On l'a dit - en reprenant la vieille dialectique maurrassienne : les événements que nous venons de vivre et sans-doute encore ceux qui vont suivre, peuvent s'analyser comme une résurgence du Pays Réel que l'on croyait anéanti à tort, et, sous ses coups de boutoirs, comme un effondrement parallèle du Pays Légal, élargi à toutes les composantes du Système, aujourd'hui décréditées dans leur globalité à un point, semble-il, irréversible.
Certes, la cible principale de la révolte c'est Emmanuel Macron et, bizarrement, comme si nous étions encore en monarchie, c'est aussi son épouse Brigitte, objet de railleries et d’insultes de tous types. Il faut, pour s'en rendre compte, avoir entendu sur le vif les cris de la rue. D’aucuns se sont rappelé que, comme les Anglais et les Russes, les Français sont au propre ou au figuré un peuple régicide... Mais les sondages montrent aussi la déconfiture généralisée des partis - hormis, il est vrai, celui de Marine Le Pen. Les grands partis traditionnels sont tous autour de 10%, voire très au-dessous. Et les syndicats, donc ! Chaque fois qu'ils ont voulu entrer dans le jeu, ils ont été récusés, toute représentativité leur étant à juste titre déniée. Ils ne font plus illusion. Il n'y a plus vraiment d'organisations ouvrières. Il en est de même des parlementaires. Les nostalgiques doivent s'y faire : le parlementarisme classique, façon XIXe ou XXe siècle, n'est plus du tout au goût du jour. C'est un archaïsme. Les journalistes, universellement décriés, n'ont pas meilleure presse... Méfiance générale à leur endroit. Finalement, ce n'est qu'avec les forces de l'ordre que, paradoxalement, les manifestants de ces derniers samedis ont eu des moments de fraternisation ...
Que peut donner une révolte populaire de type spontanéiste, sans commune substance, sauf ce qu'il lui reste d'enracinement, sans organisation, sans hiérarchie, sans conscience claire des conditions et des limites du raisonnable et du possible ? C'est une autre question. Elle est principale.
Qu'il existe toujours un peuple français enraciné, capable de « faire société », au moins sous forme embryonnaire, et doué d'une faculté de réaction non-négligeable, au point de faire reculer, tanguer, capituler un État puissant mais sans légitimité vraie, est une bonne nouvelle.
Sera-ce au point d'avoir réellement contraint - persuasion ou simple rapport de force - le président de la République à un renversement durable et complet de politique – assimilé à celui opéré par Mitterrand en 1983 - comme le croit Éric Zemmour ? A ce dernier l'on ne peut dénier expérience, culture et flair politiques. On doute toutefois un peu lorsqu'il écrit : « Macron ne jurait que par l'Europe et le libéralisme. Depuis lundi, il s'est rabattu toute honte bue sur le national et le social. C'est la grande victoire des gilets jaunes et de cette France périphérique qui avait été jusque-là sacrifiée à la mondialisation. C'est la grande défaite des élites qui avaient hissé Emmanuel Macron sur le pavois » Et encore : « il a été obligé de baiser la babouche de ces Gaulois réfractaires qu'il méprisait et de jeter ses armes au pied de son vainqueur. Son quinquennat est fini. En tout cas celui qu'il avait débuté triomphalement en mai 2017. » Les semaines qui viennent confirmeront-elles ou non cette analyse ? En tout cas, il est clair que ces derniers jours, le pouvoir s'en est constamment tenu aux reculades, à la repentance, aux excuses, aux concessions, aux regrets assortis d'une distribution d'espèces sonnantes et trébuchantes. En réponse aux contestataires et aux émeutiers, « Vous avez raison » a été le maître-mot du Chef de l'État et de ses ministres. En ont-ils eu réellement peur ? C'est bien possible.
Le mouvement contestataire vient de très loin et de très profond même s'il est fait d'un peu n'importe quoi et s'il ne repose sur aucune intelligence politique structurée. Est-il fait pour durer, s'amplifier, se métamorphoser ? Nous le verrons. Dans une chronique alarmiste sur Europe 1, Jean-Michel Apathie, pour une fois lucide, a montré en tremblant comment l'État ne tient plus qu'à un fil. "Et ce fil, c'est la police". Elle-même en colère et susceptible de retournement. Dans un entretien de haute volée avec Mathieu Bock-Côté, Alain Finkielkraut signale de son côté que le gouvernement français craint un embrasement des banlieues !
Emmanuel Todd, enfin, avance une analyse fine, subtile et profonde, à l'encontre d'Emmanuel Macron : son image hier charismatique et forte, s'est transmuée en celle d'un enfant. C’est désormais sous les traits d’un enfant que les Français l’envisagent. L'autorité ayant toujours plus ou moins la figure du père, Emmanuel Macron en a perdu l'apparence et sans doute la réalité. Irrémédiable déchéance ! Décidément, la coupe est pleine. De quoi demain sera-t-il fait ? Mais, en tout temps, les « remises en cause » sont suivies d’une remise en ordre.
Vers quel type de remise en ordre, au bout du compte, cela peut-il conduire ? C'est, pour l'instant, la grande inconnue. Les nécessités françaises oscillent entre ces deux impératifs. Un peuple et un Etat.
Il n'y aurait plus de nation française sans un Pays Réel minimum. Mais pas de France non plus sans ordre politique et social, sans autorité reconnue, sans un État rétabli, sans une action politique volontariste et nationale, en bref, sans une incarnation agissante du Bien Commun.
Sans-doute, dans cet esprit, comme de nombreux Français le pensent, une période « autoritaire » transitoire de reconstruction du pays serait-elle nécessaire pour affronter la situation présente. A terme, le recours au Prince, le retour au principe dynastique, demeure la solution optimale.
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