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géopolitique - Page 878

  • Syrie : On a retrouvé les armes de destruction massives irakiennes !


    Syrie: On a retrouvé les armes de destruction... par Solidarite_et_Progres

  • Les victimes serbes ignorées par la justice internationale

    Comment ne pas être atterré par les derniers jugements du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) ? La stupéfaction le dispute à la consternation.

    Au moment où le TPIY s’apprête à fermer ses portes, il met en péril sa raison d’être en projetant l’image d’une justice sélective, qui fait une croix sur les dizaines de milliers de Serbes, victimes eux aussi du nettoyage ethnique.

    LES GÉNÉRAUX CROATES ANTE GOTOVINA ET MLADEN MARKAC

    Le 16 novembre, la Cour d’appel du TPIY a acquitté les généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, alors qu’ils avaient été condamnés à vingt-quatre ans de prison en première instance.

    La Cour d’appel ne nie pas que des crimes se soient produits contre des Serbes, et que jusqu’à 200 000 civils serbes aient été amenés à fuir les troupes croates en 1995.

    Elle ne nie pas non plus que des civils serbes aient été victimes de crimes lors de cette offensive contre les séparatistes serbes des "Krajina" [entités serbes autoproclamées en Croatie].

    La Cour d’appel se contente de casser le précédent jugement, arguant du seul fait que des bombardements éloignés de plus de 200 mètres de l’objectif militaire ne sont pas indiscriminés, donc illégaux, contrairement à ce qu’avait affirmé le premier jugement.

    Personne ne conteste que ce critère des 200 mètres n’était pas le plus pertinent. Mais il n’était qu’un élément parmi d’autres dans ce premier jugement au terme de deux ans de procès.

    Or la Cour d’appel, par trois juges contre deux, après quelques demi-journées, a fait reposer toute l’accusation sur ce seul critère des 200 mètres pour estimer que les accusés devaient être blanchis.

    Choqués par le jugement de leurs trois collègues, le juge italien Fausto Pocar et le vice-président du TPIY, Carmel Agius, ont écrit des opinions dissidentes, formulant les critiques les plus cinglantes qui aient jamais été écrites dans les annales de la justice internationale.

    A maintes reprises, ils dénoncent le caractère "erroné" du raisonnement de leurs collègues. Le juge Agius relève que plus de 900 obus sont tombés sur la ville de Knin [ville alors à majorité serbe, reconquise par les forces croates en août 1995] en trente-six heures alors qu’elle ne résistait plus, sans que cela suscite l’intérêt des trois autres juges de la Cour d’appel.

    La suite dans Le Monde.fr

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  • Unité du monde et grand espace européen Günther Maschke

    Günther Maschke, ancien militant gauchiste de 1968 à Vienne, acti-viste du SDS révolutionnaire, converti aux thèses de la droite radicale et traditionnelle par une lecture attentive de Carl Schmitt et de Donoso Cor-tés, dont il est le brillant traducteur allemand, a prononcé cette allocution à Rome, à l'occasion du 4ième Symposium de la revue syndicaliste (CISNAL) Pagine Libere.  Thème: ³Wall Street? Non merci!² (4 & 5 juin 1993). Parmi les autres orateurs, signalons Giano Accame (directeur du Secolo d'Italia),  le Prof. Michel Maffesoli (Paris, sociologue spécialiste des dimensions dionysiaques de nos sociétés), le Prof. Francesco Coppel-lotti (traducteur d'Ernst Nolte), le Prof. Carlo Gambescia (spécialiste de l'¦uvre de Pitirim Sorokin), Luca Leonello Rimbotti (collaborateur des re-vues Diorama Letterario  et Trasgressioni   de Florence et spécialiste du fascisme de gauche, du national-bolchévisme, etc.) et, représentant le monde non universitaire et militant, Alain de Benoist, directeur de Krisis.  Nous reproduisons ce texte avec l'aimable autorisation de l'auteur.

    Duo quum faciunt idem, non est idem. Si deux hommes parlent entre eux de l'unité de l'Europe, ils croiront sans doute qu'ils sont du même avis. En réalité, l'un voudra l'unité de l'Europe en tant qu'étape vers l'unité du monde, scellée par une socialisation uniformisante de l'humanité, produite par la technique et l'économie, deux facteurs qui rendront superflue toute politique. L'autre interlocuteur, au contraire, vou-dra l'unité de l'Europe pour mettre un terme à toutes ces tendances universalistes vers l'unité du globe et à la disso-lution de toutes les différences existant entre les nations et les cultures. L'Europe doit s'unir, mais pour se délimiter. Elle devra atteindre une nouvelle intensité politique, trouver une nouvelle identité politique, qui lui permettront rapidement de distinguer l'ami de l'ennemi, sur un mode lui aussi nouveau.

    Celui qui parle aujourd'hui de l'Europe doit dire aussi clairement s'il entend servir l'"universalisme" ou le "grand espace" (1), pour reprendre deux concepts chers à Carl Schmitt. S'il souhaite la dissolution du monde dans une seule et unique unité pacifiée, dans laquelle il n'y aurait plus qu'une politique intérieure mondiale, où la paix serait maintenue à l'aide d'expédients de type policier ou s'il désire une organisation régionale des pouvoirs de ce monde, organisation grâce à laquelle les peuples collaboreraient entre eux, dans la sérénité et dans l'indépendance réciproque. Les grands espaces formés de cette manière "recevraient leur centre et leur contenu non seulement de la technique mais aussi de la substance spiri-tuelle des peuples, de leurs religions et de leur race, de leur culture et de leur langue, sur base des forces vivantes de leur hérédité nationale" (2).

    Ces deux conceptions opposées, nous les retrouvons au départ de toutes les réflexions sur la désirabilité de l'union de notre continent. Dans son texte rédigé entre 1294 et 1318, De monarchia, Dante se faisait l'avocat de l'unité du monde (qui, pour lui, était encore identique à l'Europe connue) sous le gouvernement d'un Empereur qui recevrait du Pape la plénitude de son pouvoir.

    Ce n'est pas un hasard si Hans Kelsen, le juriste-philosophe inventeur d'un concept d'ordre juridique mondial, qui conduirait à la dissolution de toutes les souverainetés des Etats particuliers, commence son ¦uvre par un éloge actualisé de la pensée de Dante (3). Pierre Dubois (alias Petrus de Bosco), au con-traire, explique en 1306, dans De recuperatione Terrae Sanctae,  la nécessité d'une unité de l'Europe et d'une paix durable sous les principes qu'il avait énoncés, dans le but de reconquérir la Terre sainte en lançant une croisade victorieuse. L'unité est nécessaire, ajoutait-il, parce qu'il y a un ennemi (commun) et c'est la présence de cet ennemi qui fait que notre ³nous² se constitue.

    D'un point de vue chrétien, l'unité du monde ne peut exister que dans Adam ou dans le Christ. A la fin des temps seulement   ‹qui adviendra  apocalyptiquement et non pas métaphoriquement comme la ³fin de l'histoire² dont on parle et reparle aujourd'hui‹  nous aurons une unité qui se présentera comme dépassement du politique, comme dépassement de l'opposition ami/ennemi. Mais en entendant ce moment eschatologique, dans le temps présent, nous n'aurons jamais qu'une recherche toujours vaine de l'unité du monde, nécessairement placée sous le signe de l'Antéchrist, dont la devise est notoirement pax et securitas.  Si le dépassement du politique est le dépassement de l'opposition ami/ennemi, et si ce double dépassement est l'objectif que l'on s'assigne, il ne pourra être atteint qu'au bout d'une longue lutte sanguinaire. A la fin de ce combat, le monde s'unira sous le signe de la technique et de l'économie, celle de Henry Ford ou de Vladimir Illitch Lénine.

    Jusqu'il y a peu d'années, notre situation était la suivante: dans la guerre froide, deux modes d'existence luttaient l'un contre l'autre, mais chacun de ces modes était dépourvu de foi et d'idéologie, ne désirait que le profit ou la jouissance sans autre considération; pire, ces modes d'existence étaient réservés aux masses technico-prolétariennes, fanatisées et maintenues dans la pauvreté (4). Mais les deux partis de cette guerre civile planétaire étaient d'accord sur une chose: après leur victoire, le politique allait disparaître. En 1922, Carl Schmitt écrivait à ce propos: "Aujourd'hui, rien n'est plus à la mode que la lutte contre le politique. Les financiers américains, les techniciens industriels, les socialistes marxistes et les révolutionnaires anarcho-syndicalistes sont tous d'accord pour réclamer l'élimination du pouvoir non objectif de la politique qui s'exerce sur l'objectivité de la vie moderne. Il ne doit plus y avoir désormais que des tâches d'ordre technique ou organisationnel et il ne peut plus y avoir de problèmes politiques" (5).

    Les problèmes politiques auraient véritablement disparu mais seulement si le monde tout entier avait été soumis aux mêmes critères économiques et techniques. Seule une véritable et complète unité du monde, seul un ³Etat mondial² et un ³gouvernement mondial² pourraient actualiser la dépolitisation du monde et le stabiliser, croient les adeptes de cette superstition moderne.

    Ce gouvernement mondial n'aurait plus eu besoin que d'une police mondiale  ‹seulement pour une période de transition?‹   qui aurait eu pour tâche d'annihiler les éventuels rebelles par le truchement d'une police bombing.  Ce gouvernement mondial oblitèrerait tous les systèmes juridiques existants dans les Etats particuliers, au sein des peuples, et imposerait son droit international, après avoir stabilisé l'entièreté du monde. Le droit mondial disciplinerait ensuite tout ce qui vit et croît sur la terre. Ecoutons à ce sujet Hans Kelsen: "L'idée de souveraineté doit être radicalement éliminée... la conception de la sou-veraineté de l'Etat lui-même est aujourd'hui un obstacle à tout ceux qui envisagent l'élaboration d'un ordre juridique international, inséré dans une organisation prévoyant la division planétaire du travail; cette idée de souveraineté empêche les organes spéciaux de fonctionner pour que nous débouchions sur le perfection-nement, l'application et l'actualisation du droit international, bloque l'évolution de la communauté interna-tionale en direction d'une... civitas maxima   ‹y compris dans le sens politique et matériel du mot‹ . C'est là une tâche infinie que la constitution de cet Etat mondial dans lequel nous devons, par tous nos efforts, placer l'organisation mondiale" (6). Si l'unité du monde est réalisée un jour de cette manière et si, dans un tel monde, toute forme d'inimitié est éliminée, nous n'aurions plus rien d'autre que l'émanation d'une humanité qui se déifierait elle-même et commettrait, par là, le plus grand de tous les péchés imagi-nables. Car le politique en tant que distinction ami/ennemi est enraciné dans le péché originel. Or de-puis que nous ne pouvons plus être ni justes ni bons, nous sommes contraints de faire la distinction ami/en-nemi. Certes, chaque fois que nous opérons cette distinction, nous péchons. Mais si nous voulons dépas-ser cette distinction à l'aide de nos seules forces, nous nous mettons à la place de Dieu, ce qui est un plus grand péché encore.

    Si nous prenons en considération la situation actuelle depuis l'effondrement de l'Union Soviétique et la Guerre du Golfe, si nous nous rappellons les désirs formulés par Boutros-Ghali, le secrétaire général de l'ONU, nous constatons automatiquement que cette idée d'une unité du monde n'est pas qu'une simple spéculation théologique ou une fantaisie de juriste. Il ne faut pas être particulièrement perspicace pour constater que l'unité du monde proclamée aujourd'hui par l'ONU ne sert pas en fait les "intérêts du monde" mais bien plutôt les intérêts concrets de certains Etats, et plus spécialement, ceux des Etats-Unis.

    Les étapes vers cette unité du monde ont été le Traité de Versailles et la création de la SDN (1919), le Pacte Briand-Kellogg (1928), la Doctrine Stimson (1932) et la création des Nations-Unies (1944). Tous ces efforts ont été entrepris pour contrer les tentatives de construire de grands espaces organisés par un droit et un ordre spécifiques, au-delà de toute forme d'universalisme. L'argument de l'"unité du monde" a toujours été avancé dans l'intérêt des privilégiés de la planète, des beati possidentes  contre les have-nots   qui désiraient se donner un droit taillé à leur mesure, surtout contre l'Allemagne et le Japon, qui, en Europe ou en Asie orientale voulaient constituer de "grands espaces". Ces beati possidentes  sont aujourd'hui les Anglo-Saxons, ou plus précisément, les Américains, qui prétendent représenter seuls la "conscience du monde". Certes, nous pouvons nous permettre aujourd'hui de critiquer, même avec des arguments faciles ou simplistes, le Traité de Versailles, la SDN, le Pacte Briand-Kellogg, etc. Mais il ne sera pas facile de critiquer l'ONU: le type de juriste aujourd'hui dominant n'oserait pas se le permettre!

    Quand on a bombardé l'Irak, il y a deux ans, on l'a fait au nom de la "communauté mondiale" et de la "conscience mondiale". A partir du moment où l'on a estimé que la guerre de l'Irak contre le Koweit avait coûté au maximum 5000 vies humaines, la "conscience mondiale" a décidé de se mobiliser et les forces armées destinées à concrétiser les représailles ont pu agir officiellement au nom de l'ONU: elles ont tué 140.000 Irakiens. Ce n'est pas un hasard si cette action a été déclarée "guerre juste", parce que l'idée que sa propre cause constitue à elle seule la justice absolue justifie l'extermination de l'ennemi, qui n'est plus perçu comme un justus hostis   mais comme un criminel que l'on place derechef hors-la-loi. La notion de "guerre juste", dans les réflexions de Saint Augustin et de Saint Thomas d'Aquin, était pourtant liée à un calcul de proportionalité. A leurs yeux, il était impossible d'éliminer une injustice  ‹la mort de 5000 hommes‹  en commettant une injustice plus grande  ‹la mort de 140.000 hommes‹. Cette prudence de nos deux théologiens, quand ils évoquent la conduite de la "guerre juste", s'explique par la conscience du péché. Le chrétien peut nourir des doutes quant à sa capacité de reconnaître la volonté de Dieu; l'"humanité", en revanche, s'avère incapable de douter d'elle-même. A cela s'ajoute que cette humanité disposait d'interprètes comme le lobbyiste des pétroles texans, George Bush.

    La Guerre du Golfe a pleinement mis en lumière notre problématique, celle de l'"unité du monde" ou de l'"universalisme", d'une part, et celle du "grand espace", d'autre part. Outre l'Irak, qui, à long terme, voulait asseoir son hégémonie sur la péninsule arabique et fonder ainsi un "grand espace", la Guerre du Golfe a connu deux autres perdants: l'Europe occidentale et le Japon. L'Europe occidentale avec son Marché Commun  ‹qui, en un certain sens, mérite d'être qualifié de "grand espace"; nous y reviendrons‹ pourrait un jour devenir dangereuse pour les Etats-Unis. En fait, tant l'Europe occidentale que le Japon ont payé des milliards de dollars pour une guerre à laquelle ils n'avaient aucun intérêt réel. Ils ont payé des milliards aux Etats-Unis qui, d'une part, se trouvent déjà sur la voie du déclin, et qui, d'autre part, préparent déjà avec une redoutable clairvoyance la lutte pour la domination du monde, une lutte qui s'engagera contre l'Europe occidentale et le Japon!

    L'Europe occidentale et le Japon ont facilité par leurs paiements aux Etats-Unis le prolongement de la domination américaine sur eux-mêmes! Comme à une époque déterminée par l'économie, les décisions absurdes doivent être, elles aussi, expliquées par l'économie  ‹pour apparaître ³rationnelles²‹  on a dit que Saddam Hussein, dès qu'il se serait rendu maître des champs pétrolifères koweitiens, ferait flamber les prix du pétrole et précipiterait ainsi les économies nationales occidentales dans une crise terrible. Mais, en fait, le prix du pétrole a augmenté après  l'opération militaire victorieuse contre l'Irak, dans des proportions supérieures à ce que Saddam aurait jamais osé faire. Aujourd'hui, en effet, les Etats-Unis possèdent, grâce aux injections financières des Européens de l'Ouest, de gros intérêts dans le Golfe. En cas de crise, ils pourront très facilement fermer les robinets du pétrole aux Japonais et/ou aux Européens de l'Ouest.

    Dans les années à venir, une telle crise est parfaitement possible, voire probable: l'Europe occidentale et le Japon auront alors financé leur propre étranglement! L'idée d'un "nouvel ordre mondial", dont parlait George Bush avec tant d'éloquence à l'époque de la Guerre du Golfe, ne tient que si elle est régulière, que si elle respecte ses propres règles: ³ordre² signifie aussi ³régularité². En conséquence, l'ONU a puni l'Irak mais devrait également punir Israël ou la Syrie; elle devrait également prendre des mesures contre la Turquie ou contre la Chine; elle devrait intervenir avec la même fermeté au Sri Lanka ou au Pérou, en Colombie ou en Azerbaïdjan; elle devrait étendre ses activités en Yougoslavie et au Cambodge.

    Mais si l'on oublie que l'ONU elle-même repose sur la dualité d'un conseil de sécurité (CS) et d'Etats-clients, lesquels sont les obligés de membres de ce CS et peuvent, en cas de nécessité, être protégés par un veto, la nouvelle doctrine apparaît à l'évidence comme une pure illusion, qui ressasse à l'envi la thèse du one world. Cette nouvelle doctrine a échoué parce que les intérêts politiques des puissances sont divers et contradictoires et que leurs moyens financiers ne sont pas identiques. Et elle échoue aussi parce que les soldats ne sont guère disponibles ni prompts à se faire tuer come Italiens au Pérou, comme Allemands au Tibet, comme Turcs au Sri Lanka, etc. Si une telle doctrine triomphait envers et contre les sentiments des peuples, leurs soldats ne mourraient plus pour leur propres pays mais pour l'une ou l'autre résolution de l'ONU, par exemple celle qui porte le numéro 47.634. Imagine-t-on édifier des monuments aux morts, pour la résolution 47.634, dans un avenir proche ?

    L'idéologie de l'"unité du monde" ne fonctionne pas, tout simplement parce que cette unité n'existe pas dans le concret. Mais l'idée de l'unité du monde est fortement ancrée dans certains esprits influents, qui fomentent du désordre dans le monde en voulant la faire passer de la puissance à l'acte, pour le plus grand profit des Etats-Unis. Tout Etat qui possède des armes modernes et dispose d'une certaine puissance globale vit en fait dangereusement dans le monde actuel. En effet, il se heurte à la résistance des seuls possesseurs du pouvoir en ce monde qui, en outre, peuvent mobiliser contre lui l'idée de la paix mondiale, qu'il menacerait, et amorcer un processus de discrimination à son encontre en le qualifiant de "criminel"; en bout de course, cet Etat pourrait être soumis à un "massacre technologique". La lutte pour le pouvoir planétaire se donne ainsi une caution morale et oblige tous les adversaires réels et potentiels des puissants à envisager une punition cruelle, parce que le vieil adage romain et gaulois Vae victis,   prononcé sous les murs du Capitole par le chef celtique Brennus, est devenu plus actuel que jamais!

    Nous devons dire une bonne fois pour toutes que l'actuel droit international, qui veut contraindre les peuples à la paix mondiale au lieu de vouloir discipliner et limiter la guerre, s'alimente à deux sources particulièrement troubles: les conceptions internationalistes de la révolution française, d'une part, et celles, tout aussi internationalistes, des grandes puissances maritimes et impérialistes qu'étaient jusqu'en 1914 la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Aujourd'hui, la seule thalassocratie qui demeure en course, c'est l'Amérique. Nous ne pouvons que définir brièvement ici ces deux systèmes conceptuels, qui affichent la volonté de stabiliser définitivement le monde. Ainsi, conformément à la dogmatique de la révolution française, toute puissance qui menace la liberté républicaine, c'est-à-dire l'idéologie politique générée par les Lumières, est automatiquement hostis injustus. Parce que l'humanité est unité, parce que les conquêtes de la révolution doivent se réaliser partout dans le monde, l'adversaire de ces principes philosophiques et politiques est ennemi du genre humain tout entier (Robespierre: "Celui qui opprime une nation se déclare ennemi de tous").

