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  • La majorité des Allemands ne veut plus aucun réfugié supplémentaire

    La majorité des Allemands ne veut plus aucun réfugié supplémentaire

    Tendance claire dans la crise des réfugiés : deux tiers des Allemands ne croient plus à la promesse de Merkel que « Nous allons réussir ».

    Ils ne sont plus qu’un sur cinq à croire que l’Allemagne peut encore accueillir d’autres demandeurs d’asile. Les partis de l’Union perdent les faveurs des électeurs.

    Face à la hausse du nombre de réfugiés en Allemagne, la volonté de la population de les accueillir s’évanouit. Selon une enquête représentative de l’institut de sondage YouGov, 56% des citoyens allemands considèrent que le nombre de demandeurs d’asile est trop élevé. Mi-septembre, 46% des sondés étaient de cet avis. A l’inverse, ils ne sont plus que 19% à penser que l’Allemagne peut encore accueillir des demandeurs d’asile. Auparavant, ils étaient 28%.

    Selon cette enquête, un tiers seulement des citoyens (32%) partagent aujourd’hui l’opinion de la chancelière fédérale Angela Merkel (CDU), qui a affirmé à plusieurs reprises, en considérant le nombre élevé de réfugiés mais aussi leur accueil et leur soutien matériel : « Nous allons réussir ». Début septembre, ils étaient encore 43%. 64% des sondés pensent désormais que cette affirmation est infondée.

    « La perte de confiance affaiblit l’Union »

    Selon un autre sondage, les partis de l’Union perdent également les faveurs des électeurs. D’après le « Meinungstrend » de l’institut INSA, dont la Bild-Zeitung rend compte mercredi, la CDU et la CSU atteignent leur point le plus bas depuis l‘élection au Bundestag de 2013. Si l’on votait dimanche, les partis de l’Union atteindraient 38%. C’est un point de moins que la semaine précédente. Lors de l’élection, CDU et CSU avaient rassemblé ensemble 41,5% des voix. Le patron d’INSA, Hermann Bunkert, a déclaré au journal : « Avec sa politique des réfugiés, la chancelière perd la confiance. Cette perte de confiance affaiblit l’Union. »

    Le SPD, désormais à 24,5%, les Verts à 10% et l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) à 6,5% gagnent chacun un point. Die Linke perd un point et atteint 9%. Le FDP stagne à 5%. Pour ce sondage « Meinungstrend » de l’institut INSA, 2190 électeurs ont été interrogés entre le 9 et le 12 octobre 2015.

    Frankfurter Allgemeine Zeitung
    14/10/2015 

    Source : Frankfurter Allgemeine Zeitung (14/10/2015)

    Titre original : Mehrheit will keine weiteren Flüchtlinge

    Traduction : F.S.

    http://www.polemia.com/la-majorite-des-allemands-ne-veut-plus-aucun-refugie-supplementaire/

  • Michel Drac : « La crise commencée en 2007 avec les subprimes n’est qu’un détonateur, la véritable charge n’a pas encore explosée » | Entretien pour Le Cercle Curiosa.

    En février 2013, nos concurrents et amis des éditions Alexipharmaque publiaient « Entretiens avec des hommes remarquables », un recueil d'entretiens réalisés par le Cercle Curiosa, avec Luc-Olivier d'Algange, Christian Bouchet, Klaus Charnier, Francis Cousin, Alexandre Douguine, Michel Drac, Arnaud Guyot-Jeannin, Thibaut Isabel et Laurent James. L'ouvrage est préfacé par Alain de Benoist.
    Avec leur aimable autorisation, nous publions aujourd'hui l'entretien de Michel Drac tout en vous proposant de vous procurer l'ouvrage en ebook pour découvrir les riches écrits des autres contributeurs...

    Le Cercle Curiosa : Dans la profession de foi de Scriptoblog, le site dont vous êtes un des fondateurs, nous pouvons lire la chose suivante : « L’esprit Internet, mis au service de la création littéraire. […] Ce site est destiné à tous ceux qui veulent, en écrivant, en lisant, en échangeant, refaire un sens, retrouver le goût du combat, refuser la passivité. […] Rejoignez-nous, restez vivant. » Au milieu des ruines du spectacle mondial, Internet peut donc nous aider à rester vivant et autonome ?
    Michel Drac : D’abord c’est mieux que rien. Ensuite, l’important, c’est d’en sortir si on y rentre. Il faut se méfier du tout Internet, parce que le pouvoir peut couper l’Internet ou le mettre sous contrôle, à la Chinoise, n’importe quand. Mais pour l’instant, c’est un bon moyen de faire circuler l’information et de construire du sens collectivement.
    La décroissance, en invitant chacun à la frugalité matérielle, peut-elle générer une ascèse spirituelle, un Retour aux Sources, et nous relié ainsi, tel un chaînon invisible, aux « principes immuables et éternels » (Guénon) ?
    L’actuel culte de la croissance n’est rien d’autre qu’une paraphrénie cherchant à se cautionner elle-même. Vous avez vu le film Shutter Island ? Eh bien DiCaprio dans ce film, c’est l’Occident contemporain. Ce que nous appelons la « croissance », c’est le mécanisme qui consiste à recycler le réel dans le cadre paraphrénique. La seule chose que mesure désormais la « croissance », c’est le territoire codé par le signe monétaire. Si demain on établissait la taxe carbone, « l’activité économique » des entreprises chargées de répercuter à leurs clients le poids de cette taxe entrerait dans le calcul du PIB ! Soyons clair, c’est un délire paraphrénique, et bientôt une paranoïa pure et simple. Donc, évidemment, il faut sortir de la « croissance » telle qu’on la mesure aujourd’hui. Faut-il pour autant sortir de la croissance réelle, c’est-à-dire l’expansion de la production ? Sur ce point-là, j’aurais tendance à donner une réponse plus nuancée. Il est clair que nous produisons beaucoup de choses inutiles voire nuisibles. Objectivement, si on fabriquait moins de téléviseurs, on ne se porterait pas plus mal. Par contre, nous manquons de biens de première nécessité, ou en tout d’une utilité manifeste.

