Aux éditions Pardès, Jean-Claude Valla nous propose une remarquable biographie de Doriot qui n'est ni une réhabilitation totale du « Grand Jacques » ni un pamphlet haineux et systématique (1). L'auteur s'appuie sur sa profonde connaissance de la période 1940-45 dont ont témoigné ses Cahiers Libres d'Histoire - sur la Milice, Touvier, la Cagoule, la Résistance d'extrême droite, les socialistes dans la Collaboration (2) Sa documentation est sérieuse, constituée de documents personnels avec une utilisation judicieuse de la presse de l'époque. La vie et les activités de Jacques Doriot sont suivies tout au long de sept chapitres que l'on peut classer en trois parties.
UN COMMUNISTE CRITIQUE
Né en 1898 à Bresles (Oise) d'un père forgeron, Jacques Maurice Doriot est d'abord ajusteur à Saint-Denis où il se fixe en 1916. Mobilisé en 1917, il se bat en 1918, notamment sur le dur Chemin des Dames puis dans l'armée d'Orient. Il en revient avec deux citations mais marqué, d'où son pacifisme. Comme beaucoup de jeunes anciens combattants, il a cru à la « grande lumière à l'Est » et adhère aux Jeunesses communistes en 1920 après le congrès de Tours. Sa carrière dans le Parti est rapide. Sélectionné , il est envoyé plusieurs fois à Moscou et même, sur ordre de Staline, en Chine en 1927 pour une mission. Il y est témoin de l'écrasement du PC chinois, compromis par Staline puis abandonné. De là son jugement (en privé) sur « cette canaille de Géorgien » ! Ce qui ne l'a pas empêché en France de se distinguer par ses activités de communiste "révolutionnaire".
Elu député (secteur de Saint-Denis ) en 1924, il se distingue par son antimilitarisme et son anticolonialisme lors de la guerre franco-espagnole dans le Rif contre Abd el Krim. Mais, même s'il a été cosignataire du fameux télégramme envoyé au chef rebelle marocain, il n'en est pas l'auteur. Cela lui vaudra procès et plusieurs séjours en prison. Les ministres de l'Intérieur ne badinent pas alors avec le bolchevisme, de plus compromis par des activités d'espionnage au profit de l'URSS. « Le communisme voilà l'ennemi», avait déclaré à Constantine en 1926 Albert Sarraut, ministre de l'Intérieur.
En 1929 existe déjà une fêlure entre Doriot et son parti. Ayant préconisé une alliance électorale avec les socialistes, il dut faire son autocritique, ce qui l'a humilié. C'est l'époque où le Komintern a ordonné la tactique « classe contre classe ». Les socialistes qualifiés de « sociaux traîtres » sont l'ennemi numéro un. Ce qui a facilité en Allemagne le succès de Hitler.
Aux élections de 1932, Doriot est réélu, toujours à Saint-Denis, mais le PC en sort laminé. Raison de plus pour le député de vouloir convaincre Moscou de changer de stratégie.
1934. Après les événements de février, le 9, Doriot s'est battu dans la rue entre la République et la Gare du nord. Il y eut dans ses troupes plusieurs morts. Dans la biographie (très critique) que Philippe Robrieux lui a consacrée (Tome 4 de l'Histoire intérieure du Parti Communiste, Fayard 1987), il reconnaît que le courage physique de Doriot ne peut être contesté, ce qui n'est pas le cas de son grand rival Maurice Thorez.
Convoqué à Moscou comme Thorez (mais celui-ci est soutenu par Eugen Fried, agent du Komintern en France), Doriot refuse de s'y rendre (par orgueil ou par prudence ?) et, fin juin 1934, il est exclu du PC. Un peu plus tard, sur ordre de Staline, les PC sont lancés dans la politique dite des fronts communs ou fronts populaires (alliance avec les socialistes et même les partis bourgeois) contre les "fascistes" - en France, les très modérés mais démonstratifs Croix de feu du colonel de La Rocque.
Doriot a connu « une immense peine » après son éviction alors qu'il avait longtemps cru ou rêvé d'être « le dirigeant le plus qualifié du parti ». À noter qu'il a une base solide. Elu maire de Saint Denis en 1931, puis réélu en 1935 contre Jacques Duclos. Il peut s'appuyer sur le « Rayon majoritaire de Saint-Denis » dont l'hymne contient une strophe pour « l'unité d'action » et une autre « contre le fascisme qui menace »... Doriot participa d'ailleurs au grand défilé Front populaire du 14 juillet 1935 et, en 1936, il vota la dissolution des Ligues.
LA DÉRIVE DROITIÈRE
Mais dans le même temps, celui qui se considère comme un « communiste indépendant » a vigoureusement critiqué le pacte franco-soviétique de 1935, le dénonçant comme « un pacte contre-nature » monté par Staline pour entraîner la France dans une guerre. Si ce pacte a poussé au virage "tricolore" des communistes et à leur premier grand succès électoral en 1936, il a révolté des militants endurcis qui y virent une trahison de leurs luttes pacifistes des années 1930. Et qui vont rejoindre Doriot. Pour le Parti, il est devenu plus que jamais « l'homme à abattre ».
Ces communistes désenchantés, et d'autres dissidents de gauche, ne sont pas les seuls. Ils sont rejoints par des « dissidents de droite », surtout des déçus des Ligues après l'échec du 6 février 1934. Tous s'intéressent à Doriot qui, de plus, « attire la sympathie des "non-conformistes" des années 1930 » et même de radicaux de droite comme Emile Roche (très anticommuniste directeur du quotidien La République dont le rédacteur en chef Pierre Dominique, futur collaborateur puis directeur de RIVAROL de 1970 à 1973). Sympathisants aussi, des intellectuels éminents comme Fabre-Luce (futur rédacteur en chef de RIVAROL, de 1954 à 1955), Bertrand de Jouvenel - dont on annonce une biographie. Doriot a même des contacts avec Déat et ses néo-socialistes et Gaston Bergery, un curieux « électron libre » dont fut très proches un autre des directeurs de RIVAROL (1973-1983), Maurice Gaït. Mais en raison de divergences, cela n'a pas été jusqu'à une alliance qui aurait été une troisième voie entre les Gauches et la droite modérée.
C'est après le succès du Front Populaire et les grèves de mai-juin 1936, soutenues par Doriot à Saint-Denis, que celui-ci se décide à lancer le Parti du Peuple Français (PPF) le 28 juin 1936. C'est le fameux « rendez-vous de Saint-Denis » exalté par Drieu La Rochelle qui devient un allié de poids et collabore au journal de Doriot, L'Emancipation devenue Nationale. Le départ est « foudroyant », « avec la création de sections à Lyon, Marseille, Nice et en Algérie, un "bastion" ». Le talent d'orateur de Doriot est pour beaucoup puisque adhérents et sympathisants seront bientôt des dizaines de milliers. Ce sont en priorité des communistes qui pour la plupart resteront fidèles au "Chef jusqu'au bout. Les autres proviennent de l'extrême droite.
Dans son ascension, J.-Cl. Valla ne le cache pas, Doriot eut besoin d'argent, qui provint d'un patronat épouvanté par la poussée communiste et peut-être de la banque protestante Worms. En 1937, Doriot s'est cru assez fort pour proposer aux partis nationaux de constituer un « Front de la liberté » anticommuniste. Il recueillera des sympathies mais se heurtera au colonel de La Rocque qui a dissous la Ligue des "Croix de Feu" mais fondé le Parti Social Français (PSF) dont les effectifs entre 1936 et 1939 ont atteint, voire dépassé, le million d'adhérents... ce qui fait rêver aujourd'hui ! Pour La Rocque, Doriot reste un douteux bolchevik mal blanchi alors même qu'il est l'objet de campagnes hystériques du Parti Communiste, surtout lorsqu'il prend position contre les Brigades Internationales et l'engagement de la France dans la guerre d'Espagne.
Doriot commet aussi des imprudences. Maire de Saint-Denis, il avait été révoqué en 1937, sous un prétexte spécieux (le Conseil d'Etat l'a réhabilité plus tard). Il donna alors sa démission de conseiller municipal et voulut se représenter à des élections partielles où il fut battu par le PC qui avait profondément investi la ville, aidé par l'abstention (sur ordre ?) des électeurs PSF. Par honnêteté ou provocation, Doriot donna alors sa démission de député. Mais son candidat fut évincé par celui du PCF. Nouvelle défaite. Ce qui n'a pas pas empêché le PPF de se structurer et de progresser.
Jean-Claude Valla ouvre un débat récurrent pour savoir si le PPF doit être considéré comme "fasciste" et conclut par la négative même s'il y a quelques signes dans son organisation, avec les drapeaux, les défilés, le serment de "fidélité", le chant « France libère-toi », le salut (qui n'est pas une copie mussolinienne ou hitlérienne). Mais cela n'est pas une singularité dans les mouvements de droite et de gauche des années 1930... J.-Cl. Valla parle plutôt de « dérive droitière » qui se caractérisera aussi par des outrances de vocabulaire contre les "métèques" et les juifs qui, d'Allemagne et d'Europe centrale, affluaient en France.
En 1938, le PPF connaîtra une autre épreuve. Au moment de Munich, Doriot, très partagé, approuve les fameux accords. Il est lâché par les antimunichois, notamment Pierre Pucheu lié au Comité des Forges et qui lui vouera une haine tenace.
Dans ses discours, Doriot se défend d'être "fasciste". Il veut un « parti de style nouveau, au-dessus des classes ». Ce qui lui vaut des critiques de ceux qui lui reprochent justement de ne pas l'être assez. Et Drieu le quitte sous le même prétexte. En 1939, à propos de la Pologne, Doriot juge qu'il faut la défendre contre l'Allemagne. Il critique Déat qui ne voulait pas « mourir pour Dantzig » et se résigne à une guerre possible. Mais quand il apprend l'existence du pacte germano-soviétique, il y voit la confirmation de la stratégie cynique de Staline qu'il avait tant dénoncée. Et dans un discours à ses militants mobilisés, il déclare : « Je n'ai jamais eu autant de peine d'avoir eu raison et de n'avoir pas été compris. »
Sur le Doriot des années 1934 à 1939, il faut savoir gré à Jean-Claude Valla de n'avoir pas simplifié ni caricaturé une évolution, où les "ruptures" brutales sont parfois tempérées par un certain opportunisme.
LA COLLABORATION TOTALE
Jacques Doriot a 41 ans en 1939. Mobilisé comme sergent, il se bat sur la Loire en juin 1940, ce qui lui vaudra la Croix de Guerre avec palme. Démobilisé, il retourne à la politique, reprenant en main son Parti Populaire Français (PPF) qui s'était dispersé. S'il est à Vichy en juillet 1940, ce ne sont pas ses "bandes" comme l'a prétendu Léon Blum qui ont contraint les parlementaires de la IIIe République à céder leurs pouvoirs à Philippe Pétain. Ils étaient bien trop heureux de laisser l'ardoise au Vieux Chef.
Doriot se veut « un homme du Maréchal » qu'il a rencontré plusieurs fois. Il est en 1941 nommé membre du Conseil national de l’État français et a même bénéficié des fonds de Vichy pour créer en zone nord un nouveau journal, Le Cri du peuple (animé par Henri Lèbre qu'on retrouvera dans RIVAROL spécialiste de la politique étrangère après son long exil argentin), L'Emancipation étant repliée à Marseille.
Convaincu de la victoire de l'Allemagne, il a pris des contacts, parfois difficiles à cause du pacte germano-soviétique qu'il ne cesse de critiquer, avec Otto Abetz et certains services allemands. En zone nord où il s'est installé, il rencontre la concurrence de Marcel Déat qu'il déteste (c'est réciproque) et du RNP.
Le grand moment pour lui c'est quand, le 21 juin 1941, l'Allemagne attaque l'Union soviétique. Cette « guerre est notre guerre », proclame-t-il, et c'est lui qui prône la création de la Légion des Volontaires français contre le Bolchevisme (LVF). Donnant l'exemple, il rejoint le premier contingent qui sera engagé dans les conditions les plus dures devant Moscou en décembre 1941. Il revient ensuite en France pour participer en zone occupée à une tournée de propagande pour la LVF. Il retrouvera à plusieurs reprises le front de l'Est pendant l'année 1943 et sera décoré de la Croix de fer en décembre 1943.
En France, de plus en plus engagé dans une collaboration totale, Doriot intrigue contre Vichy. Mais les Allemands ne le soutiennent pas. Début novembre 1942, au moment du débarquement américain en Afrique du Nord, le PPF, devenu la formation politique la plus sérieuse en zone Nord, tient son congrès à Paris, au Gaumont Palace. Doriot n'hésite plus à annoncer que le PPF sera désormais « un parti totalitaire et fasciste ». C'est le moment où Drieu y revient, mais sans illusions. Doriot envisage même, sur la suggestion de Benoist-Méchin, un coup de force contre Vichy !
Mais il n'en a pas les moyens. Et les autorités allemandes ne sont pas d'accord. Les relations avec elles ont parfois tourné au « bras de fer ». En 1943, Doriot autorise la création d'une force paramilitaire, les Gardes Françaises, qui défile sur les Champs-Élysées en août. Mais en France, dès 1941, les militants du PPF étaient devenus les cibles privilégiées de l'Organisation Spéciale du PC, surtout les ex-communistes ayant quitté le Parti en 1939 et rejoint Doriot. Comme Marcel Gitton abattu en septembre 1941, premier d'une longue série. Contre ce terrorisme qui fera des centaines de victimes, Doriot sera alors débordé par les durs du Parti qui vont passer au contre-terrorisme avec l'appui des services répressifs allemands, le SD entre autres. Comme l'a raconté Saint-Paulien dans son Histoire de la Collaboration (l'Esprit Nouveau, 1964), Doriot les a désapprouvés (« le contre-terrorisme c'est la guerre civile totale ») mais il autorisa la création de « Groupes d'action » en principe chargés de protéger les militants du parti et de faire la chasse aux réfractaires du STO. Le PPF sera durablement compromis dans cette « impitoyable guerre civile » (cf. Henri Amouroux). La position de Doriot devient de plus en plus difficile, vis-à-vis des Allemands comme de Vichy. C'est Déat et non lui qui entre dans le dernier gouvernement de l'Etat français en mars 1944.
Après le débarquement en Normandie (juin 1944), les événements se précipitent. A la mi-août 1944, Doriot organisa le départ de Paris de militants et de leurs familles. Ceux qui n'ont pu le faire et sont restés sur place seront, avec les miliciens, impitoyablement traqués, arrêtés, liquidés souvent après tortures.
En Allemagne, les personnalités de la Collaboration la plus engagée (Darnand, Déat, Brinon, Doriot) se lanceront dans cette aventure invraisemblable d'un pseudo gouvernement français, d'ailleurs désavoué par Laval et le Maréchal. Envisageant même une intervention en France pour la "libérer" du communisme et de l'occupation américaine ! Doriot devait en prendre la tête mais il trouva la mort près de Mengen, le véhicule qui le transportait ayant été mitraillé par des avions alliés. Il n'a pas été la victime du SD (un bruit qui s'était répandu après 1945) et il ne s'apprêtait pas à prendre contact avec des généraux français (Giraud, de Lattre ?) pour lutter contre les communistes en France. Sa tombe est toujours à Mengen (voir la photo du livre) où elle fut après 1945 souillée... et pas entretenue.
Tel fut Doriot, dont le destin fut au fond une suite d'occasions manquées. Mais que l'on doit, comme J.-C. Valla, replacer dans sa totalité. Et que chacun jugera comme il le veut. Après 1945, nombreux sont les ex-PPF rescapés de l'épuration, qui lui ont témoigné une fidélité inébranlable.
Quant au Parti Communiste, au temps de la guerre froide et ensuite, il lança contre ses militants qui le quittaient, surtout quand il s'agissait de personnalités, l'accusation toujours efficace, de suivre le mauvais exemple de l'ancien maire et député de Saint-Denis, ville que le PC domine encore. Même si la ville est largement passée du Rouge au Vert (islamo plus qu'écolo) et au noir d'ébène. À sa manière, le Parti a conservé et entretenu « le fantôme de Doriot ».
Jean-Paul ANGELELLI. Écrits de Paris avril 2008
1-Doriot. Collection « Qui suis-je ? »,128 pages avec bibliographie et photos. 12 euros (franco de port). Editions Pardès, 44 rue Wilson, F-77880 Grez-sur-Loing.
2-Editions de La Librairie Nationale, 12 rue de la Sourdière, 75001 Paris. Tél. : 01-42-86-02-92.
culture et histoire - Page 1968
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Doriot, du communisme à la collaboration
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CRITIQUE DE LA GÉOPOLITIQUE
La géopolitique est une science controversée. Même s’il est trop tôt pour parler d’une renaissance durable, même si l’institutionnalisation universitaire se fait toujours attendre (en dehors de quelques chaires ou centres de recherches isolés), nous sommes en présence d’un véritable mouvement de fond.
L’incertitude épistémologique et théorique demeure. On ne sait pas très bien ce qu’est la géopolitique. En tout cas, ses multiples définitions sont, soit vagues ou équivoques, soit contradictoires. Au-delà cette incertitude, reste le besoin, confusément ressenti, d’une explication globale. Le progrès des sciences sociales a pour contrepartie inévitable leur spécialisation, leur atomisation : chaque spécialiste en sait de plus en plus, mais sur un domaine de plus en plus restreint. La géopolitique peut être comprise comme une tentative de suggérer des grands cadres d’explication qui, à défaut d’être d’une grande solidité théorique, ont le mérite de rendre intelligible la masse des phénomènes contemporains et de définir des orientations, positives ou négatives. Elle reprend, en somme, le programme qui fut celui de la sociologie à ses débuts. Aucune objection ne pourra jamais prévaloir contre cette volonté d’ordre et de compréhension globale des phénomènes sociaux.
Le XIXe siècle a été celui du scientisme : la science triomphante prétendait pouvoir tout expliquer. On a alors vu proliférer des systèmes d’explication tous aussi dogmatiques et déterministes les uns que les autres. Parmi ces déterminismes, trois ont connu, au XXe siècle, une fortune particulière : le déterminisme racial, théorisé par des auteurs comme Vacher de Lapouge, Chamberlain … et repris à son compte par le national-socialisme allemand ; le déterminisme économique, porté à son point de perfection par Marx et ses innombrables successeurs ; le déterminisme physique ou environnemental, théorisé par de multiples penseurs réunis sous l’appellation globale de géopolitique.
A priori, ces différents déterminismes sont exclusifs l’un de l’autre, puisque chacun prétend détenir la clef du comportement des acteurs internationaux. Dans la pratique, ils ont souvent trouvé des accommodements. Le déterminisme racial s’est ainsi combiné avec le déterminisme physique, sinon dans les travaux de Haushofer, du moins dans la vulgate que le régime nazi en a tirée : le peuple les plus doué par la nature a vocation à occuper tout l’espace désigné par la géographie. Les passerelles entre le déterminisme économique et le déterminisme physique sont plus difficiles à établir. À première vue, les deux systèmes d’explication semblent incompatibles et ils ont eu tendance à se définir comme ennemis : la géopolitique allemande a été une réaction contre le danger bolchevique et la géopolitique a été officiellement condamnée dans la Russie soviétique, pour des raisons à la fois théoriques (le rejet de tout déterminisme autre qu’économique) et historiques (la confrontation entre les deux totalitarismes communiste et national-socialiste).
Néanmoins, il est possible de déceler une matrice de raisonnement semblable : sans nier la multiplicité des facteurs intervenant dans la vie sociale, tant le marxisme que la géopolitique prétendent placer au cœur de l’analyse un facteur déterminant. Et de la même manière qu’il y a un marxisme primaire, dogmatique, et un marxisme “évolué”, qui ne fait plus intervenir le déterminisme économique qu'« en dernière instance », la géopolitique se décline sur une gamme extrêmement diversifiée, qui va de l’explication par les strictes données géographiques à la prise en compte de toutes les données de l’environnement physique ou humain. D’ailleurs, quelques auteurs marxistes célèbres se sont dangereusement approchés des eaux troubles de la géopolitique, il suffit de songer aux thèses célèbres de Karl Wittfogel sur le despotisme hydraulique (1).
