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culture et histoire - Page 1968

  • L’Ordre de Malte

    Ce film raconte la fascinante histoire des Chevaliers de l’Ordre de Malte et fait le point sur son actualité, en mêlant parole avertie des chevaliers de l’Ordre, récit d’historiens puis témoignages de soignants et de personnes prises en charges dans les institutions gérées par l’Ordre. Sur plusieurs territoires, de la Terre Sainte à Malte, en passant par Rome, nous découvrons les fondements de l’Ordre, son héritage et son utilité aujourd’hui.

    http://fr.altermedia.info/

  • 21 avril 753 avant J.-C. : LA FONDATION DE ROME

     

     
    Rome. Peu de lieux ont marqué aussi profondément l'Histoire. Une empreinte qui continue et qui a commencé il y a 2 761 ans, si l'on en croit la chronologie de Varron (avocat lié à Cicéron, savant et prolifique écrivain, ayant vécu de 116 à 27 avant l'ère chrétienne). La tradition concernant la fondation de Rome repose sur des auteurs latins (Tite-Live, Virgile, Cicéron, Properce) et grecs (Denys d'Halicarnasse et Plutarque).
    Que dit cette tradition ? Enée (d'où l'Enéide de Virgile), un prince ayant été un des chefs de son camp pendant la guerre de Troie, réussit à fuir sa ville, prise par les Grecs, en emportant sur ses épaules son père Anchise (la mère d'Enée étant tout simplement - si l'on peut dire - la déesse Aphrodite, que les Romains appelèrent Vénus ... ) Après moult pérégrinations, Enée arrive sur les côtes italiennes, débarque au Latium où il prend contact amicalement avec le roi Latinus, dont il épouse la fille Lavinia. Enée fonde Lavinium et, après lui, son fils Ascagne, appelé aussi Iule (ce qui devait permettre, plus tard, à l'illustre famille des Iulii d'en faire son ancêtre ... ), fonde Albe-la-Longue. Ce sont leurs descendants, Romulus et Rémus, fils jumeaux de la vestale Rhéa et du dieu Mars, qui, livrés au Tibre mais recueillis par la louve du Lupercal, fondent Rome. Rémus, ayant commis une profanation en franchissant le sillon sacré déterminant les limites de la nouvelle ville, est tué par son frère, qui devient le premier roi de Rome, où il accueille les Sabins.
    On est, bien sûr, en droit de s'interroger sur la crédibilité de récits si émouvants, en lesquels certains n'ont voulu voir que d'édifiantes forgeries, façonnées a posteriori pour constituer une Histoire officielle. Mais l'archéologie leur apporte, au moins partiellement, un démenti. En effet, des fonds de cabane, découverts sur le Palatin en 1907 mais dégagés en 1949, sont situés près de l'endroit où les Romains conservaient pieusement le souvenir d'une casa Romuli (« la maison de Romulus »). Les morceaux de céramique recueillis sur le site ont été datés du milieu du VIIIe siècle, ce qui correspond à l'époque de la fondation de Rome transmise par la tradition.
    D'autres fonds de cabane de même époque ont été trouvés en un autre endroit du Palatin, ainsi que sur l'emplacement du futur Forum, où 41 tombes ont été identifiées, les unes liées à des rites de crémation, les autres d'inhumation. Puis, en 1988, les vestiges de plusieurs murs ont été mis au jour, semblant correspondre à une enceinte défensive.
    - Le Palatin paraît bien avoir été le berceau de Rome, dominant le Tibre sur les bords duquel devait s'installer plus tard le Forum boarium (le marché aux bestiaux). L'emplacement de la future capitale impériale avait été judicieusement choisi, si l'on en croit Tite-Live : « Ce n'est pas sans raisons que les dieux et les hommes ont choisi ce lieu pour bâtir notre ville : ces collines à l'air pur ; ce fleuve qui nous apporte les produits de l'intérieur et par où remontent les convois maritimes ; une mer à portée de nos besoins, mais à distance suffisante pour nous garder des flottes étrangères ; notre situation au centre même de l'Italie : tous ces avantages forment le plus privilégié des sites pour une cité promise à la gloire. »
    Ces éléments, que nous qualifierions aujourd'hui de géostratégiques, ont été, logiquement, pris en compte par un Romulus qui ne fut peut-être, selon le grand historien Marcel Leglay, que le chef d'une bande d'éleveurs quelque peu pillards, ces bergers célébrant un culte du loup qu'on retrouve dans le rite très ancien des lupercales. A juste titre, Leglay faisait remarquer dans son Histoire romaine (PUF, 1991, en collaboration avec Jean-Louis Voisin et Yann Le Bohec) que la date traditionnelle de fondation de Rome, le 21 avril, était aussi celle des Palilia, fête de la déesse Pales, protectrice des troupeaux et dont le nom a la même racine que celui du Palatin.
    Fondée par des pasteurs indo-européens (Dumézil a mis en évidence le rôle symbolique des premiers rois de Rome, incarnant chacun l'une des trois fonctions de souveraineté, action guerrière et force de production), Rome allait étendre, au fil des siècles, son pouvoir à toute l'Italie, puis à une grande partie de l'Europe et à tout le bassin méditerranéen. Les aigles de ses légions planent encore sur notre longue mémoire.
    Pierre Vial Rivarol du 25 avril 2008

