Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Europe et Union européenne - Page 1047

  • Bilan économique de la construction européenne

    Va-t-on vers une « révision déchirante » ou s'agit-il de simples gesticulations préélectorales ? Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent - celle de Chevènement le 13 décembre sur France Inter - pour dénoncer les méfaits de l'euro et au sommet socialiste de Lisbonne, une semaine plus tôt, Ségolène Royal - qui milita pourtant pour l'adoption des traités de Maastricht et d'Amsterdam puis, en 2005, pour le oui au référendum sur le projet de constitution européenne - avait attaqué bille en tête la Banque centrale européenne qu'elle avait accusée de ruiner la France.
    Pendant vingt ans en effet, dans un contexte de mondialisation, les pays comme la Chine ou l'Inde ont eu des taux de croissance de 10 % ou 8 % ainsi que de nombreux pays émergents. Pendant ce temps, la France s'est empêtrée dans la construction européenne, ce qui a eu comme conséquence des taux de croissance ridicules, des taux d'endettement et de chômage très importants. Comment en est-on arrivé là, après tous les discours dithyrambiques sur l'Europe ?
    Pour nos soi-disant élites, l'Europe est une idéologie (sens de l'Histoire, postnationalisme, universalisme) et pour elle, par fatalité ou fanatisme, la construction européenne ne peut donc être que le bien, l'économie devenant bizarrement secondaire.
    Ce serait à la rigueur compréhensible si nos gouvernants avaient pour objectif la "décroissance" afin d'améliorer l'état de la Planète bleue. Mais ils nous font au contraire miroiter de mirifiques taux de croissance, évidemment jamais atteints car, au lieu de chercher réellement à obtenir un taux de croissance élevé, avec pour corollaire un faible taux de chômage, ils ont agi pendant des lustres dans le seul but de respecter les critères de Maastricht, de défendre un franc fort dans le but de la parité franc-mark. A une époque de compétition exacerbée entre les puissances économiques, cela nous a fait perdre un temps considérable et descendre dans la hiérarchie mondiale qui est devenue celle des P,I.B. La justification était : « Il faut que cela saigne aujourd'hui pour aller mieux demain », les décideurs bien sûr ne faisant pas partie des chômeurs. Plus techniquement, cela s'appelle la désinflation compétitive. Edmond Alphandéry, ex-ministre de l'Economie, avait même écrit un livre sur le « soleil de l'euro » !
    Toutes ces années de restriction n'ont abouti qu'à la mise en place d'un euro très, trop fort qui, sauf pour l'achat des produits pétroliers, handicape maintenant lourdement l'économie française (0 % de croissance au troisième trimestre 2006).
    On peut donc dire que notre pays a sacrifié en partie son économie sur l'autel de la construction européenne.
    Pourquoi l'Europe est-elle devenue un handicap aussi important ?
    La France a toujours été, comme l'Allemagne, un pays contributeur plus que bénéficiaire. Cela a consisté dans les faits à ce qu'elle paye pour que les entreprises aillent s'installer dans des pays considérés comme prioritaires pour Bruxelles (Irlande, Espagne, Portugal, Grèce, maintenant les pays de l'Est) au détriment des pays considérés comme riches (Allemagne, France ... ) L'Europe a donc grandement contribué à désindustrialiser la France et n'a pas su la protéger face à la mondialisation puisque la commission de Bruxelles a accepté le libre-échange, ce que critiquait vertement le Prix Nobel d'Economie Maurice Allais. La concurrence fiscale ainsi que les coûts salariaux entre pays européens favorisent l'Est de notre continent au détriment de l'Ouest et l'intégration européenne n'a fait qu'accélérer ce phénomène. On s'aperçoit aussi qu'il n'y a pas de solidarité économique entre les pays européens importants. La Grande-Bretagne a gardé sa monnaie qu'elle gère au mieux de ses intérêts, ce que nul ne saurait lui reprocher. Quant à l'Allemagne, le géant économique de l'Europe, premier exportateur mondial, elle manque singulièrement de coopération. Elle a engagé une politique de désinflation compétitive paf les coûts au détriment de l'économie de la France et de l'Italie. En ce domaine, Berlin mène une politique ! cynique et l'existence d'une devise unique fait que la France et l'Italie ne peuvent plus réagir. n'ayant plus de politique monétaire.
    Le bilan de la construction européenne est donc négatif. Pourtant le contexte économique mondial n'avait jamais été aussi favorable (5-6 % de croissance mondiale) depuis des années. L'idée européenne sert encore à certains hommes politiques comme le général Morillon au quel le slogan « Plus d'Europe » a permis de se faire élire eurodéputé avec tous les avantages qui vont avec. Cela permet aussi François Bayrou de se démarquer des autres candidats en jouant cette partition si préjudiciable économiquement et dont les milieux économiques longtemps les plus favorables à l'idée européenne commencent à douter. L'exemple le plus caractéristique fut Silvio Berlusconi, farouche européiste qui, à de nombreuses reprises, a regretté l'existence de l'euro pour l'Italie que la monnaie unique a plongée dans le marasme économique.
    Mais cette repentance, nos élites n'accepteront jamais de la formuler.
    Patrice GROS-SUAUDEAU, Statisticien-économiste.

  • « Un livre qui devrait faire scandale » Par Alain Besançon

    En septembre 2009, Polémia signalait sur son site la parution d’un livre aux Etats-Unis, remontant à juillet de la même année, sans qu’il ne fût traduit en français, alors qu’il traite précisément les questions qui sont dans toutes les têtes et que soulève l’immigration en Europe.

    Christopher Caldwell, dans son ouvrage Reflections on the Revolution in Europe: Immigration, Islam and the West, décrit la progression de l'immigration musulmane en Europe et s’interroge sur la question de savoir si les Européens peuvent conserver la même Europe avec des gens différents.

    Serait-ce dû au problème de l'inscription de l'islam dans le contexte européen, et particulièrement dans l'identité française – notre grand sujet du moment ? Il semblerait en tous les cas qu’aujourd’hui, bien que il ne soit toujours pas traduit en français, le livre de Caldwell intéresse. La revue Commentaire, dans son n°128, hiver 2009-2010, a publié une chronique du Professeur Alain Besançon, membre de l'Institut, pour qui « Le vrai sens du livre est donné par son sous-titre Can Europe be the same with different people in it ? » (L'Europe peut-elle rester la même avec en son sein des peuples différents ?). Polémia la livre à ses lecteurs.

    Polémia

    Le vrai sens du livre est donné par son sous-titre Can Europe be the same with different people in it ?

    L'Europe peut-elle rester la même avec en son sein des peuples différents ?

    Caldwell est à ma connaissance le premier à poser la question dans toute son étendue et dans toute sa complexité. Est-ce parce qu'il a le courage d'ouvrir un dossier que les Européens s'efforcent de tenir fermé depuis des dizaines d'années, bien que sans l'ouvrir, ils en sachent déjà parfaitement le contenu ? Le livre devrait faire scandale. Mais parce qu'il détruit des clichés imposés, auxquels personne ne croit plus, et parce qu'il porte au jour des pensées qu'on n'ose plus formuler publiquement, il est possible qu'il soit enterré dans une fosse profonde entourée d'une palissade. On verra s'il est bientôt traduit.

    L'exposé est remarquablement clair. Chapitres et sous-chapitres sont si bien ordonnés qu' on en saisit l'idée dés qu'on a lu les titres. C'est parce que nous savions déjà ces choses au fond de nous-mêmes que leur cohérence éclate maintenant qu'elles sont mises sous nos yeux.

    L'Europe doit faire face à deux problèmes qui sont distincts bien qu'ils se recouvrent partiellement et qu'on les confondent souvent volontairement, pour ne pas en prendre conscience. Le premier est celui de la capacité de l'Europe à assimiler les immigrants, le second est celui de la difficulté qu'elle rencontre avec l'islam.

    L'Europe avait-elle besoin d'autant d'immigrants ? Au lendemain de la guerre, il le semblait, et nul ne songeait à élever des barrières institutionnelles. Il ne faut pas comparer le phénomène à la récente immigration hispanique aux États-Unis, qui se produit dans une économie post-industrielles, mais plutôt à l'immigration noire des États du Sud, au début du XX é siécle vers les industries du Nord, en besoin de main-d'oeuvre. Encore une fois, l'Europe avait-elle vraiment besoin de tous ces immigrés ? L'argument "capitaliste" est que cette main d'oeuvre a sauvé beaucoup d'industries. En fait c'était des industries condamnées. L'immigration a retardé les gains de productivité, et au prix de coûts latéraux dont le calcul n'a jamais été fait. L'argument "socialiste" est que le rajeunissement général provoqué par l'immigration, avec son taux élevé de natalité, a permis de sauver le Welfare State. Mais il est devenu évident qu'elle ponctionne ce Welfare State plus qu'elle ne lui apporte. Il est donc facile de refuter ces deux arguments. Mais si on ne le fait pas, si on n'ose pas le faire, c'est à cause du second problème : la difficulté que rencontre l'Europe avec l'islam. En effet l'Europe a cru importer de la "main-d'oeuvre", pour prendre un terme abstrait et général, une population passive, un simple facteur de production. Elle s'est aperçue qu'elle importait des êtres humains, doués d'une volonté propre.

    L'idée d'Europe ? Idée d'origine élitaire, avait une dimension morale. Il était cru comme un dogme, dans ce milieu, que les cultures étaient d'égale dignité, ce qui revenait à dire qu'elles se valaient. L'idéologie de tolérance descendit dans les masses et se durcit en tolérance intolérante. Les lois mémorielles criminalisent non plus des faits, mais des opinions et des croyances. L'Allemagne, la Suisse les adoptèrent après la France. Une peur vague de penser ce que l'on pense se répandit.

    Pendant de nombreux siècles, en Europe, l'islam avait été ressenti, avant tout examen, comme l'ennemi inconditionnel. Cet instinct immémorial, qui dispensait de le connaître, avait été documenté et justifié au XIXe siècle par les premiers savants islamistes, qui à l'instar de Renan le tenaient en peu d'estime. Le fanatisme qu'on lui attribuait n'était pas pourtant perçu comme un danger, bien moins en fait que le fanatisme religieux que l'europe avait nourri en elle-même et que les Lumiéres continuaient de redouter. L'islam était extérieur et au loin.

    Mais il ne l'est plus. Il y a probablement plus de 20 millions de musulmans installés en Europe, 5 en France, 4 en Allemagne, 2 en Angleterre. Ils approchent de la majorité à Amsterdam et Rotterdam, à Marseille, à Duisbourg et Cologne, dans maintes villes anglaises. Leur taux de fécondité est supérieur. En Autriche, par exemple, il est de 2,34 contre 1,31 pour les catholiques et 0,82 pour ceux qui se déclarent sans religion. A Bruxelles, où 57 % des nouveaux-nés sont musulmans, les sept premiers prénoms qui sont donnés aux garcons sont Mohamed, Adam, Rayan, Ayoub, Mehdi, Amine et Hamza (en 2006). Dans certaines banlieues, il forme une société paralléle, autoségrégée, créant des espaces pour la Charia, construisant des mosquées, capable même de "désassimiler" ceux qui avaient auparavant progressé dans l'"assimilation". Ces faits méritent d'autant plus d'attention que le jus soli à la française est plus ou moins adopté en Allemagne, en Espagne, et que de toute façon personne ne pense plus que ces populations pourraient repartir, encore moins être expulsées.

