Si Marx est mort sans laisser de testament, tel un vampire trop vite repu de sang pour être en mesure d'honorer ses promesses de longévité, c'est le fondateur allemand de la Réforme « évangélique » qui est peut-être bien, avant et après lui, le véritable spectre qui hante l'Europe et le monde depuis plus de quatre cents ans. En les dévastant.
De même que les lois de la physique nous montrent un devenir de la matière fait de ruptures formelles sur fond de flux informes et continus, comme des terres qui émergent au sein des flots mêmes qui les engloutiront un jour, de même l'histoire humaine nous livre souvent le spectacle récurrent de légitimités politiques et spirituelles portant en leur sein le principe des contestations qui contribueront à les ruiner. Dès lors, si l'on prend la commodité, comme le fait couramment la gent intellectuelle et progressiste, d'appeler « révolution » ou « modernité » la conception philosophique (d'origine occidentale) qui érige le principe de contestation des pouvoirs établis en valeur suprême de la morale et de la foi, il faut infirmer, à la lueur de la dernière décennie, la phrase de Jules Monnerot décrétant qu’ « il n'y a jamais eu qu'une seule révolution dans l'Histoire, la marxiste », pour la corriger en celle-ci : il n'y a jamais eu qu'un seul révolutionnaire idéologique dans l'Histoire, qui se nomme Martin Luther.