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Europe et Union européenne - Page 1044

  • Entretien avec Pierre Jovanovic (14 décembre 2012)

  • Combattre l'OTAN, c'est combattre pour l'Europe !

    À propos du livre de Henri de Grossouvre : Paris-Berlin-Moscou
    Fils de François de Grossouvre — qui, pendant les présidences de François Mitterrand, avait été, en fait, sous la couverture de Grand Veneur de la République, le responsable présidentiel pour la conduite opérationnelle de l'ensemble des services de renseignements politiques et militaires français, et qui (ainsi que l'on s'en souvient) trouva une mort mystérieuse et tragique à l'intérieur même du palais de la Présidence de la République — le jeune Henri de Grossouvre vient de publier à Paris, aux éditions L'Âge d'Homme, avec une importante préface du général Pierre-Marie Gallois, un essai d'analyse et prospective géopolitiques de la plus brûlante actualité, intitulé Paris-Berlin-Moscou.
    « Le centre du monde est en marche vers l'est », écrit le général PM Gallois dans sa préface. H. de Grossouvre, qui vit et travaille à Vienne, est un spécialiste des problèmes économico-politiques de l'Allemagne, de l'Autriche et de l'ensemble de l'espace géopolitique de l'Europe de l'Est, de l'ancienne Mitteleuropa. H. de Grossouvre est aussi un partisan activiste et un doctrinaire de pointe de l'intégration de la "nouvelle Russie" de Vladimir Poutine au sein de la plus Grande Europe continentale, ouverte à présent vers les projets eurasiatiques avancés par les groupes géopolitiques proches de l'entourage immédiat du président russe.
    À ce titre, le livre de H. de Grossouvre, Paris-Berlin-Moscou, constitue un document politique extrêmement révélateur, livrant les positions d'avant-garde d'une certaine tendance actuelle de la pensée géopolitique française en action et cela d'autant plus que H. de Grossouvre sera sans doute prochainement appelé à des responsabilités politiques de niveau européen, dans le cadre d'une "Communauté géopolitique France-Allemagne-Eurasie", actuellement en voie de constitution. La thèse fondamentale du livre de H. de Grossouvre fait la promotion de la plus que nécessaire, désormais, intégration fédérale de l'ensemble continental grand-européen autour de l'axe Paris-Berlin-Moscou, derrière lequel se profile, implicitement et dans un plus lointain avenir, l'axe transcontinental de la "Forteresse Eurasiatique" Paris-Berlin-Moscou-New Delhi-Tokyo. Ce qui en appelle, en premier lieu, l'intégration "à part entière", à la fois totale et immédiate, de la "Nouvelle Russie" de V. Poutine au sein de la communauté d'être et de destin de la plus Grande Europe.
    Les précédences de la doctrine géopolitique de l'axe Paris-Berlin-Moscou
    Mais H. de Grossouvre ne se contente pas seulement de poser le problème de l'intégration continentale grande-européenne tel qu'il se présente à l'heure actuelle, il cherche dans la récente histoire européenne de cette vision géopolitique fondamentale, qui refait aujourd'hui surface dans les combats les plus avancés de notre propre actualité politico-historique en cours, les précédences qui l'annonçaient et qui en avaient déjà tenté de la projeter dans l'histoire en marche, de l'amènera se trouver effectivement réalisé. Ainsi que le Général de Gaulle l'avait fait plus qu'a moitié. Qui en avait même déjà accompli l'essentiel en instituant le Pole Carolingien franco-allemand, base de toute tentative d'intégration continentale européenne à venir.
    Ainsi H. de Grossouvre commence-t-il par rappeler la tentative malheureusement ratée de Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires Etrangères de la France de 1896 à 1898, qui avait essayé de mettre sur pieds une entente continentale France-Allemagne-Russie dans le double but de défaire en force les tenailles de la politique d'emprise de la Grande-Bretagne sur l'Europe, et de promouvoir une vaste entreprise continentale européenne commune de développement politique, économique et industriel. G. Hanotaux disposait, comme interlocuteurs pour son projet continental commun, en Allemagne du prince Bülow et en Russie, du comte Sergueï de Witte, promoteur du Transsibérien. Parmi les grands projets d'infrastructure continentale de Gabriel Hanotaux figuraient, avec l'appui de von Bülow et de Witte la mise en œuvre accélérée des chemins de fer trans-continentaux Paris-Vladivostok et Berlin-Bagdad. Plus un certain nombre d'autres projets restés secrets à ce jour.
    Déjà la « Wilhelmstrasse tenait alors pour acquis qu'il s'agissait de démontrer pratiquement que l'Angleterre ne doit plus compter sur l'antagonisme franco-allemand pour s'emparer de tout ce qui est à sa convenance ». Mais les "services politiques extérieurs" de Londres, ainsi que les "puissances des ténèbres", alors à l'œuvre, en profondeur, à Paris, avaient fini par faire capoter au bout de 2 ans la politique visionnaire de G. Hanotaux et de ses interlocuteurs allemand et russe pour la libération de l'Europe ; échec qui, à terme, devait mener à 2 guerres mondiales, 1914-1919 et 1939-1945. Et qui persiste à obscurcir encore l'horizon intérieur de l'actuelle histoire européenne.
    Soixante ans plus tard, relève H. de Grossouvre, le général de Gaulle reprendra à son compte le même projet d'une "communauté d'être et de destin" France-Allemagne-Russie, dont il réussira, lui, à enclencher la mise en route politique immédiate, en obtenant l'installation du "Pôle Carolingien" franco-allemand au cœur de la politique européenne. Une nouvelle grande politique continentale européenne était ainsi née, processus d'intégration désormais inéluctable, qui va devoir aboutir, après l'intégration de la Russie en son sein, à une fédération européenne grand-continentale et, à la fin, à cette communauté impériale européenne d'au-delà de l'histoire de ce monde révolu, que nous autres, ceux des "groupes politiques", appelons "l'Empire Eurasiatique de la Fin". Déjà en 1949, lors d'une conférence de presse, le Général de Gaulle déclarait prophétiquement :
    « Moi je dis qu'il faut faire l'Europe avec pour base un accord entre Français et Allemands. Une fois l'Europe faite sur ces bases, alors on pourra se tourner vers la Russie. Alors on pourra essayer, une bonne fois pour toutes, de faire l'Europe tout entière avec la Russie aussi, dut-elle changer de régime. Voilà le programme des vrais Européens. Voilà le mien ».
    De même que dans les années 60, dans les Charentes, le Général de Gaulle confessait que l'actuel rapprochement en profondeur de la France et de l'Allemagne dont il venait d'établir lui-même les bases, constituait, en fait, vraiment une nouvelle "Révolution Mondiale". Paroles extraordinairement chargées, décisives, révélatrices. Paroles fondationnelles, et qui resteront. Dont bien plus tard on comprendra le sens ultime. Elle est née la "Nouvelle Révolution Mondiale", et elle se développe. Car, en créant le "Pole Carolingien" franco-allemand, le Général de Gaulle avait définitivement posé les fondations impériales de la plus Grande Europe continentale, devant laquelle il ouvrait ainsi, à nouveau, les chemins de ce que Nietzsche appelait la "grande histoire", tout en assurant à celle-ci une place entière dans la confrontation politique planétaire finale actuellement en cours.
    Georges Soulès et le "Mouvement Social Révolutionnaire"
    H. de Grossouvre, cependant, omet de citer, parmi les antécédents des actuels projets d'intégration continentale européenne, l'initiative prise, en 1943, à Paris, par le secrétaire général du "Mouvement Social Révolutionnaire" (MSR), Georges Soulès — devenu, plus tard, le grand romancier Raymond Abellio — en vue de la création révolutionnaire clandestine d'un axe Paris-Berlin-Moscou. Quelle extraordinaire entreprise subversive que celle ayant amené G. Soulès, le secrétaire général du MSR, à prendre l'initiative, en pleine guerre, d'une action contre-stratégique transversale aux camps s'affrontant alors dans un combat continental paroxystique, aux allures apocalyptiques finales.
    Action contre-stratégique de dimensions européennes continentales, où la France était représentée par le MSR, dont le patron dans l'ombre et le bailleur de fonde occulte, selon ce qui m'avait été confié par R. Abellio lui-même, n'était autre que Pierre Laval, qui nourrissait depuis longtemps l'ambition soigneusement cachée d'un grand destin européen ; et cela depuis les années où il projetait de s'emparer de la Présidence de la République, en relation avec les grands desseins révolutionnaires européens qu'il partageait avec le roi Edouard VIII.
    Alors que le répondant allemand de l'initiative parisienne du MSR au sujet de l'axe Paris-Berlin-Moscou était un groupe clandestin de la "SS Européenne" ayant trouvé asile auprès de l'État Major central de Heinrich Himmler, le SS Hauptamt, et dont le principal responsable était Richard Hildebrandt, avec, à ses côtés, le chef du bureau des plans du SS Hauptamt, Dolezhalek (qui a survécu à la guerre). Un représentant personnel de Richard Hildebrandt en poste a Paris, un jeune colonel SS, assurait, sous couverture, une liaison permanente avec la fraction révolutionnaire clandestine "européenne" du SS Hauptamt de Berlin, avec "l'œil du cyclone".
    Alexandra Kolontaï, responsable de la diplomatie secrète de Staline
    Quant à la Russie, le répondant à l'initiative du MSR concernant l'axe Paris-Berlin-Moscou se trouvait être l'ambassadeur permanent de Ï. V. Staline à Stockholm, la mystérieuse Alexandra Kollontaï, responsable de l'ensemble de la diplomatie secrète de celui-ci, qui doublait tous les services de renseignements politico-militaires et autres de l'URSS. Le délégué personnel d'Alexandra Kollntaï à Paris, auprès du MSR, était un suisse disposant d'un statut diplomatique actif, le Dr Albrecht G., qui avait déjà travaillé pour le Komintern. Décédé à la fin des années 50, celui-ci avait laissé des mémoires politiques passionnantes, que Dominique de Roux avait essayé de publier à Paris, aux Presses de la Cité.
    L'axe Paris-Berlin-Moscou de R. Abellio impliquait aussi, en dernière analyse, un "renversement des alliances" devant finalement opposer les puissances continentales — la France, l'Allemagne, la Russie — à l'emprise des puissances océaniques anglo-américaines et à leurs desseins hégémoniques planétaires. Un "renversement des alliances" ayant trouvé aussi une attention fort attentive auprès du Général de Gaulle lui-même au moment de l'offensive allemande dans les Ardennes, quand le général Eisenhower envisageait réellement de considérer la France comme "territoire d'"occupation" des forces alliées anglo-américaines. Moment crucial s'il en fut. De ces projets d'un axe continental grand-européen Paris-Berlin-Moscou mis en piste à Paris, pendant la dernière guerre, par le MSR, il nous faut retenir, me semble-t-il, qu'en matière de haute subversion politique active, opérationnelle, tout absolument tout est réellement possible à ceux qui, en assumant des risques inconcevables, osent envisager  — et tenter — l'inconcevable. Leçon que nous autres devrions retenir d'une manière inconditionnelle, tout jouer là-dessus.
    Enfin, parmi les antécédents des actuels efforts en cours pour la mise en œuvre politique de l'axe grand-européen Paris-Berlin-Moscou que H. de Grossouvre a omis de citer dans son livre, il faut également rappeler le concept géopolitique fondamental de Kontinentalblock, qui constitue l'aboutissement final de l'ensemble de la grande doctrine géopolitique de Karl Haushofer. Qui reste encore aujourd'hui le concept originel, fondationnel, de toute vision continentale grand-européenne d'ouverture impériale, "eurasiatique". Car les destinées actuelles et à venir de l'Europe, de la plus Grande Europe, en tiennent tous au concept de Kontinentalblock qui les définit exhaustivement, les résume et les mobilise en les suractivant dans la direction la plus décisive de leur accomplissement prévu. De leur marche à venir, et déjà qui véhicule l'assurance qu'ils l'emporteront sur tout, et totalement.
    L'ennemi prioritaire, la subversion mondialiste des États-Unis
    Le livre de H. de Grossouvre, Paris-Berlin-Moscou, se montre également utile à nos propres combats de libération continentale européenne d'aujourd'hui par l'attention offensive avec laquelle il nous avertit des périls extrêmes qui sont ceux de l'actuelle politique hégémonique planétaire des États-Unis. Et cela tout en signalant, avec pertinence, l'ensemble des prédispositions absolument décisives qui ont du rapprochement  — et de l'intégration impériale finale à venir —  de l'Europe et de la Russie notre seule voie de salut et de délivrance dans les prochaines années de notre destin à nouveau remis en jeu. Années décisives, donc, qui vont être précisément celles de la confrontation sans doute ultime de la conspiration mondialiste finale des États-Unis et des puissances continentales constitutives de la "Forteresse Eurasiatique" suivant les lignes de force de l'axe Paris-Berlin- Moscou-New Delhi-Tokyo.
    « Depuis la fin de la guerre froide la suprématie américaine est presque totale. Cette suprématie ne durera que 5 à 10 ans. Le temps que la Russie se relève et que la Chine s'affirme sur la scène internationale. En 1946, les États-unis représentaient 46% du PIB mondiale, aujourd’hui ils en représentent 25%, leur part relative continuera à baisser. Les États-Unis comme l'empire victorien déclinant à la veille de la première guerre mondiale, vont donc tout faire dans les années à venir pour essayer de verrouiller leur suprématie actuelle. Depuis la chute du mur de Berlin, les guerres menées à l'initiative des États-Unis se sont multipliées (Irak, Bosnie, Kosovo, Somalie, Afghanistan). Au cours de ces guerres, les États-Unis ont progressivement transformé l'OTAN en instrument politique, alors même que la raison d'être de cette organisation était liée à l'existence du bloc communiste aujourd'hui disparu. Ces guerres ont été menées et conclues le plus souvent contre les intérêts français et européens ».
    Derrière l'apparent rapprochement tactique entre les États-Unis et la Russie depuis le 11 septembre — écrit, aussi, H. de Grossouvre — les États-Unis et l'OTAN poursuivent depuis la fin de la guerre froide la traditionnelle politique d'endiguement anglo-saxonne de la Russie. Pour assurer leur sécurité, les Européens doivent associer les Russes à la sécurité européenne. Et cela d'autant plus impérativement que le "grand dessein" hégémonique planétaire des États-Unis est actuellement entré dans sa "troisième phase", qui est celle de l'emprise sans partage de Washington sur l'ensemble de l'espace politique assujetti — ou en train d'être assujetti — à la subversion mondialiste. Les commandements politico-stratégiques de l'entreprise  planétaire de prise d'influence occulte, de contrôle souterrain et d'emprise poursuivis actuellement par les États-Unis constituent désormais la seule loi présidant aux actions offensives d'appropriation exigés par la "troisième phase", impérialiste et totalitaire, de leur guerre mondialiste aux objectifs ultimes inavouables et non encore avoués des objectifs ultimes ontologiquement dissimulés par Washington, "interdits", hors de portée , qui n'apparaîtront que très ultérieurement à la lumière du jour.
    Ce que H. de Grossouvre appelle la « domination mondiale américaine sans partage » atteint à présent des limites tout à fait intolérables. Ainsi H. de Grossouvre cite-t-il le cas du ministre de l'Intérieur socialiste allemand Otto Schilly, qui vient de demander la création d'urgence d'un "fichier central européen" destiné à rassembler tous ceux qui ont pris des positions "antimondialistes", en vue sans doute des futures opérations de répression, que l'on planifie déjà, secrètement; des opérations de répression antimondialiste menées à l'échelle continentale européenne.
    Ainsi, les choses en étant venues là, H. de Grossouvre envisage-t-il l'intégration impériale de la Grande Europe et de la Russie comme la seule contre-stratégie politique totale pouvant faire face à l'actuelle offensive générale des forces de l'hégémonie planétaire des États-Unis et de la subversion mondialiste, de laquelle Washington dissimule — ainsi qu'on vient de le dire — les objectifs ultimes, inavouables. qui sont ceux d'une véritable "religion mondialiste", et que l'on tente d'imposer au monde entier. "Religion mondialiste" qui. en tout dernière analyse n'est autre que celle de la domination finale des puissances occultes, matérialistes et anti-spirituelles, régressives, antérieures, archaïques, abyssales, dont les États-Unis sont eux-mêmes, inconsciemment, la proie. Tant est-il qu'il n'y jamais eu de guerre qui ne fût, secrètement, une "guerre de religion". La "religion mondialiste", dans ses instances ultimes, dissimulées, c'est la religion nocturne du retour à ce qu'il y avait avant l'être, chaotiquement; le retour à la "religion du non-être" dont avait parlé Lovecraft.
    Les noces de Vladimir Poutine avec la "Nouvelle Russie"
    Ce qu'il faut aussi relever, c'est que H. de Grossouvre sait parfaitement reconnaître le rôle personnel, prédestiné, de Vladimir Poutine dans la confrontation de plus en plus suractivée des puissances antagonistes actuellement à l'œuvre au niveau politique de la grande histoire, mais, qui, en réalité, agissent déjà à un niveau se situant au-delà de la politique, et au-delà du niveau même de l'histoire visible. C'est ailleurs que, désormais, se passent les choses vraiment décisives.
    Le survol inspiré des tendances profondes, implicites, chiffrées, de la ligne politico-historique actuelle et à venir de la "Nouvelle Russie" de V. Poutine. Que H. de Grossouvre poursuit inlassablement dans son livre Paris-Berlin-Moscou, révèle l'horizon suprahistorique, "eschatologique", à l'intérieur duquel il s'agit de situer le devenir de la "nouvelle histoire" de la Russie si l'on entend pouvoir en saisir le sens ultime, le mystère de ce qui la pousse en avant, d'une manière inéluctable, vers l'accomplissement de son destin non encore complètement décelé. Mais qui montrera ses configurations intérieures sur sa marche même, à mesure qu'il s'accomplira.
    Or la relation profonde qui apparaît, désormais, entre la Russie et le destin profond — la prédestination active — de V. Poutine se laisse surprendre, déjà, comme singulièrement révélatrice du rôle — de la mission secrète — qui est celle de V. Poutine dans les développements en cours de la situation de la Russie dans le monde et dans l'histoire en marche. Développements qui seront ce que V. Poutine saura en faire, et rien d'autre ; et quand on a compris cela, on a, en fait, tout compris. Et tôt ou tard, il faudra s'y faire.
    À ce titre, H. de Grossouvre produit une grille pratiquement exhaustive de faits dont l'ensemble est déjà en état de prouver le rôle tout à fait particulier de V. Poutine dans la marche en avant  — et désormais, en quelque sorte, prévue d'avance — de la Russie vers l'accomplissement ultime qui se trouve secrètement inscrit dans son être abyssal. Les noces mystiques de Vladimir Poutine avec la Russie, c'est précisément ce qui constitue la source vivante et agissante, à l'heure actuelle, de la "grande histoire" en cours. Or, cela, H. de Grossouvre n'a pas manqué de le laisser transparaître, courageusement, dans son travail.
    Et c'est peut-être la raison majeure de l'importance particulière que l'on se doit finalement d'accorder à ce livre, dont la part de sous-entendu égale parfois celle des affirmations, des données, des investigations objectivement et raisonnablement appelées à étayer sa démarche propre, qui dans tous les cas n'est pas sans périls. Cette attitude de l'esprit n'est-elle pas, d'ailleurs, spécifique des grandes incursions historiques vers le domaine des limites ultimes ?
    Dans son Paris-Berlin-Moscou, H. de Grossouvre ne livre-t-il donc pas, d'une certaine façon, une direction de recherche plutôt que la recherche elle-même, dont la substance se trouve ainsi sans cesse dépassée par ce qui la tend dialectiquement en avant ? On n'en voudrait pour preuve que la manière dont H. de Grossouvre est amené à traiter le problème des relations établies par V. Poutine avec l'Inde, toute la place que l'Inde a prise dans l'ensemble des plans métastratégiques de la Russie en relation directe avec sa politique de présence à la fois dissimulée et suractivée dans l'espace grand-continental eurasiatique, où vont avoir à se passer les confrontations planétaires décisives. Si la Russie parvient à tenir l'Inde et le Japon, ainsi que cela semblerait bien être le cas, elle contrôlera la Grande Asie, et la Chine s'en trouvera bloquée, neutralisée. À moins que la Chine ne se résigne à se tourner vers l'Indonésie, répondre aux espaces d'appel du Pacifique. Or, tout alors, en sera changé. De quoi vont être faits les premiers siècles du IIIe millénaire, c'est l'Inde qui le décidera.
    L'axe Paris-Berlin-Moscou et les peuples d'Europe
    Cependant, un assez lamentable et dangereux piège surgit celui qu'on se laissât happer par le malentendu qui ferait que l'on prenne l'approche de l'axe Paris-Berlin-Moscou pour une formule limitative, alors qu'il ne s'agit que d'une structure géopolitique opérationnelle. La plus Grande Europe, "communauté d'être, de sang et de destin" ne saurait en aucun cas être exclusivement celle de la France, de l'Allemane et de la Russie, tout peuple européen étant partie prenante à part entière de l'ensemble à l'égal de tous les autres. Certes, la France, l'Allemagne et la Russie peuvent être considérées à la rigueur comme des points forts et de rayonnement, comme des "pivots", qui se nourrissent dialectiquement tout en nourrissant ce dont leurs identités se trouvent appelées à représenter géopolitiquenent, dans les termes d'un même destin :
    « Les trois grands peuples continentaux que sont les Français, les Allemands et les Russes occupent une place particulière en Europe. Chacun de ces trois pays exerce un rôle géographique sur une partie de l'Europe la France sur l'Ouest et le Sud de l'Europe, l'Allemagne sur l'Europe centrale et orientale, la Russie sur l'extrême Est de l'Europe, le Caucase, l'Asie centrale et le reste de l'Asie. Le rayonnement de la France s'est toujours déployé vers l'Europe du Sud, la Méditerranée ainsi que sur sa frontière orientale. L'Allemagne joue un rôle particulier en Europe centrale et orientale, et la Russie a étendu son empire en Asie et vers les mers du Sud. Ce rôle de pivot peut se traduire sur le plan spirituel par la notion de destin ».
    Et ensuite :
    « Charles de Gaulle avait conscience de n'être que l'instrument d'un plus grand dessein qui le dépassait ».
    Pour sauver l'être et la liberté du "grand Continent", il faut reconstituer révolutionnairement la "grande nation continentale" de nos origines les plus lointaines, faire que la fin du cycle rejoigne ses débuts ontologiques. "Encore une fois nous briserons l'histoire". Changer de conscience, changer de destin. changer de  métastratégie ultime, changer de stratégie opérationnelle immédiate
    De toutes ces considérations dramatiques, une seule évidence salutaire se dégage : s'ils veulent survivre à l'offensive d'assujettissement politique, d'aliénation totale de leur être propre, entreprise contre eux par la conspiration mondialiste des États-Unis — et par ce qui se dissimule derrière ceux-ci — les peuples européens du Grand Continent doivent changer de conscience, changer de destin, changer de métastratégie ultime, changer  de stratégie opérationnelle immédiate Se mettre en état de faire face. De faire face dans les termes d'une guerre politique totale, d'une guerre qui devra décider, pour le millénaire à venir, du sens de l'histoire du monde.
    Il leur faudra donc recouvrer la conscience entière de leur unité ontologique des origines premières, de leur prédestination impériale ultime, "eschatologique", de leur identité transcendantale, "suprahumaine". En même temps qu'une nouvelle conscience planétaire, parce que les nouveaux enjeux du nouveau pouvoir total l'exigent. Car on ne peut en aucun cas faire face séparément à une offensive de dimensions planétaires. À une offensive de dimensions planétaires, seule peut répondre la contre-offensive planétaire d'une nouvelle contre-stratégie planétaire. Il n'y a plus, désormais, qu'une seule urgence absolue pour nous autres, celle-là.
    H. de Grossouvre, en conclusion : « Dans les prochaines années, l'histoire risque de s'accélérer, les dangers augmenter, les guerres se multiplier ». Même si la situation est critique, c'est dans ces périodes que peuvent se présenter des opportunités inattendues. « Mais là ou il y a danger, là aussi / Croît ce qui sauve » (Hölderlin). À présent, le salut, la liberté et la délivrance de la "Forteresse Eurasiatique" mobilisée autour de l'axe transcontinental Paris-Berlin-Moscou-New Delhi-Tokyo réside dans la mise en route politico-historique, dans les termes d'une nouvelle "Révolution Mondiale", de ce que nous autres, ceux des "groupes géopolitiques", appelons "l'Empire Eurasiatique de la Fin", figure visionnaire ultime d'un avenir qu'il nous appartient de créer nous-mêmes révolutionnairement.
    Or qui sommes-nous, "nous autres", ceux des "groupes géopolitiques" ? Alors qu'on nous a condamnés à l'aliénation forcée, à l'aliénation totale de notre civilisation, à la déchéance sans retour et à la mort, nous sommes ceux qui refusent d'accepter cette condamnation, qui veulent renverser à nouveau le rapport des forces décisives, briser, encore une fois, l'histoire que l'on veut nous faire. L'histoire qui n'est absolument pas notre histoire. Nous sommes les combattants de la fin, les combattants qui se lèvent en armes, tragiquement, contre l'Anti-Histoire.
    Nous allons donc commencer par constituer, d'urgence, en marge des gouvernements nationaux de tendance libérale démocratique au pouvoir partout en Europe, une "Communauté géopolitique France-Allemagne-Russie". Agissant a la manière d'un gouvernement idéologico-politique, d'un "gouvernement contre-stratégique" engageant de par lui-même l'ouverture du chantier de l'intégration impériale Révolutionnaire grand-européenne continentale autour de l'axe Paris-Berlin-Moscou-New Delhi-Tokyo. En commençant par l'intégration de l'Union Européenne et de la Russie, doctrinalement pour commencer, et passant ensuite au niveau immédiatement politique. « Tout rentre à nouveau dans la zone de l'attention suprême », dit un puissant mantra.
    On me reprochera, je suppose, d'avoir largement dépassé, dans le présent article sur le livre de H. de Grossouvre, Paris-Berlin-Moscou, le niveau du compte rendu habituel, pour rejoindre le domaine supérieur de l'actuelle guerre métastratégique planétaire. Mais qu'ai-je fait d'autre, ainsi, que de situer le livre de H. de Grossouvre dans l'espace du combat qui est fondamentalement le sien ? À l'heure de la mobilisation générale de tous les efforts des nôtres menant à la naissance d'une nouvelle conscience impériale révolutionnaire européenne grand-continentale, seule fait loi l'exigence que l'on veille en permanence sur la convergence opérationnelle de tous les éléments pouvant contribuer à l'établissement d'urgence d'un front idéologique commun contre l'offensive de la conspiration mondialiste en cours de développement. Ce livre de Henri de Grossouvre, je l'ai porté en première ligne, à découvert.
     ► Jean Parvulesco. VOULOIR