    C'est alors que fleurissent les mythes providentiels de la diversité et du métissage. Ils sont encore une manière de transfigurer une inquiétude qu'on ne veut pas s'avouer. Caldwell produit des faits qui indiquent, selon lui, que l'islam constitue une supra identité et que les jeunes musulmans se sentent tels prioritairement avant de se déclarer français, allemands ou anglais. Il n'y aurait pas, affirme Caldwell, un islam de France, malgré ce dont nos médias veulent nous persuader, pas plus qu'il n'y aura un deutscher islam, un islam italiano. Mais il existe déjà une contre-culure islamique, plus ou moins paneuropéenne, qui se cherche encore et qui prend souvent ses modèles dans la robuste American Black Culture.

    Nous en arrivons à un chapitre qui est, selon moi, décisif, mais le plus délicat à traiter : le rapport entre l'islam et le monde chrétien où il a pris domicile. Sachant que les musulmans restent substantiellement fidèles à leur religion, qu'en est-il des chrétiens qui délaissent la leur à vive allure ? Qu'en est-il du fameux dialogue interreligieux ? Caldwell note que jusqu'ici il demeure un voeu pieux et parfaitement unilatéral. Les musulmans n'en ont cure. Pour les non-croyants, les deux confessions n'ont aucune raison de ne pas être mises sur le même pied. L'agnostique, ou le "laïc", comme on dit en France, tiendra sa position pour plus élevée, plus intelligente, plus libre, ce qui est bien naturel. Beaucoup d'entre eux, cependant, estiment que "tant qu'à faire", le christianisme est préférable... Jean-Paul II, selon l'auteur, pensait que le sentiment religieux reunissait les chrétiens, les musulmans, les bouddhistes et les rendaient plus proches les uns des autres que les athées. Benoit XVI, lui, met l'accent sur la raison commune et accepte tous ceux qui se laissent conduire par elle. A Regensbourg, il a critiqué en revanche l'irrationalisme d'une religion, l'islam, qui s'affirme pourtant rationnelle de bout en bout. 

    … L'auteur me fait le plaisir de citer une mienne formule : "L'islam est la religion naturelle du Dieu révélé." Si le christianisme meurt en Europe, l'islam est un bon candidat pour remplir le vide. Une autre mienne formule avance que l'islam est "une idolâtrie du Dieu d'Israël". En tant qu'idolâtrie, l'islam plaît naturellement à l'homme qui est, disait Calvin, une "boutique à forger des idoles". Le Dieu d'Israël, auquel il n'est pas relié par une alliance, est suffisamment hors de portée pour qu'il ne soit pas connu comme il est, mais assez présent pour garantir et sacraliser cette paradoxale relation idolâtrique. D'un côté, l'islam prend comme elle la nature humaine et lui donne des satisfactions (je saute le chapitre touchant le sexe), de l'autre il exalte un sur-judaïsme et un sur-christianisme. Des deux parts, il offre une tentation.

    Cependant, l'Occident semble paralysé. Il reste sous le remords du "racisme" et des interdits qui se sont associés à lui. Le principal est "l'antiracisme", ce "communisme du XXI siècle". La culpabilité occidentale forme un abri sûr pour les musulmans qui se sont mis sous sa protection.

    Y a-t-il un islam "modéré" ? Mais qui peut proposer une définition d'un islam modéré ? Si, comme beaucoup le pensent, l'islam n'a rien à voir avec le terrorisme, pourquoi, demande Caldwell, aussitôt qu'il y a un attentat terroriste quelque part, tous les gouvernements vont-ils enquêter dans ces milieux ? Je n'ai pas d'opinion sur ce point.

    Avec justesse, Caldwell conclut que l'immigration musulmane de masse procède d'une grappe (cluster) de courants sociaux nombreux et indépendants : la libre économie, l'augmentation de la richesse, les femmes au travail, les inégalités de revenus, le bas taux de fécondité... Ajoutons la crise du christianisme et d'autres courants idéologiques et spirituels. C'est un problème compliqué, immense, auquel on ne voit pas de solution.

    Quel avenir ? Caldwell voit deux modèles possibles. Le premier est celui de la société multi-ethnique, type États-Unis. Il le juge peu plausible. L'autre est celui de l'Empire ottoman avec son système du millet, c'est à dire la formation d'une mosaïque de communautés plus ou moins autonomes, sous le contrôle d'un Etat impérial. Ce dernier modèle est plus vraisemblable. Mais, si l'Empire ottoman a vécu sous le régime du millet, à la longue il en est mort, quand les forces centrifuges ont échappé à son contrôle.

    On espère que l'ouvrage de Caldwell sera traduit, lu et discuté. Il en vaut la peine.

    Alain Besançon, Membre de l’Institut

    Commentaire n°128, hiver 2009-2010

    Correspondance Polémia

    23/01/2010

    Voir : http://www.polemia.com/article.php?id=2380

  • L'Eurasisme selon Alexandre Douguine

    L'Eurasisme selon Alexandre DouguineLe dernier ouvrage d’Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique, paru aux éditions Ars Magna, nous livre un état des lieux du monde postmoderne, ainsi que de la Russie poutinienne.

    Une synthèse éclairante
    La fin du XXème siècle se caractérise par la victoire totale, massive, de la « première théorie politique », le libéralisme, qui a vaincu définitivement les deux autres, le fascisme, en 1945, et le marxisme, en 1989. N’ayant plus d’adversaire capable de soutenir théoriquement et pratiquement la contradiction, et porté par sa logique destructrice, qui le mène à transcender toutes les limites, il tend, à partir de son noyau, les Etats-Unis d’Amérique, à se répandre sur toute la planète, éradiquant les racines des peuples et leur identité. De fait, il se nie lui-même, en abolissant son substrat idéologique, l’humanisme issu de la Renaissance, dont l’incarnation est l’individu. La postmodernité est en effet, après la fin des grands récits, la gestion des choses de l’économie, et le ravalement de l’homme et du réel au rang d’objet démontable et recomposable. A ce cauchemar, s’oppose le conservatisme, dans le sens que lui donnait en partie la Révolution conservatrice, concept que Douguine approfondit comme incrustation, dans l’ordre humain, de l’éternité, qui s'oppose au mythe du progrès et au « nomadisme de l'asphalte ».
    Alexandre Douguine, du point qui est devenu le nôtre après la déréalisation des discours qui fondaient l’Histoire humaine, examine le siècle passé, ses rêves et ses tragédies, pour réévaluer ses expériences, communisme et fascisme, en saisir les ressorts secrets, ainsi que les limites.

    Le concept de « civilisation »
    En même temps que Fukuyama, avec qui il a eu l’occasion de dialoguer, il analyse les thèses d’Huntington, sur le « choc des civilisations », pour développer une analyse de la notion de « Grand espace », autrement dit d’empire, théorisée par Carl Schmitt, ce qui permet au lecteur de comprendre ce qu’est une « civilisation », et d’aborder efficacement la question de l’Eurasisme. En effet, le libéralisme postmoderne, dans sa course mortifère à l’hégémonie mondiale, dans sa tentative d’imposer la technique et l’économie comme destin, le « Gestell » dont parle Heidegger, c’est-à-dire la « formulation sans fin de nouveaux modèles aliénants et nihilistes », se heurte à des résistances, à des « civilisations » porteuses d’une vision fondamentalement différentes, qui coexistent, et qui proposent chacune une vision singulière, irréductible, une alliance entre une anthropologie, une métaphysique, une langue et une une ethnie parfois, des coutumes, des manières de sentir, d’aimer, de haïr qui leur sont propres. Ces noyaux, qui s’opposent au noyau occidental situé aux USA et en Europe, sont la Chine et le Japon, l’Iran, le Califat, la Russie, l’Amérique latine de langue espagnole ou portugaise, et peut-être l'Europe. L’eurasisme ne cherche pas une alternative au nihilisme postmoderne dans le passé, mais dans la présence synchronique de pôles différenciés, qui constituent autant de variantes d’être au monde, originales et ontologiquement enracinées.

    La Russie et nous
    Douguine est un acteur engagé dans la Russie postsoviétique. Il nous donne, de première main, des informations sur le rapport des forces, notamment entre une oligarchie en majorité vendue aux anglo-saxons et un peuple attaché aux valeurs patriotique. Il nous éclaire sur le débat qui est la source des hésitation de Vladimir Poutine et du pouvoir actuel, entre l’Etat-nation, qui aurait sa place dans la « communauté internationale (un piège, selon Douguine), et l’idée d’eurasisme (l’empire). Rappelons que l’Empire n’a rien à voir avec celui de Napoléon ou le Reich allemand, qui étaient des nationalismes. Il est plutôt une « combinaison des différences en une unité », unité incarnée par des valeurs suprêmes (il n’est pas question de « fusion »). Douguine dresse un bilan de l’histoire récente de la Russie, et arrête son étude en 2008, lors de la réponse cinglante des forces russes à la tentative de la Géorgie de Saakachvili de perpétrer un génocide en Ossétie. La Russie semble surmonter le traumatisme eltsinien, et avancer dans la vie impériale. Sans doute les événements syriens vont-ils dans le même sens.
    En revanche, Douguine évoque, pour juger de l’Union européenne et d’un projet hypothétique de pôle civilisationnel, l’axe Paris-Berlin-Moscou, destiné à s’opposer à l’agression américaine en Irak. Depuis, l’élite européenne est passée avec armes et bagages dans le camp atlantiste. L’Europe continentaliste s’est transformée en Europe atlantiste, et se prépare au grand marché qui l’arrimera au noyau dur de l’occidentalisme. L’Occident est le lieu où le soleil se couche. Notre destin a besoin de la Russie, de l’Orient, pour contrebalancer ce crépuscule fatal. A nous d’opter pour le retour aux sources, plutôt que pour la linéarité de la course au néant historique et existentiel.
    Claude Bourrinet http://www.voxnr.com
    Pour recevoir le livre d'Alexandre Douguine, s'adresser à Ars magna éditions, BP 60426, 44004 Nantes cedex 1, en joignant un chèque de 32 euros franco.

  • La dépêche de Néchin

    Depardieu beau jadis !

    S'il était né à Pérouse au lieu de Châteauroux il aurait pu envoyer pour réplique : vaffanculo gianmarco ! et nous aurions applaudi plus fort. La lettre que publie le JDD d'hier cloue littéralement le petit prof à la porte de la grange socialiste.
    « Qui êtes vous pour me juger ainsi ? » c'est bien le noeud de la question. Parti de rien ou de l'Indre, c'est pareil, le comédien pantagruélique a fait sa pelotte. Si la banque américaine qui le courtise chiffre sa fortune à juste 120 millions de dollars, il n'est qu'un insecte dans le classement ploutocratique. Ayant investi de manière avisée les gains que lui laissait le Trésor public, il se trouve à la tête d'un patrimoine conséquent, non hérité, tout acquis : Plusieurs établissements parisiens (poissonnerie, épicerie fine japonaise, un bar, un bistrot, un restaurant), des vignobles en Anjou, Médoc, Languedoc et ailleurs où il s'investit beaucoup, par soif, une concession de motos à Roissy-en-France, un château en Val de Loire, une villa à Trouville et l'hôtel particulier de Chambon à Paris qu'il vient de mettre en vente chez Féau Immobilier. On lui prête aussi une collection importante d'oeuvres d'art.

