasion de la VIe Journée nationale et identitaire organisée par Synthèse nationale le 11 novembre 2012 à Paris » rassemble les réponses à quatre principales questions que leur pose le directeur du bimestriel.

     

    La palette des intervenants est large. Elle témoigne de la diversité, de l’hétérogénéité même, du courant national et identitaire. On a la surprise de ne compter que 28 signatures, mais trente est un nombre rond plus satisfaisant. En plus, il faut prendre en compte l’introduction de Roland Hélie et le trentième point de vue est nécessairement celui du lecteur. Si l’on établit une typologie – sommaire et un peu grossière – des tendances qui s’y expriment, on remarque que le royalisme n’a qu’un seul représentant : Franck Abed. Les nationaux sont cinq (Francis Bergeron, Pierre Descaves, Bruno Mégret, Martin Peltier et Jean-Claude Rolinat), huit proviennent de la « nébuleuse néo-droitiste » (Gabriele Adinolfi, Patrick Parment, Philippe Randa, Gilbert Sincyr, Robert Spieler, Pierre Vial et deux rédacteurs réputés d’Europe Maxima, Pierre Le Vigan et Georges Feltin-Tracol), neuf du nationalisme sous toutes ses facettes (Serge Ayoub, Thibaut de Chassey,  André Gandillon, Olivier Grimaldi, Pieter Kerstens, Luc Pécharman, Alain Renault, Hervé Van Laethem et Gabor Vona, le président du Jobbik hongrois) et cinq sont hors-catégorie (Lionel Baland, Nicolas Gauthier, Dr Bernard Plouvier, Enrique Ravello) ainsi qu’un conservateur naïf, Marc Rousset, qui plaide pour l’espéranto comme langue de la construction européenne !

     

    Comme il est habituel dans ce genre de livre, les réponses sont variées et inégales tant par leur pertinence que par leur qualité. On est en revanche heureusement surpris par la volonté de tous de remédier à la panne (à l’impasse ?) européenne. Si, pour Alain Renault, « la question “ européenne ” n’est plus seulement géographique mais avant tout biologique » du fait de l’immigration de peuplement, Patrick Parment constate que « les partis sont des gestionnaires de carrière », donc les premiers responsables de la nullité politique, alors que Franck Abed affirme avec justesse que « la République en France est le parti de l’étranger ».

     

    Immigration et domination des formations politiciennes favorisent dans les faits un « désarmement moral, énonce Francis Bergeron, [qui] se juxtapose ou se confronte à l’expansionnisme idéologique (islam), territorial (immigration extra-européenne), démographique (forte natalité d’un côté, valorisation de l’avortement et de l’homosexualité de l’autre), moral (vision optimiste et dynamique, volonté entrepreneuriale d’un côté, et le “ tous fonctionnaires ”, de l’autre) ». Plus qu’économique, le mal qui frappe l’Europe est surtout existentiel. Notre continent « se trouve aujourd’hui au bas de l’échelle, dominée par n’importe quel État d’Asie, tout juste bonne à servir de musée et de parc d’entertainment aux touristes du monde, s’indigne Martin Peltier ». « Une civilisation meurt, ajoute Pierre Le Vigan, quand ses élites ne comprennent pas la nature d’un processus en cours, ou quand elles en sont complices – ce qui est le cas. Les élites sont le moteur du productivisme effréné, de la mondialisation capitaliste, de la consommation et consumation de la planète par l’homme. »

     

    Par ailleurs, « l’Europe de Bruxelles, qu’il faut considérer comme illégitime car elle ne correspond pas à la volonté des peuples européens, bernés et domestiqués par un conditionnement mental permanent, subit les conséquences de sa dépendance à l’égard des forces mondialistes, estime Pierre Vial. Elle paie le prix de la perte de sa liberté ». Plus définitif encore, Enrique Ravello affirme que « l’actuelle Union européenne est le plus grand ennemi de l’Europe ainsi que des peuples et des pays qui la constituent : elle est mondialiste, néo-libérale et soumise aux États-Unis ». Cette américanisation des esprits lobotomisés fait dire à Nicolas Gauthier qu’« en tant qu’Européen de l’espèce maurrassienne, je me sens plus chez moi à Téhéran qu’à New York ».

     

    Paradoxalement pourtant, la crise actuelle de l’Europe est plus que nécessaire, elle est même salutaire. « Par “ crise ”, rappelle Gabriele Adinolfi, nous entendons ce que le mot signifie au sens étymologique, c’est-à-dire passage, transformation, ou si vous voulez, un changement radical guidé du haut. » Le sursaut réclamé se traduira par une « Reconquête, prévient Robert Spieler, [qui] sera, sur tous les plans, européenne ou ne sera pas ». « L’Europe que nous voulons, déclare pour sa part Gilbert Sincyr, pourrait se définir en trois mots : identitaire, autonome et solidaire. » Le Vigan confirme le propos en prévenant qu’« il est temps de réhabiliter le local car l’universel qui prétendrait se passer du local tuerait la vie elle-même de sa chair ». « La fin de l’État-nation et de la démocratie (Adinolfi) » favorise la renaissance du local. « Face à la restructuration dirigiste, mondialiste, esclavagiste, classiste, supranationale, il est possible seulement de recréer l’organicité sociale à la base et d’agir pour que le changement en cours soit ancrée dans le local et encore pour que le local fasse aussi fonction de freinage dans la course culturelle et politique permettant qu’une souveraineté continentale, expression d’identités locales, surgisse à la place de la dimension cosmopolite (Adinolfi). »

     

    Les contraintes du réel invitent à procéder par paliers successifs. « Le souverainisme national ne me paraît pas tenable à long terme, mais il peut être une étape avant de construire une Europe autocentrée, un protectionnisme européen, une maîtrise européenne des frontières, un souverainisme européen en d’autres termes, pense Le Vigan. » Si le cadre de l’État-nation fait défaut, agissons autrement. Pour Serge Ayoub, « Troisième Voie se concentre essentiellement sur la formation d’une communauté des travailleurs aptes à faire face à la crise. La B.A.D. (Base autonome durable), la pénétration syndicale, l’autonomisation économique par rapport au système, voilà des réponses adéquates à la situation économique que la France va affronter ».

     

    L’action doit prendre de nouvelles formes. Gabriele Adinolfi nous suggère de « procéder dans un esprit néo-sorelien, mais aussi néo-gibelin, à la création de coopératives liées à des territoires donnés et aux catégories sociales. Il faut envisager la création de caisses d’épargne ou de banques de secours mutuel qui financent la production par les investissements des classes productives elles-mêmes. » L’objectif doit tendre vers « une Europe identitaire et solidariste (aux bons sens des termes) [qui] est la seule solution pour pouvoir sortir de cette crise », affirme Hervé Van Laethem qui juge que « seule une troisième voie économique entre le libéralisme sauvage et le dirigisme socialiste pourra nous sauver de ce qui s’annonce comme une tragédie sociale. Et seule une idéologie profondément anticapitaliste, comme l’est le solidarisme, permettra de mettre en place une telle politique ». Cette troisième voie est aussi défendue par Georges Feltin-Tracol qui assure que « notre Europe saura concilier la puissance et la décroissance et s’inspirera de l’expérience de Fiume avec Gabriele d’Annunzio, du modèle suisse et de l’exemple de la Corée du Nord ! ».

     

    Ce livre impose finalement une « certitude, croit Roland Hélie : la fin de notre civilisation et de notre identité ne sont pas une fatalité ». Espérons que nos compatriotes européens prendront conscience des périls et riposterons le moment venu.

     

    Bastien Valorgues http://www.europemaxima.com/

     

    • Sous la direction de Roland Hélie, Face à la crise : une autre Europe ! 30 points de vue iconoclastes, Les Bouquins de Synthèse nationale (116, rue de Charenton, F – 75012 Paris), 2012, 163 p., 18 €.

  • De F. Mitterrand à F. Mitterrand

    Lorsque Cyril Collard, l'auteur du livre et du film « Les Nuits Fauves» était mort du SIDA, François Mitterrand avait écrit à ses parents : « votre fils est un exemple pour la jeunesse française ». Il n'y avait pourtant dans le livre de Cyril Collard que des descriptions de parties de sodomie avec des maghrébins. François Mitterrand n'avait quand même pas songé à en faire un ministre de la culture pour tous ses faits d'arme. Sarkozy l'a fait avec son neveu puisque le livre « La Mauvaise Vie » n'est qu'un réchauffé du livre de Cyril Collard où s'exprime tout le masochisme que peut parfois éprouver un homosexuel, ce qui rappelle aussi Michel Foucault  qui allait dans des bordels américains pour assouvir toutes ses turpitudes masochistes que par pudeur nous ne décrirons pas.
    Comme Sarkozy n'a dans le fond aucune vision politique ou culturelle pour la France, il s'était cru malin de faire un coup médiatique en accrochant à son blason le nom de Mitterrand. Il a sans doute pensé que cette affaire ne lui avait pas fait assez de tort et il a donc ajouté l'affaire de son fils.
    Le Président parait-il ne boit pas d'alcool, mais il n'en a pas besoin car le pouvoir rend ivre. Il a pensé détenir le pouvoir absolu comme Néron nomma son cheval consul. Son fils au dernier moment a fait marche arrière sur les recommandations de son père et surtout des sondages.
    Sarkozy est-il de droite ? Rien que poser la question est déjà montrer que la réponse est problématique.
    Il ne faut pas oublier que Sarkozy comme Balladur vient de l'Orient et n'a pas les mêmes codes que les politiciens français traditionnels. Thierry Desjardin, ancien rédacteur en chef du Figaro, trouvait que le Président avec ses Ray-Ban ressemblait à un proxénète levantin. La trahison et la fourberie font partie de leur culture politique. Toute la carrière politique de Sarko a été l'application de cette sourate du Coran : « baise la main que tu ne peux mordre ». Récompenser les traîtres devient monnaie courante sous le Sarkozisme. La fameuse division ami/ennemi chère à Carl Schmitt pour décrire la politique n'a plus guère de sens. L'exemple achevé du traître est Eric Besson. Après avoir trahi son camp et baisé la main de Sarkozy, il a abandonné sa femme pour une jeunette tunisienne de 22 ans. Pour se dédouaner et cacher sa honte, n'a-t-il pas déclaré que combattre le Front National l'avait toujours excité au plus haut point ! Cela n'empêche pas son ex femme dans son malheur de crier vengeance dans tous les médias et sur tous les plateaux de télé ou de radio. Il faut reconnaître que les ministres de l'ouverture savamment choisis par un génie de la politique font du bruit avec leur vie privée.
    Au milieu de toutes ces affaires sordides, la seule constante économique importante est le chômage. La crise est finie, répètent les cyniques ou les imbéciles heureux. Tout va donc pour le mieux sauf si vous êtes au chômage, mais les chômeurs ont-ils de l'importance ? Mauriac disait « ce qui arrive aux autres est sans importance ».
    La Rochefoucauld allait encore plus loin dans cette vision : « Les hommes ont assez de force pour supporter les maux des autres ». Voilà dans les faits comment est pensée la question du chômage.
    En politique, la symbolique est parfois plus importante que la chose en elle-même comme dans l'affaire « Jean Sarkozy ».
    Il faut aussi reparler de la nouba du Fouquet's où le Président élu avait invité tous les « pétés de thune » de France ou d'ailleurs. Il faut souligner que lorsque François Mitterrand avait déposé une gerbe de fleurs sur la tombe de Jean Moulin une fois élu, cela avait infiniment plus de classe et d'allure sur le plan politique même pour ceux qui n'aimaient pas Mitterrand ou la symbolique du Panthéon, ce cimetière de francs-maçons.
    Cette boum ou surprise partie au Fouquet's n'annonçait rien de bon pour la France où de façon officielle on célébrait pour la première fois sans vergogne la religion du veau d'or.
    Patrice GROS-SUAUDEAU

