culture et histoire - Page 1747
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Fraction - L'appel
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Retour sur le CMRDS 2013 (2) : La vidéo
Après le reportage et les témoignages, voici ce que vous attendez tous, la vidéo du CMRDS 2013 qui a été une réussite et qui promet une année militante intensive.
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Le « MAURRAS » De Giocanti : Ombres et lumières d’un grand livre
Parcourir un volume de près de six cents pages consacrées à Charles Maurras, riche, dense, écrit par un homme de grande culture, avec des documents inédits, attire à juste titre la sympathie du lecteur. Francis Venant, dans L’AF 2000 du 5 octobre, a parfaitement rendu compte de cet attrait, et, entrant plus profondément dans le livre, il en a mis en lumière d’excellents aspects. Il me reste la charge redoutable d’en montrer les côtés négatifs, sans tomber dans un esprit de dénigrement systématique, et il convient de rendre hommage, pour commencer, à la somme de travail fournie par l’auteur, à la sympathie intellectuelle quil éprouve envers Maurras écrivain et artiste. Francis Venant, d’ailleurs, à la fin de sa recension, émet de graves réserves sur les affirmations de Stéphane Giocanti à propos de l’Action française.
Le plaisir que j’ai ressenti à la lecture du livre a été traversé, à plusieurs reprises, par un sentiment de malaise dont j’ai cherché, dans une seconde lecture, à déterminer les éléments. En voici un rapport succinct.
D’abord, si Maurras apparaît clairement comme écrivain, comme artiste, comme penseur, on voit moins bien qu’il est entré en politique « comme on entre en religion » : la vie de l’Action française représente dans ce livre comme une toile de fond brossée à grands traits, elle ne semble pas faire intimement partie de l’existence de l’homme sans lequel elle n’eût été qu’un mouvement nationaliste de plus cherchant vainement à guérir la République de ses vices congénitaux.
Un poète en prison
Ce titre du chapitre qui suit la condamnation de Maurras m’a déplu. La justice « fini » n’a pas condamné un vieux poète, les démocrates-chrétiens et les socialo-communistes qui l’inspiraient ont réglé leurs comptes avec le chef de l’Action française et le philosophe contre-révolutionnaire. Maurras sest justement écrié : « Cest la revanche de Dreyfus ! »
Parlons donc de cette Affaire . Stéphane Giocanti croit à l’innocence du capitaine. C’est son droit. Mais il croit aussi que Maurras s’est acharné à vouloir prouver la culpabilité de l’accusé parce qu’il était juif. Cest faux. L’antidreyfusisme était plus une lutte contre un parti quune hostilité à la personnalité falote dAlfred : « Mon premier et dernier avis là-dessus a été que, si par hasard Dreyfus était innocent, il fallait le nommer Maréchal de France, mais fusiller une douzaine de ses principaux défenseurs pour le triple tort qu’ils faisaient à la France, à la Paix, à la Raison. » (Au signe de Flore)
L’antisémitisme de Maurras et de l’Action française fut toujours politique ; cela na pas été compris de Stéphane Giocanti qui s’étonne quon puisse faire l’éloge funèbre du grand rabbin de Lyon, tombé au champ d’honneur et affirmer un antisémitisme politique. Il va jusqu’à parler, à propos de Maurras, « d’irrationalité xénophobe » ! Ajoutons que notre époque de langue de bois ne sait plus ni lire ni comprendre les excès calculés de la polémique classique.
Les conséquences politiques de l’Affaire sont également présentées au conditionnel : « L’Affaire aurait eu pour conséquence d’affaiblir la France. » On a dit que la cause de la guerre de 1914 était le renvoi de Delcassé après lequel l’Empire allemand a cru quil pouvait tout se permettre avec la République française. « Mais, écrit Maurras dans l’Examen de l’édition définitive de Kiel et Tanger, la capitulation d’avril 1905 résultait de l’état où les auteurs de l’affaire Dreyfus avaient jeté les forces militaires, maritimes, politiques et morales du pays légal. » (Nouvelle Librairie nationale, 1921).
Dans sa brochure sur Les Origines et la doctrine de l’Action Française, Léon de Montesquiou écrit : « L’Action française est née de l’Affaire Dreyfus… elle représente à son origine la réaction de quelques patriotes en présence de la trahison commise contre la France ». S’il était sot et criminel d’être antidreyfusard, l’AF est un non-sens.