  • Suisse : Les 20 ans du “Non” à l’adhésion européenne

    Le 6 décembre 1992, la Suisse rejetait à 50,3% l’adhésion à l’Espace Économique Européen. Ce front du refus, mené par un certain Christoph Blocher, révélait une brèche béante entre le peuple et ses représentants, tous unanimement engagés dans la célébration de la construction européenne. Le Conseiller Fédéral Jean-Pascal Delamuraz eut à l’époque des mots très durs envers le résultat du scrutin populaire, évoquant un “dimanche noir”.

    Suite aux résultats catastrophiques des votations sur l’EEE, le 6 décembre 1992, allocution du président de la Confédération helvétique, Jean-Pascal Delamuraz.

    Il se trompait, naturellement. Deux décennies se sont écoulées, mais si les partisans du Non célèbrent encore leur victoire historique, il n’y a guère de raisons de pavoiser.

    Certes, le sentiment pro-européen recule – il n’a jamais été aussi bas. Ils ne sont que 24% à estimer, rétrospectivement, que le refus de l’adhésion à l’EEE de 1992 était une “mauvaise idée”. L’Union Européenne, vers laquelle l’EEE n’était qu’un marchepied, ne fait plus recette ; vu d’ici, chacun comprend que l’UE est de plus en plus dirigiste, antidémocratique, embourbée dans la crise de la dette, la récession et le chômage. Une génération plus tard, les atours de la mariée ne sont plus guère séduisants.

    Pourtant, comme l’explique dans le quotidien Le Temps le professeur de droit zurichois Daniel Thürer (qui a “personnellement toujours regretté” la non-adhésion helvétique à l’EEE et considère que la souveraineté est “un mot dépassé”, histoire de situer le personnage) la Suisse est, dans les faits, entrée dans l’Espace Économique Européen:

    « Il faut bien constater que tout ce que l’on a fait depuis 1992 avec les accords bilatéraux a consisté à mettre en place secteur par secteur les mêmes règles que celles de l’EEE. A deux exceptions près: nous n’avons pas d’accord sur la libre circulation des services, qui était contenue dans l’EEE; et nous avons Schengen, qui ne faisait pas partie de l’EEE ».

    A tout prendre, je ne suis pas sûr que l’adhésion de la Suisse à l’espace Schengen vaille la liberté des services… Pauvres Suisses! Ils pensaient échapper à l’Europe et s’en méfient aujourd’hui encore, sans réaliser que leurs élites les y ont amené, petit à petit pendant vingt ans, sans en avoir l’air. Voire même au vu et au su de tout le monde, lorsque la BNS décide sans en référer à personne d’adopter l’euro.

    Officiellement, l’adhésion de la Suisse à l’Union Européenne n’est pas à l’ordre du jour ; en réalité, elle n’a jamais cessé d’être discutée. Hormis l’UDC, les partis de l’échiquier politique helvétique ont été et sont toujours de chauds partisans d’une adhésion à l’Union Européenne. Ils ont renoncé à communiquer sur ce thème en public pour des raisons tactiques, le soutien populaire faisant défaut, mais n’ont certainement pas changé d’avis.

    Si bien qu’en fin de compte, partout où porte le regard, c’est l’impasse.

    Les Suisses n’aiment pas l’Europe mais acceptent d’y entrer petit à petit, à leur rythme, en plébiscitant la voie bilatérale? Pas de chance, l’Union Européenne n’en veut plus. Même si ici certains font tout pour maintenir l’illusion (je pense notamment à René Schwok, Professeur à l’Institut européen de l’Université de Genève, qui ne ménage pas ses efforts dans ses interviews) Bruxelles n’a certainement pas l’intention de se fatiguer à négocier chaque nouveau règlement avec Berne, et Dieu sait qu’elle en produit à la pelle. L’UE exige l’automatisme, c’est-à-dire le renoncement à la souveraineté.

    Les Suisses ne veulent pas entrer dans l’Union Européenne? Pourtant, ils continuent élection après élection à plébisciter, avec plus des deux-tiers des suffrages, des partis qui prônent directement l’adhésion ou de louvoyer pour y parvenir. Soit les électeurs votent sans comprendre qui ils élisent (une hypothèse qu’on ne peut pas exclure au vu de la force de l’habitude dans les décisions de vote) soit ils estiment que cet aspect des positions politiques n’a guère d’importance, qu’il s’agit d’un point secondaire d’un programme électoral…

    C’est évidemment une erreur, et une erreur dangereuse. Alors que la situation économique se dégrade toujours davantage en Europe, que les diplomates européens cachent de plus en plus mal leur hargne contre notre petit pays, les tensions ne peuvent que s’aggraver. La Suisse, îlot de prospérité dans un continent à la dérive, irrite – précisément parce qu’elle existe.

    Non seulement elle ne suit pas le modèle d’intégration européen mais elle en est devenue l’antithèse. La Confédération Helvétique montre que la voie de l’indépendance et de la souveraineté, la voie de la démocratie directe et de la subsidiarité, bref, toutes les valeurs aux antipodes de la construction européenne telle qu’elle s’observe depuis environ trente ans, mènent au succès.

    Du point de vue du dogme européiste, la Suisse est une hérésie, au sens propre du terme.

    Elle représente un danger vis-à-vis des institutions européennes non seulement parce qu’elle illustre de façon éclatante les fourvoiements de l’Europe de Bruxelles, mais aussi parce que son “mauvais exemple”pourrait se répandre, devenant une menace pour la construction européenne toute entière.

    Les reproches, les menaces, les exigences de tribut et les sanctions vont pleuvoir dru dans quelques temps, encore plus que par le passé, aidés et encouragés par les élites politiques en faveur de l’adhésion à l’intérieur du pays. La question des relations entre la Suisse et l’UE promet de revenir centrale dans un avenir proche, et elle se posera en termes moins courtois.

    Même si depuis vingt ans, la lutte pour la souveraineté helvétique est largement perdue – sacrifiée en tranches par des citoyens qui ne comprenaient pas vraiment ce qu’ils abandonnaient ici ou  - il en reste encore quelques traces. C’est ce maigre héritage qu’il faut désormais défendre.