  • Des droits contre l'homme

    On trouve dans les déclarations de 1789 et de 1948 des articles qui sont l'aboutissement d'une tradition de jurisprudence. Ce que nous condamnons, c'est la fausse conception de l'homme dans laquelle ces articles se trouvent insérés et qui a inspiré quelques autres articles réellement condamnables.
    L'exemple d'une déclaration des droits avait été donné dès 1778 par les auteurs de la Déclaration d'indépendance des États-Unis, mais au moins désignaient-ils Dieu comme l'auteur des droits inaliénables. Les Constituants français de 1789, eux, se sont contentés dans le préambule de placer leur déclaration « en présence et sous les auspices de l'Être suprême », ce qui ne les engageait à rien...
    Libres et égaux...
    L'article 1er est sot : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Maurras l'a fait remarquer : l'homme laissé libre, donc seul, en venant au monde n'aurait aucune chance de vivre. La naissance est un beau spectacle d'autorité nécessaire et d'inégalité protectrice. D'ailleurs, liberté et égalité sont un couple impossible : là où la liberté est illimitée, les forts écrasent les faibles ; là où l'égalité règne, il faut obliger tout le monde à passer sous la même toise...
    La déclaration de 1948 corrige très légèrement cette conception abstraite de l'individu. Elle remplace « hommes » par « êtres humains » (art. 1). Ils ont donc un être et ne sont plus de simples atomes, ils ont une « dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine » (préambule). Mais leurs « droits égaux et inaliénables » sont, dans l'énoncé, juxtaposés à cette dignité ; ils ne sont pas explicitement fondés en elle. Donc on est toujours dans l'individualisme comme en 1789.
    Le conflit institutionnalisé
    L'article 2 de 1789 est un brûlot : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. » C'est du pur Rousseau : chacun est sur terre pour y chercher sa satisfaction personnelle, il ne doit obéir qu'à lui-même, donc ne se lier à la société que dans la mesure où il y trouve son intérêt, selon les termes d'un "contrat social".
    Les droits dits « de l'homme et du citoyen » doivent être compris comme ceux du citoyen en tant qu'homme, non ceux de l'homme en tant que citoyen. Car "l'Homme", dans la nation, n'est plus héritier (débiteur), mais créancier (sujet de droits).
    Le rôle de l'État devient alors de conserver à tous cette possibilité pour chacun de ne vivre que pour et selon soi. Il sort ainsi de sa mission traditionnelle qui est de gérer le bien commun par-dessus les biens particuliers, et toute question politique ou sociale se trouve posée en termes de droits, donc dans un climat conflictuel. Résultat : des lobbies peuvent s'organiser pour paralyser l'État. Sans compter qu'une société où tout est droits voit se multiplier les déprimés, les aigris, les névrosés, ceux pour qui toute malchance est une injustice. Allons plus loin : comment une société fondée sur le droit de vivre chacun pour soi peut-elle faire comprendre aux immigrés que s'intégrer à une nation, cela se mérite ?
    Vient ensuite (toujours en 1789) la liste des « droits ». D'abord la liberté, posée sans complément, donc comme un absolu. C'est oublier que la liberté ne vaut que par l'usage que l'on en fait. De cet oubli découle la mise sur le même plan de « toutes les opinions ». (« Mêmes religieuses », précise l'article 10, comme si la religion n'était rien de plus qu'une opinion !... La Terreur n'était pas loin.)
    Suivent, entre autres droits, la liberté de parler et d'imprimer, puis la propriété, tous droits mieux garantis par le Décalogue (Tu ne mentiras pas, tu ne voleras pas...) que par une déclaration qui en est la caricature. Déclarer la propriété comme un droit absolu, et non par rapport au bien commun, donc sans responsabilités sociales, est source de graves conflits.
    La liberté selon la déclaration de 1948 est apparemment plus réaliste. Elle parle des droits de la famille (art. 16), du droit des parents de choisir le genre d'éducation pour leurs enfants (art. 26), mais ce même article dit que l'éducation doit former au respect des Droits de l'Homme, ce qui n'est pas une garantie contre une école étatique imposant son idéologie.
    Quant à la liberté de religion et de culte, fondée sur le droit individuel, elle est plus celle de « changer de religion » (art. 18) que celle de rester ferme dans sa foi envers et contre tout. Cet article peut aussi bien être invoqué pour réclamer la liberté du culte que pour obliger un peuple à renoncer à toute référence religieuse. On comprend pourquoi les États communistes n'ont jamais eu de difficulté à adopter les fameux Droits de l'Homme...
    Le lit d'Hitler
    Signalons en outre que la déclaration de 1948 énonce le « droit à la vie » (art. 3), juste avec le droit à la liberté et à la sûreté de la personne, mais là encore dans un contexte individualiste, ledit droit à la vie peut tout aussi bien servir à défendre l'enfant à naître qu'à ériger la vie elle-même en un droit dont on peut user à sa guise, voire en décidant pour soi-même ou pour les autres à partir de quand la vie commence ou cesse de mériter d'être vécue. Quand le droit à la vie est égal au droit à la liberté, donc fermé à toute référence transcendante, la qualité de la vie prend le pas sur le sens de la vie, et cette vie n'est plus protégée réellement contre l'avortement, l'euthanasie, et toute forme d'eugénisme.
    Venons-en à l'article 3 de la déclaration de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. » Un chef-d'oeuvre d'abstraction démentielle. Attention, ce texte n'a rien de "souverainiste" : quand le peuple est souverain, la nation n'est pas comprise comme la communauté historique de destin, elle est le peuple en corps dressé face au roi qui en août 1789 n'en était déjà plus la tête. De la très rousseauiste « volonté générale » (art. 6) massifiée, tout doit "émaner".
    Alors, tout reposant sur l'individu, il faut détruire ou affaiblir les organismes naturels (familles, paroisses, corporations, provinces qui encadraient l'individu) pour ne plus laisser subsister que l'État, centralisateur à outrance, seul habilité à définir la liberté. Cela afin que chacun, n'ayant plus de lien particulier, puisse être "vertueux" et se fondre dans la volonté générale. Déconnecté des forces vives où il puisait sa sève, le citoyen a dès lors vocation à être interchangeable, et bientôt "mondialisé".
    Le joug collectif
    Écrasant ainsi les individus concrets sous le joug d'une entité collective, cet article 3 a été dès 1792 une machine de guerre contre tout pouvoir ne venant pas d'en-bas (le roi, les prêtres, les nobles, les pères de famille).
    L'article 6 allait dans le même sens en accordant les dignités à des citoyens « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » : comme aucune transcendance n'est plus reconnue pour juger des critères de la "vertu" ou de la pureté de tel individu ou groupe, cela peut déboucher sur une espèce de république des purs ou des génies, voire sur le culte du surhomme et de la race supérieure, comme sur toutes formes de populicides. Car la "volonté générale" peut facilement devenir celle des purs, de ceux qui se sont le plus dépouillés d'eux-mêmes pour coller à l'idéologie du moment. Des bourreaux de la Vendée à Hitler, les Droits de l'Homme ont déjà une morbide postérité.
    La déclaration de 1948 se contente de remplacer « volonté générale » par « volonté du peuple » (art. 21), et de préciser qu'il faut des élections libres... Elle ne corrige rien de fondamental. Disons même qu'elle sacralise à outrance les Droits de l'Homme, devenus « la conscience de l'humanité », « l'idéal commun à atteindre par tous les peuples » (préambule) . Donc une super-religion qui n'a rien d'une chance pour l'avenir du monde...
    MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 décembre 2008

  • deux contrepoisons : la philosophie existentielle et l’enracinement national

    Quelles sont les armes idéologiques à la disposition de ces forces pour libérer le peuple de l’emprise du « Gestell ». Nous allons étudier quatre armes : la philosophie existentielle, l’idée de Nation, l’information expérimentale et la tradition religieuse de l’Occident. Ces quatre armes correspondent aux quatre causes de la métaphysique d’Aristote : cause formelle, cause matérielle, cause motrice et cause finale.

    1/ La philosophie existentielle
    La philosophie existentielle a des précurseurs comme Saint Augustin ou Pascal. Mais elle s’est développée plus tardivement en réaction contre la philosophie des Lumières centrée sur les prétentions du « moi » et de la « raison » de fonder tout le savoir et toute l’action humaine. Ce sont ces prétentions qui ont conduit peu à peu au système du Gestell qui a réduit les hommes à devenir de simples matières premières du système techno-économique.
    En général, on considère que le fondateur des philosophies existentielles est le danois Kierkegaard. Kierkegaard prenait partie pour l’individu contre le déterminisme historique de Hegel. C’est le philosophe « anti-système » par excellence. On peut citer aussi Nietzsche, Heidegger et Patocka. Tous ces philosophes distinguent la vie authentique de l’homme libre de la vie inauthentique de l’homme asservi à un système. Ce sont des philosophes de la libération et du retour aux sources, autrement dit de l’enracinement. Nous allons nous en tenir au plus grand d’entre eux, à notre avis, Martin Heidegger.

    Le Gestell
    Heidegger a parfaitement identifié l’adversaire du peuple qui n’est pas un homme mais un système avec une gouvernance oligarchique, celle du Gestell.
    Notre monde actuel est caractérisé par la domination sur les hommes du « Gestell », terme utilisé par Heidegger pour désigner le système de mobilisation des hommes et des choses dans une perspective uniquement utilitaire. Ce système s’est développé exclusivement en Occident et s’est ensuite étendu au monde tout entier mais c’est l’Occident qui lui est le plus soumis, en l’absence de traditions contraires dues à des cultures différentes.

    Que devient l’homme dans le système du Gestell ?
    L’homme voit niée son essence qui consiste en l’ouverture à l’être, exprimée par la méditation sur le sens de la vie. L’homme du Gestell ne médite plus, il ne fait plus que calculer. Il vit « le nez dans le guidon » en se consacrant exclusivement à des tâches de production et de consommation. Son cerveau rationnel est voué au calcul et son cerveau reptilien est voué à l’Erlebnis, c’est-à-dire la satisfaction instinctive vécue dans l’instant. Il n’est plus qu’une « bête calculatrice », décrite par Ernst Jünger comme « le travailleur ». Il travaille « bêtement ». Il est étranger à la « Stimmung » la tonalité fondamentale affective qui baigne l’existence humaine douée de sens. Autrement dit, l’homme est menacé de perdre son humanité même. Il est pour le Gestell la plus importante des matières premières.

