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culture et histoire - Page 1746

  • L'IRONIE CONTRE LA “POLITICAL CORRECTNESS”

    Université d'été de "Synergies Européennes", lundi 28 juillet 1997
    Cercle Proudhon, Genève, décembre 1997
    Organiser un atelier de l'Université d'été sur l'ironie comme “arme” contre la “political correctness” est politiquement et métapolitiquement justifié.
    En effet, quelle est l'origine de la “political correctness” (dorénavant en abrégé: PC)?
    Aux Etats-Unis, dès la fin des années 70, le relativisme, la ruine des idéaux et des ressorts communautaires provoquent une réaction qui prend forme dans le livre de John Rawls, A Theory of Justice (1979).
    Pour atteindre l'idéal de la justice, pour le concrétiser, il faut, entre autres choses:
    - une philosophie normative
    - des normes capables de revigorer les ressorts coopératifs et communautaires de la société.
    - Or, la tendance générale de la philosophie anglo-saxonne avait été de dire que les normes n'avaient pas de sens.
    Donc, à la veille de l'accession de Reagan à la présidence des Etats-Unis, on dit: «Il faut des normes».
    Pour avoir des normes, deux solutions:
    1. Adopter les idées de Rawls, et ainsi promouvoir la justice, la coopération, la communauté. Mais c'est incompatible avec le programme néo-libéral de Reagan.
    2. Déclarer indépassables, les “valeurs” du libéralisme telles qu'elles avaient été fixées par Locke à la fin du 17ième siècle. C'est Nozick qui offre cette option dans son livre Anarchy, State, Utopia (1974). Pour Nozick, l'Etat doit protéger ces valeurs libérales anglo-saxonnes contre toutes les autres.
    Toutes les autres? Cela fait beaucoup de choses! Beaucoup de choses à rejeter!
    Avec Hobbes, la philosophie politique anglaise avait rejeté hors de son champs les controverses religieuses parce qu'elles menaient à la guerre civile (ère des neutralisations disait Carl Schmitt).
    Avec les déistes (Charles Blount, John Toland, Matthew Tindal, Thomas Woolston), la raison doit oblitérer les parts obscures de la religion, pour qu'elles ne deviennent pas subitement incontrôlables.
    Comme on est en Europe, les déistes acceptent le christianisme par commoditié (sans y croire), mais ce christianisme signifie:
    - un christianisme raisonnable (sans excès, sans fanatisme, etc.);
    - le déisme a pour objectif de "raisonnabiliser" le christianisme (et toute la sphère religieuse);
    - religion et "bon sens" doivent coïncider;
    - il ne peut pas y avoir d'opposition entre religion et “bon sens ";
    - il faut évacuer les mystères, car ils sont incontrôlables.
    - les institutions religieuses doivent être "tranquilles”;
    - miracles et autres "absurdités" du Nouveau Testament sont purement "symboliques".
    John Butler, issu du filon aristotélo-thomiste médiéval répond à l'époque aux déistes:
    - l'homme est un "être insuffisant", "imparfait", il présente donc ontologiquement des lacunes, il est quelques fois ontologiquement "absurde";
    - l'homme a besoin de béquilles culturelles, dont, surtout, un système de normes, de fins. Ce système doit certes être logique, mais pas complètement accessible à notre raison.
    C'est dans le contexte de cette disputatio  entre les déistes et Butler qu'il faut replacer deux grands maîtres de l'ironie:
    - John Arbuthnot (1667-1735) et
    - Jonathan Swift (1667-1745).
    John Arbuthnot, ami et inspirateur de Swift est médecin et mathématicien. Il n'écrira pas de livre qui fera date, sauf peut-être son Martinus Scliberus, satire exagérant les défauts des hommes réels. Qui souligne l'inadéquation entre la théorie idéale de l'homme et l'homme de chair, de sang, de vice et de stupre.
    L'ironie d'Arbuthnot se retrouvera dans le maître-ouvrage de Swift: Gulliver's Travels  (= Les voyages de Gulliver).
    Première remarque sur les “Voyages de Gulliver": on croit que c'est un livre pour les enfants; effectivement une masse de versions édulcorées de ce livre existent à l'usage des enfants. Mais faisons nôtre cette remarque de Maurice Bouvier-Ajam: «Que d'éditions abêties, mutilées, trahies pour "plaire" au jeune lecteur! Et de quelles joies cette mutilation de l'œuvre ne prive-t-elle pas l'adulte, trompé et blasé prématurément... et frauduleusement...».
    D'Arbuthnot, Swift reprend:
    - la pratique de la physiognomie, c'est-à-dire un mode d'arraisonnement du réel et plus particulièrement du grotesque qui lui est inhérent (à mettre en parallèle avec les “Caractères” de La Bruyère et avec le "regard physiognomique" de Jünger);
    - la pratique de l'humour et du sarcasme;
    - un point de vue physique (physiologique au sens nietzschéen, participant de la “révolte des corps" et de la Leiblichkeit).
    - un rationalisme moqueur et non constructiviste, moralisateur, pédant;
    - l'idée d'un rationalisme comme "humilité de l'intelligence".
    Souvent, la "raison", dans le contexte de la modernité européenne, est "révolutionnaire" parce qu'elle abat les irrationalités stabilisantes de la société en place, pour les remplacer par de nouveaux édifices raisonnables mais rigides (querelle des déistes).
    Face à cette rationalité moderne, la rationalité de Swift:
    - n'est pas un irrationalisme conservateur articulé pour répondre aux déistes ou aux rationalistes
    - mais une moquerie qui fragilise toutes les conventions, y compris anticipativement, celles des rationalistes.


    Swift:
    - raille les fanatismes des catholiques et des sectes protestantes "non conformistes";
    - se révolte contre les ambitions constructivistes des déistes;
    - dresse une pathologie des "Etats mystiques", qui ne camouflent, derrière leurs discours sublimes, que des turpitudes, des désirs inavoués de stupre ou de richesse.
    - démontre que les discours des sectes protestantes (Quakers, Rauters, Huguenots extrémistes) sont des "convulsions", des "fermentations troubles de l'animalité" (Cf. A Tale of a Tub. Discourse Concerning the Mechanical Operation of the Spirit).
    Dans The Battle of Books, on trouve une critique acerbe du rationalisme car celui-ci est:
    - ambitieux;
    - insolent;
    - inacceptablement hostile à l'égard de la "gloire des Anciens";
    - une activité théorique stérile (Cf. le Royaume de Laputa).
    Swift prévoit déjà: «La fièvre de la spéculation, de l'enquête rationnelle, et, déjà, du progrès mécanique, que la société qui lui est contemporaine exhibe déjà; il la présente comme l'ardeur agitée de cerveaux surchauffés, dans lesquels se bousculent toutes sortes de "projets" et d'inventions, autant de chimères sans queue ni tête» (Legouis/Cazamian, p. 762).
    L'homme est par essence vil et corrompu. Pour y remédier:
    - Hobbes avait prévu un contrat et l'érection du Léviathan;
    - Locke avait forgé l'idée du contrat démocratique moderne et préconisé, à la suite des déistes, d'"expurger les mystères";
    - Swift reste un pessimiste fondamental:
    - le contrat ne changera pas la nature humaine;
    - le contrat ne sera toujours que provisoire;
    - ni mystères de la religion ni noirceurs de l'âme humaine ne sont éradicables.
    Chez Swift, nous découvrons un rejet de toutes les affirmations générales [qui prendra ultérieurement des formes très diverses: chez Herder, chez les Romantiques allemands, chez Jünger (cf. sa définition du "nationalisme" comme révolte du particulier contre le général), dans la révolte diffuse depuis Foucault contre les affirmations générales actuelles].
    Avec Swift démarre aussi la tradition littéraire anglaise de la "contre-utopie”.
    - L'utopie est un lieu idyllique, une île merveilleure ou la lune chez Cyrano de Bergerac.
    - Mais la tradition utopique draine en elle-même sa propre réfutation. Le projet idéal de l'utopiste est trop souvent froid et sec, pur projet de législation alternative visant à CORRIGER LE RÉEL. Dans ce cas, écrit le Prof. Raymond Trousson dans Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique:  «il n'est pas possible d'évoquer un possible latéral, mais de peser sur l'histoire».
    Cette tradition contre-utopique trouvera son apogée dans le 1984 d'Orwell, où le futur devient cauchemar (Future as Nightmare). Le futur est alors le fruit, le résultat d'une volonté de transposer dans le réel les idées:
    - des déistes/des rationalistes;
    - de Locke;
    - des projets de sociétés parfaites;
    Nous retrouvons l'intention de Nozick.
    Pour Rainer Zitelmann, la pensée utopique s'articule autour de trois idées majeures:
    - La "fin de l'histoire", après la généralisation planétaire du "projet" ou du "code".
    - La croyance en la possibilité d'émergence d'un "homme nouveau", par dressage ou rééducation.
    - La croyance aux effets "eudémoniques" de l'égalité.
    Ces trois idées marquent fortement la "political correctness" actuelle. C'est contre elles qu'il faut déployer ironie, sarcasmes et moqueries.
    Les recettes de cette stratégie du rire sont multiples.
    Examinons-en deux:
    - L'œuvre de l'Espagnol Eugenio d'Ors.
    - L'œuvre du sociologue néerlandais Anton Zijderveld.
    Puis replaçons leurs arguments dans un contexte philosophique contemporain plus général.