Cette vision sera jugée simpliste par les géopoliticiens contemporains, qui s’efforcent de promouvoir une géopolitique complexe, éloignée de tout déterminisme, s’attachant à rendre compte de la globalité d’un système. Cette tendance a notamment été illustrée en France, de manière différente, par Yves Lacoste et l’école d’Herodote, qui a ressuscité la discipline après une longue éclipse, et par François Thual dont l’œuvre abondante sur les constructions identitaires et le désir de territoire a suscité un écho certain. Mais on se heurte alors à l’objection centrale qui était déjà celle que Fernand Braudel adressait à la géographie : « S’il n'y a plus de déterminisme, il n'y a plus de géographie » (2). Propos excessifs, inspirés par le souvenir de disputes corporatistes datant, sinon du déluge, du moins des passes d’armes feutrées entre Lucien Febvre et l’école de géographie humaine de Vidal de la Blache et d’Emmanuel de Martonne (3). Mais il n’est pas abusif de transposer l’objection à la fille naturelle, ou adultérine, de la géographie : s’il n’y a plus de déterminisme, il n’y a plus de géopolitique. En quoi, en effet, se distinguerait-elle de la géographie intelligemment pratiquée ? Et si elle prend en compte la globalité des facteurs, pourquoi faut-il lui donner un intitulé commençant par géo, donc renvoyant à un ordre précis de facteurs ? Autant de questions qui renvoient á l’indétermination du champ et du statut de la géopolitique.
Une géopolitique mal connue
Le fondement géographique de la politique et de la stratégie est connu de toute éternité, il était déjà affirmé par Sun Zi au IVe s. avant notre ère et on retrouve le thème tant chez les théoriciens politiques, avec la justification des guerres de conquête, que chez les géographes militaires (4). Mais c’est au XXe siècle que la géopolitique se constitue véritablement : Le Suédois Kjellen lui donne son nom en 1916 et plusieurs géographes lui donnent, par des voies indépendantes, mais à peu près simultanément, ses textes fondateurs : Mackinder (5), avec sa célèbre conférence de 1904 sur le pivot géographique de l’histoire (6) ; Ratzel, avec sa Politische Geographie (7), en attendant les développements de l’entre-deux-guerres qui culmineront en Allemagne avec l’école du général-docteur Karl Haushofer (8), et dans le monde anglo-saxon, avec Mackinder toujours, qui fait le bilan de la Première Guerre mondiale dans Democratic Ideals and Reality (1922), puis esquisse les perspectives de l’après Deuxième Guerre mondiale avec son non moins célèbre article « The round world and the winning of the peace » (1943) (9). Les États-Unis prennent le relais de la Grande-Bretagne déclinante (tant sur un plan pratique que théorique) avec le plus grand des successeurs de Mackinder, Nicholas J. Spykman, professeur à Yale, qui pose le programme d’action globale des États-Unis face à l’axe germano-japonais dans America’s Strategy in World Politics (1942) avant d’esquisser l’équivalent face à l’Union soviétique dans l’ouvrage posthume et inachevé, The Geography of the Peace (1943) (10).
Suivra ensuite une longue période de discrédit de la géopolitique, tant du fait de sa collusion avec l’expansionnisme hitlérien ou japonais que du surclassement du facteur territorial par le facteur économique durant les Trente Glorieuses. La riche école américaine s’interrompt brutalement à la fin des années 40 (11). En France, le Que sais-je ? du contre-amiral Pierre Célérier, Géopolitique et géostratégie (1955, 3e éd. 1969) va longtemps rester la référence unique. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que s’amorcera un retour de faveur, grâce notamment à l’action de géographes venus de l’extrême-gauche qui laveront ainsi la géopolitique de sa souillure originelle : Peter Taylor et sa revue Political Geography en Grande Bretagne, Yves Lacoste et sa revue Hérodote en France.
Telles sont les grandes lignes d’un tableau largement accepté, mais sommaire et, pour tout dire, caricatural. En fait, le bilan de la géopolitique n’est pas seulement celui du passif des géopoliticiens, il est d’abord le constat de nos ignorances qui sont immenses, tant d’un point de vue historique qu’épistémologique.
Pour une histoire de la géopolitique
Sur un plan historique, les présentations habituelles de la géopolitique tombent dans le travers fréquent qui consiste à réduire un courant de pensée à quelques grands noms qui ont réussi et, plus encore, à réduire des pensées complexes à quelques formules sonores, mais mal comprises et vite transformées en caricatures : le Heartland de Mackinder, les panrégions de Haushofer, le Rimland de Spykman…
Il n'y a pas lieu de s’en étonner, car le géopolitique se veut opératoire : elle n’est pas une science pure, elle doit déboucher sur des programmes d’action.
On pourrait lui appliquer la formule de Raymond Aron relative au marxisme : « la doctrine contient une théorie et fonde une propagande ». Bien évidemment, ce sont les aspects simplifiés de la doctrine ou même la caricature de la propagande qui retiennent l’attention. Mackinder n’a-t-il pas donné un encouragement à cette dérive avec sa célèbre formule : « celui qui domine le Heartland contrôle la World Island, celui qui domine la World Island contrôle le monde » ? Formule inepte et viciée dans son énoncé même, avec le glissement pervers entre to rule et to control, mais qui a connu une éclatante fortune. Ratzel n’est-il pas à l’origine des pires excès hitlériens, avec son fameux Lebensraum que l’on traduit généralement par espace vital ? Pourtant, André-Louis Sanguin a bien montré, mais sans beaucoup d’échos, que Ratzel pensait plutôt à un espace de vie sans la connotation raciste et agressive que lui donneront ses successeurs. C’est le devoir de l’historien d’aller au delà des clichés pour rétablir le contexte historique et la diversité d’un courant de pensée. La géopolitique ne fut pas unitaire : le seul affrontement théorique entre l’école anglo-saxonne et l’école allemande suffit à le montrer et même à l’intérieur de ces écoles, on pouvait trouver plus que des nuances (Mackinder vs Fairgrieve et Amery ; Haushofer vs Niedermayer…). Elle ne l’est pas davantage aujourd’hui : la géopolitique française contemporaine offre une palette idéologique complète, d’Aymeric Chauprade à Yves Lacoste, en passant par François Thual et le général Gallois.
D’où la nécessité de dépasser les figures emblématiques pour retrouver quantité d’auteurs, de revues, d’écoles nationales tombés dans l’oubli ou marginalisés par l’obstacle linguistique. Malgré la surabondance de la littérature sur la géopolitique, on ne dispose d’aucune histoire sérieuse qui permette d’avoir une idée de son développement réel. Le travail de recensement des auteurs et des écoles est à faire entièrement. Il est le préalable indispensable à une “pesée globale” de la géopolitique. On ne peut ici donner que quelques pistes (12).
La France, traditionnellement réticente à l’égard du déterminisme géographique (elle préfère le possibilisme théorisé par Vidal de La Blache) (13), n’a pas fourni une contribution de première grandeur à la géopolitique. Elle s’est plutôt inscrite en contrepoint de la pensée allemande, avec La France de l’Est de Vidal de La Blache (1917), publié en pleine guerre pour justifier la revendication du retour de l’Alsace-Lorraine, ou avec la Géopolitique (1936) de Jacques Ancel, qui est une réaction face à la montée du péril nazi. Mais elle a aussi fourni quelques essais géopolitiques de valeur, par ex. celui de l’amiral Castex qui, dans le tome V de ses Théories Stratégiques – « la Terre contre la Mer » dans De Gengis Khan à Staline (1935) (14), a proposé une vision dialectique de l’affrontement entre puissance maritime et puissance continentale, bien plus riche que l’unilatéralisme anglo-saxon hérité de Seeley (historien britannique aujourd’hui trop oublié) et de Mahan. Mais on trouve aussi de véritables écoles géopolitiques en Italie, autour de la problématique méditerranéenne, du début du XXe siècle jusqu’à l’intéressant petit livre de l’amiral di Giamberardino, Mediterraneo centro strategico del mondo (1942) (15) ; au Japon avec la Chiseigaku, restée à peu près inconnue à cause de la langue alors qu’elle a connu un fort développement dans les années 30 (16) ; en Amérique latine, avec une littérature d’une profusion étourdissante, dominée par quelques auteurs de grande valeur, trop peu connus : le Brésilien Mario Travassos, maréchal de son état, dont le livre Projecao continental do Brasil (1931, 1938) a été directement à l’origine des politiques ultérieures de colonisation de l’Amazonie. Il a ouvert une voie qui a été poursuivie par les généraux Golbery (Geopolitica do Brasil, 1952, 1967) et Meira Mattos (Projeçao mundial do Brasil, 1960) et par le professeur Theresinha de Castro. L’école argentine a été fondée par l’amiral Segundo Storni, avec son livre Intereses Argentinos en el mar (1916) et elle s’est poursuivie, avec des aléas, jusqu’à nos jours, par ex. à travers la revue Estrategia du géneral Guglialmelli (17). Le Chili, lui aussi, a développé sa propre école : le général Augusto Pinochet Ugarte est l’auteur d’un estimable manuel de géopolitique (Geopolitica, 1964), même s’il est connu pour d’autres raisons. Il n’est aucun pays d’Amérique latine qui ait échappé à cet engouement, y compris la Bolivie enclavée qui a développé une production indigène dominée par Alipio Valencia Vega (18). On pourrait multiplier les exemples. Tout cet immense corpus devra être au moins survolé avant de prétendre porter un jugement un tant soit peu argumenté.
Une géopolitique mal définie
Mais le travail de recensement des auteurs, d’identification de leurs discours, n’est qu’un aspect du problème. Pas d’histoire sans théorie dit-on souvent. Combien plus encore cette maxime trouve-t-elle à s’appliquer à la géopolitique ! En effet, la question centrale est de savoir de quoi on parle : toute géographie politique est-elle géopolitique ? Ou, à l’inverse, faut-il limiter l’étiquette aux seuls auteurs qui s’en sont réclamés, ce qui réduit singulièrement (et abusivement) le champ d’investigation ? Comme toujours, la vérité se situe probablement dans un juste milieu, mais où situer celui-ci ? La géopolitique n’a pratiquement jamais reçu de consécration universitaire, de sorte qu’elle n’est qu’un rejeton plus ou moins bâtard de la géographie. En tout cas, elle n’est pas une discipline institutionnalisée.
Serait-elle alors un champ d’investigation ? Il semble difficile de ranger sous sa bannière tous les géographes (ou autres) qui se sont intéressés aux rapports entre l’espace et la puissance, et dont certains ont catégoriquement récusé le concept même de géopolitique.
Une méthode peut-être ? Saül B. Cohen, l’un des rares géopoliticiens américains des années 60, n'a pas recensé moins de six méthodes géopolitiques (19), confirmant par là la conviction de Haushofer, lequel s'était toujours refusé à écrire un traité de géopolitique : il n'y a pas de la méthode géopolitique en soi (20). La géopolitique fait usage de diverses méthodes qu’utilisent les sciences sociales et notamment la géographie.
La solution la plus expédiente ne serait-elle point alors de dire que la géopolitique ne fut qu’un moment, peu glorieux, de la géographie qui se serait compromise avec le fascisme ? Mackinder et Spykman n’ont jamais revendiqué l’appellation et ce serait par un abus de langage qu'on les qualifierait de géopoliticiens. Malheureusement, l’obstination d’Yves Lacoste à revendiquer aujourd'hui l’appellation géopolitique (et il n’est pas le seul) suffit à ruiner cette solution trop simple. La géopolitique est toujours là, son retour en force depuis une vingtaine d’années dans de nombreux pays est un fait incontestable et elle a même suscité une discipline sœur (ou filiale) avec la géostratégie qui connaît un certain développement aux États-Unis, avec, entre autres, Colin Gray (maintenant installé en Grande-Bretagne) (21), Zbigniew Brzezinski (qui s'inscrit beaucoup plus, tant par son approche globale que par son dogmatisme, dans la tradition géopolitique que dans celle de la géostratégie dont il se réclame) (22).
Au passage, on notera que si le développement de la géostratégie est récent depuis son lancement par le géographe américain John B. Cressey en 1944, celui-ci a repris sans le savoir une concept qui préexistait à celui de géopolitique : le mot de géostratégie a, en effet, été forgé par un auteur italien, le général Giacomo Durando (23), dès 1846 et il a survécu, modestement, sur le pourtour méditerranéen : ou le retrouve en espagnol dans les années 1890 chez le colonel Castaňos y Montijanos, puis en 1932 en portugais chez un géographe militaire de première ordre, le colonel Miranda Cabral. Le constat est identique pour la géoéconomie, récemment mise à la mode par Edward Luttwak aux États-Unis, Pascal Lorot (24) en France ; tout le monde ignore qu’ils ne font que reprendre un concept forgé dès 1930 par un auteur grec, Konstantin Sfyris (Geoikonomia tai ikonomia). Simples exemples du travail qui reste à faire pour établir les généalogies intellectuelles, préalable indispensable à toute définition compréhensive, comme dirait Max Weber.
Autant dire que toute tentative de définition de la géopolitique serait, pour l’instant, prématurée. Le mot se rapproche davantage des pré-notions chères à la sociologie durkheimienne que des concepts hérités de la philosophie, enfermés dans un entrelacs rigoureux de définitions, de relations et de dérivés.
Science globale ou science partielle ?
L’inventeur du mot, le Suédois Rudolf Kjellén, plaidait pour une science totale de l’État organique dont la géopolitique ne devait être qu’une composante. À côté de la géopolitique, il envisageait une science sur la composante démographique : la démopolitique, une science centrée sur la structure sociale : la sociopolitique, une science centrée sur les structures économiques : l’écopolitique, et enfin une science politique au sens strict, qu’il avait d’abord curieusement appelée politique de régiment et que ses successeurs ont plus élégamment rebaptisée kratopolitique (25). La géopolitique n'était donc qu’un élément d’une science beaucoup plus vaste.
Pourquoi donc la partie s’est-elle substituée au tout ? C’est l'un des grands problèmes de l’histoire des idées contemporaines et l'on ne peut encore, en l’absence de biographies et de monographies nationales ou catégorielles en nombre suffisant, que hasarder des hypothèses bien incertaines. Le projet d’une science totale de l’État était bien trop ambitieux, surtout lorsque Kjellén écrivait, et il n’avait aucune chance d’aboutir. Par la suite, lorsque les progrès de l’épistémologie et de la recherche auraient pu le rendre plus crédible, la conception organiciste qui le sous-tendait était passée de mode et l’État n’était plus nécessairement le pivot de l’analyse globale : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, priorité était plutôt donnée aux facteurs économiques dorénavant perçus comme centraux, l’interrogation des sociologues portait plutôt sur l’éventuel déclin des idéologies (question posée par Edward Shils dès 1956) (26) et, plus généralement, de la politique. Le problème d’une science totale ne se posait donc plus dans les mêmes termes.
Géopolitique et géographie
En laissant de côté la question d’une science globale, on retrouve la question initiale : pourquoi la géopolitique plutôt que la démopolitique ou l’écopolitique ? La réponse semble liée à l’orientation et à l’institutionnalisation de la science géographique au sein du monde universitaire. L’université ne crée pas nécessairement les grands courants de pensée dans le monde contemporain, mais elle leur donne une légitimité scientifique et les ancre dans la longue durée (27).
La géographie, à la fin du XIXe siècle, était une discipline en plein essor, bien enracinée dans l’Université et les grands fondateurs de la géopolitique (qu’ils aient ou non revendiqué l’appellation) étaient souvent des géographes (Ratzel en Allemagne, Mackinder en Grande-Bretagne, Kjellèn en Suède). Ils ont fourni une contribution majeure parce que leur discipline les préparait, mieux que les autres, à cette compréhension des grands problèmes mondiaux. L’économie, également en plein essor et tout à fait institutionnalisée au sein de l’enseignement supérieur, était plutôt centrée sur l’entreprise (avec l’analyse marginaliste d’Alfred Marshall), donc moins sensible à ce que nous appelons aujourd’hui la théorie macroéconomique. La science historique, alors dominée par l’école positiviste, était surtout soucieuse d’objectivé des sources et répugnait aux synthèses trop englobantes, qu’elle jugeait non scientifiques. Quant à la démographie ou à la science politique, leur institutionnalisation était encore embryonnaire et la deuxième était plutôt tournée vers les problèmes internes aux États. Elle ne s’intéressait guère aux relations internationales, qui resteront sous la coupe des juristes jusqu’aux années 1930-1940 (28).
Mais cette avance relative de la géographie, si elle a permis l’essor initial de la géopolitique dans les premières décennies du XXe siècle, s’est retournée contre celle-ci lorsqu’elle a prétendu acquérir une légitimité académique. Les géographes n’ont pas accepté de se voir supplantés par des géopoliticiens plus proches du pouvoir politique, mais moins sensibles aux enjeux d’objectivité et d’indépendance de l’analyse. Pour la corporation des géographes universitaires, la géopolitique était une doctrine au service d’une visée politique, plus qu’une théorie susceptible de fonder un champ académique du savoir. Cette résistance corporatiste a été couronnée de succès : la géopolitique n’a jamais acquis de véritable statut académique. Même dans l’Allemagne nazie, Haushofer a obtenu des moyens substantiels, une grande notoriété, mais la corporation des géographes ne s’est pas rangée sous sa bannière. Les chaires de géopolitique ont plutôt été créées, quant il y en a eu (particulièrement en Amérique latine), dans le cadre des écoles de guerre, c’est-à-dire de l’enseignement militaire supérieur.
Géopolitique et politique
Cette ambiguïté n’a pas seulement joué contre la géopolitique dans ses relations avec l'université. Trop peu scientifique aux yeux des universitaires, elle l’était encore trop aux yeux du pouvoir politique, qui ne s’en est jamais servi que lorsque cela correspondait à ses propres conceptions. On sait aujourd’hui que Haushofer n’a jamais été l’inspirateur du programme hitlérien et que ses relations avec la hiérarchie nazie ont été pour le moins compliquées : comblé d’honneurs et de subsides d’un côté, il était marginalisé de l’autre, quand sa revendication du Tyrol peuplé de germanophones allait à l’encontre de l’alliance avec l’Italie fasciste ou quand son plaidoyer pour un bloc continental germano-soviétique heurtait l’obsession anti-bolchévique de Hitler (29).
On retrouve cette ambiguïté dans toutes les écoles de géopolitique. La Chiseigaku (mot japonais pour géopolitique) a théorisé l’idée de sphère de co-prospérité, mais celle-ci avait d’abord été conçue dans les milieux militaires et la Chiseigaku n'est intervenue qu’après coup. En outre, si elle a bien mis en lumière les conséquences diplomatiques et stratégiques de cette politique, rejoignant le point de vue de la marine, elle n’a jamais réussi à les faire admettre par l’armée de terre, qui est restée jusqu’au bout dominante dans l’appareil militaire japonais. Il en a résulté une sous-estimation du risque de guerre et, une fois celle-ci déclenchée, une sous-estimation du théâtre Pacifique (ce que les Occidentaux appellent guerre du Pacifique était pour les Japonais la guerre de la grande Asie) qui s’est révélée fatale (30).
On ne peut guère citer qu’un seul cas véritablement probant de vision géopolitique ayant fondé une politique suivie : c’est celui de la colonisation de l’Amazonie, directement issue des travaux de l’école du général Travassos et de ses successeurs mais, il faut le souligner, cette école était presque exclusivement militaire et les géographes civils, à quelques exceptions près (le professeur Therezhina de Castro), sont restés très en retrait.
