Le bulletin du Collège Stanislas publiait en 1976 la copie d’un de ses élèves de 3ème, classé lauréat national dans un concours écrit sur le thème de la « Patrie » : le sujet exact était : « Que signifie pour vous le mot Patrie ? » Voici sa copie.
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Etranger, mon ami, tu me demandes ce que signifie le mot « Patrie ». Si tu as une mère et si tu l’honores, c’est avec ton cœur de fils que tu comprendras mes propres sentiments. Ma patrie, c’est la terre de France où mes ancêtres ont vécu. Ma patrie, c’est cet héritage intellectuel qu’ils m’ont laissé pour le transmettre à mon tour.Viens voir, étranger, la beauté des paysages de France, la splendeur des monuments édifiés par mes aïeux. Va te reposer dans le vert marais poitevin, admire les roches rouges d’Agay qui se baignent dans le bleu de la mer de Provence. Chemine simplement de Paris vers Lyon. Sur la route, près d’Avallon, l’élégance raffinée de la basilique de Vézelay fera surgir pour toi l’épopée de nos croisades. Tu arriveras plus loin au château de la Rochepot qui donne à la région un air médiéval. N’oublie pas de visiter en Bourgogne le ravissant hospice de Beaune. Ne néglige pas le barrage de Gémissiat. Continue, regarde, réjouis-toi de tant de beauté.Mais si la France , ma patrie, n’était que belle et aimable, mon amour pour elle ne serait pas si grand. Elle est mieux encore : intelligente et cultivée. La clarté de sa pensée, la finesse de son esprit, l’excellence de son goût te sont déjà connus. Des idées venues de France ont influencé l’humanité toute entière. Sais-tu par exemple, que la bibliothèque personnelle de Frédéric II de Prusse, conservée à Berlin, ne contient que des livres écrits en français ? Ainsi, bien au-delà de nos frontières, des hommes de France sont célèbres : philosophes, écrivains, poètes, artistes, savants. Pascal, Molière, Vigny, Delacroix, Berlioz, Pasteur : tous ont contribué à la gloire de la France.Et vous, héros humbles et méritants, qui avez fait la France brave et fidèle, vous guerriers morts pour la patrie, comme je vous suis reconnaissant de m’avoir conservé ce précieux bien de mes ancêtres ! De Bayard à Guynemer, des premiers chevaliers aux soldats des dernières guerres, que de dévouements, que de sacrifices !Et toi mon ami, qui es aussi comme moi une créature de Dieu, ne vois-tu pas qu’ici en France, tu es en terre chrétienne ? Les oratoires pittoresques, les calvaires aux croisées des chemins, les flèches de nos cathédrales sont les témoins de pierre d’une foi vivante. Ma patrie, bonne et pieuse, a vue naître de grands saints. Le sens missionnaire de Saint Bernard, la vertu de Saint-Louis, la charité de Saint Vincent de Paul, le zèle du Curé d’Ars sont le vrai trésor laissé par nos ancêtres. De la grande Sainte Jeanne d’Arc à la petite Thérèse, de l’épopée de l’une à la vie si simple de l’autre, je retrouve le courage et la bonté des femmes de France. Aux plus humbles d’entre elles, s’est montrée la Vierge Marie. A travers Catherine Labouré, Bernadette de Lourdes, quel honneur pour la France !Tu comprends maintenant pourquoi, ami étranger, j’aime et je vénère ma patrie comme ma mère ; pourquoi, si riche de tout ce qu’elle me donne, je désire transmettre cet héritage. Ne crois pas que cet amour que j’ai au cœur soir aveugle. Mais devant toi, je ne dirai pas les défauts de ma mère Patrie. Car tu sais bien qu’un fils ne gagne rien à critiquer sa mère…C’est en grandissant lui-même qu’il la fait grandir. Si je veux ma patrie meilleure et plus saine, que je devienne moi-même meilleur et plus sain.La France, ma patrie a tant de qualités que je ne saurais, ami étranger, te priver de sa douceur ; si tu sais découvrir ses charmes et ses vertus, tu l’aimeras, toi aussi. Je partagerai avec toi ses bontés et, loin de m’appauvrir de ce don, je m’enrichirai de cette tendresse nouvelle que tu lui porteras. Mais ne l’abîme pas, ami étranger, la France , ma douce patrie, ma chère mère ; ne la blâme pas, ne la pervertis pas, ne la démolis pas car je suis là, moi son fils, prêt à la défendre…
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Presse qui roule n’amasse pas mousse
L’heure du Mercato de la presse écrite sonne plus tôt que prévu sur l’agenda de la Médiacratie. Ce ne sont pas seulement les usines qui ferment toutes les semaines en France, ou bien les grandes enseignes (tel Virgin tout récemment) mais la « presse à annonceurs » subit aussi une crise patente. Pas de chance, c’est cette même presse qui nous informe de l’actualité économique de ses maîtres.
En effet, Jean-François Kahn quitte le capital de Marianne, tout comme Philippe Cohen qui en quitte la rédaction, Alexandre Adler devient « trop cher » pour la rédaction du Figaro... Ces éditocrates dominants depuis les années 70 seraient ils en train de chercher une reconversion ? Bernard-Henri Lévy ne peut-il plus subvenir aux besoins de ses protégés ? Ou de nouveaux viennent-ils les remplacer à des coûts défiant toute concurrence ? Tous les échelons de la profession se voient-ils touchés par la crise ?
En matière de gestion financière, une des réalités est que les journaux sont incapables de payer les plans sociaux mais aussi de gérer les imprimeries. Aujourd’hui, il faut cinquante ouvriers pour sortir un journal en France alors qu’en Belgique seulement dix sont nécessaires. Le Frankfurter Allgemeine Zeitung à Francfort se fabrique 50 % moins cher que Le Figaro ou Le Monde. Mais au-delà des restructurations techniques et structurelles, le même problème d’argent revient encore et toujours. La presse sortira-t-elle un jour de cette tutelle de plus en plus étouffante ? Papier-buvard dirait Gainsbourg...
Les Hommes du Président
Pour comprendre les racines du financement des journaux, et de leur management il faut remonter à l’après-guerre : les gaullistes prenaient position dans les rédactions et les communistes dans les ateliers et les imprimeries. Ils donnent à la presse un statut hasardeux avec en prime l’héritage d’un syndicat du livre collabo qu’il fallait blanchir. À la Libération, les problèmes financiers de la presse doivent être évités : Albert Camus écrit dans Combat le 31 août 1944 : « L’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner à la France une presse qui, à de rares exceptions près, n’avait d’autre but que de grandir la puissance de quelques uns et d’autre effet que d’avilir la morale de tous. »
La loi sur la presse de 1881 avait été abolie par Vichy, elle est rétablie par le CNR (Conseil national de la résistance) en 1944. Mais c’est une loi d’essence libérale : elle offre la liberté à la presse mais la soumet à la loi de l’offre et de la demande. Dès 1947, deux titres, Combat et France-soir, vont tomber dans les mains de patrons tout à fait traditionnels, un millionnaire et la librairie Hachette.
Le début des années 50 voit la montée d’un inconnu futur grand patron : Robert Hersant, qui va faire des débuts fracassants dans la presse après le purgatoire de « l’indignité nationale ». La prise de contrôle de Paris Normandie marque à la fois l’essor du groupe et la fin des illusions pour la presse née de la résistance. Havas, Hachette, Hersant : la France entre dans le règne des trois H, dont elle n’est pas sortie grâce à la bienveillance de Mitterrand, car en 1944 il est éditorialiste et directeur politique de L’Homme Libre qui deviendra Libres, journal des prisonniers de guerre et des déportés.
Grâce à ses amis d’avant-guerre François Salle et André Bettencourt, tous deux chez L’Oréal, François Mitterrand est nommé en 1945 à la tête du magazine féminin Votre Beauté qui appartient depuis 1933 à L’Oréal. Il sera le pionnier du retour au mélange des genres entre affaires, politique et presse, tissant des réseaux qui vont servir ses ambitions. L’âge d’or correspond aux années 80-90, où la presse vit des revenus de la publicité, qui représentent un chiffre d’affaires faisant près de 70 % pour des journaux comme Elle ou Le Figaro.
La domination des annonceurs et le règne du journalisme de Mammon ?
D’après un sondage La Croix de janvier 2012, 59 % des personnes interrogées jugent que les journalistes ne sont pas indépendants des pressions de l’argent. Pour corroborer cette opinion partagée dans la population, Philippe Mudry explique durant une assemblée générale de la rédaction de La Tribune que « l’intérêt de l’actionnaire ne doit pas être remis en cause par un journal qu’il contrôle ; l’actionnaire dit il a le droit d’intervenir sur le traitement de l’information, même au détriment du lecteur ».
BHL et Pierre Bergé sont passés du conseil de surveillance de Libé à celui du Monde du jour au lendemain sans que cela gêne qui que ce soit, un genre de mercato du conseil de surveillance. BHL est également président du conseil d’Arte, éditorialiste au Point de l’écurie Pinault où il tient un blog régulier et éditeur chez Grasset, écurie Lagardère. Aurélie Filippetti du journal La Tribune, Mme Médias de la campagne de François Hollande, annonce vouloir rétablir l’indépendance des médias en cas de victoire de son candidat. L’élection a montré laquelle de la journaliste ou de l’indépendance de la presse a profité de cette position. La Tribune qui voit le docile Yvan Levaï qui qualifie Bernard Arnault de « prince éclairé ».
La presse papier ne cesse d’être en chute autant qualitativement que sur ses ventes depuis les années 90. Certes la presse gratuite et numérique a fait baissé de 24 % la presse traditionnelle mais a surtout accentué ses faiblesses : parmi elles, il faut bien sur compter le formatage, le conformisme, le travail bâclé, le manque d’enquêtes. Bien sûr, il y a un certain poids des éditorialistes experts cancanant en boucle des idées rabâchées, la médiocrité et le manque de courage de nombreux rédacteurs en chef ainsi que la servilité et l’incompétence de certains journalistes.