    Au départ, le refus de considérer l'adversaire comme justus hostis ne valait que pour les représentants des pouvoirs traditionnels. Mais si un peuple accepte de vivre sur un mode pré-révolutionnaire, non démocratique et anti-républicain, il devient tout entier un "oppresseur", parce qu'il refuse, par son comportement conservateur, d'accepter une raison universellement valable, prescrivant un standard unique en matières de constitution et de droit. L'expansionnisme napoléonien s'est basé sur ce messianisme révolutionnaire et a dès lors transformé la guerre, qui jusqu'alors était une affaire entre Etats, disciplinée et fermée, en une guerre civile s'étendant à toute l'Europe, avec ses discriminations, sa propagande agressive et ses bouleversements dans les structures sociales et administratives des pays occupés (7).

    Le droit international et le droit de la guerre maritime de facture anglo-saxonne ne connait pas, lui non plus, de justus hostis. L'ennemi n'est plus seulement le soldat de l'Etat ennemi, mais aussi chaque civil ressortissant de cet Etat. N'importe quel civil peut ainsi se voir exproprié, interné et traduit devant un tribunal. Pire, l'ennemi, dans cette optique thalassocratique et anglo-saxonne, peut même être le citoyen d'un Etat neutre qui, sous une forme ou une autre, pourrait favoriser l'ennemi, par exemple en étant son partenaire commercial. En conséquence, ses biens en haute mer peuvent être saisis et on peut le contraindre à la collaboration économique et au boycott de son propre partenaire, etc. A cette tendance à amplifier et à aggraver la guerre et à abolir l'institution qu'est la neutralité, correspond une propagande qui "satanise" l'ennemi, criminalise son peuple tout entier et l'assimile à une bande de malfaiteurs. Cet état d'esprit rend toute paix définitive impossible, alors qu'une telle paix était précisément l'objet du droit international classique.

    En fait, dans l'optique universaliste et kelsenienne, il n'y a plus de guerre désormais, mais seulement un commerce libre et pacifique qui ne fait plus qu'un avec l'idéologie des Lumières, le mythe de l'humanité, le culte du progrès, etc. Tous ceux qui feraient mine de former des zones autarciques, de constituer des blocs protégés, menacent directement ce commerce "libre et pacifique", dominé jadis par l'Angleterre et aujourd'hui par les Etats-Unis. Ils sont donc en soi des "ennemis". Au plus tard en 1937, l'Allemagne et l'Italie sont devenus des ennemis pour Washington, le Japon les ayant précédés de quelques années. Les puissances de l'Axe, par leur politique économique, menaçaient la division du marché mondial, imposée par les Etats-Unis. Roosevelt, pour les besoins de sa propagande, a imaginé, hystérique, des ennemis terrifiants et a préparé dès 1937 son pays à la guerre, alors que Hitler croyait encore en 1939 qu'il pourrait limiter sa guerre à une guerre-éclair, sans que les Etats-Unis n'aient le temps d'intervenir (8).

    Quand un "ennemi" de cette option universaliste, "commerciale, libre et pacifique" se pointe à l'horizon, on commence par le mettre sous pression économique, on le soumet ensuite à des embargos ou des blocus et, finalement, on le décrète "ennemi de l'humanité" pour pouvoir déclencher contre lui une guerre totale, envisagée comme "sanction". Il faut, dans cette stratégie, forcer cet "ennemi" à jouer un rôle d'"agresseur", car, selon le droit international contemporain, toute forme d'agression est interdite, ainsi que le libre droit de conduire une guerre (9).

    Fabriquer et provoquer l'agression devient de ce fait l'art décisif de l'homme d'Etat; de ce fait, il faut qu'il évite de déclarer expressément la guerre, puisqu'une déclaration de guerre équivaut à une agression. Face à un "agresseur", tous les coups sont permis: il peut même être puni pendant longtemps, selon le bon vouloir de son vainqueur. Ce fut le cas de l'Allemagne en 1918-19 qui, pendant un an après les combats, fut soumise à un blocus des denrées alimentaires, ce qui a entraîné la mort d'un million de nourrissons et jeunes enfants. Cette pratique de la punition permet également de "légitimer" les carpet bombings,  les expulsions en masse de populations civiles, le procès de Nuremberg ou les atomisations de cités sans défense (Hiroshima, Nagasaki). La "sanction" n'est pas une guerre au sens propre du terme, car elle frappe un "criminel" qui, lui non plus, ne fait pas la guerre mais commet un "crime". Ce type de droit international, voulu essentiellement par les Etats-Unis, ne tient nullement compte des régulations et des limites que la civilisation a imposé à la guerre en Europe. En se basant sur l'utopie de vouloir abolir définitivement la guerre, ce droit international "sanctionneur", cette idéologie de la punition, s'est imposée petit à petit à partir de 1918; aujourd'hui, il tend à devenir absolument dominant, à s'accentuer dans le discours et dans les pratiques.

    Examinons quelques faits historiques. Parmi les exemples de la main-mise progressive de cette idéologie juridique internationale, nous avons l'institution de l'auto-défense, acceptée par le pacte Briand-Kellog (1928), où l'on a interdit la guerre. L'internationaliste américain Philipp Jessup écrivait en 1940: "Les dimensions se sont modifiées et aux intérêts que nous cultivions à propos de Cuba en 1860, correspondent aujourd'hui nos intérêts pour les Iles Hawaï; l'argument de l'auto-défense conduira un jour les Etats-Unis à devoir faire la guerre sur le Yang-Tse, la Volga ou le Congo" (10).

    Ensuite, la Doctrine Stimson (c'est-à-dire la non reconnaissance des changements territoriaux obtenus par la force), forgée en 1932 par celui qui était alors Ministre des Affaires Etrangères des Etats-Unis, produit une aggravation des conflits précisément parce qu'elle donne aux Etats-Unis le droit, sur toute la terre, de juger du droit ou du non-droit des changements territoriaux. "Un acte de guerre n'importe où dans le monde nuit aux intérêts de mon pays", expliquait le Président Hoover pour justifier la doctrine de son Ministre des Affaires Etrangères.

    En conséquence, les changements territoriaux survenus par la forces des armes étaient légaux et légitimes avant 1928, illégaux et illégitimes après 1928; nous sommes en présence ici d'une variante de la "fin de l'histoire". Mais nous y trouvons aussi les racines de l'appui qu'apportent les Etats-Unis aux groupes de résistance, aux partis qui fomentent des guerres civiles, aux juristes qui prétendent défendre les "droits de l'homme", aux "démocrates" auto-proclamés de toutes sortes, etc. Les changements territoriaux réalisés où que ce soit dans le monde ne peuvent être avalisés d'aucune manière. L'ONU a largement repris ce principe de droit international à son compte et contribue ainsi à rendre impossible toute nouvelle mise en ordre des espaces politiques sur la planète et à empêcher le fonctionnement normal des Etats, dans la mesure où ces remaniements territoriaux ou ce fonctionnement se conçoivent comme des rapports réciproques de protection et d'obéissance. En avançant cette conception purement instrumentale des droits de l'homme et en pratiquant cet interventionnisme tous azimuts, les Etats-Unis et l'ONU fragilisent les garanties réelles dont pourraient jouir les hommes sur leur territoire national, car les droits de l'homme, normalement, ne pourraient se concevoir que comme droits de citoyens, ancrés dans une patrie donnée.

    Contre toutes ces idées et ces pratiques de type internationaliste, visant une hypothétique "unité du monde", ancrées, d'une part, dans l'idéologie révolutionnaire, d'autre part, dans la propension interventionniste mondiale des Anglo-Saxons, on en est arrivé, en Europe, au Japon et aussi en Amérique (EU et Am. lat.), à partir de 1939, à formuler l'idée de "grand espace". De première importance à ce sujet est l'écrit de Carl Schmitt, L'ordre international du grand espace avec interdiction d'intervention pour les puissances extérieures à cet espace  (11).

    Si l'on voulait réduire cet écrit à un slogan simple, nous dirions: "L'Europe aux Européens!" et, pour les tentatives japonaises analogues: "L'Asie aux Asiatiques!". L'Allemagne et l'Italie d'une part, le Japon, d'autre part, imitaient à leur façon et à leur profit la Doctrine de Monroe (1823) qui revendiquait pour les Etats-Unis la domination de tout l'espace occupé par les deux Amériques. Les trois principes fondamentaux de la Doctrine de Monroe étaient au départ, selon Schmitt: 1) L'indépendance de tous les Etats américains par rapport aux puissances extérieures; 2) Le refus de toute forme de colonisation dans cet espace américain; 3) La non-intervention de toutes les puissances extra-américaines dans cet espace. Le nouveau grand espace centre-européen devait empêcher toute intervention américaine en Europe et s'interdisait, en contre-partie de s'immiscer dans les affaires des autres espaces. Cette logique du grand espace aurait imposé des limites à l'interventionnisme américain, qui entendait s'immiscer dans les affaires du monde entier.

    En Europe, cette conception grand-spatiale a été remise sur le tapis, après la victoire des armes allemandes à l'Ouest. Schmitt voyait dans le traité d'amitié entre le Reich et l'Union Soviétique (1939) une solution exemplaire: elle excluait l'immixtion de puissances tierces et garantissait aux peuples du "bloc continental" une "vie pacifique correspondant à leurs particularités". L'Allemagne en tant que puissance-guide de ce nouveau "grand-espace" devait entretenir des rapports de droit public avec chaque pays en particulier, mais à l'extérieur du grand espace  ‹vis-à-vis des autres grands espaces, dont les contours demeuraient flous‹  tous devaient suivre une même politique étrangère.

    On a ainsi imaginé une hégémonie mais non une absorption des Etats plus petits, ce qui constitue un véritable fédéralisme. Concoctés par les diplomates professionnels et traditionnels, ce schéma d'organisation ne pouvait être acceptés par les nationaux-socialistes, parce qu'ils pensaient en termes de race et non d'espace (12). Selon leurs propres conceptions, les petits peuples conservaient beaucoup trop de droits. Mais l'idée de Schmitt a été soumise à d'autres critiques encore, notamment en Italie (13).

    Depuis la seconde guerre mondiale et la montée en puissance des Etats alliés comme les USA et l'URSS, Schmitt ne pouvait plus qu'exprimer l'espoir, en 1962, que les nations et les peuples conservassent la force de rester fidèles à leur culture, leur religion et leur langue (14). Il est vrai que Carl Schmitt considérait que l'idée de nation, d'une organisation purement nationale, était dépassée: par conséquent, le "grand espace" devait servir à détourner l'illusion et le danger américains du one world.  Mais dès que son idée eut pu s'unir à une force réelle pour réaliser vraiment le grand espace, les nations n'auraient plus été que des entités culturelles et non plus politiques.

    L'idée de grand espace n'est pas encore à l'ordre du jour. La CEE d'aujourd'hui prétend être le nouveau grand espace, valable pour tous. Mais si l'idée de Großraum, de "grand espace", est née de la conviction que les Etats étaient devenus trop petits au regard du développement de la technique et de l'économie, les théoriciens de ce grand espace ont également dit que celui-ci ne pouvait pas être ni bâti ni organisé en priorité sur l'économie. La conservation de la multiplicité des cultures est désormais un acte politique. Pour organiser un grand espace comme espace politique, il faut préalablement répondre à trois questions: 1) Qui est l'ennemi?; 2) Quelle est la puissance hégémonique (à l'intérieur du grand espace)?; 3) Existe-t-il une homogénéité qui garantit la durée de la fédération?

    Réponse à la première question.

    L'ennemi du "grand espace" européen ne peut plus être la Russie aujourd'hui. Pour la plupart d'entre nous, l'ennemi est évidemment Washington. Mais cette inimitié, beaucoup d'Européens ne la conçoivent pas encore, ne l'imaginent même pas; par ailleurs, beaucoup d'Européens n'ont pas le courage de l'assumer. Cette ignorance et ce manque de courage ne valent pas seulement pour les Anglais qui sont liés aux Américains par de nombreux liens. De plus, les nations européennes sont trop nettement profilées dans leur identité politique pour songer à harmonier leur politique extérieure. Où se trouve le point commun de la politique extérieure de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Angleterre, de l'Espagne, de la France? L'impossibilité de pratiquer une politique extérieure commune, capable de rendre possible une politique militaire commune (pas de chèque sans provision!) s'aperçoit parfaitement dans la crise yougoslave. La définition de l'ennemi n'est possible que s'il existe une unité. A cela s'ajoute que la majorité des Européens, ou du moins un très grand nombre d'entre eux, comprennent l'unité de l'Europe comme une simple étape intermédiaire vers une "unité du monde" qu'ils ne conçoivent que très confusément.

    Réponse à la seconde question.

    Du temps de Carl Schmitt, il y avait en Europe une puissance hégémonique: l'Allemagne. Mais elle a perdu la guerre. Hitler lui-même refusait l'idée d'Europe et les représentants de l'idée européenne étaient réduits à l'impuissance sous sa férule (15). Quant à l'Allemagne actuelle, il lui manque toutes les caractéristiques de la puissance hégémonique: sa population est réduite et en phase démographique descendante, elle n'a ni volonté d'assumer un rôle hégémonique ni pouvoir réel ni vision. Les Allemands d'aujourd'hui feignent d'être les meilleurs amis de l'Europe. Mais ils ne s'enthousiasment pour l'Europe qu'en croyant qu'ils vont pouvoir se dissoudre en elle. On pourrait épiloguer sans fin sur les névroses allemandes, sur le complexe de culpabilité allemand, etc. Quoi qu'il en soit, l'Europe ne peut pas fonctionner tant que sa nation la plus importante numériquement ne s'accepte pas elle-même pour elle-même (16). Et quand l'Allemagne actuelle aspire à une position meilleure, dans toute l'Europe fusent articles, émissions, pamphlets où s'exprime la peur du "danger allemand", alors que personne ne craint plus ce "danger" que les Allemands eux-mêmes!

    L'Angleterre n'est pas intéressée à voir l'influence américaine se réduire en Europe et la position de la France est ambigüe: son anti-américanisme évolue dans des limites très étroites et reste surtout fort rhétorique. Par le Traité de Maastricht, la France espère lier l'Allemagne à la CEE (qui n'est qu'une demie-Europe, une Europe hémiplégique, sans profondeur stratégique). Paris espère véritable enchaîner l'Allemagne, car cela correspond aux vieux intérêts français, surtout si le fruit du labeur permanent des Allemands, si l'argent allemand financent les déficits de la France et les frais de fonctionnement de la CEE. Mais nos voisins ne se rendent pas compte que nous, les Allemands, sommes devenus le peuple le plus paresseux d'Europe et, surcroît, notre croissance démographique est arrêtée voire en recul. Si à tous ces facteurs négatifs s'ajoute la concrétisation des clauses du Traité de Maastricht, notamment l'introduction d'une monnaie unique, l'ECU, qui sera forcément faible par rapport à ce que le DM était et assorti d'un financement des régions pauvres par les régions riches, nous assisterons en Europe à des convulsions politiques dramatiques, d'une ampleur inconnue jusqu'ici (17). A cause de tout cela, l'idée d'unir plusieurs Etats sans qu'il n'y ait de puissance hégémonique est une impossibilité sociologique. Aucune véritable fédération, au sens propre du terme, ne peut voir le jour sans hegemon.

    Réponse à la troisième question.

    Une fédération n'est pas homogène tout simplement parce qu'on tente de la faire. A cette heure, il n'existe pas en Europe de consensus sur ce qui constitue véritablement la "substance" de la culture européenne. Autre question: quels sont les pays qui appartiennent à l'Europe, quels sont ceux qui n'y appartiennent pas? La Scandinavie en fait-elle partie? Et l'Angleterre? L'Espagne? La Russie? L'Ukraine? Il n'est pas évident que les intérêts d'un Portugais, d'un Allemand et d'un Norvégien soient compatibles. Ces problèmes s'aggraveront si la CEE s'étend, si y adhèrent des pays comme la Hongrie, la République tchèque et la Pologne. Cet accroissement de la Communauté risquerait de la jeter dans une période de stagnation économique gravissime. Les conflits et les divisions, qui existent déjà et s'avèrent fort inquiétants, vont alors s'intensifier. L'absence d'un homogénéité historique, sociale et culturelle rendent quasi insoluble un problème politique majeur: qui décidera, le cas échéant, de l'état d'exception? Dans l'hypothèse où les divisions entre Etats subsisteraient peu ou prou, une majorité rendue possible par des votes hollandais décidera-t-elle de l'état d'exception en Sicile? Et une bureaucratie établie à Bruxelles pourra-t-elle bloquer une décision indispensable ailleurs?

    Toutes les tentatives d'unir l'Europe ont échoué jusqu'ici: celle de Jules César, celle de Charlemagne, celles du Pape Innocent III, de l'absolutisme, de Napoléon et de Hitler. Le problème politique ne peut pas être résolu par Maastricht seul. Ensuite, il n'est pas possible de créer un véritable grand espace européen tant que l'Europe ne sort pas du commerce mondial libre (libéral). Enfin, il faut surtout qu'il y ait un peuple européen. Mais un tel peuple n'existe pas. Si, comme le croient bon nombre d'³Européens² convaincus, le Parlement de Strasbourg se renforce par rapport à la bureaucratie de Bruxelles, cela ne changera rien au fait qu'un Italien ne reconnaîtra jamais son député dans la personne d'un député français. Si les Etats nationaux sont abolis, les nations seront réduites à des "groupes ethniques" mais il ne naîtra pas pour autant une "nation européenne". Pire: un parlement européen véritablement puissant sera toujours pour tous les Européens un parlement dominé par des ³étrangers². Les lois de ce parlement seront encore moins acceptées que les délibérations ou les décisions de la Commission de Bruxelles!

    Tout ce qu'on a pu faire de positif dans le sens de l'idée européenne a déjà été fait. Mais si le projet d'union monétaire et financière entre en vigueur, alors la paralysie de la politique étrangère s'accentuera  ‹on pense à la Yougoslavie‹  et les motifs de conflits politiques augmenteront. Tout progrès de l'unité européenne se muera automatiquement en un progrès de division et de dissensus, où l'Europe se rendra étrangère à elle-même. L'Europe peut être une fédération d'Etat mais non un "Etat fédéral". L'Europe est multiplicité de ses nations, et certainement aussi de ses régions: en dehors de cela, elle n'est rien. L'évolution de l'Europe orientale prouve que la nation demeure la référence politique décisive. Si les nations ne peuvent être conservées, si elles ne peuvent plus défendre leur culture et leurs particularités, on ne pourra pas créer le véritable "grand espace", différent de celui qu'envisage Maastricht et qui n'est qui n'est que la copie miniature de l'"unité du monde" dont rêvent les utopistes mondialistes.

    Etre Européen, cela signifie: connaître et reconnaître la diversité de l'Europe. Seulement quand ce processus de connaissance et de reconnaissance se sera amplifié, aura atteint un certain degré d'opérabilité, l'Europe développera une culture et une identité continentales. Mais l'Europe d'aujourd'hui, qui dit être sur la voie de l'unité, est bien plus éloignée de cette culture continentale que du temps de Nietzsche et de Burckhart, de Karl Vossler et de Benedetto Croce.

    Notes:
    (1) Carl SCHMITT, "Großraum gegen Universalismus" (1939) in Positionen und Begriffe, Duncker und Humblot, Berlin, 1988. Trad; franç.: in Carl SCHMITT, Du politique, "légalité et légitimité" et autres essais, Pardès, Puiseaux, 1990.

    (2) Carl SCHMITT, "El Orden del Mundo despues la Segunda Guerra Mundial", in Revista de Estudios Politicos, Madrid, 1962, pp. 36 et ss.