  • 496 : De Tolbiac à Reims

    Bien qu'ayant accepté que fussent baptisés ses enfants, Clovis restait fidèle à ses idoles de pierre et de métal qu'il croyait plus viriles que la piété chrétienne. Mais ni Clotilde, ni Remi ne désespéraient...
    Cette année-là, la quinzième de son règne sur les Francs saliens, Clovis, trente ans, apparaissait plus que jamais comme le seul chef capable de réunir la Gaule. Point touché par l'hérésie arienne comme les autres occupants, Wisigoths et Burgondes, il pourrait s'appuyer sur le seul élément d'unité du pays : le christianisme. Mais il fallait avant tout que l'époux de Clotilde se convertît ; or, bien qu'ayant accepté que fussent baptisés ses enfants, il restait fidèle à ses idoles de pierre et de métal qu'il croyait plus viriles que la piété chrétienne. Mais ni Clotilde, ni Remi, ni Geneviève ne désespéraient...
    Une victoire inespérée
    Or les Alamans, alliés aux Burgondes, attaquaient ses cousins les Francs rhénans ; ils venaient même de blesser Sigebert leur roi. Il était temps pour Clovis de se couvrir à l'Est, et ce fut la mémorable rencontre de Tolbiac, que les Francs appelaient encore Zülpich (près de Cologne).
    Cela s'annonçait mal. Dès le matin, l'armée franque fut encerclée, et Clovis, le vainqueur de Syagrius, pour la première fois se sentit au bord de la reddition. Mais non ! Sa fierté même le poussa à proclamer le voeu de se convertir au Dieu de Clotilde s'il lui donnait la victoire, comme en 312 dans des circonstances semblables avait prié l'empereur Constantin. Aussitôt une flèche vint frapper le roi alaman. Ce fut la débandade dans le camp ennemi. La victoire était totale, miraculeuse. Dès son retour à Soissons il demanda le baptême.
    Il fut pour Remi un catéchumène impétueux mais plein de bonne volonté, sûr que Wotan et ses dieux l'avaient abandonné à Tolbiac. Restait un problème : ses soeurs Alboflède et Lantechilde l'imitaient, mais ses guerriers allaient-ils le suivre ? Et ne seraitil pas la risée des autres barbares ? La Gaule, en puissance la France, ne pouvait attendre : Remi balaya d'un revers de main ces considérations mondaines, et le baptême fut fixé à Reims à Noël de la même année (selon les sources les plus communément admises, qu'utilise Anne Bernet dans son Clovis).
    Le pacte avec Dieu
    Ce jour-là fut signé l'acte de naissance du royaume chrétien. Dans la cathédrale illuminée de tant de cierges que Clovis se crut au paradis, et avec l'intervention miraculeuse de la colombe blanche apportant le saint-chrême, le roi des Francs reçut le baptême des mains de Remi, trois mille de ses guerriers l'accompagnèrent et reconnurent solennellement avec lui le Dieu que définissait Clotilde comme « Celui qui a tiré du néant le ciel et la terre et par sa main créé le genre humain ». Ce fait est capital : le pacte de Reims ne fut pas celui d'une personne qui promit officiellement d'être fidèle à Dieu mais de tout un peuple dont les chefs d'alors s'engagèrent, pour les générations à venir, à reconnaître la Vérité et à y conformer leur vie personnelle et la vie de la cité. Le sang des martyrs avait manifesté la volonté de Dieu sur cette terre ; il fallait désormais que cette volonté divine rencontrât une volonté politique pour que pût commencer l'histoire de France (même si notre pays allait être désigné souvent comme la Gaule pendant encore trois siècles). Le roi des Francs, voyant très intelligemment la forte identité chrétienne de ce peuple politiquement désemparé par tant d'invasions, en adoptait la religion pour lui donner l'armature institutionnelle qui lui manquait. Tout discours sur l'identité française qui ignore que la France est née d'un baptistère n'est que mauvaise (et mensongère) littérature. Demander si la France est chrétienne c'est demander tout simplement si la France existe.
    Contre l'arianisme
    D'autant plus que si Clovis avait pensé que toutes les religions se valaient, il aurait suivi Wisigoths et Burgondes dans l'hérésie, et la France ne serait jamais née. De l'arianisme, ce christianisme au rabais qui n'était qu'un monothéisme théocratique ne reconnaissant pas le Christ pour intermédiaire entre Dieu et l'homme, il ne voulut point, car en retirant devant Remi ses colliers signes d'une "divinité" païenne, il marquait son refus de toute confusion entre les pouvoirs spirituel et temporel. Les esprits bornés d'aujourd'hui voient là l'origine de la laïcité républicaine, alors que la distinction des pouvoirs n'entraînait pas pour Clovis leur séparation, mais au contraire la liberté de soumettre son pouvoir à Dieu dans tout ce qui toucherait à la foi et à la morale. La mentalité moderne soumise religieusement à l'idéologie des Droits de l'Homme, est l'arianisme de notre temps.
    Ce faisant Clovis jeta un coup de pied dans la fourmilière "européiste" qui se mettait en place sous le signe de l'arianisme entre les Wisigoths d'Aquitaine et leurs cousins de l'autre côté des Alpes les Ostrogoths (dont le roi Théodoric était le mari d'Aldoflède soeur de Clovis...) avec la complicité des Burgondes de la Saône et du Rhône. En naissant chrétienne notre nation affirmait déjà son indépendance... Et Clovis, les années suivantes, se mit à commencer de faire la France, comme nous le verrons.
    Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 3 au 16 février 2011