    EUGENIO D'ORS (1881-1954):
    Ce philosophe catalan a été défini comme: un "Socrate nordique", un "Goethe méditerranéen", un "personnage de théâtralité baroque".
    A 25 ans en 1906, il décide: «Je serai ironique». Option première qui ne sera jamais démentie.
    Sa réflexion sur l'ironie part du constat suivant:
    - Présence de l'ironie dans la philosophie grecque, où l'ironie est jugée négative par Aristophane et Platon, mais jugée intéressante par Socrate (qui déploie son "ignorance méthodique" et sa "maïeutique") et par Aristote pour qui l'ironie est une modestie intellectuelle (Butler, Swift).
    D'où d'Ors retient de l'ironie grecque qu'elle est "une sorte d'humilité courtoise qui suscite la confiance, une façon de se comporter qui est altruiste". Retenons cette définition, mais ajoutons-y celle de Cicéron: «L'ironie est une habilité polémique». Dans ce cas, elle est une stratégie du dialogue, de la polémique politique.
    Mais d'Ors va plus loin que le dialogue:
    - La présence de l'interlocuteur finit par n'être plus nécessaire chez lui.
    - d'Ors applique l'ironie au monologue intérieur (Céline) du penseur solitaire.
    - d'Ors prend distance par rapport à son objet;
    - d'Ors dépassionne les débats philosophiques et politiques;
    - d'Ors dévalue ainsi tactiquement son objet (précisons: tactiquement et non pas fondamentalement);
    - d'Ors aborde tout objet de façon oblique (pas d'affrontement frontal: stratégie intelligente de l'esquive qui s'avère bien utile quand on est quantitativement, numériquement inférieur).
    - pour d'Ors, l'ironiste aborde l'objet du débat sans avoir l'air de s'impliquer, ni même de la connaître vraiment.
    - Avec cette position détachée, il va opter pour une stratégie de hit and run; il va soulever tantôt tel aspect, tantôt tel autre, frapper, se retirer, obliger l'ennemi à se fixer sur tel front et alors il attaquera sur un autre front, pour revenir au premier comme par hasard.
    - l'ironie de d'Ors ne vise pas une connaissance globale, totale, mais reste ouverte à toutes les additions et les soustractions; ainsi elle ne divise pas, mais intègre au départ du divers, de la fragmentation.
    - Mieux: l'ironie de d'Ors intègre la contradiction; elle admet qu'il y a des contradictions insurmontables dans le monde.
    Avec Eugenio d'Ors, l'ironie devient synonyme d'"esprit philosophique" et même de "dialectique". Elle cherche à éviter l'écueil d'une philosophie trop préceptive.
    Il y a là un parallèle évident avec notre propre démarche: refuser les préceptes du "nouvel ordre mondial", issu des affirmations de Locke, réactualisées et figées hors contexte  —et anachroniquement—  par Nozick et Buchanan.
    L'objectif de d'Ors est:
    - d'observer la réalité, de l'accepter dans ses diversités;
    - d'éviter l'écueil d'un normativisme sec (que la philosophie relativiste avait jugé dénué de sens);
    - de faire de la philosophie ironique la fidèle interprète de la réalité:
    - de baigner à nouveau la philosophie dans les eaux vives de la curiosité;
    - de s'inscrire dans la tradition vitaliste hispanique (Cf. le "ratiovitalisme" d'Ortega y Gasset).
    - d'affirmer que les contradictions sont toujours déjà là, non comme dans la vulgate hégélienne, où la contradiction est perçue comme une forme ultérieure dans le temps. Eugenio d'Ors affirme la simultanéité du réel et des contradictions, sans vectorialité ni téléologie.
    Ensuite:
    1. L'ironie correspond à la plasticité du monde:
    - mots-clefs: activité, flexibilité, dynamisme, élasticité.
    - l'ironie respecte la "malléabilité" de tout objet (jamais elle ne le pose comme a priori rigide et fermé).
    - l'ironie vise l'adéquation de l'intellect à un monde de lignes "estompées": fluides, fuyantes, diffuses (cf. Hennig Eichberg, in Vouloir n°8).
    2. L'ironie correspond à l'ambigüité du langage:
    Cet aspect de la philosophie de d'Ors est très important dans la lutte contre toute orthoglossie (contre toute prétention à imposer un langage unique, pour une pensée unique).
    Première chose à retenir:
    - Toute langue est la forme nécessaire que doit revêtir le savoir humain.
    - Cependant, dit d'Ors, dans tout lexique, et plus particulièrement dans tout lexique philosophique, il y a toujours un "minimum d'équivoque" ou d'"inévitables imprécisions".
    Pour d'Ors comme pour nous, ce n'est pas une tare mais "une garantie de vivacité, ce qui est hautement désirable", car le langage est alors bien le reflet du dynamisme du monde et du savoir.
    Tout mot, toute parole, est dans une telle optique un ÉVENTAIL de possibilités créatrices ouvertes, un mouvement, une impulsion pour la pensée, une potentialité active d'enchaînements, de sources et de MÉTAPHORES.
    D'Ors s'appuie sur la définition du langage de HUMBOLDT:
    «Le langage n'est pas un résultat, tout de quiétude et de repos, mais une énergie, une création continue».
    L'amphibologie (double sens que revêt ou peut revêtir toute phrase) et l'inexactitude du langage font de celui-ci une RAMPE DE LANCEMENT pour l'innovation: tout vrai écrivain écrit de perpétuels NÉOLOGISMES. (L'écrivain donne des sens nouveaux aux mots, les enrichit, les complète, complète leur champ sémantique, révèle des facettes occultées, oubliées ou refoulées du vocabulaire).
    Par leur ambigüité constitutive, les langues ne résistent pas à l'exactitude quantitative et à la rigueur terminologique des symboles mathématiques. Pour les tentatives de construire une philosophie more geometrico  est condamnée à l'échec (mais aussi de construire une orthoglossie où les mots seraient tous absolument UNIVOQUES).
    - L'ironie consiste à reconnaître cet incontournable fait de la linguistique: l'amphibologie.
    - L'ironie reconnait le caractère irrécusablement métaphorique de toute parole, reconnait la dualité ou la pluralité inhérente à toute formulation. D'Ors: «Ley más laxa, más inteligente».
    Conclusion de ce point 2:
    «L'équivocité polysémique, que la philosophie conventionnelle (et partant, toute orthoglossie ou toute "novlangue" à la Orwell), ont considéré comme une malédiction babelienne, devient par le travail et la grâce, la légèreté, la flexibilité et la souplesse de l'ironie d'orsienne, une chance de comprendre davantage de choses dans ce qui est dit, de ne pas réduire le contenu du discours et de la pensée à des univocités rigides. Et surtout l'ironie d'orsienne nous permet toujours de compter avec la collaboration créatrice de l'autre, de l'interlocuteur potentiel (remarquons que la bonne formule pour désigner le dialogue avec l'Autre, venu d'une autre civilisation ou d'une autre culture est: “dialogue interculturel”).
    Contre toutes les orthoglossistes fanatiques, présents et à venir, d'Ors sanctifie le PÉCHÉ ORIGINEL des langages, c'est-à-dire leur plurivocité. On ne peut pas renoncer aux contradictions et aux ambigüi­tés.
    3. L'ironie correspond à la nature inépuisable de la vérité:
    Comme l'ironie est MODESTIE INTELLECTUELLE, elle accepte qu'il reste des secrets, des mystères, dans le ciel et sur la terre (contrairement aux déistes). Il est impossible d'interpréter de façon EXHAUSTIVE les faits du monde. Ce serait aller à l'encontre de la nature.
    4. L'ironie correspond à un monde où l'on travaille et l'on joue:
    Dès 1911, d'Ors dit: «je vais énoncer la philosophie de l'homme en activité, de l'homme qui travaille et qui joue» (En 1914 paraît son livre: Filosofia del hombre que trabaja y juega).
    L'existence humaine, c'est certes la lutte pour la vie, mais c'est aussi la fête et la joie. Ignorer l'aspect ludique, c'est mutiler cruellement l'humanité. Car le jeu est souvent, plus que le travail, le “lieu de la créativité”.
    5. L'ironie correspond à l'aspect contradictoire du réel:
    6. L'ironie correspond à l'expression catalane de “SENY":
    - Quand les Catalans parlent de "Seny", ils entendent un mélange de sagesse, de savoir, de maturité, de prudence, de bon sens et d'intelligence.
    - Pour le Catalan Eugenio d'Ors, l'ironie est la méthode du philosophe doué de "seny".
    - Eugenio d'Ors replace ainsi l'ironie dans l'éthique, refuse de faire de l'ironie une pure arme de destruction.
    - L'ironie ramène les choses à leurs justes proportions, qui ne sont jamais figées mais toujours en mouvement.
    - L'ironie est donc une "position de liberté" vis-à-vis des axiomes rigides.
    - L'ironie, en tant que position de liberté, donne à celui qui la pratique une position souveraine, libre de toute entrave, indépendante face au monde (mundanus),  aux contingences frivoles ou éphémères.
    - Le philosophe ironique est davantage libre-penseur que le philosophe dogmatique.