Cet exemple brésilien est d’autant plus significatif que ses auteurs ont tenté un réel effort théorique, le général Golbery do Couto e Silva a vraiment essayé de définir la géopolitique et la géostratégie (31). Mais ils n’ont guère eu d’écho hors d’Amérique latine et, avec le temps, il est permis de se demander s’ils n’ont pas développé ce que l’on pourrait appeler une stratégie de substitution : faute de disposer des moyens modernes de la puissance (la technique, l’économie), ils se sont rabattus sur le seul facteur dont leur pays disposaient en abondance : l’espace. Ils n’étaient pas les seuls à procéder ainsi. On pourrait citer quantité de géopolitiques « du pauvre » : les théories sur le triangle stratégique portugais à la charnière des mondes européen, atlantique et méditerranéen ou point de liaison entre les espaces nord-atlantique, sud-américain, européen et africain procèdent de la même démarche (32).
Ici la question devient plus globale et aucun discours géopolitique ne peut y échapper : peut-on fixer la puissance, notion par essence dynamique, sur un centre statique ? C’était déjà la difficulté à laquelle se heurtait Mackinder avec sa zone pivot, son heartland qu’il prétendait fixer, en 1904, dans les marches eurasiatiques, dans les zones de contact entre le monde des nomades et le monde sédentaire. Le problème est qu’il s’agissait d’une zone désertique et glacée, à peu près inhabitable et d’un intérêt stratégique discutable, sauf à appeler à la rescousse le souvenir des invasions mongoles ou timourides. Il en avait d’ailleurs bien conscience et, dans son dernier grand texte, le célèbre article de 1943, il a déplacé le Heartland vers l’ouest, pour le faire coïncider avec les frontières de la Russie soviétique. Ce léger décalage signifiait qu’à la logique géographique de 1904, il substituait une autre logique stratégique, plus mouvante. Le problème s’accentue encore avec ses successeurs, lorsqu’ils prétendent concilier l’analyse géopolitique et l’analyse culturaliste, alors que les deux sont sinon inconciliables, du moins largement opposées. La première prétend définir des constantes alors que la seconde souligne la variabilité des comportements et des situations. La rationalité géopolitique s’avère problématique.
Il faut incriminer l’héritage du fixisme géographique que reprendra encore Spykman durant la Deuxième Guerre mondiale lorsqu’il esquissera la perspective d’un changement d’alliances pour faire face à un éventuel hégémonisme soviétique après la guerre : « les régimes changent, les dictateurs passent mais les montagnes sont toujours à la même place ». Conception réductrice qui ne tient pas compte du fait que le rapport à l’espace se modifie en fonction des moyens disponibles, comme l’avait déjà pressenti le géographe militaire russe Yazikov dans les années 1830, intuition développée un siècle plus tard par l’amiral Castex.
Géopolitique et déterminisme
Cela ne veut pas dire que la géopolitique ne soit qu’une rationalisation de l’esprit de conquête et condamnée au dogmatisme : si les pères fondateurs ont conçu une géopolitique quelque peu olympienne, raisonnant à l’échelle des continents, des océans et finalement du monde, sans beaucoup d’égards pour la complexité du réel, les tendances actuelles se montrent plus sensibles au détail du terrain, aux relations entre territoire et culture, aux différences d’échelle... Surtout, alors que l’on raisonnait auparavant d’abord en vue de l’accroissement de l’espace, la leçon principale du XXe siècle a été qu’il fallait penser en termes d’organisation plutôt que d’extension.
Tout au plus est-il permis de penser que la géopolitique est, même si Yves Lacoste récuse fortement cette idée, une pensée déterministe. Elle établit une relation privilégiée entre l’espace et la politique. De par son intitulé même, la géopolitique place nécessairement au centre de son analyse le facteur spatial et lui confère une influence privilégiée, certes multiforme, concurrencée ou partiellement annihilée par d’autres facteurs, mais engendrant tout de même, « en dernière instance » si l’on ose dire, sinon des relations mécaniques, au moins des constantes. C’est d’ailleurs le sous-titre du traité d’Aymeric Chauprade, Géopolitique (2001) dans lequel on trouve une allusion aux « lois d’airain de la geopolitique ». Refuser ce lien revient à vider la géopolitique de tout contenu spécifique pour en faire une science globale, à l’instar de Marcel Mauss qui disait : « J’appelle sociologie toute science bien faite ». Les appellations sont ainsi relativisées et réduites à une simple marque que chacun peut choisir à sa guise, solution un peu trop simple.
La géopolitique aujourd’hui
La géopolitique est revenue en force aux États-Unis après un effacement complet depuis la fin des années 40. Elle sert, chez Zbigniew Brzezinski, à affirmer le bien-fondé de la suprématie mondiale des États-Unis, ou chez Samuel Huntington, à accréditer l’idée d’un « choc des civilisations », discours aujourd’hui dominant même si la globalisation suscite des thèses antagonistes. En Europe occidentale, parti de France et de Grande-Bretagne, le mouvement a gagné les autres pays européens dans les années 1990 : on trouve une revue Geopolitika en Grèce (33), des travaux de géopolitique variés en Italie (de la revue Limes aux ouvrages du général Carlo Jean) (34). Sur les ruines de la défunte Union soviétique, la Russie cherche une nouvelle voie : l’eurasisme d’Alexandre Douguine lui en suggère une, qui reprend les thèmes géopolitiques les plus traditionnels. Même s’il est trop tôt pour parler d’une renaissance durable, même si l’institutionnalisation universitaire se fait toujours attendre (en dehors de quelques chaires ou centres de recherches isolés), nous sommes en présence d’un véritable mouvement de fond.
L’appréciation que l’on peut porter sur ledit mouvement varie en fonction des inclinations idéologiques et scientifiques. Certains déploreront le retour des vieux démons ou au moins le retour à des explications monocausales qui ne devraient plus avoir cours, alors que toutes les sciences tentent à démontrer la complexité du réel. D’autres soulignent la mutation de cette nouvelle géopolitique, qui est à l’ancienne ce que l’école des Annales était à l’histoire positiviste. Les paradigmes ont changé, la vision olympienne des grands fondateurs a cédé la place à des approches plus subtiles, moins centrées sur les seuls aspects physiques pour prendre en compte la globalité de la position structurelle des acteurs ; au risque de retomber sur l’écueil précédemment signalé : pourquoi qualifier de géopolitique une explication globale ? La référence au cadre mondial suffirait-elle à justifier l’appellation ? Paul Kennedy est-il historien ou géopoliticien quand il analyse le déclin inévitable des grandes puissances ? Samuel Huntington a-t-il abandonné la science politique pour rallier le camp de la géopolitique pour parler du choc des civilisations ?
L’incertitude épistémologique et théorique demeure. On ne sait pas très bien ce qu’est la géopolitique. En tout cas, ses multiples définitions sont, soit vagues ou équivoques, soit contradictoires. Yves Lacoste, qui est celui qui a poussé le plus loin la réflexion géopolitique en France depuis son célèbre essai La géographie ça sert d’abord à faire la guerre (1976), semble avoir renoncé à l’idée d’un traité de géopolitique qui essaierait de fixer une matière décidément insaisissable.
Au-delà cette incertitude, reste le besoin, confusément ressenti, d’une explication globale. Le progrès des sciences sociales a pour contrepartie inévitable leur spécialisation, leur atomisation : chaque spécialiste en sait de plus en plus, mais sur un domaine de plus en plus restreint. La géopolitique peut être comprise comme une tentative de se soustraire à la loi d’airain de l’éclatement du savoir, pour suggérer des grands cadres d’explication qui, à défaut d’être d’une grande solidité théorique, ont le mérite de rendre intelligible la masse des phénomènes contemporains et de définir des orientations, positives ou négatives. Elle reprend, en somme, le programme qui fut celui de la sociologie à ses débuts. Aucune objection ne pourra jamais prévaloir contre cette volonté d’ordre et de compréhension globale des phénomènes sociaux.
► Dr. Hervé COUTAU-BÉGARIE, Strategic Impact n°2, 2006. Vouloir
• Cet article est issu de deux études préliminaires, « Bilan de la géopolitique » dans Géopolitique et conflits au XXe siècle, actes du 27e Colloque international d’histoire militaire, Athènes, 2001, et « L’aventure de la géopolitique », Relations internationales n°109, juin 2002, en attendant une très improbable synthèse.
Notes :
1 Karl WITTFOGEL, Le despotisme oriental, Minuit, 1960.2 Fernand BRAUDEL, Une leçon d’histoire, Arthaud, 1985.
3 Cf. H. COUTAU-BÉGARIE, Le phénomène Nouvelle histoire : Grandeur et décadence de l’École des Annales, Économica, 2e éd., 1989.
4 Cf. H. COUTAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, ISC-Économica, 4e éd., 2003.
5 Sur MACKINDER, W.H.PARKER, Mackinder : Geography as an aid to statecraft, Oxford, Clarendon Press, 1982 et Brian W. BLOUET, Halford Mackinder : A Biography, College Station (Texas), A & M Univ. Press, 1987.
6 Halford J. MACKINDER , « Le pivot géographique de l’histoire », Stratégique n°55, 1992-3, pp. 11-29.
7 Friedrich RATZEL, Géographie politique, Genève, Éd. régionales européennes, 1988 (traduction abrégée ; manque not. le texte sur « la mer comme source de grandeur des peuples »).
8 Cf. les travaux de Michel KORINMAN, Continents perdus : Les précurseurs de la géopolitique allemande, Économica, 1991 et Quand l’Allemagne pensait le monde : Grandeur et décadence d’une géopolitique, Fayard, 1989.
9 Halford J. MACKINDER, « Une vision globale du monde pour le conquête de la paix », Stratégique n°57, 1995‑1, pp. 7-20.
10 Il n’existe pas encore de biographie intellectuelle de Nicholas Spykman.
11 En français, la référence la plus sûre et la plus complète sur le geopolitique aux États-Unis est l’article d’un chercheur italien, Marco ANTONSICH, « De la Geopolitik à la Geopolitics : Transformation historique d’une doctrine de puissance », Stratégique n°60, 1995-4, pp.53-87.
12 Signalons tout de même deux articles fondamentaux : Ladis K.D. KRISTOF, « The Origins and Evolution of Geopolitics », Journal of Conflict Resolution, 1960 et Marco ANTONSICH, « Itinerari di geopolitica contemporanea », Quaderni del dottorato di riserca in geografia politica, 1995. Ces deux articles seront prochainement traduits dans Hervé COUTAU-BÉGARIE et Martin MOTTE, Aspects de la pensée géopolitique, ISC-Économica, 2006.
13 Réédité avec une riche préface de Béatrice GIBLIN, La Découverte, 198…
14 Amiral CASTEX, Théories Stratégiques, édition complète, ISC-Économica, 1997, 7 volumes.
15 Ezio FERRANTE, « Domenico Bonamico et la naissance de la pensée géopolitique navale italienne » et Marco ANTONSICH, « La géopolitique méditeranéenne de l’Italie fasciste » dans H. COUTAU-BÉGARIE, La pensée géopolitique navale : L’évolution de la pensée navale V, ISC-Économica, 1995, pp.151-162 et 163-190.
16 Kyoichi TASHIKAWA, « La politique de la sphère de co-prospérité de la grande Asie orientale au Japon », Stratégique n°81, 2001-1, pp. 155-165.
17 H. COUTAU-BÉGARIE, « Géopolitique théorique et géopolitique appliquée en Amérique latine », Hérodote n°57, avril-juin 1990, pp. 160-179.
18 Panorama bibliographique très complet dans John CHILD, « Geopolitical Thinking in Latin America », Latin American Research Review, 1976, pp.84-111.
19 Saül B. COHEN, Geography and Politics in a World Divided, Londres, Methuen, 2e ed, 1973.
20 Parmi les essais de réflexion sur ce point, François THUAL, Méthodes de la géopolitique, Ellipses, 1996.
21 Qui a donné l’élan initial avec son petit livre Geopolitics of Nuclear Era, New York, Crane Russak, 1977.
22 Zbigniew BRZEZINSKI, Le grand échiquier, Bayard, 1998.
23 Ferruccio BOTTI, « Le concept de géostratégie et son application à la nation italienne dans les théories du général Durando (1846) », Stratégique n° 58, 1995-2, pp.121-137.
24 Pascal LOROT (dir.), Introduction à la géoéconomie, Économica, 1998.
25 Cf. Lars WEDIN, « Kjellèn. La naissance de la géopolitique et la pensée navale suédoise », dans H. COUTAU-BÉGARIE, La pensée géopolitique navale : L’évolution de la pensée navale V, ISC‑Économica, 1995, pp.227-244.
26 Cf. Pierre BIRNBAUM, La fin du politique, Seuil, 1980.
27 Songeons simplement au triomphe de la sociologie durkheimienne sur ses rivales, comme la psychologie sociale de Théodule Ribot ou Gustave Le Bon ou la sociologie de Le Play ou Worms, qui ont eu une grande influence en leur temps, mais qui n’ont pas eu de postérité.
28 Le livre fondateur étant celui de Hans J. MORGENTHAU, Politics among Nations, 1948. Avant lui, Spykman avait apporté une contribution importante avec International Politics, 1933.
29 Cf. les préfaces de Hans Adolf JACOBSEN et Jean KLEIN à Karl HAUSHOFER, De la géopolitique, Fayard, 1987.
30 Cf. H.P. WILLMOTT, La guerre du Pacifique 1941-1945, Autrement, coll. Atlas des guerres, 2001.
31 Cf. Golbery do COUTO e SILVA, Geopolitica do Brasil & Conjuntura politica nacional o poder executivo, Rio de Janeiro, Libraria Jose Olympio, 3e ed., 1980.
32 Cf. H. COUTAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, op.cit., pp.751-754.
33 Ioannis LOUCAS a écrit un essai de géopolitique (1999), malheureusement réservé aux érudits (fort rares) capables de lire le grec moderne.
34 Not. C. JEAN, Geopolitica, Rome, Laterza, 1995. Cf. M. Antonsich, Geografia politica e Geopolitica in Italia dal 1945 ad oggi, Trieste, Quaderni di ricerca del dottorato in Geografia Politica, 1996.
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Sur l'identité européenne
Définir l'identité de l'Europe dans un exposé d'une demi-heure tient de la gageure ! Mais, c'est vrai, il faut être capable de synthétiser ses idées, de transmettre l'essentiel en peu de mots. Mieux : en peu de cartes [projection de 5 cartes].
L'Europe, c'est avant toute chose une histoire. C'est cette histoire qui est son identité. C'est la somme des gestes qui ont été accomplies. Rien d'autre. Et certainement pas un code ou une abstraction qui se profilerait derrière cette histoire et qui serait plus “sublime” que le réel. L'histoire qui fonde notre identité est une histoire très longue, dont les origines ne sont pas connues du grand public, auquel on cache l'épopée initiale de nos peuples. Les choses sont en train de changer dans le bon sens. Au cours des dix dernières années, les revues de bonne vulgarisation scientifique nous parlent de plus en plus souvent de la grande chevauchée des Proto-Iraniens, puis des Scythes, en direction de l'Asie centrale. Les archéologues Mallory et Mair viennent de retracer l'émouvante aventure du peuple qui nous a laissé les “momies du Tarim” dans le Sin Kiang chinois, des corps quasi intacts qui nous ressemblent comme des frères. Partis d'Europe centrale, en effet, des vagues de cavaliers européens ont poussé au moins jusqu'aux plaines du Sin Kiang, sinon jusqu'au Pacifique. Pendant des siècles, des royaumes européens ont subsisté dans ces régions, alors très hospitalières et fertiles. Une civilisation tout à la fois européenne, indienne et bouddhiste, a laissé des traces sublimes au cœur du continent asiatique.Associer l'idée de divin à la lumière solaire et sidérale
Les racines de l'Europe se retrouvent, dans leurs traces les plus anciennes, essentiellement dans la tradition iranienne, ou avestique, dont Paul Du Breuil et Henry Corbin ont exploré l'univers mental. Paul Du Breuil retrace méticuleusement la religion très ancienne, guerrière, de cette branche aventurière du peuple européen, qui avait domestiqué le cheval, inventé les attelages et le char de combat. Cette religion est une religion de la Lumière et du Soleil, avec le dieu Aruna (l'Aurore) comme conducteur du char solaire. Garuda, le frère d'Aruna, est, dans cette mythologie, le “seigneur du Ciel” et le “chef des oiseaux”. Il personnifie la puissance masculine et on le représente souvent sous la forme d'un oiseau à tête d'aigle, blanc ou doré, parfois avec des ailes rouges. On constate très tôt, dit Paul Du Breuil, “que le symbolisme religieux eurasien, a associé l'idée du divin avec la lumière, solaire ou sidérale, et avec un oiseau fabuleux, fort et de haut vol”. Cette triple symbolique du Soleil, du Ciel et de l'Aigle, se retrouve chez le chef et père des dieux dans le panthéon romain, Jupiter. Et l'idée d'empire, dans les traditions européennes, conserve le symbole de l'aigle. De l'Iran avestique à nos jours, cette symbolique immortelle nous est restée. Sa pérennité atteste bel et bien que sa présence inamovible en fait un fondement de notre identité.Le monde avestique, aboutissement d'une grande migration européenne aux temps proto-historiques, nous a légué les notions cardinales de notre identité la plus profonde, qui ne cesse de transparaître malgré les mutations, malgré les conversions au christianisme ou à l'islam, malgré les invasions calamiteuses des Huns, des Mongols ou des Turcs, malgré les despotismes de toutes natures, qui ont dévoyé et fourvoyé les Européens au cours d'une histoire qui ne cesse d'être tumultueuse. Arthur de Gobineau a démontré la précellence du monde iranien, sa supériorité pratique par rapport à un hellénisme trop discursif et dialectique. À sa suite, Henry Corbin, en explorant les textes que nous a laissés le poète médiéval persan Sohrawardi, nous a restitué une bonne part de notre identité spirituelle profonde, de notre manière primordiale de voir et de sentir le monde : pour Sohrawardi, légataire médiéval de l'immémorial passé avestique, l'Esprit Saint est Donateur de formes, la Lumière immatérielle est la première manifestation de l'Être primordial, qui, lui aussi, est Lumière, pleine Lumière resplendissante, synthèse du panthéon ouranien des dieux diurnes (cf. Dumézil, Haudry).Dans cette spiritualité euro-avestique de la proto-histoire, de cette époque où vraiment tout s'est révélé, il y a précellence du Soleil ; les âmes nobles et les chefs charismatiques ont une aura que les Perses appelaient Xvarnah (Lumière de Gloire) et que l'on représente sous forme d'une auréole à rayons solaires. Ce culte lumineux s'est répercuté dans la tradition médiévale européenne dans la figure omniprésente de l'archange Saint-Michel, dont le culte est d'origine iranienne et zoroastrienne. Et surprise : le culte de Saint Michel va ressusciter à Bruxelles dans quelques jours, lors de la fête de l'Ommegang, en l'honneur de l'étendard impérial de Charles-Quint. Le géant Saint-Michel ressortira dans les rues, après une très longue éclipse, ajoutant l'indispensable spiritualité archangélique à cette fête impériale unique en Europe. Signe des temps ? Osons l'espérer !La force archangélique et michaëlienne
Pour Hans Werner Schroeder, les archanges, legs de la tradition iranienne dans l'Europe médiévale, insufflent les forces cosmiques originelles dans les actions des hommes justes et droits et protègent les peuples contre le déclin de leurs forces vives. L'archange aux vastes ailes déployées et protectrices, que l'on retrouve dans les mythologies avestiques et médiévales-chrétiennes, indique la voie, fait signe, invite à le suivre dans sa marche ou son vol toujours ascendant vers la lumière des lumières : la force archangélique et michaëlienne, écrit Emil Bock, induit une dynamique permanente, une tension perpétuelle vers la lumière, le sublime, le dépassement. Elle ne se contente jamais de ce qui est déjà là, de ce qui est acquis, devenu, de ce qui est achevé et clos, elle incite à se plonger dans le devenir, à innover, à avancer en tous domaines, à forger des formes nouvelles, à combattre sans relâche pour des causes qui doivent encore être gagnées. Dans le culte de Saint-Michel, l'archange n'offre rien aux hommes qui le suivent, ni avantages matériels ni récompenses morales. L'archange n'est pas consolateur. Il n'est pas là pour nous éviter ennuis et difficultés. Il n'aime pas le confort des hommes, car il sait qu'avec des êtres plongés dans l'opulence, on ne peut rien faire de grand ni de lumineux.