    Rien qui dévoile un tempérament de fuyard. Plutôt franchouillard le Gégé !
    Mais à 85% d'impôts sur ses revenus (dit-il), il peut considérer que le mur du patriotisme est franchi, d'autant que les conseillers fiscaux les plus affûtés de la place expliquent à qui veut bien compter qu'avec un peu de chance ce sera du 100% d'impôts pour certains riches en 2013 et 2014, quand le fisc sera passé partout.
    Il a fait faire son compte depuis le début : 145 millions d'euros en 45 ans ; c'est pas mal. Combien de toute sa vie politique a rapporté au pays le premier ministre donneur de leçon ? Rien ! Epsilon ! Il n'a fait que coûter. Et MM. Hollande, Sapin, Hamon... itou ! Ces mecs qui brandissent la solidarité républicaine sont à jeun d'avoir mis une pièce d'or au tronc ! Quelques pièces jaunes tout au plus.

    Le vieux proverbe du riche maigre et du pauvre mort est traduit autrement par le petit commerçant du coin : s'ils partent tous et ne financent plus mes clients pauvres, qui m'achètera ? La stupidité colossale des répartiteurs de pauvreté qui nous gouvernent nous conduit à ce que la proportion de pauvres monte dans ce pays en répercussions d'une politique meurtrière d'emplois et de capital-risque : l'égalitarisme forcé par la confiscation légale du succès n'est que basse démagogie distribuant des promesses de recel aux envieux paresseux.

    Vieux cliché, le riche est svelte, le pauvre obèse

    Ce ne sont pas tant les riches qui fuient que les jeunes entrepreneurs en herbe qui caltent. Gérard Depardieu enfonce ce clou dans sa lettre : « Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le talent, en fait, la différence, doivent être sanctionnés ». Les censeurs de l'acteur-entrepreneur peuvent tendre leurs mains vides pour offrir un Plan pour la pauvreté à leurs clients, nul ne les croit capables de sortir 2,5 milliards d'euros du chapeau comme un lapin d'illusion, s'ils concourent par leur chasse aux riches à réduire l'assiette globale mise au Rôle. Les politiciens imbéciles, surprotégés de tous revers par leur statut social, cassent la dynamique d'avenir pour appliquer à l'économie des principes archaïques abandonnés partout ailleurs depuis longtemps. A quelle fin, on se le demande puisque l'application de ces principes réservés aux étagères des bibliothèques universitaires va au contraire aggraver les choses à moyen terme. Le socialisme n'est pas un ressort bandé pour sortir vivants de la crise. Et les mêmes de réclamer dans la foulée l'harmonisation fiscale de l'Union européenne, pensant peut-être que nos voisins vont acheter notre erreur de taxation frénétique ! C'est déjà perdre l'ISF (nous sommes les seuls) et d'autres impôts catégoriels iniques. L'étude de l'harmonisation démontrera au contraire que nous sommes le pays le plus volé par son Etat, sauf bien sûr en ce qui concerne la moitié des ménages exempts. Harmonisons donc ! Nous, contribuables français, ne pouvons qu'y gagner !

    Mais ce qui fait quand même le plus peur est l'autisme d'un pouvoir abruti de slogans, de mots-réflexes, profitant d'une légalité démocratique pour accroître l'Etat-providence hypertrophié qui nous a ruiné, et qui finalement va se payer le pays si on ne le stoppe pas. La Grèce a été ruinée par sa classe politique bien plus vite que par son émigration fiscale ou entrepreneuriale. Ces gens à Paris n'ont pas le calibre requis.

    http://royalartillerie.blogspot.fr

  • LEAP : 2013, les premiers pas dans un « monde d’après » en plein chaos

    Communiqué public du LEAP (Laboratoire Européen d’Anticipation Politique), 15 décembre 2012

    Sur la péninsule de Rockaway, dans la quartier du Queens à New York, après le passage de l’ouragan Sandy, fin octobre 2012

    La dislocation géopolitique actuelle, largement anticipée par le LEAP depuis février 2009, se traduit par une fragmentation du monde qui va s’accélérer l’année prochaine sur fond de récession mondiale. La fin du leadership des anciennes puissances va provoquer en 2013 un chaos mondial, duquel commence déjà à émerger le monde d’après.

    Ce sera une année sombre pour les États-Unis, perdant leur statut d’unique superpuissance et incapables d’influencer la construction d’une nouvelle gouvernance mondiale. Car, si tous les acteurs cherchent désespérément des solutions pour tirer leur épingle du jeu, seuls les pays et régions qui se sont préparés à affronter ce choc peuvent espérer peser dans l’émergence du monde d’après. Des alliances de toute nature (CELAC, UNASUR, MERCOSUR, ALBA, CAN, ALADI, ALENA, OEA, UA, NEPAD, SADC, COMESA, CEDEAO, UEMOA, CEMAC, Ligue Arabe, UE, AELE, ASEAN, APT, EAC, BRICS, CASSH, Union Eurasienne, etc.) reflètent ainsi ces tentatives ; mais celles-ci sont plus ou moins avancées, plus ou moins homogènes, et résisteront plus ou moins à la tempête qui s’annonce.

    Avec l’Euroland, né de la crise et se renforçant à chaque tempête telle une usine marée motrice, l’Asie et l’Amérique du Sud sont les mieux armées pour sortir gagnants du grand « remaniement » mondial, tandis que les vieilles puissances, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, Israël, le Japon, etc…, qui ratent tous les trains de l’adaptation au monde multipolaire de l’après-crise, se retrouvent totalement démunies. Car on assiste à une extraordinaire ouverture du jeu mondial, qui offre de nombreuses opportunités aux acteurs prêts à les saisir. On le voit au Moyen-Orient où les peuples tentent d’en profiter pour modifier la région selon leurs aspirations ; on le voit aussi avec les BRICS bien sûr qui avancent leurs pions face aux puissances déclinantes ; on le voit enfin en Europe à qui chaque nouvel assaut de la crise procure l’énergie pour s’adapter aux défis de demain.

    Puisque la situation économique (récession) et géopolitique (tensions extrêmes au Moyen-Orient, mais aussi en Asie (1), etc.) rend l’année 2013 difficile et très dangereuse, et les dérapages probables, les régions relativement plus stables bénéficieront de cette situation qui les rendra plus attractives. Tout est relatif bien sûr mais la violence du monde en 2013 fera apparaître l’Euroland comme un des rares havres de paix, de stabilité, de confort… et pour les investisseurs comme l’un des rares lieux dans le monde offrant une certaine visibilité sur l’avenir (2). Cette réalité constituera un puissant moteur de sortie de crise pour l’Europe en 2013.

    Un rapprochement de l’Euroland avec les BRICS, autre formation porteuse d’avenir, pèserait ainsi favorablement dans l’indispensable (3) réforme de la nouvelle gouvernance mondiale. La tenue du prochain G20 en septembre à Saint-Pétersbourg, hors de l’influence occidentale pour la première fois, est l’occasion de traiter enfin ces sujets primordiaux de gouvernance mondiale et notamment du système monétaire international. Car en 2014, les régions les mieux adaptées seront déjà en route pour le monde d’après.

    Proportion des pays dans la consommation mondiale, 2000-2050 – Source : Business Insider/OCDE

    Dans ce [numéro], notre équipe analyse cette fragmentation et cette restructuration en commençant par la région qui catalyse les tensions actuellement, le Moyen-Orient. Une large part est aussi dévolue à l’Europe qui, via l’Euroland, poursuit son entrée dans le monde d’après. Pour comprendre les évolutions de l’Euroland, il faut comprendre celles de l’un de ses acteurs majeurs, l’Allemagne, et nous menons donc une étude approfondie du paysage politique en Allemagne et des élections de 2013. Nous présentons également notre évaluation annuelle des risques-pays et l’évaluation de nos anticipations de 2012, avant de donner nos recommandations opérationnelles et les résultats du GlobalEuromètre.

    Dans ce communiqué public, notre équipe a choisi de présenter ses analyses concernant l’Euroland.

    Le profilage de l’Euroland dans le monde d’après la crise

    La guerre médiatique contre l’euro a eu ceci de bon qu’elle a forcé l’Euroland à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour surmonter la crise. Bien sûr, pas de révolution ici, on joue selon les « règles du jeu » (4), c’est-à-dire sans effaroucher les marchés. Pas non plus de déclarations fulgurantes, mais des compromis (5) trouvés au bout de longues discussions, suivis d’actions solides. Et petit à petit les structures sont en place pour renforcer l’Euroland. Le contraste avec l’immobilisme américain est saisissant.

    Cela ne doit pour autant pas occulter les difficultés de la Grèce et de l’Espagne par exemple : personne n’a dit qu’il était indolore de se remettre de l’éclatement d’une bulle immobilière historique et d’une crise systémique globale, et ces pays bénéficieraient d’ailleurs de plus d’aide technique ou d’expertise de la part des autres pays européens. Mais globalement la situation s’améliore, la nouvelle restructuration de la dette grecque est un succès (6), les déficits diminuent en Grèce et en Espagne (7), l’Italie a été remise sur les rails par Monti (8), les médias anglo-saxons eux-mêmes ne parlent plus d’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro et, fait nouveau, les médias américains font même l’éloge des progrès européens (9)…

    Que l’on ne se méprenne pas, 2013 sera difficile pour une Europe en récession. Mais que ce soit grâce à l’union bancaire qui entrera en fonction début 2014, à l’intégration politique accrue ou au mécanisme européen de stabilité (MES), l’indépendance de l’Euroland s’affirme (10). On le voit par exemple par les désaccords avec le FMI au sujet de la Grèce (11) : d’ici 2015, le MES aura suffisamment de crédibilité et de compétences pour renvoyer le FMI s’occuper des pays en voie de développement (ou de sauver les États-Unis ou l’Angleterre) et traiter seul les problèmes européens. Ce découplage avec les institutions du « monde d’avant » et les États-Unis permet à l’Euroland d’aller de l’avant en engageant une dynamique constructive pour s’adapter au « monde d’après » grâce à des outils taillés sur mesure.

    Signe visible du découplage et de l’indépendance de l’Euroland, malgré les vives critiques, les solutions adoptées face à la crise sont aux antipodes de celles pratiquées aux États-Unis. C’est en effet « l’austérité » (12) qui prévaut en Europe et qui lui évite le dérapage budgétaire US.

    La résistance de l’Euroland passe aussi par la mutualisation des dettes publiques. Avec le lancement des « project bonds » (13) destinés à financer des projets d’infrastructure dans l’Union Européenne, une mutualisation accrue est en cours et la voie est ouverte aux euro-obligations. Une chancelière allemande affaiblie après les élections de 2013, comme nous le verrons, aura peu de latitude pour refuser des euro-obligations demandée par le SPD qui se retrouvera dans la coalition gouvernementale. Puisque seule la voix de l’Allemagne manquait à ce sujet, au-delà de l’union bancaire, 2014 sera donc l’année des euro-obligations. D’ailleurs Angela Merkel lâche déjà du lest au sujet de la dette grecque (14), cédant sur un sujet sensible pour les Allemands malgré l’approche des élections ; c’est bien sûr dans son intérêt de s’assurer du bon fonctionnement de la zone euro, large débouché de ses exportations.