Sur les questions économiques dans la presse française, le journalisme d’investigation est quasi impossible. Les journalistes, soumis à un taylorisme de l’information de plus en plus pressant, disposent de moins en moins de temps pour se déplacer, rencontrer des sources ou les croiser, se documenter tout en évitant les chargés de communication, les inquiétudes des services de publicité, les préventions ou les méfiances des chefs de service ou des rédacteurs en chef. Le chiffre d’affaires publicitaire baisse ? Fermez le bureau de Rome ! Baissez la pagination ! Refusez les reportages ! Vive les CDD ! Réduisez les piges !
L’État vient pourtant payer pour le Capital et vient gentiment au secours des budgets des journaux sans demander aux propriétaires de mettre la main à leur portefeuille : en 2010, Libération (où Édouard de Rothschild a placé lui-même Serge July comme manager, pardon « chef de la rédaction »), a touché 14 millions d’euros d’aides directes, sans compter les aides indirectes (postales, portage, numérique, TVA à taux réduit…). Le Monde a touché 17 millions, comme Aujourd’hui en France, Le Figaro (13 millions), France-soir (6,5 millions), Les Échos (2,7 millions). Comme les banques dont ils sont les danseuses, les journaux peinent à retrouver une crédibilité auprès des lecteurs, qui les délaissent en favorisant d’autres voix...
Une danseuse qui fait la gueule
« Il y a des danseuses qui coûtent cher à entretenir, et qui en plus, font la gueule. Mais ces danseuses de journaux peuvent apporter quelques compensations », disait l’ancien patron de l’AFP Jean Miot. En effet, Arnault, Dassault et tous les autres contrôlent leurs journaux via holdings et sous holdings. Certaines de ces holdings vont abriter des « actifs », c’est à dire ce que le journal possède, d’autres des « passifs », notamment des dettes envers des banques ou des fournisseurs.
Ces différentes holdings, toujours évidemment sous le contrôle d’une holding « de tête », contrôleront aux étages inférieurs les sociétés éditrices, transparentes, elles, puisque les journaux français sont dans l’obligation de rendre public leurs comptes annuels. Ces Holdings « par étages » – deux, trois, quatre étages voire plus – s’empilent et s’imbriquent pour organiser au mieux les affaires des vastes groupes des hyper-riches.
En perdition la presse rapporte pourtant en... défiscalisation : pas très glorieux, mais c’est pourtant l’exacte réalité pour les ombrageux tycoons Bernard Arnault, François Pinault, Xavier Niel, Pierre Bergé, Vincent Bolloré, les héritiers peu scrupuleux ou incompétents Arnaud Lagardère ou Serge Dassault, les banquiers survoltés comme Michel Lucas (Crédit Mutuel), Matthieu Pigasse (Lazard) ou Édouard de Rothschild (ex-Rothschild & Cie). Des énarque retors – Alain Minc, Denis Olivennes, Alexandre Bompard, Laurent Solly ou Nicolas Bazire – sont au service de combines opaques de leurs patrons pour le contrôle serré de la presse.
Des arrière-secrets couverts par le monde des affaires se révèlent troubles : SAIP est par exemple une société qui fait écran entre la holding « Refondation » et SARL Libération et qui est d’une obscurité totale bien qu’elle contrôle près de 94,99 % du capital de Libération sans qu’on sache qui possède combien ; les parts de Rothschild et celles de la famille Caracciolo sont de 26 % et de 22 % : à qui appartient le reste ? La réponse ne figurera pas en page « Désintox » de Libération...
Le journaliste Pierre-Henri de Menthon, révèle sur challenges.fr que les dirigeants de la branche française de la banque Lazard, parmi lesquels Matthieu Pigasse, (aiguillé depuis sa sortie de HEC par Alain Minc) ont trouvé le moyen, avec l’accord de la Direction générale des impôts, « que leurs revenus en provenance de Lazard New York soient traités en bénéfices industriels et commerciaux, avec un crédit d’impôt prévu dans une convention franco-américaine ». Ce qui aboutit « à une très large exonération » selon l’un des négociateurs de l’accord fiscal. Tout cela se passe sous les yeux des rédactions muettes. Malgré de copieuses rubriques Médias et d’innombrables blogs, la presse n’est plus très curieuse d’elle-même...
Collusions supranationales, pensée unique, parades fiscalistes, turn-over constant des plumes, financements troubles, perte de crédibilité : la presse écrite n’a plus le panache du XIXe siècle, où tout journaliste pensait changer le monde en signant un article ; ce sont ses patrons qui le changent, le monde, aujourd’hui, mais en signant quant à eux des chèques.
Réfléchir aux accointances politico-financières du journalisme, avec Kontre Kulture :
Mais aussi, sur le rôle trouble de la presse dans certaines affaires historiques :
Simone Choule http://www.egaliteetreconciliation.fr
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De la cage aux phobes...
Avec toutes ces phobies, le débat est-il encore possible ?
Tribune libre de Vivien Hoch*
Un des grands arguments des afficionados du « mariage pour tous », c’est l’argument ab negatio : si tu n’es pas pour, tu es homophobe.
On entend dire partout que ce projet de loi aurait « exacerbé et répandu la parole homophobe ». Vieille technique de la bienpensance, que de poser le débat selon ses propres termes pour se scandaliser de l’adversaire.
La technique de la -phobie vous enferme dans une dialectique qui esquive le débat. Elle formente un complot contre la démocratie, contre le langage communicationnel (Habermas), contre la raison toute entière. Elle psychologise le débat, la société ; elle psychiatrise l’adversaire, l’envoie d’emblée et déjà-toujours à des soins psychiatriques. Nous sommes dans la logique du « cycle carcéral » mise en lumière par Michel Foucault dans Surveiller et punir (1975).
Lionel Jospin l’avait déjà remarqué en 2004 : « Je vois s’esquisser une nouvelle tentation bien-pensante, voire une crainte de l’imputation homophobe qui pourrait empêcher de mener honnêtement la discussion [sur le mariage homosexuel et l’adoption] » (Le JDD du 16 mai 2004) ; c’est-à-dire à la mise sous verrou de tout débat qui contreviendrait au dogme étatico-médiatique, autrement dit tout ce qui ne se pose pas dans les catégories imposés d’ « homophile » et d’ « homophobe » [...]
La suite sur NdF
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Et si la droite faisait sa révolution culturelle !
« Les récentes élections régionales, quelque roboratives qu'elles aient pu, être perçues, ne doivent pas faire illusion. "Ça repart", oui. Mais vers où, et comment ? Nulle part en réalité, tant que la droite nationale française restera intellectuellement ce qu'elle est : une coquille vide. » Ce jugement, porté par Bruno Wieseneck, vous paraît sévère ? Lisez. Le texte qui suit est extrait d'un plus long article titré « La droite est morte, vive la droite ! », publié dans le dernier numéro du « Choc du mois ». Ou quand la lucidité sur soi-même est la condition du renouveau.
D'abord, le socle, et donc une question préalable : de quels atouts dispose cette famille d'esprit ? Influence ? Zéro. Finances ? Zéro. Crédibilité ? Unité d'action? Soyons sérieux. Ses publications sont en phase terminale, à part quelques titres dont la qualité ou l'originalité motive encore un lectorat par ailleurs sur-sollicité. Ses sites Internet - sauf cas rarissimes - sont peu professionnels ou, s'ils le sont, ne sont ni glamour, ni à jour. Les visiteurs se défoulent, faute de mieux, sur des forums mal modérés. Beaucoup de ses grilles de lecture sont datées (moins que celles du Parti socialiste et de la mouvance antifasciste, chez qui l'inculture du renégat culturelle dispute au grotesque du bourgeois libertaire, mais tout de même).
Seule richesse : ses militants, leur rage de vivre debout, leur générosité. Mais ces derniers sont éparpillés et se soucient davantage de taper sur le copain d'à côté que de réinventer un monde, ou plus modestement de critiquer efficacement la politique gouvernementale et l'inanité intellectuelle du sarkozysme. Les talents non coordonnés de la Droite nationale, de la Réaction, de la Tradition - et autres entités à elles apparentées - exécutent une danse brownienne permanente autour de leurs ego majuscules. Dans ces conditions, la génération qui serait censée reprendre le flambeau intellectuel de cette famille d'esprit - exsangue et suffisamment apathique pour avoir laissé Nicolas Sarkozy récupérer ses thématiques en 2007 sans lui sauter à la gorge - devra être plus que motivée : héroïque.
Ne doutons pas de la conviction et de la résolution de la relève qui se prépare, mais interrogeons-nous cependant sur la pérennité de ce qui prétend se rebâtir sur des fondations pourries. Au lieu de se détendre et de boire frais, certains en arrivent même à perdre leur sens de l'humour, usant leurs maigres forces dans de picrocholines querelles où l'on contemple, effaré, de jeunes droitistes talentueux s'interrogeant gravement lors de conciles tenus à trois dans une cabine téléphonique. C'est amusant. Deux minutes. À force de faire le styliste, on finit en stylite. Les militants et les tâcherons ne faisant pas profession de purisme excessif admirent de loin les arabesques conceptuelles de ces Tertullien en loden avant de prendre la tangente en haussant les épaules.
On ne peut pas incriminer « le complot » pour être médiocres
Autre point douloureux : l'envie. Dans notre société individualiste, la chaire est faible parce que la chair est faible ; on manque d'orateurs et d'intellectuels parce que cela ne rapporte plus assez : l'Avenir de l'Intelligence avait déjà résumé ce débat. C'est décevant mais c'est ainsi : l'héroïsme sans compensation a des limites. Et quelles que soient les protestations plus ou moins convaincantes des matamores qui plastronnent bannière au vent, que peut aujourd'hui proposer la droite nationale à ses fidèles, sinon un dévouement systématique, sans résultats et sans horizon ? Ce n'est pas très grave dans l'absolu, mais il faut être conscients que cela durera longtemps, à vue de nez. Les traversées du désert peuvent durcir, et former des apôtres. Mais lorsque ces derniers ont quelque chose à croire et espérer. Dans le cas contraire, les traversées du désert ne fabriquent que des scissions, des abandons, des aigris, des dépressifs ou des ratés.