    Les Observateurs http://fortune.fdesouche.com/

  • Delors suggère aux Anglais de quitter l'Union européenne

    Ça va péter ! Les européistes se sentent-ils aux abois ? En tout cas, l'ex-président de la Commission européenne, le socialiste Jacques Delors, vient de suggérer aux Anglais, hostiles à plus d'intégration européenne, de quitter l'UE et d'opter pour une autre forme de partenariat avec le Vieux continent. 
    "Les Britanniques s'intéressent seulement à leurs intérêts économiques, à rien de plus. On pourrait leur proposer une autre forme de partenariat", estime Jacques Delors, dans un entretien au quotidien économique allemand Handelsblatt.
    Le Premier ministre britannique David Cameron, qui subit les pressions des "eurosceptiques" de son parti conservateur, avait déclaré le mois dernier qu'il soutenait l'appartenance du Royaume-Uni à l'UE, mais qu'il voulait "un nouvel accord" qui comporte une procédure de non-participation sur des problèmes-clé.
    Dans un entretien publié jeudi dans le Guardian, le président du Conseil européen Herman Van Rompuy a averti que ces tentatives de récupérer des pouvoirs aux dépends de l'Europe pourraient mettre l'UE en danger.
    "Si les Britanniques ne suivent pas la tendance allant vers plus d'intégration dans l'Union européenne, nous pourrions malgré tout rester amis, mais sous une autre forme", estime pour sa part, dans le Handelsblatt, Jacques Delors, qui plaide par ailleurs avec insistance pour davantage d'intégration politique au sein de l'UE.
    Comme possibilités de partenariats avec le Royaume-Uni, M. Delors cite "une forme comme celle de l'espace économique européen" ou "un accord de libre-échange".
    En cas de sortie de l'UE, le Royaume-Uni resterait néanmoins "un partenaire privilégié", insiste M. Delors. "Le Royaume-Uni est stratégique et économiquement important, mais comme le sont aussi d'autres pays", comme l'Inde et la Chine, selon lui.
    De son côté, Herman Van Rompuy a estimé qu'un départ du Royaume-Uni de l'UE serait comme si "un ami partait dans le désert".
    Le Royaume-Uni appartient à l'UE depuis 1973 mais n'a pas rejoint la zone euro.

    Avec AFP http://www.francepresseinfos.com/

  • Zone euro : La crise n’est pas finie !

    par Nouriel Roubini

    Les dangers qui planent sur la zone euro se sont estompés depuis cet été ; le coût du crédit pour l’Espagne et l’Italie avait alors atteint des valeurs records intenables et la sortie de la Grèce paraissait imminente. Mais si la tension financière s’est relâchée, la situation économique à la périphérie la zone euro reste instable.

    La baisse des risques tient à plusieurs facteurs. Tout d’abord, le programme de Transactions monétaires fermes de la BCE s’est révélé incroyablement efficace : les différences de taux d’intérêt entre l’Espagne et l’Italie ont diminué de 250 points de base, avant même qu’un seul euro ait été dépensé en achat d’obligations d’Etat. L’introduction du Mécanisme de stabilité européen (MSE) qui contribue pour 500 milliards d’euros supplémentaires au secours des banques et des Etats a aussi eu son utilité, de même que la reconnaissance par les dirigeants européens du fait qu’une union monétaire à elle seule ne suffit pas ; elle nécessite plus d’intégration bancaire, budgétaire, économique et politique pour échapper à l’instabilité.

    Mais le facteur majeur est le changement d’attitude de l’Allemagne envers la zone euro en général et la Grèce en particulier. Les responsables allemands comprennent maintenant qu’étant donné l’importance des liens commerciaux et financiers, les troubles dans la zone euro n’affectent pas uniquement sa périphérie, mais aussi son centre. Ils ont arrêté de faire des déclarations publiques concernant une sortie possible de la Grèce et ils viennent d’approuver un troisième plan de sauvetage qui lui est destiné. Aussi longtemps que l’Espagne et l’Italie sont fragilisées, un éclatement de la Grèce pourrait faire tache d’huile. Ce serait gênant pour la chancelière Angela Merkel qui verrait ses chances de réélection pour un troisième mandat diminuer lors des élections qui auront lieu l’année prochaine en Allemagne. Aussi, pour l’instant l’Allemagne continue-t-elle à financer la Grèce.

    Néanmoins, on ne voit guère de signe de reprise à la périphérie de la zone euro. Son PIB continue à diminuer en raison de la politique d’austérité, de la surévaluation de l’euro, du resserrement marqué du crédit sous-tendu par le manque de capitaux des banques, de la morosité du climat des affaires et de la baisse de confiance des consommateurs. La récession de la périphérie s’étend maintenant au centre de la zone euro ; la production française baisse et l’Allemagne elle-même se trouve au point mort, car la croissance chancelle dans les deux marchés où elle exporte (elle chute dans le reste de la zone euro et diminue en Chine et ailleurs en Asie).

    La balkanisation de l’activité économique, des systèmes bancaires et des marchés de la dette publique se prolonge, tandis que les investisseurs étrangers fuient la périphérie de la zone euro pour chercher la sécurité dans son centre. Les dettes publiques comme les dettes privés ont atteint des niveaux presque insoutenables. Ce n’est pas surprenant, car la perte de compétitivité qui a conduit à des déficits extérieurs considérables n’a guère été combattue, et des tendances démographiques négatives, de faibles gains de productivité et la lenteur des réformes structurelles dépriment la croissance potentielle.

    Il est vrai que les pays de la périphérie ont fait quelques progrès ces dernières années : les déficits budgétaires ont diminué et certains pays connaissent même un excédent de leur budget primaire (le budget sans les intérêts). On assiste également à un regain partiel de compétitivité, car l’augmentation des salaires a été inférieure à celle de la productivité, réduisant ainsi le coût du travail par rapport à la production, tandis que des réformes structurelles sont en cours.

    Mais à court terme, l’austérité, les baisses de salaires et les réformes poussent à la récession, et il en est de même du processus asymétrique d’ajustement au sein de l’ensemble de la zone euro qui pousse aussi à la déflation. Les pays qui dépensaient plus qu’ils ne gagnaient ont dû resserrer les cordons de leur bourse et épargner davantage, réduisant ainsi leur déficit commercial. Mais des pays comme l’Allemagne dont l’épargne était excessive et qui connaissaient des excédents extérieurs n’ont pas été contraints de diminuer leur demande intérieure, aussi leur excédent commercial n’a-t-il guère baissé.

    L’union monétaire reste en équilibre instable : soit la zone euro évolue vers plus d’intégration (limitée par la capacité de l’UE à donner une légitimité démocratique à la perte de souveraineté nationale en matière de politique bancaire, budgétaire et économique), ou alors elle va évoluer vers la désunion, la désintégration, la fragmentation et finalement l’éclatement. Les dirigeants de l’UE ont fait des propositions en faveur d’une union bancaire et budgétaire, mais l’Allemagne traîne des pieds.

    Les dirigeants allemands craignent que le partage des risques lié à davantage d’intégration – la recapitalisation des banques grâce au MSE, un fond commun de résolution pour les banques insolvables, la garantie des dépôts dans toute la zone euro, un pas en direction de l’union budgétaire et la mutualisation de la dette – implique une union de transfert au sein de laquelle l’Allemagne et les pays du centre subventionneront unilatéralement et en permanence ceux de la périphérie, ce qui serait politiquement inacceptable. Selon eux, les déficits budgétaires et les dettes massives de la périphérie ne sont pas dus à l’absence d’une union bancaire ou budgétaire, mais à la perte de compétitivité et au faible potentiel de croissance liés au manque de réformes structurelles.

    L’Allemagne ne réalise pas qu’une union monétaire réussie (à l’instar des USA) suppose une union bancaire totale avec un partage des risques important, ainsi qu’une union budgétaire dans laquelle le budget fédéral absorbe les chocs que peut subir tel ou tel Etat. Les USA sont aussi une grande union de transfert dans laquelle les Etats les plus riches aident en permanence les Etats les plus pauvres.

    Alors que l’on discute des propositions en faveur d’une union bancaire, budgétaire et politique, on parle beaucoup moins de la manière de restaurer la croissance à court terme. Les Européens sont prêts à se serrer la ceinture, mais ils veulent voir la lumière au fond du tunnel, sous forme d’une augmentation des revenus et de la baisse du chômage. Si la récession s’installe, rien ne pourra empêcher une réaction sur le front politique et social : manifestations contre l’austérité, grèves, violences, émeutes, montée des partis extrémistes et effondrement des gouvernements les plus faibles.

    Le risque extrême d’une sortie de la Grèce hors de la zone euro et d’une perte massive d’accès aux marchés en Italie et en Espagne vont être moindres en 2013. Mais la crise fondamentale de la zone euro n’a pas été résolue et une année supplémentaire traversée tant bien que mal pourrait réactiver et accroître ce risque en 2014 et au-delà. Malheureusement, la crise de la zone euro va probablement se prolonger dans les années à venir, et pourrait s’accompagner d’une restructuration coercitive des dettes et de la sortie de certains pays de la zone euro.

    Les Echos  http://fortune.fdesouche.com

  • La BCE et la Fed au service des grandes banques privées

    Série : Banques contre Peuples : les dessous d’un match truqué ! (2ème partie)

    La première partie de la série est intitulée « 2007-2012 : 6 années qui ébranlèrent les banques » a été publiée le 19 novembre 2012, voir 2007-2012 : 6 années qui ébranlèrent les banques

    L’action de la Banque centrale européenne et de la Fed |1|

    A partir de juin 2011, les banques européennes sont entrées dans une phase tout à fait critique. Leur situation était presque aussi grave qu’après la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Beaucoup d’entre elles ont été menacées d’asphyxie parce que leurs besoins massifs de financement à court terme (quelques centaines de milliards de dollars) n’ont plus été satisfaits par les money market funds américains qui ont considéré que la situation des banques européennes était décidément de plus en plus risquée |2|. Les banques ont été confrontées à la menace de ne pas pouvoir faire face à leurs dettes. C’est alors que la BCE, suite à un sommet européen réuni d’urgence le 21 juillet 2011 pour faire face à une possible série de faillites bancaires, a recommencé à leur acheter massivement des titres de la dette publique grecque, portugaise, irlandaise, italienne et espagnole afin de leur apporter des liquidités et de les délester d’une partie des titres qu’elles avaient goulûment achetés dans la période précédente. Cela n’a pas suffi, les cours en bourse des actions des banques ont poursuivi leur dégringolade. Les patrons de banque ont passé un mois d’août de tous les dangers. Ce qui a été décisif pour maintenir à flot les banques européennes, c’est l’ouverture à partir de septembre 2011 d’une ligne de crédit illimité par la BCE en concertation avec la Fed, la banque d’Angleterre et la Banque de Suisse : les banques en manque de dollars et d’euros ont été mises sous perfusion. Elles ont commencé à respirer de nouveau mais c’était insuffisant. Le cours de leur action continuait la descente aux enfers. Entre le 1er janvier et le 21 octobre 2011, l’action de la Société générale a chuté de 52,8 %, celle de BNP Paribas de 33,3 %, celle de la Deutsche Bank de 28,8 %, celle de Barclays de 30,5 %, celle du Crédit suisse de 36,7 %. Il a alors fallu que la BCE sorte son bazooka, appelé LTRO (Long Term Refinancing Operation) : entre décembre 2011 et février 2012, elle a prêté plus de 1000 milliards d’euros pour une durée de 3 ans au taux d’intérêt de 1% à un peu plus de 800 banques.

    La Fed faisait grosso modo de même depuis 2008 à un taux officiel encore plus bas : 0,25%. En réalité, comme l’a révélé en juillet 2011 un rapport du GAO, équivalent de la Cour des Comptes aux États-Unis, la Fed a prêté 16 000 milliards de dollars à un taux d’intérêt inférieur à 0,25% |3|. Le rapport démontre qu’en pratiquant de la sorte, la Fed n’a pas respecté ses propres règles prudentielles et qu’elle n’en n’a pas averti le Congrès. Selon les travaux d’une commission d’enquête du Congrès des États-Unis, la collusion entre la Fed et les grandes banques privées a été évidente : « Le PDG de JP Morgan Chase était membre de la Réserve fédérale de New York au moment où « sa » banque recevait une aide financière de la Fed s’élevant à 390 milliards de dollars. De plus, JP Morgan Chase a également servi d’intermédiaire pour les crédits d’urgence octroyés par la Fed. » |4| Selon Michel Rocard, ex-premier ministre français, et Pierre Larrouturou, économiste, qui se basent sur une recherche réalisée par l’agence financière new-yorkaise Bloomberg, la Fed aurait prêté une partie de la somme mentionnée plus haut à un taux infiniment plus bas : 0,01%. Michel Rocard et Pierre Larrouturou affirment dans les colonnes du quotidien Le Monde : « Après avoir épluché 20 000 pages de documents divers, Bloomberg montre que la Réserve fédérale a secrètement prêté aux banques en difficulté la somme de 1 200 milliards au taux incroyablement bas de 0,01 %. » |5|

    . Ils posent la question : « Est-il normal que, en cas de crise, les banques privées, qui se financent habituellement à 1 % auprès des banques centrales, puissent bénéficier de taux à 0,01 %, mais que, en cas de crise, certains Etats soient obligés au contraire de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés ? ».

    Les grandes banques européennes ont d’ailleurs également eu accès à ces prêts de la Fed jusqu’au début 2011 (Dexia a ainsi reçu en prêt 159 milliards de dollars |6|, Barclays a reçu 868 milliards $, Royal Bank of Scotland a reçu 541 milliards $, Deutsche Bank 354 milliards $, UBS 287 milliards $, Credit Suisse 260 milliards $, BNP-Paribas 175 milliards $, Dresdner Bank 135 milliards $, Société Générale 124 milliards $). Le fait que ce financement des banques européennes via la Fed se soit tari (notamment sous la pression du Congrès américain) a constitué une des raisons pour lesquelles les money market funds états-uniens ont commencé eux-mêmes à fermer le robinet de leurs prêts aux banques européennes à partir de mai-juin 2011.

    Quels ont été les effets de l’octroi aux banques de 1 000 milliards d’euros à 1% par la BCE ?

    En 2012, les banques abreuvées de liquidités ont acheté massivement des titres de la dette publique de leur pays. Prenons l’exemple de l’Espagne. Les banques espagnoles ont emprunté à la BCE pour 300 milliards d’euros à 3 ans au taux de 1% dans le cadre du LTRO |7|. Avec une partie de cette somme, elles ont augmenté fortement leurs achats de titres de la dette émis par les autorités espagnoles. L’évolution est tout à fait frappante : fin 2006, les banques espagnoles détiennent des titres publics de leur pays pour seulement 16 milliards d’euros. En 2010, elles augmentent leurs achats de titres publics espagnols, elles en détiennent pour 63 milliards. En 2011, elles accroissent encore leurs achats, les titres espagnols en leur possession représentent 94 milliards. Et grâce au LTRO, leurs acquisitions explosent littéralement, le volume qu’elles détiennent double en quelques mois pour atteindre 184,5 milliards d’euros en juillet 2012. |8| Il faut dire qu’il s’agit d’une opération très rentable pour elles. Alors qu’elles ont emprunté à 1%, elles peuvent acheter des titres espagnols à 10 ans avec un intérêt qui varie entre 5,5 et 7,6 % au second semestre 2012.

    Prenons ensuite l’exemple de l’Italie. Entre fin décembre 2011 et mars 2012, les banques italiennes empruntent à la BCE pour 255 milliards d’euros dans le cadre du LTRO |9|. Alors que fin 2010, les banques italiennes détenaient des titres publics de leur pays pour 208,3 milliards d’euros, ce montant passe à 224,1 milliards fin 2011, quelques jours après le début du LTRO. Ensuite, elles utilisent massivement les crédits qu’elles reçoivent de la BCE pour acheter des titres italiens. En septembre 2012, elles en détiennent pour la somme de 341,4 milliards d’euros |10|. Comme dans le cas espagnol, il s’agit d’une opération très rentable pour elles : elles ont emprunté à 1% et en achetant des titres italiens à 10 ans, elles obtiennent un intérêt qui varie entre 5 et 6,6% au second semestre 2012.

    Le même phénomène s’est produit dans la plupart des pays de la zone euro. Il y a eu relocalisation d’une partie des actifs des banques européennes vers leur pays d’origine. Concrètement, on constate qu’a augmenté très sensiblement au cours de l’année 2012 la part des dettes publiques d’un pays donné qui est en possession des institutions financières du même pays. Cette évolution a donc rassuré les gouvernements de la zone euro, en particulier ceux d’Espagne et d’Italie, car ils ont constaté qu’ils éprouvaient moins de difficultés à vendre aux banques les titres publics qu’ils émettaient. La BCE semblait avoir trouvé la solution. En prêtant massivement aux banques privées, elle les a sauvées d’une situation critique et elle a épargné à certains États de se lancer dans de nouveaux plans de sauvetage bancaire. L’argent prêté aux banques était en partie utilisé par celles-ci pour acheter des titres de la dette publique des États de la zone euro, ce qui a enrayé la hausse des taux d’intérêt des pays les plus fragiles et même produit une baisse des taux pour un certain nombre de pays.

    On comprend très bien que, du point de vue des intérêts de la population des pays concernés, il aurait fallu adopter une approche tout à fait différente : la BCE aurait dû prêter directement aux États à moins de 1% (comme elle le fait à l’égard des banques privées depuis mai 2012) ou encore sans intérêt. Il aurait également fallu socialiser les banques sous contrôle citoyen.