    Que deviennent les libertés ?
    Pour être une parfaite matière première, il est nécessaire que les hommes soient égalisés, interchangeables. Cet objectif inhumain n’est jamais présenté comme tel mais est paré des belles apparences de la lutte pour l’égalité et contre les discriminations. Cette lutte conduit directement à la réduction des libertés. Le Gestell tue ce qui reste de liberté humaine. Ce fut évident sous les formes totalitaires du communisme et du fascisme. Mais de façon plus insidieuse, on arrive métaphysiquement au même résultat dans les sociétés occidentales actuelles prétendument libérales. Le système utilise l’égalitarisme pour tuer la liberté.

    Que devient la démocratie ?
    Dans le système du Gestell, la démocratie est vidée de son sens au profit de la « gouvernance oligarchique ». Cette gouvernance s’attache à faire en sorte que l’homme soit soumis aux quatre idoles que sont la technique, l’argent, la masse et l’ego qui assurent la permanence de la domination du Gestell.

    Que devient l’égalité ?
    L’égalité devant la loi est remise en cause par la volonté de nivellement qui passe entre autres par les politiques dites de discrimination positive. Le mérite individuel est mis en parenthèse.

    Que devient la nation ?
    La nation est niée car elle est un élément de différenciation par les racines qui gêne l’objectif de réduire les hommes à l’état de matières premières interchangeables pour l’économie.

    Que devient la propriété ?
    La propriété est aussi un élément d’enracinement et de différenciation et gêne donc l’objectif d’uniformisation des hommes dans la masse. En pratique, la propriété authentique est remise en cause par des formes de pseudo propriétés comme celles des sociétés anonymes (le mot est révélateur) où le pouvoir est dans les mains de salariés managers qui ne recherchent que des buts de profit à très court terme. C’est le règne du « court-termisme » !

    Que devient la paix ?
    La paix a perdu son sens depuis que la guerre a été mise hors la loi. Car le mot paix n’a plus de sens si le mot de guerre perd le sien. C’est comme le jour qui n’a de sens que par rapport à la nuit ! (Héraclite). En pratique, la guerre se développe autour des objectifs du Gestell : pour le contrôle des ressources pétrolières au Moyen Orient par exemple !  Mais le discours de l’oligarchie qui gère le Gestell masque toujours la réalité au nom de « valeurs » mises en avant à des fins de manipulation. On ne dira jamais que l’on fait la guerre pour contrôler des sources d’énergie mais pour « défendre les valeurs de la démocratie » démocratie niée par ailleurs par le système de « gouvernance » oligarchique dont la commission de Bruxelles est un bon exemple.

    Que devient la sécurité ?
    Les migrations organisées par la logique du Gestell (il faut que les matières premières humaines soient totalement mobiles au moindre coût !) créent des situations de déracinement qui secrètent la délinquance et l’insécurité. Le Gestell par nature laisse prospérer le crime lorsqu’il correspond à une logique de profit à court terme comme c’est le cas avec le trafic de drogue. La morale de l’Erlebnis (plaisir instantané satisfaisant le cerveau reptilien) favorise le comportement délinquant infantile (déresponsabilisation). La morale du calcul fonctionnel comme formule de la volonté de puissance pour la puissance aboutit à la perte du sens moral fondé sur la tonalité affective. L’affectivité est un obstacle au tout calcul et au tout instinct. Dans ce contexte de déshumanisation, l’insécurité se développe partout où le Gestell est la force dominante.

    Que devient la famille ?
    La famille est un élément d’enracinement et une institution fondée sur l’affectivité donc elle a une essence contradictoire avec celle du Gestell. Ce dernier va donc la détruire sans le dire en mobilisant les forces du cerveau reptilien (soit disant liberté sexuelle) et du cerveau calculateur (l’ego au-dessus de tout). Cela entraine la chute démographique de l’Occident donc l’auto destruction du système lui-même à moyenne échéance.
    Le Gestell débouche donc sur l’inhumain. Il l’a montré avec les deux dernières guerres mondiales et avec les systèmes totalitaires. Mais le Gestell a survécu à la chute de ces derniers systèmes. Mais il n’est pas possible de construire durablement sur de l’inhumain comme les crises financières, démographiques ou autres le montrent. Le Gestell contient donc une contradiction interne qui peut permettre à l’homme de s’en libérer. Cette libération ne peut se faire que dans des crises douloureuses comme Heidegger l’a annoncé. Alors, les citoyens prennent conscience du danger contenu dans le Gestell. C’est pour l’oligarchie le « populisme ». Ce mouvement ramène l’homme à son essence au sein du quadriparti (racines, idéaux, personne humaine, retour du sacré). Tout ce qui va dans ces quatre directions contribue à libérer l’homme de la tyrannie du Gestell.
    Mais Heidegger ne pense pas que la victoire de l’identité humaine sur le Gestell se fera sans heurts. La prise de conscience permettant de sortir du Gestell ne peut se faire que par des crises et des souffrances.
    Dans le chapitre « dépassement de la métaphysique » d’Essais et Conférences[1], Heidegger écrit : « le déclin s’accomplit à la fois par l’effondrement du monde marqué par la métaphysique et par la dévastation de la terre, résultat de la métaphysique[2]. Effondrement et dévastation trouvent l’accomplissement qui leur convient, en ceci que l’homme de la métaphysique, l’animal calculateur s’installe comme bête de travail. Cette installation confirme l’extrême aveuglement de l’homme touchant l’oubli de l’être. Mais l’homme veut être lui-même le volontaire de la volonté de volonté, pour lequel toute vérité se transforme en l’erreur même dont il a besoin, afin qu’il puisse être sûr de se faire illusion. Il s’agit pour lui de ne pas voir que la volonté de volonté ne peut rien vouloir d’autre que la nullité du néant, en face de laquelle il s’affirme sans pouvoir connaître sa propre et complète nullité.
    Avant que l’être puisse se montrer dans sa vérité primordiale, il faut que l’être comme volonté soit brisé, que le monde soit renversé, la terre livrée à la dévastation et l’homme contraint à ce qui n’est que travail. C’est seulement après ce déclin que devient sensible la durée abrupte du commencement. Dans le déclin, tout prend fin. Tout c’est-à-dire l’étant dans l’horizon entier de la vérité de la métaphysique. Le déclin s’est déjà produit. Les suites de cet événement sont les grands faits de l’histoire mondiale qui ont marqué ce siècle.
    La vérité cachée de l’être se refuse aux hommes de la métaphysique. La bête de travail est abandonnée au vertige de ses fabrications, afin qu’elle se déchire elle-même, qu’elle se détruise et qu’elle tombe dans la nullité du néant ».

    Le Geviert
    Quelle est la politique qui serait celle d’un monde libéré du Gestell ? Une politique qui permette à l’homme d’habiter dans le « Geviert », le quadriparti. En effet, pour Heidegger, l’homme n’est pas dissociable de l’être et de son environnement. L’homme fidèle à son essence est inséré dans le « Geviert » dont les quatre pôles sont la terre, le ciel, la Divinité et les hommes. L’homme, pour Heidegger, est en habitant sur la terre, sous le ciel, face à Dieu et parmi les autres hommes.
    La terre, ce sont ses racines, famille, lignée, patrie. Il est « jeté » à sa naissance dans le monde et bénéficie d’un héritage terrestre envers lequel il est endetté, qu’il l’admette ou non.
    Le ciel correspond au déroulement du temps dans lequel l’homme formule un projet à partir de ses racines.
    Le Dieu face auquel l’homme se mesure donne le sens final de sa vie.
    Les hommes sont les mortels avec lesquels il vit de façon responsable. Tout ceci forme un monde sans lequel l’homme est déshumanisé. La politique de l’homme qui retrouve son essence humaine consiste à « ménager » le Geviert, à le respecter. Cela suppose de faire une place à ce qui ne se calcule pas : l’héroïsme, la générosité, l’amour du don de l’être, toutes sortes de valeurs cultivées autrefois par le clergé et l’aristocratie, mais aussi par le petit peuple, mais qui ont été reniées par les fonctionnaires bourgeois du Gestell. C’est là la part de vérité de Marx lorsqu’il écrit : « la grande bourgeoisie a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque et la sentimentalité petite bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste ».
    L’habitation dans le Geviert suppose la relativisation des quatre idoles du Gestell qui sont la technique, l’argent, la masse et l’ego au profit des racines chaleureuses, des idéaux gratuits, de la personnalité et du Sacré divin. Le ménagement du Geviert doit être conduit selon Heidegger par des personnalités dont la vocation est celle du don : le prêtre, le soldat qui est aussi homme d’Etat, le penseur et le poète.

    2/ les institutions d’enracinement : Famille, lignée, patrie, nation

    a/ La nation, socle sur lequel l’homme vient habiter.
    Je dis bien l’homme, pas l’animal. L’animal ne connaît pas la nation. L’absence de conscience nationale est de ce point de vue une régression historique, voire anthropologique. L’animal calculateur du Gestell (pompeusement appelé rationnel) ignore aussi la nation. Il n’est en effet qu’une matière première pour la production (calcul) et pour la consommation (satisfaction des instincts). Ce n’est pas étonnant car le Gestell déshumanise l’homme
    Qu’est-ce que la Nation ? A notre avis, la notion est dérivée de la « polis » grecque. Selon Michel Haar [3] , « la polis est la place essentielle de l’homme grec, l’espace où il vient à lui-même, à son histoire (..) c’est à l’intérieur de la polis que l’art, la techné, de même que la relation aux dieux, dans les œuvres, le culte, les liturgies théâtrales et les sacrifices prennent sens et trouvent place ». Aristote a pu dire que l’homme est « zoon politikon » ce qui ne veut pas dire que l’homme est politique mais qu’il est un vivant habitant une cité nation. C’est une erreur de dire de la polis qu’elle est cité état. Son essence est, comme le montre Thucydide dans la « Guerre du Péloponnèse » dans les hommes et dans les dieux. Son essence n’est pas dans le sol ni dans les lois qui définissent l’Etat. Quand Athènes change de régime politique et donc de lois, et ce fut fréquent, elle reste Athènes. Thémistocle demande au peuple d’embarquer sur les bateaux et de laisser les Perses occuper la ville. Car Athènes est là où il y a des Athéniens.