Pas de quoi attirer les vocations d'intellectuels organiques. Certains choisiront de considérer cela comme une saine tradition - le désespoir en politique est une sottise absolue - et serreront les dents en attendant que ça passe : le militant national est dur au mal et saura faire tout son devoir en attendant un autre deuxième tour surprise aux élections présidentielles. On peut aussi commander une bière, s'asseoir ensemble et chercher des solutions moins cons : la vie est courte et Sarkozy convaincant, il l'a prouvé.
La seule alternative raisonnable, en dehors de prêcher par l'exemple (familial en particulier) et sans rompre avec le combat quotidien, semble bien de faire comme les Prussiens après 1806 : se former.
D'abord, peut-être, différencier thématiques, valeurs et idées : c'est sur cette confusion que Sarkozy a réussi son hold-up à droite (et chez les bourgeois de gauche). Pour la famille d'esprit « national », cela revient à une formation de fond, une remise à neuf des moyens d'influence, de l'arsenal idéologique, des thématiques, des réseaux, des médias de droite nationale (on ne peut plus incriminer le « complot » pour être petits et médiocres, Internet est libre). Certains vieux titres et réseaux disparaîtront ? Fors la reconnaissance que nous devons aux anciens, ce n'est pas une tragédie. Il a bien fallu un jour - c'était au XIXe - que « le Gaulois », « le Soleil » et « l'Univers » mettent la clef sous la porte. Paix aux cendres presque refroidies de leurs épigones.
D'autres canaux d'information, retrempés et plus inventifs, demeureront. De nouveaux porte-voix naîtront, qui renouvelleront sûrement l'intérêt du public pour le diagnostic droitiste, confirmé par tous les événements. Le temps travaille pour nous. Mais pour bien négocier les prochains tournants, les dix ans qui viennent devront être mis à profit pour former une génération à la dialectique, à l'histoire des idées politiques, à l'argumentation médiatique, à une vision dépoussiérée de la dichotomie droite-gauche, à la théorie économique, aux langues étrangères, à la communication, etc.
En conservant nos fondamentaux, mais sans crispations puériles (il vaut mieux connaître l'économiste américain Gary Becker - et savoir le critiquer - que d'apprendre à réciter les Poèmes de Fresnes à l'envers).
Rajeunir les cadres, dépoussiérer les meubles
Et surtout - surtout - sans stratégie de boutique ni morgue intellectualiste pour puceaux de parvis (laissons ça aux jeunes de gauche, rebelles bavards et subventionnés). Une fondation Terra Nova de droite nationale ? Ce serait un début. Limiter à 60 ans « l'âge des capitaines » dans les mouvements « nationaux » ? Ce serait intéressant : voir la pyramide des âges du Vlaams Belang. Et pour le financement, ma foi, il a existé des cimentiers généreux, on trouvera bien des solutions pour payer ce travail intellectuel de rénovation. Internet ? Notons, en cette année 2010, la façon assez swing qu'a eu Barack Obama de prouver que le recours à la générosité populaire peut payer lorsqu'on est capable d'inspirer un espoir crédible. Voilà pour les fonds. Pour le fond au singulier, les solutions existent en France. Mieux, elles ont déjà été expérimentées - et ce sera la conclusion de cet apologue.
L'intuition de ce que l'on a appelé la « Nouvelle Droite » était la bonne, dès les années 1970 : le salut ne peut venir que d'une métapolitique originale sur la forme et solide sur le fond, sans reprise a priori de tout ce qui a été accompli avant. Reconnaître les combats menés par nos prédécesseurs : oui. Demeurer prisonnier de leurs jugements : non. Pour cela, inventer des formes nouvelles, opérer des rapprochements paradoxaux, faire bouger les lignes, au prix de quelques infarctus chez les chaisières, pourquoi pas. À l'époque, un article d'Alain de Benoist dans la revue « Item » commençait ainsi : « La vieille droite est morte. Elle l'a bien mérité. » C'était clair, c'était drôle, c'était brillant, insolent et inventif. C'était la Nouvelle Droite. Elle ne faisait ceci dit que formaliser une exaspération depuis longtemps ressentie par les espoirs les plus brillants de la droite nationale.
Depuis, force est de constater que la ND, pour revenir à elle, a tourné en rond. Elle n'est pas morte - heureusement, qu'est-ce qu'on lirait ? -, mais elle a échoué. Qui bene amat, bene castigat : comme intellectuellement on lui doit beaucoup, on lui doit aussi la vérité. On dira donc que : cet échec, comme la Vieille Droite qu'elle vilipendait avec raison, elle l'a bien mérité. Parce que lorsqu'on souhaite sincèrement bâtir une métapolitique du réel, on ne passe pas des années à chercher à remplacer Jésus-Christ par Zeus dans un pays qui a derrière lui le cloître de Moissac, la cathédrale de Chartres et - accessoirement - 1 500 ans de christianisme. Ne pas reprendre systématiquement ce qu'ont fait nos prédécesseurs ? Oui. Mais cela ne doit pas dispenser de garder le sens des proportions (c'est très grec, le sens des proportions). Dans les années 1970, les hommes d'Église, par leur contamination marxiste, ont pu dégoûter les esprits droits. Mais il aurait fallu discerner la part de conjoncture et de permanence dans cette crise, concernant une Institution vieille d'une sagesse de 2 000 ans.
Analyser et combattre le marxisme de sacristie en gardant à l'idée la splendeur dépouillée de l'abbaye du Thoronet, c'était si dur que ça pour une droite intellectuelle qui rappelle sans cesse l'importance de la longue durée historique?
De certains intellectuels indiscutables, dont certains prirent comme symbole l'horloge qui présidait à leurs débats, on aurait pu attendre qu'ils intégrassent de manière plus réaliste cette dimension temporelle essentielle.
C'est l'identité d'abord qui doit être durable
L'important, en somme, n'est pas de savoir si, concernant le derby métaphysique polithéisme/monothéisme, certes essentiel, la ND avait raison sur le fond, mais de se rendre compte qu'à le bétonner, elle perdait du temps en se coupant peu sagement de pans entiers de la droite nationale - et singulièrement des catholiques qui ont prouvé qu'ils avaient de la ressource et de la vitalité (voir la dynamique et la jeunesse des communautés traditionalistes). Insistons lourdement : le chatoiement différentialo-nominaliste des valeurs polythéistes, c'est passionnant. Mais l'inertie culturelle aussi. Dans métapolitique il y a politique, ce qui aurait dû entraîner - forcément, nous sommes dans l'infra-monde et non dans la Cité platonicienne - certaines restrictions mentales opportunes. À part ça, la ND avait tout juste (et je souligne : tout, forme et fond). Mais à cause de ça (et de quelques autres défauts mineurs), elle a raté une occasion historique de recomposer culturellement et métapolitiquement autour d'elle une nouvelle génération de droite, par-delà les chapelles mémorielles et religieuses. Une faute, compte tenu du brio intellectuel de ses membres fondateurs. Si l'on compare cette tentative qui appartient aujourd'hui à l'histoire des années 1970 et 1980 avec ce qui s'est passé aux États-Unis à la même période [...], on dira que la ND a peut-être manqué de réalisme. Désunis, nous ne pesons rien.
Après cette analyse, empressons-nous de préciser que la lecture d'« Eléments » est de salubrité publique et qu'elle devrait être recommandée aux intellectuels catholiques, qui se contentent généralement de dénigrer ce journal sans y mettre le nez : ils enrichiront leur vocabulaire limité au thomisme d'arrière-salle, se confronteront à des textes stimulants, et mettront un peu de vin dans l'eau de leur mysticisme énervant (au premier sens du terme). Pour le reste, pardon d'être raisonnablement pessimiste, mais il faut cesser de rêver : les dix ans qui viendront seront tristes, et à peine suffisants pour lire tous les livres.
Nonobstant les taquineries qui précèdent, nous laisserons la conclusion à Alain de Benoist, dont la clarté inimitée viendra fort à propos cadrer le principe de reconquête intellectuelle que tous, désespérément et ardemment, nous appelons de nos vœux, quelles que soient nos chapelles : « La tradition n'est pas le passé : voilà ce qu'il ne faut pas cesser de dire et de redire. La tradition n'a ni plus ni moins à voir avec le passé qu'avec le présent et l'avenir. Elle est au-delà du temps. Elle ne se rapporte pas à ce qui est ancien, à ce qui est "derrière nous", mais à ce qui est permanent, à ce qui est "au dedans de nous". Elle n'est pas le contraire de la novation, mais le cadre dans lequel doivent s'effectuer les novations pour être significatives et durables » (Les Idées à l'endroit, éditions Libres Hallier, 1979).
Un renouvellement significatif et durable ? Ce serait bien. Tous ensemble réunis autour d'un principe commun ? Ce serait mieux. Nous sommes Français en Europe, issus des mémoires celte, germanique et latine, de civilisation gréco-romaine et de culture chrétienne (que nous croyions au Christ ou non). Quoi qu'en disent ceux qui confondent communautés et ghettos, le pivot de nos réflexions, dans ce monde acharné à stériliser les racines, sera sans doute l'Identité. À condition de la conjuguer sereinement, sans exclusives datées, enfermements débiles ou postures puristes.Bruno Wieseneck Minute du 11 août 2010
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Entretien avec le Mouvement d'Action Sociale, une fourmilière militante
COMMUNAUTE militante apparue en région parisienne durant l'année 2009, le Mouvement d'Action Sociale se veut « un centre de radicalité dynamique composé d'hommes et de femmes libres, fiers de leurs racines, amoureux de leur terre et au service de leur peuple. Sans autre nostalgie que celle de l'avenir, nous voulons fonder une opposition autonome, créatrice, organique, un mouvement de forces rassemblant tous ceux qui reconnaissent les lois de l'esprit et du sang et défient celles du Système ». Ce réseau, qui est partie prenante dans une foule d'initiatives culturelles et politiques, se revendique d'une rupture nécessaire avec les anciennes erreurs de l'activisme nationaliste. Découvrons l'alternative qu'il propose...