  • Valeurs : le droit de transmettre, le droit de rester nous mêmes

    Si les questions du chômage, du pouvoir d’achat, de l’Europe, de l’insécurité, de l’immigration sont au cœur (par forcément dans cet ordre), des préoccupations de nos compatriotes, la défense de notre identité à laquelle un nombre croissant de Français attache une importance capitale, passe aussi par la défense de nos valeurs morales, éthiques, civilisationnelles. Dans la grande entreprise de destruction des repères qui ont structuré nos sociétés européennes, et plus largement d’ailleurs de nombreuses sociétés traditionnelles, force est de constater que la droite mondialiste n’a rien à envier à sa comparse de gauche. Comme l’a souligné Bruno Gollnisch, il existe là aussi dans ce domaine une simple différence de degré mais non de nature entre les deux pôles du Système.

    Un Système qui s’applique à dénoncer avec tout le vacarme nécessaire les discriminations, le sexisme, le racisme dont se rendraient coupables ces salauds de gaulois, pour mieux cacher la vaste entreprise de dépossession des autochtones de ce pays de leurs libertés, de leur souveraineté, de leurs spécificités culturelles et physiques dont ils sont priés de se débarrasser , voire d’avoir honte…

     Au rayon des farces et attrapes, l’association Ni Putes ni soumises (NPNS) que la socialiste Fadela Amara, ex néo sarkozyste qui vient d’appeler à voter François Hollande avait contribué à fonder en 2003, a bénéficié ces dernières heures du tam-tam médiatique. Subventionnée à hauteur de 500.000 euros par an avec nos impôts par l’UMPS , NPNS est  sortie un instant  de sa léthargie, via sa nouvelle présidente Asma Guenifi , qui a remplacé Sihem Habchi, accusée de dépenses somptuaires par ses petites camarades.

     Mme Guenifi a  en effet réclamé urgemment l’abrogation d’une ordonnance du 26 brumaire an IX (17 novembre 1800), toujours en vigueur dans la Constitution, indiquant que «Toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation ».

     Chacun(e) aura noté que ce texte n’est plus appliqué, mais celui-ci  figure dans la liste des 17 points de revendications que l’ association socialiste compte présenter aux candidats à la présidentielle. L’urgence de la mesure ne sautera certainement pas  aux yeux de nos compatriotes , mais « l’abrogation de cette loi est symbolique. Mais on y tient car ce texte a un caractère régressif et humiliant, il légitime le contrôle du corps féminin », explique Asma Guenifi. Notons que c’est le seul point de la liste qui a été mis en avant,  ce qui augure du niveau des autres propositions avancées par NPNS…

     Dans la même rubrique, l’association féministe répondant au nom tout aussi délicat et poétique de Chiennes de garde s’est vantée du succès de sa campagne Osez le féminisme !, au terme de laquelle François Fillon a publié une circulaire supprimant les termes « Mademoiselle », « nom de jeune fille » et « nom d’épouse » des formulaires administratifs…

     Il n’est bien évidemment pas anodin que l’UMP au pouvoir ait autorisé dans le même mouvement l’enseignement dans les établissements scolaires (et à science-po) de la théorie du genre (gender), défendue notamment par le lobby homosexualiste et  popularisée par l ‘universitaire gauchiste américaine Judith Butler. Une folle théorie qui entend nous persuader que toute identité différenciée, notamment sexuelle, est le fruit de pressions, d’un fascisme social, une construction socioculturelle laquelle expliquerait uniquement nos différences d’aptitudes…

     Les Chiennes viennent également d’exiger le retrait d’une publicité diffusée actuellement à la radio, émanant du département du Jura qui proclamait, par l’intermédiaire d’une voix suave et féminine : « Mes rivières sont généreuses, mes courbes engageantes. Viens chez moi, je suis le Jura », « viens randonner sur moi. » Selon les Chiennes, cette publicité « diffuse et banalise, malgré son statut institutionnel, des fantasmes sexuels pour vanter une région et utilise donc le corps des femmes hors de propos ».

     Si la marchandisation du corps de la femme, l ‘hyper sexualisation agressive qui s’étale dans nombre de publicités est une incontestable réalité,  ladite association, bien dans le sens de la pente et du politiquement correct, n’avait pas réagi il y a quelques mois, lorsque le constructeur automobile Renault avait gratifié les Français de spots publicitaires odieux  pour un de ses modèles. L’un  montrait la complicité émue d’une mère apprenant que sa fille travaille dans un peep show (le rêve de toute maman pour sa progéniture ?), un autre un fils découvrant avec tendresse que son père fait des heures sup le soir sur un boulevard comme travesti…la prostitution masculine c’est plus fun ?