    À présent, c’est l’inverse, La France serait là où il y a l sol et les lois ; on se désintéresse des hommes et de la divinité. C’est le matérialisme du Gestell : avec un sol et des lois, on peut obtenir des résultats économiques. Par contre, les dieux sont inutiles et les hommes interchangeables. On peut dire que l’article de notre constitution qui dit que la souveraineté est dans la nation est caduc. La souveraineté a été transférée à des normes fixées par l’oligarchie sur le sol français. Le peuple ne la maîtrise plus.
    Notre conception de la nation est un produit de l’histoire, de notre histoire issue des Grecs et des romains et remaniée au fil du temps. Dire que la nation date de la révolution et n’existait pas sous Jeanne d’Arc est une aberration.
    Mais alors, si la nation est un contrepoison à l’idéologie du Gestell, qu’est-elle donc ? Pour répondre à cette question, il faut la mettre en relation avec deux événements clés qui font la vie humaine dans son essence, la vie et la mort.

    b/ Naissance et mort
    1/ Il y a comme le suggère l’étymologie, tout d’abord, un lien entre naissance et nation. La nation se compose des personnes issues par filiation des mêmes familles. C’est le droit du sang et non du sol qui est déterminant. De même, la patrie est la terre des pères. Il y a indiscutablement une connexion entre l’idée de famille et l’idée de nation. La nation est un ensemble de familles, voir de tribus. C’est la famille qui permet à la nation de survivre dans le temps. La famille dans le temps s’appelle la lignée. La cause finale de la famille est la reproduction. Le mariage n’est que la cause formelle, l’amour la cause motrice et la sexualité la cause matérielle, pour utiliser les catégories d’Aristote.

    2/ Le lien entre la mort et la nation.
    Pas de nation sans naissances donc sans familles. Pas de nation non plus sans un rapport particulier avec la mort. Pour Heidegger, l’homme est d’abord un mortel et non un animal calculateur (animal « raisonnable » n’est qu’un embellissement rhétorique pour animal calculateur). L’animal ignore qu’il mourra un jour : il ne meurt pas, il périt ! Seul l’homme peut mourir y compris volontairement. Dans le Christianisme, le Dieu meurt : c’est en cela qu’il s’est vraiment fait homme ! L’armée est une institution sacrée car elle gère la mort. C’est pourquoi il y a des monuments aux morts pour raviver le souvenir de ceux qui sont morts pour la nation. Le soldat est d’abord celui qui donne sa vie, qui offre son sang à la nation. Il n’est rien de plus haut que d’offrir sa vie pour défendre ce que l’on aime.
    Par la mort, le soldat sauve la nation. Par la naissance, la famille sauve la nation. Ces deux institutions sont pour cela sacrées, et non un simple « contrat ». Dans le Gestell, la famille est un simple contrat utilitaire, quasi commercial, et le soldat est un contractuel mercenaire. Le mercenaire peut être un étranger, non le véritable soldat, comme on le voit avec l’utilisation généralisée des mercenaires par l’armée américaine en Irak.

    C’est tout le problème de « la guerre à l’américaine » : on cherche le maximum de rendement et la notion d’honneur est évacuée comme archaïque car non purement utilitaire. Cela donne notamment le bombardement indistinct des civils et des militaires par l’aviation. Auschwitz et le Goulag furent des choses abominables mais ont été instrumentalisés pour faire oublier Hiroshima et Dresde : des bombardements massifs de villes peuplées essentiellement de vieillards, de femmes et d’enfants, non de soldats. Les crimes sont les mêmes (assassinat de civils désarmés) mais l’idéologie veut exempter les anglo-américains. De plus, dans le Gestell, tous les hommes sont interchangeables. La distinction soldat/ civil est effacée au même titre que la distinction national/ étranger ! Après tout, pour le Gestell, les civils comme matière premières participent aussi à l’effort de guerre, dans les usines par exemple, et on peut donc les tuer pour des raisons fonctionnelles.

    3/ L’habitation dans la nation.
    Heidegger insiste sur le fait que l’homme n’est pas séparable du monde qui l’entoure et qui le pénètre. Il y a co appartenance entre le monde et l’homme à travers l’être. Etre, c’est habiter. Or, l’homme habite dans la nation qui établit un lien communautaire entre l’individu et le collectif. Ce lien est affectif, comme l’a montré le sociologue Tönnies. C’est pourquoi le Gestell s’acharne à détruire ce lien, soit en le relativisant (société multiculturelle) soit en l’asséchant (tout réduire au marché et à l’échange utilitaire, élimination du don). On ne veut dans le système du Gestell n’avoir à faire qu’à des masses et des egos, ni nations, ni personnes humaines véritables.
    Michel Haar décrit bien cette situation : « le règne des masses fait partie du gigantesque, c’est-à-dire de ce par quoi le quantitatif devient une qualité propre. Il ne faut pas comprendre ce règne seulement comme un phénomène social, démographique ou politique, bien que le collectivisme ou l’américanisme en soient les manifestations les plus frappantes. La massification suppose une mutation logique du sujet qui prélude à son effacement. Le citoyen (national) d’autrefois est maintenant réprimé et embrigadé dans le Nous qui par l’intermédiaire des moyens d’information de masse normalise et standardise toutes les possibilités de décisions économiques et politiques. (..) L’homme ne subsiste plus que comme un matériau exploitable et manipulable aux seules fins de la conservation et de l’accroissement de tels ensembles
    Désormais installé sur toute la planète (..) où les conditions d’existence tendent hâtivement à s’uniformiser, l’homme habite-t-il encore quelque part ? Le « où » de son habitation semble anéanti. L’habitation est l’incarnation dans un lieu d’une relation spécifique à l’ensemble du monde. Habiter, c’est être, et être, c’est habiter. C’est pourquoi l’oubli de l’être est aussi l’oubli de l’habitation. (..) se déplaçant de plus en plus souvent et de plus en plus rapidement, l’homme tend à perdre ses attaches avec un lieu familier rassemblant son être et dont son être dépend, lieu natal ou lieu d’élection. Pourtant, ce n’est pas la planétarisation qui menace ou détruit le lieu familier, c’est inversement l’absence de terre familière (Heimatlosigkeit : absence de patrie) à demi avouée, à demi niée, de l’homme relativement à son essence est compensée par la conquête organisée de la terre (..) La Heimatlosigkeit (absence de patrie) a donc une double signification ; c’est le manque d’enracinement de l’existence et des œuvres dans une terre particulière (les productions de la culture se standardisent et s’universalisent toujours davantage dans le mauvais sens) ; c’est plus profondément une perte de familiarité de l’homme avec lui-même (..) La subjectivité ne lui assure plus de point d’appuis ou d’assisse.  Il se voit contraint de fuir le vide de son identité métaphysique par le pur accroissement quantitatif de puissance. (..) Mais l’homme techniquement aliéné ne peut pas sortir de son aliénation par une prise de conscience : celle-ci lui est interdite. L’errance constitue un esclavage plus radical que toute aliénation ».
    C’est pourquoi il faut que l’homme moderne subisse la crise de façon douloureuse pour pouvoir prendre conscience des conditions du salut. Ces conditions sont pour Heidegger le détachement à l’égard des choses (Gelassenheit) et l’ouverture au mystère de notre existence qui le conduiront à penser, c’est-à-dire à questionner, et donc à remettre en cause le Gestell.
    On se trouve donc, selon Heidegger, en présence de deux types d’hommes, l’animal calculateur et le « mortel » ! Le premier est destructeur de la nation : elle empêche en effet de rendre les hommes totalement interchangeables en tant que matières premières. Le mortel au contraire trouve un sens à sa vie car la possibilité de la mort accroît sa valeur, et même un sens à sa mort comme c’est le cas d’un héros.
    Par contre, en détruisant la nation, le Gestell ramène l’homme au calcul et à l’animalité. Le calcul fait-il la supériorité de l’homme sur l’animal ? Toute notre tradition civilisatrice le nie : le martyr chrétien ou le héros guerrier qui peuvent parfois fusionner comme chez Jeanne d’Arc, ne calculent pas dans un but utilitaire pour donner un sens à leur vie !
    Les composants de la nation sont multiples : Dans le cas de la France, selon le général De Gaulle, il y a la race blanche (dans sa majorité), la langue latine, la culture d’origine gréco-romaine et la religion chrétienne. Par contre, ni l’argent, ni la technique, ni la science, ni même le droit ne font la nation (en supprimant le droit de propriété, les communistes ont mutilé les hommes mais ils n’ont pas fait disparaître la Russie. Par contre, si vous enlevez un des quatre critères de De Gaulle, la France ne serait plus la France !

    4/ Le ménagement (schonen) de la nation
    Heidegger explique dans son extraordinaire livre « Essais et conférences » ou « Recueillement » ce qu’est le ménagement du quadriparti.[4]
    Le quadriparti est constitué de la terre, du ciel, de la divinité et des hommes. Ménager le quadriparti consiste à « sauver la terre », à sauver les racines au lieu de les exploiter jusqu’à épuisement. Ménager le quadriparti, c’est accueillir le ciel comme ciel, donc respecter le déroulement du temps, le murissement des choses, ne pas faire de révolution. Ménager le quadriparti, c’est attendre le Divin comme tel et ne pas tomber dans l’adoration des idoles, dans la superstition. Enfin, ménager le quadriparti, c’est conduire les mortels en dehors de la futilité et de la dispersion afin qu’ils existent conformément à leur être propre. Ce quadruple ménagement est ce que Heidegger appelle pratiquer l’habitation. Ménager la nation correspond surtout au premier volet de ce programme, à savoir sauver la terre et les racines d’une exploitation dévastatrice.
    Ménager la nation, la respecter, est un moyen de lutter contre l’uniformisation et la déshumanisation du monde : cela suppose comme on l’a vu, de conserver le caractère sacré de la famille procréatrice et de l’armée, les deux institutions indispensables à la survie nationale car gérant la naissance et la mort.

    Cela suppose aussi d’inverser les priorités du Gestell qui règnent aujourd’hui :
    - mettre l’homme avant le sol.
    - mettre Dieu avant le droit. Car la liberté ne donne de bons fruits que si le sacré est respecté, par exemple, le caractère sacré de la vie humaine. La liberté sans aucun sens du Sacré mène vite au crime.
    - mettre l’identité (qui rassemble) avant l’égalité (qui disperse) comme le montre Heidegger dans Essais et Conférences : « l’homme habite en poète[5] » : « L’identité écarte tout empressement à résoudre les différences dans l’égal ; l’identité rassemble le différent dans une union originelle. L’égal au contraire disperse dans l’unité fade de l’un simplement uniforme »
    - mettre l’histoire avant l’instant. Exister au sein d’une nation suppose la connaissance de son histoire et sa prise en charge affective.
    Finalement, nous avons trouvé deux premiers contrepoisons à l’idéologie du Gestell, la philosophie existentielle et l’enracinement dans la nation. Il y a encore deux autres contrepoisons : l’un est politique (la démocratie directe), l’autre est religieux (restauration du Sacré) : ces deux derniers thèmes seront vus dans le prochain chapitre.
     Yvan Blot http://www.insoc.fr
    [1] Essais et conférences, Gallimard, p.82
    [2] Dévastation pour Heidegger est plus que destruction. La destruction touche le passé. La dévastation, en outre, empêche un avenir de se construire : la dévastation est élimination de la mémoire donc de l’identité
    [3] Michel Haar, « Heidegger et l’essence de l’homme » Millon, 2002 p.221
    [4] Op.cit. p.178
    [5] Essais et conférences, Chapitre : « l’homme habite en poète » op.cit. p.23
    Dans la précédente conférence, nous avons vu les forces de résistances sociologiques à l’oligarchie. Il s’agit à présent de voir quelles sont les armes idéologiques à la disposition de ces forces pour libérer le peuple de l’emprise du « Gestell ». Nous allons étudier quatre armes : la philosophie existentielle, l’idée de Nation, l’information expérimentale et la tradition religieuse de l’Occident. Ces quatre armes correspondent aux quatre causes de la métaphysique d’Aristote : cause formelle, cause matérielle, cause motrice et cause finale.