RIVAROL : Pouvez-vous retracer les étapes de l'histoire récente du MAS ? De quelles tendances sont issus vos animateurs et vos membres ?
Arnaud de ROBERT, porte-parole du MAS : Le MAS est une initiative relativement récente, puisqu'il est né dans les esprits de ses fondateurs fin 2008 et ne s'est manifesté concrètement que 6 mois plus tard au printemps 2009. Le noyau militant du MAS est formé d'individualités relativement aguerries au combat de terrain, que celui-ci se déroule dans la sphère politique, culturelle ou sociale. Certains ont un passé politique fourni, d'autres ont été et sont toujours des acteurs culturels majeurs de la mouvance, d'autres encore, passé par les écoles métapolitiques dissidentes évoluent dans la sphère du débat philosophique. Les membres fondateurs viennent d'horizons divers mais se retrouvent tous sur les principes fondamentaux de la radicalité militante : justice sociale, conception organique de la société, affirmation d'un héritage culturel et ethnique français et européen, lutte totale contre mondialisme marchand.
R. : Vous insistez dans vos écrits sur l'importance d'une « rupture militante ». Qu'entendez-vous par cette expression ?
A. de R. : Le MAS fonde son action politique sur le principe de rupture. Ce principe présuppose tout d'abord la reconnaissance du fait que le monde dans lequel se sont formés nos usages, nos outils et nos méthodes d'actions militantes a disparu. Depuis soixante ans, notre environnement n'est fait que de bouleversements politiques, économiques, culturels, sociaux, religieux et ethniques. Il est impératif de prendre en compte ces bouleversements pour entreprendre aujourd'hui une action combattante efficiente. En même temps, intégrer ces bouleversements modifie en profondeur ces mêmes modalités d'actions.
Certes, on peut toujours choisir la nostalgie. « Avant c'était mieux » permet de rester au chaud dans le creux de la fidélité statique à un passé mythifié et onirique. Cette stratégie du « dernier carré » est malheureusement vouée à scléroser toute initiative de conquête populaire car nos concitoyens sont profondément éloignés des codes culturels en usage dans les milieux patriotes et nationalistes. Nous avons choisi l'autre option, celle de la radicalité dynamique fondée sur la réalité de notre environnement.
Emprunter ce chemin nécessite une profonde remise en cause individuelle et collective que nous avons baptisé "rupture". Ce travail introspectif vise à dégager ce qui, dans nos habitudes militantes, notre sectarisme, nos codes vestimentaires, notre langage, nos modes d'expression politiques participe au fond du jeu du Système en faisant de nous de faux opposants caricaturaux. Une fois identifié ce corpus incapacitant, il faut entamer un travail de distanciation visant à se libérer de ses habitudes pour engager une réflexion dynamique et positive sur notre combat. Pour autant notre rupture n'est pas une négation, une répudiation du passé. Ce passé est nôtre et nous l'assumons. Non, notre rupture est bien plutôt un « bon en avant », au-delà des marqueurs usuels de notre mouvance. Car notre seul impératif doit bien être la sauvegarde et la défense de notre peuple. Pour cela, il faut retrouver le chemin nous permettant de lui parler, d'être compris de lui et de l'engager sur la voie de la révolte. Notre rupture doit donc être comprise comme un jaillissement réaliste visant à ce que ce pays redevienne une patrie.
R. : Que pensez-vous du recentrage du Front National et de l'évolution droitiste des identitaires ?
A. de R. : Nous sommes des observateurs attentifs de la vie politique électorale. Pour autant, nous ne pensons pas, loin de là, que le combat politique se résume au bulletin de vote. Le jeu électoral doit être l'une des armes de l'arsenal militant et non la seule. Concernant les deux partis politiques cités plus haut, nous observons l'attrait qu'exerce sur eux la mode populiste en vigueur en Europe (UDC suisse, Vlaams Belang flamand, Lega Nord italienne, Geert Wilders en Hollande...) Nous ne goûtons que peu cette option trop systémo-compatible. Pour autant, il faut se garder de jugements hâtifs et péremptoires. Aujourd'hui, la règle est qu'il n'y a plus de règle. Les aggiornamenti se suivent à la vitesse du son et il serait bien présomptueux de prédire l'état des forces politiques électorales au-delà de trois mois. Tout peut arriver, le meilleur comme le pire. Encore une fois, nous avons choisi une autre voie, souveraine et autonome du jeu électoral, mais il nous paraît souhaitable que perdure un mouvement politique radical et décomplexé, un fer de lance médiatique et populaire de nos idées.
R. : Parmi vos actions récentes, la perturbation du dîner du Siècle (Club d'influence mondialiste) a fait couler beaucoup d'encre. Que représente cette cible pour vous ?
A. de R. : La modestie nous oblige à souligner ici que nous ne sommes pas les instigateurs de ces perturbations entreprises par des collectifs de l'ultra-gauche. Mais puisque nous parlons du Siècle, il est bon de rappeler que les activités de ce club d'oligarques voraces ont été mises au jour par Emmanuel Ratier au travers de ses ouvrages et de sa lettre d'information Faits&Documents. En sorte que la paternité de la perturbation revient à notre mouvance. Si nous avons décidé de contribuer à perturber les dîners du Siècle, à la grande fureur des gauchistes qui considèrent ce type d'activité comme leur chasse gardée, c'est parce que nous considérons l'existence et les activités de ce « club » comme une insulte jetée à la face de notre peuple. À une époque où le chômage et la précarité ravagent la société, voir les requins de l'oligarchie franco-mondialiste se goinfrer de petits fours sur fond d'enrichissement permanent constitue un casus belli. Le Siècle est le symbole du Système, cet ennemi polymorphe qui soumet le monde à la seule consommation infinie. Notre slogan est clair : « Changeons de siècle, pouvoir au peuple ! »
R. : Pourquoi définissez-vous votre orientation comme "néo-solidariste" ? Comment faire le lien entre le combat pour la Nation et la lutte pour la justice sociale ?
A. de R. : La question qu'il faut surtout se poser est la suivante : « Comment peut-on prétendre défendre son peuple si on ne se préoccupe pas de son quotidien ? » Toute pensée authentiquement nationaliste, patriote, ne peut occulter la gravité de la question sociale, ni ignorer son actuelle mutation. Nous nous définissons comme solidaristes parce que nous voulons une refonte radicale des rapports sociaux qui ne soient fondés ni sur la lutte des classes stérile des marxistes ni sur la guerre de tous contre tous des capitalistes. Le solidarisme encourage au dépassement des « antagonismes de classes » afin de les faire converger vers la prise en compte d'objectifs et d'intérêts communs dont celui de mener une vie digne et décente. Le solidarisme veut mettre en place une vision organique du monde de la production. Socialisation de l'entreprise, mise en place de corporations de métiers, participation à l'effort collectif d'établissement d'un ordre où l'économique reste subordonné à l'humain. La solidarité avec les siens implique également la justice envers les plus faibles, les plus démunis et les plus fragiles des nôtres, c'est le justicialisme. Seule une nouvelle vision communautaire et le sens renouvelé de l'entraide refondront le tissu social et les solidarités organiques. Le travail ne doit plus être la forme salariale de l'esclavage, mais redevenir un facteur d'épanouissement personnel, civique, spirituel et civilisationnel. Notre vision solidariste ne se conçoit que comme une reconquête nationale de souveraineté populaire sur le capitalisme marchand, qu'il soit "social" ou "libéral". La nation est le cadre naturel de l'expression de la justice sociale au travers de la solidarité populaire. Le préfixe "néo" est là pour indiquer que notre solidarisme s'ancre dans les réalités du monde d'aujourd'hui, un monde à la fois fragmenté et totalitaire.
R. : Le MAS semble au cœur d'un réseau d'initiatives militantes novatrices. Quelle forme prennent-elles ? Ce mode de mobilisation est-il une piste pour la renaissance de notre mouvance ?
A. de R. : Sur ce point également il convient de rester modestes. Nos initiatives s'inspirent pour une bonne part d'initiatives concluantes et positives lancées par d'autres groupes en France et en Europe. On peut citer ici les nationalistes autonomes allemands ou l'extraordinaire mouvement Casapound italien. Toutes ces initiatives ont d'ailleurs été rendues visibles par le blog Zentropa dont il faut souligner le formidable travail d'éveilleur et de rupture de la sphère francophone. Pour autant, s'inspirer n'est pas copier bêtement et nos actions trouvent toujours un accent et un déploiement propre à l'esprit français. Concrètement, nous développons toujours nos projets selon le même schéma. Une idée ne peut et ne doit se manifester que si elle peut être incarnée en tenant compte de nos moyens financiers, humains et matériels. Aussi, nos risques sont-ils pris en fonction d'une stratégie pré-établie. Cela ne les limite pas, mais nous évitons ainsi les belles promesses fumeuses dont s'est trop longtemps nourrie la mouvance. Une idée devient une réalité. Nous prenons appui sur ce qui forme le militant, interpelle nos concitoyens et construit une opposition concrète. Ainsi, nous avons créé un collectif contre la présence française en Afghanistan, un club de sport (self-défense, randonnée, VTT...), une association de soutien aux sans-abris,une association de lutte écologiste, un collectif pour le rétablissement de la peine de mort, un club de motos, une émission de web radio (Méridien Zéro), une web radio émettant 7/7j (Europa Radio) et nous avons lancé récemment une campagne contre la malbouffe. Nous disposons également d'une AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne. Le principe est de créer un lien direct entre paysans et consommateurs, qui s'engagent à acheter la production de celui-ci à un prix équitable et en payant d'avance. Précisons que le paysan avec qui nous traitons est également un homme partageant des convictions nationalistes et disposant d'une structure accueillant nos familles et nos enfants qui sont l'avenir. Toutes ces initiatives sont fonctionnelles et animées régulièrement par des militants. Nous croyons que le réseau est le meilleur cadre de développement militant et que ce cadre est porteur de sens et d'avenir. Nous souhaitons investir les segments de notre société trop longtemps délaissés par nos milieux pour fonder une opposition résolue au Système : luttes sociales, écologie radicale, solidarité populaire, éducation, logements, alimentation, culture, arts. Le message est simple : « tout est nôtre ! ».