     Nous l’évoquions sur ce blog, un sondage opinion way paru en mars 2011 indiquait que 38% des personnes interrogées considéraient Marine Le Pen comme la candidate « d’une droite patriote attachée aux valeurs traditionnelles »

    Valeurs traditionnelles, notions nous, vilipendées, brocardées, attaquées systématiquement par les faiseurs d’opinion, à commencer par les publicitaires chargés eux aussi d’occuper « le temps de cerveau disponible » de nos compatriotes, et de faire passer les « messages de tolérance. »

    Comme le réaffirmait Bruno Gollnisch lors de son discours du Congrès de Tours, la défense de la vie, la transmission de notre patrimoine culturel,  « la remise à l’honneur des valeurs traditionnelles et de droit naturel – ce n’est pas ringard, c’est moderne, de défendre les valeurs traditionnelles ! ». Il est temps, grand temps, que les Français renvoient définitivement dans le passé les acteurs d’un Système qui contribue tant à la ruine de notre pays et ce, dans tous les domaines.

    http://www.gollnisch.com

  • Quand les bourreaux deviennent victimes

    Le Figaro Histoire n° 4 - 26/11/2012
    Un universitaire américain dresse le bilan de l'immense exode des populations d'origine allemande chassées d'Europe centrale et orientale à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cet épisode dramatique, ponctué de meurtres, tortures, viols et suicides, avait provoqué entre 500 000 et 1,5 million de morts.
     
         Le 8 mai 1945, le IIIe Reich capitulait. Depuis le déclenchement de l’offensive soviétique en direction de l’ouest, au printemps 1944, et le débarquement anglo-américain en Normandie et en Provence, quelques semaines plus tard, la guerre était perdue pour Berlin. Le conflit s’était néanmoins poursuivi dix mois encore, transformant la défaite du Reich en descente aux enfers pour le peuple allemand.

         Un peuple allemand qui, ayant porté Hitler au pouvoir et ayant été associé à l’entreprise nazie, ne saurait être considéré comme innocent, sans que sa culpabilité ne puisse être clairement définie, toutefois, tant les mécanismes de contrainte de l’Etat national-socialiste étaient implacables et tant la notion de culpabilité collective est étrangère au droit occidental.

         C’est cette ambivalence qui explique la discrétion entourant une page dramatique de l’histoire : le sort subi par les 12 à 14 millions de civils allemands, en majorité des vieillards, des femmes et des enfants, qui, entre 1945 et 1947, ont été brutalement chassés des pays de l’Est où leurs familles vivaient depuis des générations et qui ont dû alors se replier sur une Allemagne dévastée, incapable de les accueillir.

         Professeur associé d’histoire contemporaine à Colgate University (New York), R.M. Douglas vient de publier sur cet épisode un livre subtil et documenté, qui a fait du bruit aux Etats-Unis et en Allemagne, où il a déjà été traduit. En France, où le sujet est d’autant plus méconnu que notre pays n’a eu aucune part à l’affaire, l’ouvrage surprendra, tant il révèle de faits inédits. Le propos de l’auteur est sans ambiguïté. « On ne peut légitimement établir aucune comparaison, écrit-il, entre les expulsions de l’après-guerre et les crimes de l’Allemagne à l’encontre des Juifs et d’autres victimes innocentes entre 1939 et 1945. » Mais cette remarque introduit ce constat : « Il ne faut pas en conclure pour autant que les expulsions étaient inévitables, nécessaires ou justifiées. »

         Du Moyen Age au XVIIIe siècle, l’Europe centrale, orientale et balkanique a fourni des zones de peuplement pour des groupes germaniques issus des Etats appartenant au Saint Empire ou relevant de la souveraineté des Habsbourg. Après la Première Guerre mondiale, dans la nouvelle Europe dessinée par l’amputation de l’Allemagne et le démantèlement de l’Autriche-Hongrie, on trouve dès lors des habitants de langue allemande en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Roumanie, en Italie, en Yougoslavie, en Pologne, dans les pays Baltes et jusqu’en Union soviétique.

         Depuis le XIXe siècle, le nationalisme allemand utilise l’existence de ces minorités comme base de ses revendications territoriales. A fortiori Hitler qui, dans sa vision raciale, assure vouloir réunir au sein du Reich tous les Volksdeutschen, terme qui englobe tous les ressortissants de langue allemande des autres Etats que l’Allemagne, et prétend secourir les Reichsdeutschen, citoyens des parties orientales du Reich, prétendument persécutés par les Juifs et les Slaves. Un programme qu’il met à exécution, en 1938, en annexant l’Autriche et, à l’issue de la crise de Munich, le pays des Sudètes, région tchèque où les germanophones sont localement majoritaires, puis, en 1939, en attaquant la Pologne au prétexte de venir en aide à la population de Dantzig, ville allemande à 96 % mais administrée par la SDN et située sur un territoire attribué à la Pologne en 1919.

         L’invasion de la Pologne, dépecée de concert avec l’URSS, alliée du Reich depuis le pacte  germano-soviétique d’août 1939, donne le signal de départ à la Seconde Guerre mondiale. En 1941, Hitler, maître de la moitié du continent, se retourne contre Staline. Le conflit, à l’Est, est effroyable, la Wehrmacht et l’armée Rouge rivalisant dans la violence et le meurtre de masse, même si leurs cibles ne sont pas les mêmes. A l’Ouest, l’occupation allemande provoque numériquement moins de victimes, mais est tout aussi cruelle. Dans les deux camps, la haine est à vif.