  • Entre 3 et 6 millions d’illétrés, cette maladie qui ronge la société française(archive 1991)

    De récents sondages, d'origines différentes, tendent à prouver qu'en France il existe, selon les uns trois millions, selon les autres six millions de personnes qui ne savent pratiquement pas lire, ou écrire, sinon ni lire ni écrire. Ces chiffres paraissent énormes; pourtant, ils sont peut-être inférieurs à la réalité. Il semble, en effet, difficile de recenser les victimes de cette maladie nouvelle, qu'on nomme illettrisme pour marquer une nuance avec sa « cousine germaine » l'analphabétisme. On ne peut qu'enregistrer les progrès du phénomène et en discerner les causes. L'illettrisme, qui apparaît comme un retour en arrière de la société, est paradoxalement le résultat des techniques modernes, lesquelles supposent pourtant une bonne maîtrise de l'écrit.
    Six septembre dernier, à Genève, Federico Mayor, directeur général de l'Unesco, monte à la tribune pour ouvrir la Conférence internationale de l'éducation et déclare:
    - Le nombre d'analphabètes continue de croître. De quelque 700 millions en 1960, il est passé en 1990 à 948 millions.
    Dans la voix du directeur général, perce la crainte que ce nombre n'atteigne le milliard en l'an 2000. Impressionné par ce cri d'alarme, Laurent Mossu, correspondant du Figaro en Suisse, enquête auprès des spécialistes de la question et confirme :
    « Près d' un milliard de personnes restent en marge de la connaissance. Cela signifie que plus d'un quart de la population adulte ne sait ni lire ni écrire. Plus de cent millions d'enfants en âge de fréquenter l'école primaire n'y vont jamais. Des dizaines de millions d'autres abandonnent leurs études avant la fin du cycle primaire, souvent même sans atteindre la troisième, voire la seconde année. Et l'inégalité est frappante entre les sexes, puisque le taux d'analphabétisme dans la population masculine est estimé à 19,4 % pour l'ensemble du monde, contre 33,6 % pour les femmes. »
    ANALPHABÈTES, OU ILLETTRÉS ?
    Pour ceux qui, par confort intellectuel, tendraient à croire que le fléau frappe uniquement des contrées pas encore entièrement touchées par les bienfaits de la civilisation et la culture de la société de consommation, Laurent Mossu disperse l'illusion :
    « Les pays industrialisés ont longtemps nié l'existence de l'illettrisme dans leur société, réputée trop avancée pour sécréter semblable fléau. Et, pourtant, en 1990, il y aurait environ 32 millions d'analphabètes, ce qui représente 3,3 % des individus de plus de quinze ans dans le monde. »
    Sur sa lancée, le journaliste fournit des précisions qui cernent le problème dans notre Occident
    « Aux Etats-Unis, les chiffres publiés vont de 5 à 25 %. Une enquête effectuée récemment au Canada montre que 25 % des adultes éprouvent de grosses difficultés à lire et à écrire. En France, il y aurait entre 2 et 8 millions d'analphabètes. »
    Pour ce qui concerne notre pays, l'énorme fourchette trahit l'inévitable imprécision des évaluations, mais il est à craindre que la dernière estimation soit la plus vraie. En revanche, si l'on se réfère au langage officiel en vigueur, le terme «analphabètes» se révèle impropre. C'est d'«illettrés», qu'il convient de parler. Lorsqu'il prend, en 1987, la présidence du Groupe Permanent de Lutte contre l'Illettrisme (GPLI), François Bayrou, député CDS, précise la nuance à un reporter du Point :
    « Les sociologues, sans beaucoup de respect pour l'étymologie, ont spécialisé les mots «illettré»  et «analphabète». Un analphabète, c'est quelqu'un qui n'a jamais appris à lire et à écrire. L'iIIettré, lui, maîtrise mal l'écrit, ne parvient pas à s'en servir comme d'un instrument normal de communication. Il peut, par exemple, signer; mais il ne pourra pas comprendre un texte simple, ou répondre par écrit à un questionnaire, remplir un imprimé. Peut-être n' a-t-il jamais su. Peut-être - c'est plus probable - a-t-il oublié, a-t-il, avec le temps, perdu cette faculté. »
    UN PROBLÈME RÉVÉLÉ PAR L'ARMÉE
    François Bayrou ne cherche pas à noircir le tableau mais souhaite attirer l'attention sur les conséquences du fait :
    « L'illettré vie avec un handicap qui devient plus grave chaque jour. Car cette société, au contraire de ce qu' on dit parfois, est de plus en plus la société de l'écrit. Regardez, par exemple, la révolution informatique, qui s'introduit dans tous les postes de travail et repose entièrement sur l'écrit. L'illettré est donc de plus en plus marginalisé, repoussé loin de toute insertion professionnelle, sociale et souvent civique. »
    Bien que la gravité de la situation fût perçue depuis longtemps dans d'autres pays, bien que l'urgence de tenter d'enrayer le mal fût évidente chez nous, il y a moins d'une décennie que les pouvoirs publics français en ont pris conscience. Un document officiel démontre leur lacune : l'enquête du Parlement européen demandant à chaque pays membre de la communauté combien il comptait d'illettrés.
    C'était en 1979. À cette époque, deux hommes veillaient sur les destinées de la France : M. Valéry Giscard d'Estaing présidait la République et se targuait d'écrire sur Flaubert ; M. Raymond Barre limitait les appétits de sa rondeur au fauteuil de Premier ministre et tâchait d' adapter les problèmes de l'heure à ses théories de professeur d'économie politique. Leurs adversaires accusaient M. Giscard d'Estaing de morgue et M. Barre de suffisance, leurs ministres et leurs fonctionnaires craignaient que de telles assertions ne fussent pas totalement calomnieuses ; aussi nul ne courait le risque de parler d'illettrisme à ces deux intellectuels qui, d'ailleurs, eussent pu le confondre avec le Lettrisme, école poétique du temps de leur jeunesse, prônant la priorité du son sur les mots et lancée à la fin des années 40 par leur contemporain Isidore Isou. Rien d'étonnant donc qu'à l'enquête du Parlement européen, la réponse officielle de la France fût :
    - Aucun !
    Sans doute la prudence commande-telle de douter parfois de la parole des technocrates qui nous gouvernent, car à l'aube des années 80, le ministère de la Défense s'inquiète devant la répétition d'un phénomène : sur les 400 000 recrues environ de chaque contingent, régulièrement près de 30 000 éprouvent de telles difficultés devant l'écriture et même la lecture, qu'il ne paraît pas abusif de les classer parmi les illettrés. Le Groupe Permanent de Lutte contre l'Illettrisme fondé en 1984, par Pierre Mauroy, prend alors corps et l'Insee (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) lâche ses enquêteurs.
    20 A 25 % DES FRANÇAIS SERAIENT CONCERNÉS
    Des sondages sont effectués au cours de l'hiver 86-87. Voici leur résultat : « Selon l'Insee, 3,3 millions d'adultes vivant en France sur un total de 37 millions - soit un peu plus de 9% - ont de graves difficultés à lire, écrire ou parler le Français, 400 000 d'entre eux cumulant l'incapacité de lire et d'écrire. »
    Le Figaro assortit la publication de ce score d'un commentaire « L'étude de l'Insee différencie population née en France et immigrés, concernés de manière différente. En chiffres, la première est la plus fortement touchée : 1,9 million contre 1,4 million pour les immigrés. Mais en pourcentage, 31% de cette population d'origine étrangère - estimée globalement à 4 600 000 individus - est touchée par l'une ou l'autre de ces incapacités majeures, contre 6% des nationaux. Parmi les illettrés adultes nés en France, une faible partie - 205 800 - ne sait pas lire ou a du mal à écrire, en ayant perdu l'habitude, mais il s'agit en général de personnes n'ayant jamais été scolarisées. »
    Le 27 octobre 1988. Le Monde, sous la signature de Philippe Bernard, fait état de son côté d'une autre enquête, menée par le Groupe Permanent de Lune contre l'Illettrisme :
    « L'étude du GPLI distingue trois degrés d'illettrisme 2,2 millions de personnes, soit 5,3% de la population adulte, éprouvent de très sérieuses difficultés à la fois pour lire et écrire, Elles sont incapables de lire une offre d'emploi, de rédiger un curriculum vitae, ou une note manuscrite simple.
    Ce noyau dur de l'illettrisme se recrute surtout parmi les personnes âgées ; il est constitué à 47,4% de plus de soixante quatre ans.
    « D'autre part, 4% de la population adulte maîtrisent mal la lecture uniquement. Ces personnes sont incapables de comprendre un texte simple, même lu à haute voix.
    Enfin, 11,5% de la population adulte éprouvent des difficultés à l'écriture seulement. Ces personnes ne parviennent presque pas à former des lettres ou font un nombre de fautes tel (plus d'une faute sur trois mots) que la phrase ne peut être comprise par quelqu'un qui n'en avait pas une connaissance préalable, Si les difficultés d'écriture diminuent avec l'âge, elles sont légèrement plus importantes chez les plus jeunes : les dix-huit/vingt-quatre ans sont plus nombreux (10,6%) que les vingt-cinq/quarante-neuf ans (8,4%) à mal écrire, alors qu'ils maîtrisent convenablement la lecture.
    Au total, l'ensemble des formes d'illettrisme toucherait, selon l'enquête, plus d'un adulte sur cinq. »
    Toujours en 1988, Jean-Pierre Vélis, ancien rédacteur en chef adjoint de la revue l'Education, publie aux Editions du Seuil un essai percutant : La France illettrée, L'auteur présente son livre comme un plaidoyer au nom des silencieux par manque d'instruction, mais à force de détails son analyse des mécanismes du système tient du réquisitoire. Sur le nombre des personnes atteintes en France d'illettrisme, Jean-Pierre Vélis se montre prudent, tout en approchant les estimations des sondages :
    « Le chiffre exact, dit-il, est inconnu, car les illettrés se cachent souvent par honte et leur nombre dépend du critère retenu. Pour ma part, je classe parmi les illettrés les personnes qui ont des difficultés pour remplir un formulaire administratif, déchiffrer un plan d'autobus, remplir un chèque, comprendre une note de téléphone, décrypter une offre d'emploi, etc. Avec ces critères, l'Armée estime à 15 ou 20% la proportion des recrues du contingent ayant des difficultés de lecture-écriture. L'Education nationale évalue de 20 à 25 % la part des élèves qui entrent en classe de sixième avec ces mêmes difficultés. Grosso modo, ce sont donc 20 à 25% des Français qui, à des degrés divers, sont concernés. »
    LES JEUNES DÉSAPPRENNENT A LIRE
    Sur le point essentiel des élèves de sixième, Jean-Pierre Vélis se voit rejoint par Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Enseignement dans le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac :
    « Cinquante pour cent des enfants qui entrent en sixième connaissent des difficultés en français et en calcul. Près de 25% ont des problèmes plus graves, notamment en lecture ; ils ne lisent pas à une vitesse normale et ne comprennent pas bien ce qu'ils lisent. L'explication de ces statistiques inquiétantes ne peut être simple. Certaines causes tiennent à la rigidité du système et particulièrement au caractère par trop uniforme et non personnalisé de l'enseignement. Pour la maîtrise de la langue, on constate que le temps consacré au français à l'école primaire a baissé, depuis 1945, de 33,3 % ; l'équivalent de quatre heures par semaine. »
    EN 1914, 35 % DES CONSCRITS ÉTAIENT ANALPHABÈTES
    Dans le même numéro de l'Evénement du Jeudi, Jean-Pierre Chevènement, futur ministre de la Défense et à l'époque ancien ministre de l'Enseignement du gouvernement précédant celui de Jacques Chirac, donne un avis, en partie assez proche de celui de Michèle Alliot-Marie dans la recherche des causes de l'illettrisme :
    « Bien que le niveau intellectuel des jeunes Français ait globalement augmenté depuis vingt ans, comme l'a récemment montré une enquête de l'Insee, il est de fait aujourd'hui qu'un certain nombre de jeunes qui ont pourtant appris à lire à l'école perdent cette capacité. Pourquoi ? Sans doute parce que leur apprentissage a été insuffisant. Il ne faut pas se le cacher, l'accent n'a pas été mis sur la maîtrise de la lecture à l'école... Et puis, il y a dans l'illettrisme la manifestation d'une non-insertion sociale, Les illettrés d'aujourd'hui sont souvent des jeunes au chômage et qui n'ont connu que cela. Ils ont désappris parce qu'en fait, ils n'ont jamais eu à utiliser ce qu'ils avaient appris. Ici la solution est plus globale, c'est la nécessité de lutter contre le chômage en utilisant tous les moyens disponibles. »
    Lorsqu'il s'entretient avec Pierre-Yves Le Priol, de La Croix, Jean-Pierre Vélis, qui demeure le spécialiste numéro un de l'illettrisme, semble à la fois ne partager qu'à moitié les points de vue des deux ministres et entendre aller plus loin qu'eux dans l'étude des responsabilités :
    « Contrairement à une idée reçue, l'Education nationale n'est pas si mauvaise. Il existe seulement une course de vitesse entre les prestations qu'elle offre et les besoins dus au développement technologique. La France a connu une réelle démocratisation de l'enseignement en 1914. 35% des conscrits étaient analphabètes. Ces gens pourraient s'insérer facilement dans les emplois sans qualification, emplois de plus en plus rares aujourd'hui. »
    Ce rappel de facilités révolues - et ce depuis à peine un quart de siècle - l'amène à constater :
    « Plus que la responsabilité de l'Ecole, c'est l'étroite corrélation entre l'origine sociale et l'illettrisme qui choque. On est plus facilement illettré dans un milieu social marginalisé où l'écrit est absent, où les parents eux-mêmes sont souvent illettrés et ne peuvent soutenir la scolarité de leurs enfants. D'ailleurs, le récit des illettrés est toujours le même : issus des milieux les plus pauvres, ils ont été isolés dans un coin de la classe, marginalisés dès l'année essentielle du cours préparatoire, puis expédiés vers des filières d'exclusion (CCPN, SES, CPA, etc). Là, ils se bloquent psychologiquement dans un refus de l'école et du savoir, ils revendiquent cette différence que donne une identité ; il est plus valorisant pour eux d'être un cas dans l'univers des illettrés qu'un nul dans l'univers des lettrés. »
    BEAUCOUP NE SAVENT MÊME PAS LIRE UN BULLETIN DE VOTE
    Certes, ces propos mettent l'accent sur une interprétation personnelle, et parole de saint laïque n'est pas toujours parole d'Evangile, mais ils n'en valaient pas moins d'être cités. De même que ce que répond Jean-Pierre Vélis quand on lui demande si la lecture va devenir moins indispensable en raison de « l'explosion audiovisuelle » :
    « Non, c'est là une contre-vérité. Lire et écrire, ce n'est pas seulement faire "b-a ba", c'est accéder à des mécanismes mentaux. Tant qu'il n'a pas acquis ces mécanismes, l'illettré reste sur le sable. Même une émission de télévision a été préalablement "écrite" par son producteur : Ne pas savoir lire, c'est peut-être savoir consommer de l'image, mais ce ne sera jamais devenir créateur : »
    La télévision, dans le procès de l'illettrisme, Guy Bayet, ancien président de la société des agrégés, la mettrait volontiers en accusation :
    « Elle ne constitue pas un bon moyen pour apprendre la lecture, et il est consternant de voir sur les écrans des fautes d'orthographe comme, par exemple, "Pyrénées" avec deux "n" durant tel bulletin météorologique. Surtout, l'on ne sait plus étudier en silence, on travaille souvent sur fond sonore ou audiovisuel, ce qui provoque un très gros taux d'inattention.»
    D'autres soutiennent que la télévision ne participe guère aux progrès de l'illettrisme car, affirment-ils, pour comprendre vraiment ses images, il importe de connaître la lecture.
    Et l'illettrisme est-il réellement en progression ?
    Certains en doutent. Tel Christian Baudelot, professeur de sociologie à l'université de Nantes, qui confie ses réserves à Hervé de Saint-Hilaire du Figaro :
    « Les chiffres paraissent effrayants, mais il faut garder sa lucidité. Les documents de l'Armée, remarquable source d'information sur la question, prouvent que la France n'a jamais compté autant de personnes sachant lire et écrire, En 1960, 12% des conscrits étaient illettrés contre moins de 8% en 1988. Près de la moitié des illettrés ont plus de 65 ans. On n'arrête pas de lancer des cris d'alarme à tord et à travers, sans prendre la peine d'analyser les statistiques. Un exemple : un enfant sur cinq, nous dit-on, qui entre en sixième ne lit pas couramment. Mais on oublie de préciser qu'il y a aujourd'hui dix fois plus d'enfants de dix ans sachant lire qu'il y a cinquante ans. A titre de comparaison, en 1880, 85% de la population n'avaient pas de certificat d'études. » Christian Baudelot poursuit : « Autres chiffres : en 1945, 4% seulement des représentants d'une classe d'âge donnée étaient titulaires du baccalauréat contre 31% des personnes nées en 1965 et après. Je suis désolé, mais on ne peut parler d'augmentation de l'illettrisme en France. Quant aux analphabètes, ils représentent environ 0,5% de la population. Il faut cesser de dire n'importe quoi. Reste que l'illettrisme est un phénomène scandaleux. »
    Peut-être Christian Baudelot réduit-il un peu trop sa portée. Peut-être aussi certains ont-ils intérêt à la gonfler, Beaucoup d'illettrés, assure-t-on, ne savent même pas lire un bulletin de vote. Mais si quelqu'un leur conseille d'offrir leurs suffrages à un ami qui leur veut du bien ? Ne suffirait-il pas alors d'indiquer la couleur ?
    Sur ce point, si la question lui était ou s'il se la posait, quelle pourrait être l'opinion de M. Lionel Jospin, notre pittoresque ministre de l'Education nationale, qui proposa un jour de réserver aux illettrés 10% des stages de formation professionnelle ?
    • Luc Lanvin :  le Choc du Mois. Janvier 1991