Maurras et l’Action française devant l’Église
Pour la condamnation de 1926, Stéphane Giocanti souligne avec raison les outrances qui discréditent le cardinal Andrieu, mais il explique en grande partie la condamnation romaine par les attaques du quotidien contre la politique de Pie XI. L’auteur ne s’avance pas trop dans ce dossier : il semble ignorer, par exemple, les raisons de la retraite du cardinal Billot, l’ancien théologien de saint Pie X, contraint à la démission et mis dans une véritable résidence surveillée par le pontife qu’il avait couronné de ses mains. Et il faut être lecteur attentif pour noter la levée de la condamnation par Pie XII sans rétractation d’erreurs doctrinales dès les premières semaines de son pontificat. Tandis que la condamnation occupe beaucoup de place, sa levée est, dans ce livre, d’une déroutante discrétion !
La guerre d’Espagne
Stéphane Giocanti se montre d’une grande prudence pour éviter les foudres du politiquement peut que détester ce lourd néologisme journalistique au sens imprécis (VI, 5). À partir d’une certaine époque, les cadres de l’AF vieillissant, Maurras le premier, le nationalisme intégral se serait sclérosé. « Les critères pour analyser et juger se renouvellent peu et parfois se répètent. » Mais on ne va pas reprocher à un penseur d’utiliser une démonstration qui a fait ses preuves ! Le Vrai ne lasse pas l’homme qui y croit et qui l’aime. Les méthodes d’analyse, d’induction et de déduction ne changent pas. Ou alors il faut se dire relativiste et, si on est cohérent, renoncer à classer, à juger.
« En 1938, Maurras a soixante-dix ans. Une société différente apparaît. C’est un contemporain de Taine et de Fachoda qui est entré dans l’ère de Citroën et de Charles Trenet. » Ce coup d’œil complice à la jeunesse et à la modernité fait pitié. Passons sur l’anglicisme : le français n’utilise pas le comparatif sans complément. Qui Stéphane Giocanti compare-t-il à Taine, l’industriel ou le chanteur de variétés ? Par une réflexion aussi indigente que floue l’auteur a voulu discréditer Maurras juste avant la guerre en lui donnant des circonstances atténuantes : le vieux monsieur septuagénaire dira des sottises en se ralliant à un maréchal presque nonagénaire. Non, et non !
Stéphane Giocanti note avec justesse que la collaboration vint d’abord de la gauche. Citons Maurras : « Les quelques malheureux qui ont trahi l’Action française pendant l’Occupation n’ont eu quà rétrograder jusqu’à leur jeunesse scolaire de la rue d’Ulm pour rejoindre ces Déat, ces Paul de Rives, ces Spinasse, ces Suarez qu’il n’avait pas été nécessaire de recatéchiser. » (Votre Bel Aujourd’hui, p. 35-36)
La France, La France seule
Mais « Maurras perd peu à peu les pouvoirs de son réalisme politique ». Sa passion résistantialiste aveugle l’auteur qui écrit une page injuste contre Xavier Vallat. Stéphane Giocanti ne comprend pas pourquoi le journal a continué à paraître pendant la guerre, il ne comprend pas l’attitude de Maurras, il ne comprend pas le Maréchal. Qu’il relise La seule France : tout est clair, évident, lumineux, parfaitement dans la logique d’Action française. Sans le Maréchal, sans l’Action française, Doriot, Déat auraient pu entraîner des masses de malheureux dans une sotte « croisade contre le bolchevisme ». Imaginons un million de Français sur le front russe, une jeunesse fauchée sous l’uniforme ennemi, la France vaincue deux fois dans le même conflit. Le clan des Yes et le clan des Ja représentaient tous deux la guerre civile ; Maurras a accompli son devoir jusque’au bout en en dénonçant les fauteurs, au péril de sa vie.
Nous sommes fiers d’être d’Action française, nous sommes fiers des hommes qui nous ont précédés au sein de ce mouvement de salut public, nous sommes fiers de notre Maître, Charles Maurras qui est non seulement un des plus grands de nos prosateurs et de nos poètes, mais aussi et surtout « le plus Français des Français ».