         Dès 1944, les Alliés se demandent quoi faire des minorités allemandes répandues à travers l’Europe. Churchill, dans un discours prononcé à la Chambre des communes, annonce que, pour éviter les tensions nationales après-guerre, ces minorités seront transférées en Allemagne. Les Soviétiques, eux, songent également au transfert, mais pas dans la même direction. Dès le mois de décembre 1944, dans la Hongrie qu’ils viennent d’occuper, les civils germanophones sont arrêtés et envoyés en URSS comme travailleurs forcés. En tout, entre 100 000 et 170 000 Allemands de Hongrie seront déportés dans les camps soviétiques.

         En janvier 1945, l’armée Rouge s’approche de la Pologne occupée par le Reich et de la Prusse-Orientale. Par fanatisme, les autorités nazies ont retardé au maximum l’évacuation des civils. C’est dans la panique, alors, que des centaines de milliers d’Allemands doivent partir à pied, dans le froid et la neige, afin de fuir les soldats russes qui violent, pillent et tuent, répondant aux exactions et aux crimes commis par la Wehrmacht sur le sol soviétique. Quand la route entre la Prusse-Orientale et le reste de l’Allemagne est coupée, les fuyards rejoignent le port de Dantzig où 350 000 soldats et 900 000 civils parviennent à embarquer, mais non sans péril : le 30 janvier 1945, un sous-marin soviétique torpille le Wilhelm Gustloff, un paquebot qui entraîne au fond de la Baltique 7000 de ses passagers, principalement des femmes et des enfants. Au total, entre 6 et 8 millions d’Allemands s’échappent des régions à l’est de la ligne Oder-Neisse avant que l’Armée rouge n’en prenne le contrôle.

         Deux mois après la capitulation du Reich, lors de la conférence de Potsdam (17 juillet - 2 août 1945), les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Union soviétique, confirmant un principe esquissé en février à la conférence de Yalta, attribuent à l’URSS la moitié septentrionale de la Prusse-Orientale (dont la capitale, Königsberg), tandis que la Pologne, devenue un satellite soviétique, se voit confier les territoires allemands situés à l’est de la ligne Oder-Neisse. Les trois puissances victorieuses décident également l’expulsion des Allemands de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie vers l’Allemagne, les réfugiés devant être dirigés, à parts égales, vers les zones d’occupation soviétique, américaine, britannique et française. L’article XII de l’accord de Potsdam précise ceci : « Ces transferts devront se faire de manière ordonnée et humaine ». Un vœu pieux.

         La France, cependant, n’a pas participé au sommet de Potsdam. Ne se sentant pas liée par un accord qu’elle n’a pas signé, elle refusera toujours la politique d’expulsions. Souci humanitaire ? Non, explique R.M. Douglas : Paris redoutait en réalité que l’accroissement de la population allemande ne crée un futur danger pour la France…

         C’est ainsi que, en vertu du projet de créer des nations homogènes, de la méfiance à l’égard des minorités allemandes, vues comme la source de troubles potentiels, et de la volonté plus ou moins consciente de punir collectivement les Allemands pour les crimes du nazisme, va avoir lieu la plus grande migration de l’histoire européenne.

         En Tchécoslovaquie, 700 000 civils allemands ont été chassés avant Potsdam, 2 millions le seront après, sur la base des décrets Beneš. Plus de 7 millions d’Allemands seront expulsés des nouveaux territoires de Pologne, pays où certains camps nazis, tout juste vidés de leurs détenus, serviront à regrouper des civils allemands. Hongrie, Roumanie, Yougoslavie, Union soviétique : R.M. Douglas expose les cas les plus hallucinants, avec leur cortège de viols, de tortures, de meurtres, de suicides et de morts de faim, de froid ou de maladie, au cours du déplacement forcé vers une Allemagne qui n’avait ni nourriture, ni logement à offrir aux réfugiés, et ce sous l’œil des Alliés. L’auteur, prudent avec les chiffres, estime que le nombre de victimes des expulsions se situe entre 500 000 et 1,5 million de morts.

         Dans sa conclusion, l’historien américain s’élève contre l’idée que « certains crimes selon le droit international ne devraient faire l’objet ni d’enquêtes ni de poursuites à cause de la sympathie qu’inspirent les coupables et/ou du peu de sympathie qu’inspirent les victimes ». Un peuple qui s’est fait bourreau peut ensuite, d’une autre manière, avoir été victime. C’est cela, la complexité de l’Histoire.
    Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
    R.M. Douglas, Les expulsés, Flammarion. Traduit de l’anglais par Laurent Bury.

  • Lectures fermes pour une époque molle – Par Dominique Venner

    À celles et ceux qui me lisent, je présente tous mes vœux d’énergie, de courage et de beauté. Pour accompagner ces vœux, je vais commenter ma relecture récente d’un ouvrage fondamental et un peu oublié, voire dénigré (signe de qualité dans un environnement décadent) : L’Homme cet inconnu d’Alexis Carrel. Mon édition date de 1968, elle reprend l’édition Plon originale de 1935 (1) (image en Une, édition de 1957).

    Prix Nobel de médecine en 1912, le Dr Carrel ne fut pas seulement un biologiste inventif et un virtuose de la chirurgie, c’était un esprit d’une hauteur exceptionnelle. Loin de s’enfermer dans sa discipline, il s’intéressait à tout ce qui se rapporte aux mystères de la vie humaine envisagée sous ses aspects physiologiques, intellectuels et moraux afin d’améliorer la société moderne.

