Panique dans les couloirs très feutrés du Sénat. Le Parisien a révélé, mardi 20 mai, l'ouverture par le parquet de Paris d'une information judiciaire pour des faits de « détournements de fonds publics », « abus de confiance » et « blanchiment », opérés au profit de plusieurs sénateurs UMP. Le montant total de ces opérations frauduleuses atteindrait près de 400 000 euros en deux ans.
Pourquoi une information judiciaire ?
Selon Le Parisien, l'ouverture de cette information judiciaire fait suite à une enquête préliminaire de plusieurs mois, menée par des policiers de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA). La BRDA avait elle-même été chargée d'enquêter après un signalement de la cellule antiblanchiment Tracfin.
Dans cette affaire, deux associations de loi 1901 posent problème : d'un côté l'Union républicaine du Sénat (URS), de l'autre le Cercle de réflexion et d'études sur les problèmes internationaux (Crespi). Selon les premières investigations, l'URS – dont le siège est situé à Saint-Valérien (Yonne) – a perçu des fonds de la part du groupe UMP du Sénat.
Ces fonds – versés directement en chèques et en liquide par la questure de la chambre haute, qui gère le budget du Sénat – ont ensuite été reversés sur les comptes de l'URS, puis aux membres de l'association, majoritairement fréquentée par des élus UMP anciens membres de l'UDF, croit savoir Le Figaro. « Entre les mois de décembre 2009 et mars 2012, l'URS a édité plusieurs chèques à destination d'une trentaine des 130 représentants UMP au Sénat pour un montant avoisinant les 210 000 euros (...). Les comptes de l'Union républicaine du Sénat ont aussi été débités de près de 113 000 euros en espèces », écrit Le Parisien.
Dans un second temps, le service Tracfin a suivi l'argent et repéré dès 2012 « des flux financiers suspects entre les comptes de l'URS et ceux du Crespi ». « Un virement de 70 000 euros a été effectué par l'URS au profit du Crespi. Par la suite, près de 60 000 euros ont encore été retirés, toujours en espèces, des comptes du Crespi. »
Au total, il s'agit donc de près de 400 000 euros qui pourraient avoir circulé en toute illégalité depuis la questure du Sénat vers les poches de certains élus UMP. Selon Le Parisien, ces fonds détournés étaient notamment destinés à rembourser les frais de relations publiques d'une trentaine de sénateurs UMP membres de l'URS, liés à de précédentes élections.
Comment se défend l'UMP ?
Quelques heures après la divulgation de ces informations, le groupe UMP au Sénat a publié un communiqué dans lequel il « dément formellement tout détournement de fonds publics » en précisant qu'il se tenait « naturellement à la disposition de la justice afin de fournir toutes informations nécessaires et utiles à la poursuite de l'enquête ».
Les enquêteurs de la BRDA ont établi que plusieurs chèques débités sur les comptes de l'URS avaient été émis sur consigne du sénateur de Haute-Savoie et trésorier du groupe UMP, Jean-Claude Carle – seul sénateur nommément visé dans l'enquête. Ce dernier aurait également signé plusieurs de ces chèques de manière frauduleuse puisqu'il n'avait pas de délégation de signature. Auditionné librement par les enquêteurs au mois de septembre, le sénateur aurait reconnu avoir paraphé une quarantaine de chèques, « pensant détenir une délégation de signature » en tant que trésorier du groupe UMP, et nié « avoir perçu des espèces », selon Le Parisien.
L'ancien ministre et sénateur UMP Henri de Raincourt, qui fut le maire jusqu'en 2011 de la ville de Saint-Valérien, où est enregistré le siège de l'URS, a pour sa part affirmé à Public Sénat qu'il n'y avait « rien d'anormal » dans cette pratique. Selon l'élu, « l'argent provient des crédits servant à rémunérer les assistants parlementaires. »
D'après Henri de Raincourt, « les sommes non utilisées sont renvoyées au groupe qui les distribue aux sénateurs au prorata du poids des anciennes familles qui composent l'UMP ». Le sénateur UMP défend ainsi la légalité de cette pratique, affirmant que la Constitution prévoit que les groupes politiques s'administrent librement, et qu'ils peuvent « à loisir accorder une subvention à une association composée par des sénateurs ».
Des zones de flou qui posent problème
Si les fonds perçus par les sénateurs UMP sont effectivement issus « des crédits servant à rémunérer les assistants parlementaires » comme l'affirme Henri de Raincourt, cela pose tout de même problème. Dans les faits, la gestion de ces crédits est assurée par l'AGAS, l'Association de gestion des assistants de sénateurs, avec des grilles salariales fixes. Les sénateurs peuvent ainsi, depuis 1976, utiliser les services de collaborateurs et disposent à cet effet d'un crédit mensuel de 7 548,10 euros pour la rémunération brute de base de leur équipe qui peut comprendre un maximum de cinq salariés. Dans les faits, si des sommes aussi importantes que les mouvements repérés par Tracfin n'avaient pas été utilisées, l'AGAS aurait dû réagir.
D'autant plus que cette hypothèse est minée par des sénateurs UMP eux-mêmes. Interrogé par Public Sénat sur l'affaire, Gérard Longuet – qui a succédé à Henri de Raincourt à la présidence du groupe UMP du Sénat de 2009 à 2011 – affirme que cette manière d'utiliser les crédits servant à rémunérer les assistants parlementaires n'a « plus court ». Reconnaissant que cette pratique a été utilisée, Gérard Longuet affirme que « la plupart des sénateurs aujourd'hui, compte tenu de la charge de travail, consomment la totalité de leur crédit de personnel ».
Enfin, une dernière question reste en suspens. Car si l'UMP dément toute pratique frauduleuse, pourquoi les deux associations de l'URS et du Crespi auraient-elles été créées et utilisées pour faire transiter ces fonds ? Si les transactions étaient légales, le groupe UMP aurait en effet pu reverser directement aux sénateurs l'argent utilisé.
http://www.oragesdacier.info/2014/05/ce-quon-sait-des-soupcons-de.html