R. : Vos membres sont particulièrement engagés dans l'association caritative Solidarité populaire. Pouvez-vous présenter son action ?
A. de R. : Solidarité Populaire est l'un des projets qui nous tient le plus à cœur. Il s'agissait en fondant cette association de dépasser le lien trop souvent seulement intellectuel que notre mouvance entretient avec l'aspect social du combat pour l'incarner réellement dans la rue auprès de nos compatriotes dans la misère. Là encore, nous ne sommes ni les seuls, ni les premiers. Mais la misère est un fléau généré par le Système qui agit comme un dissolvant du lien communautaire. Ne pas la combattre c'est reconnaître au Système le droit de tuer socialement notre peuple. Concrètement notre action prend la forme de maraudes sociales nocturnes régulières dans les rues de Paris. Nous circulons en véhicules chargés de nourriture, de boissons chaudes et de vêtements. Nous apportons à nos compatriotes un peu de chaleur humaine et de dignité. Depuis peu, nous travaillons à des projets plus ambitieux visant à contrecarrer les effets délétères du Système. C'est encore en chantier, donc vous n'en saurez pas plus, mais cela devrait voir le jour très bientôt.
R. : La formation politique est au cœur de vos préoccupations. Sur quelles bases théoriques l'avez-vous conçue ? Que conseillez-vous de lire pour comprendre les enjeux actuels ?
A. de R. : La formation politique est une arme essentielle pour comprendre où se trouve l'ennemi et ce que nous devons défendre et incarner. Mais paradoxalement ce n'est pas avec de la doctrine ou de l'analyse géopolitique que nous procédons à la formation de nos jeunes militants. La première étape de la formation est avant tout l'acte militant. Il faut que le jeune qui vient à nous puisse concrétiser les motivations qui l'ont conduit à nous rejoindre. L'acte de terrain fonde l'engagement et matérialise la rupture. Ensuite, nos formations viennent étayer ces actes et contribuer au processus d'édification personnelle. La formation consiste à donner une forme, à redresser l'individu en lui forgeant les armes intellectuelles et pratiques, en lui attribuant les ressources propres à faire de lui un homme différencié, un combattant éveillé et attentif. Nous nous appuyons pour cela sur un réseau d'intervenants très qualifiés et sur des cycles internes de conférences portant sur des thèmes variés de l'économie, de l'histoire, de la politique... dans une ligne résolument solidariste, enracinée, radicale, nationale et européenne. En matière de lectures permettant de comprendre les enjeux du monde actuel, la liste est très longue. Mais s'il faut citer quelques pistes, alors on peut parler de la Nouvelle revue d'Histoire, de Réfléchir&Agir, de Fait&Documents, de la revue Rébellion, des ouvrages de Dominique Venner, de Gabriele Adinolfî, d'Eric Werner, du dictionnaire géopolitique d'Aymeric Chauprade, de l'ouvrage et du site (Europe Maxima) de Georges Feltin-Tracol, des ouvrages de Tomislav Sunic, des écrits de Jacques Ellul, Chuck Palahniuk, Julius Evola, Théodore J. Kaczynski, Ernst Junger, George Orwell, Bernard Charbonnau, Christopher Lasch, John Holloway...
R. : Partisans d'une unité des peuples européens face à la mondialisation, avez-vous tissé des relations avec d'autres structures à travers notre continent ?
A. de R. : Oui, nous avons des contacts suivis avec de nombreuses structures militantes en Europe. On peut citer bien entendu Casapound en Italie, Nationaler Widerstand en Allemagne, Opir en Ukraine, Nation en Belgique francophone, N-SA et Radio Raille en Flandre belge, Genève Non Conforme en Suisse... Il est vital que nous puissions échanger, nous épauler et travailler au niveau continental. Cela alimente la réflexion, nourrit les initiatives et renforce l'impact combattant.
Propos recueillis par Monika BERCHVOK. Rivarol du 1er avril 2011 -
Livre BIanc : Renseignement et Forces Spéciales
Le 20e anniversaire de la création du COS (Commandement des opérations spéciales) vient de donner lieu à une nouvelle présentation en trompe-l’œil du prochain Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité. Hormis son bornage budgétaire déjà posé avant même que ne débute sa mise en chantier, cet exercice important de pensée et de prospective stratégique risque, à nouveau, de recycler quelques vieilles lunes alors que le nouveau contexte international réclame une nécessaire révolution copernicienne.
Par Eric Denécé (1) et Richard Labévière (2) – Le 01-01-2013.
La fin de la Guerre froide a produit nombre d’illusions dont celle d’une victoire totale du « monde libre » et de ses conceptions économiques et politiques.
La démocratie parlementaire allait s’imposer partout et les délices du libre-échange mettre fin aux conflits interétatiques. D’aucuns – dont Samuel Huntington, Francis Fukuyama et leurs suiveurs européens -, annoncèrent un peu vite la « fin de l’histoire » et l’avenir radieux d’une simple administration des richesses et des hommes.
Un « nouvel ordre international » semblait à portée de main d’une humanité enfin réconciliée avant que la Somalie, les Balkans et le Rwanda n’apportent un cinglant démenti à ce rêve parousiaque. Les attentats du 11 septembre 2001 finirent de condamner cette mauvaise lecture de Hegel tout en générant de nouveaux malentendus.
Mal inspiré de celui d’ « hyperpuissance », le concept creux d’ « hyper-terrorisme » prenait les mots pour les choses, confondant l’hyper-médiatisation (l’effet) avec la menace réelle (la cause). Laissant entendre que cet événement était aussi important que la chute du mur de Berlin, cette approche servait de justification idéologique à la « guerre globale contre la terreur ». Suivirent tous les mirages de la « sécurité globale » instaurant un continuum rectiligne entre la « défense extérieure » et la « sécurité intérieure » allant jusqu’à la confusion et l’indétermination générale. Joyeuseté post-moderne : tout était dans tout et réciproquement…
Une troisième mutation ajoute exponentiellement de la confusion aux deux précédentes : la révolution de l’information et ses conséquences opérationnelles. Dans le sillage de la RAM (révolution dans les affaires militaires), s’imposent ainsi de nouveaux mythes :
plus forte que la réalité des champs de bataille, la technologie prométhéenne peut tout faire et même réduire la nature, l’espace, le temps et le nombre.
Ainsi, il suffirait de disposer de moyens de renseignement capables d’anticiper les menaces, de forces aériennes suffisantes pour en frapper les cœurs opérationnels et de forces spéciales pour en neutraliser les donneurs d’ordres et leurs entourages…
Cette pensée stratégique unique qui « fétichise » conjointement le renseignement et les forces spéciales est dangereuse.
Non seulement, elle sert d’alibi aux réductions drastiques de nos forces conventionnelles, mais elle méconnait dramatiquement les contraintes de nos outils de défense. Un renseignement optimum et diversifié ne s’est jamais substitué aux attributs classiques de la puissance et de l’action comme il n’a que très rarement pu assurer la conquête des cœurs et des esprits des populations et des territoires de l’ennemi. Chaque stagiaire de l’École de guerre sait parfaitement que :
des forces spéciales efficaces et modulables ont un besoin impératif de la profondeur démographique et humaine des armées conventionnelles et qu’elles ne peuvent, en aucun cas, se substituer à leurs missions traditionnelles et incompressibles de dissuasion, de cohésion nationale et de maillage de l’espace et du temps.
Ce discours est en réalité un écran de fumée. Si, depuis leur édification dans un commandement dédié en 1992, les forces spéciales bénéficient d’un début de reconnaissance et de moyens adaptés à leurs missions, il reste encore du travail de conviction à faire auprès de certains décideurs militaires, toujours méfiants ou opposés à ces guerriers d’élite, à ces unités particulières et privilégiées qui drainent les meilleurs éléments des régiments et sont souvent accusées de s’approprier une partie des missions des forces conventionnelles.
Par ailleurs, le renseignement, qui occupe une place notable dans le discours sécuritaire, reste le parent pauvre de la défense, comme de la sécurité intérieure. Les trois services relevant du ministère de la Défense (DSGE, DRM, DPSD), ne représente guère qu’1% du budget de ce ministère, lui même en forte décroissance. Avec des effectifs et des budgets significativement inférieurs à ceux du Royaume-Uni et de l’Allemagne – alors même que nos responsabilités internationales sont similaires ou supérieures à celles de nos voisins -, notre communauté de renseignement reste sous-dimensionnée face aux défis à relever.
Nous avons en fait inventé, avant les autres, le renseignement Low Cost, qui marche tant que la situation ne s’aggrave pas. Mais comment pourrait-il être la pierre d’achoppement de notre sécurité ? Son évocation comme solution d’avenir est donc purement idéologique.
Malgré ces évidences et en dépit des revers militaires essuyés en Irak et en Afghanistan et de la faillite de la ligne Maginot informatique illustrée par les nombreuses cyberattaques d’hackers plus ou moins anonymes,
cette confiance immodérée dans nos capacités technologiques, n’est-elle pas en train de nous faire perdre la vraie mesure des évolutions de notre monde globalisé ?