    Au lieu de cela, la BCE a mis sous perfusion les banques privées en leur ouvrant une ligne de crédit illimité à très bas taux d’intérêt (entre 0,75 et 1%). Celles-ci ont fait différents usages de la manne de financement public. Comme on vient de le voir, d’une part, elles ont acheté des titres souverains de pays qui, sous leur pression comme l’Espagne et l’Italie, ont dû leur concéder une rémunération élevée (entre 5 et 7,6% à 10 ans). D’autre part, elles ont placé une partie du crédit qui leur était octroyé par la BCE à la… BCE ! Entre 300 et 400 milliards sont déposés par les banques au jour le jour auprès de la BCE à un taux de 0,25 % au début 2012 et à 0 % depuis mai 2012. Pourquoi font-elles cela ? Parce qu’elles doivent montrer aux autres banquiers et aux autres fournisseurs privés de crédit (money market funds, fonds de pension, compagnies d’assurance) qu’elles disposent de cash en permanence afin de faire face à l’explosion des bombes à retardement qui se trouvent dans leurs comptes. Si elles n’avaient pas ce cash disponible, les prêteurs potentiels se détourneraient d’elles ou leur imposeraient des taux très élevés. Poursuivant le même objectif de rassurer les prêteurs privés, elles achètent également des titres souverains d’États qui ne présentent aucun risque à court ou moyen terme : l’Allemagne, les Pays-Bas, la France… Elles en sont tellement friandes que ces États peuvent se permettre de leur vendre des titres à 2 ans à un taux de 0% ou même avec un rendement légèrement négatif (sans prendre en compte l’inflation). Les taux payés par l’Allemagne et les autres pays considérés comme solides financièrement ont baissé considérablement grâce à la politique de la BCE et à l’aggravation de la crise qui touche les pays de la Périphérie. On a assisté à une fuite de capitaux de la Périphérie européenne vers le Centre. Les titres allemands sont tellement fiables qu’en cas de nécessité de cash, ils peuvent être revendus du jour au lendemain sans perte. Les banques les acquièrent non pas dans la perspective de gagner de l’argent, mais pour avoir, à la BCE ou sous forme de titres tout à fait liquides, une quantité d’argent disponible en permanence de manière à offrir une impression (souvent fausse) de solvabilité et à faire face à d’éventuels imprévus. Elles font des profits en prêtant à l’Espagne et à l’Italie, cela contrebalance certaines pertes qu’elles peuvent enregistrer avec des titres allemands. Il est très important de souligner que les banques n’ont pas augmenté leurs prêts aux ménages et aux entreprises alors qu’un des objectifs officiels des prêts de la BCE consiste à accroître de tels crédits afin de relancer l’économie.

    Quel est le bilan de la BCE du point de vue des élites ?

    Mettons-nous un instant à la place du 1% le plus riche afin d’apprécier l’action de la BCE. Le discours officiel martèle que la BCE a réussi la transition entre son ancien président le français Jean-Claude Trichet et le nouveau, Mario Draghi |11|, ancien gouverneur de la Banque d’Italie et ancien vice-président de Goldman Sachs Europe. La BCE et les dirigeants des principaux pays européens sont parvenus à négocier une opération de réduction de la dette grecque en convainquant les banques privées d’accepter une décote de leurs créances d’environ 50% et en obtenant du gouvernement grec qu’il s’engage dans un nouveau plan d’austérité radicale comprenant des privatisations massives et qu’il accepte de renoncer à une partie très importante de la souveraineté du pays. A partir de mars 2012, des envoyés de la Troïka se sont installés de manière permanente dans les ministères à Athènes afin de contrôler de près les comptes de l’État. Les nouveaux prêts à la Grèce passent dorénavant par un compte directement contrôlé par les autorités européennes, qui peuvent donc le bloquer. Cerise sur le gâteau, les nouveaux titres de la dette grecque ne sont plus de la compétence des tribunaux grecs, les nouvelles obligations émises dans le cadre de ce programme sont de droit anglais et les litiges entre l’État Grec et les créanciers privés seront arbitrés au Luxembourg |12|.

    Ce n’est pas tout : sous la pression de la BCE et des dirigeants européens, le gouvernement Pasok de Georges Papandréou, très soumis mais de plus en plus impopulaire, a été remplacé sans élection par un gouvernement d’unité nationale Nouvelle Démocratie – Pasok, avec une place clé attribuée à des ministres provenant directement des milieux bancaires.

    On peut compléter le tableau de la situation par trois autres bonnes nouvelles pour la BCE et les dirigeants européens : 1. Silvio Bersluconi a été contraint à la démission et a été remplacé par un gouvernement de techniciens, à la tête duquel figure Mario Monti, ancien commissaire européen très proche des milieux bancaires et capable d’imposer aux Italiens un approfondissement des politiques néolibérales |13|. 2. En Espagne, le chef du gouvernement en place depuis quelques mois, Mariano Rajoy, du Parti populaire, est prêt à radicaliser lui aussi la politique néolibérale de son prédécesseur, le socialiste José Luis Zapatero. 3. Les dirigeants européens |14| sont arrivés à se mettre d’accord sur un pacte de stabilité qui va couler dans le marbre l’austérité budgétaire, l’abandon par les États membres d’un peu plus de leur souveraineté nationale et une dose supplémentaire de soumission à la logique du capital privé. Enfin, le Mécanisme européen de stabilité (MES) va bientôt entrer en action et permettra de mieux venir en aide aux Etats et aux banques |15| dans les prochaines crises bancaires qui ne manqueront pas de se produire ainsi qu’aux États membres peinant à se financer.

    Ces différents exemples montrent que les dirigeants européens au service du grand capital réussissent à marginaliser un peu plus le pouvoir législatif en passant outre les choix des électrices et des électeurs. Par ailleurs, où est la démocratie si les électrices et les électeurs qui souhaitent refuser massivement l’austérité n’ont plus la possibilité de l’exprimer par leur vote, ou lorsque le sens politique du vote exprimé est annulé au motif que le choix n’est pas celui des gouvernants, comme en 2005 en France et aux Pays-Bas après le non au Traité pour une constitution européenne, comme en Irlande et aux Portugal après les élections de 2011, comme en France et aux Pays-Bas, de nouveau, après les élections de 2012. Tout est mis en place pour que la marge de manœuvre des gouvernements nationaux et des pouvoirs publics soit limitée par un cadre contractuel européen de plus en plus contraignant. Il s’agit là d’une évolution très dangereuse, à moins bien sûr que des gouvernements appuyés par leur population décident de désobéir.

    Si on se met ainsi un instant à la place de Mario Draghi, des principaux dirigeants européens et des banques, on peut dire qu’en mars-avril 2012, ils ont de quoi être heureux. Tout semble réussir.

    Les limites des succès de la BCE et des gouvernants européens

    Les nuages noirs arrivent ensuite. Cela se complique à partir de mai 2012 quand Bankia, la 4e banque espagnole dirigée par l’ancien directeur général du FMI Rodrigo de Rato, se retrouve en faillite virtuelle. Selon les sources, les besoins des banques espagnoles en termes de recapitalisation varient entre 40 et 100 milliards d’euros, et Mariano Rajoy qui ne veut pas faire appel à l’aide de la Troïka est dans une posture très difficile. S’ajoute à cela le fait que sur le plan international se succèdent plusieurs scandales bancaires. Celui concernant la manipulation du Libor, le taux interbancaire à Londres, est le plus retentissant et implique une douzaine de grandes banques. Il vient s’ajouter aux agissements coupables de HSBC en matière de blanchiment d’argent de la drogue et d’autres négoces criminels.

    En France, une majorité des électeurs ne veut plus de Nicolas Sarkozy. François Hollande est élu le 6 mai 2012, mais ce n’est pas vraiment inquiétant pour la finance internationale car on peut compter sur le pragmatisme des socialistes français comme des autres partis socialistes d’Europe pour poursuivre l’austérité. Même s’il faut toujours se méfier du peuple français, très enclin à divers débordements et susceptible de croire qu’il faut un véritable changement.

    En Grèce, la situation est plus contrariante pour la BCE car Syriza, la coalition de gauche radicale qui promet d’abroger les mesures d’austérité, de suspendre le remboursement de la dette et de braver les autorités européennes, risque de remporter une victoire électorale. Pour les tenants de l’austérité européenne, il faut empêcher cela à tout prix. Le soir du 17 juin 2012, c’est le soulagement à la BCE, au siège des gouvernements européens et dans les conseils d’administration des grandes entreprises : le parti de droite Nouvelle Démocratie devance Syriza. Même le nouveau président socialiste français se réjouit du résultat du scrutin. Et le lendemain, les marchés respirent. On peut continuer la route de l’austérité, de la stabilisation de la zone euro et de l’assainissement des comptes des banques privées.

    Eric Toussaint http://www.mondialisation.ca

    ( à suivre ) La partie 3 de cette série portera sur les deux objectifs principaux poursuivis par les dirigeants européens : Mener à bien la plus grande offensive contre les droits sociaux depuis la seconde guerre mondiale et éviter un nouveau krach financier / bancaire qui pourrait se révéler pire que celui de septembre 2008 

    Notes

    |1| La Banque d’Angleterre et d’autres banques centrales suivent grosso modo la même politique.

    |2| Dès août 2011, j’ai décrit cette situation à un moment où très peu de commentateurs financiers en parlaient. Voir la série intitulée « Dans l’œil du cyclone : la crise de la dette dans l’Union européenne » : « Elles (= les banques européennes) ont financé et elles financent encore leurs prêts aux Etats et aux entreprises en Europe via des emprunts qu’elles effectuent auprès des money market funds des Etats-Unis. Or ceux-ci ont pris peur de ce qui se passait en Europe (…). A partir de juin 2011, cette source de financement à bas taux d’intérêt s’est presque tarie, en particulier aux dépens des grandes banques françaises, ce qui a précipité leur dégringolade en Bourse et augmenté la pression qu’elles exerçaient sur la BCE pour qu’elle leur rachète des titres et donc leur fournisse de l’argent frais. En résumé, nous avons là aussi la démonstration de l’ampleur des vases communiquant entre l’économie des Etats-Unis et celle des pays de l’UE. D’où les contacts incessants entre Barack Obama, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, la BCE, le FMI… et les grands banquiers de Goldman Sachs à BNP Paribas en passant par la Deutsche Bank… Une rupture des crédits en dollars dont bénéficient les banques européennes peut provoquer une très grave crise sur le vieux continent, de même qu’une difficulté des banques européennes à rembourser les prêteurs états-uniens peut précipiter une nouvelle crise à Wall Street. » (Dans l’œil du cyclone : la crise de la dette dans l’Union européenne, 26 août 2011). Une étude récente de la banque Natixis confirme la détresse qu’ont connue les banques françaises pendant l’été 2011 : Flash Economie, « Les banques françaises dans la tourmente des marchés monétaires », 29 octobre 2012. On y lit : « De juin à novembre 2011, les fonds monétaires américains ont subitement retiré la plus grande part de leurs financements aux banques françaises. (…) C’est jusqu’à 140 Mds USD de financements à court terme qui ont fait défaut aux banques françaises à fin novembre 2011, sans qu’aucune ne soit épargnée. » (http://cib.natixis.com/flushdoc.asp…). Cette fermeture de robinet a touché également la plupart des autres banques européennes, comme le montre également cette étude publiée par Natixis.

    |3| GAO, “Federal Reserve System, Opportunities Exist to Strengthen Policies and Processes for Managing Emergency Assistance”, juillet 2011, http://www.gao.gov/assets/330/321506.pdf. Ce rapport de la Cour des Comptes (GAO = United States Government Accountability Office) a été réalisé grâce à un amendement à la loi Dodd-Frank (voir plus loin) introduit par les sénateurs Ron Paul, Alan Grayson et Bernie Sanders en 2010. Bernie Sanders, sénateur indépendant, l’a rendu public (http://www.sanders.senate.gov/imo/m… ). Par ailleurs, selon une étude indépendante de l’Institut Levy auquel collaborent des économistes comme Joseph Stiglitz, Paul Krugman et James K Galbraith, les crédits de la Fed auraient atteint un montant plus élevé que celui révélé par le GAO. Ce ne serait pas 16 000 milliards de dollars, mais 29 000 milliards de dollars. Voir James Felkerson, “$29,000,000,000,000 : A Detailed Look at the Fed’s Bailout by Funding Facility and Recipient », www.levyinstitute.org/pubs/w…

    |4| “The CEO of JP Morgan Chase served on the New York Fed’s board of directors at the same time that his bank received more than $390 billion in financial assistance from the Fed. Moreover, JP Morgan Chase served as one of the clearing banks for the Fed’s emergency lending programs.”, http://www.sanders.senate.gov/newsr…

    |5|  Michel Rocard et Pierre Larrouturou, : « Pourquoi faut-il que les Etats payent 600 fois plus que les banques ? », Le Monde, 3 janvier 2012 http://www.larrouturou.net/2012/01/…

    |6| Voir notamment le rapport du GAO mentionné plus haut à la page 196 qui atteste de prêts à Dexia pour un montant de 53 milliards de dollars, ce qui représente seulement une partie des prêts dont a bénéficié Dexia de la part de la Fed. http://www.gao.gov/assets/330/321506.pdf

    |7| Financial Times, “Banks plot early repayment of ECB crisis loans », 15 novembre 2012, p. 25.

    |8| D’après le quotidien financier espagnol El Economista, http://www.eleconomista.es/espana/n…

    |9| Financial Times, ibid.

    |10| Voir http://www.bancaditalia.it/statisti…, tableau 2.1a.

    |11| Mario Draghi est devenu président de la BCE le 1er novembre 2011.

    |12| Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_…. Voir aussi Alain Salles et Benoït Vitkine, « Fatalisme face à un sauvetage échangé contre une perte de souveraineté », Le Monde, 22 février 2012, http://www.forumfr.com/sujet448690-….

    |13| Mario Monti, premier ministre depuis le 13 novembre 2011, a été nommé sénateur à vie par le Président de la République Giorgio Napolitano. À l’occasion de sa nomination, il a quitté différents postes de responsabilité : la présidence de la plus prestigieuse université privée italienne, la Bocconi, et celle du département Europe de la Trilatérale, un des plus importants cénacles de l’élite oligarchique internationale, sa participation au comité de direction du puissant club Bilderberg et la présidence du think tank néolibéral Bruegel. Monti était conseiller international de Goldman Sachs de 2005 au 2011 (en qualité de membre du Research Advisory Council du Goldman Sachs Global Market Institute), il a été nommé commissaire européen au Marché intérieur (1995-1999) puis commissaire européen à la Concurrence à Bruxelles (1999-2004). Il a été membre du Senior European Advisory Council de Moody’s, conseiller de Coca Cola, il est encore un des présidents du Bussiness and Economics Advisory Group de l’Atlantic Council (un think tank américain qui promeut le leadership US) et fait partie du præsidium de Friends of Europe, think tank influent basé à Bruxelles.

    |14| A l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque.

    |15| Lors d’un sommet européen réuni le 21 juin 2012, il a été décidé que le MES serait également utilisé pour sauver des banques. A l’époque, cela a été présenté par Mariano Rajoy comme une victoire permettant à l’Espagne d’échapper à de nouvelles conditionnalités imposées par la Commission européenne ou par la Troïka. Rajoy a expliqué que l’aide qui serait octroyée par le MES aux banques espagnoles ne serait pas comptabilisée dans la dette publique espagnole, ce que les dirigeants de plusieurs pays de la zone euro (Allemagne, Pays-Bas, Finlande…) ont contesté, tout comme le FMI. A la fin novembre 2012, il n’y avait toujours pas de consensus sur cette question.