    Je ne verrais pas d’inconvénients, par exemple, à ce qu’on fasse croître la production de nourriture saine, de logements décents, de vêtements solides et esthétiques à la fois. Et, n’en déplaise aux rêveurs, avec les densités de population contemporaines, ce ne sera possible que dans le cadre industriel. Je crois que nous avons besoin d’une autre croissance, pas forcément d’une décroissance. Il s’agit de sortir de la paraphrénie pseudo-productiviste induite par l’économie capitaliste contemporaine, qui se cherche constamment des débouchés, même insolvables à moyen terme, pour employer un énorme capital sur-accumulé. Qu’une autre mesure de la production intègre, dans ses paramètres, la nécessité de préserver, entre autres choses, le lien entre l’homme et la nature, entre l’homme et sa lignée, entre l’homme et le règne animal, n’est en rien incompatible avec la poursuite de la croissance, la vraie, celle de ce qui nous sert, celle de ce qui nous rend plus humains. Concernant maintenant la nécessité de l’ascèse, je pense, comme pas mal de monde avant moi, qu’il y a plusieurs types d’hommes dans l’humanité. Il est évident que les méditatifs se portent d’autant mieux qu’ils possèdent moins : ils recherchent les avantages spirituels de la non possession, condition sine qua non du non attachement. C’est une chose. Mais vous ne pouvez pas demander la même chose aux gens ordinaires. Eux, ils veulent « prendre du bon temps », « ne pas s’en faire ». Il n’y a aucun mal à ça, cette diversité humaine est une bonne chose. Il faut en tenir compte si on veut formuler un projet crédible et qui puisse être accepté par les masses – surtout après le conditionnement consumériste qu’elles ont subi.
    Donc, en résumé : pour une autre croissance, qualitative plus que quantitative, réelle et non virtuelle – avec, pour des minorités qui en feraient le choix, la possibilité d’une décroissance soutenable. Mais seulement pour ces minorités. Si tout le monde pouvait atteindre au non attachement, depuis le temps, ça se serait vu.
    Notre monde ne commence-t-il pas à ressembler à celui du film Resident Evil avec ses zombies, ses derniers humains et un virus qui aurait échappé au contrôle d’une hyperclasse refugiée sous terre, en Enfer ?
    Ce qui est sûr, c’est que notre monde commence à ressembler à l’Enfer tel que Bernanos le définissait : « L’Enfer, c’est de ne plus aimer. » C’est un enfer comique, d’ailleurs, parce que les damnés affectent souvent de s’y réjouir, n’ayant majoritairement pas conscience de leur condition. Cela étant, où est l’hyperclasse ? Je crois qu’ici, il faut, avant de répondre, définir le terme. Si par hyperclasse on entend, comme Jacques Attali, disons le 0,01 % le plus riche de l’humanité, les « hypernomades » titulaires d’un droit de résidence dans toutes les grandes capitales, je ne suis pas vraiment sûr que ces gens-là soient réfugiés sous terre, ni qu’ils aient perdu le contrôle de leur virus. On dirait plutôt qu’ils entendent se réfugier en altitude ; ils font du ski à Gstaad ou à Megève, et se moquent bien de ce qui peut se passer dans les plaines, là où l’air est pollué. Au fond, ils sont, à ce stade, plutôt contents de ce qui se passe, je suppose. Leur refuge, ils ne le vivent pas comme un enfer. Après tout, pour les démons, l’Enfer fait figure de paradis. Ensuite, si on s’intéresse au 0,000001 % de la population qui forme la vraie hyperclasse, c’est-à-dire ceux qui décident, et voient à long terme, là, il est possible que ces gens-là commencent à s’inquiéter pour de bon. Parce que, voyez-vous, la perte de contrôle, elle n’est pas là, mais on la sent venir. On n’est pas dans Resident Evil, on en plante juste le décor, pour l’instant. Ça viendra. Notre monde, à ce stade, me fait plutôt penser à La compagnie des glaces, pour prendre une autre référence grand public. Il y a les privilégiés, les actionnaires de la « Compagnie », qui ont des bulles chauffées où ils boivent des martinis à côté de plages artificielles paradisiaques ; il y a le populo, qui grelotte sur une terre frigorifiée, et se fait déplacer de force, le long de voies ferrées plus ou moins sûres ; et puis, tout en haut, chez les vrais patrons, il y a une angoisse diffuse, tandis que la « Sécurité » prend le contrôle de la « Compagnie ». Lisez ce vieux bouquin des 70’s. C’est terriblement daté sur certains plans, mais l’allégorie est bien vue, quand même.
    Pour parer à tout conflit pouvant faire surgir la Vérité à son sujet, le capitalisme procède à un renouvellement incessant de l’ordre. Ce renouvellement semble relever d’un recyclage, d’une recombinaison incessante des éléments de son système. Les possibilités de codage sont-elles infinies ?
    Non, rien n’est infini qui a été créé. Le capitalisme contemporain butera tôt ou tard sur ses limites. Il est d’ailleurs en train de le faire, je crois. Il va forcément falloir qu’il se réinvente en profondeur, cette fois. Il ne s’agira pas simplement de recombiner, la substance devra être modifiée. Nous sommes arrivés à un tournant majeur, le genre de ruptures qui ne se produisent qu’une fois par siècle, ou à peu près. La crise commencée en 2007 avec les subprimes n’est qu’un détonateur. La véritable charge n’a pas encore explosée, et elle est tout à la fois géopolitique, culturelle et écologique. Je crois qu’on ne peut plus poser les problèmes à l’intérieur du paradigme restreint défini par la critique intelligente des années 60-70 ; on change d’époque, de dimension. De braquet historique, si j’ose dire. C’est autre chose. 
    Les critiques dites « extrêmes », que ce soit celles de gauche ou de droite, semblent justement rivées à ces paradigmes obsolètes et de ce fait elles ne font que donner des coups d’épées dans l’eau, quand elles ne servent pas ce à quoi elles s’opposent. Quelles pourraient être les bases d’une critique radicale dont la lame serait de nouveau tranchante ?
    Ce qui me frappe, dans la plupart des discours dissidents contemporains, c’est qu’au fond, les gens qui les tiennent donnent l’impression de vouloir corriger le système. Pas d’accord. Nous ne sommes pas là pour corriger le système, ni même pour l’aider à s’auto-corriger. Rien ne peut nous faire plus plaisir de que de le voir incapable de s’amender. Certes, le spectacle est consternant, mais hauts les cœurs : pire ça sera, mieux ça sera ! Parce que pire ça sera, plus vite toute la boutique sera par terre ! C’est ici que nous devons introduire un nouveau concept. Quand je tiens ce genre de discours, en effet, « on » me fait remarquer que si le système implose, nous en subirons nous aussi les conséquences. À quoi je réponds : précisément, il s’agit de nous organiser pour ne pas en subir les conséquences. Ce n’est que quand nous n’aurons plus besoin du système que nous pourrons vraiment le combattre. La critique radicale redeviendra donc possible avec la réaffirmation d’une capacité à opérer une fracture dans le continuum sociétal. Nous devons être capables de produire progressivement une contre-société, que j’appelle « fractionnaire » pour indiquer que c’est plus qu’une dissidence, quasiment une sécession a-territoriale. C’est la voie de l’avenir, celle qui rendra possible la construction d’un rapport de force. Quand je vois des résistants qui écrivent des choses intelligentes, mais continuent à rechercher leur subsistance dans le système, sans s’organiser collectivement pour en sortir, j’ai envie de leur demander : et où vous croyez aller, comme ça ? Bien sûr, il m’est plus facile qu’à la majorité des gens d’entrer dans une telle logique. Ici, mon très ancien protestantisme joue un rôle, c’est certain. Quand vous admettez la double prédestination sur le plan spirituel, il est beaucoup plus facile de penser politiquement dans les catégories de la différence, de la hiérarchie, de la priorité. J’admets volontiers que les catholiques, qui se sont semble-t-il persuadés que l’Enfer était vide, auront quelques difficultés à le voir se remplir ici-bas, dans une assez respectable préfiguration. Eh bien, il va falloir qu’ils s’y résignent, parce que de toute façon, c’est ce qui va se passer si on continue comme ça. La question est de savoir si tout le monde y finira, dans cet Enfer simulé, ou si une fraction, se définissant en rupture d’avec le continuum sociétal, saura choisir une autre voie, construire un avenir alternatif. Votre lame tranchante, elle est là. Ce qu’elle tranche, c’est l’unicité de l’expérience humaine. Il faut arrêter de poursuivre cet objectif absurde : le salut de tous par tous. Certains peuvent se sauver eux-mêmes, d’autres pas, voilà la vérité. Dès qu’on pense ainsi, un nouveau champ de critique s’ouvre, mais surtout, plus important, un immense champ d’action, avec, pour commencer, la fabrication méthodique d’une nouvelle élite. Une élite qui tranchera à l’intérieur d’elle-même, en même temps qu’elle tranchera entre ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Et une élite qui pourra peut-être, si Dieu veut, le jour venu, sauver dans son sillage ceux qui n’avaient pas vocation à la rejoindre au départ, mais portent en eux, malgré tout, comme un feu endormi. Quant aux autres… Quelqu’un a dit, je crois, quelque chose comme : « ce qui penche, il faut le faire tomber ». Ce quelqu’un avait raison. Je crois bien que c’était Nietzsche, d’ailleurs.
    On évoque dans certains milieux le financement de la révolution bolchévique par les banques américaines et anglaises, faisant advenir rapidement et brutalement un « Capitalisme d’état » dans une société féodale et traditionnelle. Le communisme a-t-il été l’idiot utile du Capital comme l’est aujourd’hui notre social-démocratie vacillante ?
    Le Capital, avec un grand « C », est un principe. Or, les principes n’ont pas d’idiot utile, ils se déploient dans le réel, c’est tout. Le bolchevisme a consisté, concrètement, à fabriquer un capitalisme d’État qui préparait l’étatisme du capital, d’où la remarquable convergence des oligarchies stato-maffieuses russes avec les oligarchies mafio-étatiques occidentales, dans les années 1990. Je ne suis pas sûr qu’il faille y voir l’indice d’une planification, ça s’est peut-être fait tout seul, hasard et nécessité, si vous voulez. C’est la technique qui est le véritable moteur de l’histoire, ça devient de plus en plus évident – elle surdétermine tout le réel social, à commencer par l’évolution de la structure de classes. Le bolchevisme a prouvé que l’État n’était pas l’instrument qu’il fallait pour sortir du capitalisme, c’est tout. Il a été avalé par la technique, exactement comme le capitalisme occidental, et ça l’a conduit au même type de structure sociale, pour finir. Cela dit, évidemment, si on enlève le grand « C » et qu’on le remplace par un petit « c », alors là, on peut effectivement poser la question comme vous le faites – parce que dans ce cas-là, le capital, c’est des gens. Et les gens peuvent avoir leurs idiots utiles, évidemment. Le fait est que Lénine a été financé par le capital allemand – je ne dirais pas qu’il était un idiot utile, mais le fait est qu’on a voulu l’utiliser. Même chose pour Trotski, avec le capital américain. Enfin, américain… Pour aller plus loin dans le raisonnement, il conviendrait que je consulte préalablement un avocat bien versé dans la loi Pleven. Joker. 
    Si une révolution doit advenir, ressemblera-t-elle selon vous à une Seconde Révolution Française providentielle (Joseph de Maistre) ou bien à un djihad islamique, soit la « grande guerre sainte » contre l’ennemi intérieur introduisant la « petite guerre sainte » contre l’ennemi extérieur ?
    Pour faire la révolution, il faut une conscience politique. Cette conscience ne sera jamais produite par les masses, elle ne peut être secrétée que par une élite. La nature de cette élite indique la nature probable de la révolution future. Donc, où se trouvent, aujourd’hui, les élites révolutionnaires capables de secréter une conscience politique en rupture avec le système ? Il y a bien les milieux musulmans, mais ça pèse quoi ? En fait, pas grand-chose. Il ne faut pas être dupe des prêches enflammés : les musulmans ont vocation à rester minoritaires en France – que reste-t-il de « l’islam de toujours » chez la beurette consommatrice contemporaine ? Allons, comme Todd l’a très bien montré, nous allons vers ce qu’il appelle un « rendez-vous des civilisations ». Moi, j’appellerais volontiers ça un rendez-vous des suicides – mais sur l’existence du rendez-vous, je le rejoins. À part ça, quoi ? Eh bien à part ça, rien. La gauche est en miette, et à 80 %, elle est passée avec armes et bagages dans le camp de son adversaire historique. « L’extrême droite », n’en parlons pas : à part quelques boutonneux antifas qui veulent jouer les résistants avec sept décennies de retard (c’est moins dangereux), tout le monde sait très bien que ça se décompose entre : un tiers de braves gars complètement déphasés, un tiers d’opportunistes qui rêvent de se vendre à la droite d’affaires, un tiers de gens de passage, qui sont là surtout parce qu’ils ne savaient plus où aller. Quant à l’Église catholique, c’est une institution immense, admirable sans doute par sa longévité, et qui, je n’en doute pas, incarnera encore longtemps un pôle de résistance dans certains pays. Mais en France, on n’en parlera pas. Par moment, je me demande si ce n’est pas, en grande partie, une fausse Église catholique – une façade catholique, avec quelque chose de tout à fait différent derrière. Je suis sérieux, je me pose la question. Je ne parlerai pas non plus des églises protestantes – d’abord, elles se veulent modernes, ça dit tout ; ensuite, en France, de toute façon, c’est quantité négligeable. Le plus probable est que nous allons assister à la généralisation d’une révolte diffuse, produite spontanément par les masses dans un réflexe collectif. Sans élite pour la canaliser, cette révolte ne débouchera sur rien de probant, même si elle peut momentanément fragiliser le système. Conclusion : le boulot, c’est de produire une élite capable, le jour venu, de chevaucher cette révolte pour lui donner un sens. La providence s’occupera de nous donner une révolte à canaliser. Mais le canal, il faudra le creuser nous-mêmes.