    La SOCIOLOGIE D'ANTON ZIJDERVELD:
    Après le philosophe catalan Eugenio d'Ors, abordons la sociologie du Néerlandais Anton Zijderveld (disciple d'Arnold Gehlen).
    Pour lui:
    - L'humour est spontanéité et authenticité;
    - L'humour est une fonction sociale oblitérée et traquée par la modernité;
    - L'humour est une fonction sociale qu'il convient impérativement de réhabiliter. Dans cette optique, il faut, dit-il, retrouver le sens des fêtes, du carnaval, de la Fête des Fous où se conjuguent ébats de toutes sortes, dérision ritualisée du pouvoir et des édiles.
    Le point de vue de Zijderveld n'est pas destructeur ou dissolvant: il dit que l'humour ne détruit pas les institutions (au sens de Gehlen), il les maintient en les remettant en question à intervalles réguliers, il évite qu'elles ne tournent à vide ou dérivent dans l'absurbe de la répétition.
    Zijderveld s'oppose à ce qu'il appelle une “gnose sociale”, ou plus spécifiquement, le “nudisme social”. Selon le “nudisme social”, l'homme moderne est porté par l'obsession consistant à dire que l'homme n'est authentique que s'il a abjuré tous les rôles qu'il a joués, joue ou pourrait jouer au sein des institutions.
    Rôles et institutions sont considérés par les “nudistes sociaux” comme des vecteurs d'aliénation oblitérant le véritable "moi" (fiction).
    La fête médiévale, la Fête des Fous, les esbaudissements des Goliards, les confréries carnavalesques impliquent justement le port du masque: cela signifie qu'un homme authentique, qu'il soit boucher, boulanger, architecte ou médecin, adopte une inauthenticité fictive dans un segment limité du temps, le temps du carnaval, où est restitué brièvement le chaos originel.
    Pour Zijderveld, la “gnose”, le “nudisme social”, l'obsession de l'homme authentique sans rôle ni profession ni béquille institutionnelle, est un apport du christianisme.
    Mais l'histoire du moyen-âge européen, de la Renaissance, nous révèle que ce christianisme n'est qu'un mince vernis.
    Preuve: la persistance des Saturnales ro­maines sous la forme du FESTUM STULTORUM ou du FESTUM FATUUM, pendant lequel blasphèmes et moqueries sont pleinement autorisés: il s'agit ni plus ni moins d'une INVERSION SALUTAIRE DE LA NORMALITÉ QUOTIDIENNE, qui permet de recréer brièvement le chaos originel, pour montrer son impossibilité dans le quotidien, la nécessité des institutions et, en même temps, leur fragilité.
    Autre signe que le christianisme médiéval n'est que vernis: la présence permanente dans cette société médiévale des GOLIARDS et des VAGANTES, qui ne cessent de blasphémer dans leurs chansons et de véhiculer des idées anti-cléricales (Cf. Les Chants de Cambridge  de 1050 et les Carmina Burana  de 1250, mis en musique en ce siècle par Carl Orff).
    A partir du Concile de Bâle en 1431, de la Condamnation des fêtes par la faculté de théologie de Paris en 1444 (Charles VII doit constater que les mesures prises n'ont aucun effet!), à partir de la Renaissance, la Fête des Fous est plus réglementée (Ordonnance du Parlement de Dijon en 1552), de même que les charivaris, dont la fonction devient la moralisation de la société (moqueries contre les adultères, les filles volages, etc.).
    La Bazoche des étudiants juristes de Paris, Lyon et Bordeaux organise des théâtres caricaturants et satiriques, se mue ensuite en club littéraire (dans les Pays-Bas méridionaux, on parle de "Chambre de Rhétorique” ou "Kamers der Rederrijkers", plus audacieuses que dans les grands royaumes modernes).
    Zijderveld cite deux auteurs:
    - Rabelais (nous y revenons)
    - Erasme (Laus Stultitiae: Eloge de la folie).
    Conclusion de Zijderveld:
    - Battre en brèche l'arrogance de l'Aufklärung
    - Démontrer que le moyen-âge est moins "obscurantiste" qu'on ne l'a écrit
    - Démonter que le moyen-âge était bien davantage anti-répressif que la modernité (Foucault), du moins dans les espaces-temps réservés à la fête.
    - Montrer que l'INVERSION des règles quotidiennes doit pouvoir exister dans toute société, pour assurer une convivialité féconde.
    Mais quid de l'humour dans la modernité selon Zijderveld?
    - L'humour de la Fête des Fous, des Saturnales, est régulateur, naturel.
    - L'humour n'y est pas simple "soupape" de sécurité.
    Aujourd'hui:
    - L'humour est rejeté parce qu'il serait AGRESSIF (arguments psychanalytiques). Cette agression latente doit être systématiquement "punie" (“Surveiller et punir” selon Foucault).
    La réponse de Zijderveld:
    - L'humour permet à tous d'entrevoir la fragilité des choses, même les plus sublimes;
    - L'humour permet la communication sociale de manière optimale.
    - L'humour soude la solidarité du groupe.
    - L'humour permet la résistance passive contre la tyrannie ou l'occupation.

    RICHARD RORTY: CONTINGENCE, IRONIE ET SOLIDARITÉ
    Quelle position la philosophie actuelle laisse-t-elle à l'ironie?
    Quelle est la place de l'ironie dans le contexte du "nouvel ordre mondial", après la concrétisation des projets de Nozick et Buchanan?
    Le corpus le plus significatif, le plus souvent évoqué à l'heure actuelle est l'œuvre de RICHARD RORTY (Contingency, Irony and Solidarity).
    Rappelons quelques points essentiels de l'œuvre de Rorty:
    - La philosophie ne peut évoluer si elle s'en tient à des critères délibérément soustraits au temps.
    - Une démarche philosophique doit toujours être replacée dans son contexte historique.
    - Il faut parier pour une philosophie plus formatrice (bildende) que préceptive.
    - Il faut refuser la réduction de tous les discours à un seul discours universel.
    - Il faut proclamer la légitimité des discours "contingents" à deux niveaux: au niveau individuel (autopoiésis; Selbsterschaffung)  et au niveau communautaire (consolider la solidarité).
    La place du philosophe ironique (comme d'Ors) se justifie par:
    - la réponse au double défi qu'il apporte, double défi de l'autopoiésis et de la solidarité.
    - son savoir modeste qui veut que ses convictions, ses espoirs et ses besoins sont toujours CONTINGENTS.
    - son souci d'éviter d'ériger un MÉTA-DISCOURS.
    - sa volonté de comprendre et de faire comprendre que la raison pure de Kant et son avatar actuel “la raison communicationnelle” de Habermas sont devenus obsolètes, dans le sens où elles sont universalistes, métadiscours, se méfient de la contingence et de l'histoire.
    - Nous n'avons plus besoin de "méta-discours" mais d'un RECOURS à la multiplicité des faits contingents.
    - La solidarité ne dérive plus de l'adhésion à un méta-discours partagé par tous obligatoirement, mais par respect "nominaliste" et "historique" des multiples contingences qui font le monde.
    - Rorty réhabilite la PHRONESIS grecque, soit la sagesse et l'intelligence pratiques.
    - Rorty rejette les philosophie, les théories qui se posent comme purement spectatrices (sa différence d'avec d'Ors) et refusent l'IMMERSION dans la contingence concrète d'un contecxte historique qui réclame implicitement la solidarité.
    - Rorty réclame l'abolition des représentations figées.
    - Rorty n'est pas relativiste, puisqu'il ne nie pas les valeurs propres à une contingence particulière.
    - Rorty développe un ethno-centrisme axiologique ET pragmatique qui n'est nullement missionnaire. Il ne cherche pas à imposer ailleurs dans le monde les valeurs (ou les non-valeurs) de la “culture nord-atlantique".
    Conclusion:
    Rorty se base sur NIETZSCHE, FREUD, WITTGENSTEIN et HEIDEGGER (dont il ne reprend pas la définition de l'“Etre”), pour affirmer que les sociétés sont des contingences, pour rejeter le filon philosophique platonicien, pour dire que le philosophe doit se pencher sur la littérature, dont ORWELL et NABOKOV, parce que tous deux nous montrent l'effet de la CRUAUTÉ des métadiscours en acte à l'égard des contingences réelles de la vie et du monde.
    Réel, vous avez dit "réel"?
    Ce qui nous amène à Rabelais, Nietzsche, Foucault et Bataille.