    Enfin, loin d’être un repoussoir comme aimeraient le faire croire les médias anglo-saxons, la zone euro est au contraire attractive malgré la crise : la Pologne souhaite devenir membre (15), les éventuelles velléités séparatistes régionales n’envisagent pas l’avenir sans l’euro (16)… Signe de plus qu’elle fait partie du monde d’après et qu’elle est une zone de visibilité dans cette crise, elle permet en outre d’abriter les pays membres des tensions géopolitiques.

    Euroland : en route vers l’union politique

    Ainsi, avec les progrès accomplis et malgré une légère récession en 2013, selon le LEAP, la fin de l’année prochaine marquera la sortie de crise de l’Euroland. La tempête mondiale de 2013 chahutera mais ne déstabilisera pas un Euroland bien arrimé et de plus en plus solide. S’ils ne seront pas encore tous visibles, les mécanismes de sortie de la crise se mettront en place dès 2013 pour traverser cette période en continuant à se renforcer, et permettront une claire reprise en 2014.

    Pour que la sortie de crise soit durable néanmoins, la nécessaire démocratisation doit être entreprise. C’est d’ailleurs ce que demande le parlement européen (17). Paradoxalement, celle-ci est aidée par la marginalisation des partis nationaux classiques : en France, l’UMP explose (18) comme anticipé dans le [numéro d'avril 2012] ; au Royaume-Uni, Ukip fait de l’ombre aux Tories (19) ; en Allemagne, la CSU et la CDU sont elles aussi empêtrées dans « leurs » scandales (20)… Cette marginalisation s’explique par l’intégration accrue de l’Euroland : il est devenu désormais évident aux yeux de tous que le pouvoir se situe au niveau européen et non plus aux niveaux nationaux. C’est donc naturellement que les partis s’européanisent, et Barroso a demandé aux partis politiques de présenter aux élections européennes un même « candidat principal » dans l’ensemble des pays (21), une vraie révolution après 30 ans de complète surdité aux questions de démocratisation (22) des institutions européennes ! Ces élections de 2014, année de la reprise, seront ainsi le catalyseur de l’émergence de l’Euroland.

    Un mot du programme Erasmus, aujourd’hui menacé de baisse budgétaire en conséquence des mesures d’austérité. Les politiques n’ont tout de même plus beaucoup le sens politique !! En pleine crise de l’Euro, gérée certes efficacement mais à l’encontre de tout principe démocratique, au prix de plans de rigueur parfois très pénibles pour les populations et dans un contexte de chômage endémique, en particulier celui des jeunes, le seul et unique repère positif européen, à savoir le programme Erasmus, va perdre non seulement des moyens financiers (23) mais encore son nom (24)… Si une réforme en profondeur de ce programme de mobilité étudiante, vieux de plus de 20 ans, s’impose pour l’adapter aux immenses enjeux de l’Europe au XXIème siècle (25), son nom doit bien évidemment être conservé (on ne se sépare pas d’une équipe qui gagne) et son budget suffisamment augmenté pour garantir sa pérennité sur la nouvelle période budgétaire qui va tout de même de 2014 à 2020, et donc bien au-delà de la crise. Un peu de vision que diantre !

    Cliquer sur le graphique pour l’agrandir

    Nombre d’étudiants Erasmus chaque année ; objectif de 3 millions d’étudiants cumulés – Source : Europa.eu

    Cependant les logiques politiques nationales sont bien sûr toujours à l’œuvre également, et les avancées européennes se font aussi à l’aune du rapport de force entre les pays. L’arrivée de François Hollande, en redonnant une voix à la France que Nicolas Sarkozy, totalement affidé à Merkel, lui avait fait perdre, a permis à d’autres voix de s’élever, a cassé la polarisation entre le moteur franco-allemand et les autres, bref a rouvert le débat en Europe, et il était temps. Mais la puissance économique de l’Allemagne, en comparaison notamment de la morosité de l’économie française, confère à Angela Merkel une influence certaine.

    Nous analysons d’ailleurs dans la partie suivante l’avenir politique de l’Allemagne et notamment les élections fédérales qui se tiennent à l’automne 2013. D’ici là, la chancelière sera en campagne et évitera tout risque inutile ou toute proposition qui pourrait déplaire à ses électeurs. Dans une année difficile, il faudra alors que les autres chefs de gouvernement réussissent à convaincre une chancelière hésitante. Dans une moindre mesure, cette situation perdurera ensuite car Angela Merkel sera fragilisée après les élections. À cet égard, le déblocage des discussions multilatérales en Europe est un signe très positif.

    —————

    Notes :

    (1) Par exemple le lancement de la fusée nord-coréenne (source : The Guardian, 13 décembre 2012) ou la dispute sino-japonaise autour des îles controversées (voir par exemple Le Monde, 13 décembre 2012).

    (2) En cela, l’Euroland dans le chaos mondial de 2013 présentera bien des ressemblances avec la Suisse pendant les guerres européennes du siècle dernier.

    (3) « Indispensable » car, comme l’a conclu le séminaire Euro-BRICS organisé les 27-28 septembre dernier à Cannes par le LEAP et le MGIMO, sans gouvernance mondiale rénovée intégrant harmonieusement la nouvelle diversité des puissances globales, le chaos de 2013 aboutira à un monde non plus multipolaire mais constitué de blocs concurrents porteurs d’immenses dangers géopolitiques.

    (4) Tout en modifiant lentement ces « règles » pour qu’elles ne soient plus uniquement celles des marchés : régulation bancaire, encadrement des agences de notation, etc.

    (5) Comme prévu par le LEAP, l’élection de François Hollande en France a permis la reprise des débats et discussions en Europe. Cela contraste avec Sarkozy qui suivait aveuglément Merkel et frustrait ainsi tous les autres pays qui n’avaient pas leur mot à dire face à ce « moteur » franco-allemand. L’arrivée du nouveau gouvernement a été vécue par la totalité des autres européens comme un véritable soulagement et une bouffée d’oxygène.

    (6) Source : Le Monde, 13 décembre 2012

    (7) Sources : Greek Reporter (11 décembre 2012) et Business Standard (05 décembre 2012).

    (8) Monti devrait rester influent malgré le coup de théâtre de Berlusconi qui a peu de chances d’être élu. Source : Le Nouvel Observateur, 11 décembre 2012

    (9) Lire par exemple Bloomberg (11 décembre 2012), CNBC (23 novembre 2012), FoxBusiness (28 novembre 2012), etc.

    (10) Les médias US en parlent eux-mêmes : CNBC (26 novembre 2012) titre The Euro Zone Is ‘Shaping Up Quite Well’ en relatant un rapport sur les progrès accomplis par l’Euroland.

    (11) Source : Der Spiegel, 21 novembre 2012

    (12) L’austérité reste toutefois mesurée dans beaucoup de pays ; dans les autres, il s’agit d’obtenir les mêmes effets qu’une dévaluation monétaire que les règles de la zone euro ne permettent pas de réaliser.

    (13) Source : Parlement européen, 05 juillet /2012

    (14) Source : Le Monde, 03 décembre 2012

    (15) Source : Le Monde, 30 novembre 2012

    (16) C’est d’ailleurs en partie ce qui peut expliquer la différence entre les sondages et les résultats des élections en Catalogne : à la dernière minute, le débat s’est porté sur le risque de sortie de l’Europe et de la zone euro de l’éventuelle nouvelle région souveraine (source elPeriodico, 22 novembre 2012). À eux deux, les partis séparatistes CiU et ERC ont alors perdu un siège au total contrairement aux craintes du raz-de-marée séparatiste annoncé.

    (17) Source : RTBF, 20 novembre 2012

    (18) Source : Le Figaro, 26 novembre 2012

    (19) Source : The Guardian, 26 novembre 2012

    (20) Voir infra.

    (21) Source : Euractiv, 17 septembre 2012

    (22) Nous savons de quoi nous parlons : pendant près de 30 ans, la démocratisation de l’Union Européenne fut de cheval de bataille de notre Directeur des Etudes et de la Stratégie, Franck Biancheri, décédé le 30 octobre dernier, qui mena un combat bien inégal contre des institutions et des systèmes politiques européens et nationaux complètement rétifs à toute évolution dans ce domaine. Il y a 6 ans, en voyant s’amonceler à l’horizon les nuages de la crise systémique globale, Franck Biancheri sut qu’il tenait enfin l’outil de cette démocratisation : la crise elle-même allait débloquer le projet d’intégration politique en mettant sur les rails un nouveau moteur de la construction européenne, allégé du Royaume-Uni et donc à nouveau apte à faire avancer l’union politique : l’Euroland.

    (23) Source : Le Monde, 05 octobre 2012

    (24) Le regroupement des différents programmes éducatifs européens (Comenius, Leonardo, Erasmus, etc…) a d’abord donné lieu au nom d’ « Erasmus pour tous » puis à celui de « Yes for Europe ». Apparemment, il existe des Européens à Bruxelles pour estimer que, pour un programme éducatif européen, le nom du grand humaniste néerlandais du XVème siècle ce n’est pas assez bien… il fallait au moins un « Yes for Europe », peut-être même un « Yeah-rope » !! Il est urgent de ramener à la raison ce genre de « saboteur d’Europe »…

    (25) En 2003, Franck Biancheri, qui fut aussi l’un des pères d’Erasmus, écrivait par exemple cet article intitulé : « Erasmus… et après ? » – Europe 2020

    Laboratoire Européen d’Anticipation Politique

    http://fortune.fdesouche.com

  • En Angleterre aussi, « le grand remplacement » de population est en marche

    Polémia a publié, il y a peu, trois papiers sur ce thème de la diversité des populations en Angleterre. On en trouvera les références en fin d’article. Marc Leroy nous a adressé une étude fouillée sur l’amplification d’une immigration massive extra-européenne qui, comme l’a si bien démontré Christopher Caldwell dans son livre Une révolution sous nos yeux, nous amènera à des changements irréversibles et au pire à la disparition de notre civilisation ancestrale. Nos lecteurs trouveront avec cette étude un complément utile à ce dossier.
    Polémia

    ________________________________________________________________________________________

     

    Le lecteur assidu de La Plume à Gratter le sait, l’écrivain Renaud Camus, devenu un paria du monde des lettres suite à ses diverses prises de positions politiques et sociétales (et notamment son ralliement à Marine Le Pen lors de la dernière élection présidentielle qui lui valut de se faire jeter comme un chien par sa propre maison d’édition), dénonce depuis des mois et des mois, et avec une obstination et une conviction presque suicidaires, ce qu’il appelle « le grand remplacement », à savoir l’immigration massive extra-européenne qui selon lui entraîne et entraînera inévitablement toujours plus de changements, de modifications radicales dans la structure sociétale, culturelle, religieuse et pourquoi avoir peur de l’écrire, ethnique de notre pays (lien vidéo et lien article de son discours d’Orange).

    Que l’on partage ou non l’intégralité de sa thèse et de son argumentation, nul honnête homme ne devrait pouvoir contester qu’il évoque de fait, avec ses mots à lui et avec son inquiétude extrême, un vrai débat de fond, un phénomène majeur de notre temps, un véritable sujet de société qu’il serait capital d’aborder avec rigueur et munis de chiffres fiables, de vrais états des lieux, de réelles projections pour les années à venir, afin d’avoir tout simplement une possibilité de choisir démocratiquement – et en toute connaissance de cause – l’avenir que nous souhaitons pour notre pays.