    Si le Capital est la forme économique qui apparaît quand Dieu commence à mourir, peut-on en déduire qu’il est une forme de nihilisme actif ? Pourrait-on comparer le Capital à un trou noir, soit à un puits d’antimatière ?
    Votre question est intéressante. Qu’est-ce que Dieu ? La cause première, celle qui, par conséquent, porte en elle toutes les autres causes, y compris les causes finales. Dire que Dieu meurt, c’est dire qu’on admet qu’il n’existe pas de cause première, et que, donc, les causes finales ne sont pas prédéterminées. Il ne s’agit pas ici de « croire » ou de « ne pas croire » en Dieu, formulations totalement vides de sens et d’enjeu. Il s’agit d’une posture de l’être humain par rapport à l’être tout court. Dire que les causes finales ne sont pas prédéterminées, c’est dire qu’elles sont déterminables. Par qui ? Par l’homme. Ça, c’est le point de départ de la modernité, l’instant où nous sommes sortis de l’univers religieux. Une fois sorti de cet univers, toutes les anciennes morales explosent. On essaye bien de se raccrocher à la philosophie, mais c’est un pis-aller. Maïmonide ne peut survivre qu’à travers Spinoza, Luther à travers Leibniz. Ça ne marche pas : allez donc philosopher avec les foules – c’est une religion qu’il leur faut, pas une philosophie. Et puis, il y a Thomas d’Aquin, qui ne doit pas escompter la pitié de Descartes. 
    Bref, une fois sortis de l’univers religieux, puisque tout explose, nous voilà obligés de déterminer les causes finales, et sans l’équipement qui permettrait au moins de le faire proprement, avec des outils éprouvés. Alors, on bricole. Ça s’appelle l’idéologie, et ça commence en France, avec Montesquieu je crois, au fond, pour s’accomplir en Allemagne, avec Hegel. Chez Montesquieu, il s’agit de mettre le Droit à la place de Dieu. Chez Hegel, il faut déifier l’Histoire pour que l’État devienne le Messie. Rien de tout cela ne marche, bien sûr ; pas longtemps, en tout cas. Et pendant ce temps-là, dans une île perdue au nord du continent, un petit peuple trouve une solution idéologique qui fonctionne – temporairement du moins. Hobbes, Locke, Bentham et compagnie : le tour est joué. Puisque les causes finales ne sont pas prédéterminées, c’est qu’il n’y en a pas. C’est à ce moment-là que le capitalisme, en tant qu’idéologie, est né. Le Capital existait évidemment avant, et le capitalisme comme système économique date au moins du Moyen Empire Égyptien. Mais quant au capitalisme comme idéologie, c’est bel et bien en Angleterre, au XVII° siècle, qu’il prend son envol. Le capitalisme, en tant qu’idéologie, énonce qu’il n’y a pas de causes finales. Le Capital, comme principe, n’a donc pas d’autres justifications que lui-même, puisqu’il est la seule finalité du Travail. CQFD, en avant pour la conquête du monde, dégageons du profit, pillons la nature. La finalité, c’est d’y aller. Où ça ? On verra. En attendant, ça nous plaît, d’y aller. Utilitarisme, voilà le mot-clef. S’il n’y a pas de cause finale, alors, c’est que le Bien, c’est ce qui nous sert, nous, ici, maintenant. Si l’on scrute la pénombre pour discerner la « main invisible », si l’on dépouille la « société ouverte » de ses oripeaux, donc si l’on fout Adam Smith et Popper à poils, passez-moi l’expression, voilà le fond de l’affaire. Tout le reste en découle, à commencer par le désastre contemporain, dont nous parlions tout à l’heure. Et justement, c’est là que votre question devient intéressante. Parce que, voyez-vous, ce qui est très curieux, c’est que la négation du religieux nous ramène en plein dedans. Le capitalisme, au fond, ressemble de plus en plus à un culte idolâtrique sacrificiel. Le Capital comme principe, c’est Baal. Il y a des passages dans l’Écriture qu’on dirait écrits tout exprès pour dénoncer le capitalisme contemporain. Comme si, une fois sortis de l’univers religieux, nous étions obligés d’y retourner par le bas, par l’idolâtrie pure. René Girard a très bien montré, par exemple, comment les idéologies modernes étaient finalement construites sur un schéma assez proche de celui des cultes sacrificiels primitifs. Votre « puits d’antimatière » ressemble beaucoup à cette fente dans un mur, en haut des pyramides aztèques, où l’on jetait les cœurs des suppliciés pour nourrir je ne sais plus quelle divinité ethnique absurde. Donc, vous n’avez pas tout à fait tort, on dirait. 
    Justement, si l’idolâtrie pure est un substitut à la foi, soit une vision religieuse par le bas, est-il de notre devoir, pour renverser la tendance et réintégrer par le haut la Lumière Primordiale, de sacrifier les tenants du Capital, comme le héros du roman de Jef Carnac, Vendetta ?
    Vous noterez que Carnac a fait précéder son roman d’un avertissement : « c’est du second degré ». Il est donc clair que ce qu’il décrit n’est pas ce qu’il souhaite voir advenir. À mon avis, Vendetta, c’est ce qui se passera si nous ne parvenons pas à fonder cette logique « fractionnaire », dont je parlais plus haut. Si nous ne créons pas un espace en rupture, à l’intérieur duquel incuber le sens, l’absurdité débouchera sur les logiques criminogènes qui ont ensanglanté le XX° siècle. C’est tout l’enjeu, justement, de notre démarche : faire en sorte que la révolte soit canalisée vers la construction, au lieu d’être captée par les destructeurs.
    Auteur d’un livre intitulé La question raciale, comment aborder sereinement et sans complexe cet épineux sujet ? Quid de la race au sens antique et de la race au sens moderne ?
    Dans cet essai, j’oppose la race au sens antique à la race au sens moderne. La nuance est subtile, mais bien réelle : chez les Anciens, la race est une réalité biologique. Une « race » est une lignée. Alors que chez les modernes, la race est un agrégat statistique défini par un critère. À partir de là, je développe un argumentaire auquel on pourra adhérer ou pas, mais qui, dans mon esprit, a, disons, le mérite de soulever un certain nombre de questions d’ordinaires passées sous silence, et généralement non identifiées. En particulier, le caractère étonnamment réversible du racisme et de l’antiracisme dans la modernité : finalement, dans les deux cas, il y a réduction de l’humain à la donnée statistique, ultra-segmentée dans le cas du racisme, unifiée dans le cas de l’antiracisme, mais toujours statistique, mathématique, quantifiable. Bref, j’arrive à la conclusion qu’un antiraciste contemporain est souvent un raciste au nom de l’humanité métisse à venir, ou quelque chose de cet ordre. Comment aborder cet épineux problème ? En parlant clair, net, simple. Je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous étonner : j’ai parlé de cet essai avec des dizaines de lecteurs, dont beaucoup n’étaient pas de « race blanche ». Eh bien personne n’a été choqué, personne, parmi les lecteurs, ne m’a accusé de m’être montré insultant, ou quoi que ce soit de cet ordre. À part quelques forumistes crétins sur des sites pour idiots du web, qui ont parlé de mon livre sans l’avoir lu, personne ne m’a « nazifié » à cause de ce que j’ai dit. Ce qui prouve bien que quand on parle sereinement et sans se cacher derrière son petit doigt, avec respect pour tous nos frères humains, on peut parfaitement dire, comme je le fais, que la question raciale se pose. Ça ne choque que les petits gauchistes déréalisés, et autres guerriers du web à la con. Ça ne pose en revanche aucun problème aux personnes qui ne sont pas de la même origine que nous.
    Quel regard posez-vous sur l’eugénisme, ou plutôt sur les eugénismes ? Ce rejeton du scientisme et du positivisme, d’essence calviniste selon G. K. Chesterton, peut-il aider à la constitution d’une aristocratie biologique héréditaire, et ainsi contrebalancer l’élite oligarchique ?
    L’eugénisme me paraît effectivement en partie d’essence calviniste, sur ce point je rejoins Chesterton. Cela étant, il m’apparaît plus comme une pathologie induite par l’esprit puritain que comme l’essence même du calvinisme. C’est ce qui arrive quand on prolonge une pensée hors du paradigme au sein de laquelle elle a été formulée : on la retourne contre sa pure expression. Pour avoir lu Calvin, je peux vous garantir qu’il serait bien étonné si, revenu parmi nous, il constatait ce que ses héritiers ont fait de sa pensée ! Ce qui est inquiétant dans l’eugénisme, c’est qu’il pose l’homme comme un objet. Le sous-entendu, c’est que l’on peut, par la matière, réparer le Verbe. C’est le retournement de notre authentique héritage chrétien. Ce qui fonde l’aristocratie n’est pas la performance, mais l’esprit. L’aristocrate est digne de gouverner non parce qu’il est le plus fort, sélectionné racialement selon des méthodes pseudo-scientifiques, mais parce qu’il est le meilleur. Or, ici, que veut dire meilleur ? Courir plus vite, comme un lévrier ? Avoir un super-score aux tests de QI, comme un singe savant ? Non, cela veut dire : être digne de l’Amitié qui unit les âmes bonnes. Cela n’a rien, mais rigoureusement rien à voir avec l’eugénisme. En fait, la simple idée de recourir à l’eugénisme pour secréter une aristocratie prouve qu’on ne comprend plus ce qu’est une aristocratie. Il y a plus de noblesse chez un paralytique qui se dépasse aux jeux paralympiques que chez un sprinteur surentraîné qui triche avec des anabolisants, parce qu’un paralytique qui se dépasse réussit l’unité de son être et la réconciliation de son corps avec son âme. C’est tout.
    Si le Capital est une « brèche qui anéantit », n’y a-t-il que la Religion pour anéantir le néant ? Le Capital, miné par le poids de ses contradictions, finira-t-il, tel un Chronos s’auto-dévorant, par s’annihiler lui-même ?
    Le Capital, miné par le poids de ses contradictions, va s’écrouler, avec le poids de quelque chose comme 80.000.000.000.000 de dollars de créance irrécouvrable sur les épaules. Cela, c’est la rupture majeure, celle qui ne se produit qu’une fois par siècle. Mais, en s’écroulant, le Capital pulvérisera tout sur son passage, de sorte que ce n’est pas forcément lui qui mourra de sa chute. En fait, une fois qu’il aura détruit l’État, il se pourrait qu’il soit renforcé comme principe. C’est manifestement tout le projet de notre classe dirigeante. Là, pour l’instant, la dette fabriquée par le système capitaliste a été transférée aux États. Quand ils feront faillite, après avoir sauvé les banques, on érigera sur leurs ruines un État corporatif d’un nouveau genre – sans doute un État « eurocorporatif », s’agissant de notre continent. Un État « eurocorporatif » qui sera lui-même inclus dans un réseau plus vaste, une sorte de pouvoir corporatif mondial en gestation – un « globalitarisme », pour parler comme Virilio. Un « totalitarisme des totalitarismes », dont le seul objet sera de maintenir à l’échelle globale un fonctionnement totalitaire homogène dans son principe, bien que ses dispositifs idéologiques fonctionnels puissent varier localement. À ce moment-là, une fois de plus, le Capital aura gagné dans le monde. Il faut bien comprendre que la faillite fait partie intégrante de son être, ce n’est qu’une phase dans le processus de concentration des richesses, un moment dans une respiration. Et on se retrouvera, au final, avec un pouvoir capitaliste « globalitaire », structuré par une vision du monde infantile et perverse, et si profondément intégrée par les hommes qu’à de rares exceptions près, ils la percevront comme une simple description du réel. Ce sera une étape de plus dans le triomphe de l’Antéchrist, si vous voulez bien poser cela en termes mystiques. Après, évidemment, il y a la suite. C’est cela qu’il faut préparer, ce qui vient après ce moment où l’Antéchrist aura épuisé une de ses formes possibles. Nous verrons sans doute des convulsions annonciatrices, mais quant à l’évènement lui-même, nous ne le verrons pas avec nos yeux d’homme. Cela arrivera bien après notre mort. Nous aurons quelques victoires, ici ou là, sans doute, mais rien qui permette de faire imploser le Capital. Nous survivrons, c’est tout, pour transmettre ce que nous savons, pour que d’autres ensuite reprennent le combat, quand l’adversaire reviendra, sous une autre forme. Nous ne verrons jamais notre propre victoire. Entre nous, c’est une sacrée chance. Vous savez ce que nous faisons ici ? Je veux dire : nous, qui ne sommes pas dupes. Nous cherchons l’être. Et le fait de savoir que nous luttons pour après notre mort nous place en permanence dans la situation exacte de celui qui va mourir. Or, cette situation est la seule d’où l’on puisse contempler l’être. Vous vous rendez compte de notre chance ? Si nous gardons en tête que nous préparons la survie des hommes futurs qui traverseront le règne du Mal, nous vivons chaque instant de notre vie, là, exactement, présents totalement à nous-mêmes. L’anéantissement du Capital comme principe, nous pouvons le vivre à chaque seconde – à l’intérieur de nous. Ça a commencé depuis longtemps, et ça durera encore longtemps.