La religion la plus ancienne des peuples européens est donc cette religion de Lumière, de gloire, de dynamique et d'effort sur soi. Elle est née parmi les clans européens qui s'étaient enfoncés le plus profondément dans le cœur du continent asiatique, qui avaient atteint les rives de l'Océan Indien et s'étaient installés en Inde. L'identité la plus profonde de l'Europe est donc cette trajectoire qui part de l'embouchure du Danube en Mer Noire vers le Caucase et au-delà du Caucase vers les hauts plateaux iraniens et vers la vallée de l'Indus, ou, au Nord, à travers l'Asie centrale, la Bactriane, vers le Pamir et les dépressions du Takla Makan dans le Sin Kiang, aujourd'hui chinois.Une chaîne ininterrompue de trois empires solides
L'idéal impérial européen s'est ancré dans notre antiquité sur cette ligne de projection : entre 2000 et 1500 av. JC, l'expansion européenne correspond à celle des civilisations semi-sédentaires dites d'Androvno et de Qarasouk. À cette époque-là, les langues européennes se répandent en Iran, jusqu'aux rives de l'Océan Indien. Cimmériens, Saces, Scythes, Tokhariens, Wou-Souen et Yuezhi se succèdent sur le théâtre mouvant de la grande plaine centre-asiatique. Entre 300 et 400 de notre ère, 3 empires se juxtaposent entre l'Atlantique et l'Inde du Nord : Rome, les Sassanides parthes et l'Empire gupta en Inde. L'Empire gupta avait été fondé par les Yuezhi européens, qui nommaient leur territoire le Kusana et étaient au départ vassaux des Sassanides. Les Gupta fédèrent les clans du Kusana et les Tokhariens du Tarim. À ce moment historique-là, une chaîne ininterrompue de 3 empires solides, dotés d'armées bien entraînées, auraient pu faire barrage contre les pressions hunno-mongoles, voire se fédérer en un bloc partant d'Ecosse pour aboutir au delta du Gange.
Mais le destin a voulu un sort différent, pour le grand malheur de tous nos peuples : Rome a été minée par le christianisme et les dissensions internes ; l'empire s'est scindé en 2, puis en 4 (la tétrarchie), puis s'est effondré. Les Sassanides connaissent une période de répit, traitent avec l'Empereur romain d'Orient, Justinien, et partent à la conquête de la péninsule arabique, avant de succomber sous les coups de l'Islam conquérant. L'Empire des Gupta s'effondre sous les coups des Huns du Sud.
La fin de l'Antiquité signifie la fin des empires déterminés directement et exclusivement par des valeurs d'inspiration européenne, c'est-à-dire des valeurs ouraniennes, archangéliques et michaëliennes, voire mazdéennes ou mithraïques. Les peuples hunniques, mongols ou turcs se ressemblent en Asie centrale et en chassent les Européens, les massacrent ou les dominent, les transformant en petites peuplades résiduaires, oublieuses de leurs racines et de leurs valeurs. Au Sud, les tribus arabes, armées par l'idéologie religieuse islamique, bousculent Byzance et la Perse et pénètrent à leur tour en Asie centrale.L'invasion des Huns provoque un chaos indescriptible
L'identité européenne ne peut s'affirmer que si elle demeure maîtresse des grandes voies de communication qui unissent la Méditerranée ou la Baltique à la Chine et à l'Inde. Dynamique, l'identité européenne s'affirme ou disparaît sur un espace donné ; elle entre en déclin, se rabougrit si cet espace n'est plus maîtrisé ou s'il n'est plus accessible. Cet espace, c'est l'Asie centrale. À la fin de la période antique, les Ruan Ruan mongols bousculent les Xianbei, qui bousculent les chefferies turques des marges du monde chinois, qui bousculent à leur tour les Huns du Kazakhstan, qui passent sur le corps des Alains européens à l'Ouest de la Caspienne, dont les débris se heurtent aux Goths, qui franchissent la frontière de l'Empire romain agonisant, précipitant le sous-continent européen, berceau de nos peuples, dans un chaos indescriptible. Finalement, les Huns sont arrêtés en 451 en Champagne par l'alliance entre Romains et Germains.Le destin de l'Europe s'est donc joué en Asie centrale. La perte de contrôle de cette vaste zone géographique entraîne la chute de l'Europe : hier comme aujourd'hui. Les ennemis de l'Europe le savent : ce n'est donc pas un hasard si Zbigniew Brzezinski entend jouer la carte turque/turcophone contre la Russie, l'Inde, l'Iran et l'Europe dans ce qu'il appelle les “Balkans eurasiens”. Ce que je viens de vous dire sur la proto-histoire à l'Est de la Volga et de la Caspienne n'est pas la tentative d'un cuistre d'étaler son érudition, mais de rappeler que la dynamique amorcée par nos plus lointains ancêtres dans ces régions du monde et que la dynamique amorcée lentement d'abord, brutalement ensuite, par les peuples hunniques et turco-mongols à la fin de l'antiquité sont des dynamiques qui restent actuelles et dont les aléas sont observés et étudiés avec la plus grande attention dans les états-majors diplomatique et militaire américains aujourd'hui.
En effet, une partie non négligeable du succès américain en Afghanistan, en Mésopotamie, en Asie centrale dans les républiques musulmanes et turcophones de l'ex-URSS est due à une bonne connaissance des dynamiques à l'œuvre dans cette région centrale de la grande masse continentale eurasiatique. Encyclopédies, atlas historiques, thèses en histoire et ouvrages de vulgarisation, émissions de télévision s'accumulent pour les expliciter dans tous leurs détails. L'Europe continentale, les espaces linguistiques français, allemand et autres, sont en retard : personne, même dans les hauts postes de commandement, ne connaît ces dynamiques. Dans la guerre de l'information qui s'annonce et dont nous avons perdu la première manche, la connaissance généralisée de ces dynamiques sera un impératif crucial : mais les choses avancent, lentement mais sûrement, car des revues grand public comme Archeologia, Grands Reportages, Géo, National Geographic (version française) commencent systématiquement à nous informer sur ces sujets. L'or des Scythes, les villes florissantes de la Sérinde et de l'antique Bactriane, la Route de la Soie, les voyages de Marco Polo, la Croisière Jaune de Citroën sont autant de thèmes proposés à nos contemporains. François-Bernard Huyghe, spécialiste de la guerre cognitive à l'ère numérique, figure cardinale de la pensée stratégique française aujourd'hui, nous a laissé un ouvrage de base sur l'Asie centrale. En Suisse, le Professeur Jacques Bertin nous a fourni en 1997 un Atlas historique universel, où tout ce que je vous dis est explicité par des cartes limpides et didactiques.Une organisation optimale du territoire
L'objectif stratégique de cette vulgarisation, destinée à éveiller le grand public aux thèmes majeurs de la géostratégie planétaire, est de damer le pion à la stratégie préconisée par Zbigniew Brzezinski dont le but final est de soustraire l'espace noyau de l'Asie centrale au contrôle de toutes les puissances périphériques, surtout la Russie et l'Europe, mais aussi l'Inde et l'Iran. Brzezinski n'a pas hésité à dire que les Américains avaient pour but d'imiter les Mongols : de consolider une hégémonie économique et militaire sans gérer ni administrer le territoire, sans le mailler correctement à la façon des Romains et des Parthes. L'Amérique a inventé l'hégémonie irresponsable, alors que les 3 grands Empires juxtaposés des Romains, des Parthes et des Gupta visaient une organisation optimale du territoire, une consolidation définitive, dont les traces sont encore perceptibles aujourd'hui, même dans les provinces les plus reculées de l'Empire romain : le Mur d'Hadrien, les thermes de Bath, le tracé des villes de Timgad et de Lambèze en Afrique du Nord sont autant de témoignages archéologiques de la volonté de marquer durablement le territoire, de hisser peuples et tribus à un niveau de civilisation élevé, de type urbain ou agricole mais toujours sédentaire. Car cela aussi, c'est l'identité essentielle de l'Europe. La volonté d'organiser, d'assurer une pax féconde et durable, demeure le modèle impérial de l'Europe, un modèle qui est le contraire diamétral de ce que proposent les Américains aujourd'hui, par la voix de Brzezinski.
Rien de tel du côté des Mongols, modèles des Américains aujourd'hui. Nulle trace sur les territoires qu'ils ont soumis de merveilles architecturales comme le Pont du Gard. Nulle trace d'un urbanisme paradigmatique. Nulle trace de routes. La dynamique nomade des tribus hunniques, mongoles et turques n'aboutit à aucun ordre territorial cohérent, même si elle vise une domination universelle. Elle ne propose aucun “nomos” de la Terre. Et face à cette absence d'organisation romaine ou parthe, Brzezinski se montre admiratif et écrit : « Seul l'extraordinaire empire mongol approche notre définition de la puissance mondiale ». Une puissance sans résultat sur le plan de l'organisation. Brzezinski et les stratèges américains veulent réactiver une dynamique anti-impériale, donc contraire aux principes qui sous-tendent l'identité européenne, et asseoir de la sorte un foyer permanent de dissolution pour les formes plus ou moins impériales ou étatiques qui survivent dans son voisinage. Brzezinski écrit, admiratif : « L'empire gengiskhanide a pu soumettre le Royaume de Pologne, la Hongrie, le Saint-Empire (?), plusieurs principautés russes, la califat de Bagdad et l'Empire chinois des Song ». Réflexion historique en apparence ingénue. Mais elle démontre, pour qui sait lire entre les lignes, que la réactivation d'un pôle turc, à références hunniques ou gengiskhanides, doit servir :
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à annihiler les pôles d'impérialité en Europe,
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à mettre hors jeu l'Allemagne, héritière du Saint-Empire et de l'œuvre du Prince Eugène de Savoie-Carignan,
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à tenir en échec définitivement l'Empire russe,
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à détruire toute concentration de puissance en Mésopotamie et
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à surveiller la Chine.
Connaître l'histoire des mouvements de peuples en Asie centrale permet de contrer la stratégie américaine, mise au point par Brzezinski, de lui apporter une réponse russe, indienne, européenne. Pour les Américains, il s'agit d'activer des forces de désordre, des forces dont l'esprit est diamétralement différent de celui de Rome et de la Perse sassanide. Si ces forces sont actives en une zone aussi cruciale de la masse continentale eurasienne, c'est-à-dire sur le territoire que la géopolitique britannique et américaine, théorisée par Mackinder et Spykman, nomme le heartland, le Cœur du Grand Continent, elles ébranlent les concentrations périphériques de puissance politique, leur impose des “frontières démembrées”, selon une terminologie que Henry Kissinger avait reprise à Richelieu et à Vauban. Tel est bien l'objectif de Kissinger et de Brzezinski : “démembrer” les franges territoriales extérieures de la Russie, de l'Iran, de l'Europe, priver celle-ci d'un accès à la Méditerranée orientale. C'est pour cette raison que les États-Unis ont voulu créer le chaos dans les Balkans, en diabolisant la Serbie, dont le territoire se situe sur l'axe Belgrade-Salonique, c'est-à-dire sur la voie la plus courte entre le Danube navigable, à l'Ouest des anciennes “cataractes”, et la Mer Égée, dans le bassin oriental de la Méditerranée. Diaboliser la Serbie sert à bloquer le Danube en sa portion la plus importante stratégiquement parlant, sert aussi à créer artificiellement en vide en plein milieu d'une péninsule qui a servi de tremplin à toutes les opérations européennes en Asie Mineure et au Proche-Orient. Celui-ci doit demeurer une chasse gardée des États-Unis.
Quelles ont été dans l'histoire les ripostes européennes à cette menace permanente et récurrente de dissolution venue de la zone matricielle des peuples hunniques, turcs et mongols, située entre le Lac Baïkal en Sibérie et les côtes du Pacifique ?Luttwak : d'une étude du limes romain à l'occupation de la Hongrie par les troupes américaines
L'Empire romain, probablement mieux informé des mouvements de populations en Asie que ne le laissent supposer les sources qui sont restées à notre disposition, avait compris que l'Empire devait se défendre, se colmater et se verrouiller à 2 endroits précis : en Pannonie, l'actuelle Hongrie, et dans la Dobroudja au Sud du Delta du Danube. Le Danube est l'artère centrale de l'Europe. C'est le fleuve qui la symbolise, qui la traverse tout entière de la Forêt Noire à la Mer Noire, qui constitue une voie d'eau centrale, une voie de communication incontournable. La maîtrise de cette voie assure à l'Europe sa cohésion, protège ipso facto son identité, est la garante de sa puissance, donc de sa survie, est finalement son identité géo-spatiale, la base tellurique du développement de son esprit de conquête et d'organisation, une base sans laquelle cet esprit ne peut se concrétiser, sans laquelle cet esprit n'a pas de conteneur. Ce n'est donc pas un hasard si les États-Unis déploient dorénavant leurs troupes en Hongrie le long du cours du Danube, qui, là-bas, coule du Nord au Sud, en direction de Belgrade.Le théoricien militaire américain, originaire de Roumanie, Edward Luttwak, avait rédigé un ouvrage magistral sur les limes romains en Europe centrale [La Grande Stratégie de l'Empire romain]. Les militaires du Pentagone appliquent aujourd'hui dans le concret les conclusions théoriques de l'historien. De même, un général britannique à la retraite, après une longue carrière à l'OTAN et au SHAPE à Mons-Casteaux en Hainaut, publie une histoire des guerres de Rome contre Carthage, où, curieusement, les opérations dans les Balkans, les jeux d'alliance entre puissances tribales de l'époque, laissent entrevoir la pérennité des enjeux spatiaux, la difficulté d'unifier cette péninsule faite de bassins fluviaux, de vallées et de plateaux isolés les uns des autres. Rome a excité les tribus illyriennes des Balkans les unes contre les autres pour en arriver à maîtriser l'ensemble de la péninsule. On est frappé, dans le récit du Général Nigel Bagnall, de voir comme il convient d'éloigner de l'Adriatique et de l'Égée la puissance tribale centrale, dont le territoire correspondait peu ou prou à celui de la Serbie actuelle ! L'historien militaire a parlé, les blindés et les F-16 de l'OTAN ont agi, quelques années après ! Moralité : l'étude de l'histoire antique, médiévale ou contemporaine est une activité hautement stratégique, ce n'est pas de la simple érudition. Les puissances dominantes anglo-saxonnes nous le démontrent chaque jour, tandis que l'ignorance des dynamiques de l'histoire sanctionne la faiblesse de l'Europe.
Revenons à l'histoire antique. Dès que les Huns franchissent le Danube, dans la Dobroudja en poursuivant les Goths ou en Pannonie, l'empire romain s'effondre. Quand les Avares, issus de la confédération des Ruan Ruan, s'installent en Europe au VIIe siècle, les royaumes germaniques, dont ceux des rois fainéants mérovingiens, ne parviennent pas à imposer à notre sous-continent un ordre durable. Charlemagne arrête provisoirement le danger, mais le Saint-Empire ne s'impose qu'après la victoire de Lechfeld en 955, où Othon Ier vainc les Hongrois et fait promettre à leurs chefs de défendre la plaine de Pannonie contre toute invasion future venue des steppes. En 1945, les Hongrois de Budapest défendent le Danube héroïquement : les filles et les garçons de la ville, âgés de 12 à 18 ans, sortent de leurs écoles pour se battre contre l'Armée Rouge, maison par maison, pan de mur par pan de mur. Je me souviendrais toujours des paroles d'une dame hongroise, qui me racontait la mort de son frère aîné, tué, fusil au poing, à 13 ans, dans les ruines de Budapest. Ces jeunes Magyars voulaient honorer la promesse faite jadis par leur Roi, mille ans auparavant. Un héroïsme admirable, qui mérite notre plus grand respect. Mais un héroïsme qui prouve surtout une chose : pour les peuples forts, le temps ne passe pas, le passé est toujours présent, la continuité n'est jamais brisée, les devoirs que l'histoire a imposés jadis doivent être honorés, même un millénaire après la promesse.
Après l'appel d'Urbain II à Clermont-Ferrand en 1096, les Croisés peuvent traverser la Hongrie du Roi Coloman et se porter vers l'Anatolie byzantine et la Palestine pour contrer l'invasion turque seldjoukide ; les Seldjoukides interdisent aux Européens l'accès aux routes terrestres vers l'Inde et la Chine, ce que les Arabes, précédemment, n'avaient jamais fait. Urbain II était très conscient de cet enjeu géopolitique. Mais les efforts des Croisés ne suffiront pas pour barrer la route aux Ottomans, héritiers des Seldjoukides et des Ilkhans, dominateurs turco-mongols de la Perse vaincue. L'objectif des Ottomans, conscients de l'histoire des peuplades hunno-turques, animés par la volonté de perpétuer la geste pluri-millénaire de leurs peuples contre les Européens, est de prendre le Danube, son embouchure et son delta, son cours oriental à l'Est de ses cataractes entre l'actuelle frontière serbo-roumaine ; ils entendent ensuite prendre Budapest, clef de la plaine pannonienne puis Vienne, capitale du Saint-Empire qu'ils appelaient la “Pomme d'Or”. Ils passent sur le corps des Serbes, des Bosniaques, des Croates, des Hongrois, des Frioulans et des Carinthiens, mais le bloc germanique, retranché derrière les premiers contreforts des Alpes, leur résistent. Il faudra une longue contre-attaque, une guerre d'usure de 3 siècles pour envoyer enfin au tapis le danger ottoman. Cette lutte de reconquista, comparable à la Reconquista espagnole, fonde, elle aussi l'identité politique et militaire de l'Europe. Ce n'est pas un hasard si la disparition du danger ottoman a ouvert l'ère des guerres civiles entre Européens, depuis les guerres révolutionnaires et napoléoniennes aux 2 guerres mondiales, dont on ne mesure pas encore pleinement la tragédie démographique qu'elles ont représentée pour l'Europe.L'arme redoutable du janissariat
Au départ, dans cette longue lutte de l'Europe danubienne contre les offensives continuelles des Ottomans, la balance démographique semblait en faveur de l'Europe. Le rapport était de 67 millions d'Européens contre une douzaine de millions de musulmans turcs. Mais la Turquie avait hérité et faite sienne une tradition persane-européenne de première importance : la notion de service armé de la jeunesse, la fotowwat, dont l'expression turque est l'Ordre des Janissaires. Pour Paul Du Breuil, l'origine des chevaleries et des ordres militaires remonte à la conquête de l'Asie centrale et des hauts plateaux iraniens par les peuples européens de la proto-histoire. Elle s'est transmise aux Perses (et aux Parthes), aux Alains, aux Sarmates, aux Goths et aux Arméniens de l'époque médiévale.De cette matrice iranienne et pontique, elle est passée, au temps des croisades, à l'Occident. Le nom même de l'Ordre de la Toison d'Or, fondé par les Ducs de Bourgogne, indique une “orientation” géographique vers l'aire pontique (la Mer Noire), l'Arménie caucasienne et l'Iran, berceau de la première organisation militaire rigoureuse des peuples européens, à l'aurore de l'histoire. C'est parce qu'ils ont traversé les territoires des Iraniens et des Arméniens que les Turcs seldjoukides comprennent l'importance d'un ordre militaire similaire à la fotowwat persane. C'est ainsi que naît l'ordre des janissaires, très discipliné, capable de vaincre des armées européennes plus nombreuses, mais moins disciplinées, ainsi que s'en plaint Ogier Ghiselin de Bousbeque, dans un texte qui figure aujourd'hui encore dans l'anthologie de la pensée stratégique de Gérard Chaliand, manuel de base des officiers français.