    RABELAIS:
    Rabelais (1494-1553), pourquoi Rabelais?
    Au XXième siècle son exégète le plus intéressant est le Russe Mikhaïl BAKHTINE (1895-1975), linguiste et philosophe, historien des mentalités comme Michel Vovelle en France, Nathalie Davis dans l'espace linguistique anglo-saxon et Carlo Ginzburg en Italie.
    La langue pour Bakhtine comme pour Foucault est:
    - l'atelier où se forgent les instruments et les stratégies du pouvoir;
    - mais elle est AUSSI le socle sur lequel se constitue une nouvelle communauté.
    La langue de Rabelais, dans ses dimensions grotesques, ramène au CORPS, à ses limites et à ses capacités.
    Les sources de l'écriture rabelaisienne sont les RÉCITS POPULAIRES, les CONTES et les LÉGENDES, dont les thèmes sont l'existence de sympathiques canailles, de simplets, de fous.
    L'intérêt de cette écriture, c'est qu'elle hisse au niveau de la littérature universelle la dimension PARODIQUE des récits populaires.
    Rabelais a vécu la rue, les marchés, les auberges et les tavernes de son temps, mais, simultanément, il a occupé de hautes fonctions.
    Il fait ainsi charnière entre la culture populaire (encore largement païenne) et la culture des élites (christianisée).
    Rabelais perçoit la différence entre:
    - la langue des marchés, HÉTÉROGÈNE et NON FIGÉE et la langue des institutions, HOMOGÈNE et FIGÉE. Il perçoit très bien, avant la normalisation moderne, qu'il y a à la base, dans le peuple, pluralité et polysémie, tandis qu'au sommet il n'y a plus qu'univocité.
    Bakhtine parlera de "réalisme grotesque" et pourra développer une critique subtile des rigidités soviétiques sans encourir les foudres du régime.
    rabelais.jpgBakhtine en mettant en parallèle son réalisme grotesque et le réalisme socialiste officiel, revalorisera “LE PEUPLE RIANT SUR LA PLACE DU MARCHÉ”.
    A partir de la Renaissance, l'église, la cour, l'Etat absolutiste, puis l'Etat sans monarque mais porté par l'Aufklärung, vont tenté de réduire au silence ce rire populaire, véhicule d'une formidable polysémie.
    Pour Bakhtine, il s'agit d'une COLONISATION DE LA SPHÈRE VITALE (à mettre en parallèle avec les thèses analogues d'Elias, de Huizinga et de Simmel).
    A la verticalité imposée d'en haut, il oppose la convivialité horizontale de la place publique.
    Cette revalorisation de la convivialité et de l'humour corsé du peuple lui vaudra la critique négative de Tzvetan Todorov (auteur de Nous et les autres). Todorov accuse Bakhtine de “prendre parti pour le peuple sans esprit critique”.
    Simone Périer (professeur à Paris VII) rend hommage, elle, à Bakhtine pour:
    - sa biographie difficile (handicap, refus de lui accorder un doctorat)
    - pour son hymne à la joie, sa profession de foi dans l'énergie collective («La sensation vivante qu'a chaque être humain de faire partie du peuple immortel, créateur de l'histoire»).
    Que veut Bakhtine?
    1. Transcender l'individuel: Bakhtine refuse de réduire l'humain à l'être biologique isolé ou à l'individu bourgeois égoïste.
    2. Restaurer le carnaval (rabelaisien) en tant qu'antidote à l'“individuation malfaisante”.
    3. Restaurer le PARLER HARDI, expression de la conscience nouvelle, libre, critique et historique.
    4. Restaurer “la PROXIMITÉ rude et directe des choses désunies par le mensonge et le pharisaïsme”.
    Il y a donc chez Rabelais une affirmation sans faille de la CORPORÉITÉ (de la LEIBLICHKEIT).