    (3) Hans KELSEN, Die Staatslehre des Dante Alighieri, Wien, 1905.

    (4) Ph. DESSAUER, "Die Politik des Antichrist", in Wort und Wahrheit, 1951, pp. 405-415.

    (5) Carl SCHMITT, Politische Theologie, München/Leipzig, 1922, pp. 55 ss. Trad. it. in Le catagorie del politico, Bologna, 1972, pp. 84 ss.

    (6) Hans KELSEN, Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, Tübingen, 1928, pp. 320 ss.

    (7) Sur le droit international induit par la Révolution française, cf. R; REDSLOB, in Festschrift für O. Mayer, 1916, pp? 271 ss.; B. MIRKINEGUETZEVITCH, L'influence de la Révolution française sur le développement du droit international dans l'Europe orientale, in Recueil des Cours, 22/1928, pp. 299 ss.

    (8) Sur les précédents économiques de la seconde guerre mondiale, cf. Carlo SCARFOGLIO, Davanti a questa guerra, Milan, 1942; D. JUNKER, Der unteilbare Weltmarkt, Stuttgart, 1975.

    (9) Sur la notion d'"agression", cf. Carl SCHMITT, Der Nomos der Erde, Köln, 1950, 3ième éd., Berlin, 1988.

    (10) Philipp JESSUP, "The Monroe Doctrine", in American Journal of International Law, 1940, pp. 704.

    (11) La traduction italienne est actuellement la seule disponible: Il concetto d'Impero nel diritto internazionale, édité et préfacé par Luigi Vannutelli Rey, avec un appendice de Franco Pierandrei, Rome, 1941. Les articles de Schmitt en Italie paraissaient surtout dans la revue Lo Stato. Ils ont été repris dans une anthologie: Carl SCHMITT, Scritti politico-giuridici 1933-1942, édité par Alessandro CAMPI, Perugia, 1983.

    (12) Typique pour la critique nationale-socialiste: R. HÖHN, Reich - Großraum - Großmacht, Darmstadt, 1942.

    (13) Par exemple, chez Giacomo PERTICONE, "Il problema dello ³spazio vitale² e del ³grande spazio²", in Lo Stato, 1940, pp. 522-531; Cf. également A. MESSINEO, s.j., "Spazio vitale e grande spazio", La Civiltà Cattolica, Rome, 1942.

    (14) cf. note (2).

    (15) Hans Werner NEULEN, Europa und das Dritte Reich, München, 1987. Cf. Recension de Herbert TAEGE in Vouloir n°48/49 (1988), pp. 11-13.

    (16) Sur le problème du ³refoulement du passé² en Allemagne, cf. Armin MOHLER, Der Nasenring, München, 1991. Cf. Willy PIETERS in Vouloir n°40/42 (1987), pp. 12-14 (Il s'agit plus exactement du commentaire d'un essai paru dans un ouvrage collectif qui, amplifié, allait donné le texte de Der Nasenring).

    (17) Cf. R. ÜBELACKER, "Zur Problematik der Verträge von Maastricht", in Festschrift für H.J. Arndt. Politische Lageanalyse, Bruchsal, 1993, pp. 381 ss.  

    [Synergies Européennes, Vouloir, Mai, 1994]

  • Carl Schmitt État, nomos et grands espaces

    La maison d'édition berlinoise Duncker & Humblot, qui publie l'essentiel de l'œuvre de Carl Schmitt, a eu le mérite l'an passé d'avoir publié une anthologie d'articles définitionnels fondamentaux du juriste et polito­logue allemand (CS, Staat, Großraum, Nomos - Arbeiten aus den Jahren 1916-1969), magistralement pré­facés par Günter Maschke. Ce fut sans doute, à nos yeux, le nouveau livre le plus important en philoso­phie politique exposé à la Foire de Francfort en octobre 1995. Mais c'est aussi un livre fondamental pour comprendre dans tous ses rouages le monde d'après la Guerre Froide. G. Maschke, un des plus grands spécialistes allemands de Carl Schmitt, mérite nos éloges pour avoir annoté avec une remar­quable précision tous ces articles et surtout les avoir resitués dans leur vaste contexte. Maschke fournit en effet au lecteur  — à l'étudiant comme à l'érudit —  des commentaires et des analyses très mé­thodiques et très fouillées. Staat, Großraum, Nomos est divisé en quatre parties : 1. Constitution et dicta­ture ; 2. Politique et idée ; 3. Grand-Espace et Droit des gens et 4. Du Nomos de la Terre. À notre avis, l'essentiel pour notre monde en effervescence depuis la chute du Mur réside dans les deux dernières par­ties.
     
    Cette nouvelle anthologie a l'immense mérite de concentrer toute son attention sur un aspect moins connu, mais toutefois déterminant, de la pensée et de l'œuvre de Carl Schmitt : la géopolitique. Notre “Centre de Recherches en Géopolitique” avait jadis déjà mentionné quelques-uns de ces textes fonda­mentaux, mais le vaste ensemble d'articles et d'essais sélectionnés par Maschke permet de jeter, sur cette géopolitique schmittienne, un regard beaucoup plus synoptique.

    Le “Grand-Espace”
     
Notre Centre a publié depuis 1988 un certain nombre de textes de géopolitique ; depuis 1991, nous réflé­chissons intensément sur le nouvel ordre mondial après l'effondrement de l'Union Soviétique. L'ère nou­velle sera très vraisemblablement marquée par la notion de “Grand-Espace”, toutefois dans un sens peut-être différent de celui que lui donnait C. Schmitt. Commençons notre analyse par une citation de Joseph Chamberlain qui illustre bien l'intention des géopolitologues et de Schmitt lui-même : « L'ère des petites na­tions est révolue depuis longtemps. L'ère des empires est advenue » (1904). Mais l'effondrement de l'URSS nous enseigne que l'ère des empires traditionnels est elle aussi révolue, si l'on considère toutefois que le dernier des empires traditionnels a été l'Union Soviétique. À la place des empires, nous avons dé­sormais les “Grands-Espaces”. Dans son essai Raum und Großraum im Völkerrecht, Schmitt définit clai­rement le concept qu'il entend imposer et vulgariser : « Le “Grand-Espace” est l'aire actuellement en ges­tation, fruit de l'accroissement à l'œuvre à notre époque, où s'exercera la planification, l'organisation et l'activité des hommes ; son avènement conduira au dépassement des anciennes constructions juridiques dans les petit-espaces en voie d'isolement et aussi au dépassement des exigences postulées par les systèmes universalistes qui sont liés polairement à ces petits-espaces ».
     
    Schmitt cite Friedrich Ratzel et montre, en s'appuyant sur ces citations, comment, à chaque génération, l'histoire devient de plus en plus déterminée par les facteurs géographiques et territoriaux. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui pour notre génération, car la bipolarité d'après 1945 fait place à une multipolarité, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de protagonistes.
     
    Maschke, dans ses commentaires sur l'article intitulé Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte, mentionne à juste titre la théorie de Haushofer qui envisa­geait de publier un Grundbuch des Planeten, un livre universel sur l'organisation territoriale de la planète. La géopolitique, selon Haushofer, ne devait pas servir des desseins belliqueux  — contrairement à ce qu'allèguent une quantité de propagandistes malhonnêtes —  mais préparer à une paix durable et éviter les cataclysmes planétaires du genre de la Première Guerre mondiale. Ce Grundbuch haushoférien devait également définir les fondements pour maintenir la vie sur notre planète, c'est-à-dire la fertilité du sol, les ressources minérales, la possibilité de réaliser des récoltes et de pratiquer l'élevage au bénéfice de tous, de conserver “l'habitabilité” de la Terre, etc., afin d'établir une quantité démographique optimale dans cer­tains espaces. Les diverses puissances agissant sur la scène internationale pratiqueraient dès lors des échanges pour éviter les guerres et les chantages économiques. Certes, on peut reprocher à ce Grundbuch de Haushofer, un peu écolo avant la lettre, d'être utopique et irénique, mais force est de cons­tater que ses idées étaient fondamentalement pacifistes et qu'elles ne coïncidaient pas avec les projets agressifs de l'Allemagne nationale-socialiste. Pourtant, Maschke rappelle que Schmitt et Haushofer ne correspondaient apparemment pas et ne s'étaient jamais vus.
     
    Cet article sur le völkerrechtliche Großraumordnung... constituaient une tentative d'introduire en Europe une “doctrine de Monroe” au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dans son commentaire, Maschke rap­pelle les thèses d'un géographe américain, Saul Bernard Cohen, qui a eu le mérite de maintenir à flot les idées géopolitiques avant leur retour à l'avant-plan. Le concept cohenien de “région géopolitique”, déve­loppé depuis les années 60 et actualisé aujourd'hui, s'avère pertinent dans le contexte actuel de “fin de millénaire”. Ces idées de “grand-espace” et de “région géopolitique” se retrouvent également chez les deux experts espagnols de droit international, fortement influencés par Schmitt : Camilo Barcia Trelles et Luis Garcia Arias.
     
    L'étude de Schmitt Das Meer gegen das Land (La mer contre la terre) de 1941 contient le noyau essentiel du futur livre de Schmitt Land und Meer. Maschke pense que Schmitt a été influencé par la lecture de Vom Kulturreich des Meeres (1924) de Kurt von Boeckmann, et de Vom Kulturreich des Festlandes (1923) de Leo Frobenius.
     
    Une recension écrite par Schmitt en 1949 garde toute sa pertinence aujourd'hui, souligne Maschke. Elle s'intitule Maritime Weltpolitik. Schmitt y écrit : « La domination de l'espace aérien et la possession de moyens de destruction modernes pourront à elles seules s'assurer la domination sur la terre et sur la mer. [Par ces moyens techniques], notre planète est encore devenue plus petite. En comparaison avec les structures qu'érige la technique moderne sur la planète, la Tour de Babel apparaît comme une entreprise très modeste. La Mer a perdu sa puissance en tant qu'élément et notre Terre est devenue un aérodrome » (p. 479 de l'édition de Maschke).
     
    Quelques années après la seconde guerre mondiale déjà, Schmitt tire la conclusion: dans le futur, le con­trôle de la planète s'exercera par le biais des communications aériennes (et plus tard spatiales) ; la Terre et la Mer perdront de l'importance. Le nouvel espace  — jeu de mot ! —  sera l'espace.
     
    Schmitt mentionne l'œuvre de l'Américain Homer Lea (1876-1913) dans sa recension. Lea avait terminé sa carrière comme conseiller militaire de Sun Yat Sen en Chine. Il avait écrit des livres importants, largement oubliés aujourd'hui : The Day of the Saxon (1912) et The Valor of Ignorance (1909). Le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, ami et complice de Maschke, avait préfacé une réédition allemande de The Day of the Saxon et prépare actuellement une vaste étude sur le écrits militaires et géopolitiques de Lea.

     
Le Nomos
     
Penchons-nous maintenant sur la quatrième partie de cette anthologie, qui commence par la définition que donne Schmitt du “nomos” : « Il est question d'un Nomos de la Terre. Ce qui signifie : je considère la Terre — ­l'astéroïde sur lequel nous vivons —  comme un Tout, comme un globe et je recherche pour elle un ordre et un partage globaux. Le terme grec “nomos”, que j'utilise pour désigner ce partage et cet ordre fondamental, dérive de la même étymologie que le mot allemand “nehmen” (prendre). Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”. Ensuite, ce terme signifie, le partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre, partager, faire paître sont les actes primaires et fonda­mentaux de l'histoire humaine, ce sont les trois actes de la tragédie des origines » (Maschke, p. 518).
     
    Dans une étude datant de 1958 et intitulée Die geschichtliche Struktur des Gegensatzes von Ost und West (La structure historique de l'opposition entre l'Est et l'Ouest), Schmitt mentionne quelques-unes des théories géopolitiques de base énoncées par Sir Halford John Mackinder. Il se réfère au géographe britannique quand il affirme que l'opposition entre puissances continentales et puissances maritimes constitue la réalité globale de la guerre froide. Quand il commente cette étude, Maschke commet la seule erreur que j'ai pu trouver dans son travail par ailleurs exemplaire. “L'Île du monde” selon Mackinder est l'Europe + l'Asie + l'Afrique et non pas “l'hémisphère oriental” comme le dit Maschke (p. 546). Celui-ci af­firme également que Mackinder avait été influencé par le géographe allemand Joseph Partsch. Je ne pré­tends pas être un expert dans l'œuvre de Mackinder, mais c'est bien la première fois que je lis cela...
     
    Nous avions déjà eu l'occasion de recenser un ouvrage important de Schmitt, Gespräch über den neuen Raum (Conversation sur le nouvel espace). C'est l'une des contributions les plus pertinentes de Schmitt à la géopolitique depuis 1945. Le message de Schmitt dans ce travail (et dans d'autres), c'est un appel à la constitution de différents “Grands-Espaces”, ce qui semble advenir aujourd'hui, surtout depuis la Guerre du Golfe. La théorie du pluralisme des Grands-Espaces, Schmitt l'a bien exprimée dans un autre texte figurant dans l'anthologie de Maschke : Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg (L'Ordre du monde après la Seconde Guerre mondiale). Schmitt y écrivait : « De quelle manière se résoudra la con­tradiction entre le dualisme de la Guerre Froide et le pluralisme des Grands-Espaces...? Le dualisme de la Guerre Froide s'accentuera-t-il ou bien assistera-t-on à la formation d'une série de Grands-Espaces, qui généreront un équilibre dans le monde et, par là même, créeront les conditions premières d'un ordre paci­fique stable ? » (Maschke, p. 607).
     
    En 1995, nous connaissons la réponse à la question que posait Schmitt en 1962. Le dualisme n'est plus et nous pouvons assister à l'émergence (timide) de Grands-Espaces, qui pointent à l'horizon. Nous ne pouvons toujours pas deviner quelle sera l'issue de ce processus. Des changements surviendront indubi­tablement dans le cours des choses mais nous pouvons d'ores et déjà penser que l'ALENA et l'UE seront deux de ces Grands-Espaces, et ils coopéreront sans doute avec le Japon. Le Lieutenant-Général William E. Odom de l'US Army, aujourd'hui à la retraite, a lancé quelques éléments dans le débat visant à structurer le système qui prendra le relais de celui de la Guerre Froide dans son ouvrage How to Create a True World Order (Comment créer un véritable Ordre Mondial ?, Orbis, Philadelphia, 1995). La Russie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique et le monde musulman pourraient bien devenir des Grands-Espaces autonomes. L'Afrique continuera à végéter dans la misère, sauf peut-être le Nigéria et l'Afrique du Sud. L'attitude agressive croissante de la Chine aura sans doute pour résultat d'avertir les petites puissances d'Asie ; elles prépareront dès lors leur défense contre l'impérialisme chinois à venir.
     
    Dans la quatrième partie de l'anthologie de Maschke, nous trouvons encore un texte fondamental, Gespräch über den Partisanen (Conversation sur la figure du partisan) (1). Au départ, il s'agissait d'un dé­bat radiodiffusé en 1960 entre Schmitt et un maoïste allemand, Joachim Schickel. ce débat était bien en­tendu marqué par la grande question de cette époque : l'insurrection croissante au Vietnam. Il n'en de­meure pas moins vrai que la question de la guerilla (ou du Partisan) demeure. Le Law Intensity Warfare (guerre à basse intensité) continuera à faire rage sur la surface du monde et influencera les processus politiques. Résultat : le terme de “Guerre civile mondiale” acquerra sans cesse de l'importance (2).
     
    Carl Schmitt n'était pas en première instance un géopolitologue. Il était un expert en droit constitutionnel et international. Toutefois, au moment où nous allons aborder le nouveau millénaire, il est temps, me semble-t-il, de remettre sur le métier les approches schmittiennes en matières géopolitiques et géostra­tégiques globales. Même si Schmitt reste une personnalité controversée (à cause des opinions qu'il a émises au début des années 30), il est devenu impossible de l'ignorer quand on élabore aujourd'hui des scénarii pour l'avenir du monde.
     
    Theo HARTMAN (« State, Nomos and Greater Space. Carl Schmitt on Land, Sea and Space », in Center for Research on Geopolitics (CRG), Special Report n°4, Helsingborg/Sweden, 1996. Adresse : CRG, P.O.Box 1412, S-251.14 Helsingborg/Suède ; tr. fr. R. Steuckers).
    Références du livre de Maschke : Carl SCHMITT, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916-1969. herausgegeben, mit einem Vorwort und mit Anmerkungen verse­hen von Günter Maschke, Duncker & Humblot, Berlin, 1995.
     http://vouloir.hautetfort.com
    Notes :
    (1) Tr. fr. : Conversation sur le partisan (1969) in La guerre civile mondiale, essais 1943-1978 (éd. Ère, nov. 2007).
    (2) Pour une analyse complète de na notion de “Guerre civile mondiale”, cf. le manuscrit impublié de Bertil Haggman, directeur du CRG suédois, intitulé Global Civil War - A Terminological and Geopolitical Study, 1995).

  • Syrie… de la révolution à la guerre totale

    Le titre de cet article est repris d’une dépêche de l’Agence France Presse datée du 11 décembre 2012. Le même jour le président Obama annonçait sur la chaîne américaine ABC que les États-Unis, après la France, le Royaume-Uni, la Turquie et le Conseil de coopération du Golfe, tous pays ligués pour abattre le régime laïc de Damas, reconnaissaient la nouvelle Coalition syrienne en tant que « représentante légitime des Syriens ». Par une contradiction schizophrénique, le Département d’État inscrivait au même moment les rebelles du Front Al-Nosra sur sa liste noire des organisations terroristes. Ce sont ces mêmes insurgés, fer de lance de la rébellion, que la CIA arme et finance par le truchement du Qatar, de la Turquie et de la Jordanie. Une formation salafiste responsable à quelques heures de là d’un attentat au centre du pays ayant causé la mort de quelque 150 alaouites, communauté hérétique aux yeux des sunnites fanatiques instrumentés par Washington, Londres et Paris.

    Après vingt mois de révolte durement réprimée – le soulèvement d’une fraction, mais non de la totalité de la population syrienne - la rébellion apparaît clairement et définitivement au grand jour pour ce qu’elle est : une armée constituée pour l’essentiel d’islamistes radicaux en guerre totale contre la Syrie. Des combattants dont une majorité sont étrangers au pays où ils portent le fer et le feu ; qui plus est, sont financés, armés et entraînés par les puissances atlantiques sous couvert de la Turquie, de la Jordanie, du Qatar et de l’Arabie saoudite avec la complicité tacite des Frères musulmans au pouvoir en Égypte et en Tunisie. Un état de fait que nul aujourd’hui n’oserait encore nier, ni même y songerait. Pas même la presse psittaciste tant ces bandes terroristes composées de salafistes aguerris sont maintenant omniprésents sur tous les fronts. Groupes et katibas dont les commanditaires s’inquiètent cependant en ce qu’ils les voient progressivement échapper à leur contrôle.

    Le spectre de la guerre chimique.

    Une inquiétude croissante notamment en raison “d’armes chimiques“ présentes en territoire syrien et dont les djihadistes pourraient éventuellement s’emparer pour en faire un usage impolitiquement correct. Notons en outre, à titre de comparaison, que face à l’afflux sur le sol syrien de (dizaines de) milliers ces “brigadistes internationaux“, l’Armée syrienne libre, en principe seule représentante habilitée de l’opposition armée, commence à faire bien pâle figure… et même à s’effacer devant la détermination et l’organisation des islamistes ultra. Il faut dire - puisque la vérité peu à peu s’impose - que seulement quinze cents déserteurs composerait cette ASL dont nos médias nous rebattent les oreilles… sachant que les forces syriennes sont une armée de conscription, l’ASL ne joue donc qu’un rôle marginal sur le terrain, n’ayant d’utilité et d’existence qu’en fonction des besoins de la propagande de guerre… cela même en soulignant a contrario que les officiers transfuges, traîtres à l’État, comptent double en apportant à l’insurrection leur savoir-faire technique et tactique ainsi que leurs capacités d’encadrement.