  • 2007-2012 : 6 années qui ébranlèrent les banques

    Série : Banques contre Peuples : les dessous d’un match truqué ! (1ère partie)

    Depuis 2007-2008, les grandes banques centrales (BCE, Banque d’Angleterre, Fed aux Etats-Unis, Banque de Suisse) donnent la priorité absolue à tenter d’éviter un effondrement du système bancaire privé. Contrairement au discours dominant, le risque principal qui menace les banques n’est pas la suspension du paiement de la dette souveraine |1| par un Etat. Aucune des faillites bancaires depuis 2007 n’a été provoquée par un tel défaut de paiement. Aucun des sauvetages bancaires organisés par les Etats n’a été rendu nécessaire par une suspension de paiement de la part d’un Etat surendetté. Ce qui menace les banques depuis 2007, c’est le montage de dettes privées qu’elles ont progressivement construit depuis la grande dérèglementation qui a commencé à la fin des années 1970 et qui s’est achevée au cours des années 1990. Les bilans des banques privées sont toujours bourrés d’actifs |2| douteux : cela va d’actifs carrément toxiques qui constituent de véritables bombes à retardement à des actifs non liquides (c’est-à-dire qui ne peuvent pas être revendus, écoulés, sur les marchés financiers) en passant par des actifs dont la valeur est tout à fait surfaite dans les bilans bancaires. Les ventes et les dépréciations d’actifs que les banques ont jusqu’ici enregistrées dans leurs comptes afin de réduire le poids de ces actifs explosifs ne suffisent pas. Un nombre significatif d’entre elles dépendent d’un financement à court terme (fournis ou garantis par les pouvoirs publics avec l’argent des contribuables) pour se maintenir à flot |3| et pour faire face à des dettes elles-mêmes à court terme. C’est ce qui a mis la banque franco-belge Dexia, véritable hedge fund de très grande taille, trois fois au bord de la faillite en 4 ans : octobre 2008, octobre 2011 |4| et octobre 2012 |5|. Au cours de l’épisode le plus récent, début novembre 2012, les Etats français et belges ont apporté une aide de 5,5 milliards d’euros (dont 53 % à la charge de la Belgique) pour recapitaliser Dexia SA, société financière moribonde, dont les fonds propres ont fondu. Selon Le Soir : « Les capitaux propres de Dexia maison-mère sont passés de 19,2 milliards à 2,7 milliards d’euros entre fin 2010 et fin 2011. Et au niveau du groupe, les fonds propres totaux sont devenus négatifs (-2,3 milliards d’euros au 30 juin 2012) » |6|. Fin 2011, les dettes immédiatement exigibles de Dexia SA s’élevaient à 413 milliards d’euros et les montants dus au titre de contrats de dérivés à 461 milliards d’euros. La somme de ces deux montants représentait plus de 2,5 fois le PIB de la Belgique ! Pourtant les dirigeants de Dexia, le vice-premier ministre belge Didier Reynders et les médias dominants prétendent encore que le problème de Dexia SA est largement provoqué par la crise des dettes souveraines dans le sud de la zone euro. La vérité, c’est que les créances de Dexia SA sur la Grèce ne dépassaient pas 2 milliards d’euros en octobre 2011, soit 200 fois moins que les dettes immédiatement exigibles. En octobre 2012, l’action Dexia valait environ 0,18 euro, soit 100 fois moins qu’en septembre 2008. Malgré cela, les Etats français et belge ont décidé une fois de plus de renflouer cette société de défaisance en faisant du coup augmenter la dette publique de leur pays. En Espagne, la quasi faillite de Bankia a également été causée par des montages financiers douteux, et non pas par un quelconque défaut de paiement de la part d’un Etat. Depuis 2008, le scénario s’est répété une bonne trentaine de fois en Europe et aux Etats-Unis : à chaque fois, les pouvoirs publics se sont mis (et se mettent systématiquement) au service des banques privées en finançant leur sauvetage par l’emprunt public.

    Retour sur le démarrage de la crise en 2007

    Le montage gigantesque de dettes privées a commencé à s’effondrer avec l’éclatement de la bulle spéculative dans l’immobilier aux Etats-Unis (suivi par l’immobilier en Irlande, au Royaume-Uni, en Espagne,…). La bulle immobilière a éclaté aux Etats-Unis quand les prix des logements produits en trop grande quantité ont commencé à chuter car de plus en plus de constructions ne trouvaient plus d’acquéreurs.

    Les explications tronquées ou carrément mensongères de la crise qui a éclaté aux Etats-Unis en 2007, avec un énorme effet de contagion vers l’Europe occidentale principalement, ont prévalu dans les interprétations données par les médias dominants. Régulièrement en 2007 et durant une bonne partie de 2008, on a expliqué à l’opinion publique que la crise avait démarré aux Etats-Unis parce que les pauvres s’étaient trop endettés pour acquérir des maisons qu’ils n’étaient pas en mesure de payer. Le comportement irrationnel des pauvres était pointé du doigt comme ayant provoqué la crise. A partir de fin septembre 2008, après la faillite de Lehman Brothers, le discours dominant a changé et a commencé à pointer les brebis galeuses qui au sein de monde de la finance avaient perverti le fonctionnement vertueux du capitalisme. Mais il n’en reste pas moins que les mensonges ou les présentations tronquées ont continué à circuler. On passait des pauvres responsables de la crise aux pommes pourries présentes dans la classe capitaliste : Bernard Madoff, qui a monté une arnaque de 50 milliards de dollars ou Richard Fuld, le patron de Lehman Brother.

    Les prémisses de la crise remontent à 2006 lorsque débute aux Etats-Unis la chute du prix de l’immobilier provoquée par la surproduction, elle-même provoquée par la bulle spéculative qui en enflant le prix de l’immobilier avait amené le secteur de la construction à augmenter exagérément son activité par rapport à la demande solvable. C’est la chute du prix de l’immobilier qui a entraîné l’augmentation du nombre de ménages incapables de payer leurs mensualités de crédits hypothécaires subprimes. En effet, aux Etats-Unis, les ménages ont la possibilité et la coutume, quand les prix de l‘immobilier sont à la hausse, de refinancer leur emprunt hypothécaire au bout de 2 ou 3 ans afin d’obtenir des termes plus favorables (d’autant que dans le secteur des prêts subprimes, le taux des 2 ou 3 premières années était faible et fixe, autour de 3%, avant de grimper très fort et de devenir variable à la 3 ou 4e année). Vu que les prix de l’immobilier ont commencé à baisser dès 2006, les ménages qui avaient eu recours aux prêts subprimes n’ont plus été en mesure de refinancer favorablement leur crédit hypothécaire, les défauts de paiement ont commencé à se multiplier très fortement dès le début de 2007 ce qui a provoqué la faillite de 84 sociétés de crédit hypothécaire aux Etats-Unis entre janvier et août 2007.

    Comme très souvent, alors que la crise est expliquée de manière simpliste par l’éclatement d’une bulle spéculative, en réalité, il faut chercher la cause à la fois dans le secteur de la production et dans la spéculation. Bien sûr, le fait qu’une bulle spéculative ait été créée et ait fini par éclater ne fait que démultiplier les effets de la crise qui a démarré dans la production. Tout l’échafaudage des prêts subprimes et des produits structurés créés depuis le milieu des années 1990 s’est effondré, ce qui a eu de terribles retombées sur la production dans différents secteurs de l’économie réelle. Les politiques d’austérité ont par la suite encore amplifié le phénomène en débouchant sur la période récessive-dépressive prolongée dans laquelle l’économie des pays les plus industrialisés se trouve enlisée.

    L’impact de la crise de l’immobilier aux Etats-Unis et de la crise bancaire qui lui succéda a eu un énorme effet de contagion internationale car de nombreuses banques européennes avaient massivement investi dans les produits structurés et dérivés états-uniens. Depuis les années 1990, la croissance aux Etats-Unis et dans plusieurs économies européennes a été soutenue par une hypertrophie du secteur financier privé et par une augmentation formidable des dettes privées : dettes des ménages |7| , dettes des entreprises financières et non financières. En revanche, les dettes publiques ont eu tendance à baisser entre la deuxième moitié des années 1990 et 2007-2008.

    Hypertrophie du secteur financier privé, donc. Le volume des actifs des banques privées européennes en rapport au produit intérieur brut a gonflé de manière extraordinaire à partir des années 1990 pour atteindre dans l’Union européenne 3,5 fois le PIB des 27 pays membres de l’UE en 2011 |8| . En Irlande, en 2011, les actifs des banques représentaient 8 fois le produit intérieur brut du pays.

    Les dettes des banques privées |9| de la zone euro représentent également 3,5 fois le PIB de la zone. Les dettes du secteur financier britannique atteignent des sommets en proportion du PIB : elles lui sont 11 fois supérieures La dette brute des Etats de la zone euro représentait 86% du PIB des 17 pays membres en 2011 |10| tandis que la dette publique représente environ 80% du PIB. La dette publique grecque représentait 162% du PIB grec en 2011 tandis que les dettes de son secteur financier représentent 311% du PIB, soit le double. La dette publique espagnole atteignait 62% du PIB en 2011 tandis que les dettes du secteur financier atteignaient 203%, soit le triple de la dette publique.

    Un peu d’histoire : la mise en place d’une réglementation financière stricte à la suite de la crise des années 1930

    Le krach de Wall Street en octobre 1929, l’énorme crise bancaire de 1933 et la période prolongée de crise économique aux Etats-Unis et en Europe des années 1930 ont amené le président Franklin Roosevelt, et par la suite l’Europe, à fortement réglementer le secteur financier afin d’éviter la répétition de graves crises boursières et bancaires. Conséquence : au cours des trente années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, le nombre de crises bancaires a été minime. C’est ce que montrent deux économistes néolibéraux nord-américains, Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, dans un livre publié en 2009 et intitulé Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière. Kenneth Rogoff a été économiste en chef du FMI et Carmen Reinhart, professeur d’université, est conseillère du FMI et de la Banque mondiale. Selon ces deux économistes qui sont tout sauf favorables à une remise en cause du capitalisme, la quantité très réduite de crises bancaires s’explique principalement « par la répression des marchés financiers intérieurs (à des degrés divers), puis par un recours massif aux contrôles des capitaux pendant bien des années après la seconde guerre mondiale |11| » .

    Une des mesures fortes prises par Roosevelt et par les gouvernements d’Europe (notamment sous la pression des mobilisations populaires en Europe après la Libération) a consisté à limiter et à règlementer strictement l’usage que les banques pouvaient faire de l’argent du public. Ce principe de protection des dépôts a donné lieu à la séparation entre banques de dépôt et banques d’investissement dont la loi américaine dite Glass Steagall Act a été la forme la plus connue mais qui a été appliquée également avec certaines variantes dans les pays européens.

    Avec cette séparation, seules les banques commerciales pouvaient recueillir les dépôts du public qui bénéficiaient d’une garantie de l’Etat. Parallèlement à cela, leur champ d’activités avait été réduit aux prêts aux particuliers et aux entreprises, et excluait l’émission de titres, d’actions et de tout autre instrument financier. Les banques d’investissement devaient, quant à elles, capter leurs ressources sur les marchés financiers afin de pouvoir émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.

    La dérèglementation financière et le virage néolibéral

    Le virage néolibéral de la fin des années 1970 a remis en cause ces règlementations. Au bout d’une vingtaine d’années, la déréglementation bancaire et financière en général a été achevée. Comme le relèvent Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, les crises bancaires et boursières se sont multipliées à partir des années 1980, elles ont également pris des formes de plus en plus aigües.
    Dans le modèle traditionnel hérité de la période prolongée de règlementation, les banques évaluent et portent le risque, c’est-à-dire qu’elles analysent les demandes de crédit, décident ou non de les satisfaire, et, une fois les prêts consentis, les conservent dans leur bilan jusqu’à leur terme (on parle ici du modèle originate and hold, « octroyer et conserver »).

    Profitant du profond mouvement de dérèglementation qu’elles ont suscité, les banques ont abandonné le modèle « octroyer et conserver » pour augmenter le rendement sur fonds propres. Pour ce faire, les banques ont inventé de nouveaux procédés, en particulier la titrisation qui consiste à transformer des crédits bancaires en titres financiers. L’objectif poursuivi était simple : ne plus conserver dans leurs comptes les crédits et les risques y afférents. Elles ont transformé ces crédits en titres sous la forme de produits financiers structurés qu’elles ont vendus à d’autres banques ou à d’autres institutions financières privées. On parle ici d’un nouveau modèle bancaire dit originate to distribute, « octroyer et céder », appelé également originate repackage and sell, « octroyer, restructurer et vendre ». Pour la banque, l’avantage est double : elle diminue son risque en sortant de son actif les crédits qu’elle a consentis et elle dispose de moyens supplémentaires pour spéculer.

    La dérèglementation a permis au secteur financier privé et notamment aux banques de faire jouer fortement ce qu’on appelle l’effet de levier. Xavier Dupret décrit clairement le phénomène : « Le monde bancaire s’est beaucoup endetté, ces dernières années, via ce que l’on appelle les effets de levier. L’effet de levier consiste à recourir à l’endettement pour augmenter la rentabilité des capitaux propres. Et pour qu’il fonctionne, il faut que le taux de rentabilité du projet sélectionné soit supérieur au taux d’intérêt à verser pour la somme empruntée. Les effets de levier sont devenus de plus en plus importants avec le temps. Ce qui n’est évidemment pas sans poser problème. Ainsi, au printemps 2008, les banques d’investissement de Wall Street avaient des effets de levier qui oscillaient entre 25 et 45 (pour un dollar de fonds propres, elles avaient emprunté entre 25 et 45 dollars). Ainsi, Merrill Lynch avait un effet de levier de 40. Cette situation était évidemment explosive car une institution qui a un effet de levier de 40 pour 1 voit ses fonds propres effacés avec une baisse de 2,5% (soit 1/40) de la valeur des actifs acquis. » |12|Grâce à la dérèglementation, les banques ont pu développer des activités impliquant des volumes gigantesques de financement (et donc de dettes) sans les prendre en compte dans leur bilan comptable. Elles font du hors bilan à un point tel qu’en 2011 le volume des activités en question dépasse 67 000 milliards de dollars (ce qui équivaut environ à la somme des PIB de tous les pays de la planète) : c’est ce qu’on appelle l’activité bancaire de l’ombre, le shadow banking |13|. Quand l’activité hors bilan aboutit à des pertes massives, cela se répercute tôt ou tard sur la santé des banques qui les ont initiées. Ce sont les grandes banques qui dominent de très loin cette activité de l’ombre.

    La menace de la faillite amène les Etats à se porter à leur secours notamment en les recapitalisant. Alors que les bilans officiels des banques ont enregistré une réduction de volume depuis le début de la crise en 2007-2008, le volume du hors bilan, le shadow banking, n’a pas suivi la même évolution. Après avoir décliné entre 2008 et 2010, il est revenu en 2011-2012 au niveau de 2006-2007, ce qui est un symptôme clair de la dangerosité de la situation des finances privées mondiales. Du coup, la portée de l’action des institutions publiques nationales et internationales qui sont en charge, pour reprendre leur vocabulaire, de ramener la finance à des comportements plus responsables est très limitée. Les régulateurs ne se donnent même pas les moyens de connaître les activités réelles des banques qu’ils sont censés contrôler.

    Le Conseil de stabilité financière (CSF), l’organe érigé par le forum du G20 en charge de la stabilité financière mondiale, a livré les chiffres 2011. « La taille du ‘shadow banking’ échappant à toute régulation est de 67.000 milliards de dollars selon son rapport consacré à 25 pays (90% des actifs financiers mondiaux). Ce sont 5.000 à 6.000 milliards de plus qu’en 2010. Ce secteur ‘parallèle’ représente à lui seul la moitié de la taille des actifs totaux des banques. Rapportée au Produit Intérieur Brut du pays, la banque de l’ombre prospère à Hong-Kong (520%), aux Pays-Bas (490%), au Royaume-Uni (370%), à Singapour (260%) et en Suisse (210%). Mais, en terme absolu, les Etats-Unis restent en première position puisque la part de ce secteur parallèle représente 23.000 milliards d’actifs en 2011, suivi de la zone euro (22.000 milliards) et du Royaume-Uni (9.000 milliards). »  |14|

    Une grande partie des transactions financières échappe totalement au contrôle officiel. Comme dit précédemment, le volume de l’activité bancaire de l’ombre représente la moitié de la taille des actifs totaux des banques ! Il faut également prendre la mesure du marché de gré à gré (OTC) – c’est-à-dire sans contrôle de la part des autorités des marchés – des produits financiers dérivés. Le volume des produits dérivés s’est développé de manière exponentielle entre les années 1990 et les années 2007-2008. Bien qu’elle ait un peu décliné au début de la crise, la valeur notionnelle des contrats de dérivés sur le marché de gré à gré a atteint en 2011 la somme astronomique de 650 000 milliards de dollars (650 000 000 000 000 $), soit environ 10 fois le PIB mondial. Le volume du 2e semestre de 2007 est dépassé et celui du premier semestre 2008 est en vue… Les swaps sur les taux d’intérêts représentent 74% du total tandis que les dérivés sur le marché des devises représentent 8%, les Credit default swaps (CDS) 5%, les dérivés sur les actions 1%, le reste se répartissant en une multitude de produits.

    Depuis 2008, les sauvetages bancaires n’ont pas débouché sur des comportements plus responsables

    La crise financière de 2007 a vu les banques, pourtant coupables d’agissements répréhensibles et de prises de risque inconsidéré, bénéficier de massives injections de fonds à travers de nombreux et coûteux plans de sauvetage. Dans une étude très documentée |15| , deux chercheurs se sont attachés à vérifier « si les opérations de sauvetage public ont été suivies par une plus grande réduction de risques dans les nouveaux prêts consentis par les banques secourues par rapport à celles qui ne l’ont pas été ». Pour ce faire, les auteurs ont analysé le bilan et les prêts syndiqués (il s’agit des crédits consentis à une entreprise par plusieurs banques) accordés par 87 grandes banques commerciales internationales. Les auteurs ont relevé que « les banques aidées ont continué à signer des prêts syndiqués à risques » en observant que « les prêts syndiqués des banques qui avaient bénéficié d’un renflouement par la suite étaient plus risqués avant la crise que ceux des institutions non aidées ». Loin de constituer un remède et un garde-fou efficace contre les errements des banques, les plans de sauvetages des Etats ont au contraire constitué pour nombre d’entre elles un puissant incitateur à la poursuite et à l’intensification de leurs pratiques coupables. En effet, « la perspective d’un soutien de l’Etat peut entraîner un aléa moral et amener les banques à une plus grande prise de risque » |16| .