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 19 octobre au 1er novembre 2006
* Stéphane Giocanti : Maurras, le chaos et l’ordre. Éd Flammarion, 580 pages, 27 euros. -
Raoul Girardet : un homme d’honneur
par Dominique Jamet
« J’ai des rêves de guerre en mon âme inquiète/ J’aurais été soldat si je n’étais poète… », écrivait Victor Hugo, qui préféra pourtant la plume au sabre et parvint à la gloire par d’autres sentiers que celui de la guerre.
La guerre, Raoul Girardet, qui vient de mourir à l’âge de quatre-vingt-quinze ans, n’eut pas besoin d’en rêver, car il l’avait faite, avec honneur. Mais sans doute, né dans une famille de militaires de carrière, aurait-il lui aussi été soldat s’il n’avait bifurqué vers l’Université. Un moment tenté par l’Action française, parce que nationaliste, il s’en éloigna parce que républicain, et allergique à l’antisémitisme de Maurras. Il ne cessa jamais, en revanche, de se sentir proche de l’armée : son monumental ouvrage, La société militaire dans la France contemporaine, 1814-1939, qui fait autorité, en est le durable témoignage.
Professeur à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, à l’ENA, à l’École polytechnique et à l’Institut d’études politiques pendant trente ans, Girardet a formé et séduit des générations d’étudiants. Élève à Sciences Po, j’ai suivi avec profit le légendaire séminaire sur le mouvement des idées politiques dans la France contemporaine dont il était l’un des trois animateurs, l’une des trois âmes, lui réputé « d’extrême droite », avec Jean Touchard, socialiste, et René Rémond, démocrate-chrétien. Tous les trois hommes de convictions, tous les trois hommes de tolérance, dans la parfaite harmonie que peut constituer l’expression d’idées différentes lorsqu’elles sont professées par des hommes d’un égal désintéressement et d’une égale bonne foi. [...]
La suite sur Boulevard Voltaire
Deux rectifications : Raoul Girardet ne fut pas "un moment tenté par l’Action française", comme s’il fallait l’en dédouaner : il y fut un militant actif et il ne renia jamais son passage à l’Action française. Je renvoie à ce sujet à l’homme rendu sur le site de l’AF Provence : Girardet expose le plus tranquillement du monde à Pierre Assouline ce que lui a apporté l’enseignement maurrassien, ainsi qu’à toute une génération.
Il fut par ailleurs un des rédacteurs de La Nation Française, hebdomadaire maurrassien fondé par Boutang (1955-1967) qu’il quitta au début de 1960, après la journée des "barricades" d’Alger avec notamment Jules Monnerot pour fonder quelques mois plus tard L’Esprit public, un journal antigaulliste proche de l’OAS. C’est précisément parce que Boutang et La Nation Française ne leur semblaient pas suffisamment antigaullistes qu’ils fondèrent ce journal. Boutang ne rejoignit pas l’OAS même s’il en comprenait l’intention et dénonça publiquement la répression féroce du régime gaulliste à son encontre..
François Marcilhac http://www.actionfrancaise.net/craf/?Raoul-Girardet-un-homme-d-honneur
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Entretien avec Heidegger: penser l'Être
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Coup de pompe en Côte-d’Or
Où va la France rurale ? Encore combien de Chevallier ?
A Salives, la station-service a fermé. Chez les Mathiot, à Saint-Broing-les-Moines, elle a fermé aussi. A Saint-Marc-sur-Seine, sur la départementale 971, un jeune homme à Mobylette se souvient de sa honte quand un avocat de passage lui a demandé où prendre de l’essence dans le village. La station a fermé en 2012, comme les autres. Les cuves devaient être refaites aux normes, une affaire de 85 000 euros. Le pompiste est devenu homme de ménage. Sa femme, on ne sait pas. Le jeune homme se sent dans un « pays perdu » : « Plus personne ne nous trouve comme intéressant : on n’a même plus le droit d’être des consommateurs. »
De Dijon à Châtillon-sur-Seine, on peut continuer à compter les pompes. Ce sera vite fait. Les Chevallier restent les seuls ouverts à la ronde, ou plus exactement les derniers, à l’entrée d’Aignay-le-Duc. Le Bien public, quotidien de la Côte-d’Or, l’a surnommée « la station ultime ». Ça ne déplaît pas à M. Chevallier, baptisé depuis « la star ».