    FOUCAULT:
    Michel-Foucault.jpgNietzsche voit dans le corps le site d'une complexité née de multiples et diverses intersubjectivités et interactions, le lieu de passage de l'expérience, toujours diverse, chaque fois unique.
    Foucault va systématiser ce filon corporel qui part du paganisme, de Rabelais et de Nietzsche.
    Pour Foucault:
    - l'homme est figure de sable, passagère et contingente, créée par des savoirs et des pratiques, tissés de hasard.
    - si l'homme est CORPS, ce corps en tant que surface est lieu, site, évoluant dans un lieu spatial concret. C'est là que l'homme se situe et non dans un monde d'idées: par conséquent, toute lutte réelle est LOCALE.
    - ce lieu doit être connu, sans cesse exploré, par enquête et historia  (= enquête en grec). L'enquête sur le lieu de notre vécu doit équivaloir à l'enquête lors d'un procès en droit. S'il y a enquête, il n'y a pas d'arbitraire, il y a liberté (et démocratie).
    - mais le quadrillage de la modernité surplombe les enquêtes, distrait les hommes concrets de l'attention minutieuse qu'ils doivent apporter à leur lieu, à leur contingence.
    - le quadrillage déclare apporter la démocratie et la transparence, mais pour s'imposer, il doit contrôler, CORRIGER, discipliner les corps (la "political correctness” est l'aboutissement de cette frénésie).
    - dans un tel univers, le droit donne formellement l'égalité et la liberté, mais dans la concrétude quotidienne s'instaurent les micro-pouvoirs disciplinants, essentiellement inégalitaires et dyssimétriques.
    - face à ces micro-pouvoirs, il n'est pas possible d'opérer un renversement global (le "tout ou rien" de la révolution fasciste ou communiste): on ne peut opposer que des résistances à un pouvoir "capillaire", des résistances multiformes, sans totalisation, une série de CONTRE-FEUX.
    - l'objectif de la modernité: le PANOPTISME de l'architecture carcérale. Les grands mythes des Lumières recèlent le danger d'un espace transparent sans échappatoire (cf. 1984 + toute la veine contre-utopique de la littérature anglaise).
    - pour Foucault, la VISIBILITÉ voulue par la modernité panoptique est un PIÈGE (les déistes déjà voulaient éliminer les "mystères"). «NOTRE SOCIÉTÉ N'EST PAS CELLE DU SPECTACLE MAIS DE LA SURVEILLANCE».
    - le droit et la justice modernes sont les instruments de cette surveillance ubiquitaire: d'où la nécessité, pour Foucault, de rejeter radicalement le droit et de se montrer extrêmement sceptique à l'égard de la notion moderne de justice. Foucault développe un ANTIJURIDISME radical.
    Mais la contestation du droit est restée dans l'orbe du droit; ses efforts se sont annulés. Il aurait fallu animer un PÔLE DE RÉTIVITÉ (exemple: les chahuts du 1 mai 96 organisés par les socialistes belges contre leurs dirigeants, les manifestations devant les palais de justice en Belgique en octobre 96, la suite, les "marches blanches" ayant été trop polies).
    Foucault a plutôt parié pour les VIOLENCES MASSIVES, ce qu'on lui reproche aujourd'hui, de même que sa volonté de mettre la Vie au-dessus du droit (cf. Renaut, Ferry et même son biographe Jean-Claude Monod).
    Conclusion:
    La sextuple lecture de Swift, d'Ors, Rorty, Zijderveld, Bakhtine et Foucault doit nous conduire tout d'abord à
    - ORGANISER CE PÔLE DE RÉTIVITÉ réclamé par Foucault.
    Puis:
    - de rejeter tout utopisme construit more geometrico.
    - de tenir compte de l'extrême fragilité du matériel humain;
    - de se maintenir dans la contingence, seul lieu possible de notre action;
    - de chercher à restaurer la fête, comme espace virtuel d'inversion des valeurs;
    - d'organiser une résistance ludique, difficilement dénonçable comme "totalitaire";
    - de dénoncer la modernité et ses institutions politiques et judiciaires, de même que tous ses micro-pouvoirs comme une volonté obsessionnelle de SURVEILLER et PUNIR.
    - de dire que l'orthoglossie obligatoire, la pensée unique et la "political correctness" sont des aboutissements de cette obsession de surveiller et de punir. Elles doivent être considérées puis traitées comme telles.
    En conséquence, sur le plan philosophique qui doit précéder toute démarche pratique, nous devons allumer les CONTRE-FEUX du GRAND REFUS, impulser les synergies du PÔLE DE RÉTIVITÉ voulu par Foucault.
    Bibliographie:
    A. Généralités:
    - ERASME, Eloge de la folie, Garnier-Flammarion, 1964.
    - Julio CARO BAROJA, Le carnaval, Gallimard, Paris, 1979.
    - Jacques HEERS, Fêtes des fous et carnavals, Fayard, Paris, 1983.
    B. Sur Swift:
    - Michael FOOT, «Introduction» to Jonathan Swift's Gulliver's Travels, Penguin, Harmondsworth, 1967.
    - Emile LEGOUIS, Louis CAZAMIAN, Raymond LAS VERGNAS, A History of English Literature, J.M. Dent & Sons Ltd, London, 1971.
    - Ernest TUVESON, Swift. A Collection of Critical Essays, Spectrum/Prentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, N.J., 1964.
    - Ernest TUVESON, «Swift: The dean as Satirist», in E. TUVESON, Swift..., op. cit.
    - Irvin EHRENPREIS, «The Meaning of Gulliver's Last Voyage», in E. TUVESON, op. cit.
    - John TRAUGOTT, «A Voyage to nowhere with Thomas More and Jonathan Swift: Utopia and The Voyage to the Houyhnhnms», in E. TUVESON, op. cit.
    - Maurice BOUVIER-AJAM, «Swift et son temps», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.
    - Robert MERLE, «L'amère et profonde sagesse de Swift», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.
    - M. Louise COUDERT, «Les trois rires: Rabelais, Swift, Voltaire», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.
    - Caspar von SCHRENCK-NOTZING, «Jonathan Swift», in: Lexikon des Konservativismus, Stocker Verlag, Graz, 1996.
    C. Sur Eugenio d'Ors:
    - Alfons LOPEZ QUINTAS, El pensamiento filosofico de Ortega y d'Ors. Una clave de interpretación, Ediciones Guadarrama, Madrid, 1972.
    - Gonzalo FERNANDEZ DE LA MORA, Filósofos españoles del siglo XX, Planeta, Madrid, 1987.
    D. Sur Foucault:
    - Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975.
    - Michel FOUCAULT, L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1971.
    - Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966.
    - Michel FOUCAULT, «Omnes et singulatim. vers une critique de la raison politique», in: Le Débat, n°41, sept.-nov. 1986.
    - Luc FERRY & Alain RENAUT, La pensée 68. Essai sur l'anti-humanisme contemporain, Gallimard, Paris, 1985.
    - Luc FERRY & Alain RENAUT, 68-86. Itinéraires de l'individu, Gallimard, Paris, 1987.
    - Gilles DELEUZE, Foucault, Editions de Minuit, Paris, 1986.
    - Henk OOSTERLING, De opstand van het lichaam. Over verzet en zelfervaring bij Foucault en Bataille, SUA, Amsterdam, 1989.
    - Angèle KREMER-MARIETTI, Michel Foucault. Archéologie et généalogie, Livre de poche, coll. biblio-essais, Paris, 1985.
    - François EWALD, «La fin d'un monde», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - François EWALD, «Droit: systèmes et stratégies», in: Le Débat, n°41, op. cit.
    - François EWALD, «Une expérience foucaldienne: les principes généraux du droit», in: Critique, Tome XLII, n°471-472, août-septembre 1986.
    - Jürgen HABERMAS, «Les sciences humaines démasquées par la critique de la raison: Foucault», In: Le Débat, n°41, op. cit.
    - Jürgen HABERMAS, «Une flèche dans le cœur du temps présent», in Critique, Tome XLII, n°471-472, op. cit.
    - Katharina von BÜLOW, «L'art du dire-vrai», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - Pasquale PASQUINO, «De la modernité», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - Danièle LOSCHAK, «La question du droit», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - Guy LARDREAU, «Une figure politique», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - Henri JOLY, «Retour aux Grecs», in Le Débat, n°41, op. cit.
    - Michel de CERTEAU, «Le rire de Michel Foucault», in: Le Débat, n°41, op. cit.
    - Joachim LAUENBURG, «Foucault», in: J. NIDA-RÜMELIN, Philosophie der Gegenwart, Kröner, Stuttgart, 1991.
    - Frédéric GROS, Michel Foucault, PUF, Paris, 1996.
    - Jean-Claude MONOD, Foucault: la police des conduites, Michalon, coll. «Le bien commun», Paris, 1997.
    E. Sur Rorty:
    - Richard RORTY, Contingency, Irony and Solidarity, Cambridge University Press, Cambridge, 1989-91 (3°ed.).
    - Richard RORTY, La filosofia dopo la filosofia. Contingenza, ironia e solidarietà, Prefazione di Aldo G. Gargani, Editori Laterza, Roma/Bari, 1989.
    - G. HOTTOIS, M. VAN DEN BOSSCHE, M. WEYEMBERGH, Richard Rorty. Ironie, Politiek en Postmodernisme, Hadewijch, Antwerpen/Baarn, 1994.
    - Joachim LAUENBURG, «Rorty», in: J. NIDA-RÜMELIN, Philosophie der Gegenwart, Kröner, Stuttgart, 1991.
    - Walter REESE-SCHÄFER, Richard Rorty, Campus, Frankfurt/New York, 1991.
    F. Sur la problématique utopie/contre-utopie:
    - Richard SAAGE (Hrsg.), Hat die politische Utopie eine Zukunft?, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1992.
    - Ernst NOLTE, «Was ist oder was war die “politische” Utopie?», in R. SAAGE, op. cit.
    - Rainer ZITELMANN, «Träume vom neuen Menschen», in R. SAAGE, op. cit.
    - Iring FETSCHER, «Was ist eine Utopie? Oder: Zur Verwechslung utopischer Ideale mit geschichtsphilosophischen Legitimationsideologien», in: R. SAAGE, op. cit.
    - Raymond TROUSSON, Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1975.
    - Mark R. HILLEGAS, The Future as Nightmare. H. G. Wells and the Anti-Utopians, Southern Illinois University Press, Carbondale and Edwardsville, Feffer & Simons, Inc., London/Amsterdam, 1967.
    G. Sur Rabelais et Bakhtine:
    - Anton SIMONS, Het groteske van de taal. Over het werk van Michail Bachtin, SUA, Amsterdam, 1990.
    - Michel ONFRAY, «Reviens, François», in Le magazine littéraire, n°319, mars 1994.
    - Michel RAGON, «Rabelais le libertaire», propos recueillis par J.J. Brochier, in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.
    - Michel JEANNERET, «Et tout pour la tripe», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.
    - Pascal DIBIE, «Une ethnologie de la Renaissance», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.
    - Simone PERRIER, «Démesure pour démesure: le Rabelais de Bakhtine», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.
    H. Ouvrages d'Anton Zijderveld:
    - Anton C. ZIJDERVELD, The Abstract Society. A Cultural Analysis of Our Time, Penguin/Pelican, Harmondsworth,1974.
    - Anton C. ZIJDERVELD, Humor und Gesellschaft. Eine Soziologie des Humors und des Lachens, Styria, Graz, 1971.

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  • La chanson engagée a décampé – par Thierry Bouzard

    PARIS (via Polémia) - Encore une bonne nouvelle ! La chanson engagée a changé de camp. La gauche est aphone, la droite a retrouvé de la voix. Fin connaisseur de la chanson française, Thierry Bouzard fait le point pour Polémia.

    La musique a toujours constitué un réservoir de soutiens pour la gauche française : la fête de l’Huma est un exemple de cette instrumentalisation des artistes, mais il semble que le ressort soit cassé. Pour fêter l’adoption de la loi Taubira, un grand concert gratuit avait été organisé Place de la Bastille et, malgré le plateau de vedettes, à peine quelques centaines de personnes s’étaient déplacées. Depuis quelques mois sont apparues de nouvelles chansons dans le sillage du mouvement d’opposition au mariage homosexuel. Ces chansons ne constituent pas un véritable courant musical, mais elles s’inscrivent dans une tendance plus large qui révèle qu’au-delà des clivages politiques s’est amorcé un profond revirement de société.

    La chanson a préparé la « révolution » de Mai-68
    La chanson a préparé la « révolution » de Mai-68, puis, à travers les radios « libres », elle a contribué au retour de la gauche en 1981. Les nouvelles modes musicales qui accompagnèrent ces mouvements de contestation étaient issues de multiples courants – dont certains authentiquement traditionnels –, qui furent récupérés par des producteurs et des artistes sachant profiter des occasions commerciales et par des politiques qui opéraient les récupérations idéologiques. Le rôle du rap pour garder le contrôle de la jeunesse des banlieues a été mis en évidence. Les nouvelles compositions issues du courant qui s’oppose au mariage homosexuel procèdent du même processus culturel qui fait de la chanson un moyen d’expression populaire porteur d’un contenu politique. Dans les années soixante, le microsillon permettait cette diffusion du répertoire, en 1980-1981 ce furent les radios de la bande FM qui contournèrent les monopoles étatiques, en 2013, ce sont essentiellement les réseaux sociaux d’internet qui rendent possible leur échange à grande échelle, en s’affranchissant des moyens institutionnels contrôlés par un pouvoir qui fait tout pour les ignorer.

    De Montand à l’underground

    S’il est délicat de faire la part entre l’inspiration ou l’opportunisme qui motive le chansonnier dans les choix de ses textes, rares sont les professionnels qui versent dans le répertoire exclusivement politique. Le talent de l’artiste est une sorte d’antenne qui lui permet de percevoir la sensibilité de son époque et de la transcrire dans la forme d’expression qu’il utilise. Les évolutions des modes artistiques constitueraient ces

    « signaux faibles » qui annonceraient des changements de société. Quand Yves Montand chante la première chanson antimilitariste de l’après-guerre (Quand un soldat) au premier meeting du Mouvement pour la paix en 1952, il joue un rôle de précurseur pour les chanteurs engagés et sa chanson n’a pas la virulence de celle de Boris Vian (Le Déserteur) qui, lui, n’était pas un « chanteur engagé » tout en ayant un réel impact sur un certain public. Conseillé par des cadres du Parti communiste, Montand récidivera en 1955 avec un disque qui sera rapidement interdit d’antenne (3) mais qui exercera une influence aussi considérable que sous-estimée sur le répertoire français puisqu’il s’agit de la première relecture politique de la chanson traditionnelle (4).