    En somme, une grave crise des dettes privées provoquée par les agissements irresponsables des grandes banques a ensuite poussé les dirigeants états-uniens et européens à leur venir en aide grâce aux fonds publics. La musique lancinante de la crise des dettes souveraines a alors pu être entonnée pour imposer des sacrifices brutaux aux peuples. La déréglementation financière des années 1990 a été le terreau fertile pour cette crise aux conséquences sociales dramatiques. Tant qu’ils ne materont pas la finance internationale, les peuples seront à sa merci. Ce combat doit être intensifié au plus vite.

    Éric Toussaint http://www.mondialisation.ca

    Notes

    |1| La dette souveraine est la dette d’un Etat et des organismes publics qui lui sont rattachés.

    |2| En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (capitaux propres apportés par les associés, provisions pour risques et charges, dettes). Voir : http://www.banque-info.com/lexique-…

    |3| De nombreuses banques dépendent d’un financement à court terme car elles éprouvent d’énormes difficultés à emprunter au secteur privé à un coût soutenable (c’est-à-dire le plus bas possible) notamment sous la forme d’émission de titres de dette.
    Comme nous le verrons plus loin, la décision de la BCE de prêter un peu plus de 1000 milliards d’euros à un taux d’intérêt de 1% pour une période de 3 ans à plus de 800 banques européennes a constitué une planche de salut pour un grand nombre d’entre elles. Par la suite, grâce à ces prêts de la BCE, les plus fortes d’entre elles ont de nouveau eu la possibilité d’émettre des titres de dette pour se financer. Cela n’aurait pas été le cas si la BCE n’avait pas joué le prêteur en dernier ressort et ce pour 3 ans.

    |4| Sur l’épisode d’octobre 2011, voir Eric Toussaint, « Krach de Dexia : un effet domino en route dans l’UE ? », 4 octobre 2011, http://cadtm.org/Krach-de-Dexia-un-…

    |5| Sur l’épisode d’octobre 2012 qui a abouti à un nouveau sauvetage sous la forme d’une recapitalisation, voir Eric Toussaint, « Fallait-il à nouveau injecter de l’argent dans Dexia ? », Le Soir, 2 novembre 2012, http://cadtm.org/Fallait-il-a-nouve… ; voir également : CADTM, « Pour sortir du piège des recapitalisations à répétition, le CADTM demande l’annulation des garanties de l’Etat belge aux créanciers du groupe Dexia », 31 octobre 2012, http://cadtm.org/Pour-sortir-du-pie… ; CADTM, « Pourquoi le CADTM introduit avec ATTAC un recours en annulation de l’arrêté royal octroyant une garantie de 54 milliards d’euros (avec en sus les intérêts et accessoires) à Dexia SA et Dexia Crédit Local SA », 22 décembre 2011, http://cadtm.org/Pourquoi-le-CADTM-…

    |6| Pierre-Henri Thomas, Bernard Demonty, Le Soir, 31 octobre 2012, p. 19, http://archives.lesoir.be/dexia-ser…

    |7| Les dettes des ménages incluent les dettes que les étudiants américains ont contractées pour payer leurs études. Les dettes des étudiants aux Etats-Unis atteignent le montant colossal de 1 000 milliards de dollars, c’est-à-dire plus que le total des dettes extérieures publiques de l’Amérique latine (460 milliards de dollars), de l’Afrique (263 milliards) et de l’Asie du Sud (205 milliards). Voir pour le montant des dettes de ces « continents » : Damien Millet, Daniel Munevar, Eric Toussaint, Les Chiffres de la dette 2012, tableau 7, p. 9. Téléchargeable : http://cadtm.org/Les-Chiffres-de-la…

    |8| Voir Damien Millet, Daniel Munevar, Eric Toussaint, Les Chiffres de la dette 2012, tableau 30, p. 23. Ce tableau se base sur des données de la Fédération européenne du secteur bancaire, http://www.ebf-fbe.eu/index.php?pag…. Voir également Martin Wolf, « Liikanen is at least a step forward for EU banks », Financial Times, 5 octobre 2012, p. 9.

    |9| Les dettes des banques ne doivent pas être confondues avec leurs actifs, elles font partie de leur « passif ». Voir plus haut la note de bas de page sur « Actif » et « Passif » des banques.

    |10| Voir Damien Millet, Daniel Munevar, Eric Toussaint, Les Chiffres de la dette 2012, tableau 24, p. 18. Ce tableau utilise la base de données de recherche de Morgan Stanley, ainsi que http://www.ecb.int/stats/money/aggr… et
    http://www.bankofgreece.gr/Pages/en…

    |11| Carmen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Pearson, Paris, 2010. Edition originale en 2009 par Princeton University Press.

    |12| Xavier Dupret, « Et si nous laissions les banques faire faillite ? », 22 août 2012, http://www.gresea.be/spip.php?artic…

    |13| Voir Daniel Munevar, « Les risques du système bancaire de l’ombre », 21 avril 2012, http://cadtm.org/Les-risques-du-sys…
    Voir aussi : Tracy Alloway, “Traditional lenders shiver as shadow banking grows”, Financial Times, 28 décembre 2011

    |14| Voir Richard Hiault, « Le monde bancaire « parallèle » pèse 67.000 milliards de dollars », Les Echos, 18 novembre 2012, http://www.lesechos.fr/entreprises-…

    |15| Michel Brei et Blaise Gadanecz, “Have bailouts made banks’loan book safer ?”, Bis Quaterly Review, september 2012, pp. 61-72. Les citations de ce paragraphe en sont issues.

    |16| Ibid.

    L’auteur remercie Patrick Saurin, Daniel Munevar, Damien Millet et Virginie de Romanet pour l’aide qu’ils ont apportée à l’élaboration de cet article.

    Eric Toussaint, maître de conférence à l’université de Liège, est président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org) et membre du conseil scientifique d’ATTAC France. Il a écrit, avec Damien Millet, AAA. Audit Annulation Autre politique, Seuil, Paris, 2012.

     