    http://www.scriptoblog.com/index.php/archives/actu-videos-auteurs/140-entretiens/1759-michel-drac-la-crise-commencee-en-2007-avec-les-subprimes-n-est-qu-un-detonateur-la-veritable-charge-n-a-pas-encore-explosee-entretien-pour-le-cercle-curiosa

  • Pourquoi le suicide de la Turquie ?

    Ex: http://www;europesolidaire.eu

    On peut se demander par quelle pathologie sociale un peuple de 77 millions d'habitants, jouissant de potentialités qui pourraient faire envie à la plupart des Etats européens, se laisse emporter par des réflexes venus du fond des âges, dont on pensait qu'avec Ataturk et surtout depuis les dernières années, quand il postulait l'entrée dans l'Union européenne, il avait commencé à se débarrasser.

    La question se pose plus particulièrement à l'égard des 15 à 20% de turcs occidentalisés qui auraient parfaitement leur place dans l'Union européenne, et qui se laissent entrainer comme les autres au désastre.

    Lors d'un séjour au Japon le 7 octobre, suivant un passage en France et en Belgique, le président Recep Tayyip Erdogan avait affirmé qu'il était préparé à se confronter avec la Russie, non seulement au sujet de violations supposées de son espace aérien, mais concernant l'intervention russe en Syrie, coupable de soutenir Bashar al Assad dans sa lutte contre l'Etat islamique (EI). Erdogan aurait ce faisant, a-t-il dit, le plein soutien des Etats-Unis et de l'Otan. Entre les lignes, on pouvait lire qu'il était ainsi prêt à provoquer un affrontement entre les deux plus grandes puissances nucléaires mondiales.

    Mais dans quels buts? Les attentats ayant frappé des manifestants pro-kurdes du parti Démocratique du Peuple (HDP), les 10 et 11 octobre peuvent peut-être suggérer quelques réponses. Il a été peu observé par la presse internationale que la police turque avait dès après les attentats puis lors des défilés de deuil ultérieur , attaqué aux gaz lacrymogènes les militants du HDP. De même le premier ministre intérimaire Ahmet Davutoglu avait interdit tout reportage sur ces attentats, ce qui ne fut d'ailleurs pas observé.

    Manifestement, pour Erdogan, l'ennemi à combattre sont les Kurdes. C'est d'ailleurs contre eux en Syrie qu'il réserve ses frappes aérienne, ménageant soigneusement les combattants de l'EI.  Il a été dit que ce faisant, il espère rallier les éléments turcs les plus conservateurs en vue de redonner une majorité absolue à son parti, l'AKP, aux prochaines élections du 1er novembre. Mais faire porter à Erdogan, autocrate mégalomane, la responsabilité du désastre menaçant aujourd'hui la Turquie, ne suffit pas. Ni Erdogan, ni son parti l'AKP, représentant les intérêts des riches industriels simultanément avec ceux des musulmans les plus arriérés, ne suffit pas. Il faut voir dans tout ceci la main, non comme l'on disait jadis de Moscou, mais de l'Amérique. 

    La main de l'Amérique

    Là encore, comme dans d'autres parties du monde, notamment en Ukraine, la responsabilité de cette descente aux enfers repose essentiellement sur la politique américaine. On dira qu'il est facile de faire des Etats-Unis la cause de tous les maux qui accablent l'Europe et le Proche -Orient. Cependant, il est difficile de nier que depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'Empire américain avait décidé de lutter par tous les moyens, hors l'affrontement atomique, contre l'URSS d'abord, la Russie ensuite.