La discipline du janissariat ottoman culbute donc les armées serbes, croates et hongroises. La riposte européenne sera double : d'une part, les cosaques d'Ivan le Terrible prennent Kazan, la capitale des Tatars en 1552, puis descendent le cours de la Volga et coupent la route d'invasion traditionnelle des peuples hunniques et turcs au nord de la Caspienne, sur le cours de la Volga et dans son delta, à hauteur d'Astrakhan, qui tombe en 1556. Sur mer, les Portugais contournent l'Afrique et tombent dans le dos des puissances musulmanes dans l'Océan indien. Le cosaque sur terre, le marin sur l'océan ont représenté l'identité active et dynamique, aventurière et risquée de l'Europe au moment où elle était encerclée, de Tanger à Alexandrie, dans les Balkans, sur le Danube, sur la Volga et en Ukraine. La double opération maritime et terrestre des Russes et des Portugais desserre l'étau qui étranglait l'Europe et amorce une lente reconquista, qui ne sera jamais complètement achevée, car Constantinople n'est pas redevenue grecque ; la dissolution bâclée de l'ex-URSS rend cette hypothétique reconquista plus aléatoire que jamais, en créant un espace de chaos non maîtrisable dans les “Balkans eurasiens”.Eugène de Savoie : une excellente connaissance de la littérature militaire classique
L'esprit européen s'est incarné au XVIIe siècle dans un personnage hors du commun : le Prince Eugène de Savoie-Carignan. Garçonnet chétif et disgrâcieux, auquel on impose la tonsure à 8 ans pour en faire un moine, il voue son enfance et son adolescence à l'étude des classiques, mais rêve d'une carrière militaire, que Louis XIV lui refuse mais que l'Empereur d'Autriche accepte avec enthousiasme. Son excellente connaissance des classiques militaires en fait un capitaine méthodique, qui prépare la reconquête des Balkans, en organisant une flotte sur le Danube à l'imitation de celle que les Romains avaient construites à Passau (Batavia) en Bavière. Les plans d'Eugène de Savoie, le “noble chevalier”, permettent, avec la Sainte-Alliance qui allie Polonais, Bavarois, Autrichiens, Hongrois, Prussiens et Russes, de reconquérir 400.000 km2 sur les Ottomans. Avec les victoires successives d'Eugène de Savoie, le ressac des Ottomans est amorcé : ils n'avanceront plus d'un pouce. Quelques décennies plus tard, Catherine II et Potemkine reprennent la Crimée et font de la rive septentrionale de la Mer Noire une rive européenne à part entière, pour la première fois depuis l'irruption des Huns dans l'écoumène de nos peuples.
L'identité géopolitique européenne est donc ce combat pluri-millénaire pour des frontières stables et “membrées”, pour le libre passage vers le cœur de l'Eurasie, qu'avait réclamé Urbain II à Clermont-Ferrand en prêchant la première croisade. L'identité culturelle européenne est cette culture militaire, cet art de la chevalerie, héritée des héros de l'ère avestique. L'identité culturelle européenne est cette volonté d'organiser l'espace, l'ager des Romains, de lui imprégner une marque définitive. Mais aujourd'hui, où en est-on ? Quelle est notre situation objective ?Au cours des 15 à 20 dernières années, nous avons accumulé défaite sur défaite. Nos maigres atouts géostratégiques sont tombés les uns après les autres comme s'ils n'étaient qu'un alignement de dominos. La stratégie “mongolomorphe” de Brzezinski semble porter ses fruits. L'Europe et la Russie ne sont plus que des territoires loques, pantelants, sans ressort et sans plus aucune énergie propre. En effet :-
L'Europe a perdu sur le Danube : la Serbie, territoire qui relie l'Europe centrale danubienne à l'Égée, ancienne route des Doriens et des ancêtres macédoniens d'Alexandre le Grand, est soustraite à toute dynamique positive, vu l'embargo qu'on lui impose depuis Washington. L'Autriche a failli se faire diaboliser de la même manière, à l'époque très récente où Jacques Chirac et Louis Michel faisaient le jeu des Américains. Les armées américaines s'installent en Hongrie, aux mêmes endroits où campaient les légions de Rome pour "membrer" la frontière la plus fragile de l'Europe, la plaine hongroise, la Puszta, qui relie directement notre continent, via les plaines ukrainiennes et les immensités sibériennes, au territoire originel des peuples hunniques.
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L'Europe et la Russie perdent tous leurs atouts dans le Caucase, où la Géorgie de Chevarnadze joue à fond la carte américano-turque, où l'Azerbaïdjan est complètement inféodé à l'OTAN et à la Turquie, où les Tchétchènes, armés par les Turcs, les Saoudiens et les Américains, tiennent l'armée russe en échec et organisent des attentats sanglants à Moscou, comme en octobre dernier au théâtre Doubrovna. Dans ce contexte caucasien, la malheureuse Arménie est encerclée, menacée de toutes parts, n'a que des ennemis à ses frontières, sauf l'Iran, sur une longueur de 42 km à peine, zone que l'OTAN veut tout simplement “acheter” pour surveiller et menacer l'Iran.
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L'Europe, la Russie et l'Inde perdent dans le Cachemire, où la présence pakistanaise, solidement ancrée, empêchent la création d'un corridor de communication entre l'Inde et le Tadjikistan et entre celui-ci et la Russie. La présence pakistanaise empêche d'établir le lien qui aurait pu exister entre nos territoires à l'époque des 3 empires juxtaposés, juste avant la catastrophe des invasions hunniques.
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L'Europe perd dans les mers intérieures : l'Albanie, inféodée au binôme américano-turc, surveille le Détroit d'Otrante. Des navires de guerre américains, basés en Albanie, pourraient complètement verrouiller l'Adriatique et étouffer l'économie de l'Italie du Nord, dont l'axe fluvial, le Pô, débouche dans cette Mer Adriatique, au sud de Venise. L'objectif est justement d'empêcher l'éclosion d'une nouvelle Venise, d'une nouvelle “Sérénissime”, dont l'hinterland serait la Mitteleuropa tout entière. L'objectif est aussi d'empêcher l'Europe de rééditer l'exploit de Don Juan d'Autriche, vainqueur de la flotte ottomane à Lépante en 1571. Qui plus est, l'Europe perd tous ses atouts et son allié potentiel dans le Golfe, zone stratégique de première importance pour contrôler notre sous-continent. En effet, à partir de 1941, quand les Britanniques s'emparent tour à tour de l'Irak, de la Syrie et du Liban, puis, avec l'aide des Soviétiques, de l'Iran, ils se dotent d'une base arrière permettant d'alimenter en matières premières, en matériels de tous ordres et en pétrole, les armées concentrées en Egypte, qui s'empareront de la Libye, de la Tunisie et de l'Italie ; et aussi d'alimenter les armées soviétiques, via les chemins de fer iraniens, la liaison maritime sur la Caspienne et, de là, via la liaison fluviale de la Volga. Seule la bataille de Stalingrad a failli couper cette artère. Comme l'a souvent souligné Jean Parvulesco, l'Europe est à la merci de toute grande puissance qui tiendrait fermement en son pouvoir la Mésopotamie et les régions avoisinantes. Plus bref, Parvulesco a dit : « L'Europe se tient par le Sud-Est ». La victoire anglo-saxonne et soviétique de 1945 en est la plus belle démonstration. Et c'est parce que cette région est vitale, sur le plan géostratégique, que les Américains tiennent à s'en emparer définitivement aujourd'hui, ne veulent plus la lâcher. Le scénario de base est et reste le même. Nous pourrions citer d'innombrables exemples historiques.
Nous sommes ramenés des siècles en arrière
Dès lors, cette situation désastreuse nous ramène plusieurs siècles en arrière, au temps où les Ottomans assiégeaient Vienne, où les Tatars étaient solidement installés sur le cours des 2 grands fleuves russes que sont la Kama et la Volga, où les sultans du Maroc envisageaient de reprendre pied dans la péninsule ibérique. Oui, nous sommes revenus plusieurs siècles en arrière depuis les événements du Golfe en 1991, depuis les événements de Yougoslavie dans la décennie 90, depuis l'éclatement de la mosaïque caucasienne et la rébellion tchétchène, depuis l'occupation de l'Afghanistan et depuis celle, toute récente, de l'Irak. Cette situation implique :-
Que les Européens doivent montrer une unité de vue inflexible dans les Balkans et contester là-bas toute présence turque, saoudienne ou américaine.
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Que les Européens ôtent toute marge de manœuvre à la Turquie dans les Balkans et dans le Caucase.
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Que les Européens doivent rendre à nouveau toute circulation libre sur le Danube, en englobant la Serbie dans ce projet.
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Que les Européens doivent réaliser une triple liaison par canaux, routes et voies de chemin de fer entre Belgrade et Salonique, soit entre l'Europe centrale danubienne et l'Égée.
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Que les Européens doivent s'assurer la maîtrise stratégique de Chypre, faire pression sur la Turquie pour qu'elle évacue l'île sans condition.
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Que les Européens appuient l'Arménie encerclée contre l'alliance entre Turcs, Américains, Azéris, Géorgiens, Saoudiens et Tchétchènes.
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Que les Européens doivent jouer la carte kurde contre la Turquie.
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Que les Européens appuient l'Inde dans la lutte qui l'oppose au Pakistan, allié des États-Unis, dans la question irrésolue du Cachemire.
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Que les Européens mènent une politique arabe intelligente, se basant sur les idéologies nationales-étatiques de type baathiste ou nassériennes, à l'exclusion des intégrismes islamistes, généralement manipulés par les services américains, comme ce fut le cas des talibans, ou des frères musulmans contre Nasser, ou des Chiites contre Saddam Hussein.
Les deux anacondas
Pratiquer cette géopolitique, à multiples volets, nous conduit :-
À repenser la théorie de l'anaconda. Pour Karl Haushofer, le célèbre géopolitologue allemand, que l'on redécouvre après une longue éclipse, l'anaconda, ce sont les flottes des puissances maritimes anglo-saxonnes qui enserrent le grand continent asiatique et le condamnent à l'asphyxie. Cet anaconda est toujours là. Mais, il est doublé d'un nouvel anaconda, le réseau dense des satellites qui entourent la Terre, nous espionnent, nous surveillent et nous condamnent à la stagnation. Cet anaconda est, par exemple, le réseau ÉCHELON. L'identité combattante de l'Europe consiste aujourd'hui à apporter une réponse à ce défi. Or le défi spatial ne peut être résolu que par un partenariat avec la Russie en ce domaine, comme le préconise Henri de Grossouvre dans son excellent ouvrage sur l'Axe Paris-Berlin-Moscou.
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À avoir une politique maritime audacieuse, comme celle qu'avait eue Louis XVI en France. L'Europe doit être présente sur mer, militairement, certes, mais doit aussi revendiquer ses droits aux richesses halieutiques. Ensuite, un système de défense des côtes s'avère impératif.
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À affirmer son indépendance militaire, à partir de l'Eurocorps, qui pourrait devenir une "Force de Réaction Rapide” européenne, celle-là même à laquelle la Turquie a opposé son veto naguère.
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À déconstruire les archaïsmes institutionnels qui subsistent encore au sein de l'UE.
L'identité politique européenne, seule identité vraiment concrète puisque nous savons depuis Aristote que l'homme est un animal politique, un zôon politikon, réside donc, aujourd'hui, en cette époque de calamités, à prendre conscience de nos déboires géopolitiques, que je viens d'énoncer, et à agir pour promouvoir une politique spatiale, maritime et militaire claire. Il est évident que cette prise de conscience et que ce plan d'action n'aboutiront au succès que s'ils sont impulsés et portés par des hommes qui ont le profil volontaire, actif et lumineux, archangélique et michaëlien, que nous ont légué, il y a plusieurs millénaires, les Européens arrivés sur les hauts plateaux iraniens, pour y donner naissance à la tradition avestique, la seule, la vraie, la Grande Tradition, celle de notre “Orient” pré-persan, noyau de toutes les chevaleries opératives.
◘ Communication de Robert Steuckers à la « Fête de l'Identité », Santes/Lille, le 28 juin 2003
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11 septembre 2001: « Rien n'explique que les avions aient pu pénétrer aussi facilement l'intérieur des zones les mieux protégées du monde »
Journaliste d'investigation, Eric Raynaud se passionne depuis huit ans pour les attentats du 11 septembre 2001. Auteur d'un livre intitulé 11 septembre, les vérités cachées, il est convaincu que les tours du World Trade Center avaient été piégées avant que les avions ne les percutent. Il s'explique pour Monde et Vie.
M&V : Le 11 septembre 2001, le monde entier a assisté en direct à l'écroulement des tours du World Trade Center à New-York, heurtées de plein fouet par des avions de ligne détournés par des terroristes. Pour tout le monde, ces terroristes et leur chef, un certain Oussama ben Laden, jusqu'alors inconnu du grand public, en étaient seuls responsables. Comment en êtes-vous arrivé à douter de la version officielle des événements ?
- Eric Raynaud : A l'époque,je suis resté «scotché», le souffle coupé, devant ma télévision jusqu'à cinq heures du matin et je ne me suis pas posé de question sur la manière dont l'événement avait pu se produire. Les questions sont venues plus tard, d'abord à la lecture du livre de Thierry Meyssan sur l'attentat visant le Pentagone, « L'Effroyable imposture », puis lors de la publication des conclusions de la commission d'enquête américaine conduite par l'administration Bush-Cheney, absolument pas crédibles. Des scientifiques de premier rang sont d'ailleurs montés au créneau pour critiquer cette version officielle des faits, avec des arguments puissants. Après l'élection de Barack Obama, la parole s'est un peu libérée.
Elle est plus libre aux Etats-Unis qu'en France...
- En effet, de nombreuses associations s'y sont créées et se sont pour la plupart fédérées au sein d'un Mouvement pour la vérité sur le 11 septembre, afin de réclamer l'ouverture d'une nouvelle enquête. Des associations de victimes et de familles de victimes, de pompiers, de témoins, de Professionnels du bâtiment - architectes et ingénieurs -, d'anciens agents des services secrets, une association de personnalités religieuses et une autre rassemblant des dirigeants politiques internationaux ont demandé que la lumière soit faite sur les nombreuses obscurités de ce drame.
Selon vous, que s'est-il réellement produit le 11 septembre ?
- Il s'agit indubitablement d'attentats perpétrés par des terroristes - nous avons tous vu les avions percuter les tours -, mais je suis convaincu que Georges Bush et les membres de son administration avaient des éléments démontrant qu'ils allaient se produire. Les services secrets d'au moins quinze pays, dont le Mossad, les services secrets afghans et la DGSE française (dès le mois de janvier !), les avaient prévenus qu'un attentat allait avoir lieu avec des avions détournés. La CIA en avait aussi fait état le 6 août 2001, lors du briefing quotidien en présence de George Bush. L'administration en place a volontairement laissé faire et probablement accompagné le mouvement. On ne s'explique pas autrement que les avions aient pu pénétrer aussi facilement à l'intérieur des zones les mieux protégées du monde : New-York, Washington et le Pentagone. Il faut savoir qu'autour du Pentagone est tracé un cercle virtuel, baptisé P 56, dans lequel on n'entre pas sans émettre un message accompagné d'un code qui est changé tous les jours. Si ce message codé n'est pas reçu, des missiles sont immédiatement lancés contre l'appareil intrus. Les avions qui ont percuté les tours auraient également dus être interceptés par la chasse américaine dans les six minutes. À 8 h 30, deux appareils étaient prêts à décoller et à se porter sur l'adversaire en 5 ou 6 minutes. Or ils sont restés au sol pendant une heure et demi, laissant le deuxième avion se fracasser sur la deuxième tour...
Vous évoquez dans votre livre la découverte d'un scientifique, Niels Harrit ? De quoi s'agit-il ?
- Niels Harrit est un scientifique danois, spécialisé en nanochimie. En mars dernier, il a publié dans un bulletin scientifique à comité de lecture - ce qui pour un scientifique est un gage de sérieux - une étude dans laquelle il expliquait avoir trouvé, dans les poussières de béton des tours écroulées, des particules de nanothermite. Il s'agit d'un mélange chimique qui possède des propriétés explosives ou de fusion et dont les ouvriers des chemins de fer se servaient naguère pour couper les rails. Plus c'est petit, plus c'est exogène, et plus ça «pète». Cet explosif atteint très rapidement des températures de 2 500 degrés et brûle sans apport d'oxygène. Le kérosène que contenaient les réservoirs des avions ne brûle, lui, qu'à une température de 800 à 850 degrés. Or, l'acier ne fond pas à moins de 1580 degrés... Par ailleurs, la nanothermite peut servir, soit comme explosif, soit pour découper. Il est probable qu'il y a eu à la fois des charges de découpe et d'explosion, ce qui expliquerait que des poutres de plusieurs tonnes aient été expulsées à 180 mètres, ainsi que la vitesse à laquelle les tours sont tombées : 10 secondes, vitesse de la chute libre, au lieu des 30 secondes minimum qu'il aurait fallu pour écraser 110 étages, selon les spécialistes.
Vous soupçonnez les Américains d'avoir eux-mêmes miné les tours. Pourquoi ?
- Cet explosif est fabriqué sous licence militaire, dans des laboratoires militaires, à usage militaire. Il est donc permis de se demander ce que font ces particules dans les poussières du Worl Trade Center. Je vois mal des islamistes fabriquer la nanothermite dans les grottes d'Afghanistan... Ils auraient pu l'acheter, mais encore aurait-il fallu pouvoir placer les explosifs dans les tours. Car, selon Niels Harrit, il aurait fallu plus de 10 tonnes de nanothermite répartie dans tous les étages des deux tours et de la tour 7 - la troisième à être tombée - pour provoquer de tels dégâts. On sait par des témoins que des explosions ont eu lieu dans les tours, on les entend distinctement lorsqu'on consulte les archives filmées. Un témoin nommé Rodriguez, qui travaillait dans les « Twins Towers » et dont George Bush a fait un héros national car il a sauvé plusieurs personnes, a été brûlé par une énorme explosion dans les sous-sols.
Comment aurait-on pu introduire discrètement plus de 10 tonnes d'explosifs dans les tours ?
- Des journalistes de la télévision danoise l'ont demandé à Niels Harrit, qui leur a répondu : « sur des palettes », et leur a conseillé d'aller poser la question aux responsables de la société qui était en charge de la sécurité des tours, Securacom. Cette société, qui assurait aussi la sécurité de l'aéroport de Dulles, d'où est parti l'avion qui se serait écrasé sur le Pentagone, était dirigée... par Marvin Bush, le propre frère de George Bush, et par leur cousin Wirt Walker. Les responsables de Securacom n'ont jamais été interrogés par la commission d'enquête... Ils auraient pu expliquer pourquoi les chiens renifleurs d'explosifs avaient été retirés du World Trade Center quinze jours avant les attentats ? Des familles ont demandé des explications, elles n'ont jamais reçu de réponse. Peu de temps avant les attentats aussi, il avait été procédé à une opération de réfection des ascenseurs, au cœur d'une colonne d'acier qui monte dans la cage d'ascenseur. Ces ascenseurs avaient pourtant déjà été révisés à peine dix-huit mois plus tôt...
Vous avez abordé aussi dans votre livre le cas de la tour 7, la troisième à s'être écroulée, sans avoir été percutée par aucun avion...
- Le rapport final de la commission d'enquête passe purement et simplement sous silence la chute de cette tour, dans laquelle se trouvaient les bureaux de la CIA, mais aussi le bunker du maire de New-York, à l'époque Rudy Giuliani. On a avancé pour expliquer son écroulement que des débris entrés par les fenêtres de cette tour y avaient allumé des incendies qui auraient affaibli sa structure. Or cette tour, d'une hauteur de 165 mètres, est tombée elle aussi à la vitesse de la chute libre, en 6,5 secondes, dans son empreinte et sans qu'un seul des immeubles qui l'entourent ait été touché.
Vous doutez également de la version officielle concernant l'attentat contre le Pentagone. Pourquoi ?