    Lire le texte en intégralité

  • Les rencontres du Cercle ARISTOTE

    Le Cercle Aristote vous propose de rencontrer François Huguenin, historien des idées pour comprendre les cultures politiques de la "droite" française et pourquoi celle-ci est si particulière par rapport au conservatisme anglo-saxon ou aux autres grandes traditions politiques issues des pays "européens".
    RDV au François Coppée, 1 boulevard du Montparnasse, métro Duroc, MARDI (exceptionnellement) 1 octobre à 20H (nous commencerons avec un léger retard).
    Nous vous rappelons également la conférence exceptionnelle d'Hervé Juvin sur l'écologie des civilisations le 17 octobre à 20H.
    Inscription obligatoire : cerclearistote@gmail.com ou revue.libres@gmail.com
    Conférence sur les liens Russie-Syrie :

  • La conduite du changement dans l'ingénierie sociale

    La résistance au changement, tel est le problème principal à surmonter en ingénierie sociale. La question qui se pose toujours au praticien est "Comment provoquer le moins de résistance à mon travail de reconfiguration, comment faire en sorte que les chocs infligés ne provoquent pas une réaction de rejet ?" Donc comment faire accepter le changement, et si possible comment le faire désirer, comment faire adhérer aux chocs et au reformatage qui s'en suit ? Comment faire aimer l'instabilité, le mouvement, la précarité, le "bougisme" ? Bref, comment inoculer le syndrome de Stockholm à des populations entières ? Un prélude consiste à préparer les esprits en faisant la promotion dans l'espace public de mots-clés tels que nomadisme, dématérialisation, déterritorialisation, mobilité, flexibilité, rupture, réformes, etc. Mais ce n'est nullement suffisant. Dans tous les cas, l'attaque directe, dont la visibilité provoque un cabrage réactif contre-productif, doit être abandonnée au profit d'une tactique indirecte, dite de contournement dans le vocabulaire militaire (Sun-Tzu, Liddell Hart).

         En termes de management et de sociologie des organisations, cette stratégie du choc indirect est appelée "conduite du changement", ou "management dirigé". Le numéro 645 de l'hebdomadaire Charlie Hebdo rapporte ces propos de Renaud Dutreil, à l'époque ministre de la Fonction publique, tenus le 20 octobre 2004 dans le cadre d'un déjeuner-débat de la Fondation Concorde sur le thème "Comment insuffler le changement ?" : "Comme tous les hommes politiques de droite, j'étais impressionné par l'adversaire. Mais je pense que nous surestimions considérablement cette force de résistance. Ce qui compte en France, c'est la psychologie, débloquer tous ces verrous psychologiques (...). Le problème que nous avons en France, c'est que les gens sont contents des services publics. L'hôpital fonctionne bien, l'école fonctionne bien, la police fonctionne bien. Alors il faut tenir un discours, expliquer que nous sommes à deux doigts d'une crise majeure, c'est ce que fait très bien Michel Camdessus, mais sans paniquer les gens, car à ce moment-là, il se recroquevillent comme des tortues (...)" La méthode illustrée par ce propos résume à elle seule l'esprit de l'ingénierie sociale - faire changer un groupe alors qu'il n'en éprouve pas le besoin puisque, globalement, ça marche pour lui - et la méthode proprement dite : le dysfonctionnement intentionnel de ce qui marche bien mais que l'on ne contrôle pas pour le remplacer par quelque chose que l'on contrôle ; en l'occurrence, la destruction des services publics qui marchent bien mais qui échappent à la spéculation et au marché pour les remplacer par des services privatisés et sur fonds spéculatifs.
         Pour ne parler que de la France, ce pays est, depuis la prise de pouvoir du gouvernement Sarkozy, l'objet d'une destruction totale, méthodique et méticuleuse, tant de ses structures sociales que politiques et culturelles, destruction accompagnée d'un gros travail de fabrique du consentement de sa population à une dégradation sans précédent de ses conditions de vie afin de les aligner sur celles de la mondialisation libérale. Par le passé, une destruction d'une telle ampleur, à l'échelle d'une nation, nécessitait un coup d'Etat ou une invasion militaire. Ses responsables étaient accusés de crime de haute trahison et d'intelligence avec l'ennemi. (Ce que l'exécutif semble effectivement craindre, une révision de février 2007 du statut pénal du chef de l'Etat ayant abandonné l'expression haute trahison pour celle de manquements à ses devoirs manifestement incompatibles avec l'exercice de son mandat.) De nos jours, une conduite du changement bien menée réalise la même chose qu'un putsch ou qu'une guerre mais sans coup férir, par petites touches progressives et graduelles, en segmentant et individualisant la population impactée, de sorte que la perception d'ensemble du projet soit brouillée et que la réaction soit rendue plus difficile. Ainsi, Denis Kessler, ancien vice-président du MEDEF écrivait dans le magazine Challenges en octobre 2007 : "Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme... A y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !"
         D'autres appellations peuvent encore qualifier cette méthode : stratégie de tension, pompier pyromane, ordre à partir du chaos, destruction créatrice, "dissoudre et coaguler", ou encore la trilogie du problème-réaction-solution. Kurt Lewin et Thomas Moriarty, deux fondateurs de la psychologie sociale, ont théorisé cette méthode en trois temps dans l'articulation entre ce qu'ils ont appelé "effet de gel" et "fluidification". L'effet de gel qualifie la tendance spontanée de l'être humain à ne pas changer ses habitudes et ses structures internes de fonctionnement, à entretenir son "habitus" dirait Bourdieu, tendance qui se trouve au fondement de toute culture et de toute tradition comme ensemble d'habitudes ordonnées propres à un groupe et transmises à l'identique entre générations. La fluidification désigne l'action extérieure au groupe consistant à jeter le trouble dans sa culture et ses traditions, créer des tensions dans le but de déstructurer ses habitudes de fonctionnement et de disloquer ce groupe à plus ou moins brève échéance. Affaibli et vulnérable, ses défenses immunitaires entamées et son niveau de souveraineté abaissé, le groupe peut alors être reconstruit sur la base de nouvelles normes importées, qui implantent un type de régulation exogène permettant d'en prendre le contrôle de l'extérieur.
         La célèbre phrase de Jean Monnet, un des pères fondateurs de l'Union européenne, "Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise", pourrait servir de maxime à tous les ingénieurs sociaux. Une conduite du changement bien menée consiste ainsi en trois étapes : fluidifier les structures "gelées" du groupe par l'injection de facteurs de troubles et d'éléments perturbateurs aboutissant à une crise - c'est l'étape 1 de la création du problème, la destruction intentionnelle ou "démolition contrôlée" ; cette déstabilisation provoque inévitablement une réaction de désarroi dans le groupe - c'est l'étape 2, dont la difficulté consiste à doser avec précaution les troubles provoqués, une panique totale risquant de faire échapper le système au contrôle de l'expérimentateur ; enfin, l'étape 3, on apporte une solution de re-stabilisation au groupe, solution hétéronome que le groupe accueillera avec enthousiasme pour calmer son angoisse, sans se rendre compte que, ce faisant, il s'est livré à une ingérence extérieure

    Gouverner par le chaos

    http://www.oragesdacier.info/

  • Entretien avec Dominique Venner au sujet d'Ernst Jünger et la Révolution conservatrice

    Pauline Lecomte : Vous avez publié naguère une biographie intellectuelle consacrée à Ernst Jünger, figure énigmatique et capitale du XXe siècle en Europe. Avant de se faire connaître par ses livres, dont on sait le rayonnement, cet écrivain majeur fut un très jeune et très héroïque combattant de la Grande Guerre, puis une figure importante de la "révolution conservatrice". Comment avez-vous découvert l’œuvre d'Ernst Jünger ?
    Dominique Venner : C'est une longue histoire. Voici longtemps, quand j'écrivais la première version de mon livre Baltikum, consacré à l'aventure des corps-francs allemands, pour moi les braises de l'époque précédente étaient encore chaudes. Les passions nées de la guerre d'Algérie, les années dangereuses et les rêves fous, tout cela bougeait encore. En ce temps-là, un autre écrivain allemand parlait à mon imagination mieux que Jünger. C'était Ernst von Salomon. Il me semblait une sorte de frère aîné. Traqué par la police, j'avais lu ses Réprouvés tout en imaginant des projets téméraires. Ce fut une révélation. Ce qu'exprimait ce livre de révolte et de fureur, je le vivais : les armes, les espérances, les complots ratés, la prison... Ersnt Jünger n'avait pas connu de telles aventures. Jeune officier héroïque de la Grande Guerre, quatorze fois blessé, grande figure intellectuelle de la "révolution conservatrice", assez vite opposé à Hitler, il avait adopté ensuite une posture contemplative. Il ne fut jamais un rebelle à la façon d'Ernst von Salomon. Il a lui-même reconnu dans son Journal, qu'il n'avait aucune disposition pour un tel rôle, ajoutant très lucidement que le soldat le plus courageux - il parlait de lui - tremble dans sa culotte quand il sort des règles établies, faisant le plus souvent un piètre révolutionnaire. Le courage militaire, légitimé et honoré par la société, n'a rien de commun avec le courage politique d'un opposant radical. Celui-ci doit s'armer moralement contre la réprobation générale, trouver en lui seul ses propres justifications, supporter d'un cœur ferme les pires avanies, la répression, l'isolement. Tout cela je l'avais connu à mon heure. Cette expérience, assortie du spectacle de grandes infamies, a contribué à ma formation d'historien. A l'époque, j'avais pourtant commencé de lire certains livres de Jünger, attiré par la beauté de leur style métallique et phosphorescent. Par la suite, à mesure que je m'écartais des aventures politiques, je me suis éloigné d'Ernst von Salomon, me rapprochant de Jünger. Il répondait mieux à mes nouvelles attentes. J'ai donc entrepris de le lire attentivement, et j'ai commencé de correspondre avec lui. Cette correspondance n'a plus cessé jusqu'à sa mort.