    C’était un esprit très ouvert et jamais dogmatique, qui s’exprimait avec une grande clarté. On trouve chez lui une foule d’observations précieuses pour se reconstruire ou éduquer les enfants. Celle-ci, par exemple sur les bienfaits de l’adaptation à des conditions de vie contrastées : « L’homme atteint son plus haut développement quand il est exposé aux intempéries, quand il est privé de sommeil et qu’il dort longuement, quand sa nourriture est tantôt abondante, tantôt rare, quand il conquiert par un effort son abri et ses aliments. Il faut aussi qu’il exerce ses muscles, qu’il se fatigue et qu’il se repose, qu’il combatte, qu’il souffre, que parfois il soit heureux, qu’il aime et qu’il haïsse, que sa volonté alternativement se tende et se relâche, qu’il lutte contre ses semblables et contre lui-même. Il est fait pour ce mode d’existence, comme l’estomac pour digérer les aliments. C’est dans les conditions où les processus adaptatifs s’exercent de façon intense qu’il devient le plus viril. On sait combien sont solides physiquement et moralement ceux qui, dès l’enfance, ont été soumis à une discipline intelligente, qui ont enduré quelques privations et se sont accommodés à des conditions adverses » (p. 282).

    Le Dr Carrel était un homme de son temps, un homme des années 1930, hanté, entre autres par les effets de la Première Guerre mondiale et de la grande crise économique consécutive au krach de 1929. Il avait une perception forte d’une dégénérescence des peuples blancs qui avaient été, depuis quatre siècles, les bâtisseurs d’un nouveau type de société associé au progrès des sciences et des techniques. C’était un volontariste, comme on l’était en son temps (avant les désastres de la Seconde Guerre mondiale). Il croyait fermement à la possibilité d’endiguer la déchéance qu’il voyait poindre. Pour cela, il pensait nécessaire de mettre ses conclusions à la disposition des réformateurs politiques en vue de décisions salvatrices. Cette ambition élevée était aux antipodes de l’individualisme forcené, des promesses de jouissance liée à la consommation de biens inutiles et du verbiage compassionnel qui dominent notre époque. Mais ces dérives décadentes actuelles n’auront qu’un temps, alors que les enseignements de Carrel ont une valeur éternelle.

    La foi qui l’habitait lors de la publication de L’Homme cet inconnu (plusieurs millions d’exemplaires vendus dans le monde entier) est résumé à la fin du livre en une page toujours actuelle. Après avoir rappelé le rôle des ordres monastiques et des ordres de chevalerie durant les périodes sombres du haut Moyen Âge, il enchaîne (p. 348) : « Il n’y aurait pas besoin d’un groupe dissident très nombreux pour changer profondément la société moderne. C’est une donnée ancienne de l’observation que la discipline donne aux hommes une grande force. Une minorité ascétique et mystique acquerrait rapidement un pouvoir irrésistible sur la majorité jouisseuse et aveulie. Elle serait capable, par la persuasion ou peut-être par la force, de lui imposer d’autres formes de vie. Aucun des dogmes de la société moderne n’est inébranlable. Ni les usines gigantesques, ni les offices buildings qui montent jusqu’au ciel, ni les grandes villes meurtrières, ni la morale industrielle, ni la mystique de la production ne sont nécessaires à notre progrès. D’autres modes d’existence et de civilisation sont possibles. La culture sans le confort, la beauté sans le luxe, la machine sans la servitude de l’usine, la science sans le culte de la matière permettraient aux hommes de se développer indéfiniment, en gardant leur intelligence, leur sens moral et leur virilité... » Virilité pour les hommes et aptitudes à l’amour, à l’énergie, au dévouement et à l’éducation des enfants chez les femmes, parmi bien d’autres qualités.

    Dominique Venner http://fr.novopress.info

    (1) Dr Alexis Carrel, L’Homme cet inconnu, Plon. D’occasion sur différents sites en ligne.[Note de Novopress : l'édition de 1999 est également disponible neuve.]

    Source : le site internet de Dominique Venner.

  • Ernst Jünger, lecteur de Léon Bloy

    Ernst Jünger, lecteur de Léon BloyLes sept marins du “renversement copernicien” sont un symbole, qu’Ernst Jünger met en exergue dans la préface des six volumes de ses “Journaux”, intitulés “Strahlungen”. Les notes de ces “Journaux”, rédigées pendant l’hiver 1933/1934 “sur la petite île de Saint-Maurice dans l’Océan Glacial Arctique” signalent, d’après Jünger, que “l’auteur se retire du monde”, retrait caractéristique de l’ère moderne. Le moi moderne est parti à la découverte de lui-même, explique Jünger, conduisant à des observations de plus en plus précises, à une conscience plus forte, à la solitude et à la douleur. Aucun des marins ne survivra à l’hiver arctique. Nous avons énuméré là quelques caractéristiques majeures des “Journaux” de Jünger. Celui-ci rappelle simultanément les pierres angulaires de l’œuvre et de l’univers d’un très grand écrivain français, qu’il a intensément pratiqué entre 1939 et 1945: Léon Bloy.