    À ce sujet, observons que l’emploi systématique du mot “révolution“ relève de l’abus de langage et qu’il faut inverser la présentation des dépêches d’agence… selon lesquelles « le mouvement pacifique et populaire contre le régime de Bachar al-Assad s’est peu à peu transformé en une guerre sanglante, en réaction à la brutalité des forces gouvernementales » [AFP 11 déc 12]. Le mouvement n’a en effet jamais été pacifique : dès le premier jour des tireurs embusqués ont “allumé“ les forces de sécurité pour provoquer l’escalade d’une répression dont le niveau de violence n’a fait qu’accompagner la montée en puissance d’une guerre subversive, terroriste et maintenant de plus en plus ouvertement confessionnelle. Salafisme et takfirisme obligent.

    Malgré les communiqués triomphalistes la guerre perdure

    « La rébellion a fait tache d’huile dans l’est désertique » [ibidem] ! Une sorte d’antiphrase car n’eut-il pas fallu écrire que les rebelles “occupent“ les espaces désertiques de l’est, ce qui du point stratégique est à l’évidence d’un maigre profit ? « Les forces gouvernementales pilonnent villages et quartiers rebelles, indifférentes au sort des civils martyrisés » [ibid]. Généralement les civils fuient les zones de combat et le journaliste oublie ici, désespérément, les individus de tous âges et conditions, déchiquetés aveuglément par les engins infernaux et autres véhicules piégés des “bons“ insurgés. « Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), infatigable vigie du conflit, 42.000 personnes, en majorité des civils » [ibid]. Même la presse la plus conformiste ne se fait plus d’illusion sur ce fameux “OSDH“, tout aussi partial que l’Agence ici mentionnée, en principe tenue par des obligations “de sérieux et de rigueur“ liées à des fonctions de service publique… En quoi, vous demanderez-vous, cette émanation de l’opposition en exil - l’OSDH - est-elle « infatigable » ? Quant aux 42 000 morts il conviendrait de préciser qu’un tiers environ appartient à l’armée nationale regroupant des appelés de toutes obédiences religieuse, ou aux forces de sécurité syriennes. Qu’enfin tous les civils victimes des combats ne sont ni obligatoirement des innocents ni nécessairement des dissidents.

    D’ailleurs, à lire attentivement la dépêche citée, celle-ci confirme nos pires craintes à savoir que la soi-disant rébellion n’est en réalité qu’un mouvement sectaire, djihadiste venu de l’étranger et soutenu par lui… ce qui devrait, en toute logique, conduire la coalition islamo-atlantiste à intervenir tôt ou tard pour brider son Golem destructeur… « Le 10 décembre, des jidahistes d’Al-Nosra et de groupes qui lui sont liés ont pris la totalité de la base de Cheikh Souleimane, dernière place forte de l’armée à l’ouest d’Alep… Les combattants d’Al-Nosra, disciplinés et combatifs, font l’admiration de nombreux Syriens, contrastant avec le rejet qu’inspirent désormais des bataillons de l’ASL jugés “corrompus“. Majoritairement syrien, le Front al-Nosra a attiré les éléments radicaux de la rébellion, dont des jihadistes étrangers. Leur haine des “mécréants“, conjuguée au jusqu’au-boutisme du régime qui instrumentalise les fractures confessionnelles, fait planer sur la Syrie, autrefois riche de ses multiples communautés, le spectre d’une libanisation du conflit. » [ibid].

    La bannière noire flotte sur la marmite du diable

    Peu de remarques à faire sur une citation qui parle d’elle-même : marginalisation de l’ASL dont les médias se gargarisaient, prédominance de troupes djihadistes animés par la “haine des mécréants“, ce qui traduit en langue vulgaire, signifie une volonté bien arrêtée d’éradiquer les Chrétiens, les Druzes et les Alaouites, mais également les Musulmans sunnites dont le zèle religieux ne serait pas pleinement éprouvé. Nous sommes ici en présence d’un takfirisme très analogue à celui pratiqué naguère par les « brutes sanguinaires » du GIA [Groupe islamiste armé] puis du GSPC [Groupe salafiste pour la prédication et le combat] actifs a en Algérie au cours des années Quatre-vingt-dix, avant de muer - janvier 2007 - en Al-Qaïda au Maghreb islamique - AQMI. Des groupes, quelle que soit leur étiquette, qui devraient en principe refaire parler d’eux, l’Algérie devant possiblement prendre la suite de la Syrie dans la chaîne ganglionnaire des abcès de fixation/déstabilisation programmés dans la foulée des “Printemps arabes“.

    Damas tombée, il faudra envoyer ces combattants ingérables tuer et se faire tuer sur d’autres fronts d’intervention occidentalistes… Un orage sec couve au Mali qui ne demande qu’à dévêler les dunes vers la plaine de la Mitidja. Il s’agit de faire d’une pierre deux coups : fixer sur un théâtre d’opération les éléments les plus virulents et, sous couvert de guerre sainte – djihad – les mettre au service d’un vaste dessein toujours d’actualité, celui du projet “Grand Orient“ – Initiative greater Middle East - lancé par GW Bush en février 2003, lequel vise au remodelage géographique et politique - au final vis la normalisation exhaustive - de l’aire arabo-islamique, de l’Atlantique à l’Indus. Une terminologie qui s’est effacée des écrans mais que l’on voit parfaitement à l’œuvre en Syrie, après la Libye et avant l’Iran.

    La Syrie recycle les djihadistes libyens, tchétchènes, somaliens

    Retour au front syrien. « L’étendard des jihadistes, le drapeau noir frappé du sceau du prophète, flotte sur la base cheikh Souleimane… Un grand nombre de combattants sont des étrangers, arabes ou originaires du Caucase » [AFP 9 déc 12], entendez des Tchéchènes, naguère soutenus en sous-mains par la CIA contre la Fédération de Russie. Ils combattent ici en compagnie de Daguestanais et d’asiatiques « s’exprimant en russe ». La dépêche suivante du 10 déc. nous apprend que le chef de la brigade islamiste Al-Nosra auquel revient cette victoire est un Ouzbek ! Décidemment Il faut de tout pour faire une “révolution syrienne“ !

    Pourquoi insister ici sur cet ultime épisode ultime de la prise de cheikh Souleimane « dernière garnison gouvernementale d’importance à l’ouest d’Alep » [ibid] et bien parce que s’y trouve un complexe “scientifique“ pouvant abriter des armes chimiques ? Le 8 déc. le gouvernement syrien dans deux missives adressées conjointement au Conseil de Sécurité et à M. Ban Ki-moon mettait « en garde contre l’utilisation par les groupes terroristes d’armes chimiques contre le peuple syrien, déplorant l’inaction de la Communauté internationale après la prise de contrôle par un groupe terroriste d’une usine privée fabriquant du chlore toxique à l’est d’Alep » [AFP]. Le groupe mentionné était cette fois encore Al-Nosra, omniprésent sur tous les points chauds du champ de bataille. Même topo pour la base la base de cheikh Souleimane où les salafistes se sont bien gardé de bombarder le « centre de recherche », non pour épargner la vie des 140 soldats loyalistes qui s’y trouvaient retranchés, mais dans la crainte d’atteindre un magasin d’armes chimiques. Des djihadistes bien informés, disciplinés, organisés et dociles.

    Des armes de destruction massives parfaitement opportunes.

    Simultanément le Département d’État américain laissait filtrer l’information selon laquelle l’armée syrienne aurait armé au gaz sarin 1 des bombes destinées à être larguées depuis les airs ! Dans tous les cas de figure ces armes - réelles sans aucun doute, puisque Damas n’a pas nié leur existence, jurant de ne point s’en servir contre sa propre population - seront le prétexte idoine pour une intervention directe. Que ce soit pour empêcher qu’elles ne tombent entre les mains des salafistes, parce que l’armée bassiste aurait la velléité d’y recourir ou parce que Tel-Aviv l’exigera…

    L’affaire vient de loin. Le procès de la Syrie à ce motif commence avec la destruction de l’Irak baasiste en 2003. Dès cette époque et jusqu’à l’été dernier, les armes chimiques et bactériologiques ( !) syriennes sont associées dans le cadre d’un même hideux tableau, celui d’un État voyou promoteur du terrorisme anti-démocraties. Une rhétorique équivalente à celle qui a permis de conditionner les opinions publiques occidentales pour leur faire accepter - et même souhaiter - l’intervention manu militari en Mésopotamie 2.

    Le 23 août dernier MM. Obama, Cameron et Hollande s’acoquinent dans ce but au sein d’un “ Front Commun“ afin de coordonner leurs actions « en cas d’utilisation ou la menace d’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien  ». Le 27 août, le président Hollande précisait que «  l’emploi d’armes chimiques par le régime syrien serait une cause légitime d’intervention directe de la communauté internationale ». Le 31 août, M. Fabius se déclare à nouveau prêt à une « réponse immédiate et fulgurante », le ministre rappelant que “l’utilisation d’armes bactériologiques et chimiques par Damas constituerait une ligne rouge [à ne pas franchir] et entraînerait une réaction internationale ». Quant au prédécesseur de M. Fabius au Quai, M. Juppé, celui-ci n’est jamais en reste, envisageant pour sa part une intervention sans feu vert préalable des Nations Unies [NouvObs 2 sept 12]. On ne saurait mieux dire. Saluons au passage la belle unanimité réunissant majorité et opposition unie dans et par de belles perspectives d’idylle belliciste.

    In fine

    Par le biais de deux lettres identiques - déjà mentionnées - adressées au président du Conseil de sécurité et au Secrétaire général des Nations Unies, le ministère syrien des Affaires Étrangères signalait que le journal turc Yurt avait récemment publié des informations relatives à la fabrication d’armes chimiques près de la ville méridionale de Gaziantep, par des militants d’al-Qaïda, lesquels entendraient les utiliser contre des civils syriens ! À ce propos des séquences de vidéos diffusées sur la Toile donneraient à voir les moyens d’acquérir en Turquie des substances entrant dans la composition de gaz de combat et leurs méthodes de production. Si c’est effectivement le cas, attendons la suite des événements. Celle-ci ne devrait pas trop tarder.

    camus  http://www.agoravox.fr

    Notes

    (1) Gaz volatile et corrosif, le sarin est un composé hautement instable d’acide chlorhydrique, d’isopropanol, de fluorure d’hydrogène, de trichlorure de phosphore et du difluor. Dans les années soixante l’armée américaine a mis au point un projectile divisé en deux parties chacune contenant l’un des composant de ce gaz hautement létal. L’une accueillait du difluor, la seconde un composé d’isopropanol assorti d’un catalyseur chimique appelé isopropylamine. L’envoi du projectile de type obus entrainait la rupture de la membrane de séparation entre les deux substances chimiques qui se mélangeaient ensuite au cours de sa trajectoire. Le M 687 armé de gaz sarin a été testé avec succès en 1969.

    (2) En mars 2003, le Secrétaire américain à la Défense, M. Donald Rumsfeld, accuse la Syrie et l’Iran de fournir des aides à l’armée irakienne. Puis la responsable du Conseil national de sécurité, Mme Condoleezza Rice, renouvelle ces accusations et ces avertissements, mais, cette fois, en les adressant seulement à la Syrie. Le 3 mai, le secrétaire d’État Colin Powell venait en personne à Damas exposer les griefs américains et tancer d’importance les autorités politiques syriennes. À cette époque l’analyse des dirigeants syriens est déjà très négative et n’exclut pas une future confrontation avec les États-Unis, rappelant qu’après le 11 Septembre Washington avait maintenu - contre toute évidence - la Syrie sur la liste des États complices d’activités terroristes. Le 22 juillet 2003, le New York Times, titrait sur le développement effectif d’armes chimiques et biologiques par Damas. M. John Bolton responsable au Département d’État des questions de désarmement – c’est lui qui en 2002 fait passer à la trappe le protocole de vérification de la Convention sur les armes biologiques, un comble ! - présente un rapport dans lequel il accuse la Syrie de ne pas donner les bonnes réponses, constituant ainsi une source latente d’aide au terrorisme international, une menace réelle pour l’indépendance du Liban et un danger potentiel pour la région en poursuivant ses programmes d’armes de destruction massive. En conséquence, le 11 novembre 2003 le Congrès vote le “Syria Accountability Act“ autorisant le président des États-Unis à promulguer toutes sanctions nécessaires à l’encontre de la Syrie.

  • Une historienne éclaire l’absurdité du Prix Nobel de la paix attribué à l’UE

    Annie Lacroix-Riz, historienne, est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-VII – Denis Diderot. Auteur de nombreux ouvrages, elle a notamment étudié les origines et les parrains de la Communauté européenne (lire en particulier : L'intégration européenne de la France : la tutelle de l'Allemagne et des États-Unis, Paris, Le Temps des Cerises, 2007). Lorsque jury Nobel de la paix a annoncé le 12 octobre que son choix se portait cette année sur l’Union européenne, BRN a souhaité recueillir sa réaction et son éclairage.

    Interview publiée dans le mensuel Bastille-République-Nations daté du 29/10/12
    Informations et abonnements : www.brn-presse.fr

    BRN – L’Union européenne s’est vu décerner cette année le Prix Nobel de la paix. Quelle a été votre première réaction à l’annonce du jury d’Oslo ?

    ALR – L’information pouvait d’abord être prise pour un canular. Mais dans notre univers de l’absurde, une telle distinction est dans la droite ligne des choix du jury Nobel dans la dernière période. Cette décision n’en bat pas moins des records de ridicule, tant au regard des pratiques actuelles que des origines de l’UE.

    BRN – Des pratiques actuelles que vous jugez bellicistes…

    ALR – Pour l’heure, elle joue le rôle de petit soldat de l’OTAN, comme elle l’a fait dès sa naissance. L’UE en tant que telle ou nombre de ses membres sont impliqués dans quasiment toutes les guerres dites périphériques depuis vingt ans.

    BRN – Cependant, en tant qu’historienne, vous insistez plus particulièrement sur les origines tout sauf pacifiques de l’UE. Pourriez-vous préciser cette analyse ?

    ALR – Les archives, sources par excellence de la recherche historique, permettent seules de décortiquer ses véritables origines et objectifs, qui excluent la thèse d’une prétendue « dérive » récente de l’UE, dont on nous rebat les oreilles.

    BRN – Vous évoquez en particulier la « déclaration Schuman », du 9 mai 1950, souvent décrite comme l’acte fondateur de l’« aventure européenne »…

    ALR – Oui, et ses circonstances précises méritent examen. Le lendemain même – le 10 mai 1950, donc – devait avoir lieu à Londres une très importante réunion de la jeune OTAN (organisation de l’Alliance atlantique, elle-même fondée un an plus tôt). A l’ordre du jour figurait le feu vert officiel au réarmement de la République fédérale d’Allemagne (RFA), que Washington réclamait bruyamment depuis deux ans (1948). Les structures et officiers de la Wehrmacht avaient été maintenus dans diverses associations de façade. Mais quatre ans après l’écrasement du nazisme, un tel feu vert atlantique était quasi impossible à faire avaler aux populations, en France notamment. La création de la Communauté du charbon et de l’acier (CECA) annoncée par le ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman a ainsi permis d’esquiver ou de retarder l’annonce officielle, requise par les dirigeants américains, du réarmement en cours.

    BRN – Qu’est-ce qui motivait cette stratégie américaine ?

    ALR – Dès mars 1947, dans son célèbre « discours au Congrès », le président Truman demanda des crédits pour sauver la Grèce et la Turquie « attaquées », forcément par l’URSS (dont le nom n’était pas prononcé). Ce faisant, il entamait en grand l’encerclement politico-militaire de cette dernière. De fait, c’est entre 1942 et 1945 que Washington avait préparé l’affrontement futur contre ce pays, pour l’heure allié militaire crucial pour vaincre l’Allemagne (1). Une pièce majeure de cet affrontement était la constitution d’une Europe occidentale intégrée.

    BRN – Ce sont donc les dirigeants américains qui ont poussé à l’intégration européenne ?

    ALR – Oui. Washington entendait imposer une Europe unifiée sous tutelle de la RFA, pays dont les structures capitalistiques étaient les plus concentrées, les plus modernes, les plus liées aux Etats-Unis (qui y avaient investi des milliards de dollars dans l’entre-deux-guerres) et les moins détruites (80% du potentiel industriel était intact en 1945). Cette Europe serait dépourvue de toute protection à l’égard des exportations et des capitaux américains : les motivations des dirigeants d’outre-Atlantique étaient non seulement géostratégiques mais aussi économiques.

    BRN – Comment ces derniers s’y sont-ils pris ?

    ALR – Ils ont harcelé leurs alliés ouest-européens, pas vraiment enthousiastes à l’idée d’être aussi vite réunis avec l’ennemi d’hier. Et ils ont sans répit usé de l’arme financière, en conditionnant l’octroi des crédits du « Plan Marshall » à la formation d’une « entité » européenne intégrée, condition clairement formulée par le discours de Harvard du 5 juin 1947.

    BRN – Mais quel était l’état d’esprit des dirigeants ouest-allemands ?

    ALR – De 1945 à 1948, avant même la création officielle de la RFA, ils n’ont eu de cesse de se poser en « meilleurs élèves de l’Europe », suivant une stratégie mûrement calculée : toute avancée de l’intégration européenne équivalait à un effacement progressif de la défaite, et constituait un gage de récupération de la puissance perdue. Ainsi ressurgissait le thème de l’« égalité des droits » de l’après-guerre précédent.

    BRN – Voilà une affirmation audacieuse…

    ALR – C’était l’analyse des diplomates français d’alors, en poste en général depuis l’avant-guerre et lucides sur ce qu’ils ressentaient comme un péril, comme le montrent leurs notes et mises en garde officieuses. Car, officiellement, le discours était de saluer l’horizon européen radieux.

    BRN – Pouvez-vous préciser cet « effacement progressif de la défaite » attendu par les élites de Bonn ?

    ALR – Celles-ci ont vite obtenu l’abandon des limitations de production imposées par les accords de Yalta et de Potsdam : en fait, dès 1945 dans les zones occidentales ; en droit, dès le lancement publicitaire du Plan Marshall, à l’été 1947. Les dirigeants ouest-allemands ont repris le discours d’entre-deux-guerres de Gustav Stresemann (ministre des Affaires étrangères de 1923 à 1929) et du maire de Cologne Adenauer : les « accords de Locarno » (1925) garantirent – sur le papier – les frontières occidentales de l’Allemagne (pas les orientales), motivant l’attribution à Stresemann, en 1926, et à son collègue français Briand… du Prix Nobel de la paix. Berlin entonna le refrain du rapprochement européen avec pour condition expresse l’égalité des droits (« Gleichberechtigung »). C’est à dire l’abandon des clauses territoriales et militaires du traité de Versailles : récupération des territoires perdus en 1918 (et Anschluss prétendument « européen » de l’Autriche), et levée de l’interdiction des industries de guerre.

    BRN – Peut-on pour autant établir le parallèle avec la RFA d’après la seconde guerre mondiale ?

    ALR – Le diplomate français Armand Bérard câble à Schuman en février 1952 que Konrad Adenauer (premier chancelier de la RFA, de 1949 à 1963) pourra, en s’appuyant sur la « force supérieure (mise…) en ligne  » par les Américains contre l’URSS, contraindre celle-ci « à un règlement dans lequel elle abandonnera les territoires d’Europe centrale et orientale qu’elle domine actuellement » (RDA et Autriche incluses). Extraordinaire prévision de ce qui se réalisa près de quatre décennies plus tard…

    BRN – Si l’on reprend votre analyse, l’Union européenne a donc été lancée sur injonction américaine, et soutenue avec détermination par les dirigeants ouest-allemands pour leurs objectifs propres…

    ALR – Oui, ce qui nous place à des années-lumière des contes à l’eau de rose en vogue sur les « pères de l’Europe » taraudés par le « plus jamais ça » et exclusivement soucieux de construire l’« espace de paix » que les jurés Nobel ont cru bon d’honorer. A cet égard, il faut prendre en compte d’autres acteurs, au rôle déterminant dans l’intégration européenne.