    P. L. : Vous avez montré qu'Ernst Jünger fut l'une des figures principales du courant d'idées de la "révolution conservatrice". Existe-t-il des affinités entre celle-ci et les "non conformistes français des années trente" ?
    D. V.
    : En France, on connaît mal les idées pourtant extraordinairement riches de la Konservative Revolution (KR), mouvement politique et intellectuel qui connut sa plus grande intensité entre les années vingt et trente, avant d'être éliminé par l'arrivée Hitler au pouvoir en 1933. Ernst Jünger en fut la figure majeure dans la période la plus problématique, face au nazisme. Autour du couple nationalisme et socialisme, une formule qui n'est pas de Jünger résume assez bien l'esprit de la KR allemande : "Le nationalisme sera vécu comme un devoir altruiste envers le Reich, et le socialisme comme un devoir altruiste envers le peuple tout entier".

    Pour répondre à votre question des différences avec la pensée française des "non conformistes", il faut d'abord se souvenir que les deux nations ont hérité d'histoires politiques et culturelles très différentes. L'une était sortie victorieuse de la Grande Guerre, au moins en apparence, alors que l'autre avait été vaincue. Pourtant, quand on compare les écrits du jeune Jünger et ceux de Drieu la Rochelle à la même époque, on a le sentiment que le premier est le vainqueur, tandis que le second est le vaincu.
    On ne peut pas résumer des courants d'idées en trois mots. Pourtant, il est assez frappant qu'en France, dans les différentes formes de personnalisme, domine généralement le "je", alors qu'en Allemagne on pense toujours par rapport au "nous". La France est d'abord politique, alors que l'Allemagne est plus souvent philosophique, avec une prescience forte du destin, notion métaphysique, qui échappe aux causalités rationnelles. Dans son essais sur Rivarol, Jünger a comparé la clarté de l'esprit français et la profondeur de l'esprit allemand. Un mot du philosophe Hamman, dit-il, "Les vérités sont des métaux qui croissent sous terre", Rivarol n'aurait pas pu le dire. "Il lui manquait pour cela la force aveugle, séminale."

    P. L. : Pouvez-vous préciser ce qu'était la Weltanschauung du jeune Jünger ?
    D. V. : Il suffit de se reporter à son essai Le Travailleur, dont le titre était d'ailleurs mal choisi. Les premières pages dressent l'un des plus violents réquisitoires jamais dirigés contre la démocratie bourgeoise, dont l'Allemagne, selon Jünger, avait été préservée : "La domination du tiers-état n'a jamais pu toucher en Allemagne à ce noyau le plus intime qui détermine la richesse, la puissance et la plénitude d'une vie. Jetant un regard rétrospectif sur plus d'un siècle d'histoire allemande, nous pouvons avouer avec fierté que nous avons été de mauvais bourgeois". Ce n'était déjà pas mal, mais attendez la suite, et admirez l'art de l'écrivain : "Non, l'Allemand n'était pas un bon bourgeois, et c'est quand il était le plus fort qu'il l'était le moins. Dans tous les endroits où l'on a pensé avec le plus de profondeur et d'audace, senti avec le plus de vivacité, combattu avec le plus d'acharnement, il est impossible de méconnaître la révolte contre les valeurs que la grande déclaration d'indépendance de la raison a hissées sur le pavois." Difficile de lui donner tort. Nulle part sinon en Allemagne, déjà avec Herder, ou en Angleterre avec Burke, la critique du rationalisme français n'a été aussi forte. Avec un langage bien à lui, Jünger insiste sur ce qui a préservé sa patrie : "Ce pays n'a pas l'usage d'un concept de la liberté qui, telle une mesure fixée une fois pour toutes est privée de contenu". Autrement dit, il refuse de voir dans la liberté une idée métaphysique. Jünger ne croit pas à la liberté en soi, mais à la liberté comme fonction, par exemple la liberté d'une force : "Notre liberté se manifeste avec le maximum de puissance partout où elle est portée par la conscience d'avoir été attribuée en fief." Cette idée de la liberté active "attribuée en fief", les Français, dans un passé révolu, la partagèrent avec leurs cousins d'outre-Rhin. Mais leur histoire nationale évolué d'une telle façon que furent déracinées les anciennes libertés féodales, les anciennes libertés de la noblesse, ainsi que Tocqueville, Taine, Renan et nombre d'historiens après eux l'ont montré. A lire Jünger on comprend qu'à ses yeux, à l'époque où il écrit, c'est en Allemagne et en Allemagne seulement que les conditions idéales étaient réunies pour couper le "vieux cordon ombilical" du monde bourgeois. Il radicalise les thèmes dominants de la KR, opposant la paix pétrifiée du monde bourgeois à la lutte éternelle, comprise comme "expérience intérieure". C'est sa vision de l'année 1932. Avec sa sensibilité aux changements d'époque, Jünger s'en détournera ensuite pour un temps, un temps seulement. Durant la période où un fossé d'hostilité mutuelle avec Hitler et son parti ne cessait de se creuser.
    Dominique Venner, Le choc de l'histoire (Via Romana, 2011)

    http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EFZAFAVlpVzKcQpHdi.shtml

  • Russie : le salut démographique viendra-t-il de l’Est ?

    Russie : le salut démographique viendra-t-il de l’Est ?

    MOSCOU (NOVOpress via le Bulletin de réinformation) - Le charme de l’âme slave n’étant plus suffisant à créer les conditions nécessaires d’une natalité expansionniste, le gouvernement russe à lancé, depuis 2006, un plan de redressement de la natalité (en Une, affiche de la campagne pour le redressement de la natalité du gouvernement dans le métro de Moscou).

    La mesure‑phare de ce plan est le « capital maternité », soit 9.500 € versés pour chaque enfant à partir du troisième. Depuis la chute de l’URSS, la Russie à vu sa population diminuer de six millions d’habitants. Or, entre 1999 et 2010, grâce à d’énergiques mesures comme celle‑ci, le nombre d’enfants par femme est remonté de 1,1 à 1,5, soit une hausse de 40 % !

    Cette politique publique audacieuse et pleine de bon sens pourrait inspirer nos gouvernants… Si ceux‑ci ne possédaient pas déjà des solutions de « remplacement »… Imagine-t-on le même type d’affiche pour une campagne du gouvernement français dans le métro de Paris, et les réactions des associations subventionnées et des grand médias ?

    http://fr.novopress.info/141707/russie-le-salut-demographique-viendra-t-il-de-lest/

  • L’effondrement des sociétés complexes !

    Mes chères contrariées, mes chers contrariens !

    Avant de pouvoir aborder le résultat des élections allemandes avec un peu de recul, je souhaitais faire découvrir à ceux qui ne le connaîtraient pas le travail remarquable du professeur américain Joseph Tainter dont l’ouvrage L’Effondrement des sociétés complexes a été traduit et est désormais disponible en France aux éditions Le Retour aux Sources. Vous trouverez un lien ci-dessous pour pouvoir vous procurer ce livre directement par Internet. Je vous en conseille vivement la lecture.

    Jamais nous n’avons ressenti un danger d’effondrement aussi fortement.

    L’inquiétude des gens est aujourd’hui palpable. Nous avons peur. Nous craignons à juste titre que nos modes de vie soient profondément remis en cause par la crise que nous traversons. Pour beaucoup, les causes de cette crise restent diffuses mais le ressenti demeure juste. Quelque chose ne va pas et ce quelque chose pourrait s’avérer dramatique. Comprendre les processus, connaître l’histoire, disposer de grilles de lecture sont autant d’atouts et d’outils qui permettront à chacun d’anticiper les risques majeurs auxquels ils sont susceptibles, avec une probabilité importante, de devoir faire face.

    L’explosion de l’euro, l’arrivée d’un nouveau système monétaire international ou encore une crise bancaire systémique, sans oublier une crise d’insolvabilité généralisée, sont autant de « drames » qui nous pendent au nez dans un futur proche.