    Les anglo-saxons ont bien des défauts qui nous hérissent le poil à nous autres français (souvent à raison, parfois aussi à tort) mais ils ont au moins deux qualités, absolument essentielles en démocratie, et qui aujourd’hui nous manquent cruellement :

    1. La liberté d’expression est un droit bien réel chez eux, et non un mot creux qui envoie les « mal-pensants » au tribunal comme c’est aujourd’hui le cas en France (merci à SOS Racisme, au MRAP, à l’UEJF, à Gayssot et autre Taubira).
    2. Ils n’ont pas l’habitude de se cacher derrière leur petit doigt pour regarder la réalité en face (pour ce qui est éventuellement de la combattre, c’est bien-sûr une autre histoire). C’est ainsi que, par exemple, les statistiques ethniques ne sont pas le moins du monde interdites aux USA ou en Grande Bretagne : elles y sont même régulièrement effectuées et mises à jour.

    Du coup, les Britanniques savent – eux – à quelques années d’intervalle vers quel avenir se dirige leur pays. Un grand recensement est ainsi réalisé par l’Office national des statistiques une fois tous les dix ans en Angleterre et au Pays de Galles. Le dernier en date a eu lieu en 2011, et les résultats viennent d’en être révélés. C’est The Guardian qui ce mardi nous a dévoilé les premiers chiffres de cette gigantesque enquête effectuée à l’aide d’un questionnaire envoyé à plus de 26 millions de foyers anglais et gallois en mars 2011. Nombre de ces chiffres ont ensuite été repris par la très grande majorité de la presse anglaise, moins prude à aborder les sujets qui fâchent que nos chers « merdias » français. Un recensement effectué en mars 2011 on l’a dit, soit il y aura donc bientôt près de deux ans… La photographie sociétale qu’il dresse est donc d’ores et déjà obsolète, étant donné la rapidité effarante de la mutation de population qu’il nous révèle. Mais regardons-y tout de même de plus près.

    Que disent ces chiffres ? Notamment que la proportion des personnes nées hors du Royaume-Uni mais y résidant (immigrées donc) a augmenté de plus de 50 % par rapport à 2001, portant par exemple le nombre officiel d’étrangers (évidemment très inférieur à la réalité du fait de l’immigration clandestine de masse) à 7,5 millions, soit 13,4 % de la population. La communauté indienne est largement la plus représentée, mais on peut notamment constater une explosion de l’immigration polonaise (+ 500 000 par rapport à 2001) : une raison de plus pour la Perfide Albion de crier « vive l’Europe » !

    Les blancs d’ores et déjà minoritaires… A Londres !

    Si la population « blanche » était majoritaire à 91,3 % en 2001, elle ne l’est plus qu’à 86 % en 2011. A ce rythme, la balance arrivera à la parité des populations « blanche » et exogène dans à peine une cinquantaine d’années. Le journal The Independent relève même pour sa part qu’aujourd’hui, seuls 44,9 % des Londoniens sont blancs, pour un total passé de 4,3 à 3,7 millions en dix ans (- 600 000), ce qui fait de la capitale britannique aujourd’hui la première région du pays où les Blancs sont désormais minoritaires !

    L’Islam en conquête, le Christianisme en chute libre

    Sur le plan religieux, l’étude de l’Office national des statistiques est également très révélatrice des tendances de l’époque. Même si le christianisme demeure la première religion, avec 33,2 millions de fidèles (59 % de la population) c’est bien le seul culte à avoir perdu massivement des adeptes (près de 4 millions). L’islam avec ses 2,7 millions de représentants est en pleine expansion, on devrait plutôt dire explosion (+ 40 %, soit un million de fidèles supplémentaires en 10 ans !). L’athéisme croît également fortement (6 millions de britanniques de plus qu’en 2001 se déclarent non-croyants), soit un quart de la population. The Guardian rapporte dès lors que les chrétiens devraient être minoritaires en Grande Bretagne dès 2018.

    Le recensement britannique met ainsi à jour un bouleversement sociétal majeur, un mouvement de transformation de la population d’une ampleur et d’une rapidité proprement sidérantes. Les conséquences bien que se faisant dès à présent sentir, ne peuvent évidemment que s’amplifier très fortement, et sans doute dramatiquement sur bien des plans (unité nationale, droits des femmes, laïcité) dans les années à venir. Il n’est pas sûr et on devrait hélas même écrire « il est peu probable » que les autorités compétentes en tirent les leçons qui s’imposent et déclenchent alors la mesure ad minima qui apparait pourtant comme étant évidente et urgente à tout esprit un tant soit peu raisonnable devant un tel constat : l’arrêt immédiat et total des flux migratoires aujourd’hui en action, voire plus encore l’amorce d’une inversion de ceux-ci. La prise de conscience des « élites » britanniques qui vivent ce phénomène de très, très loin, dans leurs quartiers protégés, dans leurs « ghettos de riches » n’aura donc sans doute pas lieu. Mais au moins, les citoyens britanniques savent à présent -s’ils daignent encore simplement s’informer- ce qui les attend à très brève échéance : une modification radicale et définitive de leur mode de vie, de leur identité, de leur culture, de leur Nation. En France, les statistiques ethniques sont interdites…

    En France, dans les médias bien-pensants de tous bords, sur les radios, sur les plateaux de télévision (comme dernièrement sur celui de Frédéric Taddeï), il est de bon ton d’insulter, ridiculiser, et même criminaliser Renaud Camus, et sa définition de ce qu’il appelle « le grand remplacement ». Nul doute donc que nos chers médias, nos très belles âmes, nos zélés censeurs de la liberté d’expression ne feront pas un grand écho aux révélations terrifiantes à court et plus encore à moyen terme de ce grand recensement britannique, et qu’ils feront tout, et jusqu’au bout, pour empêcher que de telles statistiques ethniques puissent simplement exister un jour en France. Au nom de la générosité, de l’antiracisme et des bons sentiments, bien entendu ! Il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, et chacun sait bien que la meilleure façon de vaincre une mauvaise grippe, c’est bien évidemment de casser le thermomètre !

    Un jour prochain – demain déjà peut-être – grâce à eux et à cause de notre passivité, de notre résignation, de notre silence, il sera tout simplement trop tard… Le destin qui nous est tracé ne vous rappelle rien ? C’est pourtant rigoureusement celui du Kosovo, le berceau historique de la Serbie. Un destin qui s’est scellé en à peine soixante dix ans. Ni plus, ni moins.

    Marc LEROY http://www.polemia.com
    La Plume à Gratter
    12/12/2012

  • La religion de l’Europe n’est pas encore faite

    Le sommet constitutionnel réuni à Salonique en ces chaudes journée de solstice d’été 2003 (21 et 22 juin) a présenté l’esquisse d’une ébauche d’embryon de constitution. De timides pas ont été accomplis vers un renforcement du processus décisionnel communautaire par le vote à la majorité qualifiée dans un nombre limité de domaines, la création d’un président du Conseil européen et d’un ministre des affaires étrangères de l’Union.

    Mais ce ne sont là que des propositions qui devront être approuvées à l’unanimité des 25 États constituants lors d’une conférence intergouvernementale, du mois d’octobre prochain à mai 2004. Or, plusieurs constituants ont déjà fait savoir qu’ils s’opposeraient au projet : les britanniques entendent préserver leur souveraineté intégrale en refusant toute évolution vers une constitution fédérale. L’Espagne, la Pologne et l’Autriche contestent la répartition des votes au Conseil des ministres, qui leur est moins favorable que celle accordée par le traité de Nice…

    Gageons que ces nouvelles pommes de discorde (en plus de celles qui ont été jetées à propos de l’Irak, de la Turquie, de la politique agricole commune…) occuperont les prétoires de l’Europe virtuelle pendant longtemps. C’est exactement ce qu’attend le grand rival américain qui a clairement et cyniquement annoncé que sa politique vis-à-vis du vieux continent serait fondée sur le vieux principe du « diviser pour mieux régner ». L’Europe, toujours plus présente dans les discours, semble encore loin de se réaliser dans les faits, même si la sphère d’intérêts communs grandit et finira par nous contraindre à définir l’intérêt général européen et à le faire prévaloir sur les égoïsmes tribaux, fût-ce ceux des vieux États-nations, lorsqu’une divergence, réelle ou imaginaire, les sépare.

    Racines chrétiennes ?
    Une autre querelle de clochers concerne la religion de l’Europe. Lors du sommet de Salonique, plusieurs pays, dont l’Espagne, le Portugal et la Pologne, ont insisté pour que la future constitution de l’Union européenne « mentionne explicitement les racines chrétiennes de l’Europe ». Le premier ministre polonais, Leszek Miller, a particulièrement insisté sur cette exigence en disant : « On ne peut parler d’Europe sans parler de chrétienté ». Le « club chrétien » n’a pas eu gain de cause en l’occurrence puisque le préambule proposé par la Convention sur l’avenir de l’Europe se contente de mentionner « les héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, dont les valeurs sont toujours présentes dans son patrimoine ».

    Le plaidoyer pour la référence au christianisme dans le préambule de la future Constitution européenne est une position défendue avec ardeur par un certain nombre de personnalités notamment d’obédience catholique qui voient là l’occasion de relégitimer au niveau paneuropéen des valeurs religieuses en perte de vitesse. Cette offensive s’inscrit dans la stratégie médiatique du pape Jean-Paul II qui cherche à remobiliser les foules autour du thème chrétien à travers ses multiples voyages et les manifestations du genre des Journées mondiales de la jeunesse. Luthériens, calvinistes et orthodoxes gardent généralement une réserve prudente sur ce sujet qui a le don d’irriter le clan des laïcs (ceux-ci y voient non sans raison une dangereuse immixtion du religieux dans le champ politique). Voici quelques mois, Joseph Yacoub, professeur de relations internationales à l’université catholique de Lyon, résumait cette prise de position avec les arguments suivants : « L’Europe est diverse mais elle est aussi chrétienne comme d’autres mondes sont musulmans, hindous, bouddhistes, taoïstes ou animistes. Le dire n’est en rien préjudiciable aux autres religions présentes dans ce continent comme le judaïsme et l’islam (…) Le reconnaître solennellement, l’affirmer et l’incorporer dans les considérants préambulaires de la loi fondamentale, sans effet juridique, ne porte aucune atteinte aux autres croyances et convictions. Au contraire, cela permet de mieux se définir dans le débat avec les autres religions » (Le Figaro, Débats et opinions, 31/10/2002).