    BRN – Le Vatican ?

    ALR – On évoque peu son rôle géopolitique dans la « construction européenne » du XXe siècle, mais après la seconde guerre mondiale, les dirigeants américains l’ont, encore plus qu’après la première, considéré comme un auxiliaire crucial. En outre, depuis la fin du XIXe siècle, et plus que jamais depuis la Première Guerre mondiale avec Benoît XV (pape de 1914 à 1922), les liens entre Reich et Vatican ont façonné le continent (Est compris), comme je l’ai montré dans l’ouvrage Le Vatican, l'Europe et le Reich. Globalement avec l’aval des Etats-Unis – sauf quand les rivalités (économiques) germano-américaines devenaient trop fortes. De fait, les relations du trio se compliquent quand les intérêts des dirigeants d’Outre-Atlantique et d’Outre-Rhin divergent trop. Dans ce cas, la préférence du Vatican va toujours à l’Allemagne. Le maximum de tension a donc été atteint au cours des deux guerres mondiales.

    BRN – Précisément, vous décrivez une Europe voulue par Washington et Bonn (puis Berlin). Mais ces deux puissances n’ont pas nécessairement des intérêts qui coïncident…

    ALR – Absolument. Et ces contradictions, perceptibles dans les guerres des Balkans de 1992 à 1999 (Michel Collon l’a écrit dans son ouvrage de 1997, Le grand échiquier), s’intensifient avec l’aggravation de la crise. Raison supplémentaire pour douter des effets « pacifiques » de l’intégration européenne.

    BRN – Celle-ci est également promue par des dirigeants d’autres pays, comme la France.

    ALR – François Bloch-Lainé, haut fonctionnaire des Finances devenu grand banquier, fustigeait en 1976 la grande bourgeoisie toujours prompte à « exploiter les malheurs de la patrie ». Du Congrès de Vienne (1815) à la Collaboration, en passant par les Versaillais s’alliant avec le chancelier prussien Bismarck contre la Commune, du modèle allemand d’avant-guerre au modèle américain d’après-guerre, cette classe dirigeante cherche à l’étranger un « bouclier socio-politique » contre son peuple.

    BRN – Ce serait également une fonction de l’Union européenne ?

    ALR – Essentielle, et d'origine. Lors de la mise en œuvre en 1954 de la CECA, un haut fonctionnaire français se félicitait ainsi que « l’Europe » eût enfin permis au ministère des finances de liquider des subventions qui réduisaient le prix des produits de première nécessité. La citation précise mérite d’être rappelée : « la différence essentielle réside dans le fait que la politique européenne s’appuie sur l’alibi que constitue, vis à vis des intérêts particuliers, l’existence d’un organe “supranational”, alors que la politique traditionnelle implique que les gouvernements s’imposent, et imposent à ces mêmes intérêts, la discipline indispensable. Cela n’a été possible que parce que le ministre a pu en rejeter la responsabilité sur un organe supranational jouissant d’une certaine indépendance par rapport au gouvernement  ». Près de 60 ans plus tard, l’Europe offre « l’alibi » de ses institutions « indépendantes » – comme la Banque centrale européenne – pour soustraire des décisions de chaque fraction nationale du grand capital au contrôle et à la colère de son peuple. Remarquable continuité, qui n’incite pas à l’optimisme sur la garantie « européenne » de la paix…

    http://www.michelcollon.info

    (1) Sherry Michael, Preparation for the next war, American Plans for postwar defense, 1941-1945, New Haven, Yale University Press, 1977 ; The rise of American Air Power : the creation of Armageddon, New Haven, Yale University Press, 1987 ; In the shadow of war : the US since the 1930’s, New Haven, Yale University Press, 1995.

  • La bataille pour l’Eurasie va-t-elle s’accélérer ?

     

    La bataille pour l’Eurasie va-t-elle s’accélérer ?
    "Les Etats-Unis s’opposeront à des processus d'intégration dans l'espace postsoviétique". Hillary Clinton - 2012

    Les récentes déclarations de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton sur l'intention de Washington de s'opposer aux processus d'intégration dans l'espace postsoviétique lors d’une conférence tenue à Dublin le 6 décembre 2012 ont au moins un mérite, celui de démontrer que l’Union Douanière, et donc la future Union Eurasiatique sont considérés par l’administration américaine comme le mal absolu. Hillary Clinton n’a pas pris de gants, pour elle, l’union eurasiatique n’est ni plus ni moins que la réincarnation de l’Union Soviétique, et traduit donc la volonté de la Russie de vouloir reprendre le contrôle du cœur de l’Eurasie, que Russie et Occident, via l’Angleterre puis l’Amérique, se disputent depuis prés de 150 ans.

    Un retour en arrière s’impose pour comprendre ce que signifie la bataille pour le contrôle de l’Eurasie, qui est tout sauf un fantasme ou une légende. Il s’agit au contraire d’une réalité géopolitique qui constitue un volet important de la politique étrangère américaine et occidentale depuis la chute du mur de Berlin.

    Durant la guerre froide, la puissance américaine ne luttait pas seulement pour la victoire contre son adversaire Soviétique, elle luttait aussi pour le contrôle du monde. Ce faisant, les stratèges américains restaient fidèles à la ligne tracée par les maitres de la géopolitique anglo-saxonne, particulièrement Halford Mackinder et Nicholas Spykman. Pour ces derniers, la maitrise du monde ne pouvait passer que par le contrôle de la zone ou devait se concentrer dans l’avenir tant le gros des habitants, que le gros des ressources énergétiques de la planète: l’Eurasie, encore appelée l'Ile Monde ou Heartland.

    " Qui contrôle le Heartland, contrôle le monde ". Halford John Mackinder – 1919

    En ce sens, la mise sous tutelle après 1945 de l’Europe de l’ouest par l’Otan n’a été rien de plus qu’une mise en application des principes de Nicholas Spykman qui jugeait lui essentiel de maitriser l’anneau périphérique (Rimland) de cette Ile monde, de ce Heartland continental. L’Europe de l’ouest représente la partie occidentale sous contrôle de cet anneau. Comme on peut le voir ici, la zone qui s’étend du pourtour de la caspienne jusqu'à l’Asie centrale constitue sa partie orientale et c’est précisément cette zone qui est visée par les propos d’Hillary Clinton.

    " Qui contrôle le Rimland contrôle l’Eurasie. Qui dirige l’Eurasie contrôle la destinée du monde". Nicholas J. Spykman - 1942

    Les tentatives avortées du GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) puis la tentative de prise de contrôle de ces mêmes états (membres de cet anneau périphérique) par les révolutions de couleurs planifiées aux USA doivent être comprises et vues dans ce sens: comme une étape nouvelle du containment russe, préalable essentiel au bouclage du Rimland. D’ailleurs, dans sa déclaration Hillary Clinton a insisté sur la déception profonde que représentait l’Ukraine pour le département d’état Américain, tout un symbole lorsqu’on sait l’énergie et les moyens mis en œuvre par l’administration américaine pour faire de l’Ukraine un pion essentiel de l’Otan. Un projet ancien qui prévoyait la constitution d’un axe Allemagne-Pologne-Ukraine dont Zbigniew Brezinski rêvait déjà en 1997 et qui selon lui devait servir à repousser l’influence russe le plus à l’est possible, et renforcer l’Otan au cœur de l’Europe de l’est.

    "Il est impératif qu'aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l'Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l'Amérique". Zbigniew Brezinski - 1997

    Bien sur les déclarations d’Hillary Clinton ont provoqué les regrets de Leonid Sloutski, chef de la commission de la Douma pour les Affaires de la CEI. Celui-ci constatait que le potentiel croissant de regroupement géopolitique en Eurasie pourrait faire de cette région l'un des acteurs majeurs du monde. Une situation bien différente de celle qu’impliquait le monde unipolaire de 1991, qui ne laissait aucune place à la Russie.

    Beaucoup de pays occidentaux appréciaient Eltsine surtout parce qu'il était le symbole d’une Russie faible, et le symbole de leur victoire sur l’URSS. 20 ans plus tard, alors que le centre de gravité du monde se déplace vers l’Asie et la Chine, l’Occident américano-centré traverse une crise économique qui l’a considérablement affaibli sur la scène internationale. Pendant ce temps, à mi chemin entre l’Occident et l’Asie, la Russie s’est redressée pour redevenir aujourd’hui la puissance principale d’Eurasie.

    Le monde multipolaire qui prend forme devrait vraisemblablement prendre l'aspect d'un monde d’alliances. Les grands états de ce monde sont tous dans des logiques de regroupements économiques, politiques et militaires, que ce soit au cœur de l’Europe, par dessus l’Atlantique, en Amérique du sud ou encore en Asie. Ces alliances pourraient rapidement voir l’émergence de blocs souverains tant sur le plan militaire, qu’économique ou politique, et la fragmentation du monde en zones d’influences souveraines.

    Pourquoi les nations d’Eurasie n’auraient elle dès lors pas le droit de procéder à une intégration régionale approfondie? Les menaces américaines contre une alliance volontaire de pays souverains semblent éloigner considérablement les possibilités d’un réel reset russo-américain. Le désaccord sur l’Affaire Syrienne, pays que l’Union Douanière envisageait du reste d’intégrer à une zone de libre échange il y a encore quelques mois, accentue encore le malaise.

    Voila donc des propos belliqueux en provenance d'Amérique et prononcés à Dublin, alors même que le chef de l’état russe a pourtant récemment rappelé que la Russie devait trouver sa place géopolitique dans le monde de façon pacifique et que l’intégration eurasiatique devait elle se faire dans le respect de la souveraineté des états. Un principe de souveraineté nationale bien mis à mal durant l’époque unipolaire mais qui constitue tant le point névralgique du développement des BRICs (lire cette analyse a ce sujet) que le cœur de la politique internationale russe, notamment en Syrie.

    Souveraineté VS interventionnisme, Unilatéralisme VS Multilatéralisme. Ces deux conceptions du monde diamétralement opposées vont-elles relancer la bataille pour l’Eurasie ?

    Alexandre Latsa http://www.voxnr.com
  • Malgré le soutien de l’Occident, Al-Qaïda ne vaincra pas le peuple syrien

    Par Ghaleb Kandil

    La Syrie et ses forces armées continuent de résister farouchement à la guerre mondiale qui les prend pour cible. L’État s’emploie par tous les moyens à assurer les besoins économiques nécessaires pour la résistance, et l’armée a lancé des opérations militaires stratégiques dans certaines provinces pour détruire les bases des terroristes, dont plusieurs dizaines de milliers se sont infiltrés de Turquie ces dernières semaines.
    Les opérations militaires ont atteint leur objectif primordial en faisant échec au plan du Premier ministre turc Recep Tayyeb Erdogan, qui consistait à établir de facto une zone tampon. Des informations sûres indiquent que les groupes armés ne sont plus présents dans la ville d’Alep que dans de petites poches, alors que l’armée régulière contrôle la majeure partie de la grande métropole du Nord.
    À Homs, la vie a pratiquement repris son cours normal et pour se venger, les terroristes ont recours aux attentats aux voitures piégées, comme celui qui a fait 15 morts et des dizaines de blessés, hier dimanche. La plus grande partie de la province de Deir Ezzor, limitrophe de l’Irak, est également sous le contrôle de l’armée nationale. À Damas et sa région, l’armée a lancé une offensive d’envergure pour briser les groupes terroristes qui s’apprêtaient à déclencher une attaque massive contre la capitale. Les données militaires laissent croire que dans les semaines à venir, l’État va reprendre le contrôle des chefs-lieux de toutes les provinces et des régions frontalières. Complètement désorganisés, les groupes armés perdront l’initiative et se livreront à des attaques terroristes, des assassinats et des actes de sabotage. L’État se prépare déjà à ce scénario, mais la priorité reste, pour lui, de relancer le cycle économique et de rétablir une vie normale dans l’ensemble de la Syrie. Les zones encore sous contrôle des rebelles seront encerclées et incapables de s’étendre et de constituer un danger stratégique.
    Toutes les informations prouvent que la principale force de combat terroriste est l’organisation Al-Qaïda et les mouvements salafistes-jihadistes, ainsi que le bras armé de la Confrérie des Frères musulmans. Les groupes qui évoluent en dehors de cette mouvance extrémiste sont dispersés et ressemblent plus à des gangs locaux qu’à des mouvements organisés et structurés, évoluant dans le cadre d’une stratégie globale. Ils comportent une grande part de brigands, de malfaiteurs et de coupeurs de route. Les informations indiquent que les chambres d’opérations présentes en Turquie, dirigées par des officiers de la CIA, avec la participation de groupes qataris, saoudiens, libanais et libyens, donnent des ordres directs aux unités combattantes en Syrie, leur fixent les objectifs et les fournissent en armes, explosifs, argents et matériels de toutes sortes.
    L’hypocrisie occidentale concernant le terrorisme et Al-Qaïda se confirme en Syrie. Si les mêmes critères établis après le 11 septembre 2001 lors des dizaines de conférences internationales de « lutte contre le terrorisme » avaient été mis en œuvre en Syrie, tous ceux qui financent et arment aujourd’hui les « rebelles » en Syrie auraient dû soutenir l’État syrien dans sa lutte contre le terrorisme.
    L’hypocrisie des pseudo-souverainistes libanais n’est pas en reste. Après avoir crié au loup dans la bergerie, voilà que les faits prouvent que ce sont eux les vrais loups. Les révélations du quotidien libanais al-Akhbar prouvent l’implication directe de l’ancien Premier ministre Saad Hariri et de son principal lieutenant, le député Okab Sakr, dans le financement et l’armement des terroristes (Voir ci-après). La mort et la capture d’une vingtaine de jihadistes libanais vendredi dans une embuscade de l’armée syrienne, alors qu’ils se rendaient à Tall Kalakh pour y « pratiquer le Jihad » contre le peuple syrien, complète ce tableau.
    Le peuple syrien est confronté à un cocktail terroriste multinational, soutenu par les « nations civilisées ». Son droit inaliénable est de se défendre par tous les moyens pour préserver son pays et son identité. Dans cette guerre, les mercenaires n’ont aucune chance de gagner.

    Le pacte entre les Frères musulmans et les États-Unis confirmé par Morsi

    Les événements qui se succèdent en Égypte ont fait la lumière sur une série de vérités et de données qui auront une grande influence sur les événements dans le monde arabe.
    Il est clairement apparu que les Frères musulmans en Égypte, qui représentent le cœur de cette confrérie transnationale, ont établi leur plan de prise du pouvoir sur la base d’un deal avec les États-Unis et Israël pour renouveler la fonction politique et sécuritaire qui avait été confiée au régime de Hosni Moubarak et d’Anouar Sadate, conformément aux dispositions des accords de Camp David. Cela confirme les informations qui circulent depuis deux ans sur des arrangements conclus entre Washington et le commandement des Frères musulmans dans la région, sous l’égide de la Turquie et du Qatar. Ces arrangements stipulent que l’Occident favorisera le renouvellement des élites dirigeants dans les pays arabes à travers les Frères musulmans, qui s’engagent, en contrepartie, à garantir la sécurité d’Israël et les intérêts US et occidentaux.
    Le seul élément sur lequel s’est appuyé le président Mohammad Morsi pour promulguer la déclaration constitutionnelle rejetée par de larges pans de la société égyptienne est le soutien états-unien et israélien qu’il a reçu à l’issue de son rôle dans la conclusion de la trêve entre l’État hébreu et les organisations palestiniennes lors de la dernière guerre de Gaza. Le pouvoir égyptien a présenté des engagements dans le cadre des négociations, portant sur des questions politiques et sécuritaires s’articulant autour de deux points : couper l’approvisionnement en armes de la bande de Gaza en poursuivant la destruction des tunnels ; et rompre les relations entre les organisations palestiniennes et l’Iran. Selon des informations parues dans la presse égyptienne, le Caire auraient fourni des facilités aux forces spéciales et aux services de renseignement US dans le Sinaï et a demandé au Hamas de déployer des forces à la frontière entre Gaza et Israël pour veiller au cessez-le-feu. C’est-à-dire s’assurer qu’il ne sera pas violé par les organisations de la résistance palestinienne. En quelque sorte, le Hamas commence à jouer le même rôle que la police de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie.
    Le conflit politique qui a éclaté en Égypte après le coup d’État constitutionnel de Morsi est ouvert à toutes les options. Les Frères musulmans ont décidé d’ignorer les revendications d’une large majorité d’Égyptiens et de poursuivre leur conquête de toutes les institutions. Les centaines de milliers de personnes qui ont manifesté ne les ont pas fait reculer. Ils ont laissé tomber leur masque après s’être assuré du soutien des États-uniens et des Israéliens, qui leur a été accordé après qu’ils eurent réussi au test de la dernière guerre de Gaza.
    Il n’aura fallu que quelques mois pour que le vrai visage des Frères musulmans apparaisse aux yeux de l’opinion publique égyptienne et arabe, et cela aura certainement des répercussions dans l’ensemble du monde arabe.