  • Des souvenirs sur une Alsace-Lorraine allemande

     

    Dans le climat d’inculture généralisée qui ne cesse de s’étendre dans un Hexagone noyé par les écrans de la bêtise voulue et du divertissement marchand de la vacuité ambiante, il importe de saluer deux sympathiques éditeurs lorrains qui copublient les moments alsaciens extraits des Mémoires (1925) du prince Alexandre de Hohenlohe-Schillingsfürst (1862 – 1924). Cette parution opportune éclaire une période méconnue de cette terre qui fut allemande entre 1871 et 1918.

     

    Président de l’équivalent germanique du conseil général de Haute-Alsace en 1903 et fils de Clovis de Hohenlohe-Schillingsfürst (1819 – 1901), ancien gouverneur de la région et futur chancelier impérial, Alexandre appartient à une très vieille famille dont « l’anoblissement […], attesté au XIIe siècle, était antérieur à celui des Hohenzollern ! (p. 11) ». Esprit cultivé, francophone et ne cachant pas sa francophilie, ce prince allemand se retrouve au contact quotidien avec ses administrés alsaciens.

     

    Le témoignage qu’il laisse dépeint une Alsace-Lorraine ignorée des Français. Ses souvenirs contestent les clichés et autres poncifs diffusés par une historiographie parisienne pédante et revancharde. Il souligne l’influence prépondérante dans les campagnes alsaciennes de l’Église catholique et relève qu’à la veille de la Grande Guerre, le mouvement protestataire francophile est largement minoritaire dans les urnes.

     

    L’échec de ce mouvement subversif soutenu clandestinement par Paris ne signifie pourtant pas une adhésion sincère au modèle allemand. Bien au contraire ! Il remarque, d’une part, que « dans l’ensemble, l’Alsace-Lorraine était aussi éloignée de Berlin qu’une colonie africaine ou qu’une station navale d’Extrême-Orient (pp. 63 – 64) » et, d’autre part, que « l’« Alsacien-Lorrain » était une entité qui n’existait que sur le papier En réalité, l’Alsacien est aussi différent du Lorrain que, par exemple, un Normand peut l’être d’un Picard (p. 53) ».

     

    Si les protestataires régressent de scrutin en scrutin, la « résistance » à l’assimilation germano-prussienne persiste et s’accentue même. Alexandre de Hohenlohe observe que les jeunes gens des milieux aisés de Strasbourg, de Colmar et de Mulhouse « étaient Français de cœur (p. 55) ». En revanche, il ne retrouve pas cette inclination « dans la population paysanne [où] la plupart avaient des sentiments alsaciens (p. 55) ». La présence française demeure prégnante et l’auteur regrette la fondation d’une université à Strasbourg parce qu’elle la renforce paradoxalement. Il aurait été préférable que les futures élites étudient dans les universités réputées d’outre-Rhin, à Heidelberg ou Fribourg…

     

    Son pragmatisme s’appuie sur ses échanges permanents avec les milieux économiques, en particulier les industriels Jean Schlumberger (1819 – 1908) et Édouard Köchlin (1833 – 1914). Le prince de Hohenlohe constate en effet que « chez tous les Alsaciens des hautes classes, on ne parlait que français (p. 41) » si bien qu’il emploie souvent la langue de Molière lors des rencontres privées !