Mme Chevallier tient elle-même la caisse, payée à mi-temps. Un gars lui tend sa carte bancaire, plutôt petit de taille, avec du poil roux qui frise sur ses bras. Il était grossiste en fruits et légumes, dans les années 1970, à l’époque où les cantons comptaient trente ou quarante épiciers. Il les a vus tomber un à un, en même temps que les écoles, les postes, les boulangeries, les bistrots. « Maintenant, c’est notre tour », dit Mme Chevallier.
Quand M. Chevallier a repris la station, en 1998, elle était fermée depuis deux ans et le village entier la pleurait. Les Chevallier ont été fêtés en sauveurs. Aujourd’hui, ils ne sont pas sûrs d’aller jusqu’à la retraite. « Même des gens du village font parfois 35 kilomètres pour faire le plein à l’hypermarché de Châtillon. » « C’est eux qui ont bouffé tout le monde », lâche « Poil roux » en reprenant sa carte bancaire. Une guitare et une croix brillent en pendentifs autour de son cou. Il ne joue pas de guitare, mais croit en Dieu, qui le protège dans son nouveau travail, un étal sur les marchés.
« Moi j’y vais, chez Intermarché, reconnaît un apprenti en électricité. Mais en cachette, pour ne pas faire de peine à M. et Mme Chevallier. » Ça fait une sortie. On voit du monde. Et puis on drague. Cette fois, l’apprenti vient de finir son stage et n’en trouve pas d’autre. Or Mme Chevallier accepte qu’on la paie en deux fois. Dans la région, elle doit être la seule à prendre encore les chèques. Elle retarde les encaissements pour arranger les clients fidèles. Elle demande : « Sans ça, est-ce qu’on y arriverait encore ? »
Depuis la caisse, elle voit le vieux lavoir, de l’autre côté de la route, les feuilles jaune pâle des tilleuls qu’un vent tiède n’arrive pas à froisser et une bâtisse imposante, surnommée « Le Château », où un cardiologue passe ses week-ends, « un Parisien mais qui dit bonjour », bref quelqu’un de bien. Les Belges, aussi, se plaisent sur les coteaux. Ici, « Belge » signifie en réalité « vacancier » ou, à la limite, « vétérinaire », parce que ceux du secteur ont tous cette nationalité-là. A Recey-sur-Ource, le médecin, lui, est vietnamien. En revanche, parler d’ « Irlandais » ou de « Roumains » désigne les « ouvriers du bâtiment » qui font les gros chantiers pour 180 euros par mois, avec des contrats courts par rotation. Dans le village à côté, ils sont turcs et polonais, mais c’est synonyme.
« Elle mange de l’argent »
Devant la pompe à gasoil, la conversation roule sur un couple pressenti pour reprendre un commerce dans un village voisin avec l’aide de la mairie.
« On les voit aux infos le jour où ils inaugurent, mais pas quand ils ferment un an et demi plus tard, dit Michelle, qui tient un gîte rural.
– Ils arrivent avec des grandes idées.