  • Europe : le temps joue pour le populisme

    1. LE POPULISME : UNE DISSIDENCE POLITIQUE POPULAIRE
    Le populisme est une attitude politique et électorale qui conduit les électeurs à se recentrer sur des notions sous-jacentes à l'identité et aux libertés nationales et à se détacher des « partis de gouvernement » qui se partagent le pouvoir en Europe ; pouvoir que ces partis exercent dans le sens des intérêts de l'hyperclasse mondiale et de son idéologie dominante, l'idéologie mondialiste et antiraciste qui la conforte.
    En ce sens et contrairement à certaines interprétations sommaires, au-delà des attitudes verbales, il n'y a guère de populisme de gauche ou d'extrême gauche en Europe, car ces partis ne contestent pas l'ordre idéologique dominant ; bien au contraire, ils en sont souvent les chiens de garde, ce qui explique d'ailleurs la bienveillance des grands média à leur égard. Les populistes, eux, ne croient pas aux bienfaits de la mondialisation ; a contrario, ils jugent que les frontières sont utiles pour protéger l'économie et l'emploi des excès du libre-échange mondial et de l'immigration. Les populistes refusent la culpabilisation des peuples européens et des sentiments patriotiques tout autant que l'antiracisme officiel qui impose une immigration toujours plus nombreuse et de moins en moins bien intégrée.
    Les populistes n'acceptent pas que les élites dominantes imposent au peuple la rupture de la société avec ses racines culturelles et ses valeurs traditionnelles ; en ce sens, le populisme, c'est le peuple qui se révolte contre la « révolte des élites », si bien analysée par Christopher Lasch. La « révolte des élites » conduit celles-ci à rejeter les règles des sociétés traditionnelles et à imposer des normes inversées où l'interdit d'hier devient l'obligation d'aujourd'hui. La « révoltes des élites » est le fait sociologique marquant des quarante années de l'après-68. Le populisme s'inscrit clairement en rupture avec cette tendance.
    Les populistes rejettent aussi l'excès d'interventions publiques : que celles-ci soient le fait d'un État providence toujours plus coûteux ou de réglementations européennes de plus en plus pesantes.
    Prenant racine dans des pays européens différents, les populismes expriment des particularismes nationaux et locaux qui leur sont propres ; en ce sens, chaque populisme est singulier, mais tous se retrouvent dans une expression populaire et électorale qui tourne partout autour des cinq « I » :
    - moins d'Immigration,
    - moins d'Islamisation,
    - moins d'Impôts,
    - plus d'Identité,
    - plus d'Indépendance.
    2. LE POPULISME : UNE CAUSE DIFFICILE ET SOUVENT DÉCEVANTE POUR SES PARTISANS
    Le populisme a trouvé une expression électorale significative depuis plus de vingt ans dans de très nombreux pays d'Europe de l'Ouest : ainsi en France, en Belgique (Flandre), en Italie, aux Pays-Bas, en Suisse, au Danemark, en Suède, en Norvège, en Autriche, les mouvements de dissidence populiste ont couramment rassemblé entre 10 et 30 % des suffrages. Néanmoins, ces résultats n'ont nulle part permis d'avancées décisives, ce qui peut conduire les pessimistes à croire que la cause du populisme est désespérée : en effet, les victoires dans les urnes n'ont pas toujours des conséquences politiques durables et permettent rarement de tenir les promesses faites aux électeurs. Le succès électoral ne garantit pas l'accès au pouvoir. Trois exemples :
    — En 2001, lors des élections municipales en Flandre, le Vlaams Blok devient le premier parti d'Anvers et rassemble plus de 33 % des suffrages ; mais il est écarté du pouvoir par une coalition de tous les autres partis, extrême gauche comprise. Quatre ans plus tard, il stagne : certes, le Vlaams Blok a encore progressé au sein de l'électorat flamand (38 % de votants sans les « nouveaux Belges »), mais ses adversaires ont bénéficié d'une mobilisation du vote immigré des seconde et troisième générations. Quand le peuple-population correspond de moins en moins au peuple-nation, cela affaiblit localement le potentiel électoral populiste.
    — En 2007, en Suisse, l'Union démocratique du centre (UDC), appelée aussi Schwizerische Volkspartei (SVP), progresse encore par rapport à ses excellents résultats précédents : de 26,6 % aux élections législatives de 2003, l’UDC passe à 29 %. Mais ce succès remarquable a pour conséquence l'exclusion de l’UDC du gouvernement ; une instance décisive pourtant composée traditionnellement à la proportionnelle des formations principales selon « la formule magique », appliquée constamment en Suisse depuis 1959 (NDLR. Le 10 décembre dernier, l'UDC a fait son retour au gouvernement en la personne de Ueli Maurer, un proche de Blocher.)
    — En 2008, en Autriche, les deux partis populistes, le Parti libéral (FPÛ) et l'Alliance pour l'avenir de l'Autriche (BZÔ) arrivent en tête du scrutin législatif et totalisent 29 % des suffrages ; pourtant, cela ne permet pas à ces deux partis d'accéder au gouvernement. Bien au contraire, ils en sont exclus et le nouvel exécutif autrichien en cours de constitution début décembre 2008 réunit comme le précédent gouvernement les deux formations sortantes ; et les partis chrétiens démocrates et socialistes, pourtant sanctionnés par les électeurs qu'ils avaient convoqués pour arbitrer leurs désaccords, se partagent à nouveau le pouvoir.
    L'accès au pouvoir est précaire Là aussi, trois exemples :
    —En France, les villes conquises par le Front National en 1989 ou en 1995 ont toutes été perdues, à la seule exception d'Orange.
    —En Italie, la participation de la Ligue du Nord au premier gouvernement Berlusconi s'est terminée rapidement et a été suivie par un net recul électoral ; quant à la nouvelle expérience en cours, il est évidemment trop tôt pour en juger.
    —En Autriche, le FPÔ est sorti divisé et fortement affaibli de sa participation à un gouvernement de coalition avec les chrétiens-démocrates en 1999.
    Néanmoins, en Autriche et en Italie, les mouvements populistes dirigent durablement des collectivités territoriales telles que le Land de Carinthie, des provinces du nord de l'Italie ou les villes de Novare, de Vérone et de... Lampedusa.
    La participation des populistes à des gouvernements nationaux ou locaux ne garantit pas la mise en œuvre des mesures souhaitées par les électeurs
    Nulle part il n'a pu être observé de ruptures majeures avec les politiques antérieures ; partout, les réglementations européennes ont continué de progresser (y compris en Suisse !) ; partout, le libre-échange mondial s'est étendu (y compris progressivement aux secteurs traditionnellement protégés, comme l'agriculture) ; partout, l'immigration s'est poursuivie. Même au Danemark, où le Parti du Peuple danois, sans être associé au gouvernement, appartient depuis plusieurs législatures à la majorité parlementaire et pèse sur les décisions, le flux de l’immigration s'est ralenti de moitié mais ne s'est pas arrêté.
    3. LES DIFFICULTÉS DES POPULISTES PROVIENNENT DE LEUR OPPOSITION FRONTALE A L'IDÉOLOGIE DOMINANTE
    De demi-succès en demi-échecs, d'avancées suivies de recul, les mouvements populistes connaissent une histoire chaotique. Il est tentant d'attribuer cette situation décevante pour leurs partisans aux faiblesses des hommes qui dirigent les mouvements populistes ; par leurs comportements et leurs propos, ils se rendraient "infréquentables" et susciteraient la division de leurs propres soutiens. Dans tel ou tel pays et à tel ou tel moment, il peut, certes, y avoir une part de vérité dans cette analyse. Mais là n'est pas l'essentiel. La difficulté majeure des populistes vient de ce qu'ils sont et de ce qu'ils défendent. Ils s'opposent à l'ordre établi par les puissances dominantes : grandes institutions internationales, grandes entreprises mondiales, grandes administrations, grands média.
    Les populistes livrent donc une bataille asymétrique du faible au fort. Ils disposent de moins d'argent que leurs adversaires : or, dans une campagne électorale, c'est souvent celui qui dépense le plus qui gagne le scrutin. Ils ont surtout beaucoup moins accès aux grands média que leurs adversaires. Grands média qui, par ailleurs, façonnent les images qu'ils imposent à l'opinion et structurent le vote par la manière dont ils présentent ses enjeux.
    En fait, deux armes de destruction massive sont utilisées contre les mouvements populistes : la diabolisation et la répression politique et judiciaire.
    4. L'ARME DE LA DIABOLISATION
    Contrairement à une idée couramment répandue, la diabolisation a rarement pour cause - en tout cas pour seule cause - des maladresses ou des "dérapages" de responsables populistes. En fait, la diabolisation est la conséquence inéluctable de la parole et de l'action populistes.
    Tout simplement parce que la diabolisation est l'instrument utilisé par les média dominants pour imposer la tyrannie du Politiquement Correct, grâce notamment à une "novlangue" de type orwellien.
    Lutter contre l'immigration, c'est risquer l'accusation de « racisme ». Refuser l'islamisation, c'est s'exposer au qualificatif d« ’islamophobe ». Défendre les valeurs traditionnelles, c'est prêter le flanc à la marginalisation pour « ringardes », voire pis pour "homophobie". Dénoncer la tutelle bruxelloise, c'est s'attirer le reproche d'être « ultranationaliste », voire "xénophobe". Les mots sont des armes. Et la tyrannie du Politiquement Correct s'impose par l'usage des mots sidérants et d'images incapacitantes à rencontre des dissidents de la pensée unique. Tous les mouvements populistes ne sont pas également « diabolisés », mais tous le sont à un degré ou à un autre.
    Ainsi l'Union démocratique du centre et son inspirateur Christophe Blocher ne se sont jamais départis d'une grande modération. Pourtant, lors des élections d'octobre 2007, ils ont fait l'objet d'une efficace campagne de diabolisation qui a limité l'ampleur de leur progression électorale et surtout servi à légitimer leur exclusion du gouvernement.
    Il convient ici d'observer que le succès électoral et populaire n'est pas un bouclier contre la diabolisation, mais que, bien au contraire, il contribue à l'amplifier comme l'ont montré l'exemple suisse en 2007 ou l'exemple français de 2002, lors du 2e tour de l'élection présidentielle opposant Jean-Marie Le Pen à Jacques Chirac. En Suisse en 2007 comme en France en 2002, les grands média ont implicitement ou explicitement appelé à protester, voire à manifester contre les résultats d'une élection démocratique.
    De même, l'affaire de la profanation de Carpentras a été montée médiatiquement (selon le témoignage de l'ancien directeur des RG Yves Bertrand) à une époque où le Front National était en peine ascension électorale. Marie-France Stirbois venait d'être élue député de Dreux au scrutin majoritaire, ce qui avait conduit les adversaires du Front National à se mobiliser et à exploiter un fait divers aujourd'hui encore incomplètement éclairci.
    En face de campagnes d'opinion intenses, deux erreurs sont à éviter :
    —croire que la diabolisation serait évitable (elle ne l'est qu'en choisissant le silence, la soumission tacite ou le ralliement aux idées dominantes),
    —croire que la diabolisation ne serait pas nocive (elle l'est infiniment).
    La diabolisation vise à produire - et produit - plusieurs effets :
    —    Elle freine l'ascension électorale de deux façons : en dissuadant les électeurs hésitants de voter pour la formation diabolisée et en surmobilisant au bénéfice de ses adversaires les électeurs qui lui sont hostiles.
    —Elle nourrit les divisions internes des mouvements visés en conduisant les responsables et militants les plus pressés ou les plus modérés à tenter de trouver des solutions différentes de la ligne et de la stratégie des dirigeants.
    —Elle rend les relations internationales difficiles par la crainte de la surdiabolisation réciproque : deux hommes politiques diabolisés chacun dans leur pays courent le risque de se surdiaboliser s'ils se rencontrent ; c'est ce qui explique par exemple que Jôrg Haider et Jean-Marie Le Pen ne se soient jamais vus.
    —Elle rend les alliances impossibles ou politiquement peu intéressantes : les partenaires politiques éventuels d'une formation diabolisée craignent la diabolisation par contagion ; ils sont donc portés à refuser tout contact avec la formation diabolisée ou, lorsqu'ils procèdent à une alliance de circonstance avec elle, à lui refuser toute concession de fond significative.
    —D'ailleurs, un pays qui s'éloignerait durablement et profondément de l'idéologie dominante de ses voisins risquerait la diabolisation de l'ensemble de la collectivité nationale et la mise en quarantaine. C'est une menace qui a été partiellement mise en œuvre par l'Union européenne aux dépens de l'Autriche en 1999.
    5. RÉPRESSION JUDICIAIRE ET POLITIQUE ET ATTEINTES AUX LIBERTÉS FONDAMENTALES
    Au-delà de ces inconvénients médiatiques et politiques, la diabolisation sert à légitimer une répression judiciaire et politique qui frappe à des degrés divers les formations populistes des différents pays européens. Voici un inventaire sommaire et incomplet des moyens les plus couramment utilisés.
    —Les poursuites judiciaires pour des motifs politiques et souvent pour de simples propos : tous pays.
    —Les fermetures de sites internet et les refus d'hébergement à la suite de pressions d'organisations diverses : tous pays.
    —L'interdiction pure et simple d'accès aux grands média : Flandre, Allemagne.
    —La dissolution ou la tentative de dissolution de formations politiques : Flandre, Allemagne.
    —L'interdiction de manifestations et de réunions, l'organisation de contremanifestations violentes : tous pays.
    —La levée des immunités parlementaires pour de simples délits d'opinion : France, Flandre.
    —Le non-respect de l'inviolabilité parlementaire européenne et des immunités diplomatiques : arrestations arbitraires et gardes à vue illégales de députés européens, à Bruxelles le 11 septembre 2007 et à Cologne le 20 septembre 2008, lors de manifestations pacifiques contre l'islamisation de l'Europe.
    —Le piratage, le vol du fichier des adhérents et sa mise en ligne, suivi de la persécution administrative ou professionnelle des plus vulnérables : Grande-Bretagne.
    —Les interdits professionnels : Allemagne, Grande-Bretagne.
    —Les pressions sur des personnes (et sur leur famille) visant à leur faire retirer leur candidature à des élections locales : France, Belgique.
    La pression visant à empêcher des élus de parrainer des candidats à une élection : l'élection présidentielle en France.
    —La modification des règles du jeu électoral et des modes de scrutin : Italie ; France, en 1986 (élections législatives), 1988 (élections municipales), 2003 (élections régionales, élections européennes) et probablement 2009 ou 2010.
    —L'invalidation des députés élus : France ; en 1997, le seul député Front National élu, Jean-Marie Le Chevallier, avait été déchu de son mandat par le Conseil Constitutionnel qui avait adopté, pour la circonstance, une décision en contradiction avec sa jurisprudence antérieure.
    —La mise en cause des financements politiques et/ou électoraux : Belgique ; France : non remboursement des frais de la campagne présidentielle de Bruno Mégret en 2002.
    —L'usage des cours constitutionnelles pour combattre les populismes : Allemagne ; France où Nicolas Sarkozy a déclaré, le 3 novembre 2008, à l'occasion du cinquantième anniversaire du Conseil Constitutionnel, qu'il « incombait à celui-ci de tenir compte des évolutions de la société, des problèmes nouveaux qui se posent aux démocraties, parce que la première menace contre les droits de l'homme, c'est de laisser le champ libre aux populismes ».
    —    Les manipulations policières : couramment utilisées en Allemagne fédérale contre les groupes présumés d'"extrême droite", c'est-à-dire qui ont le tort d'être ouvertement défavorables à la politique d'immigration et d'islamisation. À noter toutefois que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a refusé de prononcer, en 2002, la dissolution d'une formation politique - la dissolution du NPD avait été demandée par le gouvernement fédéral en 2001 sur la base de faits accomplis, au sein de ce mouvement,... par des policiers infiltrés par l'Office de protection de la Constitution.
    Cette liste d'atteintes aux libertés politiques des partis populistes européens est très partielle et très incomplète. Elle montre toutefois l'ampleur et la variété des moyens répressifs utilisés contre des formations concourant à l'expression du suffrage. Bien sûr, ces atteintes aux libertés politiques varient d'un pays à l'autre. Mais aucun pays n'est épargné, pas même la très démocratique Suisse. Et dans certains pays - la France, la Belgique notamment -, l'observateur ne peut manquer d'être frappé par la multiplicité et la variété des entorses aux bonnes règles démocratiques.
    Le cas de l'Allemagne mérite une mention particulière. Au regard des pratiques, notamment policières, et même des provocations policières qui sont utilisées contre les dissidents de la pensée unique, ce pays ne peut être pleinement considéré comme une démocratie pluraliste. Le gouvernement et les média pratiquent l'amalgame suivant : défavorable à l'immigration = extrême droite, extrême droite = nazi, nazi = individu auquel on refuse la moindre liberté publique. Il est clair, dans ces conditions, qu'il est beaucoup plus confortable d'appartenir à l'opposition libérale en Russie que d'être réputé nationaliste en Allemagne fédérale.
    Les dirigeants européens donnent souvent des leçons de droits de l'homme à la Russie et à la Chine mais ils utilisent contre leurs propres dissidents les méthodes qu'ils condamnent chez les autres.
    Quoi qu'il en soit, l'ampleur des entraves apportées au libre jeu démocratique, dans l'ensemble des pays européens, est bien évidemment un facteur contribuant à amoindrir le succès des mouvements populistes et à expliquer leurs difficultés et leurs échecs. Car, comme le savent tous les pouvoirs autoritaires ou totalitaires, la répression est un moyen redoutablement efficace de lutte contre son opposition.
    6. LE POPULISME ENRACINÉ DANS L'ESPACE ET LA DURÉE
    Au cours des vingt-cinq dernières années les mouvements populistes en Europe ont traversé de nombreuses périodes difficiles. Ils n'ont pas obtenu — en tout cas dans le cadre des élections représentatives — de succès décisifs. Néanmoins, ils se sont enracinés dans l'espace et la durée malgré les innombrables obstacles qui ont été dressés devant eux.
    Un enracinement dans l'espace
    — 1984 en France : Jean-Marie Le Pen et le Front National franchissent la barre des 10 % aux élections européennes ; deux ans plus tard, le Front National obtient 35 députés à l'Assemblée nationale.
    —1989 en Flandre : le Vlaams Block franchit la barre des 10 % aux élections européennes en Flandre et envoie son président Karel Dillen siéger au Parlement européen. Le Vlaams Block, devenu Vlaams Belang, poursuit depuis constamment son enracinement national, régional, provincial et municipal (plus de 800 conseillers municipaux).
    —1989 en Autriche : Jorg Haider, président du FPÔ, parti libéral converti au populisme, devient gouverneur de la province de Carin-thie ; en 1999, sa formation atteint 26 % des suffrages et participe à un gouvernement de coalition. Quelques soubresauts plus tard, les deux partis populistes autrichiens rassemblent 29 % des suffrages en 2008.
    —1991 en Suède : la Nouvelle Démocratie remporte 7,2 % des suffrages aux élections législatives ; une percée notable mais qui restera un succès sans lendemain. Mais en 2004, la Liste de juin, liste populiste-souverainiste, rassemble 16 % des suffrages aux élections européennes.
    —1994 en Italie du Nord : la Ligue du Nord d'Umberto Bossi, hostile à l'immigration et porteuse des traditions culturelles lombardes, entre au gouvernement de Silvio Berlusconi. Malgré plusieurs soubresauts politiques, elle sy trouve à nouveau en 2008.
    —1999 en Suisse : Le Schwizerische Volkspartei (Union démocratique du Centre) remporte 22,54 % des suffrages aux élections législatives, sur une ligne clairement populiste ; 1VDC progressera encore aux élections législatives de 2003 (26 %) et de 2007 (29 %).
    —2001 au Danemark : le Parti du Peuple danois, créé en 1995, rassemble 22 % des suffrages et soutient, sans y participer, le gouvernement libéral/conservateur. Une formule politique qui sera reconduite après les élections de 2005 et de 2007, le Parti du Peuple danois atteint 13,8 %.
    —2001 en Norvège : le Parti du Progrès de Karl Hagen obtient 14,7 % aux élections législatives, sur la base d'un programme principalement anti-fiscalité. Le Parti du progrès soutiendra, sans y participer, le gouvernement conservateur jusqu'en 2005. En 2005, le Parti du Progrès rassemble 22,1 % des électeurs et devient la première formation d'opposition au gouvernement de gauche.
    —2002 aux Pays-Bas : la Liste Pim Fortuyn, dissidence réussie du courant politique indépendant Les Pays-Bas vivables, remporte 26 sièges au Parlement et entre au gouvernement malgré l'assassinat de son chef le 6 mai, soit quelques jours avant l'élection. Après un effondrement en 2003, les courants populistes semblent à nouveau avoir le vent en poupe à travers deux formations, le Parti de la Liberté, très opposé à l'islamisation, de Geert Wilders et Fiers des Pays-Bas de l'ancienne ministre de l'immigration, l'énergique Rita Verdonk.
    Ailleurs :
    Dans le Sud de l'Europe, l'Espagne n'a pas connu jusqu'ici de mouvements populistes ; les clivages gauche/droite et régionalistes/unitaires suffisent pour structurer le débat politique. Au Portugal, un « Parti national rénové » a entrepris de se positionner contre l'excès d'immigration (en reprenant les images de campagne de l’UDC suisse) sans qu'il soit encore possible d'apprécier quel succès il sera susceptible de remporter. En Grèce, l'Alarme orthodoxe (LAOS) a dépassé à deux reprises - aux élections européennes de 2004 et aux élections législatives de 2007 - le score de 4 %. En Grande-Bretagne, les faits majeurs sont l'émergence du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), qui a atteint 16 % aux élections européennes de 2004, et la persistance du Parti national britannique (BNP) qui obtient régulièrement plus de 10 % des suffrages dans un certain nombre de circonscriptions et compte un élu au Conseil du grand Londres. Le BNP, qui a réalisé en 2008, lors d'élections législatives partielles, des percées inquiétantes pour le parti travailliste, semble en mesure d'entrer au Parlement européen en juin 2009.
    Le cas de l'Allemagne est bien évidemment à part. Les Republikaner qui avaient obtenu des sièges au Parlement européen en 1989 ont, comme toutes les formations réputées d "'extrême droite", été victimes de manipulations politiques, médiatiques et policières. Compte tenu de l'absence de vrai pluralisme en Allemagne fédérale, les courants dissidents semblent désormais s'exprimer à travers le Mouvement des citoyens libres, les Freie Wâhler, tenant d'un populisme paisible, à base d'enracinement local, de traditions folkloriques et de grande prudence verbale sur tout ce qui touche à l'immigration. Une liberté limitée donc mais qui a permis aux Freie Wähler de rassembler 10 % des suffrages aux élections bavaroises de septembre 2008.
    Un enracinement dans le temps
    Ce rapide tour d'Europe montre que dans plusieurs pays - ou quasi nations -, l'Autriche, la Flandre, l'Italie du Nord, la Norvège, la Suisse, des formations populistes sont durablement installées entre 20 et 30 % des suffrages. Et ce malgré des embûches innombrables.
    Dans d'autres pays et avec des scores susceptibles d'avoisiner les 15 % - comme aux Pays-Bas et au Danemark -, les mouvements populistes sont en mesure de participer à des coalitions gouvernementales et même de peser sur leurs décisions en matière d'immigration.
    Le populisme référendaire
    Lorsque les peuples ont été consultés par référendum sur le projet d'Union européenne, ils ont souvent désavoué les élites politiques, médiatiques, économiques et syndicales :
    —la Suisse et la Norvège ont refusé d'entrer dans l'Union européenne,
    —la Suède et le Danemark ont refusé d'entrer dans l'euro,
    —l'Irlande a obtenu des dérogations aux traités auxquels elle a fini par adhérer quoique le peuple les eût refusés dans un premier temps,
    —la France et les Pays-Bas ont rejeté le traité constitutionnel européen,
    —l'Irlande s'est prononcée contre la ratification du traité de Lisbonne.
    Quant aux autres peuples, ils ont rarement été consultés directement. ..
    7. TEMPS POLITIQUE, TEMPS HISTORIQUE
    À travers la diversité de leurs orientations et de leurs méthodes, les mouvements populistes s'inscrivent tous en rupture avec les forces et les idées dominantes. Ils s'opposent aux puissants et à ceux qui servent les puissants. Une double dialectique se met alors en place :
    —Du côté des pouvoirs, la stratégie de défense consiste à rechercher la marginalisation des populistes ou leur intégration au système à condition qu'ils abandonnent progressivement leurs thèmes forts.
    —Du côté des partis populistes, la stratégie de conquête fait alterner affirmation sans concession des opinions dissidentes (au risque de camper dans une opposition stérile) et recherche de compromis pour tenter de peser sur l'exercice du pouvoir (au risque de s'affadir).
    Ce dernier point est délicat car il ne peut guère y avoir de changements notables de politiques sans rupture réelle avec l'idéologie dominante : mondialiste, antiraciste, fiscaliste. L'impôt servant à imposer l'idéologie unique à travers des dépenses publiques mises au service du conformisme. Et c'est bien la profondeur des changements proposés par les populistes qui explique le tempo de leur progression : vingt-cinq ans, pour la politique, c'est du temps long mais, pour l'histoire, c'est du temps court.
    À titre de comparaison, il est intéressant de se pencher rétrospectivement sur le temps mis dans le passé par de grands courants idéologiques et politiques pour s'imposer. Ainsi la philosophie manchestérienne du libre échange a mis un demi-siècle à triompher en Grande-Bretagne avec la suppression des Corn Law en 1846 et de l'Acte de navigation en 1849. Et il lui fallut plus d'un siècle supplémentaire pour s'imposer au monde avec la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la dérégulation financière. Jusqu'à la chute de Lehman Brothers.
    Ainsi les courants nationaux et libéraux, étouffés par le retour du principe de légitimité au Congrès de Vienne en 1815, ne resurgirent au grand jour que trente ans plus tard lors des révolutions de 1848. Les mouvements nationaux mirent encore de longues années avant de déboucher : si l'unité italienne se fit en 1860 et l'unité allemande en 1870, les pays d'Europe centrale et balkanique attendirent encore de longues années leur indépendance et l'Irlande ne devint un État souverain qu'en 1921.
    Le socialisme se construisit intellectuellement dans la première moitié du XIXe siècle ; il n'accéda au pouvoir sous sa forme révolutionnaire qu'en 1917 en Russie ; en France, sous une forme réformiste, le cheminement ne fut pas plus rapide. Cabet, auteur du Voyage en Icarie, en 1842, ne put se faire élire à la Constituante en 1848 ; le premier député socialiste français fut élu en 1881 ; les socialistes gagnèrent ensuite 12 députés en 1885, 20 en 1889, 50 en 1893 ; lorsque Millerand, adepte de la conquête du pouvoir par la voie réformiste, entra au gouvernement en 1894, il fut désavoué ; et les socialistes durent attendre 1936 pour obtenir un président du Conseil.
    Qu'ils soient libéraux, socialistes ou nationaux, tous ces mouvements qui, à un moment ou un autre, ont combattu l'ordre établi ont eu leurs héros et leurs victimes, leurs glorifiés et leurs persécutés, leurs réformistes et leurs révolutionnaires, leurs modérés et leurs extrémistes et, dans le langage de leurs adversaires ou de leurs rivaux, leurs "traîtres" et leurs "terroristes". Plus près de nous, le Wilsonisme, ancêtre du mondialisme contemporain, a mis près d'un siècle à s'imposer à la planète. Et le mouvement des droits civiques, matrice de l'antiracisme contemporain et de la discrimination positive, attendit quarante-cinq ans entre la proclamation, devant la Maison Blanche, du "rêve" de Martin Luther King et l'élection de Barack Obama comme président des États-Unis.
    8. LA CRISE ECONOMIQUE : UN ACCELERATEUR POUR LE POPULISME ?
    La crise financière et économique que le monde traverse depuis le 15 septembre 2008, date de la faillite de Lehman Brothers, n'en est probablement qu'à ses débuts. Il s'agit en effet d'une crise due à des déséquilibres fondamentaux :
    —excès de crédit,
    —excès de consommation,
    —excès de création monétaire.
    Ces déséquilibres touchent tous les pays développés : les États-Unis en premier lieu, bien sûr, mais aussi la Grande-Bretagne et beaucoup de pays de la zone euro. Ces déséquilibres sont la conséquence du libre-échangisme mondial ; ce dogme idéologique est à la source de la baisse des revenus du travail pour les classes moyennes et les classes populaires dans les pays développés ; il est aussi à l'origine des déséquilibres grandissants des balances des paiements courants, les importations l'emportant systématiquement sur les exportations.
    Or la réponse apportée à la crise par les gouvernants - plus de déficit public, plus de création monétaire - va encore aggraver les déséquilibres. Et cette politique des puissants est approuvée par leurs prébendiers : une quasi-unanimité règne dans les cénacles ministériels comme dans les salles de rédaction. Voilà de quoi légitimer encore un peu plus les discours populistes.
    Dans la revue Krisis de février 2008, le sociologue Guy Hermet, observe que « les partis populistes sont [...] en train de changer de nature. De transitoires et produits par une situation de crise passagère qu'ils étaient, ils deviennent permanents, parce que la crise de la mondialisation va durer des décennies. Cette normalisation relative s'est du reste déjà produite en Norvège et au Danemark. L'Italie en offre également un exemple ».
    La politologue britannique Margaret Canovan distingue plusieurs formes d'expression du peuple à travers le populisme : united people (le « peuple souverain »), common people (le « peuple classe »), ordinary people (le « peuple de base »), ethnie people (le « peuple nation »). Chacune de ces expressions du populisme peut trouver les moyens de se renforcer à travers la crise.
    L’ordinary people, le « peuple de base », a toutes les raisons d'accroître sa défiance à l'égard des élites politiques, médiatiques et financières : élites qui n'ont pas vu venir la crise et qui la gèrent par l'agitation dans l'urgence et l'affolement. Attitudes qui ont peu de chance de permettre d'éviter la récession, la baisse des revenus et la montée du chômage. Ni sans doute un super krach monétaire.
    Le common people, le « peuple classe », a, lui, des raisons de se révolter contre l’hyperclasse mondiale dont il découvre les méfaits et les fantastiques avantages auto-octroyés. Dans le New York Times du 26 novembre 2006, l'homme le plus riche du monde, Warren Buffet, avait cyniquement déclaré : « Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui la mène et nous sommes en train de gagner la guerre. » La crise a mis sur le devant de la scène l'arrogance et l'irresponsabilité des plus riches, légitimant une réaction de méfiance de tous les autres.
    L’united people, le « peuple souverain », n'a, lui, pas de raison d'accepter que les États-Unis d'Amérique, à l'origine de la crise, continuent de dicter leur loi au reste du monde. Il peut légitimement réclamer un retour vers un développement autocentré et un protectionnisme raisonnable à l'échelle de grands ensembles régionaux.
    L’ethnic people, le « peuple nation », peut trouver dans la crise économique un argument supplémentaire - et décisif - contre une immigration qui peut se révéler nuisible en termes de comptes sociaux comme d'emplois.
    Les élites ne le savent pas encore. Ou si elles le savent, elles feignent de l'ignorer mais la crise économique et financière met à mal le modèle mondialiste du libre-échange généralisé. Elle souligne les failles des choix des puissants et des discours qui les promeuvent. La sortie de crise ne pourra se faire que par un changement du référentiel idéologique. Et ce sont bien les populistes qui, malgré leurs faiblesses et leurs imperfections mais à travers leur diversité, portent en germe le modèle de rechange !
    Jean-Yves LE GALLOU* Écrits de Paris
    * Communication à la XXIVe université annuelle du Club de l'Horloge sur « Le populisme : une solution pour l'Europe en crise ». Jean-Yves Le Gallou est le créateur de la Fondation Polemia, < www.polemia.com > qui a notamment édité deux passionnants argumentaires, La Tyrannie médiatique (15 €) et Immigration : le leurre de l'intégration (20 €), en vente à Polemia, 60 ter rue Jean-Jacques Rousseau, 92500 Rueil-Malmaison.