    On peut s’attendre à ce le « club chrétien » (qu’il conviendrait d’appeler « christianiste » pour mieux définir sa volonté d’influence dans le domaine politique) revienne à la charge pendant la conférence intergouvernementale de octobre à mai pour tenter de modifier la définition laïque de l’Europe proposée à Nice en décembre 2000 et reprise à Salonique en juin 2003. Si on peut comprendre cette offensive idéologique du point de vue d’un chrétien engagé dans la politique, on ne saurait accepter qu’elle aboutisse à imposer à tous les Européens, chrétiens ou non, le chapeautage d’une référence chrétienne suprême, même sans effet juridique (référence qui, notons-le en passant, arrangerait bien, outre Rome, pour des raisons d’influence morale et politique, l’axe Washington/Tel-Aviv). C’est le point de vue que je défends ici, non comme une conclusion ferme et définitive mais comme l’ouverture d’un débat face à ceux qui souhaiteraient le clore une fois pour toute par l’arbitraire d’une définition générale imposée à tous comme principal référent religieux de nos peuples. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, que la position soit exprimée de façon maximaliste (« on ne saurait parler d’Europe sans parler de chrétienté ») ou minimaliste (« l’Europe est diverse mais elle est aussi chrétienne comme d’autres mondes sont musulmans… »).

    Le christianisme n’est pas un ferment d’unité pour l’Europe
    Une première série d’objections concerne l’identité du christianisme et de l’Europe. Voici les remarques de l’historien René Sédillot :

    « Il faut reconnaître que le christianisme n’est européen en aucune manière. Pourquoi chercherait-il à s’incorporer au petit continent qui sert de presqu’île à l’Asie ? Il vise à la fois plus haut et moins loin. Le christianisme, comme l’Empire romain, a des ambitions universelles, et il les légitime d’avantage. Quand Saint Paul s’adresse aux Colossiens, il parle pour tous les hommes de tous les temps : “Il n’est plus question de Grec ou de Juif, de Barbare, de Scythe, d’esclave, d’homme libre ; il n’y a que le Christ, qui est tout et en tout” (…) comprenons qu’en supprimant la clôture qui, dans le temple de Jérusalem, isolait le parvis des Juifs de celui des Gentils, il a refusé les frontières entre les hommes (…) La religion nouvelle se dit catholique, d’un mot grec qui signifie universel (…) Plus qu’européen, le christianisme est oriental. Jésus le Nazaréen est d’Asie, et il ne quitte la Palestine que pour une fuite africaine. Des douze apôtres, onze sont de Galilée, Judas est peut-être de Judée. Deux seulement, Pierre et André, ont dû mettre le pied sur le continent européen. Saint Paul est un Hébreu né en Cilicie (…) Ce christianisme d’ambition universelle et d’essence orientale n’est d’ailleurs pas, pour l’Europe, un véritable ferment d’unité, parce qu’il est lui-même divisé… ».

    Suit une brève description des multiples hérésies, dissidences, réformes et contre-réformes et des guerres de religion auxquelles elles ont donné lieu (Survol de l’histoire de l’Europe, Fayard, 1967).

    René Sédillot reconnaît par ailleurs que l’universalité de la règle monastique et les croisades ont contribué à unifier l’Europe. Mais il est facile de répliquer que les croisades ont également opposé les Européens entre eux, notamment la campagne contre les Albigeois, et que certains ordres monastiques comme les Dominicains se sont particulièrement illustrés pendant les siècles d’épuration religieuse aux mains de l’Inquisition. Plus généralement, les guerres de religion atteignent des sommets d’horreur avec la guerre de trente ans au XVIIe siècle, véritable guerre civile européenne qui a donné le ton aux affrontements idéologiques ultérieurs.

    La religion en général et le christianisme en particulier, surtout lorsqu’ils sont exacerbés par une instrumentalisation politique, constituent, aujourd’hui encore, d’importants facteurs de division entre Européens. L’exemple de l’Irlande et des Balkans ne permet pas d’en douter.

    Que l’idéologie chrétienne, de nature apolitique, ait pu être instrumentalisée au service de l’unité européenne à certains tournants de l’histoire, notamment à l’époque carolingienne, est indéniable, même si cet effort d’unification s’est soldé par l’extermination et la conversion forcée des peuples hérétiques (Saxons, Wisigoths, Lombards…). Mais cela ne saurait nous faire oublier la guerre de religion comme puissant facteur ou, à tout le moins, comme complice de la grande fracture continentale. L’argument de la chrétienté comme ciment de l’Europe ne tient pas la route, encore moins aujourd’hui, à l’heure de la grande désaffection – et de la prolifération des obédiences sectaires – qu’hier.

    Notons en passant que « ce christianisme d’ambition universelle et d’essence orientale » (Sédillot) s’est transplanté hors d’Europe, notamment dans les deux Amérique, où il a pris racine avec une vigueur proportionnelle à celle avec laquelle il s’estompait du sol européen. Voici quelques mois, le Congrès des États-Unis, par 346 voix contre 49, recommandait « le jeûne et la prière pour que Dieu protège l’Amérique » (formule employée par Abraham Lincoln en 1863). Il n’est pas un conseil de ministres étatsunien, pas une assemblée politique de quelque importance qui ne débute ni ne s’achève par une prière collective. Cette expression politique de valeurs religieuses est aux antipodes de la tradition laïque à laquelle adhèrent les sociétés européennes qui, depuis de nombreuses décennies, ont cessé de confondre salut public et salut éternel, même si, comme le souligne Joseph Yacoub, la référence chrétienne est encore présente en filigrane dans la politique de certains États européens (Norvège, Danemark, Allemagne, Italie, Espagne, Pologne, entre autres).

    Que les États-Unis soient plus chrétiens que l’Europe ne garantit pas qu’ils soient plus justes ou plus raisonnables dans leurs pratiques politiques internationales comme nous avons pu le constater lors des récents conflits internationaux. On peut même penser que l’audace et l’agressivité parfois criminelle des « faucons » autour du président étatsunien (depuis la période Kissinger) obtiennent dans le public un degré de légitimation et de ferveur proportionnel au niveau de bonne conscience procurée par la certitude d’être dans le camp de la « vraie foi ». L’incompréhension à l’égard des Arabes et le favoritisme exagéré envers Israël qui interdisent tout règlement équitable de la question palestinienne s’abreuvent à la même source monothéiste.

    Les valeurs au crible du star system
    Il en va autrement pour l’Europe qui, sans avoir rompu ouvertement avec l’héritage judéo-chrétien, s’en est éloignée sensiblement depuis un bon demi-siècle. Si l’on additionne le nombre des athées avoués (qui se comptent par dizaines de millions dans l’Europe de l’Est), le nombre des non-pratiquants (une large majorité en France) et celui des croyants hérétiques (comme les nombreux admirateurs du dissident Eugen Drewermann en Allemagne), force est de conclure que le référent chrétien au sens orthodoxe ne peut s’appliquer qu’à une minorité d’Européens qui sont d’ailleurs loin d’être d’accord entre eux sur sa signification (l’œcuménisme ne prend pas, malgré les efforts du pape).

    Reste la question des valeurs. Des trois mondes qui structurent aujourd’hui nos existences d’après le sociologue Helmut Schelsky (Politik und Publizität, Seewald, 1983), la famille (foyer de valeurs communautaires), le travail (source des valeurs économiques) et les médias (terrain d’expression des mythes de la modernité), aucun n’est imprégné de valeurs typiquement chrétiennes, sauf pour une petite minorité de croyants-pratiquants (pas plus de 10 à 15 % des Français). Quant aux valeurs idéales, aux « grands récits » mythiques, il y a belle lurette que le star system a soufflé la vedette au catéchisme chrétien comme d’ailleurs à la catéchèse laïque et républicaine (la silhouette au chapeau de Jean Moulin est une figure de mode aussi peu signifiante politiquement que l’était celle du Che au béret à l’époque où elle donnait le ton). C’est parce qu’ils ont su se fondre dans le star system, producteur incessant de symboles éphémères, pieux ou profanes, que des exceptions comme l’abbé Pierre et mère Thérésa (et Jésus superstar) ont pu rivaliser avec Johnny, Madonna et Lady Diana.

    Si le recours au référent chrétien n’est pas une réponse crédible à la grande question des valeurs de l’Europe, qu’en est-il de la laïcité qui nous est scandée à tout bout de champ comme une panacée universelle ? Schelsky, entre autres, estime que l’homme occidental, « écartelé » entre ses trois univers contradictoires (famille, travail, médias) tombe dans une dépendance accrue à l’égard du troisième (télémania, pub-idéologie, hyperconsommation). Or, les valeurs laïques s’avèrent incapables de faire face à l’extraordinaire subversion médiatique des esprits. Les dérisoires combats publicitaires d’arrière-garde menés à grands frais par certains gouvernements contre la consommation de tabac, de drogue, d’alcool, contre la vitesse au volant, les comportements racistes, l’incivisme, etc. apportent la preuve de cette carence. Les valeurs laïques se caractérisent par leur négativité, leur refus de laisser les idéologies religieuses considérées comme « privées », voire sectaires ou tribales, s’emparer du champ politique censé rester neutre. Mais cette neutralité est toute relative et imprégnée de valeurs qui, à défaut de l’expression politique qui leur sont refusées, n’en continuent pas moins d’exercer une influence sur le milieu socio-politique. Les sociétés contemporaines laïcisées ne proposent que des anti-valeurs assez incapables de résister aux diverses subversions communautaires ou publicitaires qui les assaillent de tous côtés. Elles finissent souvent, comme aux États-Unis, par devenir la proie des lobbies et des minorités influentes qui imposent, au hasard des changements politiques, une formule idéologique fondée sur un équilibre oligarchique plutôt que sur les objectifs démocratiques mis en avant par le principe de laïcité.

    Penser l’Empire et « devenir grec »
    Si la réponse laïque, acceptée par défaut, est tout aussi insuffisante que la réponse chrétienne à la question des valeurs de l’Europe, vers quelles sources les Européens pourraient-ils se tourner afin de cesser d’être ballottés par des enjeux qu’ils ne maîtrisent pas et qui, pourtant, décident de leur sort ?

    Un indice nous est fourni par le jeune philosophe allemand Peter Sloterdijk qui a récemment défrayé la chronique bien-pensante en soulignant les insuffisances de l’humanisme de pacotille face aux enjeux du monde réel. Dans un petit essai intitulé Si l’Europe s’éveille (Mille et une nuits, 2003), il part du constat que l’Europe, prise dans l’étau de deux impérialismes concurrents, a végété dans des idéologies de l’absence (existentialisme, esthétisme culturel…) depuis 1945, date de son retrait de la scène internationale. Or, l’étau se desserre, l’assoupissement des deux demi-Europe à l’ombre des parapluies nucléaires des « Grands » n’est plus de mise. C’est alors que réapparaît la mythomotricité des tournants de l’histoire européenne, celle qui a permis la transmission (ou translation) de l’empire de Rome aux Carolingiens, puis aux Hohenstaufen et aux Habsbourg. Il ne peut s’agir, bien sûr de la même forme d’empire dynastique aujourd’hui. Mais, sauf à vouloir rester à la remorque d’un impérialisme étranger, les Européens devront concevoir une grande politique (le mot de Nietzsche est cité en exergue par l’auteur) à la fois impériale et démocratique pour se montrer à la hauteur de la situation nouvelle qui est la leur. Voilà le terreau de valeurs politiques nobles, venu de l’Antiquité, qui pourrait bientôt se superposer aux idéologies de l’absence et au désespérant petit individualisme consommateur offert aux masses indifférenciées par les multinationales du divertissement. Une autre piste nous est enseignée par le philosophe français Marcel Conche qui a récemment confié ses pensées à son élève, André Comte-Sponville (Confession d’un philosophe, Albin Michel, 2002). Dans une conférence à l’université de Neuchâtel intitulée « Devenir grec » reprise par la Revue philosophique (janvier-mars 1996), puis par la revue Krisis (janvier 2000), il explique qu’il a délibérément choisi de remonter jusqu’à la source la plus ancienne de l’esprit européen, celle des antésocratiques à partir de Homère, car elle contient les leçons d’héroïsme les plus précieuses que tout un chacun gagnerait à méditer1 : « D’un côté, le bonheur, de l’autre la grandeur, le fécond sacrifice de soi-même (…) Entre l’insignifiance et le sens, il faut choisir (…) Comment vivre sensément ? Chacun de nous, Occidentaux, peut s’essayer à devenir oriental, peut essayer sur lui une sagesse orientale, mais, pour autant qu’il reste fidèle à l’esprit de l’Occident, il n’y a que deux solutions : grecque ou chrétienne (ou judéo-chrétienne), rationnelle ou irrationnelle, philosophique ou religieuse : ou la raison ou la Révélation, ou la philosophie ou la religion, ou Athènes ou Jérusalem. Pour le philosophe, en tout cas, il faut choisir. Tout philosophe est, en droit, l’enfant de la Grèce. Qu’advient-il lorsqu’il a eu, comme aujourd’hui souvent, une éducation chrétienne ? Il doit s’en défaire, se dépouiller de toutes les croyances qui ne lui viennent pas de la lumière naturelle. Au devenir chrétien de Kierkegaard, j’oppose le devenir-païen ou plutôt le devenir-grec (…) La véritable avancée consiste à reculer jusqu’aux Grecs, et ici je dis : jusqu’à Homère ».