Le triomphe de cette pensée unique d’un « Small is Beautiful opérationnel » n’occulte-t-elle pas les tendances lourdes du chambardement stratégique en acte ? Celui-ci détermine pourtant sous nos yeux les défis des prochaines décennies : implosions étatiques, recentrage asiatique et reconfiguration de l’arc arabo-islamique du Maroc à l’Indonésie.
Face à la progression impressionnante du budget militaire de la Chine, qui vient de lancer son premier porte-avions et aux efforts de défense de la Russie et des pays émergés, dont l’Inde et le Brésil, qui peut sérieusement affirmer aujourd’hui que les conflits conventionnels sont derrière nous ?
La crise des économies occidentales et particulièrement celles de la vieille Europe ne nous fait-elle pas prendre des vessies pour des lanternes ?Et plutôt que de réduire nos visions stratégiques à des contraintes budgétaires de très court terme, ne devrions-nous pas renouer avec le courage de choix politiques ambitieux, assumés, expliqués et partagés ?
A trop vouloir coller à notre « allié » américain dont nous partageons de moins en moins les intérêts économiques, les pays européens, sinon la France, devraient retrouver la voie d’une certaine indépendance d’esprit et d’action.
Cette révolution copernicienne pourrait s’organiser autour du constat central, malheureusement passé trop inaperçu, de l’excellent rapport du Sénat présenté le 17 juillet dernier[3]. Ce constat est double : la globalisation du monde se poursuit à travers une « maritimisation » croissante des économies et des enjeux stratégiques ;
dans cette perspective nos efforts de défense ne constituent pas des dépenses mais plutôt des investissements qui pourraient se transformer en autant de nouvelles perspectives de croissance et de redressement productif.
En attendant, l’armée « échantillonnaire » – selon l’expression du général Desportes – dont nous disposons dorénavant n’est plus à la hauteur de nos ambitions, ni digne de notre rang.
- [1] Directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Dernier ouvrage paru : Les services secrets français sont-ils nuls ?, Ellipses, Paris, 2012.
- [2] Rédacteur en chef du site Espritcors@aire. Dernier ouvrage paru : Vérités et mythologies du 11 septembre 2001, Éditions Nouveau Monde, septembre 2011.
- [3] Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans. Rapport d’information de Jeanny Lorgeoux et André Trillard, fait au nom de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées n° 674 (2011-2012) – 17 juillet 2012.
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[Vidéo] "La Chronique d'Eric Zemmour" : Hollande, "super-président"
François Hollande est devenu président ! Un marmoréen chef de guerre...
Mais la réalité rattrape l’illusionniste...
Il consacre la flexibilité, ressuscite la Françafrique et met dans la rue près d’1 million de personnes...
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« Et si Assad était en fait en train de gagner en Syrie ? »
Manifestation du parti syrien Baas en soutien au président Assad
Un article du site Atlantico, qui change un peu de la langue de bois sur la situation syrienne :
« Contrairement à ce que laisse penser une partie de la presse occidentale, le régime de Bachar Al Assad est loin d’être au bord du gouffre, tant sur le plan politique que militaire. Malgré de réelles difficultés, le pouvoir en place réussit peu à peu à se poser dans l’opinion comme le seul rempart crédible contre l’ingérence étrangère et l’instauration d’un état islamique. »
suite ici -
Entretien avec Maurice Allais dans Le Choc du mois (archive)
Le Choc du mois : Vous êtes tout à la fois un libéral, au sens politique et humaniste du mot, et un adversaire résolu de ce que vous appelez la « chienlit mondialiste du laissez-fairiste ». Qu'est-ce qui oppose le libéralisme authentique, dont vous vous réclamez, à la libéralisation des marchés qu'on subit aujourd'hui, et qui se revendique elle aussi du libéralisme ?
Maurice Allais : Durant ces soixante dernières années, toutes les recherches que j'ai pu faire, toutes les réflexions que m'ont suggérées les événements, toute l'expérience que j'ai pu acquérir, ont renforcé en moi cette conviction qu'une société fondée sur la décentralisation des décisions, sur l'économie de marchés et sur la propriété privée, est, non pas la forme de société la meilleure dont on pourrait rêver sur un plan purement abstrait dans un monde idéal, mais celle qui, sur le plan concret des réalités, se révèle, aussi bien du point de vue de l'analyse économique que de l'expérience historique, comme la seule forme de société susceptible de répondre au mieux aux questions fondamentales de notre temps.
Pour autant, si la conviction de l'immense supériorité d'une société économiquement libérale et humaniste n'a cessé de se renforcer en moi au cours de ces années, une autre conviction, tout aussi forte, n'a cessé également de se renforcer, c'est qu'aujourd'hui cette société est dangereusement menacée par la confusion du libéralisme et du laissez-fairisme. C'est là un des plus grands périls de notre temps. Une société libérale et humaniste ne saurait s'identifier à une société laxiste, laissez-fairiste, pervertie, manipulée ou aveugle. Tout comme le libéralisme ne saurait se réduire au laissez-faire économique.
Le libéralisme est avant tout une doctrine politique, le libéralisme économique n'étant qu'un moyen permettant à cette doctrine politique de s'appliquer efficacement dans le domaine de l'économie. Or, l'économie mondialiste qu'on nous présente actuellement comme une panacée ne connaît qu'un seul critère : « l'argent ». Dépourvue de toute considération éthique, elle ne peut que se détruire elle-même.Il ne peut pas y avoir selon vous de libéralisme véritable sans cadre institutionnel et politique. Dans ces conditions, la régulation du marché par lui-même n'apparaît-elle pas comme un mythe ?
Pour être bénéfique, la libéralisation des échanges exige un cadre économique et politique commun et stable avec des institutions appropriées. Ce cadre ne doit pas pouvoir être remis en cause ou dénoncé ultérieurement ou être instable.
L'exemple de l'Union européenne, au sein de laquelle tant de mesures ont déjà dû être prises pour éviter des distorsions indues de concurrence, montre qu'un minimum d'intégration politique est nécessaire dès lors qu'une intégration économique très poussée est considérée comme souhaitable.
Le libre-échange s'est constitué aujourd'hui en dogme incontournable. Il est relayé par les grandes organisations internationales, les grands médias et la plupart des hommes politiques.
Quelles en sont les grandes lignes ? Comment expliquer pareil raz de marée ?
Depuis trois décennies, la doctrine du libre-échange mondialiste s'est peu à peu imposée. Elle implique la disparition de tout obstacle aux libres mouvements des marchandises, des services et des capitaux dans le monde entier. Suivant cette doctrine, la disparition de ces obstacles est une condition à la fois nécessaire et suffisante d'« une allocation optimale des ressources à l'échelle mondiale », selon les mots de ses concepteurs. Tous les pays et dans chaque pays tous les groupes doivent voir leur situation améliorée.
Pour les pays en voie de développement, cela consiste en l'ouverture totale vis-à-vis de l'extérieur, condition nécessaire de leur progrès. Pour les pays développés, en la suppression de toutes les barrières tarifaires ou autres, condition de leur croissance.
Par exemple, pour les partisans de cette doctrine, le chômage dans les pays développés résulte essentiellement de salaires réels trop élevés, de l'insuffisante flexibilité du marché du travail, du progrès technologique accéléré qui se constate dans les secteurs de l'information et des transports, et d'une politique monétaire jugée indûment restrictive. Mais en aucun cas du libre-échange.Comment se fait-il qu'une telle doctrine, qui s'est avérée désastreuse, du moins en France, continue de nous être imposée ?
Jamais la France ne s'est trouvée en temps de paix dans une situation économique aussi dramatique que celle d'aujourd'hui.
De 1918 à 1939 et de 1946 à 1974, le chiffre du chômage a toujours été inférieur au million. Le sous-emploi effectif est aujourd'hui de l'ordre de six millions si l'on tient compte du traitement social du chômage.
Mais on préfère ignorer, sinon occulter, sous l'influence de puissants groupes d'intérêts, les raisons réelles de la destruction de notre industrie, de la réduction de la croissance de plus de moitié depuis 1974 et du développement d'un chômage de masse.Serait-ce parce que cette idéologie n'est profitable qu'aux groupes les plus puissants ?
Cette doctrine a été littéralement imposée aux gouvernements américains successifs, puis au monde entier, par les multinationales américaines, et à leur suite par toutes les multinationales qui ont des centaines de filiales et disposent d'énormes moyens financiers. Elles échappent à tout contrôle et exercent partout et par personnes interposées un pouvoir politique exorbitant. La mondialisation, on ne saurait trop le souligner, ne profite réellement qu'aux multinationales. Elles en tirent d'énormes profits.Nous assistons, depuis les crises asiatique et russe de 1997-1998, l'éclatement de la bulle Internet, et aujourd'hui de la bulle immobilière, à l'accélération des crises financière et monétaire. La fréquence de ces crises n'indique-telle pas que le système est fondamentalement vicié et instable ? Quelles en sont les principales faiblesses ?
L'économie mondiale tout entière repose aujourd'hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s'était constatée. Jamais sans doute il n'est devenu plus difficile d'y faire face. Jamais sans doute une telle instabilité n'était apparue avec une telle menace d'effondrement général.
Toutes les difficultés rencontrées résultent d'une méconnaissance d'un fait fondamental, c'est qu'aucun système décentralisé d'économie de marchés ne peut fonctionner correctement si la création incontrôlée ex nihilo (1) de nouveaux moyens de paiement permet d'échapper, au moins pour un temps, aux ajustements nécessaires. Il en est ainsi toutes les fois que l'on peut s'acquitter de ses dépenses ou de ses dettes avec de simples promesses de payer, sans aucune contrepartie réelle, directe ou indirecte, effective.