    Déclarations et prises de positions

    Michel Sleiman, président de la République libanaise
    « Il y a trois idées en ce qui concerne la forme du gouvernement prochain : ce sera un cabinet ou bien d’union nationale, ou bien majoritaire ou bien neutre. Toutefois, ce qui est susceptible de faire l’objet de discussions à la table du dialogue, c’est uniquement l’opportunité d’un changement de gouvernement et non pas la forme du nouveau cabinet, ni sa composition. Ces aspects ne concernent pas la table du dialogue. Ils se rapportent aux prérogatives constitutionnelles du chef de l’État et du Premier ministre. Les élections législatives auront lieu en temps prévu quelles que soient les circonstances. Le scrutin ne saurait être reporté que pour une durée courte ne dépassant pas les deux ou trois mois et uniquement pour des raisons techniques liées à la discussion autour des projets de loi électorale, dans la mesure où un temps supplémentaire pourrait se révéler nécessaire. Je ne donnerais mon aval à aucun texte de loi prorogeant de façon arbitraire le mandat de la législature. »

    Michel Aoun, leader du Courant patriotique libre
    « Tous les Libanais sont d’accord sur le fait que la loi électorale de 1960 est anticonstitutionnelle et constitue la loi la plus injuste de l’histoire, notamment à l’encontre des chrétiens. Cette loi permet la victoire ou la défaite de députés à une seule voix de différence. Nous comprenons que le Courant du futur soit injuste, mais ce sont les chrétiens alliés de ce courant, les Forces libanaises et les Kataëb, qui subissent les conséquences de cette injustice. Si ces deux partis empêchent la modification de la loi de 1960, c’est qu’ils sont payés pour ça. L’injustice a des répercussions proches. Ceci ne voudrait pas signifier pour autant que nous boycotterons les prochaines élections si elles se déroulent sur la base de la loi de 1960. Nous ne permettrons à personne d’amener le patriarche à accepter cette loi, ni de lui forcer la main pour l’entraîner dans cette direction. »

    Nabil Qaouq, vice-président du Conseil exécutif du Hezbollah
    « Le mouvement du 14-Mars ne veut pas une vraie parité. Il veut s’approprier le pouvoir et refuse le dialogue pour bloquer l’adoption d’une nouvelle loi électorale. il suffit de voir qu’Israël parie sur la victoire du 14-Mars aux prochaines législatives pour savoir que ce mouvement est l’otage de forces extérieures qui l’obligent à s’attaquer à la Résistance. »

    Serguei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères
    « Encourager la guerre à outrance contre le régime de Bachar el-Assad, c’est accroître la souffrance du peuple syrien et envenimer la situation explosive au Proche-Orient. La Russie s’oppose catégoriquement à toute ingérence extérieure en Syrie et ne participera pas au conflit armé dans ce pays. Le point d’approvisionnement matériel et technique russe à Tartous fonctionne en mode normal. Je tiens à souligner : notre coopération militaire et technique de longue date vise avant tout à maintenir la stabilité au Proche-Orient et n’a jamais eu pour but de soutenir une force quelconque sur la scène intérieure syrienne. La Russie fait tout son possible pour mettre fin à l’effusion de sang et pour convaincre les parties en conflit d’entamer un dialogue. »

    Ghadanfar Rokn Abadi, ambassadeur d’Iran au Liban
    « Nos principes sont clairs et transparents. Nous regardons toujours les hautes montagnes qui se découpent à l’horizon et nous parvenons à réaliser les objectifs lointains. Nous ne nous tournons jamais vers les petits nids-de-poules sous nos pieds. En Syrie, une solution pacifique qui se fait toujours attendre est inévitable. Au sujet du dossier nucléaire, le secrétaire général du Conseil de sécurité nationale, Saïd Jalili, a refusé à neuf reprises un tête-à-tête avec les Etats-uniens. »

    Ali Abdel Karim Ali, ambassadeur de Syrie au Liban
    « Des pays arabes financent Al-Qaïda en Syrie. Le Liban doit être davantage respectueux des relations bilatérales et ne doit pas se transformer en couloir pour les crimes commis en Syrie. Je n’accuse pas le gouvernement libanais mais la quantité des armes dont font état les médias et les atteintes de ceux qui se sont affublés du nom d’Armée syrienne libre contre l’armée à Ersal doivent pousser le Liban à adopter une position plus solide, surtout que la Syrie est victime d’une agression couverte par les États-Unis, l’Europe et soutenue de façon éhontée par les pays du Golfe. »

    Evénement

    Les preuves de l’implication de Saad Hariri dans la crise syrienne
    • Une conversation enregistrée entre le député du Courant du futur, Okab Sakr, et Abou Noomane, un dirigeant de l’opposition syrienne armée porte sur un transfert d’armes. « Aidez-nous, s’il vous plaît, nous avons besoin d’armes », demande Abou Noomane à M. Sakr dans l’enregistrement sonore posté sur le site Internet du quotidien al-Akhbar et diffusé dans le bulletin de la chaîne OTV, jeudi soir. « Dites-moi exactement ce dont vous avez besoin », lui répond le député libanais. L’opposant lui détaille alors sa demande et les deux hommes se mettent d’accord pour livrer les armes, « comme d’habitude », aux membres de l’opposition syrienne dénommés Abou Baraa et Abou el-Nour.
    • L’ancien Premier ministre Saad Hariri avait assuré, en octobre dernier, que le député est « chargé de suivre la situation en Syrie et de coordonner avec les forces politiques syriennes de l’opposition pour soutenir le peuple syrien au double plan médiatique et politique. »

    Transcription d’un enregistrement
    — Une voix inconnue : allo.
    — Okab Sakr : allo.
    — L’inconnu : oui, mon frère.
    — Okab Sakr : oui.
    — L’inconnu : quelle est la requête ? Qu’est-ce qui lui manque ?
    — Okab Sakr : Des mitrailleuses, des balles. Nous voulons des balles B K C, des roquettes Rpg, des armes de qualité pour Alep, la banlieue d’Alep et la région d’Idlib.
    — L’inconnu : Quelle région spécifiquement ?
    — Okab Sakr : Alep, la banlieue d’Azaz et les régions assiégées. À Idlib, il y a des régions qui subissent en ce moment même une attaque féroce. Il faut assurer cette commande.
    — L’inconnu : De quelle armes de qualité avez-vous besoin exactement ?
    — Okab Sakr : Je ne sais pas, il n’y a pas d’armes spécifiques. Les commandes portent généralement d’anti-avions et d’antichars, avec les armes ordinaires, légères ou moyennes.
    — Inconnu : D’accord, d’accord.

    Transcription du troisième enregistrement
    — Abou Rachad (responsable de l’approvisionnement à Hama et ses banlieues) : Salam Aleikom... Où êtes-vous ?
    — Louay (porte-parole du Conseil suprême de l’ASL) : Oui mon frère, nous sommes dans une chambre avec Monsieur Okab Sakr et tous les hommes sont présents. Rassures-moi de la situation chez toi.
    — Abou Rachad : C’est bien qu’Okab soit près de toi, car nous sommes dans une situation déplorable… la situation est très, très, très urgente, plus que tu ne peux l’imaginer. Les affrontements sont violents et les bombardements intensifs.
    — Louay : Bon, d’accord, nous vous avons tous entendus ici dans la chambre, et Monsieur Okab t’a entendu.
    — Okab Sakr : votre situation s’est aggravée ? Plus que les deux derniers jours ?
    — Abou Rachad : oui. En fait le pilonnage est intensif, et la situation est extrêmement urgente, nous avons besoin d’aide.
    — Okab Sakr : d’accord, où est tu ? À Hama ? A Idlib ?
    — Abou Rachad : Hama et Idlib.
    — Okab Sakr : alors tu demandes d’augmenter les quantités ? La quantité n’est pas suffisante ?
    — Abou Rachad : Oui, oui, multipliez les quantités.
    — Louay : (s’adressant à Sakr) qu’est-ce que tu en penses ? On multiplie les quantités ?
    — Okab Sakr : on augmente les quantités.
    — Okab Sakr (s’adressant à Abou Rachad) : Abou Rachad, j’ai reçu beaucoup de rapports de plusieurs hommes de l’intérieur. Ils m’ont confirmé ce que tu viens de dire sur ces deux régions. La situation va s’aggraver. Maintenant, je dirai aux hommes d’augmenter autant que possible les quantités parce que je connais votre situation. Vous êtes très faibles.

    Revue de presse

    As Safir (Quotidien libanais proche de la majorité, 30 novembre 2012)
    Imad Marmal
    Le 14 Mars a dépassé le stade du boycott du dialogue, du Parlement et du gouvernement. Au niveau psychologique, il est dans une logique de divorce. De hauts responsables du Courant du futur affirment que les compromis avec le camp adverse font désormais partis du passé. Pour eux, la discussion sur le changement du gouvernement dans le cadre de la table de dialogue est hors de question. « Est-ce que le Hezbollah a fait figurer la question de la démission des 11 ministres du 8-Mars du gouvernement de Saad Hariri à l’ordre du jour de la séance de dialogue ? », s’interrogent ces responsables. Les sources du Moustaqbal estiment qu’il ne faut pas se baser sur l’accord de Doha, car à l’époque, le 8-Mars, se sentant fort dans le sillage des évènements de 7 mai, a imposé ses conditions, « tout comme Hitler a imposé aux Français l’accord de Versailles après son occupation de la France ». Les mêmes sources ajoutent que le seul dossier qui doit être inscrit à l’ordre du jour du dialogue est celui des armes du Hezbollah. Ils indiquent que le Hezbollah, qui a affaibli le camp de la modération sunnite, doit maintenant en assumer les conséquences et coexister avec les phénomènes extrémistes qui apparaissent.

    As Safir (30 novembre 2012)
    Des source officielles rapportent que le président de la République Michel Sleiman n’envisage en aucun cas de proroger le mandat du Parlement, « même si toutes les parties politiques en conviennent ». Le chef de l’État serait toutefois en faveur d’un report dans un seul cas : si une entente est possible, d’ici aux élections, sur une loi assurant une meilleure représentativité et faisant retomber la tension dans le pays, et s’il s’avère qu’il faudra plus de temps pour la promulguer, le président Sleiman ne verra pas d’inconvénient à prolonger un peu les délais constitutionnels.

    As Safir (29 novembre 2012)
    Nabil Haithaim
    Le 14 Mars s’est montré concerné par la victoire de la Résistance palestinienne dans la Bande de Gaza. Il s’est empressé d’y envoyer une délégation, laissant entendre que la solidarité avec le peuple palestinien n’est pas l’apanage d’une partie libanaise ou régionale déterminée. Les uns ont salué la visite du 14-Mars. D’autres l’ont qualifiée d’acte audacieux, voire historique. Et certains se sont vantés du fait que le 14-Mars fut le premier à ouvrir le chemin de la Palestine par des actes et non pas des paroles, soulignant que les autres doivent lui emboîter le pas.
    Sur l’autre rive, les forces du 8-Mars qualifient la visite du 14-Mars à Gaza de « geste théâtral », lié aux foires d’empoignes internes au Liban, et considèrent qu’elle relève d’un acte opportuniste qui vise à faire de la surenchère sur les forces de la Résistance au Liban. Le constat du 8-Mars se base sur le caractère ponctuel de la visite du 14-Mars et sur la performance de ce dernier tout au long des sept dernières années.
    Partant de là, le 14-Mars est appelé à répondre aux questions suivantes : Qui a eu l’idée d’organiser cette visite à Gaza ? Qui l’a cautionnée ? Est-ce le Qatar, les Frères musulmans, l’Égypte ou le Hamas ? La visite a-t-elle pris en compte la position des États-Unis et de l’Arabie saoudite, d’autant plus que le roi Abdullah s’est distancié des évènements de Gaza, se contentant d’appeler les antagonistes à faire prévaloir la raison ? Sont-elles véridiques les informations qui disent que la visite n’aurait pas eu lieu si le Hamas n’avait pas quitté le giron syro-iranien en faveur de son allégeance au Qatar, à la Turquie et à l’Égypte ?
    Selon la lecture du 8-Mars, le 14-Mars croit que les peuples ont droit à la libération de leurs territoires occupés et opte pour la « résistance diplomatique » en tant que moyen de parvenir à cet objectif. Comment se fait-il donc qu’il soutient la Résistance armée en Palestine et s’oppose à la Résistance armée au Liban ? Les forces du 8-Mars s’interrogent : Comment le 14-Mars reconnaît-il la victoire de la Résistance palestinienne à Gaza et nie la victoire de la Résistance au Liban durant la guerre de 2006 ? La banlieue sud n’avait-elle pas droit à une visite de quelques minutes de la part de ceux qui se sont rendus à Gaza ?

    An Nahar (Quotidien libanais proche du 14-Mars)
    Sarkis Naoum (30 novembre 2012)
    Il y a quelques mois, des accrochages ont opposé les rebelles syriens aux forces régulières syriennes à Damas et alentour. Il a été dit, à l’époque, que la bataille de Damas a débuté et que son dénouement précipitera la victoire des insurgés. Toutefois, les forces du régime ont réussi à tenir la capitale d’une main de fer. Pourquoi revenir sur cet échec des rebelles ? Tous les médias regorgent, depuis quelques jours, d’informations confirmant que la bataille de Damas a commencé, mais que cette fois-ci, c’est le régime qui en a pris l’initiative pour faire pencher la balance en sa faveur dans la capitale. Les pro-Syriens au Liban assurent que le président Assad l’emportera, alors que les anti-Syriens considèrent qu’il y a de fortes chances que le régime et ses forces soient évincés de la capitale et de sa province. Quid après la bataille de Damas ? Les analystes ne sont pas unanimes quant à la réponse à y apporter.

    An Nahar (29 novembre 2012)
    Le président du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), David Baragwanath, a qualifié les rapports du TSL de stupéfiants, assurant qu’« ils resteront secrets jusqu’à ce que les accusés soient localisés ». Le magistrat a estimé que le Liban a coopéré avec le tribunal. Au sujet de l’appartenance de Wissam al-Hassan au groupe des témoins principaux du tribunal, il a annoncé qu’« il ne connaît pas l’identité des témoins » et que « l’attentat qui a coûté la vie au général al-Hassan ne relève pas des fonctions du tribunal, à moins que l’État libanais, le Conseil de sécurité et l’Onu n’en décident autrement, comme le stipule le règlement de la cour ». Concernant l’implication des membres du Hezbollah dans l’attentat contre Rafic Hariri, le juge Baragwanath a indiqué qu’« être partisan du Hezbollah veut dire être partisan d’un parti politique, et que le juge ne s’intéresse pas à la religion ou l’affiliation politique d’une personne ».

    An Nahar (29 novembre)
    Rosanna Bou Mouncef
    Ces derniers jours, des propos attribués à un diplomate français sur le possible report des élections législatives ont circulé parmi des hommes politiques libanais qui l’ont récemment rencontré à Paris. Bien que l’éventuel ajournement du scrutin pour une période de six mois, afin de permettre un accord sur une nouvelle loi électorale, a d’abord été évoqué par le ministre de l’Intérieur, personne au Liban ne lui a accordé de l’importance. Pourtant, M. Marwan Charbel est le responsable officiel le plus directement concerné par l’organisation des législatives. En revanche, les propos attribués au diplomate français ont provoqué une confusion chez certains milieux politiques, qui ont tenté d’en savoir plus auprès de l’ambassadeur de France à Beyrouth. M. Patrice Paoli a démenti ces informations, et une autre source diplomatique occidentale au Liban a également affirmé ne pas disposer d’informations sur une démarche française visant à ajourner le scrutin.
    Une source bien informée indique que si report il y a, cela donnera du Liban l’image d’un pays incapable de respecter ses échéances constitutionnelles lorsqu’il est appelé à gérer seul ses affaires.
    À la lumière de toutes ces données, le président de la République, Michel Sleiman, a exprimé sa détermination à organiser les élections à la date prévue, affirmant qu’il ne signera pas un décret proposant la prorogation du mandat du Parlement actuel. Le président de la Chambre, Nabih Berry, a aussi exprimé son étonnement au sujet des informations faisant état d’une possible prorogation du mandat de l’Assemblée.
    En fait, la question du report du scrutin n’est plus étrangère aux salons politiques, avec la prolifération de « fatwas » justifiant un tel ajournement. Il y a d’abord le refus d’une grande partie des acteurs politiques de la tenue des élections à l’ombre de la loi de 1960. Si les élections ont quand même lieu dans un climat de mésentente et de conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite, cela pourrait se traduire par une recrudescence de la tension. Ensuite, d’aucuns affirment que si les élections ont lieu dans les circonstances actuelles, cela ne signifiera pas qu’elles seront représentatives. D’autres, enfin, pensent que le gouvernement actuel, contrôlé par le 8-Mars, n’a pas intérêt à la tenue d’élections qui verraient l’émergence d’une majorité pour le 14-Mars. Le 8-Mars souhaite un accord préalable sur une nouvelle loi électorale et sur la forme du gouvernement post-électoral.

    An Nahar (28 novembre)
    Samir Mansour
    Le mufti de la République, cheikh Mohammed Rachid Kabbani, a-t-il pris de court toutes les parties concernées en convoquant les élections du Haut conseil islamique chérié à la fin du mois prochain ? Ces élections auront-elles lieu ? Ces questions se posent en raison des appels à l’ajournement de ce scrutin, émanant en particulier de parties proches du bloc parlementaire du Courant du futur. Mais ce camp n’aura pas gain de cause car le mufti Kabbani, inflexible, assure qu’il ne cèdera pas aux pressions, si fortes soient-elles. Il faudra toutefois tenir compte d’une autre question : le quorum sera-t-il assuré ? En cas de défaut de quorum, les élections devront être reportées.

    An Nahar (28 novembre)
    Ibrahim Bayram
    Ceux qui analysent les dernières prises de positions du chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, découvriront sans trop de difficultés que ses opinions et celles du Hezbollah sont divergentes sur 90 % des sujets : son éloignement de la formule armée-peuple-résistance, ses critiques contre le rôle iranien, le TSL, la question des armes et la vision stratégique du Hezbollah au sujet du conflit israélo-arabe. Avec toutes ces divergences, on se demande sur quoi se base M. Joumblatt pour dire que sa relation avec le parti est « excellente ».
    Des milieux connaissant bien les deux parties indiquent qu’une des principales raisons expliquant la poursuite de la relation entre Joumblatt et le Hezbollah est, justement, cette ambiguïté qui la caractérise. Au début des événements en Syrie, et après que le chef du PSP eut décidé de soutenir les opposants au régime, les milieux médiatiques et politiques ont cru déceler l’existence d’un accord selon lequel le Hezbollah accepte les positions de M. Joumblatt sur la question syrienne, à condition que le dénominateur commun sur le gouvernement et les armes soit préservé.
    Les deux parties semblent avoir trouvé leur intérêt dans cette « cohabitation ». Joumblatt a engrangé des gains qu’il n’avait même pas obtenu lorsqu’il était le fer de lance du 14-Mars : trois ministres avec portefeuilles, un rôle politique central qui en fait un des principaux acteurs. Le Hezbollah aussi a profité de cette relation car Joumblatt assure un quorum politique au gouvernement et au Parlement, qui permet de maintenir les rapports de forces actuels dans le pays.
    La question qui se pose est celle de savoir si cette relation pourra se maintenir, surtout qu’il devient difficile pour le Hezbollah et sa base de supporter le plafond élevé des critiques joumblattistes, d’autant que parfois elles remettent en cause des questions considérées par le parti comme des « constantes ».
    Des milieux proches du Hezbollah assurent qu’il est dans son intérêt que la relation avec Joumblatt se poursuive, en dépit de l’ambiguïté qu’il l’entoure. Surtout que la période actuelle, au Liban et dans la région, reste très floue, ce qui brouille la vue non seulement de M. Joumblatt mais aussi de certains États, notamment en ce qui concerne les événements en Syrie. L’important pour le Hezbollah est que l’équation interne, mise en place après la formation du gouvernement Mikati, reste stable. Et l’un des principaux éléments de cette stabilité est M. Joumblatt. C’est d’autant plus important que la période actuelle est caractérisée par l’attentisme.

    Al Akhbar (Quotidien libanais proche de la majorité, 30 novembre 2012)
    Nasser Charara
    Le 4 novembre, la Commission des Affaires extérieures avec les pays du Machreq au Parlement européen a tenu une réunion consacrée aux réfugiés syriens. Lors des discussions, des chiffres précis sur le nombre et l’appartenance sociale des réfugiés syriens ont été présentés. Il a été souligné que la Syrie accueille un million de réfugiés irakiens et un demi-million de Palestiniens qui ne sont toujours pas rentrés chez eux.
    Ahmad Fatfat a prononcé une allocution qui a indisposé certains députés européens car elle était hors-sujet. Le député du Courant du futur a profité de la tribune pour évoquer la question libanaise interne et tenter d’obtenir le soutien de l’Europe à une feuille de route susceptible de ramener son camp politique au pouvoir. Dans son discours, M. Fatfat s’est plaint du gouvernement de Najib Mikati, sollicitant l’aide de l’UE pour obtenir son départ. Il est revenu sur l’affaire Michel Samaha et a fait assumer au gouvernement libanais la responsabilité de l’assassinat du général Wissam al-Hassan. Il a aussi mis en garde le Parlement européen contre le fait que « les Gardiens de la révolution iraniens se trouvent sur les rives du Levant. » Il a réclamé son appui au printemps arabe et à l’opposition syrienne, affirmant que ce soutien est susceptible de garantir la protection et la stabilité du Liban. Le député a critiqué la politique de dissociation du Liban à l’égard de la crise syrienne, adoptée par le gouvernement Mikati, estimant que cette politique vise en fait à protéger le régime syrien. Il a dénoncé l’intervention du Hezbollah en Syrie et le refus du parti de se plier à la justice internationale, notamment dans l’affaire Rafic Hariri.
    M. Fatfat a ensuite proposé une sorte d’initiative de règlement de la crise libanaise, qui ne prévoit nulle part le retour à la table du dialogue, prônée par le président de la République, Michel Sleiman. En substance, la démarche proposée vise à obtenir le départ du gouvernement Mikati et empêcher un vide politique, voulu selon lui par le Hezbollah et ses alliés, en encourageant la formation d’un cabinet de technocrates.
    La réponse européenne n’a pas tardé, même si elle était indirecte. Dans son mot de clôture, le responsable de l’action extérieure de l’Europe, Jan Snadauf, s’est félicité de la coopération étroite et de haut niveau entre l’Union européenne et le Liban et a exprimé la satisfaction de l’Europe à l’égard de la politique de dissociation. Il a réaffirmé le respect officiel européen pour les politiques du gouvernement libanais et salué le climat qui a prévalu lors des réunions tenues dans le cadre du partenariat entre les deux parties. Les propos de M. Snadauf, considérés comme reflétant la position officielle du Parlement européen, ont été perçus comme une gifle assénée non seulement à Fatfat mais aussi à l’homme qui voulait adresser à travers lui un message à l’Europe : Saad Hariri.