    Ce furent d'abord la création de l'Union européenne puis de l'Otan, utilisées comme bastion avancés pour contenir puis faire reculer la Russie. Ce fut plus récemment l'embrigadement de la Turquie dans cette lutte. Si celle-ci, avec sa position géographique et ses richesses potentielles, avait rejoint la couronne d'Etats musulmans plus ou moins sensibles à l'influence de Moscou, une bonne part de la ceinture de sécurité, potentiellement offensive, dont l'Amérique avait réussi à entourer la Russie s'effondrait.

    Pour cela la diplomatie, l'armée et la CIA firent tout ce qu'elles pouvaient pour soutenir en Turquie des archaïsmes dont la plupart des Etats européens avaient réussi à se débarrasser: illusion de pouvoir créer un Etat islamique turc lointain successeur de l'Empire ottoman, refus d'une fédéralisation entre l'Etat turc et le Kurdistan turc, maintien de l'influence d'un islam rétrograde, anti féministe et anti-ouverture, acceptation de la domination au plan gouvernemental de partis directement représentants des maffias, répression de la minorité sociologique moderne proche de l'Europe à tous égards...Ajoutons que sous la pression américaine la Turquie avait du renoncer à servir de "hub" au gazoduc proposé par la Russie, prématurément nommé Turkishstream.

    Plus récemment, l'Amérique avait quasiment obligé la Turquie à servir de base arrière à l'Etat islamique (EI) lorsqu'il lui était devenu impossible de financer ouvertement celui-ci. Ceci au moment où les Kurdes du Parti de l'Union Démocratique, le PYD - le parti kurde syrien, qui administre le Kurdistan syrien depuis trois ans et qui est proche du Parti des Travailleurs du Kurdistan, le PKK en Turquie - combattaient l'EI à Kobané.

    Les Etats-Unis acceptèrent de laisser faire les bombardements turcs contre les positions kurdes en Syrie au moment où ils avaient prétendu inclure la Turquie dans la coalition d'Etats arabes initialisée par Obama et prétendant frapper l'EI en Irak et en Syrie. Dans le même temps, la Turquie était implicitement encouragée à faire passer renforts en matériels et combattants djihadistes destinés à l'EI, par sa frontière plus que poreuse avec la Syrie. Il y a tout lieu aussi de penser qu'elle a été incitée à abriter plus de 2 millions de réfugiés, non pas en vue de sauver ces derniers, mais d'en faire à terme la source de flux de migrants destinés à déstabiliser ceux des Etats européens qui montraient, telle l'Allemagne et la France dans la formation dite « Normandie », des velléités de rapprochement avec la Russie.

    Quant aux causes précises des derniers attentats, elles demeureront sans doute toujours ignorées, même si certains groupes manipulés les revendiquaient dans quelques jours. Disons que les manifestants démocratiques à Ankara, il est vrai petite minorité pourchassée, en butte elle-même à des attentas fomentés par le régime, comme l'est Selahattin Demirtas, co-dirigeant du HDP, tiennent clairement Erdogan et ceux qu'ils appellent sa clique de tueurs en série, responsables d'avoir provoqué l'attentat. Ceci afin que les forces conservatrices, effrayées , se rapprochent de l'AKP, le parti « islamo-conservateur » d'Erdogan, notamment lors des élections du 1er novembre, ou mieux encore, afin que ces élections soient reportées indéfiniment.

    Comment, a dit Demirtas, admettre qu'un Etat tel que l'Etat turc, disposant d'un réseau d'informateurs considérable (ndlr. directement informés du reste par la CIA et la NSA), n'ait pas eu vent de la préparation d'un attentat de cette ampleur. Aucun orateur du HDP, non plus qu'à ce jour du PKK, n'est allé cependant jusqu'à mettre en cause, comme nous le faisons ici, sinon directement, du moins indirectement, la responsabilité de Washington. Une certaine prudence reste nécessaire en Turquie.

    Notes

    Pour mieux s'informer sur la Turquie et sur le Kurdistan turc, on lira les articles de Wikipedia, qui semblent à première vue très objectifs

    Jean Paul Baquiast

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • Marcel Gauchet: «Le non-conformisme est globalement passé du côté conservateur»

    Philosophe et historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), le rédacteur en chef de la revue “Le Débat” est un intellectuel complexe. Penseur de gauche, héritier du libéral Raymond Aron, critique du marxisme, ainsi que de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault – idoles de la gauche contemporaine –, Marcel Gauchet ne peut pas faire l’unanimité. Radicalement anticapitalistes, au Comptoir, nous ne nous retrouvons pas dans le réformisme du philosophe. Pourtant, nous considérons que le père de l’expression « fracture sociale » fait partie des intellectuels qui aident à mieux comprendre notre époque, notamment grâce à l’analyse de la modernité développée dans “Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion” (Gallimard, 1985). Nous avons mis de côté nos divergences pour discuter avec lui de sujets aussi vastes que la démocratie représentative, la modernité, les droits de l’Homme, ou encore le libéralisme.

    Le Comptoir : Depuis trente ans, le taux d’abstention ne cesse de progresser, principalement au sein des classes populaires. Est-ce dû à l’aspect aristocratique d’un système représentatif qui ne favorise que les élites ?

    Marcel Gauchet : Deux choses dans votre question : le pourquoi de l’abstention et la grille d’explication que vous évoquez. Elle ne convainc pas sur le fond, même si elle touche à quelque chose de juste. Pourquoi voter quand l’offre ne propose plus d’opposition tranchée ? “Tous pareils”. L’Union européenne limite fortement la gamme des choix. Elle accentue l’effet de la mondialisation, en créant le sentiment que les gouvernants, de toute façon, ne peuvent pas grand-chose. “Ils causent, mais ils ne peuvent rien faire.” Enfin, cerise sur le gâteau, la politique est faite pour les gagnants de la mondialisation. Pourquoi les perdants iraient-ils approuver le fait qu’ils sont sacrifiés sur l’autel de la bonne cause? “Ils se foutent des gens comme nous.” La mondialisation, c’est l’alliance des riches des pays riches avec les pauvres des pays pauvres contre les pauvres des pays riches. Voilà les trois faits qui me semblent largement expliquer la montée de l’abstention, en particulier dans les milieux populaires. Il y a d’autres facteurs, plus diffus, comme la dépolitisation générale.

    Quant au rôle du système représentatif lui-même, en le qualifiant d’“aristocratique”, vous faites sans doute allusion à l’analyse de mon ami Bernard Manin. Je ne crois pas que ce soit le mot le plus approprié. La représentation, c’est effectivement un processus de sélection de gens supposément pourvus de qualités spéciales, dont celle de la représentativité. Mais cette représentativité peut très bien s’exercer contre les privilégiés. C’était le grand argument contre le suffrage universel pendant longtemps. Il était présenté comme le moyen pour les masses de faire fonctionner le pouvoir à leur profit grâce à de dangereux démagogues. Le système représentatif a été, de fait, le moyen pour réformer socialement nos régimes en d’autres temps. Il faut se demander comment il s’est retourné sur lui-même. Le problème est ailleurs, en un mot. Il ne faut pas confondre l’instrument et les conditions de son usage.

    Peut-on, dans ce cas, dire que le clivage gauche-droite n’a plus de sens et que le vrai clivage s’opère aujourd’hui entre défenseurs et pourfendeurs de la nation ?

    Pas du tout. Il y a une nation de droite et une nation de gauche. Il y a une anti-nation de droite, libérale, et une anti-nation de gauche, libertaire. Il y a la nation d’hier et la nation d’aujourd’hui. La nation de 2015 n’est pas, et ne peut pas être, celle de 1915. Et puis, il y a l’Europe : nation de substitution ou autre chose, mais quoi exactement ? La vérité est que le brouillage est complet. Tout est à redéfinir.

    Vous avez analysé la modernité comme la « sortie de la religion » associée à la montée de l’individualisme, que vous avez toutes les deux liées au christianisme. Or, selon-vous, l’« individu total »tue la démocratie. Un renouveau du politique passe-t-il nécessairement par un retour du religieux ? Une redécouverte du paganisme peut-elle être utile ?

    Aucun retour d’aucune sorte ne nous sera d’une quelconque utilité – il faudrait d’ailleurs qu’ils soient possibles, ce qui, en l’état, n’est pas le cas. Nous sommes condamnés à inventer. Cela commence par nous mettre en position de comprendre ce qui nous est arrivé pour nous retrouver dans cette impasse, sans anathèmes, exorcismes et autres “dénonciations”. Qu’est devenu le politique, par exemple, et pourquoi ? C’est le genre de travail auquel l’individu “total”, comme vous dites, n’est pas spontanément très disposé. Pourtant, il va falloir qu’il s’y mette, et il s’y mettra ! Les cures de désintoxication, c’est dur. Christianisme et paganisme sont des sujets très intéressants en soi, ce n’est pas moi qui dirai le contraire, mais ils ne nous aideront pas beaucoup pour ce travail, si ce n’est indirectement, pour nous aider à mesurer ce qui nous sépare de leurs univers. C’est là qu’est le sujet principal.

    « S’il n’y a que des individus et leurs droits, alors toutes les expressions culturelles émanées de ces individus se valent. »

    Vous critiquez les droits de l’Homme, tout en défendant la démocratie libérale : n’y a-t-il pas là une contradiction ? Comment critiquer les droits de l’Homme et leur universalisme abstrait sans pour autant tomber dans le relativisme culturel typiquement moderne ?