- Le toit du Pentagone, censé avoir été également frappé par un Boeing, s'est écroulé seulement trois quarts d'heure après l'impact. Des photos prises par des militaires présents à ce moment-là laissent apparaître, au point d'impact, un trou de 5 mètres sur 5... fait par un avion de 38 mètres d'envergure ! En outre, une association rassemblant à la fois des pilotes de ligne et de chasse a fait savoir qu'il aurait fallu exécuter, pour se planter dans le Pentagone de cette manière, une manœuvre en spirale impossible à exécuter ! Le pilote de chasse qui a inspiré le film Top Gun, membre de l'association des pilotes pour la vérité sur le 11 septembre et qui affiche 400 missions de combat, a déclaré que lui-même ne saurait pas la faire - or, le terroriste qui est censé avoir réussi cette même manœuvre avec un Boeing 757 s'était vu refuser deux semaines auparavant la location d'un Cessna, parce qu'il n'arrivait pas à le piloter. Enfin, on ne trouve pas de débris de l'avion sur la pelouse : ni sièges, ni bagages, juste des pièces de métal qui font la surface d'une main.
Autre chose : le 757 est censé avoir traversé trois anneaux du Pentagone celui-ci est constitué de cinq «anneaux», bâtiments concentriques en béton armé, avec d'énormes poutres de protection. A la sortie, dans le sixième mur (il y a deux murs par anneau), on voit un trou circulaire de 2,30 mètre, dont on nous dit que c'est le nez de l'avion. Or le nez d'un 757 n'est même pas en aluminium, mais en fibre de carbone pour que les communications soient meilleures. De la fibre de carbone qui traverse des murs en béton armé ? Je demande à voir... Mais justement, en dépit des 84 caméras qui surveillaient l'endroit, on ne dispose pas d'une seule image montrant le choc et l'avion qui s'engouffre dans le mur : le FBI refuse de les montrer, en dépit des demandes des plaignants.
Mais que sont devenus l'avion et ses passagers - car il a bien décollé ?
- C'est une question à laquelle je suis incapable de répondre. On n'a rien retrouvé à l'intérieur du pentagone. La commission d'enquête a expliqué que la chaleur avait été telle que l'avion s'était volatilisé - moyennant quoi, sans crainte de se contredire, on a affirmé aux familles que leurs proches présents dans l'avion avaient été identifiés grâce à des traces d'ADN ou des empreintes digitales... Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est impossible qu'un 757 ait percuté le Pentagone. Selon l'hypothèse la plus courue, il se serait agi d'un missile. Cette hypothèse pourrait être renforcée par les résultats obtenus par une spécialiste qui est allée mesurer la radioactivité sur place : elle est dix fois supérieure à ce qu'elle était à l'origine.
De même, je ne sais pas ce qu'il a pu advenir des personnes qui se trouvaient dans l'avion qui se serait écrasé en Pennsylvanie. On a trouvé un trou de 30 mètres dans un champ, là encore sans une valise, ni un siège, ni un morceau de fuselage. Selon une hypothèse, cet avion-là aurait été abattu par l'armée : après les attaques contre les tours et le Pentagone, il pouvait sembler préférable de le descendre et de tuer 47 personnes pour en sauver 4 000. Aujourd'hui, le gouvernement ne dément plus formellement cette hypothèse.
On a dit que des passagers de cet avion avaient téléphoné à leurs proches...
- Lors du procès de Moussaoui (survivant du groupe terroriste, ndlr), ses avocats ont demandé les expertises du FBI concernant les conversations téléphoniques d'avion jusqu'au sol. Les experts ont expliqué qu'il ne pouvait pas y avoir eu de telles conversations avec la terre ferme, de la hauteur à laquelle volait l'avion. En 2001, on n'avait pas encore la technologie suffisante. Il n'est pas impossible en revanche que les gens, au sol, aient reçu des coups de téléphone - mais de qui, comment, par qui ? Je ne le sais pas.
Pourquoi tout cela ? En se rendant complice des terroristes, le gouvernement américain aurait pris des risques énormes...
- Ce cas de figure s'est déjà vu : on sait aujourd'hui qu'avant Pearl Harbor, par exemple, les Américains avaient été prévenus de l'attaque japonaise. Pour les Américains, il était important d'aller en Irak et en Afghanistan, à cause du pétrole. Un an auparavant, un groupe néoconservateur avait d'ailleurs publié un Projet pour un nouveau siècle américain (PNAC, Project for a New American Century), dont les rédacteurs expliquaient que les Etats-Unis étaient en train de perdre la guerre de l'énergie et qu'il fallait établir des bases au Moyen-Orient, mais que l'opinion publique américaine n'était pas prête à la guerre, « sauf à ce qu'un élément moteur n'advienne, du type Pearl Harbor, qui retournerait l'opinion et permettrait de passer immédiatement à l'action. » Je pense que Bush était au courant qu'il allait se produire quelque chose. La nuit précédente, il couchait dans un hôtel et contrairement à l'habitude, il y avait une batterie anti-missile sur le toit. Mais je crois qu'il ne pensait pas que ça irait si loin et qu'il a été doublé par Dick Cheney.
Propos recueillis par Hervé Bizien monde & vie 12 octobre 2009 -
COLONISATION DE L’ALGERIE… : Les raisons de la conquête
« Chose étrange et bien vraie pourtant, ce qui manque à la France en Alger, c’est un peu de barbarie. Les Turcs allaient plus vite, plus sûrement et plus loin ; ils savaient mieux couper les têtes. La première chose qui frappe le sauvage, ce n’est pas la raison, c’est la force » (Victor Hugo dans « Le Rhin » en 1842)
Lors de son voyage en Algérie, François Hollande a reconnu publiquement que : « Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste, brutal et destructeur. Je reconnais ici les souffrances que le système colonial a infligé au peuple algérien »… et encore : « La France est responsable d’une colonisation injuste et brutale ; elle est responsable des massacres d’innocents algériens à Sétif, Guelma et Khenattra »... tout en se gardant bien, de dénoncer ces centaines d’autres massacres d’innocents européens qui ont précédé les représailles et ces autres milliers de massacres d’innocents européens et musulmans fidèles à la France qui ont jalonné huit années de terrorisme aveugle et lâche. Par cette indécente sélectivité minable, le Chef de l’état a injurié et humilié –non les Français d’Algérie, comme se plaisent à dire certains idiots utiles de service- mais, tout simplement, la France, son peuple, son Histoire, son honneur ainsi que la mémoire et le sacrifice de ses soldats.
Depuis lors, un florilège de réactions issues du milieu « progressiste » n’a pas manqué de vilipender en des termes diffamants l’œuvre colonisatrice de la France en Algérie. C’est ainsi, qu’encouragé par l’attitude et les déclarations du Chef de l’Etat, ce petit monde de « moralistes à la conscience pure » n’a eu de cesse de monter les enchères en comparant le colonialisme français à l’esclavagisme… Cela a permis, entre autres bouffons du Président, à Harlem Désir, Premier secrétaire du Parti socialiste, de pérorer de la sorte : « Je salue les déclarations historiques de François Hollande aujourd’hui à Alger. Le Président de la République a su trouver les mots pour évoquer le caractère injuste et brutal de la colonisation française en Algérie et les souffrances qu’elle a imposées au peuple algérien. »
Ces déclarations infamantes, basées sur une méconnaissance totale du sujet, inspirées de surcroît par un sentiment anti-français, nous dépeignent « l’Algérie coloniale, comme ayant été l’apartheid ». Ces « historiens » de bas étage nous « rappellent » que « la colonisation était contraire aux lois de la République, notamment par son côté ségrégationniste » (sic). Quelle hérésie !
Si Charles X fut à l’origine de « l’expédition d’Alger », c’est précisément la République (la IIe) qui ordonna la conquête de l’Algérie. Cependant, à cette époque il n’était aucunement question de colonisation. Ce que Charles X -et avec lui l’Europe- voulait, c’était supprimer la piraterie en Méditerranée. En effet, toute la côte « barbaresque », de l’Egypte à Gibraltar, n’était qu’une seule et très active base d’opérations de piraterie dirigée contre la France, l’Espagne, l’Italie et surtout contre les convois chargés de marchandises qui sillonnaient la Méditerranée.
C’est pour réduire cette piraterie que les premières incursions chrétiennes de représailles sur les côtes algériennes virent le jour au début du XVIe siècle et permirent aux Espagnols, sous la conduite de Pedro Navarro, d’investir Alger et de libérer trois-cents captifs chrétiens. Pour les en chasser, les algériens firent appel en 1515 aux corsaires turcs qui occupaient depuis 1513 le port de Djidjelli en Kabylie, notamment à un pirate sanguinaire, Kheir-Ed-Din, dit Barberousse en raison de la couleur de sa barbe. Ils occupèrent Alger et y instaurèrent un régime de terreur, exécutant ceux qui refusaient la nouvelle domination turque. Ainsi, par l’entremise de ce pirate que le sultan de Stamboul avait nommé émir des émirs, beylerbey, la Turquie prit officiellement pied dans le bassin occidental de la Méditerranée. Alger était pour elle une base avancée, ce que Gibraltar et Singapour furent plus tard pour l’Angleterre. De là, elle pouvait porter des coups très durs à la navigation chrétienne. Avec ces ressources, Barberousse et les Turcs chassèrent les Espagnols et conquirent le territoire algérien, allant jusqu’à placer le pays sous la dépendance nominale du sultan de Constantinople. Le Maghreb était devenu une province turque.
Forte de ses soixante bâtiments dont trente-cinq galères, la flotte algérienne écumait la Méditerranée et amassait des trésors. De plus une autre source énorme de profits était constituée par l’esclavage. Il s’exerçait, pour une part, aux dépens de populations d’Afrique noire que l’on enlevait après avoir investi les villages et, pour une autre part, de la piraterie. L’avantage de cette dernière résidait dans l’échange des esclaves chrétiens contre de fortes rançons. Un bénédictin espagnol, le Père Haedo, estimait qu’Alger devait avoir 60 000 habitants et 25 000 esclaves chrétiens.
Quand Charles X décida l’occupation d’Alger, la Prusse, l’Autriche, la Russie, les grands de l’heure, approuvèrent sans commentaires particuliers. C’est ainsi qu’en cette aube du 25 mai 1830, la France partit pour l’Algérie… sans se douter qu’elle allait y rester 132 ans.
Aussi quant nos « historiens de salons » s’élèvent contre « la saisie de terres, l’annexion de territoires, l’évangélisation, le pillage des ressources minières » (sic), ils ne peuvent qu’engendrer le ridicule… En effet, en 1830, l’Algérie n’était pas un territoire indépendant mais, nous l’avons vu, une possession turque. L’occupation par la France n’a donc eu pour résultat que de substituer à une occupation étrangère celle d’un autre pays. De plus, cette Algérie là ne constituait pas un Etat, encore moins une nation. Elle n’avait pas de frontières. Elle constituait une mosaïque de tribus qu’aucun lien, sauf le religieux, n’unissait entre elles, encore que d’une façon très fragmentaire.
Concernant la saisie de terres, ils voudraient nous faire croire que les premiers pionniers firent main basse sur de riches et fertiles terres agricoles enlevées de force aux indigènes. A leur arrivée, ils découvrirent, en guise de richesses, un désert, une lande hérissée de broussailles au bord d’un marais pestilentiel où pullulaient les moustiques.
En 1841, dans son étude « Solution de la question d’Algérie », le général Duvivier écrivait : « Les plaines telles celles de la Mitidja, de Bône et tant d’autres ne sont que des foyers de maladies et morts. Les assainir, on n’y parviendra jamais… Les plaines pour les Européens, sont et seront toujours longtemps de vastes tombeaux. Qu’on abandonne ces fétides fosses ! »
Fosses fétides ! Vastes tombeaux ! Quel programme engageant ! Et le général Berthezène d’affirmer, menaçant : « La Mitidja n’est qu’un immense cloaque. Elle sera le tombeau de tous ceux qui oseront l’exploiter ».
Concernant l’évangélisation, nos « historiens » se sont encore fourvoyés… S’ils reprochent à la France cette annexion, ils « oublient » cependant de signaler que ce sont les ascendants des « victimes du colonialisme français » qu’ils défendent aujourd’hui avec tant de véhémence, qui sont les véritables colonialistes.
Qui a annexé ce pays autrefois habité par la race berbère et qui faisait alors partie intégrante du monde occidental ?
Qui a soumis par la force ce même peuple berbère, majoritairement chrétien, à la conversion à l’Islam ?
Quant au « pillage des ressources minières », que d’infamies !
« L’exploration scientifique de l’Algérie, avait dit Renan, sera l’un des titres de gloire de la France au XIXe et au XXe siècle ». Eh bien c’est la France qui a découvert et mis en valeur à grand frais les zones pétrolifères et les gisements de gaz du Sahara prétendument destinés à assurer son indépendance. En a-t-elle profité ? A-t-elle eu seulement le temps de les exploiter ?
C’est encore elle qui a construit à coups de milliards de francs la base navale nucléaire de Mers-el-Kébir. Que lui a-t-elle rapporté ?
Quant au « côté ségrégationniste » avancé par ces inénarrables trublions, on voit bien qu’ils n’ont jamais mis les pieds en Algérie française, jamais fréquenté la moindre école où chrétiens, juifs et musulmans vivaient à l’unisson.
Cependant, au lieu de s’évertuer à salir de façon éhontée la mémoire de l’œuvre française en Algérie, pourquoi ne nous expliquent-ils pas, une fois pour toute, les raisons pour lesquelles ces « pauvres petits maghrébins », une fois leur indépendance acquise, se sont empressés de rejoindre la France… cette France qui les a tant fait souffrir ?
Pourquoi ne nous rapportent-ils pas avec autant d’ardeur, la misère qui, depuis 50 ans, pèse sur l’Algérie comme une chape et que l’on tait parce qu’elle est un démenti flagrant aux mensonges de tous ceux qui n’ont de cesse de condamner « le rôle positif de la présence française outre-mer ».
Durant l’épisode sanglant de la guerre d’Algérie, le leitmotiv constant des responsables du FLN était que la rébellion se justifiait par le besoin de plus de justice, de bonheur et de liberté pour la « malheureuse » population musulmane. Cependant au cours d’une audience qu’il accorda à un haut prélat d’Algérie, en septembre 1961, sa Sainteté Jean XXIII prononça : « Vous avez vos idées, c’est bien, mais moi j’ai constaté une chose : c’est que chaque fois que la France se retire d’un pays, la liberté et la civilisation reculent. »
Que ces paroles du Pape nous inspirent de fécondes réflexions. C’est là mon souhait pour 2013.
José CASTANO http://www.actionfrancaise.net
« A son indépendance, nul pays extérieur au monde occidental, Japon et Afrique du Sud exceptés, ne dispose d’une infrastructure aussi développée que l’Algérie » (Béchir Ben Yahmed, fondateur de « Jeune Afrique »)
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Le combat pour la famille n’est qu’un prélude : le 13 janvier commencera un combat de longue durée
Le 13 janvier approche et je crains que le « travail » de décapage idéologique du projet Hollando-LGBT auquel il aurait fallu s’employer ne soit alors qu’en partie seulement effectué, même si bien commencé ;...
...je pense en particulier à l’imposture intellectuelle commise par des conseillers politiques et culturels élyséens comme gouvernementaux et francs-maçons, qui a consisté à remplir le sac à idées de Monsieur Hollande d’une provision de « valeurs » dites républicaines quoique fortement trempées dans l’encre acide de la théorie du « gendeure » : lesquelles sont en général les condiments poivrés d’une bouillie philosophique qui convient certes aux estomacs d’acier de la secte de la Rue Cadet mais ne saurait en aucun cas servir de justification aux entreprises de démolition de notre société désirées désormais par l’État français.
Le point de conviction des manifestants du 13 est certain : il faut absolument défendre la paternité tout autant que la maternité ; ce fut l’un des buts de la rencontre à l’Espace Bernanos de l’alliance « Manif pour Tous », car le projet du président de la France de modifier radicalement notre législation à leur propos est tout ce que l’on veut sauf digne de sa responsabilité : il est des points de notre civilisation que l’État doit reconnaître hors des limites de son pouvoir comme sont parfois contraints certains tribunaux de se déclarer incompétents. [...]
Dominique Daguet - La suite sur France Catholique
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Manifestation du 13 janvier : oui à la famille, non à la tyrannie médiatique !
La manifestation du 13 janvier 2013 contre le mariage gay peut être un grand succès. A une condition toutefois : que les organisateurs et les participants osent affirmer leurs convictions sans crainte du qu’en dira-t-on politiquement correct. La tyrannie médiatique, voilà l’ennemi !
Polémia1-Le mariage homosexuel est la revendication de la minorité d’une minorité : quelques pour cent d’activistes au sein d’une minorité sexuelle représentant elle-même quelques pour cent de la population. Réussir à mettre au centre du débat politique la question du « mariage gay » est donc aussi étrange qu’artificiel.
2-Cela n’est possible que parce que les médias ont fait du mariage homosexuel un sujet d’actualité majeur grâce à une technique simple : mettre en avant les sujets portant sur l’homosexualité et les « angler » dans un sens toujours favorable aux revendications homosexualistes. Ainsi le jour de la présentation en conseil des ministres de la loi sur le « mariage pour tous », le quotidien Le Parisien titrait : « Raphaëlle, heureuse avec deux mamans ». Davantage de la communication que de l’information. Et comme par hasard, du Figaro à France Télévisions, le bébé choisi comme « premier bébé de l’année » fut présenté comme l’enfant de deux lesbiennes. Le non-sens biologique rejoint ici l’arnaque chronologique. De même que parler de « mariage pour tous » relève de la novlangue puisque cela revient à changer le sens du mot mariage (l’union d’un homme et d’une femme selon le Code civil) et qu’au demeurant le projet de loi ne prévoit pas de revenir sur l’interdiction de l’inceste. Si la loi est votée, il y aura donc dénaturation du mariage mais non mariage pour tous. Quant au terme « homophobie », il est utilisé de manière terroriste pour tétaniser les adversaires du mariage gay. On ne débat pas sereinement sous la menace du Code pénal et du bannissement social.
3-L’inscription dans le débat du mariage homosexuel relève à la fois du leurre et de la démarche idéologique : du leurre, puisque cela n’est pas la préoccupation de l’immense majorité des Français que l’on « distrait » ainsi d’autres sujets politiques ou tenant à leurs difficultés quotidiennes ; de la démarche idéologique aussi, puisqu’il s’agit d’une étape de plus dans la déconstruction des repères et des identités. On est ici au cœur de l’idéologie médiatique dominante fondée sur l’alliance du capital (attaché au mondialisme et à la suppression des frontières) et de la caste journalistique (attachée à la destruction des traditions). Après s’être attaqué à la nation (du latin « natio ») il est logique de s’attaquer à la naissance, au risque d'effacer les repères de la généalogie. Et porter un coup supplémentaire à la famille et au mariage, c’est choisir des cibles de choix pour qui veut établir une société indifférenciée. A contrario cela ne peut pas être accepté sans combat pour quiconque est attaché, par conviction religieuse ou philosophique, à l’ordre naturel dont la filiation est la clé de voute. D’où l’importance des manifestations hostiles.
4-Manifestations de protestation contre le mariage homosexuel que les médias dénigrent. C’est ainsi que les chiffres de la grande manifestation du 17 novembre 2012 ont été fortement minorés : habituellement friands de chiffres donnés par les manifestants, l’AFP et les médias de l’oligarchie ont cette fois choisi les chiffres de la préfecture de police préalablement sous-évalués. Même opération le 18 novembre pour la manifestation de Civitas, association de chrétiens de tradition qui fut accusée de violences pour s’être défendue de l’agression dont elle a été l’objet de la part des mercenaires féministes des Femen.
5-En revanche la manifestation pro-mariage gay du 16 décembre a, elle, fait l’objet d’une survalorisation : pour Le Monde du 18 décembre les partisans de la loi ont quasiment fait jeu égal avec ses adversaires. Il est vrai que cette fois l’AFP et les principaux médias ont choisi de retenir les chiffres donnés par les manifestants, pourtant sans aucun rapport avec les observations faites au point de départ (une Place de la Bastille vide) ni au point d’arrivée (la petite Place du Luxembourg remplaçant au dernier moment la Place de l’Opéra nécessitant 15.000 à 20.000 personnes pour être remplie). C’est ainsi qu’un rapport de 1 à 10 dans la réalité donne un rapport… de 1 à 1 dans les médias. Chapeau les désinformateurs !