    Al Akhbar (29 novembre 2012)
    Nicolas Nassif
    Les législatives de 2013 sont au centre de l’actualité, après la position exprimée par le patriarche maronite Mgr Béchara Raï, qui s’est dit attaché à la tenue du scrutin indépendamment de la loi électorale sur base de laquelle il devrait se dérouler. Une prise de position qui a donné lieu à une vive polémique, voire à des tiraillements internes : après avoir rejeté la loi de 1960 et conditionné les élections à une nouvelle loi tenant compte de la représentativité chrétienne, le patriarche a donné la priorité aux élections sur toute loi censée régir le scrutin, la loi de 1960 comprise. Les propos du prélat coïncident avec une prise de position similaire, par le président de la République Michel Sleiman, lorsqu’il s’est prononcé contre toute prorogation arbitraire du mandat de la Chambre. En clair, il s’agit de donner la priorité absolue à la tenue des élections de 2013, alors que le chef de l’État, tout comme le prélat mais avec moins de vigueur, s’était opposé à la loi de 1960.
    Le patriarcat maronite avait donc rejeté la loi issue de l’accord de Doha —seule clause de cet accord à être toujours de mise—. En effet, le « président consensuel » ne l’est plus, le gouvernement d’union nationale n’a pas réussi l’expérience de la cohabitation entre loyalistes et opposants, et le dialogue national, boycotté par le 14-Mars, ne démarre pas. Aujourd’hui, le patriarche insiste pour que les élections aient lieu, et accepte implicitement qu’elles se déroulent conformément à la loi en vigueur. Dès lors, les autres parties pourront invoquer cette prise de position pour justifier leur consentement à voir les élections de 2013 se tenir sur la base de cette loi.
    Depuis l’assassinat du général Wissam el-Hassan, le 14-Mars boycotte le parlement jusqu’à la chute du gouvernement de Najib Mikati. Mais comme le 8-Mars et le député Walid Joumblatt sont contre une démission du cabinet, le Parlement pourra difficilement se réunir pour promulguer une nouvelle loi électorale.
    À cela s’ajoute le fait que le député Joumblatt tient à rester équidistant du 8-Mars et du 14-Mars. Il bloque la majorité parlementaire en rejetant le projet de la proportionnelle, et en même temps, ne rejoint pas l’opposition pour lui permettre de faire passer le projet prévoyant un découpage en 50 circonscriptions. Ce qui ne laisse aux uns et aux autres qu’un seul choix : la loi de 1960.

    Ad Diyar (Quotidien libanais proche de la Syrie, 29 novembre 2012)
    Hicham Yéhia
    Les campagnes médiatiques et politiques lancées par le 14-Mars contre le gouvernement actuel sont un coup d’épée dans l’eau. Des sources ministérielles centristes rapportent que les entretiens et les concertations qui ont eu lieu entre le Premier ministre Najib Mikati et les responsables français à Paris ont fait transparaître le souci de la France de traiter avec le gouvernement de Mikati au même titre que les autres institutions constitutionnelles au Liban, lesquelles incarnent les relations d’amitié franco-libanaises.
    Les sources précitées soulignent que le chef du gouvernement libanais a retenu un message sans ambages des responsables français, qui sont en contacts continus avec Washington et les pays arabes modérés, selon lequel la France refuse toute mesure susceptible de créer un vide dans le pays, d’autant que l’une des priorités de la France et de ses alliés et amis régionaux et internationaux est d’empêcher le transfert de la crise syrienne au Liban.
    Par conséquent, constatent les mêmes sources, le maintien du gouvernement de Mikati est un besoin arabe et international en vue de faire passer le temps avec le moins de dégâts possibles. Les dirigeants des grandes puissances, ajoutent-elles, considèrent unanimement que les positions de l’opposition libanaise ne sont pas réalistes et ne sont pas conformes aux circonstances actuelles au Moyen-Orient et en Syrie.

    Al Joumhouria (Quotidien libanais proche du 14-Mars)
    Odaï Daher (29 novembre 2012)
    Des informations non confirmées circulent dans les milieux diplomatiques arabes et occidentaux selon lesquelles des contacts secrets ont été engagés entre les États-Unis et l’Iran, en guise de prélude à une entente irano-US sur deux dossiers principaux : le programme nucléaire iranien et la crise syrienne. Le chef du Parlement iranien, Ali Larijani, proposera-t-il le départ du président Bachar al-Assad ?

    L’Orient-Le Jour (Quotidien libanais francophone proche du 14-Mars)
    Scarlett Haddad (30 novembre 2012)
    Le dernier discours du secrétaire général du Hezbollah était différent des précédents. D’abord par la concision et ensuite par la clarté des messages délivrés qui n’étaient pas comme à l’accoutumée enrobés dans des figures de style. En (relativement) peu de temps, sayyed Hassan Nasrallah a pris position sur la plupart des dossiers en suspens, de Gaza à Bahreïn, en passant par la Syrie et Israël pour finir sur la situation interne libanaise. En évoquant clairement toutes ces questions, le secrétaire général du Hezbollah a confirmé le rôle régional de son parti dont l’influence dépasse les frontières du Liban. Il est d’ailleurs régulièrement accusé d’être impliqué dans des affaires concernant d’autres pays. Le Hezbollah a toujours nié intervenir dans les affaires internes d’autres pays, même frères ou amis, mais cela ne l’empêche pas d’avoir des opinions et de les afficher, confirmant ainsi sa stature régionale.
    Actualité oblige, sayyed Nasrallah a donc commencé par commenter les derniers affrontements de Gaza et là son message est clair : selon lui, ce qui s’est passé dans la bande est désormais le modèle de toute confrontation future entre Israël et les Arabes. Il est d’ailleurs clairement apparu à travers les derniers affrontements de Gaza que les services de renseignement israéliens, dans leurs différentes branches, sont mal informés et affaiblis, puisqu’ils n’ont pas réussi à savoir que les Palestiniens comptaient utiliser des missiles Fajr 5 d’une portée de 80 km et les lancer sur Tel-Aviv, Jérusalem et d’autres villes. Ces services ignorent aujourd’hui encore la nature et le nombre des missiles entre les mains de la résistance palestinienne. Pour Nasrallah, il est clair désormais que les Israéliens ne peuvent plus songer à briser la résistance arabe, qu’elle soit palestinienne, libanaise ou autre, en utilisant leur seule aviation militaire. Le fameux principe de « la première frappe », longtemps utilisé par les avions israéliens qui bombardent massivement les centres névralgiques pour traumatiser du premier coup l’ennemi, a prouvé ses limites, voire son inefficacité, puisqu’à Gaza comme au Liban, ni les premières, ni les deuxièmes, ni même les bombardements aériens suivants n’ont réussi à réduire de façon significative la puissance de feu de la résistance.
    L’autre point relevé par le secrétaire général du Hezbollah réside dans le fait que le front interne israélien reste très faible, en dépit de toutes les manœuvres effectuées et de toutes les mesures adoptées avec un grand tapage médiatique censé impressionner l’ennemi, pour le renforcer. Nasrallah a encore précisé que le fameux dôme d’acier (ou le système de bouclier antimissiles) censé protéger Israël des attaques de la résistance n’a pas fonctionné comme il se devait en dépit des assurances des dirigeants israéliens. Cette protection et le battage psychologique fait autour du sujet dans le but de terroriser l’ennemi n’ont pas réussi à entamer la détermination des Palestiniens. Les derniers affrontements de Gaza ont aussi provoqué une grande confusion au niveau des dirigeants israéliens, et le départ du ministre de la Défense Ehud Barak n’est, selon Nasrallah, que la partie visible de l’iceberg. Désormais, a affirmé le secrétaire général du Hezbollah, Israël devra longuement réfléchir avant de lancer une nouvelle agression, contre les Palestiniens, contre le Liban et même contre l’Iran. N’en déplaise à tous les Cassandre qui, au Liban, commencent à affirmer qu’Israël pourrait se venger après Gaza sur le Liban, Nasrallah a été très clair sur ce point, ayant cette formule : si des missiles moins nombreux que les doigts de la main ont fait trembler Israël, que serait-ce avec les milliers de missiles qui seraient lancés à partir du Liban en cas d’attaque contre ce pays ?
    Nasrallah a aussi affirmé que toutes les régions d’Israël sont à la portée des missiles du Hezbollah. À cet égard, il faut préciser que le Hezbollah n’a jamais donné de précisions sur le nombre de missiles qu’il possède. Mais certains milieux proches de cette formation précisent qu’il en aurait près de 70 000. La question qui se pose est la suivante : comment le Hezb peut cacher un tel nombre de missiles dans un pays comme le Liban, petit et surpeuplé, où tout se sait, sans que nul ne puisse dévoiler l’emplacement des caches ? C’est aussi une nouvelle preuve de la discipline et de la solidité de l’engagement des combattants du Hezbollah.
    Il est en tout cas clair que les événements de Gaza ont, selon Nasrallah, donné un nouvel élan à la résistance dans toute sa variété, établissant un nouvel équilibre de la terreur et limitant les choix d’Israël. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, selon le Hezbollah, le TSL a soudain repris du poil de la bête et si les procédures se sont accélérées pour compenser la perte de vitesse d’Israël et de ceux qui continuent de miser sur l’État hébreu.
    Sur le plan interne, Nasrallah a répété ce qu’il avait déjà dit : l’attachement de la formation qu’il dirige au dialogue, à la stabilité et la paix civile. Mais il a tout de même refusé d’être traité avec arrogance et supériorité. Il a en quelque sorte confirmé la position de son parti qui estime que le Liban obéit à un équilibre des forces très délicat qu’il faut respecter sinon c’est l’ensemble qui s’effondre. En d’autres termes, aucune composante libanaise ne peut éliminer l’autre, et il faut s’incliner devant cette réalité. En même temps, Nasrallah a laissé entendre que l’actuel gouvernement devrait rester en place jusqu’à ce qu’il y ait une entente sur son successeur, car il ne faut pas laisser à l’heure actuelle un vide sur le plan de l’exécutif. Qu’on le veuille ou non, il rejoint ainsi la position de l’Occident qui a, à maintes reprises au cours des dernières semaines, confirmé son refus du vide au niveau de l’exécutif pour éviter des développements qui détourneraient l’attention générale de la situation en Syrie. Ce n’est d’ailleurs pas la seule bizarrerie de cette étrange période.

    L’Orient-Le Jour (30 novembre 2012)
    Le magistrat Riad Abou Ghida, chargé de l’affaire de l’ancien ministre Michel Samaha, ne compte pas se désister « du moins jusqu’à présent », ont affirmé des sources judiciaires rapportées par la chaîne télévisée LBCI. Selon ces sources, « le procureur général près la Cour de cassation, le magistrat Hatem Madi, rencontrera la semaine prochaine le magistrat Riad Abou Ghida pour parler du dossier ».
    Également selon ces sources, l’affaire n’a pas encore été tranchée, « parce que les enquêtes ne sont pas encore finies ». Des mesures doivent encore être prises, précisent-elles, soulignant que « depuis le 16 août dernier, M. Samaha n’a pas comparu devant le juge Abou Ghida. De plus, la date de la prochaine séance d’interrogatoire n’a pas été fixée ».
    D’après ces sources, la justice libanaise ne peut pas émettre un mandat d’arrêt à l’encontre du général syrien Ali Mamlouk, dont le nom de la mère est inconnu, pour éviter toute confusion. Selon d’autres sources sécuritaires, « l’enquête menée par le bureau des services de renseignement des FSI est complète et il n’y a aucune excuse pour ne pas trancher l’affaire ».

    Source New Orient News (Liban)

  • L’Amérique (auto)destructrice

    L’Amérique (auto)destructriceLa récente tuerie, la dernière d’une longue série, de l’école primaire Sandy Hook, à Newtown, dans le Connecticut, qui a provoqué la mort de 27 personnes, dont 20 enfants, a suscité, outre une émotion bien légitime, les déclarations traditionnelles, que l’on s’attend à entendre dans de telles circonstances.
    Le lobby des armes à feu, incarné par la National Rifle Association, a encore une fois été dénoncé, mais l’on peut conjecturer qu’il n’y aura aucune suite à une mise en accusation, qui, pour autant, ne sert pas réellement à identifier le problème de fond qui mine la société américaine.
    Pour expliquer les aberrations qui prolifèrent comme une pandémie, et qui meurtrissent aveuglément des innocents au gré des caprices des tueurs, les commentateurs ont à leur disposition une mallette de notions passe-partout, qui, outre l’argument majeur des 200 000 000 d’armes qui se baladent de l’Atlantique au Pacifique, usent tout le lexique fourni en matière de sociologie, d’éducation, et surtout de psychologie. On met l’accent, avec raison, sur la déstructuration des personnes, sur les conflits qui détruisent les liens familiaux, sur la désocialisation des individus enfermés dans un monde intérieur peuplé des fantasmes virtuels de l’internet, sur la haine, la jalousie, le ressentiment qui empoisonnent des consciences perverties par la société du spectacle, de la marchandise, et de la réussite à tout prix, sur la disparition des inhibitions, des tabous moraux qui rendent les gestes meurtriers anodins, banals. Tout cela est vrai, mais peu sont ceux qui dévoileront la cause ultime de ce désastre : l’Amérique elle-même.
    Dans son passionnant ouvrage, « Stendhal et l’Amérique », Michel Crouzet a évoqué le désamour que l’auteur de Lucien Leuwen avait éprouvé pour la république américaine, après une période d’illusions démocratiques. Cette analyse d’un itinéraire que beaucoup connaîtront après avoir découvert la réalité du Nouveau Monde est en soi l’auscultation attentive d’une civilisation qui est la seule à avoir inventé, dans l’Histoire, une forme inédite de massacre, celui de ses propres enfants.
    Stendhal a bénéficié, en lecteur exigeant, de nombreux récits de voyageurs tels que Victor Jacquemont, Basil Hall, Mrs Trollope, Miss Frances Wright, Félix de Beaujour, Volney, dont certains étaient de ses amis, et tous, des écrivains capables de prendre une distance critique. Il n’est pas anodin que Mrs Trollope, par exemple, Anglaise émancipée s’il en est, passa l’Atlantique Wigh, pour revenir Tory !
    Stendhal, qui n’était pas réactionnaire, voyait dans l’Amérique, certes, le progrès, mais aussi la décadence, une régression de la civilisation. L’américanisme était l’avenir, mais il ne serait pour rien au monde devenu Américain. Le progressisme du Nouveau monde, extrémité occidentale de l’Europe, accentue la modernité, qui est arrachement à la sensibilité, jusqu’à son anéantissement. L’homo faber est avant tout l’homme destructeur. Si la volonté et le calcul y sont les instruments de sa liberté, elles servent aussi à maîtriser aussi bien l’être intérieur que la nature.
    Stendhal oppose l’homo americanus au Français, sociable, galant, léger et peu rentable, et surtout à l’Italien, dont la passion rentrée peut éclater en folie destructrice, mais néanmoins civilisatrice, pour peu qu’elle soit sublimée par l’éros et la beauté, ces frivolités essentielles de l’humain différencié. L’archaïsme italien favorise l’épanouissement individuel et collectif, tandis que la perfection politique des Etats-Unis les plonge dans une crise permanente.
    L’homme de raison des Lumières a porté dans ses bagages le progrès et l’ennui. Le négociant européen y est devenu roi. Dans le roman inachevé « Lucien Leuwen », le héros éponyme dit : « Prenez un petit marchand de Rouen ou de Lyon, avare et sans imagination, et vous aurez un Américain ». Un roi multiplié, plébéien, bassement calculateur, régnant sur un continent. Ce qui suffit à donner la mesure de la catastrophe historique que fut le triomphe des Anglo-saxons (Stendhal, à la suite de son ami anglais S. Sharpe, assure que « les Américains ne sont que la quintessence d’Anglais ») sur la terre des Amérindiens, et ce qu’elle fût devenu si les Français, qui s’occupaient plus de nouer des relations galantes avec les Indiennes que de bâtir une utopie biblique, avaient imposé leurs mœurs.
    Au lieu de quoi on eut une sorte d’in-civilisation, la société industrielle de l’Angleterre poussée à son paroxysme, dont les traits sont amplifiés : moralité hyperbolique, puritanisme, austérité, répression du désir, rentabilité, productivité, brutalité des rapports économiques et sociaux, exploitation de la force de travail. Une Angleterre sans sa culture aristocratique de la différence, au demeurant. « L’homme n’[y] est mû que par trois idées : l’argent, la liberté et Dieu ». Avec une prédilection pour la première.
    Ce qui pourra paraître paradoxal pour un contemporain est l’anti-rousseauisme de Stendhal. Il reprend, par l’idéologue Volney, les préjugés de Voltaire sur les « sauvages », qui, par nécessité, sont réduits à vivre misérablement, poussés par un besoin de subsistance précaire, sans imagination, sans dilapidation gracieuse des biens, qui est la condition indispensable pour que l’idée de luxe apparaisse, donc de plaisir, de raffinement, d’intériorisation du délice, et de la construction de rapports sophistiqués avec autrui. L’Indien est un barbare naturel, donc utilitariste. C’est pourquoi il est l’exact miroir de l’homme démocratique américain, uniquement préoccupé d’une économie matérielle d’accumulation des biens et de leur consommation mélancolique.
    La table rase qui a initié un monde nouveau, quelle qu’ait été sa violence originelle, qui subsiste cependant autant dans la conscience profonde du descendant de pionnier, que dans l’attachement épidermique à la possession d’armes à feu, a eu pour effet d’effacer toutes les origines, les personnalités, les véritables différences. L’Américain moyen ne déteste rien tant que la supériorité ou l’originalité. La Terre promise est un pré uniforme où paît le troupeau de Dieu. Le brassage recrée le désert. La masse oppresse, le jugement, le droit, le contrat deviennent le seul critère assurant un lien entre des atomes exilés.
    L’oppression du groupe est d’autant plus prégnant qu’elle n’est pas équilibrée par l’oisiveté cultivée, le loisir épicurien, la dilection gratuite, donc salvatrice. Hormis le travail et la prière, il n’y a rien. Ou tout, ce qui est la même chose. Il est même, et surtout, impossible de se rattacher à un passé, puisque le Nouvel Eden est à construire, et à universaliser. Le temps est à défricher, comme la frontière, et de façon violente. La forêt, la nature, les minerais, le territoire, les paysages, ne sont plus que des instruments de la puissance. Les voyageurs du XXème siècle ont été stupéfaits de découvrir combien le paysan américain, qui n’est plus un paysan, mais un spéculateur, ne s’attache ni à un lieu, ni à la beauté d’un endroit, ni même aux séductions existentielles qu’il offre : ils coupent tout, vendent, puis s’en vont. Le rapport à la nature y est brutal, irrespectueux. Les terres sont si nombreuses, si vastes, si étrangères, au fond, à l’identité des hommes qui en prennent possession, qu’il est vain de s’y arrêter, et, comme sur le Vieux continent, de les transformer en ces œuvres d’art que sont les paysages des nations européennes.
    Nous touchons là l’une des sources de la violence endémique qui mine la société américaine, et qui en fait une des civilisations les plus anormales de l’histoire humaine, une des raisons pour lesquelles elle parviendra peut-être à subjuguer les autres civilisations, à les détruire, et à anéantir, avec elles, l’humanité.
    Car si l’Europe s’est faite peu à peu, dans la longue durée, par une série de cultures conquérantes qui ont absorbé, sans les éradiquer, celles qui leur avaient succédé, des temps préhistoriques jusqu’au moyen-âge, la société américaine a supprimé tout ce qu’elle considérait comme le « mal », les Indiens, la culture européenne, le temps « mort », mais qui vit, pour instaurer ce qu’elle a toujours considéré come un destin manifeste, voulu par Dieu, sans distinction de la variété du monde et de la légitimité des autres visions du monde. En revanche, dès le néolithique, le terroir européen a pris forme, dans un équilibre sage et patient entre la nature sauvage et la nature domestiquée, entre la chasse, la cueillette et l’agriculture, entre la part libertaire de l’homme et sa portion sociale, perçue comme élévation vers une plus grande liberté, laquelle a toujours été perçue come une libération par rapport aux besoins biologiques de l’individu, donc des nécessités économiques. Cette prise en compte civilisationnelle des complexités humaines a produit le grand Art et l’amour fin, considérés comme des idéaux à atteindre par l’élite. L’esclavage réel n’est que celui de la rationalité instrumentale, qui ne donne que ce qu’elle vaut. L’homme se construit à partir de son affectivité, de sa sensibilité, de son monde intérieur, et de l’invention de nouvelles sensations, de tout ce qui éloigne du mécanique.
    Qui veut faire l’ange fait la bête. A vouloir en finir avec la corruption, à quoi l’Américain réduit l’oisiveté aristocratique, le luxe et les plaisirs de l’art et de l’amour, on finit par dénaturer l’homme, par le déshumaniser, par rompre avec ce qui le constitue en tant qu’être sociable, à conjuguer la froideur standardisante aux brusques explosions pornographiques et meurtrières, les deux d’ailleurs se rejoignant dans l’usage immodéré du calcul.
    Plutôt que la prolifération des armes à feu, que les journalistes et responsables politiques s’évertuent de combattre, comme si l’élimination de boutons sur la peau suffisait à faire disparaître une maladie, il vaudrait mieux se demander quelles sont les raison de fond d’un phénomène qui se répète, et s’amplifie. Toutes les règles drastiques de sécurité, et les tentatives d’éducation « civique », ne sont pas parvenues à prévenir un phénomène qui tend à se répandre partout où l’américanisation tend à déstabiliser les sociétés. De la Chine à la France, en passant par la Finlande ou l’Allemagne, la maladie gagne. Parfois, la pathologie s’adapte au terrain. En France, par exemple, il n’est pas rare qu’un père assassine femme et enfants avant de se donner la mort. Les modalités criminelles sont plus américanisées dans les pays du Nord, bien que la tuerie de Nanterre, le 26 au 27 mars 2002, nous ait livré un spécimen qui devrait réjouir le très californien groupe de « réflexion » Terra nova (tout un programme).Richard Durn apparaît en effet, par ses diplômes, son engagement dans le « camp du progrès », son ressentiment viscéral, comme un pur produit américanoïde.
    Du reste, tous ces tueurs appartiennent à la société hypermoderne. Non seulement parce qu’ils prennent la peine, comme dans les meilleurs scénarii hollywoodiens, de se déguiser en « guerriers » de la nuit, avec tenue noire commando et force armes automatiques, mais ils utilisent internet pour gonfler leur ego dans une geste pathétique et dérisoire de narcissisme aigu, et, si possible, de faire perdurer leur image, comme ils ont, eux-mêmes, pu s’inspirer de celle de leurs sinistres devanciers.
    Il est malheureusement certain que cette pathologie civilisationnelle va continuer de se mondialiser à mesure que le Nouvel Ordre mondiale s’universalise. Il est frappant, du reste, de noter que la tuerie de Newtown (dont le nom est révélateur) s’est produite dans une usine à éduquer, dans une école où plus de 600 enfants étaient rassemblés. La quantité, dans l’horreur, s’allie toujours avec l’atrocité, comme dans les abattoirs.
    Claude Bourrinet http://www.voxnr.com