     

    Les élites alsaciennes ne se formalisent pas du maintien implicite du français ! Pour preuve, Hugo Zorn von Bulach (1851 – 1921) qui, même devenu responsable politique régional, « ne possédait l’allemand qu’imparfaitement, ce qui le gênait parfois beaucoup dans ses interventions publiques au Parlement, surtout quand on est décrété la publicité des débats et l’usage de la langue allemande à la Délégation d’Alsace. Malgré cela, pour plus de commodité, les députés se servaient encore du français et du patois alsacien dans les séances des commissions (p. 41) ». Situation impensable dans la République française une et indivisible…

     

    Alexandre de Hohenlohe ajoute qu’« il a dû être plus d’une fois pénible à ceux qui étaient d’un âge avancé de se trouver en état d’infériorité vis-à-vis des représentants du gouvernement, par suite de leur connaissance défectueuse de la langue allemande. Chose étonnante, quelques-unes d’entre eux, qui pourtant n’avaient pas appris un mot d’allemand dans leur jeunesse avaient réussi, à force d’application et de persévérance, à s’exprime couramment dans cette langue (p. 41) ». Un bilinguisme, voire un trilinguisme, existait donc de facto.

     

    Cette situation linguistique originale découle de la spécificité institutionnelle de l’Alsace-Lorraine annexée lors du traité de paix de Francfort de 1871 par l’Empire allemand naissant. Les trois anciens départements français deviennent un Reichsland, ce qui signifie que le jeune État fédéral-impérial en est le propriétaire indivis. Par conséquent, cette « Terre d’Empire » est placée sous l’autorité directe de l’empereur allemand et de son chancelier impérial. Toutefois, le Reichsland bénéficie d’une certaine liberté administrative avec un représentant de l’empereur, le Reichsstatthalter, « littéralement “ celui qui tient lieu ”, le Statthalter fait plus figure de régent que de gouverneur dans ses attributions (p. 20) ». Nommé par Berlin, il préside à Strasbourg le Conseil d’État d’Alsace-Lorraine, dirige un proto-gouvernement régional (quatre secrétaires d’État pour l’Intérieur, la Justice et les Cultes, les Finances et les Domaines et l’Industrie, l’Agriculture et les Travaux publics) et négocie avec la Délégation d’Alsace-Lorraine (Landesausschuss) de trente, puis de cinquante-huit élus au suffrage indirect entre 1874 et 1911. On est loin de la gestion despotique du centralisme parisien.

     

    En 1911, le Kaiser Guillaume II accorde à l’Alsace-Lorraine une constitution locale. Le Reichsland devient le vingt-sixième État de la Fédération impériale et son Landesausschuss se transforme en un Parlement bicaméral constitué d’un Sénat de quarante-six membres désignés par l’empereur et les corps intermédiaires locaux, et d’une Assemblée régionale de soixante élus au suffrage universel direct masculin. Le déclenchement de la folle tragédie européenne de 1914 suspendra ces libertés régionales.

     

    Alexandre de Hohenlohe se montre très favorable à toute solution neutraliste. « Dès avant 1914, rappelle Laurent Schang dans une belle introduction, [il] s’était prononcé en faveur de la constitution du Reichsland Elsass-Lothringen en État neutre autonome assortie d’un référendum d’autodétermination (p. 13). » Il s’agissait surtout d’éviter tout nouveau drame franco-allemand. Il regrette que Berlin ait finalement choisi la voie du Reichsland pour l’Alsace-Lorraine alors que d’autres solutions étaient à ses yeux possibles. Il en esquisse certaines : une tutelle paternaliste comme le fit son père, Statthalter avant de devenir chancelier, une large autonomie opérée dès 1874 ou 1875 ou, plus surprenant, le partage du territoire alsacien-lorrain entre les principaux États fédérés allemands (Prusse, Bavière, Bade, Wurtemberg). L’auteur de ces Souvenirs a compris que la perte de l’Alsace-Lorraine rend la France inguérissable. Il n’accuse pas Bismarck de cette erreur. « Bismarck pressentait bien les conséquences désastreuses que l’annexion de l’Alsace-Lorraine allait voir pour la politique européenne, avec un caractère comme celui du peuple français. Il voyait plus loin que les généraux, pour qui seules les considérations stratégiques entraient en ligne de compte, mais le côté tragique du grand génie politique qu’a été Bismarck, c’est qu’il n’a pu se libérer de la croyance en la force et en l’épée et qu’il a sous-estimé la puissance des valeurs morales en politique. C’est ainsi que l’avis de Moltke prévalut finalement et que la “ Terre d’Empire ” devient le “ glacis ” de l’Empire (p. 67). »

     

    L’auteur sait qu’en 1866, après la victoire prussienne à Sadowa, le futur « Chancelier de Fer » avait pesé de tout son poids pour que le roi Guillaume Ier ne se rangeât pas du côté d’un état-major imbu de pensées frédériciennes qui rêvait de s’emparer de contrées autrichiennes. En 1870, la pression était trop forte pour résister frontalement à l’opinion des militaires victorieux… « On ne lira qu’avec plus d’intérêt ces pages grosses de nostalgie, desquelles émerge le regret d’une soudure “ germano-alsacienne-lorraine ” en bonne voie, sinon achevée, au seuil de la Première Guerre mondiale  (p. 12) », écrit Laurent Schang à propos de ce beau témoignage d’un Européen de langue allemande sur une région-charnière d’Europe occidentale.

     

    Georges Feltin-Tracol  http://www.europemaxima.com/

    • Prince Alexandre de Hohenlohe, Souvenirs d’Alsace-Lorraine 1870 – 1923, Introduction et notes de Laurent Schang, traduction d’Edmond Dupuydauby, Édition des Paraiges (4, rue Amable-Tastu, 57000 Metz) – Le Polémarque Éditions (29, rue des Jardiniers, 54000 Nancy), Metz – Nancy, 2012, 77 p., 10 € (+ 5 € de frais de port), à commander aussi sur les sites des éditeurs.

  • Entretien avec Alain Soral « Cette société va finir en société de la haine » ( juin 2009)

