On vient de concélébrer le premier anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Jupiter mais aussi, dans la foulée, de celle des macroniens.
Du résultat, totalement inattendu 6 mois plus tôt, du scrutin de deuxième tour 7 mai 2017 il n’est pas sérieux de prétendre qu’il soit sorti un pays vraiment mûr pour un quelconque programme de réformes. Ce jour-là, on vit l’effondrement, provisoirement définitif, ou définitivement provisoire selon les points de vue, des espoirs qualifiés aujourd’hui de populistes. Ce mot reste considéré comme très péjoratif alors qu’il n’est guère différent dans son principe de celui de « démocrate ». Pouvoir du peuple, ou gouvernement du « demos », en quoi est-ce si différent ?
Tant le chef de l’État lui-même que le chef du gouvernement, nommé le 15 mai, sont alors apparus comme par surprise, au point que nous en oublions que cette rupture apparente ne change pas grand-chose au problème de ce qu’on appelle le modèle social français
Toute réflexion sur ce prétendu « modèle » doit partir du constat de son ambivalence, de son énorme contradiction.
D’une part, il évolue de plus en plus vers des privilèges accaparés par la haute technocratie, et par ce que Beau de Loménie caractérisait comme les dynasties bourgeoises.
D’autre part, il développe un discours et des pratiques, tant culturelles qu’éducatrices exceptionnellement égalitaristes, au rebours de l’évolution concrète du monde.
L’exemple le plus frappant d’une telle dichotomie se manifeste dans l’enseignement supérieur français, très différent en cela des autres grands pays : d’un côté quelque 2,5 millions d’étudiants dans des facultés submergées et paupérisées, de l’autre quelques grandes écoles destinées à la production, et à la reproduction, des élites.
Idéologiquement cependant, la doctrine de l’Égalité n’est remise en cause par personne, et surtout pas par ceux qui, dans l’épaisseur des choses, lui tournent résolument le dos.
Tout le métier de nos hommes politiques, et de la tradition radicale socialiste dont ils découlent, consiste à camoufler cette hypocrisie. Ils ont procédé de la sorte dès le XIXe siècle. À cet égard, et en dépit de la masse des communicants qui l’entourent, le président Macron détonne : il laisse encore échapper des membres de phrases qui choquent les bien-pensants de la république. Visiblement, l’égalité ne lui semble pas acquise. Et son mépris ou sa condescendance transpire pour les pue-la-sueur et les mains calleuses. Hollande les appelait déjà les sans-dents. Mais lui, l’affreux, n’employait cette expression qu’en privé. Il aura fallu toute l’indiscrétion et toute la rage d’une compagne trompée pour que l’indécente formule fût dévoilée.
Les gens de la CGT ou de Mediapart pensent que nous vivons sous le gouvernement du CAC 40. De façon plus pertinente, l’éditorialiste du Point Sophie Coignard[1], y voit une résurgence de la société de Cour. Elle marque à sa manière le caractère oligarchique du règne, sinon du régime. Le monarque y distribue les rôles et certains n’en perçoivent que les prébendes.
On a appris par exemple en janvier qu’un nouveau secrétaire général à l’investissement[2] venait d’être nommé. Nous ne doutons pas qu’il s’agisse d’un homme très probe, très propre et surtout très compétent. Ancien élève de ces grandes écoles à la mode depuis un demi-siècle, il est connu pour avoir été partisan de Valérie Pécresse lors de la campagne régionale de 2015 en île de France, puis en 2016 pour avoir soutenu la candidature présidentielle finalement malheureuse de François Fillon. Il s’agit par conséquent d’un homme que l’on classera à droite si l’on s’attarde à de tels étiquetages, si souvent superficiels hélas.
Sans polémiquer à propos de cette personne elle-même demandons-nous d’abord, peut-être, quelle fonction lui sera attribuée : il devra répartir 57 milliards d’euros d’investissement. Cette masse considérable nous ramène au caractère profondément étatiste de la culture politique de ce pays.
[1] cf. Le Point en ligne le 9 mai.
[2] cf. L’Opinion le 4 janvier 2018. Il s’agit de Guillaume Boudy, remplaçant Louis Schweitzer. Celui-ci, ancien élève l’ENA, promotion Robespierre, avait été d’abord directeur de cabinet de Laurent Fabius, de 1981 à 1986. Puis il fit une vrai carrière industrielle. Dirigeant chez Renault dont il sera président-directeur général de 1992 à 2005, il contribuera à sa privatisation et à sa délocalisation massive, les effectifs en France de l’ancienne régie passant de 86 000 salariés en 1992 à 43 000 en 2005. Président de la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) de 2005 à 2010, il porta le titre de Commissaire général à l’investissement de 2014 à 2017.
Jean-Gilles Malliarakis
Article paru sur le site de L’Insolent