Au centre de toutes les difficultés rencontrées, on trouve toujours, sous une forme ou sous une autre, le rôle néfaste joué par le système actuel du crédit et la spéculation massive qu'il permet. Tant qu'on ne réformera pas fondamentalement le cadre institutionnel dans lequel il joue, on rencontrera toujours, avec des modalités différentes suivant les circonstances, les mêmes difficultés majeures.Alan Greenspan, l'ancien gouverneur de la Réserve fédérale américaine, a défini les bulles financières comme des phénomènes d'« exubérance irrationnelle ». N'avez-vous pas l'impression que c'est la totalité du système boursier qui est en proie à une exubérance irrationnelle ?
Qu'il s'agisse de la spéculation sur les monnaies ou de la spéculation sur les actions, le monde est devenu un vaste casino où les tables de jeu sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes. Le jeu et les enchères, auxquelles participent des millions de joueurs, ne s'arrêtent jamais. Partout, cette spéculation, frénétique et fébrile, est permise, alimentée et amplifiée par le crédit, puisqu'on peut acheter sans payer et vendre sans détenir. On constate le plus souvent une dissociation entre les données de l'économie réelle et les cours nominaux déterminés par la spéculation.La crise de 1929 vous semble-t-elle le modèle de toutes les crises en cours et à venir ? Si oui, y a-t-il des similitudes entre les crises boursières qui affectent depuis une dizaine d'années la planète et la Grande Dépression des années 1930 ?
On ne saurait trop insister sur les profondes similitudes, tout à fait essentielles, qui existent entre les crises actuelles et les crises qui les ont précédées, dont la plus significative est sans doute celle de 1929. Ce qui est réellement important en effet, ce n'est pas tant l'analyse des modalités relativement complexes, des « technicalities », des crises actuelles, qu'une compréhension profonde des facteurs qui les génèrent.
La crise de 1929-1934 n'était elle-même qu'une répétition particulièrement marquée des crises qui s'étaient succédé au XIXe siècle, et dont sans doute la crise de 1873-1879 avait été une des plus significatives. En fait, toutes les grandes crises des XVIIIe, XIXe et XXe siècles ont résulté du développement excessif des promesses de payer et de leur monétisation.
Le plus riche s'enrichit aux dépens des plus pauvresLes crises d'aujourd'hui ne sont-elles pas potentiellement plus dangereuses que celle de 1929 dans un contexte de mondialisation des échanges, de surendettement et de spéculation accru ?
En 1929, le monde était partagé entre deux zones distinctes : d'une part, l'Occident, essentiellement les États-Unis et l'Europe ; et d'autre part, le monde communiste, la Russie soviétique et la Chine. Entre-temps, la mondialisation croissante des économies a changé la donne.
Depuis les années 1970, une seconde différence, essentielle également, apparaît relativement au monde de 1929. La mondialisation précipitée et excessive a entraîné par elle-même des difficultés majeures. Une instabilité sociale potentielle s'est manifestée partout. Alors qu'en 1929, le chômage n'est apparu en Europe qu'à la suite de la crise financière et monétaire, il se constate dès aujourd'hui au sein de l'Union européenne et ne pourrait qu'être très aggravé si une crise financière et monétaire mondiale devait se développer.En quoi pourrait consister une réforme du système financier et monétaire international ?
Il faudrait entreprendre, premièrement, une réforme du crédit, qui rendrait impossibles à la fois la création de monnaie ex nihilo et l'emprunt à court terme pour financer des prêts à plus long terme. Cette double condition impliquerait une modification profonde des structures bancaires et financières qui devraient reposer sur la dissociation totale des activités bancaires : entre les banques de dépôt, de prêt et d'affaire, indépendantes les unes des autres.
Deuxièmement, il faudrait pouvoir garantir la stabilisation de la valeur réelle de l'unité de compte. Le fonctionnement d'une économie de marchés repose sur un très grand nombre d'engagements sur l'avenir. L'efficacité de l'économie, comme la justice, implique que ces engagements soient respectés, que les calculs économiques ne soient pas faussés, et que ni les créanciers ni les débiteurs ne soient spoliés. Il convient donc que tous les contractants soient réciproquement protégés contre les variations du pouvoir d'achat de l'unité de compte.Vous insistez également sur la réforme des marchés boursiers ?
C'est le troisième point. Le système actuel est anti-économique et n'est avantageux que pour de très petites minorités. Une seule cotation par jour sur chaque place pour chaque valeur serait de loin préférable. Elle réduirait considérablement les coûts, et elle serait favorable à tous les investisseurs petits et grands. Plus un marché est étendu et plus les cours qui s'y établissent sont significatifs et équitables.
Quatrièmement enfin, une réforme du système monétaire international, un nouveau Bretton Woods (2), est absolument nécessaire. Une monnaie internationale doit être créée. L'utilisation actuelle du dollar comme monnaie internationale a pour effet de financer les déficits américains par la Communauté internationale. Ce système aboutit à enrichir le pays le plus riche aux dépens de tous les pays plus pauvres. C'est là une situation scandaleuse et immorale à laquelle il doit être mis fin au plus tôt.
Ces quatre réformes sont indépendantes les unes des autres, et elles peuvent être appliquées séparément. Chacune d'elles serait bénéfique pour l'ensemble de l'économie. Mais, si elles étaient appliquées conjointement, leurs effets bénéfiques s'en trouveraient considérablement renforcés les uns par les autres.
Comment analysez-vous, vous qui êtes un grand Européen, la politique menée par l'organisation de Bruxelles, dont le rôle s'apparente de plus en plus à celui d'un cheval de Troie de la mondialisation ?
Depuis 1974, on a constaté dans tous les domaines une dérive technocratique, dirigiste, centralisatrice, unitaire et jacobine de la construction européenne. Non seulement cette dérive a entraîné partout des effets pervers, mais par ses excès même elle ne cesse de susciter de très fortes oppositions.
Les exemples de cette dérive sont innombrables.
Ainsi aucun droit de sécession n'est prévu pour permettre aux peuples de sortir d'une organisation qui ne tiendrait pas compte de leurs droits fondamentaux. C'est ainsi le droit essentiel des peuples à disposer d'eux-mêmes qui fondamentalement leur est refusé.L'ouverture des frontières européennes à la concurrence des pays émergents (aux coûts salariaux infiniment plus bas que les nôtres) n'est-elle pas pour nous suicidaire ? Ne menace-t-elle pas directement emplois et industries en Europe ?
Si, à partir de 1974, la politique libre échangiste de Bruxelles n'avait pas été appliquée, le produit intérieur brut réel par habitant en France serait aujourd'hui d'au moins 30 % plus élevé qu'il ne l'est actuellement, et il serait certainement au moins égal au PIB réel par habitant des États-Unis. Qui ne voit que les difficultés majeures auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui résultent pour l'essentiel de la diminution considérable du PIB réel qu'a entraînée pour nous la politique bruxelloise ?Pour quelles raisons le protectionnisme a-t-il si mauvaise presse ? Serait-ce parce qu'il semble la réponse la plus appropriée pour faire face à l'absence de régulation à l'échelle d'un monde dominé par les grands groupes ?
L'hostilité dominante d'aujourd'hui contre toute forme de protectionnisme se fonde depuis soixante-dix ans sur une interprétation erronée des causes fondamentales de la Grande Dépression. Or, le protectionnisme en chaîne des années 1930 n'a été qu'une conséquence, et non une cause, de la Grande Dépression. Il n'a constitué partout que des tentatives des économies nationales pour se protéger de conséquences déstabilisatrices d'origine monétaire.
Le véritable fondement du protectionnisme, c'est la protection nécessaire contre les désordres et les difficultés de toute sorte engendrées par l'absence de toute régulation réelle à l'échelle mondiale. Il est tout à fait inexact de soutenir qu'une régulation appropriée puisse être réalisée par le fonctionnement des marchés tel qu'il se constate actuellement.Quelles formes pourrait prendre ce protectionnisme ?
Sur le plan économique, il impliquerait notamment : une protection minimale des activités économiques, le principe étant que dans chaque secteur un pourcentage donné, par exemple 80%, de la consommation européenne soit assuré par une production européenne ; une protection minimale contre les désordres monétaires et financiers extérieurs à la Communauté européenne, ce qui implique notamment une profonde réforme des institutions monétaires et financières ; une protection minimale contre une immigration extérieure excessive et ses conséquences désastreuses ; le maintien d'une population active minimale dans l'agriculture et la pêche, car aucune nation ne peut survivre si elle ne reste pas profondément enracinée dans son sol, et si son autosuffisance alimentaire n'est pas assurée.Vous qui avez appelé à voter non au référendum du 29 mai 2005 sur le Traité constitutionnel européen, quelle forme constitutionnelle pourrait-on donner à l'Europe ?
L'organisation politique de l'ensemble des pays européens devrait à mon sens reposer sur une Confédération d'Etats souverains, confédération libérale, humaniste et démocratique préservant les intérêts fondamentaux de chaque nation. L'objectif essentiel étant de vivre ensemble dans des conditions respectant, dans ce qu'elles ont d'essentiel, les nations qui se sont lentement édifiées au cours des siècles.
Propos recueillis par François Bousquet Le Choc du Mois septembre 2007
1. « Le détenteur d'un dépôt auprès d'une banque le considère comme une encaisse disponible ; alors que dans le même temps la banque a prêté la plus grande partie de ce dépôt, qui, redéposée ou non dans une banque, est considérée comme une encaisse disponible par son récipiendaire. À chaque opération de crédit il y a ainsi duplication monétaire. Au total, le mécanisme du crédit aboutit à une création de monnaie ex nihilo par de simples jeux d'écritures. Reposant essentiellement sur la couverture fractionnaire des dépôts, il est fondamentalement instable.» Nouveaux Combats pour l'Europe, 1995-2002, Maurice Allais, Clément Juglar, 2002, p. 240.
2. Signés en 1944 à Bretton Woods (New Hampshire, États-Unis), les accords de Bretton Woods ont dessiné les grandes lignes du système financier international de l'après-guerre. Les pays signataires ont abandonné l'étalon-or au profit du dollar, convertibilité (du dollar en or) qui sera à son tour abandonnée en 1971. Le système financier vit depuis lors sous le régime des changes flottants. Maurice Allais préconise de le remplacer par un système de taux de change fixes (au besoin révisables).