– Faire les 35 heures, par exemple, ou bien prendre ses week-ends. »
Tout le monde rit, puis les regards se promènent, faussement patelins, sur les clients de passage, qu’on ne connaît pas. « Vous n’êtes pas fonctionnaire, au moins ? » Un agriculteur se récrie ne pas avoir à se plaindre non plus. « Je suis quand même à 730 euros par mois. »
« Et moi, je vis de ma passion », dit un chauffeur-livreur, 21 ans. Ils sont quatre sur vingt-cinq de sa classe à avoir trouvé du travail, « tous par piston ». Sinon, il n’y a rien, « même les fils de paysans s’en vont ». Le député local avait proposé de déclarer « zone franche » certains secteurs pour favoriser les commerces. Il en est à son deuxième mandat, toujours rien. On se tait pour regarder passer la camionnette de la boulangère. Elle livre les baguettes, ferme par ferme. « Je ne sais pas comment elle fait : elle mange de l’argent, forcément », dit quelqu’un. Puis l’agriculteur demande : « Vous irez voter ou pas pour les municipales ? »
Le téléphone sonne, un client qui veut remplacer un phare. M. Chevallier n’ose pas lui dire que Renault ne change plus « un phare »: il faut obligatoirement racheter les deux, 500 euros la paire. Les gens penseraient que c’est lui le voleur, M. Chevallier en est sûr. Alors, il appelle les casses, sans rien dire, pour essayer d’en trouver un. En 2012, la vente de voitures neuves a chuté d’un coup. « Les gens ne veulent plus une auto, mais une remise. »
Le soleil s’éteint doucement derrière le lavoir. L’apprenti électricien revient d’Intermarché. La fille qu’il a rencontrée au rayon fromages lui a demandé si les gens avaient des ordinateurs dans les villages. Il boude. « Tout le monde nous considère comme des arriérés. » Il est revenu chez les Chevallier prendre pour « 5 euros »d’essence, ce qui lui reste dans le porte-monnaie. On va entrer dans la dernière semaine du mois, celle où les voitures commencent à rouler de moins en moins. Puis elles s’arrêtent jusqu’au début du mois suivant.
Florence Aubenas, Le Monde, 22-23/09/2013
http://www.polemia.com/coup-de-pompe-en-cote-dor/ -
Eurasisme, Alternative à l'hégémonie libérale
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Russie : Le forum Valdaï et la question de l’identité nationale
Par Alexandre Latsa
La semaine dernière j’ai eu le plaisir de participer à un débat télévisé, c’était une table ronde sur la question de l’image de la Russie à l’étranger. La question était de savoir si les russes méritaient leur mauvaise image à l’étranger ou s’ils étaient victimes d’une image négative fabriquée et véhiculée par les médias notamment.
Ruben Safronov – “Monastère dans les collines de Valdaï” (1993)
Le débat a très rapidement dévié sur le fait de savoir s’il fallait ou non se préoccuper de l’image de la Russie et des Russes à l’étranger et surtout sur ce que sont les russes et la Russie. La question de l’identité nationale reste, dans la Russie de 2013, une question essentielle et les nombreuses discussions du club Valdaï à ce sujet viennent de le prouver.
La Russie est un pays dans lequel se côtoient énormément de peuples et de religions et des cultures totalement différentes. La Russie est européenne, slave et orthodoxe mais également asiatique, touranienne et musulmane. Elle est un pays tout à la fois nordique et méridional, et de l’Ouest comme de l’Est de l’Eurasie.
A cette immense variété culturelle et géographique, il faut ajouter qu’en Russie se côtoient tant le XIXième, que le XXième ou le XXIième siècle. Il est donc bien difficile de définir ce qu’est aujourd’hui un russe moyen et le regard que l’étranger porte sur un Russe ou un Russien, ou peut être sur les Russes et les Russiens.
La Russie sort de trois épreuves historiques fort différentes n’ayant en commun que leur violence et la destruction de la morale et de l’identité qu’elles ont généré: la période monarchiste autoritaire (le tsarisme qui toléra l’esclavage jusqu’au début du siècle dernier), la période soviétique qui contribua a la création d’un homme nouveau (l’homo soviéticus) au prix de la destruction de l’identité religieuse et nationale et enfin la période post-soviétique et libérale, qui en une grosse décennie seulement, est arrivée à détruire la Russie sur le plan moral, sanitaire et démographique.Le réveil russe auquel nous assistons depuis 2000 sur le plan économique et politique pose deux questions essentielles: qu’est-ce qu’être Russe aujourd’hui, et comment fonder une identité russe saine pour le siècle. La Russie Tsariste ne différenciait les citoyens que selon leurs rangs, pendant que l’Union Soviétique jouait la carte transnationale et citoyenne.
Dans les années 90, la Russie faisait face à une situation complexe: assurer une pacifique transition du modèle politique (de l’URSS à la fédération de Russie) tout en évitant que l’éclatement territorial ne crée des conflits sur des bases territoriales, ethniques, religieuses ou simplement identitaires.
Les stratèges de l’époque ont alors conçu un terme lexical pour définir les habitants de la Russie: le terme Rossianin, que l’on pourrait traduire par Russien en français. Utilisé par Boris Eltsine lorsqu’il s’adressait au peuple, ce terme était censé regrouper et mettre sur un pied d’égalité tous sous ensembles de la fédération de Russie. Mais en réalité, il contribua à créer une différence fondamentale entre les Russes ethniques, les Russkie, et les autres.