    Alain Soral « boxe, boxe », comme chantait Nougaro. C'est pour ça qu'on l'aime et le déteste autant. De Marx à Le Pen et de Le Pen à Dieudonné, voilà un itinéraire qui a de quoi surprendre. C'est pourtant celui, classique, de la gauche réactionnaire. Elle se retrouve dans les positions de la droite révolutionnaire. Contre les libéraux-libertaires.
    Le Choc du mois : Bernanos disait qu'on reconnaît une civilisation au type d'homme qu'elle a formé. Quel type d'homme une société comme la nôtre a-t-elle formé ?
    Alain Soral : Elle a formé l'employé de bureau salarié en petit costume cravate, à tendance homosexuelle, qui cherche son plaisir (c'est le mot-clef), dominé par ses pulsions et qui, en dernière instance, se prosterne devant les riches et les sionistes, car pour lui, ça représente tout ce qui le fascine parce que ça lui est interdit : la domination éhontée.
    Le bobo ?
    C'est la même chose. Le bobo, c'est quoi ? L'un de ces salariés de la Nouvelle classe au service du système libéral-libertaire : l'idéologie du désir mise au service du Marché. Un jeune arrogant aux cheveux longs, mais qui terminera employé de bureau pulsionnel, dépressif, un peu chauve et vaguement obèse. C'est une affaire de temps, dix ans tout au plus. Comme le loubard de banlieue qui s'identifie à Scarface à quinze ans. Dix ans plus tard, vous le retrouvez gardien de parking, cassé par deux ou trois aller-retour en prison.
    Ce qu'on aimerait comprendre, c'est comment a bien pu se produire cette greffe du libéral et du libertaire ?
    Le premier à avoir théorisé le libéralisme libertaire est Michel Clouscard, un marxiste dissident. Les libéraux-libertaires ont compris qu'il fallait mettre au service du Marché l'idéologie du désir, celle dont les marcusiens avaient cru que c'était une force révolutionnaire. Il y a donc eu un double travail de destruction, d'une part à l'encontre du progressisme authentique fondé sur la conscience du primat du travail, de la production. D'autre part à l'encontre de la culture réactionnaire qui assumait l'exploitation. Le propre de l'idéologie libertaire, c'est d'escamoter le rôle du travail et le travailleur. Couper le lien causal entre la production et la consommation, qui fonde toute morale.
    Ce qui a rendu possible ce monde-là, c'est le passage d'un monde industriel à un monde postindustriel...
    On en revient à l'extension du tertiaire et à la prolifération des métiers qui ne sont plus directement productifs. Par suite de la mondialisation et des délocalisations, on a aussi moins vu d'ouvriers, de paysans sur le sol national... Cette idéologie libérale libertaire a détruit le sérieux classique qui entourait le travail, dans lequel j'inclus aussi le sérieux bourgeois de l'entrepreneur, parce que derrière la violence sociale de la bourgeoisie, on ne niait pas le travail, ni le travailleur, on le tenait seulement en cage comme un animal dangereux.
    C'est le grand bourgeois du XIXe siècle. On dira ce qu'on voudra de lui, mais enfin...
    C'était un entrepreneur, pas un spéculateur financier, donc aussi un travailleur - ce qui a été nié par le « luttisme des classes » -, et cet autre travailleur ne contestait pas l'existence du travailleur prolétaire. Il voulait le dominer, le contrôler de crainte qu'il ne renverse l'ordre social. Le travail était alors au cœur du monde bourgeois. Aujourd'hui, c'est tout l'inverse. L'idéologie libérale-libertaire aidant, il y a eu une double négation, celle de l'entrepreneur créateur de richesses et d'emplois, marginalisé au profit du parasitisme pur de la finance, et celle du travailleur, nié au profit du communiquant. L'idéologie du désir a chassé de lai représentation du monde la problématique du travail, comme si on pouvait jouir de choses qui ne seraient pas produites. En réalité, on jouit toujours de l'autre à travers son travail, Lacan l'a très bien dit. Une telle idéologie, destructrice du lien et du sens, a abouti à la destruction du logos occidental, pour en arriver à ce monde insensé et devenu incompréhensible à ses propres clercs.
    Il n'est pensable par personne...
    Il n'est pas plus pensé que viable. Nous avons perdu le contrôle. Les clercs ne produisent plus ni analyse, ni critique. Prenez un Bernanos. Il était au carrefour de la conscience douloureuse catholique et bourgeoise : comment être chrétien et bourgeois ? Le tourment de Mauriac ou de Bernanos n'a plus aucun sens aujourd'hui pour les jeunes. Ils ne comprennent pas pourquoi et par quoi ces hommes pouvaient être tourmentés.
    On les prend désormais pour des névropathes. L'éthique est réduite à une question clinique...
    N'avez-vous pas la nostalgie de l'éthique puritaine du travail chère à Max Weber ?
    Je ne suis pas protestant. Je n'éprouve pas de nostalgie pour ce monde. Je pense simplement que le monde actuel est bien plus déchu encore, ce qui ne veut pas dire que je veux revenir à l'ancien. Je ne crois pas au possible retour en arrière. L'histoire ne s'arrête pas. Pour autant, je pense que progressistes et réactionnaires ont raison contre les libéraux (à ne pas confondre avec les progressistes). Je rejoins en cela l'analyse de Claude Karnoouh. S'il y a bien eu un point commun entre le monde chrétien d'hier et la tentative communiste, c'est le refus du libéralisme. L'un lui est antérieur, l'autre postérieur. Mais il fallait de part et d'autre échapper à la dictature de l'argent et de la marchandise. Le monde communiste reste à mon sens profondément chrétien. Il essayait d'échapper à la logique implacable du profit et à cette ignoble théorie de la main invisible où les égoïsmes individuels travaillent, soi-disant, à l'intérêt collectif! La solution à mes yeux consisterait à réconcilier progressistes et réactionnaires contre les libéraux. Ce qui ne semblera étrange qu'à ceux qui se font de l'Histoire une représentation binaire.
    Peut-on dire du narcissisme qu'il n'est jamais que l'aboutissement du projet libéral, à savoir cette main invisible qui guiderait providentiellement les intérêts tout autant que les ego... L'aboutissement du processus de démocratisation : tous rois ?
    De démocratisation, si on veut, mais pas au sens grec. La démocratie n'a pas été inventée en 1789. La démocratie grecque - l'éthique par excellence - se situe à des années-lumière de la démocratie libérale, qui a remplacé Dieu par la banque, pour aboutir à ce narcissisme pulsionnel, névrotique, pervers, qui menace de s'écrouler sur nous. Le problème, c'est une fois que ce monde se sera écroulé sous le poids de ses contradictions, comment ensuite relever l'Homme ?
    À propos d'écroulement, vous aviez sous-titré votre Abécédaire de la bêtise ambiante : « Jusqu'où va-t-on descendre ? » On n'aurait donc pas fini de descendre ?
    On arrive quand même assez près du fond ! Une crise économique majeure, des tensions internationales, une dislocation du lien collectif... Autant de facteurs qui concourent au chaos. Avec la fin du « nous », c'est le vivre ensemble qui est attaqué de toutes parts : chez les enfants, avec la délinquance dès l'école. Au niveau de la solidarité collective avec le triomphe de l'individualisme, au niveau géopolitique avec la troisième guerre mondiale qui se profile... Sans oublier la haine entre les sexes et entre les générations, avec le féminisme, le jeunisme...
    Cette société, à laquelle Kant promettait la paix perpétuelle, va finir en une société de la haine. Relisez Marx, il disait que le libéralisme amène fatalement à la guerre de tous contre tous. Le libéralisme parfaitement accompli, c'est la guerre civile généralisée.
    Peut-on faire une lecture marxiste du narcissisme ? À savoir que c'est le produit d'une classe dominante et qu'en tant que tel, il ne fait que traduire un rapport de classe ?
    Non seulement on peut le faire, mais Clouscard l'a fait, Henri Lefebvre aussi, Lucien Sève... Le moi-je, l'arrogance du moi-je, traduit d'abord, avant de se massifier, une position de classe. Une arrogance de classe fondée sur le mépris du producteur.
    J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire à propos du libéral-libertaire à la Cohn-Bendit, lequel n'est rien d'autre qu'un bourgeois méprisant la morale traditionnelle de sa classe sociale : plus aucun devoir en termes de production, mais tous les droits en matière de consommation. C'est la position objective des libertaires de 68. Tous enfants de la bourgeoisie, aspirant à jouir de ce que leurs parents avaient accumulé dans l'effort de l'après-guerre. Le fils à papa qui flambe les économies paternelles, qu’est-ce d'autre qu'un privilège de classe qui se prend pour de la liberté ?
    Ils veulent bien de l'héritage, mais pas du passif ?
    C'est l'éternelle dialectique du père et du fils dans la bourgeoisie. Le père accumule de la richesse, sans en jouir. Le fils à papa, qui, lui, veut jouir, s'avère incapable de faire perdurer l'entreprise et la coule. C'est l'épopée Félix Potin. Telle est la morale immanente de l'histoire de la bourgeoisie: en trois générations, tout le capital est bouffé. Toute l'histoire du roman bourgeois est là, avec de temps en temps un artiste, à qui l'on pardonne.
    Ainsi de Baudelaire, rentier dépressif qui convertit sa rente en génie poétique. Le même, moins le génie poétique, donne Beigbeder, un parasite. On peut faire une généalogie de l'écroulement de la figure du cadet de la bourgeoisie. On a Baudelaire au stade génial, Boris Vian au stade intermédiaire et Beigbeder au stade nul. Même récapitulation avec Houellebecq, qui est rapidement passé de la critique du libéralisme à l'apologie du libertaire. De la sorte, il a pu séduire les lectrices de Elle, vendre des millions d'exemplaires. Moyennant quoi, il a rétrogradé de la figure de clerc, c'est-à-dire de conscience douloureuse de la bourgeoisie, à celle d'animateur du process de consommation. Clouscard a théorisé tout cela dès les années soixante-dix.
    Un des malheurs de notre époque, c'est la disparition des médiations, le père, le parti, la nation...
    Il y a dans l'individualisme pulsionnel un déni et une destruction hystérique de toutes les médiations. La prétention d'être ex nihilo. Moi-je. Ce qui revient à n'aboyer plus que des slogans, comme dans la pub, à ne plus recourir au raisonnement. Littéralement, c'est se couper du sens. Ne pas comprendre que s'inscrire dans le réel, c'est établir des médiations, autrement dit : des liens causaux. Avec au-dessus l'idée hégélienne que le vrai, c'est le tout...
    Cela dénote un enfermement autistique...
    C'est surtout un monde qui ne peut pas fonctionner longtemps. Comme un moteur dont on séparerait les pièces, sous prétexte de ne pas les user ! Dès lors que l'on ne comprend plus la complémentarité des pièces d'un tout, une société, comme un moteur, ne peut plus fonctionner. Ainsi de l'individualisme... et de la logique libérale poussée à bout. Ça donne au final un consommateur enfermé dans sa bulle jusqu'à l'asphyxie, l'éclatement...
    Après moi le déluge...
    Cela ne fait aucun doute, du moins pour le monde occidental. Mais n'oublions pas les Chinois ! Ils ne sont pas au stade narcissique où nous en sommes. Le monde est en train de basculer géographiquement. Céline le disait déjà en 1950... Pour la première fois depuis 2 500 ans, les Occidentaux ne détiennent plus la clef de l'avenir du monde. Les contradictions libérales sont devenues mortifères et nous n'avons plus, ni la capacité critique et morale, ni l'énergie pour les surmonter. Nous sommes en train de crever de notre faiblesse, comme un fumeur qui accepte de se laisser mourir du cancer, parce qu'il sait n'avoir plus la force en lui de lutter contre son addiction. Au mieux, nous revendiquons l'esthétique de notre déchéance.
    Et les femmes, l'une de vos spécialités ? Vont-elles survivre aux hommes ?
    Il est évident que les femmes sont au cœur de l'instrumentalisation libérale. Je le théorise en tant que penseur, mais les libéraux le constatent en tant que marchands : les femmes sont le meilleur agent du libéralisme, moins polarisées sur la solidarité de classe, plus psychologisantes... Elles se sentent plus à l'aise dans ce monde de la marchandise intégrale, du désir, des pulsions... Le système l'a très bien compris, qui leur a octroyé la parité... Vers la féminisation est l'une des clefs de compréhension de notre monde. Le monde libéral se survit, malgré ses contradictions suicidaires, en liquidant l'homme au sens classique et grec du terme, l'homme conscient, en s'appuyant sur l'adolescent, la jeune fille, qui est sans doute la figure la plus aboutie de la décrépitude libérale. C'est le règne de la jeune fille bourgeoise de gauche qui trône aujourd'hui à tous les postes dans les médias, de la mannequin à l'intervieweuse politique. Quelle ironie ! C'est à elle, qui, par tout son être, est la plus inapte à comprendre le monde, qu'on confie le soin de l'analyse et du commentaire journalistique ! Ce calcul pervers, fomenté par des hommes, est aussi ce sommet de la misogynie sur lequel toutes les féministes se pâment !
    Il faudrait peut-être ajouter un chapitre de plus à votre livre, que vous pourriez appeler Vers l'infantilisation ?
    Oui mais le bébé n'est qu'un consommateur. Et il lui faut, pour consommer, l'incitation d'un animateur. Animateur qui doit maîtriser les rudiments de la séduction. Notre monde serait plutôt celui du maternage. Celui d'une jeune maman séduisante qui s'adresserait à des bébés. Avec au-dessus, caché, le père... Le mâle dominant de l'Oligarchie. Ces vieux hommes riches, durs et stratèges, constituant la surclasse dont parle Attali, et qui s'incarne totalement dans le sionisme actuel. Un petit groupe s'estimant au-dessus des autres et qui revendique, pour lui-même, tout ce qu'il interdit aux autres : la virilité, la violence, la domination, au nom de la pureté raciale !
    Au fond, si l'on devait incarner le libéral libertaire, ce serait une sorte d'union entre Cohn-Bendit et Attali...
    Celui qui psalmodie le catéchisme pour bercer les gentils, et celui qui pond le discours de contrôle et de domination. Car l'idéologie nomade n'échappe pas non plus à sa lecture de classes. Pour les classes dominées, la sous-classe, le nomadisme consiste à être à la totale disposition du Capital, dans le temps et dans l'espace (le travailleur d'hier n'était corvéable que dans le temps). Pour la classe dominante, l'hyper-classe, c'est la liberté du détenteur du Capital financier mondialisé d'être chez lui partout et d'ordonner à tous, puisqu'il a les moyens de tout acheter. Le nomade du haut, c'est BHL, le rentier parasite qui a des pied-à-terre partout : à Paris, à New York, à Marrakech, à Tel-Aviv... Le nomade du bas, c'est le CDD, noir ou blanc, à qui Attali explique qu'il a désormais le choix entre la délocalisation de son entreprise et le chômage, ou d'aller travailler en Roumanie aux conditions salariales d'un Roumain, le tout bien sûr dans le seul but de préserver le niveau de rente de BHL...
    Comment coexistent selon vous ces deux tendances, en apparence contradictoires, du monde contemporain : le communautarisme et le narcissisme ?
    Elles ne sont pas contradictoires. Le « nous » communautaire n'étant plus l'acceptation de l'autre propre au « nous » universaliste, mais l'addition fermée de « je » identiques : un narcissisme collectif. Dès lors que le narcissisme est le moteur social, le collectif ne peut être qu'un « je » étendu, c'est-à-dire des communautés narcissiques, fermées et rivales de Juifs, de musulmans, de gays... etc ! Ce narcissisme collectif emprunte beaucoup au mécanisme d'abêtissement de la mode, où chacun s'habille comme l'autre, et comme l'exige de lui le Marché, pour affirmer sa différence ! Et j'ajouterai en conclusion que ce n'est pas un hasard si la bêtise de la mode séduit en premier lieu les femmes et les jeunes !
    Propos recueillis par François Bousquet LECHOC DU MOIS juin 2009