Le Choc du mois septembre 2007
À lire de Maurice Allais
• Pour la réforme de la fiscalité, 1990
• Traité d'économie pure, 1994 (1re édition : 1943)
• Combats pour l'Europe 1992-1994, 1995
• Économie et intérêt, 1998 (1re édition : 1947)
• La Crise mondiale d'aujourd'hui, 1999
• La Mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance, 1999
• La Passion de la recherche. Autoportraits d'un autodidacte, 2001
• Nouveaux combats pour l'Europe 1995-2002, 2002
• L'Europe en crise. Que faire ?, 2005
Tous ces ouvrages sont parus aux éditions Clément Juglar, 62, avenue de Suffren, 75015 Paris. -
L'ARGENT
Introduction
« Le véritable ennemi, j'allais dire le seul, parce que tout passe par chez lui, le véritable ennemi si l'on est sur le terrain de la rupture initiale, des structures économiques c'est celui qui tient les clefs... c'est celui qu'il faut déloger... c'est le monopole! terme extensif... pour désigner toutes les puissances de l'argent, l'argent qui corrompt, l'argent qui achète, l'argent qui écrase, l'argent qui tue, l'argent qui ruine, et l'argent qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes ! » Cette envolée lyrique et romantique de François Mitterrand prête à sourire de nos jours puisqu'on a vu s'installer la société-fric sous son règne et que la gauche actuelle était prête à élire Strauss-Kahn à la fonction suprême. L'argent est un sujet passionnel où régnent le mensonge et l'hypocrisie. « Je hais les riches » (François Hollande). Beaucoup de ceux qui prônent un détachement de l'argent s'oublient parfois pour aller s'agenouiller devant « l'homme aux écus ». Aux enfants de bonnes familles on apprenait à ne pas mettre de prix sur les choses et ne jamais poser la question qui tue : « combien ça coûte ? ». L'argent pulvérise, ridiculise l'idée d'égalité entre les hommes puisqu'il établit les hiérarchies. Wiliam Sakespeare, auteur qui a mis la philosophie en théâtre écrivait : « lorsque l'argent précède, toutes les portes s'ouvrent ». Le silence de l'imbécile qui n'a rien à dire devient intelligent. L'homme laid paraît beau aux plus belles femmes. Bill Gates, l'homme le plus riche du monde lorsqu'il voyage est reçu comme un chef d'État. Pour l'argent, on va jusqu'à renier son pays, sa nationalité puisque plus rien n'est sacré, n'a d'importance face à l'ultime valeur. Pour trente deniers Judas trahit Jésus. Le patriotisme devient une valeur de « pauvres ». « Les pauvres, les sans-propriété n'ont que leur patrie » (Jean Jaurès).
Lorsque Depardieu pour des raisons fiscales envisage d'être Belge, puis Européen, puis citoyen du monde pour finir Russe, il ridiculise en fin de compte toutes ces identités.
Aristote
Aristote a écrit sur tout et bien sur sur l'économie et l'argent. Il nomme chrematistique la gestion de l'argent, la façon de l'accumuler. Il dénonce la spéculation « cette façon de gagner de l'argent est de toutes, la plus contraire à la nature » (Le Politique).
La Chrematistique selon lui peut-être bonne ou mauvaise. Elle est justifiée si elle consiste à acquérir des biens. Elle est non justifiable si elle consiste à accumuler de la richesse comme seule finalité.
Cette vision aristotélicienne sera reprise par Saint Thomas d'Aquin dans sa « Somme théologique ». « Or Aristote distingue deux sortes d'échange. L'une est comme naturelle et nécessaire et consiste à échanger... non plus pour subvenir aux nécessités de la vie, mais pour le gain. Voilà pourquoi le négoce, envisagé en lui-même, a quelque chose de honteux, car il ne se rapporte pas, de soi à une fin honnête et nécessaire ».
Marx
Pour Hegel le bourgeois s'identifie à ce qu'il possède. Reprenant des passages de Shakespeare et Goethe sur l'argent Marx dans les Manuscrits de 1844 aura des commentaires très puissants : Il reliera dans une économie monétarisée l'individu et sa puissance financière. « Ce que je peux m'approprier grâce à l'argent, ce que je peux payer, autrement dit ce que l'argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l'argent. Les qualités de l'argent sont mes qualités et mes forces essentielles en tant que possesseur d'argent. Ce que je suis et ce que je puis ce n'est nullement mon individualité qui en décide ». Par l'argent il y a donc une transformation de l'être. Marx la décrit en reprenant Shakespeare. « Je suis laid, mais je puis m'acheter la femme la plus belle. Je ne suis pas laid, car l'effet de la laideur, sa force repoussante est annulée par l'argent... ». « Je suis méchant, malhonnête, dépourvu de scrupules, sans esprit, mais l'argent est vénéré, aussi le suis-je de même, moi, son possesseur. L'argent est bien suprême, donc son possesseur est bon... » « Je n'ai pas d'esprit, mais l'argent étant l'esprit réel de toute chose, comment son possesseur manquerait-il d'esprit ? ».
L'argent dans la littérature
Les auteurs qui ont introduit l'argent au cœur des mobiles humains sont peu nombreux. Celui qui l'a mis comme huile, moteur de la société fut Balzac. La société est fondée sur la puissance financière des individus. L'auteur de la Comédie humaine donne même le détail de la richesse de chacun. Il y avait bien sur le personnage de l'avare comme Harpagon chez Molière. Il a un rapport sensuel, charnel avec sa fortune lorsqu'il met les deux mains dans son coffre. L'argent donne la sécurité et tous les possibles. Y toucher amoindrit sa potentialité. L'avare ne veut donc pas y toucher. Chez Balzac le père Grandet, bourgeois de Saumur joue ce rôle.
Dans les contes de Maupassant, l'argent aussi a parfois un rôle central comme dans la « Rempailleuse » ou « Garçon un Bock ». Un enfant découvre la laideur du monde à travers l'argent et ne s'en remettra jamais. Dans Bel-ami l'argent est omniprésent. Le « héros » se marie avec une femme riche, ce qu'on appelle réussir par les femmes. La réussite sociale est totalement liée à la possession de l'argent et tous les moyens sont bons pour y arriver. Inversement dans le livre « Le Grand Meaulnes » d'Alain fournier, l'argent est inexistant.
L'argent et la religion
Il n'y a que les catholiques pour être torturés par l'argent puisqu'il crée chez eux l'hypocrisie, la mauvaise conscience ou au mieux la « pudeur de l'argent ». Cette mentalité catholique vis à vis de l'argent s'est prolongée politiquement jusqu'à la gauche française. La déclaration de François Mitterrand au congrès d'Epinay était dans le fond très catholique. L'argent est intrinsèquement sale. Il représente la fin du monde de l'innocence.
Les protestants et les juifs ne connaissent pas ce déchirement. Dans le protestantisme la richesse personnelle signifie que Dieu récompense sur terre. Elle est donc le signe que l'on est prédestiné pour le paradis. Quant aux juifs, l'Église ayant interdit l'usure, ils se sont réfugiés dans les métiers d'argent.
Pour les musulmans même s'il faut être bon et généreux, lorsqu'on a de l'argent, on le montre sans pudeur. En France on constate que les protestants ont en général une réussite économique supérieure aux catholiques liée à leur « idéologie » comme le soutenait Max Weber dans sa thèse sur l'Ethique du protestantisme.
La fonction économique de l'argent
Toute l'analyse précédente ne doit pas faire oublier que l'argent est un simple intermédiaire pour faciliter les échanges. Il est plus efficace que le troc. On a assisté au cours de l'Histoire à une dématérialisation de l'argent.
D'une vache ou un animal on est passé à l'or et à l'argent puis les billets et maintenant la monnaie électronique. Pour Keynes l'or n'était qu'une relique barbare. Sur le plan international Nixon décréta l'inconvertibilité du dollar en or (15 Août 1971).
Avant on avait M-A-M'
On a avec le capitalisme A - M - A' ( avec A' > A)
M : marchandises M' : autre marchandise A', A : argent
Keynes critiquera l'amour de l'argent qui est antiéconomique et n'aura de cesse de vouloir « tuer » le rentier qui ne consomme pas assez et crée le chômage. « L'amour de l'argent comme objet de possession... distinct de l'amour de l'argent comme moyen de goûter aux plaisirs et aux réalités de la vie... sera reconnu pour ce qu'il est, une passion morbide plutôt répugnante, une de ces inclinations à moitié criminelles, à moitié pathologiques, dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales ».
Conclusion
L'argent crée admiration et ressentiment. Il suscite les passions les plus troubles et tous les vertiges. Chacun en fonction de son histoire, sa culture, sa religion, sa personnalité a un rapport avec l'argent qui lui est propre. Face à la toute puissance de l'argent y-a-t-il des contrepoids comme la beauté physique, un corps athlétique, la santé, l'intelligence pure, la culture, la sensibilité artistique ou la sensibilité tout court, la poésie, le cœur, le courage, la spiritualité, le romantisme... Une femme très belle fait infiniment plus tourner les têtes qu'un laidron richissime même si « l'homme aux écus » cherche à acheter la beauté. La pauvreté a t-elle aussi ses richesses ou les pauvres sont-ils condamnés à être affreux, sales et méchants ? Le fascisme prônait le mépris de l'argent ce qui était indécent et mal-séant pour la bourgeoisie libérale. Malgré son omnipuissance l'argent ne peut aussi rien contre l'échéance ultime même si l'on peut devenir l'homme le plus riche du cimetière. Pour finir la devise de l'écrivain étant : « nulla dies sine linea » nous la transposerons ici en « nulla dies sine pecunia ».
PATRICE GROS-SUAUDEAU