    Ces exemples de réflexion sur une autre façon de concevoir l’avenir de l’Europe, ont été offerts dans le sens d’une ouverture de la question des valeurs contre la clôture à l’intérieur du sempiternel dialogue de sourds entre christianisme et laïcité (tous deux, d’ailleurs, dépassés par les événements du devenir continental) au sein duquel certains voudraient l’enfermer.

    L’Europe sort lentement d’un long interrègne au cours duquel elle fut écartelée entre deux matérialismes totalitaires. Pendant cet intermède, sa culture traditionnelle fut laminée par les idéologies productivistes qui lui apportèrent du bien-être matériel au prix (écologique, social et culturel) que l’on sait. Cette période s’achève et nous voici exposés au risque – et à l’extraordinaire aventure – qui consiste à faire un bilan et un tri, à refonder nos propres valeurs en tirant le meilleur parti de l’antique héritage. Il serait dommage de gâcher l’occasion en continuant de nous chamailler à propos de valeurs moribondes.

    Sans doute sommes-nous, pour une bonne majorité d’entre nous (Européens), sans toujours le savoir ni le vouloir vraiment, un peu chrétiens, un peu athées ou laïcs et un peu païens avec une bonne dose de scepticisme. « Le choix de Dieu » (Lustiger) au sens chrétien, juif ou musulman, l’adhésion rigoureuse au credo monothéiste, ne concerne qu’une minorité d’Européens et n’est pas nécessairement lié au choix de l’Europe comme patrie en attente de reconnaissance. Au contraire, une telle vocation, dans la mesure de son exclusivité, dévalue les autres valeurs de l’Europe, celles d’Homère, Eschyle, Machiavel ou Giono : l’érotisme au sens poétique, l’amour de la nature, l’héroïsme guerrier, le politique…

    Avec le recul constant de la conscience historique et des enseignements classiques, le triomphe d’un individualisme de l’indifférence, combien d’entre nous seraient capables de « penser l’empire », et de devenir – ou redevenir – grecs et romains-germaniques comme le permet, comme l’exige la situation nouvelle ?

    C’est la question. En attendant de pouvoir y répondre, en attendant l’avènement d’une véritable haute éducation à l’esprit européen, condition de notre renaissance culturelle, en attendant qu’un élargissement spirituel se superpose à l’élargissement géographique et économique de l’Union européenne, le préambule à la constitution de l’Europe doit rester ouvert et laisser les générations montantes assumer leur destin en puisant dans le patrimoine de valeurs qu’elles jugeront à la hauteur de l’heure historique.

    2003.

    1. À propos du choix d’Achille, qui est, somme toute, celui de l’Europe…

  • Casapound ?

     

    Une polémique anime les milieux « d’extrême-droite » depuis quelques semaines. Elle concerne le mouvement néo-fasciste italien Casapound, célèbre pour occuper depuis près de 10 ans un immeuble au cœur de Rome, et ayant suscité un certain enthousiasme chez ses voisins européens.
    Un article de F-X Rochette dans Rivarol a mis le feu au poudre : l’auteur y étrille un livre récemment paru sur le phénomène italien, écrit par l’un de ses cadres.
    Favorable au débat d’idées, nous mettons à votre disposition l’article, le droit de réponse de l’auteur et la réponse du journaliste.
    Les commentaires sont ouverts et vous pouvez y glisser d’autres contributions sur ce thème ! En courtoisie bien sûr.

    « Une terrible post-modernité dans la maison d’Ezra

    L’ouvrage est épais, dense… 370 pages compactes de lignes et de lignes interminables écrites par un fier Italien de 32 ans qui, incontestablement, ne transige pas avec la réputation de bavards qu’endossent assez justement nos voisins transalpins.

    Pourtant la forme d’abécédaire choisi pour le bouquin aurait pu permettre à son auteur d’économiser en l’occurrence non sa salive mais l’encre de son imprimante qui doit être elle-aussi plus ou moins italienne… Bon, vous l’aurez compris chers lecteurs, je n’ai pas trouvé dans l’ouvrage étudié ici de l’avoine nourrissante ou je ne sais quelle source d’inspiration, ou encore une problématique à creuser, enfin quelques choses à se mettre sous la dent.
    Et je dois l’avouer, c’est bien le troisième livre écrit par un Transalpin ces derniers mois qui me déçoit profondément, qui n’apporte rien ou presque de nouveau ou de pertinent à la petite bibliothèque nationaliste que nous essayons d’enrichir utilement.

    Mais dans ce cas, je suis exposé à un problème d’une autre ampleur, à une question terriblement lancinante : Le livre est ennuyant, certes, la forme est assommante, mais le défaut rédhibitoire de la chose ne provient-il pas non seulement de son argumentation (et pas seulement de sa forme) mais de son objet même ?
    Et je suis si anxieux devant cette conjecture que j’en oublie de citer tout simplement le titre du bouquin italien, parfois si mal traduit, qu’il en devient loufoque. Tant pis, je me jette à l’eau : Casapound, une terrible beauté est née.*

     

    Un livre d’Adriano Scianca qui prétend présenter en 40 mots la révolution en devenir (sic) de la « maison d’Ezra » (Pound). Voilà, j’ai osé affirmer d’emblée ma perplexité devant un « manuel » relatant « poétiquement » l’aventure urbaine de Casapound, et tant qu’à être franc soyons-le avec audace, c’est, je crois, Casapound en tant que telle que je n’apprécie pas outre-mesure. Oh l’hérétique iconoclaste que je suis !
    J’entends déjà certains lecteurs sidérés grogner leur mécontentement estimant que ce François-Xavier Rochette a le don de voir la petite bête qui fâche partout et de n’être pas gentil avec ces jeunes gens si dynamiques, qui organisent plein de concerts de rock et qui se tatouent tous le symbole de la Casa, une tortue, sur le bras…
    Et que dire de tous ces tee-shirts super à la mode confectionnés par les poundistes entre deux tags ou graphs immortalisant leur formidable volonté de puissance nietzschéenne. Ah ce ringard de Rochette poursuit, ironique, ses diatribes pour ne pas dire ses objurgations ! Entends-je !

    Nous allons être plus clairs. Le livre, que j’ai eu le courage de lire en espérant y trouver des réponses doctrinales sérieuses à mes questions concernant la généalogie idéologique de cette association juvénile, constitue une somme de prosopopées « irrationnelles » d’ailleurs présentées comme telles à travers certains passages (ou endroits) du texte !
    J’aurais certainement du prendre plus au sérieux les avertissements de Gabriele Adinolfi, préfacier dudit ouvrage, pour éviter pareil écueil. Relisons-les : « Le livre est important mais quelques avertissements sont nécessaires pour nos cousins de l’Hexagone. Je connais bien l’esprit français qui aime à expliquer le monde d’une manière cartésienne et systématique ». Ce qui signifie : « Si vous ne comprenez pas les propos de l’auteur, ou si vous les trouvez un brin légers, c’est parce que vous, Français, êtes dépourvus de cette faculté de saisir l’énergie sidérale de la communauté commune de la Polis ».

    Oh, encore cette vilaine ironie provocatrice ! Mais ma petite acrobatie verbale décrit assez justement l’argument d’Adinolfi.
    Le fascisme, pour notre préfacier comme pour Adriano Scianca, n’est pas dogmatique mais une manière de vivre intensément une philosophie existentialiste des plus caricaturales, « l’essence de cette différence ontologique que l’on pressent sans la comprendre », une sorte d’anarchisme (sic), un futurisme où l’acteur « hurle, parce que le hurlement est auto-affirmation, dépassement du bavardage (il semble être plutôt ici poussé à l’extrême), moquerie de la banalité » .

    L’un des objectifs de Casapound est ainsi de favoriser l’émergence d’une nouvelle rationalité… Une rationalité en quelque sorte irrationnelle… Évidemment, derrière une telle phraséologie qui ne se distingue que par son emphase fatigante, on trouve la crypto-sociologie de l’inénarrable Michel Maffesoli.
    Une farce.
    D’autant plus que le jeune Adriano ne semble pas avoir eu le temps de la digérer… Il n’y a qu’à l’étranger d’ailleurs qu’on se réfère explicitement à Maffesoli tant ce drôlet est totalement discrédité en France, dans ce pays si rationnel… « Culte du corps, langage de l’image, exaltation de la tribu. C’est l’incarnation de la post-modernité communautaire, de l’icône, de la fête dont parle Michel Maffesoli dans plusieurs de ses œuvres ». Et notre auteur de singer le maçon au nœud papillon.
    L’effervescence qui crée du liant dans une ambiance de nihilisme joyeux, le devenir en gestation, le mystère de la communauté de conscience… Jusqu’à l’ineptie la plus ridicule qui aurait fait toussoter l’historien israélite Zeev Sternhell, généalogiste de l’irrationalité fasciste : « Pour un mouvement identitaire d’inspiration fasciste, donc toujours existentialiste et jamais essentialiste (!), écrit en effet irrationnellement notre Romain, l’identité n’est pas un simple fait tenu pour acquis dont il suffirait d’affirmer tautologiquement la présence ! Au contraire ! ».

    Tout est à construire ou à reconstruire, tout, même la nation… La nation est aussi à imaginer dans cet univers de nihilisme actif… Que disent, que pensent, que veulent penser Scianca et ces adolescents vivant dans une fiction perpétuelle ? : « La nation apparaît comme quelque chose qui n’existe pas, sinon en ce que l’on fait. C’est celle que nous faisons avec notre travail sérieux, avec nos efforts, en ne croyant jamais qu’elle existe déjà, en pensant justement le contraire ! La nation n’existe jamais et il faut sans cesse la créer ». Voyez-vous, avec la fête, le mélange, l’effervescence, l’imaginaire, la culture, surtout la bande dessinée et (encore) le maçon Hugo Pratt, le club de moto (sic), un phénomène mystérieux s’élabore (spontanément) alimentant une certaine idée de la nation…

    Un anticonformisme ?