  • Il faut dissoudre l’Otan

    L’Alliance Atlantique et son bras armé l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, l’Otan, datent de la fin de la deuxième guerre mondiale. Elles avaient été créées pour assurer la sécurité de l’Occident devant la menace que constituait l’Union Soviétique. Depuis l’Union Soviétique a disparu, la Russie ne constitue pas une menace et devrait intégrer à terme l’Europe, même si elle ne fait pas partie de l’Union Européenne et pourtant l’Otan existe toujours. 
’Europe et la France ont elles intérêt à son maintien ? N’empêche-t-il pas la constitution d’une défense européenne digne de ce nom, et n’entraine-t-il pas l’Europe et la France dans des interventions extérieures où elles n’ont pas d’intérêt ?

    L’Alliance Atlantique
    Alliance défensive, l’Alliance Atlantique a été fondée par le traité de l’Atlantique Nord à Washington, le 4 avril 1949. Créée pour développer la capacité de résister à toute attaque armée, elle s’est également fixée une mission complémentaire de prévention et de gestion des crises qui peuvent porter atteinte à la sécurité européenne. Elle a théoriquement pour objectif de sauvegarder la liberté, l’héritage commun et une civilisation qui déclare se fonder sur les principes de la démocratie, de la liberté individuelle et de l’état de droit comme le stipule son préambule repris de la Charte des Nations-unies.
    L’article 5 du traité sur la solidarité entre ses membres en cas d’agression, en est le point primordial. Le traité va finalement être l’élément qui soudera réellement le bloc occidental derrière les États-Unis, installant peu à peu une hégémonie américaine et une vassalisation de l’Europe. L’Alliance Atlantique rassemble vingt-huit nations raccordant l’Europe de l’Ouest à l’Europe de l’Est. Elle dispose d’une organisation militaire intégrée sous commandement américain.
    Le Sommet du Cinquantenaire de l’Organisation qui s’est tenu à Washington du 23 au 25 avril 1999 a débattu, entre autres, de la transformation de l’Otan dans le nouveau contexte géopolitique de l’après guerre froide, un débat centré en Europe sur la nature des relations entre l’Union et l’Alliance atlantique. La guerre du Kosovo menée alors, au même moment, a symbolisé le triomphe de la conception anglo-américaine : d’alliance défensive, l’Organisation tend à devenir l’instrument d’interventions offensives et l’Union européenne s’est placée sous sa tutelle.

    L’organisation militaire intégrée
    L’alliance ayant pour but de protéger l’Europe d’une attaque du bloc soviétique, les européens furent heureux de bénéficier du parapluie américain. Ils l’ont instamment réclamé à l’origine. L’organisation militaire fut donc dominée par l’Amérique qui en exerça les principaux commandements.
    Voulant secouer la tutelle américaine et garder l’indépendance de décision, le général de Gaulle décida de constituer une force nucléaire autonome et de quitter le commandement militaire intégré de l’Otan. Le siège de l’Otan quitta Paris pour Bruxelles en 1966 et toutes les infrastructures étrangères quittèrent la France. Celle-ci ne quitta pas pour autant l’Alliance Atlantique et des accords prévoyaient la réintégration des forces armées françaises en cas de conflit ouvert entre les deux blocs. Elle maintint des forces en République fédérale d’Allemagne (RFA). Déjà en 1962, au moment de la crise de Cuba, la France avait montré sa solidarité avec l’Alliance. De fait les forces françaises continuèrent à s’entrainer avec les forces de l’Otan et à s’aligner sur leurs normes, c’est à dire les normes américaines.
    Après la chute du mur et la disparition de la menace soviétique, la France participa pour la première fois à une opération de l’Otan dans les Balkans. C’était le début d’une réorientation de l’Otan qui avait perdu son ennemi naturel. Les attentats du 11 septembre lui ont offert un nouveau rôle, la lutte contre le terrorisme. L’islamisme remplace ainsi le communisme comme principale menace du monde libre. En 2009, la France réintègre l’Otan.

    Interventions de l’Otan
    La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, est la date symbolique de la fin de la guerre froide et marque la victoire sans combat de l’Alliance Atlantique sur l’Union Soviétique. La menace ayant disparu on aurait pu penser que l’Alliance, défensive, ou au moins son organisation militaire, allait disparaître. Il n’en a rien été, l’Europe n’ayant pas voulu ou pas pu constituer une défense crédible préféra rester sous le parapluie américain. Certains pays de l’Europe de l’Est, la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque choisirent même de la rejoindre, voulant se protéger d’un éventuel retour de la menace russe.
    D’une alliance défensive contre un ennemi défini, elle devint une alliance politique dont les objectifs furent peu à peu définis par les Etats-Unis qui assuraient, il est vrai, la plus grande part de la charge. Néanmoins, quand on récapitule les interventions militaires auxquelles l’Otan et ses alliés participèrent on peut se demander si elles servaient vraiment les intérêts de l’Europe et singulièrement de la France.
    En 1990, si l’intervention était bien cautionnée par l’ONU, ce sont les Etats-Unis qui entrainèrent une coalition de 34 états dans la guerre contre l’Irak de Saddam Hussein pour la défense du Koweit. Le principal mobile de cette guerre était la défense des intérêts pétroliers et économiques des Etats-Unis. En 2003 la France refusera de suivre les Etats-Unis dans la guerre qui éliminera Saddam Hussein. Cette guerre durera jusqu’en décembre 2011 jusqu’au retrait du dernier soldat américain, laissant l’Irak dans le désordre et la violence.
    Dans les Balkans cela commencera avec l’éclatement de la Yougoslavie. D’abord en Bosnie où en 1995, l’Otan intervient contre les milices Serbes au profit des Bosniaques et des Croates. En 1999, avec l’accord implicite des Nations unies, l’Otan attaque la Serbie pour la contraindre à évacuer la Kosovo où la majorité albanaise est en rébellion, les bombardements durent 70 jours et obligent les forces Serbes à quitter le Kosovo. Le Kosovo est maintenant indépendant, mais la situation n’est toujours pas stabilisée et l’Otan y maintient encore des troupes (KFOR).
    La guerre d’Afghanistan débute en 2001 à la suite des attentats du 11 septembre, dans le but de capturer Oussama Ben Laden, elle est menée par une coalition réunie par l’Otan et à laquelle le France prend part, sous commandement américain. Peu à peu les buts de la guerre changent : on veut établir un gouvernement démocratique et chasser les taliban. La mort de Ben Laden en mai 2011 n’arrête donc pas les combats. Les Américains transfèrent peu à peu la responsabilité du conflit à l’armée afghane en annonçant leur retrait pour 2014. Il est peu probable que l’Afghanistan y gagne le calme et la démocratie.
    L’intervention en Libye en 2011, se fit apparemment à l’initiative de la France et de la Grande Bretagne mais fut en fait une intervention de l’Otan : les Etats-Unis assurèrent le succès de l’opération par des frappes initiales détruisant la défense anti aérienne de la Libye et fournissant un soutien en renseignements, en transports aériens, en ravitaillement en vol. Sans les Etats-Unis, quoiqu’on pense par ailleurs du bien-fondé de cette intervention, elle n’aurait pas abouti dans les mêmes conditions.
    La question que l’on peut d’abord se poser, c’est de savoir si ces interventions voulues par les Américains et motivées par la défense de leurs intérêts surtout en Irak et en Afghanistan, ont été d’un quelconque bénéfice pour la France et même pour l’Europe. Elles ont en général abouti à la déstabilisation des zones de conflit et à la propagation d’un l’Islam radical.
    L’intérêt des Etats-Unis se porte de plus en plus vers l’océan Indien et le Pacifique, faut-il les suivre ? En réalité la défense de l’Europe ne passe pas par-là, nous n’allons pas nous battre pour les Spratleys et les Paracels.
    Remarquons de plus que là où il s’agit de défendre les intérêts de la France, actuellement au Mali, l’Otan ne nous est d’aucune aide. Dans l’océan Indien pour lutter contre la piraterie, l’Europe s’est organisée et a mis sur pied l’opération Atalante à laquelle participe neuf nations européennes, ce qui prouve que, quand on veut on peut.

    L’OTAN nous impose les choix d’équipements
    L’Otan fonctionne aux normes américaines, ce qui revient à dire qu’elle s’aligne sur les méthodes de combat américaines ce qui est toujours couteux et pas forcément efficace.
    On est étonné quand on a connu les méthodes de combat du temps de Bigeard de voir crapahuter des hommes chargés de quarante kilos d’équipement, ce qui oblige à les véhiculer sur des itinéraires obligés et accroit leur vulnérabilité. Mais surtout la conception et les performances de nos matériels sont peu ou prou alignées sur les matériels américains.
    Prenons un exemple évident, le Rafale, un avion dit polyvalent supposé bon pour toutes missions. Il s’agit en fait d’un intercepteur bi-sonique adapté à l’assaut et à l’appui au sol. C’est un excellent avion mais fort cher. Pour quelles missions avons-nous besoin d’un intercepteur bi-sonique ? Sommes-nous menacés par des avions de son niveau ? Il ne semble pas et pour faire la police de l’espace aérien français ou même européen, le Mirage 2000 n’était-il pas bien suffisant. D’ailleurs les Suisses sont sur le point de lui préférer le Gripen suédois, mono-réacteur moins performant mais moins cher.
    Le Rafale est adapté à l’assaut et à l’appui au sol mais pour ces missions, il n’est nul besoin, bien au contraire, d’un avion bi-sonique si cher qu’on n’ose pas le risquer à basse altitude. Il aurait fallu développer un avion rustique, d’une grande autonomie et capable de grande capacité d’emport en armes, en quelque sorte un successeur de l’A-10 Thunderboldt II américain. Le Rafale de Dassault se trouve de plus confronté à l’Eurofighter Typhoon construit par un consortium européen. Les deux avions européens sont en concurrence, à ce jour Dassault n’a vendu aucun appareil hors de France, le Typhoon étant retenu par l’Autriche et l’Arabie Saoudite.
    On constate de plus que la tendance mondiale, y compris en Europe, est d’acheter, pour des raisons souvent politiques, le matériel américain, en l’occurrence le F-35 encore en développement et dont le prix ne cesse d’augmenter. Parmi les acheteurs du F-35 on trouve même des pays européens développant le Typhoon.
    Il est donc inutile de vouloir concurrencer un matériel américain fabriqué à des milliers d’exemplaires et qui devient la norme. Mieux vaudrait concevoir à l’échelle de l’Europe des matériels correspondant à nos besoins réels sans chercher à s’aligner sur les Etats Unis. Ajoutons que le Rafale, excellent avion qu’on n’arrive pas à vendre, est une lourde charge dans le budget des armées.

    Organiser la défense européenne
    Tant qu’il n’y aura pas d’union politique, totale ou partielle, l’organisation d’une défense européenne intégrée n’est pas envisageable. Si l’Otan est dissous il faudra cependant organiser au moindre coût la défense des différentes nations et faire ensemble ce qui peut l’être, en ne comptant plus sur le soutien américain.
    Certaines tâches communes peuvent être assumées dès maintenant par l ‘ensemble de l’Union si elles ne dépendent pas de choix politiques, pensons en particulier à la police de l’espace aérien européen qui devrait être organisée globalement sans tenir compte des frontières en regroupant les moyens actuellement dispersés. Cette défense serait centralisée aussi bien pour la surveillance et la police du ciel européen que la gestion des moyens qui lui sont affectés, installations de détection, avions. Déjà la police du ciel des Etats Baltes est assurée par les autres pays.
    Il pourrait en être de même pour la surveillance des frontières maritimes où les marines de l’Union seraient compétentes dans l’ensemble des eaux territoriales. Cela nécessiterait évidemment une unification des procédures et une compatibilité des moyens de détection et de transmissions. L’opération Atalante qui regroupe un certain nombre de bateaux de l’Union pour la lutte contre la piraterie montre que, nécessité faisant loi, les moyens de plusieurs pays européens peuvent être mis en commun efficacement.
    L’Europe constitue un marché important pour l’industrie de l’armement. Des exemples comme la concurrence actuelle sur le marché de l’avion multi-rôle qui finalement profite à l’industrie américaine ne devraient pas être. Cela nécessiterait la constitution d’une véritable Agence Européenne de l’Armement capable de définir les spécifications des matériels adaptés aux besoins des armées européennes, de faire des appels d’offre et de passer des marchés. Bien entendu il faudrait qu’elle se dégage de l’influence américaine et choisisse les matériels les mieux adaptés à nos besoins dans une perspective d’efficacité mais aussi d’économie. L’échec de la fusion EADS-BAE, ne va pas dans ce sens.
    La mise en commun pourrait s’étendre à de nombreux domaines : le transport aérien avec des appareils standardisés, gérés et entretenus en commun même si chacun reste la propriété d’un seul Etat, avec les procédures de location ou de compensations nécessaires, le ravitaillement en vol, les avions de patrouille maritime ou de guet aérien, la guerre des mines.
    Les satellites de transmission et de surveillance seraient bien entendu mutualisés, chacun ayant accès à leurs moyens selon des procédures à définir. Mais la mise en commun pourrait être étendue à d’autres domaines : achat de munitions et de combustibles et gestion des stocks, formation, entrainement, y compris pour l’utilisation des camps d’entrainement, des simulateurs, des champs de tir et des centres d’essais.
    Cela nécessiterait bien entendu la mise en place de structures qu’il faudrait définir les plus légères possibles et l’existence d’un état-major opérationnel commun permanent capable de gérer des interventions impliquant plusieurs pays. La dissolution de l’Otan et de ses structures surabondantes permettrait de récupérer, et au-delà, le personnel nécessaire. Ainsi, petit à petit, les militaires des différents pays de l’Union apprendraient à travailler ensemble sans la tutelle américaine.

    Les Etats-Unis se désengagent de l’Europe
    Comme le dit le général Jean Cot dans le numéro de mai de la RDN "Il est scandaleux que les gouvernements des vingt-sept pays européens et les plus grands dont le nôtre, puissent s’en remettre pour leur défense, au travers de l’Otan, à une puissance extérieure", d’autant que les Etats-Unis sont en train de réorienter leur défense vers l’Asie et le Pacifique, l’Europe n’étant absolument plus prioritaire.
    L’Otan nous a déjà entrainés dans des interventions où nous n’avions rien à gagner comme la Serbie, l’Irak et encore l’Afghanistan. Quand nous avons jugé bon d’intervenir en Libye nous n’avons pu le faire qu’avec l’aide des Etats Unis. Pour la Syrie même avec l’Otan, nous serions bien incapables d’y agir. Quant au Mali, où nous avons des intérêts à défendre contre la conquête du Nord-Mali par des islamistes radicaux, nous en sommes à rechercher le soutien de pays européens, d’ailleurs pas intéressés, les Américains et l’Otan ne nous suivront pas.

    Nous avons donc perdu toute indépendance de décision
    Pourquoi donc rester dans l’Otan, nous risquons d’être entrainés dans des conflits, où nous et les Européens n’avons rien à gagner notamment en Iran et peut être plus tard en Asie. Irons-nous nous battre pour les archipels de la mer de Chine sous lesquels il y a peut-être du pétrole alors que nous sommes incapables d’assurer la garde de nos Zones économiques exclusives ? Veut-on vraiment financer le bouclier antimissile américain, alors que nous finançons déjà notre dissuasion ?
    La dissolution de l’Otan mettrait l’Europe devant ses responsabilités, la nécessité de constituer une défense crédible, avec un niveau plus ou moins grand d’intégration.
    Il faut commencer par mettre en commun tout ce que l’on peut sans perdre son autonomie de décision puis, peut-être, aller vers des regroupements industriels ou nationaux. Mais tant que l’Otan existera, rien ne se passera et l’Europe restera une vassale des Etats Unis.
    Dernier argument géopolitique, la Russie considère l’Otan comme une menace, sa dissolution permettrait un rapprochement avec ce pays dont la place est maintenant dans le concert européen tant nous avons d’intérêts, économiques et politiques communs.

    François Jourdier http://www.voxnr.com

    notes : François Jourdier, est contre-amiral et membre des "Sentinelles de l’Agora"

    source : Revue Défense Nationale