    Ce que nous propose le professeur Tainter n’est rien moins qu’une grille de lecture fascinante et passionnante destinée à expliquer dans l’histoire du monde les processus d’effondrement des sociétés complexes. Disons-le, nos civilisations répondent en tous points aux critères d’effondrement mais aussi aux forces de rappels permettant de retarder, pour l’instant, ce moment de l’effondrement.

    La Théorie

    J’ai tenté de vous synthétiser et résumer ci-dessous les principaux éléments qui conduisent à l’effondrement d’une société. En réalité, l’ensemble de ces paramètres se vérifient dans l’histoire pour chacune des sociétés complexes s’étant effondrées, de l’Empire romain à la civilisation Maya.

    1/ Les sociétés humaines sont des organisations faites pour résoudre les problèmes.

    2/ Les systèmes sociopolitiques ont besoin d’énergie pour se maintenir.

    3/ La complexité accrue porte en elle des coûts accrus par habitants.

    4/ L’investissement dans la complexité sociopolitique, en tant que réponse à la résolution des problèmes, atteint souvent un point de rendements marginaux décroissants.

    5/ À mesure que le rendement marginal de l’investissement dans la complexité décline, la société investit toujours plus lourdement dans une stratégie proportionnellement moins rentable. Il faut alors faire face aux poussées de tensions en dehors du budget de fonctionnement courant.

    6/ Les rendements marginaux décroissants font de la complexité une stratégie d’ensemble de moins en moins séduisante, si bien que des parties d’une société perçoivent un avantage croissant à une politique de séparation ou de désintégration. Logiquement, divers segments de la population accroissent leur résistance active ou passive, ou tentent ouvertement de faire sécession.

    Par rapport à cette grille de lecture, force est de constater qu’un pays comme la France obtient à peu près un sans-faute aux critères de l’effondrement. Comme quoi, nous pouvons être premier quelque part et avec facilité. Les exilés fiscaux ne sont rien d’autre que des « segments de la population qui accroissent leur résistance active ».

    Nous finançons notre complexité par toujours plus d’impôts sur toujours plus de choses comme la cigarette électronique, les boissons, et la créativité de nos élites est sur ce sujet sans limite.

    Le « choc de simplification » lancé par notre président est un vieux serpent de mer. Tout le monde veut simplifier la complexité, or la complexité s’est emballée, elle nous échappe, nous courrons derrière elle. Nous la subissons.

    L’effondrement une bénédiction ?

    Une des idées tout à fait intéressante de cet ouvrage est que finalement, l’effondrement peut aussi être une chance et un choix rationnel des acteurs économiques. Tout cela me coûte tellement cher que si cet État s’effondrait, on se débrouillerait mieux tout seul et sans lui (ce que les Belges ont prouvé au monde en restant sans gouvernement plus d’un an).

    Les sociétés complexes sont récentes dans l’histoire de l’humanité. L’effondrement n’est alors pas une chute vers quelque chaos primordial, mais un retour à la condition normale de moindre complexité.

    L’effondrement n’est donc pas une catastrophe uniforme.

    Dans la mesure où l’effondrement est dû aux rendements marginaux décroissants de l’investissement dans la complexité, c’est un processus économique. Il se produit lorsqu’il devient nécessaire de restaurer le rendement marginal dans l’organisation à un niveau plus favorable.

    Pour une population qui reçoit peu en retour de ce qu’elle investit pour soutenir la complexité, la perte de celle-ci apporte des gains économiques et sans doute administratifs.

    Adapté à notre pays, cela donnerait que tous les couples très riches (au sens gouvernemental) gagnant plus de 4 000 euros/mois paient beaucoup et reçoivent peu et de moins en moins. Ils auront dès 2015 intérêt à ce que ce système qui les spolie s’effondre, or ils représentent le cœur même d’un pays donc du système.

    L’effondrement est impossible à ce jour (vous allez pouvoir rassurer votre belle-mère en partie et pas longtemps)

    Je cite longuement la théorie avancée. Je ne partage pas pleinement cet avis. J’y reviens plus loin.

    « Dans des situations de régimes politiques concurrents, ou potentiellement concurrents, l’option de l’effondrement vers un niveau inférieur de complexité est une invitation à être dominé par un autre membre de cet agglomérat. Par conséquent, la complexité doit être maintenue quels qu’en soient les coûts. »

    « L’effondrement n’est possible que là où n’existe aucun concurrent assez fort pour remplir le vide politique de la désintégration. Dans ce cas, la faiblesse politique et militaire conduira à une lente désintégration et/ou à un changement de régime. »

    Le monde d’aujourd’hui est saturé. Il est rempli de sociétés complexes. L’effondrement n’est ni une option, ni une menace immédiate. Toute nation vulnérable devra suivre l’une de ces trois options :

    1/ Absorption par un voisin ou un État plus grand.
    2/ Soutien économique par une puissance dominante ou par une agence de financement internationale.
    3/ Paiement par la population de tous les coûts nécessaires pour poursuivre la complexité, aussi néfaste que soit le rendement marginal.

    Et le professeur Tainter de conclure que « si l’effondrement n’est pas pour le futur immédiat, cela ne revient pas à dire que le niveau de vie industriel bénéficie également d’un sursis. Le niveau de vie stagnera ou baissera ».

    Nous ferons tout ce qui nous coûtera le plus cher…

    Avant de me lancer dans la critique (constructive) de ces derniers points, je souhaitais revenir sur le cas des pays européens. Avec l’accord transatlantique, nous serons absorbés par un voisin plus grand. Avec l’Europe, une puissance dominante que nous finançons tente de fournir un soutien économique. Au final, c’est bien la population qui paiera tous les coûts nécessaires à la poursuite de cette folle complexité. La description réalisée par le professeur Tainter est particulièrement juste sur ce sujet précis.

    La critique de la théorie de l’effondrement

    Je formule cette critique constructive en toute modestie vu le travail encore une fois remarquable de ce professeur sur ce sujet de l’effondrement des sociétés complexes.

    Dans sa théorie, l’effondrement par définition ne peut avoir lieu que lorsqu’il se fait dans le vide et qu’aucun système ne peut venir prendre le contrôle.

    J’en déduis donc que pour lui l’idée d’effondrement est total, l’effondrement c’est dans son acceptation une forme de fin du monde absolue. Si sa définition de l’effondrement est bien celle-ci alors je suis d’accord, l’effondrement ne peut se produire que dans le vide.

    Dans une acceptation plus populaire et moins universitaire, l’exemple récent de l’Empire soviétique, dont tout le monde s’accorde pour dire qu’il s’est effondré, est à mon avis beaucoup plus adapté à la compréhension des risques actuels que la théorie du professeur Tainter pourtant brillante mais souffrant sur ce point non pas d’une lacune que d’un besoin d’éclaircissement.

    Je suppose que, dans l’esprit de la théorie, l’effondrement de l’Empire soviétique suite à la chute du mur de Berlin est plus considéré comme un changement de régime que comme un effondrement. Pourtant, les conséquences quotidiennes pour la population et durant de nombreuses années s’apparentaient bien à un effondrement. Effondrement économique, effondrement des structures d’État, effondrement militaire, effondrement social, effondrement géographique avec la fin réelle d’un empire réel, et j’en passe.

    L’Empire soviétique ne s’est pas effondré dans le vide. Il s’est plutôt effondré des suites de l’amicale pression de son concurrent « l’Empire » américain qui, pour autant, n’est pas allé occuper le Kremlin en lieu et place de l’armée rouge, même s’il y a eu et qu’il y a encore une forme d’occupation économique.

    L’autre idée qui me gêne est la suivante : pourquoi ne pourrait-il pas y avoir un effondrement global puisque le monde est global ?

    Le professeur Tainter a une vision qui reste une vision historique fort brillante. Mais cette vision de l’histoire est-elle adaptée à notre situation actuelle ?

    Il considère chaque pays comme une entité propre, comme une civilisation à part entière, comme un système indépendant pouvant ou pas, selon certains critères, s’effondrer. Pour lui, « le monde d’aujourd’hui est saturé. Il est rempli de sociétés complexes ».

    Je considère qu’en réalité le monde n’est pas saturé et rempli de sociétés complexes juxtaposées mais qu’il s’agit d’une même et seule société, d’une même et seule économie, d’une même et seule civilisation, interconnectée, mondialisée, globalisée. Logiquement, si cette économie unique, cette économie mondiale était amenée à s’effondrer, elle s’effondrerait bien dans rien… conformément à la théorie du professeur Tainter.

    Dans tous les cas, je vous recommande vivement la lecture de cet ouvrage indispensable à toutes celles et ceux qui sont préoccupés par ce sujet des risques d’effondrement dans nos sociétés. Ce livre est incontournable de vos étagères car je ne vous ai offert ici qu’un résumé rapide de la pensée de l’auteur.

    À demain… si vous le voulez-bien !!

    Note :

    Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Contrarien Matin est un quotidien de décryptage sans concession de l’actualité économique édité par la société AuCOFFRE.com. Article écrit par Charles SANNAT, directeur des études économiques. Merci de visiter notre site. Vous pouvez vous abonner gratuitement www.lecontrarien.com.
    Charles Sannat, 24hGOLD