    Je ne critique pas les droits de l’Homme, je critique les applications qui en sont faites et les conséquences qu’on prétend en tirer, ce qui est fort différent. Il n’y a pas grand sens à critiquer les droits de l’Homme si on y réfléchit un peu sérieusement : ils sont la seule base sur laquelle nous pouvons établir cette chose essentielle dans une société qu’est la légitimité. Que pourrions-nous mettre d’autre à la place pour définir la norme des rapports entre les gens ou la juste source du pouvoir ? La seule alternative valable, ce sont les droits de Dieu. C’est d’ailleurs ce qu’ont bien compris les fondamentalistes. Il faut donc faire avec les droits de l’Homme. La question est de savoir s’ils ont réponse à tout. C’est là qu’est l’égarement actuel. Ils ne rendent pas compte de la nature des communautés politiques dans lesquelles ils s’appliquent. Ils doivent composer avec elles. Le politique ne se dissout pas dans le droit. Ils ne nous disent pas ce que nous avons à faire en matière économique, etc. La démocratie libérale, bien comprise, consiste précisément dans ce bon usage des droits de l’Homme qui leur reconnait leur place, mais qui se soucie de les articuler avec ce qui leur échappe et ne peut que leur échapper. C’est en ce sens qu’elle est le remède au droit-de-l’hommisme démagogique.

    De la même façon, cette vision de l’équilibre à respecter entre droit et politique permet d’échapper aurelativisme culturel, qui fait d’ailleurs système avec le droit-de-l’hommisme. S’il n’y a que des individus et leurs droits, alors toutes les expressions culturelles émanées de ces individus se valent. Mais s’il existe des communautés historiques qui ont leur consistance par elles-mêmes, alors il est possible de les comprendre pour ce qu’elles sont, d’abord, en faisant aux cultures singulières la place qu’elles méritent et, ensuite, en les distinguant au sein d’une histoire où nous pouvons introduire des critères de jugement. C’est, de nouveau, une affaire de composition entre des exigences à la fois contradictoires et solidaires. La chose la plus difficile qui soit dans notre monde, apparemment. La conférence de l’Unesco, qui a adopté la Convention sur la protection et la promotion des expressions culturelles en 2005, souligne expressément, selon ses mots, « l’importance de la diversité culturelle pour la pleine réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».

    Pour Hannah Arendt[i] et Karl Marx[ii], les droits de l’Homme consacrent l’avènement d’un homme abstrait, égoïste et coupé de toute communauté. De son côté, Simone Weil estimait que « la notion de droit, étant d’ordre objectif, n’est pas séparable de celles d’existence et de réalité » et que « les droits apparaissent toujours comme liés à certaines conditions ». On peut donc se demander si les droits de l’Homme peuvent vraiment avoir vocation à être universels. Marx pensait également qu’il aurait mieux valu un modeste Magna Carta, susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales, plutôt que ce « pompeux catalogue des droits de l’Homme ». La logique des droits de l’Homme ne transforme-t-elle pas la politique en simple procédure au détriment des libertés réelles ?

    Ne tirons pas de conclusions définitives sur l’essence des droits de l’Homme depuis ce que nous en observons aujourd’hui. Il est vrai que beaucoup de gens de par le monde trouvent grotesques les prétentions occidentales à l’universalisation des droits de l’Homme – non sans raison, étant donné les contextes sociaux où ils sont supposés s’appliquer. D’un autre côté, la débilité de nos droits-de-l’hommistes n’est plus à démontrer. Mais cela ne prouve rien sur le fond. Il a fallu deux siècles en Occident pour qu’on prenne la mesure opératoire du principe. Il est permis de penser qu’il faudra un peu de temps pour que leur enracinement s’opère à l’échelle planétaire. De la même façon, le mésusage de ce principe tel que nous le pratiquons actuellement dans nos démocraties peut fort bien n’être qu’une pathologie transitoire. C’est ce que je crois.

    Je pense que les droits de l’Homme ont une portée universelle en tant que principe de légitimité. Ils représentent la seule manière de concevoir, en dernier ressort, le fondement d’un pouvoir qui ne tombe pas d’en haut et ne s’impose pas par sa seule force, à l’instar, par exemple, des dictatures arabes. Ils sont également le seul étalon dont nous disposons pour concevoir la manière dont peuvent se former des liens juste entre les personnes dès lors qu’ils sont déterminés par leur seule volonté réciproque et non par leurs situations acquises. De ce point de vue, je suis convaincu qu’ils sont voués à se répandre au fur et à mesure que la sortie de la religion, telle que je l’entends, se diffusera à l’échelle du globe – c’est en cours, c’est cela la mondialisation.

    Maintenant, ce qui légitime ne peut pas se substituer à ce qui est à légitimer : l’ordre politique ou l’action historique. En Europe, c’est la folie du moment que d’être tombé dans ce panneau. C’est ce qui produit ce dévoiement que vous résumez très bien : la réduction du processus politique à la coexistence procédurale des libertés individuelles. Mais ce n’est pas le dernier mot de l’histoire, juste une phase de délire comme on en a connu d’autres. Elle est en train de révéler ses limites. Il y a un autre emploi des droits de l’Homme à définir. Ils n’ont pas réponse à tout mais ils sont un élément indispensable de la société que nous avons le droit d’appeler de nos vœux.

    « Non seulement la place du politique demeure, mais plus le rôle du marché s’amplifie, plus sa nécessité s’accroît, en profondeur. »

    Dans De la situation faite au parti intellectuel (1917), Charles Péguy écrivait : « On oublie trop que le monde moderne, sous une autre face, est le monde bourgeois, le monde capitaliste. » La modernité est-elle nécessairement capitaliste et libérale ?

    C’est quoi au juste “libéral” ? C’est quoi “capitalisme” ? Il serait peut-être temps de se poser sérieusement la question avant de brailler en toute ignorance de cause.

    Libéraux, nous le sommes en fait à peu près tous, que nous le voulions ou non, parce que nous voulons que tous soient libres de parler, de se réunir, mais aussi de créer des journaux, des radios, des entreprises pour faire fructifier leurs idées. La raison de fond de ce libéralisme qui nous embrigade, c’est que le monde moderne est tourné vers sa propre invention et que cela passe par les libres initiatives des individus dans tous les domaines. Et capitalistes, du coup, nous sommes amenés à l’accepter inexorablement parce que pour faire un journal, une radio, une entreprise, il faut des capitaux, des investissements, des emprunts, des bénéfices pour les rembourser, et ainsi de suite. Préférons-nous demander à l’État, à ses bureaucrates, et à ses réseaux clientélistes ?

    Ce sont les données de base. Après, vient la question de la manière dont tout cela s’organise. Et sous cet angle, nous ne sommes qu’au début de l’histoire. Nous avons tellement été obsédés par l’idée d’abolir le libéralisme et le capitalisme que nous n’avons pas vraiment réfléchi à la bonne manière d’aménager des faits premiers pour leur donner une tournure vraiment acceptable. Voilà le vrai sujet. Il me semble que nous pouvons imaginer un capitalisme avec des administrateurs du capital qui ne seraient pas des capitalistes tournés vers l’accumulation de leur capital personnel. De la même manière, nous avons à concevoir un statut des entreprises qui rendrait la subordination salariale mieux vivable. Après tout, chacun a envie de travailler dans un collectif qui a du sens et qui marche. Mais il faut bien que quelqu’un prenne l’initiative de le créer et de définir sa direction. Arrêtons de rêvasser d’un monde où tout cela aurait disparu et occupons-nous vraiment de le penser.

    « Foucault voit le pouvoir partout, Bourdieu détecte la domination dans tous les coins. Voilà du grain à moudre pour la “critique” à bon marché. »

    Dans son ouvrage majeur, La grande transformation, l’économiste Karl Polanyi montre que notre époque se caractérise par l’autonomisation progressive de l’économie, qui, avant cela, avait toujours été encastrée dans les activités sociales. Si on définit le libéralisme comme une doctrine qui tend à faire du marché autorégulateur – aidé par la logique des droits individuels –, le paradigme de tous les faits sociaux, est-il vraiment possible de l’aménager ? N’existerait-il pas une “logique libérale”, pour reprendre les mots de Jean-Claude Michéa, qui ferait que le libéralisme mènerait à une “atomisation de la société” toujours plus grande, qui elle-même impliquerait un renforcement du marché et une inflation des droits individuels, pour réguler la société ?

    Autonomisation de l’économie, soit. Mais jusqu’où ? Il ne faut surtout pas se laisser prendre au piège du discours libéral et de son fantasme de l’autosuffisance du marché autorégulateur. La réalité est que ce marché est permis par un certain état du politique, qu’il repose sur le socle que celui-ci lui fournit. Il en a besoin, même s’il tend à l’ignorer. Sa logique le pousse en effet à vouloir aller toujours plus loin dans son émancipation du cadre politique, mais cette démarche est autodestructrice et bute sur une limite. Elle suscite en tout cas inévitablement un conflit avec les acteurs sociaux à peu près conscients de la dynamique destructrice à l’œuvre. Nous y sommes. C’est en fonction de cette bataille inévitable qu’il faut raisonner, en rappelant aux tenants frénétiques du marché ses conditions même de possibilité. Non seulement la place du politique demeure, mais plus le rôle du marché s’amplifie, plus sa nécessité s’accroît, en profondeur. Nous ne sommes pas à la fin de l’histoire !