    Léon Henri Marie Bloy est né le 11 juillet 1846 à Périgueux. Il est mort le 3 novembre 1917 à Bourg-la-Reine. Il se qualifiait lui-même de “Pèlerin de l’Absolu”. Converti au catholicisme sous l’impulsion de Barbey d’Aurevilly en 1869, il devient journaliste, critique littéraire et écrivain et va mener un combat constant et vital contre la modernité sécularisée, contre la bêtise, l’hypocrisie et le relativisme, contre l’indifférence que génère un ordre matérialiste. Bloy remet radicalement en question tout ce qui fait les assises de l’individu, de la société et de l’Etat, ce qui le conduit, bien évidemment, à la marginalisation dans une société à laquelle il s’oppose entièrement.

    Conséquences de la radicalité de ses propos, de son œuvre et de sa langue furent la pauvreté extrême, l’isolement, le mépris et la haine. Sa langue surtout car Bloy est un polémiste virulent, à côté de beaucoup d’autres. Son Journal, qui compte plusieurs volumes, couvre les années de 1892 à 1917; sa correspondance est prolixe et bigarrée; ses nombreux essais, dont “Sueur de sang” (1893), “Exégèses des lieux communs” (1902), “Le sang du pauvre” (1909), “Jeanne d’Arc et l’Allemagne” (1915) et surtout ses deux romans, “Le désespéré” (1887) et “La femme pauvre” (1897) forment, tous ensemble, une œuvre vouée à la transgression, que l’on ne peut évaluer selon les critères conventionnels. La pensée et la langue, la connaissance et l’intuition, l’amour et la haine, l’élévation et la déchéance constituent, dans les œuvres de Bloy, une unité indissoluble. Il enfonce ainsi un pieu fait d’absolu dans le corps en voie de putréfaction de la civilisation occidentale. Ainsi, Bloy se pose, à côté de Nietzsche, auquel il ressemble physiquement, comme l’un de ces hommes qui secouent et ébranlent fondamentalement la modernité.

    L’impact de Bloy ne peut toutefois se comparer à celui de Nietzsche. Il y a une raison à cela. Tandis que Nietzsche dit: “Dieu est mort”, Bloy affirme “Dieu se retire”. Nietzsche en appelle à un homme nouveau qui se dressera contre Dieu; Bloy réclame la rénovation de l’homme ancien dans une communauté radicale avec Dieu. Nous nous situons ici véritablement —disons le simplement pour amorcer le débat— à la croisée des chemins de la modernité. Aux limites d’une époque, dans le maëlström, une rénovation s’annonce en effet, qu’et Nietzsche et Bloy perçoivent, mais ils en tirent des prophéties fondamentalement différentes. Chez Nietzsche, ce qui atteint son sommet, c’est la libération de l’homme par lui-même, qui se dégage ainsi des ordonnancements du monde occidental, démarche qui correspond à pousser les Lumières jusqu’au bout; chez Bloy, au contraire, nous trouvons l’opposition la plus radicale aux Lumières, assortie d’une définition eschatologique de l’existence humaine. Nietzsche a fait école, parce que sa pensée restait toujours liée aux Lumières, même par le biais d’une dialectique négative. Pour paraphraser une formule de Jünger: Nietzsche présente le côté face de la médaille, celle que façonne la conscience.

    Bloy a été banni, côté pile. Il est demeuré jusqu’à aujourd’hui un auteur ésotérique. Ses textes, nous rappelle Jünger, sont “hiéroglyphiques”. Ils sont “des œuvres, pour lesquelles, nous lecteurs, ne sommes mûrs qu’aujourd’hui seulement”. “Elles ressemblent à des banderoles, dont les inscriptions dévoilent l’apparence d’un monde de feu”. Mais malgré leurs différences Nietzsche et Bloy constituent, comme Charybde et Scylla, la porte qui donne accès au 20ième siècle. Impossible de se décider pour l’un ou pour l’autre: nous devons voguer entre les deux, comme l’histoire nous l’a montré. Bloy et Nietzsche sont les véritables Dioscures du maëlström. Peu d’observateurs et d’analystes les ont perçus tels. Et,dans ce petit nombre, on compte le catholique Carl Schmitt et le protestant Ernst Jünger.

    Si nous posons cette polarité Nietzsche/Bloy, nous considérons derechef que l’importance de Bloy dépasse largement celle d’un “rénovateur du catholicisme”, posture à laquelle on le réduit trop souvent. Dans sa préface à ses propres “Strahlungen” ainsi que dans bon nombre de notices de ses “Journaux”, Ernst Jünger cite Bloy très souvent en même temps que la Bible. Car il a lu Bloy et la Bible en parallèle, comme le montrent, par exemple, les notices des 2 et 4 octobre 1942 et du 20 avril 1943. C’est à partir de Bloy que Jünger part explorer “le Livre d’entre les Livres”, ce “manuel de tous les savoirs, qui a accompagné d’innombrables hommes dans ce monde de terreurs”, comme il nous l’écrit dans la préface des “Strahlungen”. Bloy a donné à Jünger des “suggestions méthodologiques” pour cette nouvelle théologie, qui doit advenir, pour une “exégèse au sens du 20ième siècle”.