6-Il y a plus grave : le souci, malgré tout, de plaire aux médias s’infiltre chez les adversaires du mariage homosexuel. Pour les uns, il faudrait améliorer le statut fiscal des couples homosexuels comme si c’était une priorité dans un pays endetté frappé par la dénatalité. Pourquoi créer des niches fiscales pour ceux qui ne nichent pas ? Pour d’autres, il faudrait solenniser en mairie la signature du Pacte d’union civile. Pour la très médiatique organisatrice de la « manif pour tous », il faudrait lutter contre « l’homophobie » : ce qui revient à donner du crédit aux armes incapacitantes du lobby homosexualiste.
7-La manifestation prévue pour dimanche 13 janvier 2013 s’annonce comme un grand succès par le nombre des participants attendus. Ce sera probablement la plus grande manifestation depuis celle de juin 1984 pour l’Ecole libre et celle du 30 mai 1968 contre la chienlit. Reste à savoir si ce succès de la majorité silencieuse se traduira en succès politique. Cela suppose de résister à l’intoxication et l’intimidation médiatiques :
- -il ne faut pas se battre sur les chiffres de participants aux manifestations mais sur les mètres carrés occupés : pour mémoire la Place du Luxembourg c’est quelques milliers de mètres carrés, le Champ de Mars : 243.000 mètres carrés. A bon entendeur, salut !
- -Il est inutile et nuisible de reprendre à son compte la thèse de « l’homophobie » car cela revient à « payer un droit de péage aux autoroutes de la pensée » (Philippe Bilger).
- -Il est inutile et nuisible de chercher des slogans gnangnans ou consensuels ! A contrario « Oui à la famille », « Un enfant, c’est une maman et un papa », « Non au mariage homosexuel » se suffisent, pour peu qu’on dise « Non à la tyrannie médiatique ».
- -Il est inutile et nuisible de chercher à finasser pour amender un projet de loi qui n’est « qu’une étape d’un long travail de sape visant à araser les repères de la vie des peuples » (Roland Hureaux).
Le seul objectif digne d’être poursuivi est celui du retrait pur et simple de la loi, soit directement, soit à la suite de son rejet par référendum : un référendum que souhaitent 69% des Françai
Polémia 4/01/2013
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Henri Joyeux LES ABEILLES
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1200 : Capétien et Plantagenêt
Soucieux de chasser les Plantagenêt du royaume de France, Philippe-Auguste se battit en vrai capétien, avec « réalisme, patience, esprit d'opportunité ».
Le traité du Goulet fut l'occasion d'un répit, sans faire illusion…
Cette année-là, la vingtième de son règne, Philippe II Auguste, trente-cinq ans, signait le 22 mai le traité du Goulet qui le mettait en position de force face au roi d'Angleterre et dont la clause principale était le mariage du prince royal Louis, treize ans, avec Blanche de Castille. douze ans, fille du roi Alphonse VIII de Castille.
La petite-fille d'Aliénor
Il importe de rappeler ici que celle qui allait donner à la couronne de France neuf enfants, dont le grand saint Louis, était par sa mère Aliénor d'Angleterre, la petite-fille de la trop belle Aliénor d'Aquitaine que nous avons vue dans nos précédents articles passer avec son colossal héritage – presque la moitié de la France - du lit de Louis VII, roi de France, à qui elle n'avait pas donné d'enfant mâle, à celui d'Henri Plantagenêt juste avant que celui-ci joignît à ses titres de comte d'Anjou et de duc de Normandie celui de roi d'Angleterre… Agissant ainsi cette femme légère avait suscité entre les deux royaumes une zizanie qui devait marquer pour de longs siècles l'histoire de l'Europe. C'est dire l'importance de cette union de 1200. La vieille Aliénor, alors soixante-dix-huit ans, tint à aller elle-même, comme pour se repentir, chercher sa petite-fille outre-Pyrénées pour la conduire auprès du petit-fils de son premier mari…
Philippe-Auguste, que nous avons laissé dans notre dernier numéro tout jeune et déjà veuf d'Isabelle de Hainaut, s'adonnait alors à réguler les mouvements féodaux, à châtier les bandes errantes de pillards désoeuvrés, à veiller à la bonne administration du royaume, à embellir Paris… Mais il ne cessait de se préparer à chasser les Plantagenêt du royaume de France. Contre Henri II d'abord, puis contre les deux fils qu'Aliénor avait donnés à ce rustre, le presque estimable et même légendaire Richard dit Coeur de Lion, et le morbide Jean Sans Terre, Philippe allait se battre en vrai capétien, avec, écrit Bainville, « réalisme, patience, esprit d'opportunité ».
Parti en croisade en 1190 avec Richard, il avait, avec l'accord du pape, quitté Saint-Jean d'Acre au bout de quelques mois pour des raisons de santé mais surtout pour profiter de l'absence, puis de la captivité de Richard tombé aux mains de l'empereur germanique. Utilisant habilement les failles du système successoral anglais, il avait soutenu Jean contre Richard, puis, après la mort de celui-ci dans des conditions indignes d'un preux, il avait embrassé la cause du tout jeune Arthur de Bretagne, fils de Geoffroy, frère aîné de Richard et de Jean. Pendant ce temps, Jean avait déjà mis la main sur les possessions françaises des Plantagenêt, dont la Normandie, mais ce fourbe désirait alors une accalmie…
Renonciations
C'est ainsi qu'en 1200, Philippe le prit au mot et le reçut à Paris puis lui imposa dans l'île du Goulet, près de Vernon, le traité du même nom, par lequel Jean, d'une part, renonçait à soutenir les prétentions d'Othon de Brunswick à l'Empire contre le candidat français, d'autre part, rendait hommage au roi de France son suzerain pour toutes ses possessions françaises. Il abandonnait en outre le comté d'Evreux et ses fiefs berrichons au jeune prince Louis pour constituer la dot de Blanche de Castille. De son côté Philippe renonçait à faire valoir ses droits sur la Bretagne.
La Normandie redevient française
Traité d'équilibre, occasion d'un répit, mais cela ne faisait illusion à personne. En fait il restait à Philippe à saisir l'occasion de prendre Jean en faute. Chose aisée, puisque celui-ci n'accomplissait pas ses devoirs envers ses vassaux, qu'il persécutait même parfois ! Ceux-ci l'attaquèrent en justice en 1202. Les pairs du royaume prononcèrent la confiscation de ses biens français, à charge pour Philippe d'exécuter la sentence. Ainsi la Normandie redevint-elle française : après la prise de la forteresse de Château-Gaillard, Philippe put entrer dans Rouen. Le Maine, l'Anjou, la Touraine et le Poitou suivirent le mouvement, mais l'Aquitaine restait encore pour le moment entre les mains du Plantagenêt. En même temps, la mort du malheureux Arthur de Bretagne permit au roi de faire passer la Bretagne dans l'orbite capétienne, en donnant en mariage Alix, la soeur d'Arthur, à un descendant de Louis VI le Gros.
Pendant qu'en Angleterre la monarchie fonctionnait si mal que les populations se révoltaient (c'était le temps de Robin des Bois) et que les seigneurs s'apprêtaient à imposer à leur roi pour le ligoter la fameuse Grande Charte (15 avril 1215), la monarchie française, créatrice d'un État fort et rassembleur, constituait un modèle de continuité sans heurts et de sage gouvernement. C'est pourquoi Philippe-Auguste pouvait dès lors tenir tête à l'Angleterre et à l'Empire réunis contre nous. En 1214, à Bouvines, on allait voir se manifester la force du sentiment national, comme nous l'avons déjà raconté dans L'AF 2000 du 20 novembre 2008.
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 17 au 30 septembre 2009
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George Orwell : Arthur Koestler (1944)
Ce qui est frappant dans l'histoire de la littérature anglaise de ce siècle, c'est la part prépondérante qu'y ont prise les étrangers — je ne citerai que Conrad, Henry James, Shaw, Joyce, Yeats, Pound et Eliot. Toutefois, si l'on en fait une affaire de prestige national et si l'on se penche sur ce que nous avons apporté aux différents genres littéraires, on s'aperçoit que l'Angleterre ne fait pas trop mauvaise figure tant qu'on laisse de côté tout ce qu'on petit grossièrement étiqueter comme “littérature de combat”. Je pense notamment à ce type d'écrits qu'a suscités la lutte politique européenne depuis l'émergence du fascisme. On peut regrouper sous cette rubrique des romans, des mémoires, des livres de “reportage”, des études sociologiques et de purs et simples pamphlets, tous ayant une origine commune et participant pour l'essentiel du même climat psychologique.Parmi les figures les plus marquantes de ce genre littéraire, on peut citer Silone, Malraux, Salvemini, Borkenau, Victor Serge et Koestler lui-même. Certains écrivent des œuvres de fiction, d'autres non, mais tous ont ceci en commun qu'ils essaient de relater l'histoire contemporaine — plus précisément, l'histoire non officielle, celle qu'on chercherait en vain dans les manuels scolaires et que les journaux déforment à loisir. Tous ont aussi en commun d'être originaires d'Europe continentale. Il serait peut-être exagéré — mais à peine — de dire que chaque fois que paraît dans ce pays un livre traitant du totalitarisme (j'entends un livre qui soit encore lisible 6 mois après sa parution), il s'agit d'un livre traduit d'une langue étrangère. Au cours des 12 dernières années, les auteurs anglais nous ont gratifiés d'une avalanche de textes politiques, mais à peu près rien dans tout cela qui ait un intérêt esthétique, et vraiment fort peu de choses de quelque valeur du point de vue historique. Le Left Book Club, par ex., existe depuis 1936. Parmi tous les livres qu’il a diffusés, combien y en a-t-il dont vous vous rappeliez ne serait-ce que le titre ? L'Allemagne nazie, la Russie Soviétique, l'Espagne, l'Éthiopie, l'Autriche, la Tchécoslovaquie, etc. — autant de sujets qui n'ont inspiré aux auteurs anglais que de l'habile journalisme, des pamphlets malhonnêtes où la propagande, avalée tout rond, est aussitôt régurgitée à moitié digérée, et de très rares guides et manuels à peu près dignes de foi. Rien qui puisse se comparer à, disons, Fontamara ou Darkness at Noon, parce qu’il n'est pratiquement pas un écrivain anglais qui ait eu l'occasion de connaître le totalitarisme de l'intérieur. En Europe, au cours de la dernière décennie et même avant, les individus originaires de la classe moyenne ont traversé des épreuves auxquelles en Angleterre les ouvriers eux-mêmes n'ont jamais été confrontés. La plupart des écrivains européens que j'ai cités, et des dizaines d'autres qui leur ressemblent, se sont vus contraints d'enfreindre la loi pour avoir la moindre activité politique : certains d’entre eux ont lancé des bombes ou participé à des combats de rues, beaucoup ont connu la prison ou les camps de concentration, ou ont dû passer des frontières sous de faux noms, avec de faux passeports. On ne saurait imaginer le professeur Laski, par ex., s'adonnant à des activités de ce genre. C'est pourquoi il n'existe pas en Angleterre ce qu'on pourrait appeler une “littérature des camps de concentration”. Cet univers particulier créé par les polices secrètes, la censure de l'opinion, la torture, les procès truqués, tout cela est, bien sûr, connu et plus ou moins réprouvé, mais sans qu'on s'en émeuve outre mesure. Si bien qu'en Angleterre il n'existe pratiquement pas d’ouvrages traitant de façon désabusée de l'Union soviétique. Il y a d'un côté ceux qui réprouvent a priori et de l'autre ceux qui admirent béatement, mais aucune attitude intermédiaire. Lors des procès de Moscou, par ex., l'opinion était divisée, mais uniquement sur le fait de savoir si les accusés étaient coupables ou non. Très rares furent ceux qui comprirent que, justifiés ou non, ces procès étaient une horreur sans nom. De même, la réprobation des crimes nazis par l'Angleterre a également été quelque chose de tout à fait abstrait : un robinet qu'on ouvre ou qu'on ferme selon les nécessités politiques du moment. Pour comprendre ces choses-là, il faut pouvoir se mettre dans la peau de la victime, et qu'un Anglais puisse écrire Darkness at Noon est aussi peu vraisemblable qu'un trafiquant d'esclaves écrivant La Case de l'oncle Tom.Les écrits publiés de Koestler tournent en fait tous autour des procès de Moscou. Leur thème principal est celui de la décadence des révolutions due aux effets corrupteurs du pouvoir ; mais la nature particulière de la dictature exercée par Staline a conduit Koestler à adopter une position finalement assez peu éloignée du conservatisme pessimiste. Je ne sais pas exactement combien il a écrit de livres en tout. De nationalité hongroise, il a écrit ses premiers livres en allemand ; 5 titres sont parus en Angleterre : Spanish Testament, The Gladiators, Darkness at Noon, Scum of the Earth et Arrival and Departure. Tous ces ouvrages traitent du même sujet et il n'en est aucun où l'on échappe pendant plus de quelques pages à une atmosphère de cauchemar. Sur les 5 livres cités, 3 se déroulent entièrement ou presque entièrement en prison.Dans les premiers mois de la guerre civile espagnole, Koestler était le correspondant en Espagne du News Chronicle. Fait prisonnier au début de 1937, quand les fascistes se sont emparés de Malaga, il faillit être fusillé sans autre forme de procès, puis passa plusieurs mois emprisonné dans une forteresse, entendant chaque nuit le bruit des salves lorsqu'une nouvelle fournée de détenus républicains était exécutée et se trouvant â tout moment en grand danger d'y passer lui-même. Ce n'était pas une aventure fortuite qui “aurait pu arriver à n'importe qui”, mais la conséquence obligée d'un mode de vie. Un individu indifférent à la politique ne se serait jamais trouvé en Espagne à ce moment-là, un observateur plus prudent aurait quitté Malaga avant l'arrivée des fascistes et un journaliste anglais ou américain aurait été traité avec plus d'égards. Le livre que Koestler a consacré à cet épisode, Spanish Testament, contient des passages remarquables mais, indépendamment du caractère décousu inhérent à tout reportage, il est par endroits résolument mensonger. Évoquant la prison, Koestler dépeint fort bien son atmosphère de cauchemar — ce genre de description étant devenu, en quelque sorte, sa marque de fabrique — mais le reste du livre est trop empreint de l'orthodoxie Front populaire de l'époque. Un ou 2 passages semblent même avoir été fabriqués pour les besoins du Left Book Club (1). À l'époque, Koestler était membre du parti communiste, ou l'avait quitté depuis peu, et les problèmes politiques posés par la guerre civile étaient si complexes qu'il était impossible à un communiste d'écrire honnêtement sur la lutte qui se déroulait au sein du camp gouvernemental. La grande faute de la quasi-totalité des auteurs de gauche depuis 1933 est d'avoir voulu être antifascistes sans être en même temps antitotalitaires. En 1937, Koestler l'avait compris mais il ne se sentait pas libre de le dire. Il fut à 2 doigts de le dire — il le dit, en fait, bien qu'ayant mis un masque pour cela — dans son livre suivant, The Gladiators, qui fut publié un an avant la guerre et qui, bizarrement, n'attira guère l'attention.The Gladiators est un ouvrage qui, d'une manière, laisse le lecteur insatisfait. C'est l'histoire de Spartacus, le gladiateur thrace qui, vers 65 avant JC, prit la tête d'une révolte d'esclaves en Italie. Tout livre écrit sur un tel sujet est immédiatement desservi par la comparaison, écrasante, avec Salammbô. De nos jours, il serait pratiquement impossible d'écrire un livre comme Salammbô, à supposer même qu'on ait le talent nécessaire. Car ce qu'il y a d'admirable dans Salammbô, plus encore que la minutie des descriptions, c'est son caractère impitoyable. Flaubert pouvait se transporter par la pensée dans le climat de cruauté, implacable de l'Antiquité parce que, vers le milieu du XIXe siècle, on avait encore la sérénité d'esprit nécessaire. On avait le temps de voyager dans le passé. Aujourd'hui, le présent et l'avenir sont trop terrifiants pour qu'on puisse s'en abstraire, et quand on s'intéresse à l'histoire, pour en tirer des enseignements sur notre époque. Koestler fait de Spartacus une figure allégorique, une version primitive du dictateur prolétarien. Alors que Flaubert avait su, par un patient effort d'imagination, rendre ses mercenaires authentiquement préchrétiens, sous son travestissement, son Spartacus n'est qu'un homme d'aujourd'hui. Mais cela n'aurait aucune importance si Koestler était pleinement conscient de tout ce qu'implique son allégorie. Les révolutions finissent toujours par mal tourner — voilà la thèse centrale du livre. C'est lorsqu'il s'agit d'expliquer le pourquoi de ce phénomène que l'auteur hésite, et cette incertitude s'insinue dans le récit, rendant les principaux personnages énigmatiques et irréels. Pendant plusieurs années, les esclaves révoltés ne remportent que des victoires. Leur nombre atteint 100.000, ils ravagent de vastes territoires dans le sud de l'Italie, certains mettent en déroute les unes après les autres les troupes envoyées contre eux, ils font alliance avec les pirates, qui raient alors les maîtres de la Méditerranée, et pour finir entreprennent d'édifier une ville à eux, la Cité du Soleil. Dans cette ville, les êtres humains seront libres et égaux, et surtout heureux : plus d'esclavage, ni d'injustice, de famine, de châtiments corporels, d'exécutions. On retrouve là le rêve d'une société juste qui semble hanter depuis la nuit des temps l'imagination humaine : tantôt il s'agit du royaume des cieux ou d'une société sans classes, tantôt d'un âge d'or qui a jadis existé et que nous avons laissé se perdre. Naturellement, ce grand projet échoue. À peine ont-ils formé une communauté que leur vie se révèle tout aussi injuste, laborieuse et marquée par la peur que toute autre. Jusqu'à la croix, symbole de l'esclavage, qui doit être remise en usage pour châtier les malfaiteurs. Le tournant décisif est pris quand Spartacus se voit contraint de crucifier 20 de ses plus vieux et fidèles partisans. Après quoi, la Cité du Soleil est condamnée, les esclaves se divisent en petits groupes vaincus l'un après l'autre, les 15.000 derniers révoltés étant faits prisonniers et tous crucifiés en même temps.La principale faiblesse de ce livre réside dans le fait que les mobiles de Spartacus ne sont jamais clairement exposés. Le juriste romain Fulvius, qui se joint à la révolte et s'en fait le chroniqueur, évoque le dilemme bien connu de la fin et des moyens. On n'arrive à rien si l'on n'est pas résolu à faire usage de la force et de la ruse, mais on dénature ainsi les buts qu'on s'était fixés. Spartacus, toutefois, n'est pas décrit comme un homme avide de pouvoir, ni d'ailleurs non plus comme un visionnaire. Il est mû par une force obscure qui reste pour lui mystérieuse, et il lui arrive souvent de se demander s'il ne ferait pas mieux d’abandonner toute cette aventure pour aller se réfugier à Alexandrie pendant qu'il en est encore temps. Quoi qu'il en soit, la république des esclaves est davantage minée par l'hédonisme que par la lutte pour le pouvoir. Les esclaves ne sont pas satisfaits de leur liberté parce qu'ils doivent encore travailler, et la rupture finale est provoquée par les esclaves les plus turbulents et les moins civilisés, pour la plupart des Gaulois et des Germains, qui continuent à se conduire en bandits après que la république a été établie. Il se peut que les choses se soient réellement passées ainsi — nous en savons évidemment très peu sur les révoltes d'esclaves de l'Antiquité — mais en attribuant la destruction de la Cité du Soleil à l'impossibilité d'empêcher Crixus le Gaulois de piller et de violer, Koestler a hésité entre l'allégorie et le récit historique. Si Spartacus avait été le prototype du révolutionnaire moderne — et c'est manifestement ce qu'il est censé être —, il aurait dû se heurter à l'impossibilité de concilier le pouvoir et la justice. Or, tel qu'on nous le présente, il apparaît plutôt comme un personnage passif, qui subit plus qu'il n'agit, et par moments peu convaincant. Si le récit est en partie raté, c'est parce que la question centrale de la révolution a été éludée, ou du moins laissée sans solution.Cette question est à nouveau éludée, de manière plus subtile, dans le livre suivant de Koestler, son chef-d'œuvre, Darkness at Noon. Ici, toutefois, l'intérêt du récit n'en pâtit pas, parce que l'on a affaire à des individus de chair et de sang, et que les ressorts sont avant tout psychologiques. L'épisode relaté se réfère à des faits connus et avérés. Darkness at Noon nous raconte l'incarcération et la mort d'un vieux bolchevik, Roubachof, qui commence par nier puis finit par avouer des crimes qu'il sait pertinemment ne pas avoir commis. La maturité, l'absence de coup de théâtre et de vaine dénonciation, la pitié et l'ironie qui caractérisent ce récit montrent bien l'avantage qu'il y a, lorsqu'on s'attaque à un sujet de ce genre, à être né sur le continent. L'ouvrage se hausse au niveau de la tragédie, alors qu'un auteur anglais ou américain en aurait fait tout au plus un libelle polémique. Koestler a totalement assimilé son sujet, il peut donc faire œuvre esthétique. Mais en même temps, ce traitement esthétique n'est pas sans avoir une portée politique, ici peu gênante, mais susceptible de le devenir dans des ouvrages ultérieurs.Naturellement, le livre est tout entier construit autour d'une seule et unique question : pourquoi Roubachof avoue-t-il ? Il n'est pas coupable — il n'a commis aucun crime, sauf celui, capital, d'abhorrer le régime instauré par Staline. Les actes concrets de trahison qu'on lui impute sont tous parfaitement fictifs. Roubachof n'a même pas été torturé, en tout cas pas très durement. Il est simplement usé, vidé de sa substance par la solitude, le mal aux dents, la privation de tabac, les lumières aveuglantes braquées sur lui et les interrogatoires incessants, mais tout cela ne serait pas, en soi, suffisant pour venir à bout d'un révolutionnaire aguerri. Les nazis lui ont fait auparavant des choses bien pires sans parvenir à le briser. Les aveux faits lors des procès de Moscou peuvent s'expliquer de 3 manières :- 1. Les accusés étaient coupables.