    En fait, leur fascisme ressemble davantage à une sorte de culture urbaine postmoderne qu’à un courant politique cohérent. Ceux-là mêmes qui étrillent le national-socialisme responsable de l’Holocauste (sic), s’amusent par exemple à idolâtrer David Bowie et les Sex Pistols parce qu’ils ont eu le toupet de mimer « la geste » nazie lors de quelques concerts… Pareille dévotion à l’égard du groupe Led Zeppelin avec son chanteur androgyne chantant des chansons non engagées et donc combattant de fait la propagande communiste… Et peu importe si Page (le chanteur du groupe) et ses acolytes louaient dans leurs texte le Prince de ce Monde… Trop provocateurs les mecs !

    Mais l’ « anticonformisme » de Casapound en prend un coup Page 136. Il existe en effet des sujets pour lesquels il ne peut être question d’anticonformisme ! Un peu de dignité, zut ! C’est le cas bien évidemment pour la question juive. L’anticonformisme en arborant des images d’Albator ? Oui ! L’indécence ? Non ! L’auteur sort l’argument passe-partout philosémite qui fait tant rire Hervé Ryssen : « Le juif italien, en général, était un fervent patriote ».
    Mieux ! Il est plus patriote, plus italien que l’Italien de base ! Lisez et croyez (si vous le pouvez) : « Proportionnellement, les juifs donneront aux guerres pour l’indépendance italienne et aux troupes garibaldiennes, une contribution trente fois supérieure à celle du reste de la population ». Encore une fois, l’auteur met en exergue l’anti-antisémitisme mussolinien pour légitimer sa pusillanimité à l’égard de la communauté. « Mussolini ironisait sur l’antisémitisme dogmatique et les antisémites fanatiques (nous sommes tous les fanatiques de l’autre…) qu’il considérait comme un phénomène ‘allemand’, trop allemand’, et donc rigide, pesant et schématique ».

    L’anticonformisme de Casapound s’arrête également au seuil de la thématique shoatique. Le leader barbu de l’association italienne, Gianluca Iannone, s’explique : « Vous me parlez des chambres à gaz ?…Que dire ? Bien entendu, certaines images me provoquent le dégoût. Qui pourrait éprouver de la joie ou de l’indifférence devant un tel massacre ? Ce fut une tragédie ». Inutile de commenter cette marque de liberté…

    Casapound se montre aussi très sage sur le sujet conspirationniste ou plutôt anti-complotiste. Par principe, Casapound refuse l’idée de complot. Oui, par principe… Estimant être bien trop pure pour croire en de telles balivernes. Oui, l’incrédulité complotiste est un postulat cosmétique pour les « intellectuels » de la Casa qui ne manquent pas de figures rhétoriques pour éviter tout débat sur le sujet. Le « complot hébraïque », « existe-t-il ou pas ? Ce qui est sûr, c’est qu’il fait référence à une base psychique, qui a bien peu à voir avec le fascisme, lequel est décidément trop solaire et pragmatique pour tomber dans la paranoïa du complot et son animus soupçonneux et fielleux ». Incroyable argument qui consiste à postuler que le complot ne peut exister puisqu’il ne serait pas digne de la lumière fasciste ! Décidément, l’esthétique célébrée par les intellectuels de Casapound constitue une échappatoire commode. A moins que ma rationalité gauloise ne m’autorise à appréhender la profondeur de la pensée de nos nihilistes actifs… Qui sait ?

    Casapound pragmatique…

    J’entends quelques lecteurs qui avaient été préalablement séduits par l’expérience romaine me rétorquer que Casapound est avant tout une matrice d’actions qui rassemble des individus qui agissent sur le terrain, dans les rues des villes, les mains dans le cambouis, etc.
    Nos Italiens n’ont-ils pas pris d’assaut des bâtiments inoccupés pour en faire de jolis squats hygiéniques (pas crasseux comme ceux des communistes nous indique-t-on) et pour loger quelques familles. Des actions en fait symboliques destinées à promouvoir leur combat politique contre l’usure. La seule proposition tangible et solide présentée dans ce bouquin fastidieux…
    Mais que penser de leurs occupations de maisons privées perpétrées au nom de la solidarité italienne ? Si les locaux « volés » ou réquisitionnés servaient exclusivement à l’hébergement d’Italiens italiens SDF, nous comprendrions aisément la spécificité de la démarche de nos néo-fascistes.
    Mais ce n’est pas le cas !
    La preuve avec cet article du numéro 1 du Choc du mois nouvelle version de mai 2006. A la fin d’un article sur la Casa signé Jacques Cognerais (qui fit le voyage à Rome avant de rédiger son papier), nous sommes tombés sur un passage… assez surprenant. Page 65 : « Face à la pénurie de logements à Rome et dans sa périphérie, les militants néo-fascistes n’hésitent pas non plus à occuper des immeubles à l’abandon afin d’y reloger des familles sans toit, qu’elles soient d’ailleurs italiennes ou… immigrées ! »

    Explication tout aussi surprenante d’un responsable romain : « Quels qu’ils soient, les plus démunis n’ont pas à vivre au milieu des seringues qui jonchent les squats gauchistes… ». La fonction de Casapound, en matière de solidarité, serait-elle de faciliter la vie des allogènes clandestins ? Voilà en tout cas certainement le fruit d’un pragmatisme romantique résumé par ces propos naïfs d’Adriano Scianca : « La vérité est que nous, nous raisonnons avec le cœur. Uniquement avec le cœur ». Ou l’on finit par ne plus raisonner du tout…

    François-Xavier Rochette »

    « DROIT DE RÉPONSE

    C’est avec un certain orgueil que j’ai appris qu’une publication historique de la droite française comme RIVAROL avait dédié un long article à la traduction de mon livre CasaPound, une terrible beauté est née. Confiant en votre courtoisie, j’imagine que vous accepterez de m’offrir à mon tour un espace équivalent afin de pouvoir répondre aux vives et spécieuses critiques de M. François-Xavier Rochette.
    Contrairement à la méthode utilisée par ce dernier envers moi, je ne compte pas profiter de cet espace pour attaquer, avec des stéréotypes simplistes et choquants, le peuple français dans son ensemble, peuple envers lequel je ne nourris bien évidemment aucune animosité particulière. D’ailleurs qui a lu mon livre sait que Robert Brasillach – qui est ni un »nihiliste » ni un ‘‘postmoderne’’ – a énormément influencé ma vision du monde et est amplement cité dans mon ouvrage. Il est certainement regrettable de penser que le lecteur de RIVAROL ne le saura jamais suite à sa lecture de l’article de François-Xavier Rochette qui n’en parle pas une seule fois. Il ne cite pas non plus Pavolini, D’Annunzio ou Marinetti et l’école de la « mystique fasciste ». Il ne cite pas davantage Nietzsche, Heidegger, Schmitt, Spengler. En revanche il cite David Bowie et Led Zeppelin pour tenter de prouver que, Via Napoleone III (NDLR : le siège romain de Casapound), vivent des jeunes gens modernes, trop modernes, vêtus de t-shirts de rebelles et se noyant dans la décadence.
    L’article ne cite pas non plus le philosophe Giovanni Gentile, auteur que jamais personne n’a pu accuser d’être un fêtard débauché ou un anti-identitaire, même dans la phrase citée par Rochette sur le nationalisme fasciste (que ce dernier m’attribue à tort) et dont il fait un hymne à la société multiraciale. J’en viens donc naturellement à l’accusation qui m’est faite de « xénophilie », l’auteur ignorant sciemment que Casapound a toujours réclamé fermement la fermeture des frontières et a manifesté à maintes reprises contre l’immigration, notamment devant le Parlement. Tout ceci peut bien sûr être vérifié, photos à l’appui sur la toile, pour qui douterait de cette évidence.
    Selon Monsieur Rochette, nous serions donc les joyeux amis des peuples allogènes, et quoi d’autre encore? A oui, bien sûr, l’accusation parallèle de « philosémitisme ». Ainsi, les chapitres où je critique ouvertement ce que Finkelstein a appelé « l’industrie de l’holocauste », mais aussi la politique d’Israël et l’ouverture philosioniste d’une certaine droite néofasciste, deviennent, sous la plume de Rochette, une sorte d’élégie rabbinique. Le chroniqueur de RIVAROL devrait en parler avec Riccardo Pacifici, le président de la communauté juive de Rome qui, récemment, a déclaré que, « contre CasaPound on doit se remonter les manches et combattre aujourd’hui avec les outils démocratiques et, si le besoin s’en fait sentir, avec des fusils comme l’ont fait les partisans ». Déclaration d’une extrême violence dont on pourrait au moins espérer qu’elle nous épargne l’ironie paternaliste que répand la plume de Monsieur Rochette.
    Si toutefois, cet ennemi inflexible des dérives sionistes se propose de faire un panorama de toutes les droites européennes qui utilisent les arguments des colons de Gaza ou des néoconservateurs américains, qui reçoivent des subsides et des honneurs alors que Casapound ne reçoit que des insultes et des coups, nous en découvrirons sans doute de belles. M. Rochette, qui semble être un bon catholique, doit connaître la parabole de la paille et de la poutre et devrait s’en souvenir lorsqu’il se lance dans ce genre de diffamation…
    Finalement il ne reste qu’une question, celle de l’origine d’un tel manque d’objectivité, de respect et de tant d’inutiles crachats déversés sur Casapound à travers la « critique » de mon livre… Un règlement de comptes au sein de la droite française qui m’aurait échappé et où CasaPound n’a certainement rien à voir ? C’est possible. Mais peut-être que la raison est plus profonde et qu’elle a pour nom, pour reprendre le terme exact qu’utilisait Nietzche dans la langue de Molière: le ressentiment. Un mal dont nous n’avons pas le temps de nous occuper à CasaPound mais qu’à l’occasion nous savons très bien guérir.

    Adriano SCIANCA »

    « REPONSE DE F-X ROCHETTE

    Il est somme toute normal qu’Adriano Scianca soit profondément vexé par le contenu de mon texte, article qui n’était pas destiné, c’est certain, à faire la claque à une organisation qui s’appuie sur une sorte de mode télévisuelle pour mettre en branle une jeunesse éprise d’aventures corto-maltesiennes.
    Car, je le répète, ce que je reproche, si j’en ai le droit, à Casapound, ce n’est pas en premier lieu l’agitation commise par ces jeunes gens mais bel et bien la mayonnaise doctrinale qui sous-tend cette effervescence maffesolienne (que je connais pour l’avoir étudiée avant d’en avoir découvert la noirceur sous-jacente qui s’y cache) ou postmoderne pour utiliser des termes chers à notre auteur. Sur ce point, malheureusement, Scianca a beau citer Brasillach, Schmitt, Spengler et surtout Nietzsche (dont il semble avoir tiré un enseignement psychanalytique…), force est de constater que le tas d’idées qu’il a amoncelé anarchiquement dans ce livre ne repose sur rien, pis se révèle largement antinationaliste. Cela n’est point de mon fait si les choses sont ainsi.

    François-Xavier Rochette. »

    http://www.contre-info.com