    Mais Jünger place également Bloy dans la catégorie des “augures des profondeurs du maëlström”, parmi lesquels il compte aussi Poe, Melville, Hölderlin, Tocqueville, Dostoïevski, Burckhardt, Nietzsche, Rimbaud, Conrad et Kierkegaard. Tous ces auteurs, Jünger les appelle aussi des “séismographes”, dans la mesure où ils sont des écrivains qui connaissent “l’autre face”, qui sentent arriver l’ère des titans et les catastrophes à venir ou qui les saisissent par la force de l’esprit. Dans “Le Mur du Temps”, Jünger nous rappelle que ces hommes énoncent clairement leur vision du temps, de l’histoire et du destin. Trop souvent, dit Jünger, ces “augures” s’effondrent, à la suite de l’audace qu’ils ont montrée; ce fut surtout le cas de Nietzsche, “qu’il est de bon ton de lapider aujourd’hui”; ensuite ce fut aussi celui de Hamann qui, souvent, “ne se comprenait plus lui-même”. On peut deviner que Jünger, à son tour, se comptait parmi les représentants de cette tradition: “Après le séisme, on s’en prend aux séismographes” —modèle explicatif qui peut parfaitement valoir pour la réception de l’œuvre de Jünger lui-même.

    Le chemin qui a mené Jünger à Bloy ne fut guère facile. Jünger le reconnait: “Je devais surmonter une réticence (...) —mais aujourd’hui il faut accepter la vérité, d’où qu’elle se présente. Elle nous tombe dessus, à l’instar de la lumière, et non pas toujours à l’endroit le plus agréable”. Qu’est-ce donc que cet “endroit désagréable”, qui suscite la réticence de Jünger? Dans sa notice du 30 octobre 1944, rédigée à Kirchhorst, Jünger écrit: “Continué Léon Bloy. Sa véritable valeur, c’est de représenter l’être humain, dans son infamie, mais aussi dans sa gloire”. Pour comprendre plus en détail cette notice d’octobre 1944, il faut se référer à celle du 7 juillet 1939, qui apparaît dans toute sa dimension drastique: “Bloy est un cristal jumelé de diamant et de boue. Son mot le plus fréquent: ordure. Son héros Marchenoir dit de lui-même qu’il entrera au paradis avec une couronne tressée d’excréments humains. Madame Chapuis n’est plus bonne qu’à épousseter les niches funéraires d’un hôpital de lépreux. Dans un jardin parisien, qu’il décrit, règne une telle puanteur qu’un derviche cagneux, qui est devenu l’équarisseur des chameaux morts de la peste, serait atteint de la folie de persécution. Madame Poulot porte sous sa chemise noire un buste qui ressemble à un morceau de veau roulé dans la crasse et qu’une meute de chiens a abandonné après l’avoir rapidement compissé. Et ainsi de suite. Dans les intervalles, nous rencontrons des sentences aussi parfaites et vraies que celle-ci: ‘La fête de l’homme, c’est de voir mourir ce qui ne paraît pas mortel’ “.
    Bloy descend en profondeur dans le maëlström, les yeux grand ouverts. Cela nous rappelle la marche de Jünger, en plein éveil et clairvoyance, à travers le “Foyer de la mort”, dans “Jardins et routes”. Ce qui m’apparaît décisif, c’est que Bloy, lui aussi, indique une voie pour sortir du tourbillon, qu’il ressort, lui aussi, toujours du maëlström: “Bloy est pareil à un arbre qui, plongeant sa racine dans les cloaques, porterait à sa cime des fleurs sublimes” (notice du 28 octobre 1944). Cette image d’une ascension hors des bassesses de la matière, qui s’élance vers le sublime de l’esprit, nous la retrouvons dans la notice du 23 mai 1945, rédigée à la suite d’une lecture du texte de Bloy, “Le salut par les juifs”: “Cette lecture ressemble à la montée que l’on entreprend dans un ravin de montagne, où vêtements et peau sont déchiquetés par les épines. Elle trouve sa récompense sur l’arête; ce sont quelques phrases, quelques fleurons qui appartiennent à une flore autrement éteinte, mais inestimable pour la vie supérieure”.

    Dans la pensée de Bloy, Jünger ne trouve pas seulement une véhémence de propos qui détruit toutes les pesanteurs de l’ici-bas, mais aussi les prémisses d’un renouveau, d’une “Kehre”, soit d’un retournement, des premières manifestations d’une époque spirituelle au-delà du “Mur du temps”, quand les forces titanesques seront immobilisées et matées, quand l’homme et la Terre seront à nouveau réconciliés. Nous ne pouvons entamer, ici, une réflexion quant à savoir si Jünger comprend la pensée sotériologique de Bloy de manière “métaphorique”, comme tend à le faire penser Martin Meyer dans son énorme ouvrage sur Jünger, ou s’il voit en Bloy la dissolution du nihilisme annoncé par Nietzsche —cette thèse pourrait être confirmée par la dernière citation que nous venons de faire où l’image de l’épine et de la peau indique un ancrage dans la tradition chrétienne. Mais une chose est certaine: Bloy a été, à côté de Nietzsche, celui qui a contribué à forger la philosophie de l’histoire de Jünger. “Les créneaux de sa tour touchent l’atmosphère du sublime. Cette position est à mettre en rapport avec son désir de la mort, qu’il exprime souvent de manière fort puissante: c’est un désir de voir représenter la pierre des sages, issue des écumes les plus basses, des lies les plus sombres: un désir de grande distillation”.
    Alexander Pschera http://www.voxnr.com
    notes :
    Traduction française: Robert Steuckers).
    Alexandre Pschera est docteur en philologie germanique. Il travaille actuellement sur plusieurs projets “jüngeriens”.
    source:
    Junge Freiheit n°09/2005