- 2. Ces aveux ont été extorqués sous la torture, ou par un chantage visant les amis et les proches de l'accusé.
- 3. Les accusés ont avoué sous l'effet du désespoir, d'un effondrement mental, et pour ne pas trahir leur vieil attachement au Parti.
Dans son livre, Koestler écarte d'emblée la première explication et, bien que ce ne soit pas ici mon propos de parler en détail des purges russes, j'ajouterai que les rares éléments vérifiables dont nous disposons tendent à montrer que les procès de la vieille garde bolchevique étaient bien des mascarades. Si l'on considère que les accusés n'étaient pas coupables — ou, du moins, pas coupables des crimes qu'ils ont avoués — l'explication numéro 2 parait la plus sensée : Koestler, quant à lui, choisit sans hésiter l'explication numéro 3, choix qui est également celui que fait, dans sa brochure intitulée Cauchemar en URSS, le trotskiste Boris Souvarine. Roubachof avoue, en fin de compte, parce qu'il ne trouve plus en lui aucun motif de ne pas le faire. Il y a longtemps que les notions de justice et de vérité objective ont perdu tout sens pour lui. Des années durant, il a été l'instrument aveugle du Parti, et le Parti exige à présent qu'il avoue des crimes qui n'ont jamais existé. Finalement, quoiqu'il ait fallu tout d'abord le malmener et l'affaiblir, il est d'une certaine façon fier de la décision qu'il a prise de passer aux aveux. Il se sent supérieur au pauvre officier tsariste qui occupe la cellule voisine de la sienne et qui communique avec lui en frappant contre le mur. L'officier tsariste est choqué quand il apprend que Roubachof a l'intention de capituler. Du point de vue “bourgeois” qui est le sien, il est impensable, même pour un bolchevik, de ne pas se défendre jusqu'à la dernière cartouche. L'honneur, dit-il, consiste à faire ce que l'on pense être juste. « L'honneur, c'est se rendre utile sans vanité », lui répond Roubachof ; et il éprouve une certaine satisfaction à se dire qu'il tape sur le mur avec son lorgnon, alors que l'autre, vestige du passé, se sert pour cela d'un monocle. Comme Boukharine, Roubachof « fixe la noire obscurité ». Où trouverait-il un code moral, un attachement à quoi que ce soit, une idée du bien et du mal au nom de laquelle il pourrait défier le Parti et endurer de nouvelles souffrances ? Il n'est pas seulement seul, il est aussi vide, creux. Il a de son côté commis des crimes pires que celui dont il est maintenant victime. Ainsi, émissaire secret du Parti en Allemagne nazie, il s'est débarrassé de militants peu disciplinés en les livrant à la Gestapo. Bizarrement, la seule force intérieure qu'il puisse mobiliser, c'est dans son enfance de fils de grand propriétaire terrien qu'il va la puiser. La dernière image qui lui vient à l'esprit au moment où on lui tire une balle dans la nuque, c'est celle des feuilles des peupliers qui bordaient l'avenue du domaine paternel. Roubachof appartient à cette vieille garde bolchevique décimée par les purges. Il apprécie l'art et la littérature, il connaît d'autres pays que la Russie. Il est d'une tout autre trempe que Gletkine, l'homme de la Guépéou qui conduit son interrogatoire et qui est, lui, l'incarnation du “bon militant”, aussi dénué de scrupules que de curiosité d'esprit — un phonographe pensant. À la différence de Gletkine, Roubachof a connu le monde d'avant la révolution. Son cerveau n'était pas une page blanche quand le Parti s'en est emparé. S'il est supérieur à Gletkine, c'est en dernier ressort à son origine bourgeoise qu'il le doit.Il n'est pas possible, à mon avis, de soutenir que Darkness at Noon n'est qu'un roman relatant les tribulations d'un personnage de fiction. C'est, de toute évidence, un livre politique, inspiré par l'histoire contemporaine et proposant une certaine interprétation d'événements controversés. Roubachof pourrait être Trotski, Boukharine, Rakovski ou tout autre vieux bolchevik un tant soit peu civilisé. Dès lors qu'on écrit sur les procès de Moscou, on se doit de répondre à la question « Pourquoi les accusés ont-ils avoué ? », et la réponse qu'on donne a une portée politique. Koestler répond « parce que ces hommes ont été corrompus par la révolution qu'ils servaient » et, ce faisant, il n'est pas loin d'affirmer que toute révolution est, par nature, mauvaise. Si l'on considère que les aveux des accusés des procès de Moscou leur ont été arrachés par quelque procédé terroriste, cela revient à incriminer l'abandon de leurs idéaux par un nombre restreint de chefs révolutionnaires. Ce sont les individus qui sont en cause, et non la situation générale. Koestler donne toutefois à entendre que Roubachof au pouvoir ne vaudrait pas mieux que Gletkine ; ou, plus exactement, vaudrait un peu mieux dans la mesure où sa mentalité est demeurée en partie prérévolutionnaire. La révolution, semble dire Koestler, est par essence corruptrice. Vouez-vous à elle, et vous finirez soit comme Roubachof, soit comme Gletkine. Il ne s'agit pas seulement du “pouvoir qui corrompt” : les moyens mis en œuvre pour arriver au pouvoir sont eux aussi corrupteurs. De sorte que toutes les tentatives de régénération de la société par la violence conduisent droit aux geôles de la Guépéou. Lénine conduit à Staline, et il aurait fini par ressembler à Staline s'il avait vécu plus longtemps.Naturellement, tout cela Koestler ne le dit pas explicitement, peut-être n'en a-t-il même pas clairement conscience. Il parle des ténèbres, mais des ténèbres alors qu'il devrait être plein midi [NDT : Darkness at Noon signifie littéralement “Ténèbres en plein midi”]. Il lui arrive de se dire que les choses auraient pu tourner autrement. L'idée que tel ou tel a “trahi”, que si tout a mal tourné c'est à cause de la méchanceté de certains, est omniprésente dans la pensée de gauche. Par la suite, dans Arrival and Departure, Koestler prend des positions encore plus antirévolutionnaires, mais, entre Darkness at Noon et Arrival and Departure, il y a un autre livre, Scum of the Earth, qui, lui, est purement autobiographique et n'aborde que de manière indirecte les problèmes soulevés par Darkness at Noon. Fidèle à son style de vie, Koestler n'avait pas quitté la France quand la guerre éclata ; sa qualité d'étranger et sa réputation d'antifasciste lui valurent d'être très vite arrêté et interné par le gouvernement Daladier. Il passa la majeure partie des 9 premiers mois de la guerre dans un camp de prisonniers, puis, alors que la France s'effondrait, il s'évada et, par des chemins détournés, réussit à rejoindre l'Angleterre où on s'empressa de l'incarcérer à nouveau en tant que ressortissant d'une nation ennemie. Cette fois, cependant, il fut rapidement libéré. Scum of the Earth est un précieux témoignage qui, avec d'autres textes honnêtes écrits au moment de la débâcle, a le mérite de nous rappeler jusqu'où peut s'abaisser la démocratie bourgeoise. En ce moment, alors que la France vient tout juste d'être libérée et que la chasse aux collaborateurs bat son plein, nous avons tendance à oublier qu'en 1940, d'après divers observateurs qui se trouvaient sur place, 40% des Français environ étaient soit activement pro-allemands, soit totalement apathiques. Les livres qui disent la vérité sur une guerre ne sont jamais très bien accueillis par les non-combattants, et l'ouvrage de Koestler n'a pas fait exception à cette règle. Tout le monde en prend pour son grade — les politiciens bourgeois, pour qui faire la guerre au fascisme signifiait jeter en prison tous les hommes de gauche sur lesquels ils pouvaient mettre la main, les communistes français, qui étaient en fait pro-nazis et faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour saboter l'effort de guerre français, et aussi l'homme de la rue, tout disposé à faire confiance à des charlatans tels que Doriot. Koestler rapporte des conversations ahurissantes qu'il a eues avec d'autres prisonniers internés dans le même camp que lui, et note que jusqu'alors, comme la plupart des socialistes et des communistes issus de la classe moyenne, il n'avait jamais eu de contact avec de véritables prolétaires mais seulement avec la minorité instruite. Et il en arrive à cette conclusion pessimiste : « Sans éducation des masses, pas de progrès social ; sans progrès social, pas d'éducation des masses ». Dans Scum of the Earth, Koestler ne se fait plus une image idéalisée des gens ordinaires. S'il a répudié le stalinisme, il n'est pas pour autant trotskiste. C'est ici que se situe le véritable lien avec Arrival and Departure, livre dans lequel Koestler abandonne — peut-être à jamais — ce qu'il est convenu d'appeler le point de vue révolutionnaire.Arrival and Departure est une œuvre décevante qui ne peut guère prétendre à l'appellation de roman. Il s'agit plutôt d'un pamphlet visant à démontrer que les credos révolutionnaires ne sont en fait que la rationalisation de pulsions névrotiques. Avec une symétrie un peu trop parfaite, l'ouvrage commence et s'achève sur une même action : une arrivée en terre étrangère. Un jeune ex-communiste qui a fui la Hongrie débarque au Portugal, où il espère se mettre au service de la Grande-Bretagne, seule puissance à lutter alors contre l'Allemagne. Son enthousiasme est toutefois quelque peu refroidi par le fait que le consulat britannique ne s'intéresse absolument pas à lui et le laisse moisir dans un coin plusieurs mois pendant lesquels son pécule s'épuise, tandis que d'autres réfugiés, plus avisés que lui, en profitent pour gagner l'Amérique. Notre héros connaît tour à tour la tentation du Monde, incarnée par un propagandiste nazi, de la Chair, en la personne d'une jeune Française, et c'est finalement — après une dépression nerveuse — le Diable qui lui apparaît sous la forme d'une psychanalyste. Cette psychanalyste parvient à lui arracher l'aveu que son enthousiasme révolutionnaire n'est pas fondé sur une véritable croyance en la nécessité historique mais sur un complexe de culpabilité lié au fait qu'il a tenté, dans sa petite enfance, de crever les yeux de son jeune frère. Au moment où il peut enfin se mettre au service de la cause alliée, il a perdu tout motif pour le faire et il est sur le point de s'embarquer pour l'Amérique quand ses pulsions irrationnelles reprennent le dessus. En fait, il ne peut pas abandonner la lutte. À la fin du livre, il descend en parachute vers le sol noyé dans les ténèbres de son pays natal où il est envoyé comme agent secret par la Grande-Bretagne.En tant qu'exposé politique (et le livre n'est pas grand chose d'autre), c'est très insuffisant. Il est; bien sûr, vrai dans de nombreux cas — peut-être même dans tous les cas — que l'activité révolutionnaire est le fait d'individus inadaptés à ce monde. Ceux qui se battent contre la société sont, pour la plupart, des gens qui ont des raisons personnelles de ne pas aimer cette société, et les individus normaux et sains d'esprit ne sont pas plus attirés par la violence et la clandestinité que par la guerre. Le jeune nazi d'Arrival and Departure note fort à propos qu'on comprend ce qui ne va pas dans le mouvement révolutionnaire en voyant la laideur des femmes qui y participent. Mais cela ne suffit pas, après tout, à disqualifier définitivement le socialisme. Les actions ont certains résultats, quels que soient les motifs qui les ont inspirées. Il se peut que Marx ait été principalement mû par l'envie et la jalousie, mais cela ne prouve nullement la fausseté de ses théories. En faisant reposer la décision finale du héros d'Arrival and Departure sur un instinct irraisonné qui le pousse vers le danger, Koestler refuse soudain à son personnage toute espèce d'intelligence. Avec un passé tel que le sien, il devrait être en mesure de comprendre que certaines choses doivent être faites, que nos raisons de les faire soient “bonnes” ou “mauvaises”. L'histoire doit aller dans une certaine direction, faudrait-il des névrosés pour l'y aider. Dans Arrival and Departure, les idoles de Peter sont renversées les unes après les autres. La révolution russe a dégénéré, la Grande-Bretagne, symbolisée par le vieux consul aux doigts déformés par la goutte, ne vaut guère mieux, le prolétariat international armé de sa conscience de classe n'est qu'un mythe. Mais la conclusion finale (puisque après tout Koestler et son héros sont “pour” la guerre) devrait être que se débarrasser de Hitler reste un objectif valable, une entreprise de salubrité publique dans laquelle les mobiles personnels n'entrent pratiquement pas en ligne de compte.Pour prendre une décision politique rationnelle, il faut avoir déjà une certaine conception de l'avenir. Koestler semble aujourd'hui ne pas en avoir, ou plutôt en avoir deux qui se neutralisent l'une l'autre. Comme objectif ultime, il aspire à la réalisation du paradis terrestre, à la Cité du Soleil que les gladiateurs tentent d'organiser et qui, pendant des centaines d'années, a hanté les rêves des socialistes, des anarchistes et des hérétiques. Mais son intelligence lui dit que ce paradis terrestre s'éloigne tous les jours un peu plus et que ce qui nous attend dans l'immédiat, c'est le carnage, la tyrannie et les privations. Koestler s'est récemment défini comme un « pessimiste à court terme ». Toutes sortes d'horreurs s'accumulent à l'horizon, mais, d'une manière ou d'une autre, tout finira par s'arranger. Cette conception des choses est sans doute en train de gagner du terrain parmi les gens qui réfléchissent : elle découle d'une part de la très grande difficulté qu'il y a, une fois qu'on a répudié toute croyance religieuse orthodoxe, à accepter une vie terrestre essentiellement misérable, et d'autre part de la prise de conscience que rendre la vie vivable est une tâche autrement ardue qu'il n'y paraissait récemment. Depuis 1930 environ, le monde ne nous a guère fourni d'occasions d'être optimistes. On ne voit rien venir, si ce n'est un amas chaotique de mensonges, de haine, de barbarie et d'ignorance, et derrière nos misères actuelles se profilent d'autres misères, encore plus terribles, qui commencent seulement à être perçues par la conscience européenne. Il est fort possible que les problèmes majeurs de l'humanité ne soient jamais résolus. Mais cela est en même temps inconcevable ! Qui pourrait regarder le monde d'aujourd'hui et se dire : « Il en sera toujours ainsi, et même d'ici un million d'années cela n'ira guère mieux » ? On aboutit donc à ce sentiment quasi mystique qu'il n'existe pour le moment aucun remède, que toute action politique est vaine, mais qu'en un point donné de l'espace et du temps la vie humaine cessera d'être bestiale et misérable, comme elle l'est aujourd'hui.Le seul moyen simple d'échapper à ce dilemme est d'adopter l'attitude du croyant religieux, pour qui cette vie n'est que l'antichambre d'une autre vie. Mais rares sont les gens qui réfléchissent pour croire encore en une vie dans l'au-delà, et leur nombre est très probablement en constante diminution. Les diverses Églises chrétiennes ne survivraient sans doute pas par elles-mêmes si leurs fondements économiques venaient à être détruits. Le véritable problème, c'est de savoir comment restaurer l'attitude religieuse tout en acceptant la mort pour terme absolu. Les hommes ne seront heureux que le jour où ils ne considéreront plus que le bonheur est le but de la vie. Il est toutefois très improbable que Koestler partage ce point de vue. Il y a dans ses écrits une tendance hédoniste très prononcée, qui explique son incapacité à adopter une position. politique après avoir rompu avec le stalinisme.La révolution russe, événement central de la vie de Koestler, était à son début porteuse d'immenses espérances. Nous l'avons aujourd'hui quelque peu oublié, mais il y a un quart de siècle, on attendait avec confiance que cette révolution débouche sur l'Utopie. De toute évidence, il n'en a pas été ainsi : Koestler est trop perspicace pour ne pas s'en rendre compte, et trop sensible pour avoir oublié quel était l'objectif de départ. De plus, son point de vue d'Européen lui permet de ne pas être dupe sur le sens des purges et des déportations massives : il lui est impossible de les considérer à la manière d'un Shaw ou d'un Laski, par le gros bout de la lorgnette. Et c'est pour cela qu'il en arrive â dire : « Voilà où conduisent fatalement les révolutions. » Il n'y a rien d'autre à faire que d'être un « pessimiste à court terme », c'est-à-dire se tenir à l'écart de la politique, créer une sorte d'oasis où l'on puisse, avec ses amis, garder la tête claire et espérer que dans une centaine d'années les choses s'arrangeront de quelque façon. À la base de cette position se trouve l'hédonisme de Koestler, qui le conduit à considérer le paradis terrestre comme une chose souhaitable. Mais il se peut que, souhaitable ou non, ce paradis ne soit pas possible. Il se peut qu'une certaine quantité de souffrance soit inhérente à la condition humaine, il se peut que l'homme n'ait jamais, entre 2 maux, qu'à choisir le moindre, il se peut même que le socialisme ne vise pas à rendre le monde parfait mais seulement meilleur. Toutes les révolutions sont des échecs, mais il y a différentes sortes d'échecs. C'est parce qu'il refuse de reconnaître cela que Koestler s'est provisoirement engagé dans une impasse, et c'est pour cette même raison qu'Arrival and Departure semble superficiel comparé à ses précédents ouvrages.► George Orwell, in : Tels, tels étaient nos plaisirs et autres essais (1944-1949), Ivréa / Encyclopédie des Nuisances, 2005. http://vouloir.hautetfort.com• Note :1 : Les chapitres de pure propagande, qui occupaient une première partie de l'édition anglaise dont parle ici Orwell, furent ensuite supprimés par Koestler, et ne figurent déjà plus clans la première traduction française, parue en 1939 sous le titre Un testament espagnol. (NdT)