    Votre conférence inaugurale aux Rendez-vous de l’histoire de Blois de 2014, qui avait pour thème “Les rebelles”, a fait couler beaucoup d’encre, et a notamment été suivie d’un boycott de l’événement par l’écrivain Édouard Louis et le philosophe Geoffroy de Lagasnerie. La sacralisation post-68 de la culture de la transgression a-t-elle accouché d’une société faussement subversive et terriblement conformiste ? Être rebelle aujourd’hui ne consisterait-il justement pas à défendre une forme de conservatisme ?

    La réponse est dans la question ! Évidemment que les roquets qui m’ont aboyé dessus représentent la quintessence du néo-conformisme actuel, qui prétend combiner les prestiges de la rebellitude avec le confort de la pensée en troupeau. Les commissaires politiques “foucaldo-bourdivins” d’aujourd’hui sont l’exact équivalent des procureurs et des chaisières qui s’indignaient hier des outrages aux bonnes mœurs. Par conséquent, le non-conformisme, dans cette ambiance, est globalement passé du côté conservateur, vous avez raison. C’est un fait, mais ce n’est qu’un fait. Car le conservatisme n’est pas exempt pour autant de pensées toutes faites, de schémas préfabriqués et de suivisme. Le vrai non-conformisme est dans la liberté d’esprit et l’indépendance de jugement, aujourd’hui comme hier. Il n’est d’aucun camp.

    « Si j’apprécie la part critique de l’idée de l’institution imaginaire de la société, je suis pourtant peu convaincu par la philosophie de l’imaginaire radical que développe Castoriadis, ce qui ne m’empêche pas d’admirer l’entreprise. »

    Pierre Bourdieu et Michel Foucault ont-ils remplacé Karl Marx dans le monde universitaire français ? Le “foucaldo-bourdivinisme”, comme vous l’appelez, est-il selon vous le nouvel “opium des intellectuels”, pour reprendre la formule de Raymond Aron ?

    N’exagérons pas les proportions du phénomène. Comme vous le remarquez vous-même, il reste confiné à la sphère universitaire. Contrairement au marxisme, il n’a pas le mouvement ouvrier derrière lui. Mais il a, en revanche, un relais public assez important avec la complicité de l’extrême gauche présente dans le système médiatique. Il fournit au journalisme de dénonciation une vulgate commode. Foucault voit le pouvoir partout, Bourdieu détecte la domination dans tous les coins. Voilà du grain à moudre pour la “critique” à bon marché. C’est d’une facilité à la portée des débiles, mais avec une griffe haute couture. Que demander de mieux ?

    Il y a, depuis quelques années, un retour sur la scène publique des idées de Cornélius Castoriadis avec, notamment, la publication d’actes de colloque ou la grande biographie de François Dosse. Quel est votre rapport à l’œuvre de ce « titan de la pensée », comme le qualifiait Edgar Morin ?

    J’espère que vous avez raison sur le constat et que la pensée de Castoriadis est en train de trouver l’attention qu’elle mérite. Elle est autrement consistante que les foutaises qui occupent le devant de la scène. Cela voudrait dire que les vraies questions sont peut-être en train de faire leur chemin dans les esprits, en dépit des apparences. Je ne peux que m’en réjouir. Je dirais que nous étions fondamentalement d’accord sur la question, justement, et en désaccord sur la réponse à lui apporter. Nous étions d’accord, d’abord, sur le brouillage intellectuel et politique dans lequel nos sociétés évoluent à l’aveugle. Et au-delà de ce constat critique, nous étions unanimes sur la voie pour en sortir : il faut ré-élaborer une pensée de la société et de l’histoire – seule à même de permettre de nous orienter efficacement – en mesure de prendre la relève du fourvoiement hegelo-marxiste. De ce que les pensées antérieures en ce domaine ont erré, il ne suit pas que toute pensée en la matière est impossible, comme nous le serinent les insanités postmodernes. C’est sur le contenu de cette pensée que nous divergeons. Si j’apprécie la part critique de l’idée de l’institution imaginaire de la société, je suis pourtant peu convaincu par la philosophie de l’imaginaire radical que développe Castoriadis, ce qui ne m’empêche pas d’admirer l’entreprise. Elle ne me semble pas éclairer l’histoire moderne et ses prolongements possibles. C’est pourquoi je me suis lancé dans une autre direction en élaborant l’idée de sortie de la religion. Le but est précisément d’élucider la nature de ce qui s’est passé en Occident depuis cinq siècles comme chemin vers l’autonomie et les difficultés présentes sur lesquelles butent nos sociétés. Pour tout dire, j’ai le sentiment que l’idée d’imaginaire radical est avant tout faite pour sauver la possibilité d’un projet révolutionnaire, plus que pour comprendre la réalité de nos sociétés. Elle empêche Castoriadis de mesurer la dimension structurelle de l’autonomie qui rend possible la visée d’autonomie.

    Cela dit, ces divergences de vue se situent à l’intérieur d’un même espace de questionnement et c’est pour moi ce qui compte au premier chef. La discussion a du sens, elle n’est pas une dispute avec du non-sens. C’est l’essentiel.

    Entretien réalisé avec l’aide de Galaad Wilgos

    Nos Desserts :

    Notes :

    [i] « Le paradoxe impliqué par la perte des droits de l’Homme, écrit-elle, c’est que celle-ci survient au moment où une personne devient un être humain en général […] ne représentant rien d’autre que sa propre et absolument unique individualité qui, en l’absence d’un monde commun où elle puisse s’exprimer et sur lequel elle puisse intervenir, perd toute signification. » Hannah Arendt,L’impérialisme, Fayard, 1982.

    [ii] « Aucun des prétendus droits de l’Homme ne s’étend au-delà de l’homme égoïste, au-delà de l’homme comme membre de la société civile, à savoir un individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et son caprice privé, l’homme séparé de la communauté. » Karl Marx, À propos de la question juive, 1843.

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

    http://comptoir.org 

  • PIERRE YVES ROUGEYRON "Les nouveaux visages de l'impérialisme"

  • Appel de Jean-Marie Le Pen au Conseil régional de Provence pour que ses partisans se rallient à la candidature de Marion

    Plusieurs conseillers régionaux du FN de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, s’étaient désolidarisés de la direction du FN après l’exclusion de Jean-Marie Le Pen, et c’étaient donc écartés de la candidature de Marion. C’est à ceux-ci que s’adresse Jean-Marie Le Pen et à ceux qui les suivent parmi les militants. 
    Jean-Marie Le Pen est l’actuel Président du groupe Front national au Conseil régional de PACA à Marseille. Le groupe FN de PACA est le plus important de France.

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  • Anthropologie politique. Une société anti-humaine. L'enracinement territorial

    Tout homme a des racines territoriales, en ce sens qu'il s'identifie à un territoire qui fait partie de son patrimoine moral. Il connaît les lieux de ce territoire, il est attaché à sa physionomie, son histoire et les personnes qui y habitent.

    Le déracinement n'est pas d'aujourd'hui et on a connu, depuis l'Antiquité, des migrations plus ou moins importantes, suivies d'un ré-enracinement, c'est-à-dire de l'appropriation d'un nouveau territoire par les déracinés qui ont donc fait muter leur identité en adoptant une nouvelle terre. Cette terre, avec le temps, pouvait devenir une patrie, c'est-à-dire la terre des pères. Ainsi, les Celtes quittant l'Europe orientale et l'Asie centrale pour l'Europe de l'Ouest se sont-ils déracinés pour s'installer dans des espaces nouveaux dont ils firent leur patrie. Ils les façonnèrent, mais aussi leur culture évolua selon les lieux. C'est pourquoi les Celtes ne sont pas les mêmes selon qu'ils aient vécu en Gaule, sur l'île de Bretagne, en Hispanie ou en Italie du Nord. Les hommes présents avant eux sur ces lieux et les particularités géographiques de leurs nouveaux États ont contribué à les façonner, autant qu'ils les façonnèrent.

    Un phénomène comparable, mais de plus grande ampleur, peut être observé avec la construction des Etats-Unis au XIXe siècle, État né très largement des migrations venues de toute l'Europe, en somme de déracinés qui se sont approprié la terre américaine et en sont devenus les patriotes.

    L'enracinement n'est pas réduit à l'image du clocher et des pâturages. On peut parler, en France ou en Belgique, de ré-enracinement pour les ouvriers du XIXe siècle qui, déracinés de leurs campagnes, jetés dans l'univers déshumanisé des centres industriels, se les sont appropriés, les ont justement humanisés en leur donnant une identité. Il y a, dans ces centres ou anciens centres ouvriers, encore aujourd'hui, une architecture, une culture spécifiques, fruit de la vie de ces hommes pour lesquels ces lieux sont devenus la patrie, la terre des pères.