  • « Le stratagème européen pour la France »

    [Tel est le titre d'une tribune que nous envoie un lecteur et que vous pouvez lire ci-dessous.
    Bien entendu, elle n'engage pas la rédaction de Contre-info, mais peut-être le support d'une saine réflexion.
    ]

    « Il est toujours amusant de voir nos hommes politiques proclamer dans les médias leur amour inconditionnel de la France et laisser entendre, dans le même temps, que notre nation n’est pas assez mâture ni assez importante pour s’en sortir par elle-même. Pour eux, la conclusion est toute trouvée : il faut impérativement que notre pays se fonde dans un ensemble continental voué au mondialisme et fusionne avec Malte ou la Slovénie pour continuer à exister. La contradiction entre leur patriotisme de façade et leur européisme échevelé est évidente, mais il ne suffit pas de constater cette incohérence sans nul doute voulue. Encore faut-il comprendre et démontrer en quoi l’Union européenne est directement nocive pour la France (tout comme elle l’est pour toutes les nations du continent). Et le stratagème conçu par Bruxelles et nos dirigeants européistes est redoutable. Un certain nombre d’analyses s’y sont déjà attelées mais celle-ci entend apporter sa pierre à l’édifice en montrant à quel point cette stratégie est aussi raffinée que dangereuse.

    Le danger le plus évident : la disparition de notre mode de vie

    Il est désormais acquis pour tous les observateurs un peu sensés que l’euro est à la source de bon nombre de nos problèmes économiques, notamment de l’écroulement de nos exportations. Ces mêmes observateurs savent parfois moins que ce sont plus largement les traités européens qui pénalisent notre économie, puisque le fameux Traité de Lisbonne accepté par toute la classe politique française malgré le référendum de 2005 organise et favorise les délocalisations, la fuite des capitaux, le chômage, etc. In fine, c’est tout notre mode et toute notre qualité de vie qui sont menacés directement par l’Union européenne et la participation coupable de nos dirigeants. Bien évidemment, tous nos grands médias étant détenus, au travers de fonds d’investissement et autres multinationales, par les États-Unis d’Amérique ou leurs alliés, il est peu probable que de telles analyses antimondialistes soient développées à vingt heures sur TF1 ou France Télévisions.

    Le stratagème est déjà absolument terrible et il a été décortiqué à plusieurs reprises par certains opposants sagaces au mondialisme. Pourtant, ce n’est pas le pire. Alors que notre pays s’enfonce plus rapidement qu’on ne le pense dans une profonde dépression économique, les médias et hommes politiques français font tout pour détourner l’attention sur d’autres pays par rapport auxquels nous serions prétendument plus avantagés. Inutile de comparer notre économie à celle de la Grèce : ce serait comme chercher à se rassurer en comparant notre espérance de vie à la naissance avec celle du Laos. Ce serait donc se voiler la face en pointant les autres du doigt. Une étude récemment réalisée par Philippe Murer, professeur de finance à la Sorbonne, montre par exemple que le taux de chômage réel atteint facilement 21% en France (et 16% dans une Allemagne prétendument en plein miracle économique), si l’on tient compte des statistiques occultées par les organismes officiels. Dès lors, il devient difficile de se rassurer face au taux espagnol, proche des 25%. Il est encore plus ardu de comparer le caractère compétitif de notre économie face à des pays que les médias dominants disent plus en difficulté : ce n’est pas qu’avec l’Allemagne, mais aussi avec l’Italie ou l’Espagne que notre balance commerciale est largement déficitaire. Quant aux politiques d’austérité imposées à des peuples voisins, elles le seront bientôt aux Français, que le gouvernement en place soit socialiste ou conservateur, nul n’en est dupe. Néanmoins, le stratagème européiste semble fonctionner puisque la plupart de nos concitoyens se réjouissent presque de n’être pas espagnols ou italiens… tout en se lamentant de la nullité de la France, pourtant causée par des facteurs extérieurs.

    Un danger plus pernicieux : notre disparition géopolitique et culturelle

    Comme souvent, les dangers les plus importants sont rarement les plus voyants. Nos problèmes économiques directement causés par le mondialisme et l’ultra-libéralisme européens ont beau être graves, ils le sont moins que notre progressive disparition géopolitique et culturelle dans le monde. Un premier constat simple à réaliser : en dehors de trop rares occasions (le refus du gouvernement de participer à la guerre d’Irak, en 2003), nous nous alignons toujours sur la politique américaine, promue par l’Union européenne et imposée à tous les pays-membres. Notre intervention en Libye en 2011 et la propagande mondialiste qui nous pousse à armer les « rebelles » syriens, dont l’obédience politique est plus que trouble, n’en sont que des illustrations récentes.

    Au-delà de cette politique belliqueuse directement inspirée du choc des civilisations de Samuel Huntington (un Américain proche des services secrets, comme par hasard), l’Union européenne favorise aussi l’amitié franco-allemande dont l’on peut légitimement se demander ce qu’elle apporte à la France. Littéralement écrasé par le commerce extérieur germanique, la France est aussi totalement coupée de son espace géopolitique naturel, la Méditerranée. Nos relations avec nos anciennes colonies du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sont presque nulles – sauf pour y défendre les intérêts du grand capital pétrolier ou minier, ou bien encore pour y soutenir les dictateurs que nous dénoncerons ensuite. Ne parlons pas non plus du mépris que nous ne cessons d’exprimer à l’égard des pays d’Europe méditerranéenne, pourtant latins et de tradition catholique comme nous. Cependant, face à l’écroulement démographique du monde germanophone ou de l’Europe centrale et orientale, la France, si elle défendait ses intérêts au lieu de défendre ceux du mondialisme libéral, s’intéresserait de près à des zones du monde émergentes, dont l’Asie orientale et l’Amérique latine. Dans ce dernier cas, une alliance au cas par cas avec l’Espagne serait bien plus judicieuse pour nous, puisqu’il s’agit du premier partenaire européen du Brésil, du Mexique, de l’Argentine, du Venezuela, de la Colombie, etc.

    D’ailleurs, cette politique totalement aveugle concernant notre identité et nos intérêts bien compris a provoqué aussi un déclin accéléré de la langue française dans le monde. Obnubilés par l’Union européenne, nos dirigeants se laissent illusionner par les chiffres surestimés de la Francophonie et ne voient pas que la langue de Molière a reculé partout : Canada anglophone, États-Unis d’Amérique, Brésil, Argentine, Asie orientale, ancienne Indochine, etc. Et ce n’est pas seulement l’anglais qui nous a dépassés, mais aussi d’autres langues, comme l’espagnol. Notre vénération des principes européistes et mondialistes fait donc partie d’un stratagème bruxellois plus large : nous couper de toutes nos alliances traditionnelles, nous mettre au pas en termes géopolitiques et faire reculer notre culture et notre langue (c’est-à-dire notre vision propre du monde) sur la planète. Jusqu’à quand ?

    de Maeztu » http://www.contre-info.com

  • BIENHEUREUX LES SUISSES

    Les Suisses forment un peuple vaillant et prospère ; nous le savons tous. La longue pratique du référendum d'initiative populaire, non seulement au niveau national mais même au niveau cantonal et municipal, leur donnent une arme puissante pour résister à maints assauts. L' îlot de prospérité qu'ils connaissent montre le chemin que d'autres Européens et en particulier les Français devraient suivre. Le pays, qui est l'un des plus riches du monde, est, néanmoins, dépourvu de ressources naturelles. La géographie impose, au contraire, des difficultés très rudes à surmonter.
    Certains croient, à tort, que son économie se résume à la banque, à l'assurance et aux avocats ; ce type d'activité ne représente que 15 pour cent des emplois ; tout le reste est composé d'un tissu industriel de premier niveau et de haute technicité.
    De récentes nouvelles confirment cette description. Un journal titre : « la Suisse affronte une pénurie de main-d'oeuvre ». Manpower a fait une enquête nationale ; il en résulte que près de la moitié des entreprises sont affectés par la pénurie de talents. L'économie helvète a cruellement besoin de techniciens et de cadres dans des domaines aussi divers que la santé, l'informatique ou l'horlogerie. En fait, alors que la France se traîne lamentablement avec un taux élevé et persistant de chômage, la Suisse connaît le plein emploi avec un taux de chômage de 2,9 % qui est un des plus faibles du monde.
    LA SOUPLESSE DU CONTRAT DE TRAVAIL
    Les causes de cette heureuse situation peuvent être analysées.
    Un avantage essentiel a trait au contrat de travail. Il n'y a pas de Smic. Tout le monde sait, en France, que le Smic crée des chômeurs et l'Insee, elle-même, le reconnaît ; les Suisses échappent à cette malédiction. Parallèlement, il existe une réelle flexibilité dans les contrats de travail ce qui permet d'ajuster facilement les équipes à la marche des entreprises, telle qu'elle se déroule compte tenu des marchés.
    Le résultat est que les salaires sont plus élevés que dans les pays environnants et les syndicats se plaignent de la concurrence de Français qui viennent travailler en Suisse, notamment à Genève et à Lausanne.
    Depuis 70 ans, la paix du travail est totale grâce, en particulier, à l'accord des partenaires sociaux. Autre fait notable : le nombre d'heures de travail annuel qui est de 1600 en France est de 1900 en Suisse. Les efforts de formation sont considérables et, dans le classement international des grandes écoles, les écoles et universités suisses sont bien mieux placées que les établissements correspondants en France.
    SUPPRESSION DU STATUT DES FONCTIONNAIRES
    Il y a quelques années, une initiative populaire a conduit au changement de statut des fonctionnaires. Ceux-ci avaient depuis 1927 un statut aussi néfaste que le statut actuel en France et ce statut fut aboli. Sans être aussi libres que des employeurs privés, les employeurs publics ont, depuis lors, des moyens de se séparer des collaborateurs qui ne donnent plus satisfaction. L'avancement à l'ancienneté fut remplacé par l'avancement au mérite. La gestion souple fut introduite. Jusque là, il y avait impossibilité de transférer des fonctionnaires d'une administration à l'autre : c'est devenu possible. La méthode s'étend au niveau cantonal et municipal. Le consensus fut général, lors de la réforme, y compris chez les fonctionnaires eux-mêmes qui, mieux informés qu’en France, ont compris que c'était leur intérêt.
    Il faut mentionner aussi le fait que la Suisse a su résister à l'entreprise européenne en refusant à plusieurs reprises, justement par référendum, l'entrée dans l'Europe. De ce fait, elle négocie d'égal à égal avec les autorités européennes. Ce n'est pas sans difficultés, car certains politiciens, alléchés par la richesse incomparable des commissaires européens et autres eurocrates, poussent fortement à l'adhésion de la Suisse à l'Europe !
    La Suisse ne connait pas la pyramide insupportable d'élus qui écrabouillent littéralement l'économie française. Ceux qui existent montre un souci réel des fonds publics au lieu de la voracité sans limite de nos élus. Il n'y a que sept ministres qui sont appelés « conseillers fédéraux ». Chacun n'a que trois collaborateurs. La présidence change chaque année et le président est le seul à avoir une voiture de fonction. Les autres se rendent à leur travail par leurs propres moyens. Les députés ne votent que fort peu de lois nouvelles chaque année : la pays échappe donc au déchainement législatif qui détruit les entreprises en France. Leur rémunération est si faible qu'ils sont tous obligés de continuer à exercer leur métier par ailleurs.
    AVANTAGE D'UNE MONNAIE FORTE
    Un des facteurs principaux du succès est l'existence d'une monnaie forte ; depuis des lustres et très régulièrement, le franc suisse se trouve révalué dans les faits par rapport aux autres monnaies. Cela montre le caractère mensonger de ce que l'on appelle les dévaluations compétitives.
    L'intérêt d'une monnaie forte est double. D'abord, dans la compétition mondiale, que la Suisse ne refuse pas bien au contraire, les entrepreneurs sont conduits à l'excellence à la fois dans les décisions et dans les investissements. Le pays est à l'origine de firmes tout à fait considérables dans le domaine pharmaceutique ou dans d'autres domaines. Un autre avantage est de donner aux acteurs économiques la possibilité de faire des investissements à l'étranger dans des conditions favorables étant donnée la force de la monnaie nationale. Là aussi, la compétitivité issue de la liberté joue un rôle et permet justement aux firmes suisses de devenir des géants mondiaux sans payer trop cher la place à conquérir.
    Il faut ajouter ce que personne ne met en lumière. Les dévaluations pratiquées par le pouvoir politique sont immorales Il y a bien longtemps, Moïse reçut sur le Mont Sinaï les commandements de Dieu dont le célèbre : « Tu ne voleras pas ». Depuis ce fait historique, toutes les législations ont imposé, à la fois aux croyants et aux incroyants, le respect des contrats privés et de la propriété. Or, la dévaluation imposée par les pouvoirs politiques est une rupture de contrat et une atteinte à la propriété. Elle est, en plus et ce n'est pas un hasard, inopérante, comme l'exemple de la Suisse le montre.
    Pour conclure, comme disait maman Leatitia : « Pourvou que cela doure ».
    Michel de Poncins  http://libeco.net/