Une décennie plus tard, le retour en force de l’identité religieuse au sein de tous les peuples de la fédération se retrouve sans doute troublé par cette distinction de fait et qui dans l’inconscient collectif est la suivante: le russe est orthodoxe pendant que le rossianin serait autre et plutôt musulman ou bouddhiste.
Cette distinction s’accentue dans un climat ou la tendance profonde en Russie est une tendance au renforcement des identités, puisque le très sérieux Kommersant constatait il y a quelques jours que “La Russie connaît une montée de sentiments nationalistes, tandis que certaines républiques du pays peuvent déjà être qualifiées d’islamiques (…) Pour certains experts la Russie se trouve au seuil d’une grave crise nationale“.
Cette crise potentielle pourrait menacer la stabilité voire l’intégrité territoriale du pays et le président russe s’est montré très offensif à ce sujet lors du discours de clôture du forum Valdaï qui s’est tenu comme chaque année. Le chef de l’État russe a en effet appelé à ouvrir un débat sur la question de l’identité nationale et à la définition d’une identité culturelle et spirituelle. Pour lui, les frontières à ne pas franchir pendant ce débat sont tout ce qui pourrait porter atteinte à la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité du pays.
Le président russe a rappelé que “l’idée nationale ne pouvait apparaître par des règles mondiales et communes et qu’était révolu le temps ou l’on pouvait copier et appliquer une identité dans un pays comme on installe un logiciel dans un ordinateur“. Il a martelé que la Russie était un: “État-civilisation fondé sur la langue russe, la culture russe, l’Église orthodoxe russe et les autres religions traditionnelles de la Russie” ou encore que: “ce modèle avait toujours fait preuve d’une certaine flexibilité face aux spécificités locales, permettant l’unité dans la diversité“.
En 2007 à Munich, lors d’un discours qui a fait date (en version française ici), Vladimir Poutine avait clairement prévenu que la Russie ne tolérerait plus le modèle mondial unipolaire qui était en fin de cycle et que la Russie allait affirmer sa condition d’état souverain et de puissance avec laquelle il allait falloir compter. Les cinq années qui suivirent lui donnèrent raison. L’épisode de la guerre en Géorgie en 2008 puis celui de la situation actuelle en Syrie prouvent que la Russie est inexorablement passée du statut de puissance régionale à celui de puissance mondiale.
A la différence du discours de Munich en 2007, ou le président russe avait fait clairement apparaître la volonté russe d’activement participer à l’élaboration d’un monde multipolaire, le discours de Valdaï 2013 est apparu comme une critique beaucoup plus précise et affirmée des modèles de développements “euro-occidentaux” au sens large. Le président russe a par exemple vanté le traditionalisme comme étant le cœur de l’identité de la Russie, tout en déplorant les menaces telles que la “mondialisation, le multiculturalisme et l’érosion des valeurs chrétiennes – via notamment une focalisation exagérée sur les droits des minorités sexuelles“.
Ce faisant il a clairement opposé le modèle russe en gestation fondé sur la tradition au modèle euro-atlantique incapable d’influer sur la Russie et en perdition selon lui notamment car, par exemple, “il rejette les identités et met sur un pied d’égalité les familles traditionnelles avec beaucoup d’enfants et les familles de même sexe (homoparentales), soit la foi en dieu ou en Satan“. Vladimir Poutine a énormément insisté sur le point démographique et la disparition en cours des peuples européens du continent.
La Russie semble avoir clairement décidé de ne pas sacrifier son modèle civilisationnel pour rejoindre la communauté-atlantique, affirmant au contraire désormais que c’est “l’Europe qui n’avait pas d’avenir sans la Russie” mais rappelant qu’elle était bien évidemment prête à collaborer avec tout pays européen ne souhaitant pas imposer ses valeurs a la Russie.
Comme les lecteurs de RIA-Novosti le savent, le dialogue entre Russie et Occident bute en effet sur un malentendu profond qui est celui de la morale et des valeurs et il semble que sur ce point on s’approche d’un nouveau rideau de fer.