    L'enracinement est une donnée de nature, en ce sens que l'on naît forcément quelque part et que l'on vit, soit dans ce lieu, soit dans un autre, avec le désir d'y faire souche. Si l'on veut quitter sa terre, ce n'est pas pour devenir un apatride, mais pour faire souche quelque part. En somme, on se sent toujours d'un lieu, ou l'on aspire à se sentir d'un lieu, en somme à avoir une pierre ou reposer notre tête… C'est pourquoi, outre le donné de nature, on peut dire que l'enracinement est un besoin vital. Il ne peut pas y avoir de communauté humaine solide sans la stabilisation du peuplement sur un territoire. Cette communauté ne s'exprime pas seulement par des rapports économiques, mais aussi par des échanges culturels, spirituels, amicaux ou matrimoniaux. Pour que ces échanges soient possibles il faut qu'il y ait, à un moment ou un autre cet enracinement qui façonne l'identité, c'est-à-dire qui contribue autant que ma famille, ma foi et mon métier à dire « qui je suis ».

    Aujourd'hui, en Europe et plus spécialement en France, il est permis de parler de déracinement perpétuel. Celui-ci est d'autant plus préoccupant. En effet, jusqu'au milieu du XXe siècle, les historiens ethnologues pouvaient écrire que les bassins de peuplement français et européens étaient demeurés sensiblement les mêmes depuis la préhistoire. Il n'y avait pas eu de bouleversement humain majeur malgré les invasions, les migrations ou les catastrophes demeurées marginales par rapport au total du peuple. Les hommes avaient changé mais ils étaient, majoritairement, toujours là où s'étaient installés leurs ancêtres dans la nuit des temps.

    Actuellement, la nécessité de quitter sa région ou son pays pour ses études ou pour sa carrière professionnelle entraîne un chamboulement de ces équilibres humains. La tendance s'est inversée et, du moins en France, les jeunes hommes ayant effectué toute leur vie sur un seul territoire sont devenus la minorité, tandis que les autres se sont déracinés pour leurs études ou leur métier. Ce ne serait pas bien grave dans les relations humaines si ce déracinement était suivi d'un ré-enracinement. Mais la multiplication des mouvements géographiques au cours de la vie rend plus difficile le ré-enracinement. En outre, souvent la nouvelle installation se fait dans un territoire déjà bâti et saturé de constructions correspondant à un patrimoine tout à fait étranger, comme les barres HLM où s'entassent des millions de pauvres, sans possibilité pour eux de s'approprier les lieux par la construction.

    Par ailleurs, l'affaiblissement de la structure familiale qui crée des bataillons d'orphelins sociaux, amoindrit encore plus les possibilités de ré-enracinement. En effet, il est plus difficile pour l'homme seul d'être identifié par ses semblables dans un territoire nouveau, et il lui est plus difficile d'y tisser ses liens sociaux. L'isolement social et familial diminue la capacité d'insertion territoriale et donc d'identification. L'orphelin, en somme, à l'échelle d'une région ou d'une ville, devient un apatride.

    Ce sentiment est encore renforcé par l'état actuel des lois de succession, où le partage équitable entre héritiers et le versement de droits à la puissance publique, rend souvent nécessaire la vente de la maison parentale, perçue comme la maison de l'enfance ou des ancêtres, sans qu'il y ait possibilité de racheter un bien dans le même lieu ou dans le voisinage, faute de réunir le capital suffisant à cause de l'éclatement du patrimoine hérité et de sa diminution par la fiscalité.

    On peut dire que tout est fait, dans notre monde, pour créer des générations entières d'apatrides déboussolés et donc d'autant plus fragiles devant l'oppression qu'ils ont moins de repères où se réfugier pour mieux résister.

    Comme pour la famille, ce mal frappe en premier lieu les populations socialement les plus fragilisées, car disposant du moins de ressources financières ou d'assise territoriale pour rester en un lieu sur plusieurs générations ou pour se l'approprier en cas de migration.

    Cet isolement territorial est doublé d'un isolement dans l'emploi.

    A suivre…

    Du même auteur :   Anthropologie politique. Une société anti humaine. La Famille

    http://www.vexilla-galliae.fr/points-de-vue/editoriaux/1573-anthropologie-politique-une-societe-anti-humaine-l-enracinement-territorial

  • Allons-nous intervenir en Libye au profit d’Al Qaïda et des Frères musulmans ?

    Bernard Lugan : En Libye, près de 300 kilomètres de littoral sont aux mains d’un État islamique que rien ne semble pouvoir arrêter. A partir de cette fenêtre sur la Méditerranée, des terroristes mêlés aux clandestins rebaptisés « migrants » s’infiltrent en Europe. (NDCI : Daesh n’a pour l’instant aucun intérêt à infiltrer des combattants sur notre sol. Il cherche au contraire à recruter le plus possible. Par contre, des « rebelles » de l’ASL et des miliciens chiites ont été retrouvés. Ils fuyaient la guerre.) Contrairement aux annonces de la presse internationale, les efforts désespérés de M. Bernardino Leon, Émissaire des Nations unies pour la Libye, et qui, depuis plus d’un an, cherche à obtenir un accord inter-Libyen, n’ont pas débouché sur une solution politico-militaire viable.

    Face à cette situation plus que périlleuse pour notre sécurité, une opération militaire serait donc envisagée. Or, celle à laquelle pensent nos diplomates aurait pour résultat de donner le pouvoir à des islamistes aussi dangereux que ceux de l’Etat islamique…

    Comme en Syrie où, si le président Poutine n’avait pas sifflé la fin de la récréation, (NDCI : il est probablement un peu tôt pour l’affirmer) le Quai d’Orsay voulait faire remplacer le président Assad par de « gentils démocrates » salafistes. En Libye, ce serait au profit des Frères musulmans et d’Al-Qaïda (ou de ses diverticules) que nos forces pourraient être engagées. Comme elles le furent hier à l’avantage des musulmans de Bosnie et du Kosovo…

    L’idée française serait en effet  de miser sur la cité-Etat de Misrata, fief des Frères musulmans et base avancée turque en Libye. Ses milices [1] sont certes parmi les plus opérationnelles du pays, mais elles sont détestées par la plupart des tribus de Tripolitaine et de Cyrénaïque. Intervenir en appui de Misrata permettrait peut-être de freiner les forces de l’Etat islamique, mais en nous aliénant les vraies forces vives du pays.

    Ce plan envisagerait également un renforcement de la coopération avec les islamistes de Tripoli qui reçoivent actuellement des renforts jihadistes acheminés par voie aérienne depuis la Turquie. Comme si, pressé en Syrie par la Russie, le président Erdogan voulait ouvrir un second front en Libye.

    Or, et il importe de ne pas perdre de vue deux éléments essentiels :

    1) Comme notre ami-client égyptien est en guerre contre les Frères musulmans d’Egypte, l’arrivée au pouvoir de cette organisation en Libye ferait courir un danger mortel au régime du général Sissi.

    2) Aucune intervention franco-européenne ne peut se faire sans, au moins, la neutralité de l’Algérie. Or, qui commande à Alger ? Les clans qui guettent la mort du président Bouteflika pour s’emparer du pouvoir ont en effet des positions contradictoires à ce sujet. Certains sont farouchement opposés à toute intervention étrangère, d’autres l’accepteraient sous certaines conditions, cependant  que ceux qui espèrent obtenir le soutien des islamistes feront tout pour torpiller une opération franco-européenne.

    La réalité est donc cruelle. Ce n’est pourtant pas en la niant que nous avancerons. Face au chaos libyen il n’existe en effet pas de solution miracle qui permettrait de refermer les plaies ouvertes par MM. Sarkozy et BHL.

    La solution consisterait peut-être à « renverser la table » et à changer de paradigme en oubliant les « solutions électorales » et les constructions européo-centrées fondées sur les actuels acteurs libyens. Comme rien ne pourra se faire sans les tribus, c’est donc en partie sur ces dernières que toute opération viable devrait être fondée. Autrement, dans le théâtre d’ombres libyen, nos figurants politiques ne feront que traiter avec des figurants locaux.

    Le problème de fond est que les alliances tribales sur lesquelles reposait l’ordre socio-politique libyen ont été éclatées par l’intervention franco-otanienne de 2011. Dans le vide alors créé se sont engouffrés des acteurs secondaires devenus artificiellement les maîtres du jeu. Qu’il s’agisse de Misrata, des islamistes de Tripoli et de Derna, puis ensuite de ceux de l’Etat islamique.

    Toute pacification de la Libye passe donc par :

    1) Le rééquilibrage entre les vrais acteurs tribaux et ces acteurs secondaires devenus incontournables et qu’une intervention franco-européenne aboutirait à installer seuls au pouvoir.

    2) La levée du mandat d’arrêt international lancé contre Saïf al-islam Kadhafi qui est le seul actuellement en situation de pouvoir reconstituer les alliances tribales libyennes (voir mon communiqué en date du 24 septembre 2015).

    Très modestement, il faut bien voir que ce sont là des mesures de long terme. Or, dans l’immédiat, il est urgent de bloquer la progression de l’Etat islamique tout en coupant le flot migratoire partant essentiellement des zones tenues par ceux que nos diplomates considèrent déjà comme nos « alliés », à savoir les  islamistes de Tripoli et les Frères musulmans de Misrata…

    Alors, oui à une intervention, mais à la condition de ne pas la lancer à la légère.

    Bernard Lugan, 15/10/2015


    [1] Ce sont elles qui lynchèrent le colonel Kadhafi.

    http://www.contre-info.com/allons-nous-intervenir-en-libye-au-profit-dal-qaida-et-des-freres-musulmans#more-39586