L’Assemblée Nationale, dans sa folie actuelle, a voté nuitamment – comme disent les fonctionnaires de police – la suppression du délai de réflexion d’une semaine avant un avortement, exigence fondamentale de la loi Veil. On nous explique aujourd’hui, comme si on ne le savait pas d’ailleurs, que Madame Veil avait dû recourir à ce compromis, comme à d’autres, pour faire passer la pilule à l’époque, si l’on ose dire.
De même que cet acte, à l’origine seulement dépénalisé, est devenu au fil des ans un droit fondamental, un de plus ; de même que le Pacs est devenu le « mariage pour tous » ; de même la « fin de vie » deviendra l’euthanasie, évidemment. Toutes preuves accumulées de la duplicité des fabricants de « lois sociétales », et l’on voudrait que nous acquiescions benoîtement, en restant chez nous et en disant merci. Les cas tragiques, les épineux dilemmes, tout cela qui fonde l’existence humaine, tous arguments à l’origine brandis pour faire chouiner dans les chaumières sont aujourd’hui mécaniquement, systématiquement, diaboliquement oubliés pour consacrer des droits absolus, inaliénables, libérer on ne sait qui, on ne sait de quoi, mais libérer, sans que quiconque songe jamais qu’un droit ici, c’est une souffrance ailleurs. Au moins une obligation.
Droit à tout donc : droit de me marier avec qui je veux et droit de me divorcer quand je veux ; droit de n’avoir pas l’enfant que j’attends ; droit d’avoir celui que je veux, selon le mode de production que j’ai choisi ; droit de mourir quand je veux et comme je veux. Et tous les autres. Ils disent déconstruire, en réalité ils veulent seulement défaire. Défaire la précieuse tapisserie des siècles, tapisserie de haute lisse que notre monde chrétien avait bâtie. C’est une incroyable parenthèse qu’ils veulent refermer. Car en réalité, ils ne sont pas loin d’avoir raison : tout ceci, avortement, divorce, répudiation, euthanasie, c’était déjà le lot des Anciens. La seule différence, c’est que cela se pratique aujourd’hui derrière le voile gris de la technique, de sorte que cela ne se voie pas.
Mais nous qui sommes nés ici, et qui croyions que c’était aussi chez nous, et que l’Église dont nous héritions avait forgé un monde, non parfait, mais meilleur, voilà que nous comprenons que notre patrie n’est pas d’ici, ne peut pas en être. Voilà qu’il n’y a plus rien, dans ce qui se crée maintenant, que l’on puisse dire être, non pas à nous, mais de nous. En vérité, on pourrait dire dorénavant malheureux comme un catholique en France.
Ce n’est pas de la concurrence victimaire, enfin je ne crois pas, enfin je ne voudrais pas. Nous autres avons déjà notre victime, et pour l’éternité, et nous savons que nous en sommes les bourreaux, et parfois nous aimerions, ou nous voudrions nous identifier à lui, mais comme victimes de nous-mêmes et de personne d’autre, dolorisme comme on dit, ou masochisme comme l’on croit, et l’on nous l’a assez reproché. Bref, nous ne sommes pas juifs ni musulmans, très souvent blancs, parfois noirs et rarement arabes, ici en tout cas, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas être les victimes, et de toute façon nous n’avons pas envie de nous penser sous cet ordre-ci. Si ce n’était encore vaniteux, nous dirions que dans la grande compétition du « qui c’est qui fait le plus de mal à qui », nous sommes hors-concours. Mais dire que nous nous croyons les gardiens du monde serait ouvrir une nouvelle et atrocement longue controverse théologique et pour lors, la brûlure actuelle n’en serait guère cautérisée, au contraire. [....]
Jacques de Guillebon - La suite sur La Nef
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