Le président russe a aussi réaffirmé que l’objectif prioritaire de la Russie était l’intégration avec ses voisins proches et le développement de l’Union Eurasiatique pour permettre à la Russie d’occuper une place stratégique centrale et ne pas se retrouver en périphérie de blocs européens ou asiatiques.
Cette nette réorientation stratégique et eurasiatique de la Russie ne concerne pas que la politique extérieure mais visiblement aussi et bien plus largement l’esprit des réformes en cours et du devenir de la Russie. Vladimir Poutine a dans cet esprit redéfini l’Union Eurasiatique non comme une simple coopération entre pays mais comme le seul “projet viable de préservation de l’identité et la diversité des peuples de l’espace eurasiatique dans le nouveau siècle et le nouveau monde“.
Parlant de la nature de l’État civilisation russe, Vladimir Poutine l’a qualifié de “complexité florissante” (цветущая сложность), une expression particulière créée par l’un des pères de l’Eurasisme politique et philosophique, Constantin Leontiev.
Constantin Leontiev avait en effet déjà développé ces conceptions eurasiatiques qui définissaient l’Eurasisme comme la “multiplicité florissante du monde”, et comme l’essence du monde multiple et multipolaire face à l’unilatéralisme occidental et ce… Au milieu du XIXième siècle.
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Bernard Lugan, Décolonisez l’Afrique !, Ellipses, 2011.
Bernard Lugan, spécialiste français de l’histoire, de la géographie et de la géopolitique de l’Afrique, n’est plus à présenter à nos lecteurs non-conformes. Il est en effet un de ces piliers, un de ces maîtres, que tous penseurs ou militants, curieux cela va de soi, se doit de connaître s’il veut comprendre le monde d’aujourd’hui au-delà de cette doxa conforme et confortable, et bien trop souvent démagogique, véhiculés par nos politiques et par les mass media.
Sans faire un rappel exhaustif sur la vie et l’œuvre de Lugan, il convient de rappeler que cet homme est l’auteur d’une bonne vingtaine d’ouvrages sur l’Afrique, dans le temps et dans l’espace, dont les incontournables actuellement sont, sans doute, son encyclopédique Histoire de l’Afrique, Des origines à nos jours (Ellipses), L’Histoire de l’Afrique du sud des origines à nos jours (Ellipses) sortie au moment même où se tenait la coupe du monde de football en 2010 et bien évidemment son traité intitulé Décolonisez l’Afrique !
C’est sur cet ouvrage qu’il convient de s’arrêter un peu plus longtemps.
En effet, celui-ci s’avère primordial pour sa pertinence et son apport pour une meilleure compréhension du « problème » Africain actuel, tant dans les pays africains sous tensions, qu’en France, cette ancienne métropole de l’Afrique.
Le propos principal de Décolonisez l’Afrique ! tient en quelques lignes, mais quelles lignes !
L’idée est d’admettre le fait que l’Afrique d’aujourd’hui est encore colonisée, par des forces structurelles anciennes, mais aussi des forces conjoncturelles voire parfois clairement immédiates, dont les Africains ne peuvent et/ou ne veulent se défaire.
50 ans après les indépendances, dit Lugan, l’Afrique subit encore une recolonisation économique (le FMI et la Banque mondiale imposant des tutelles fermées), politique (les pays du Nord imposant la démocratie à tout va), philosophique et morale (le paradigme de la culpabilité européenne et la victimisation qui infantilise les africains, l’ingérence humanitaire) – p 3, avant-propos. Ainsi, face à cette seconde colonisation de l’Afrique, Lugan annonce clairement qu’ « une seconde et véritable libération de l’Afrique est à la fois nécessaire et urgente ».
Les fondements de son plaidoyer sont posés.
Son argumentation tient en 7 chapitres, 7 thèmes qu’il convient de retenir tant ils sont pertinents en tant que grille d’analyse du problème africain, mais aussi en tant qu’outil, voire d’armes, lors de débats avec des tenants de la doxa officielle :
1 – Le demi-siècle perdu des fausses indépendances (1960-2010).
2 – Libérer l’Afrique de l’aide pour le développement (APD) qui l’infantilise.
3 – Libérer l’Afrique du paradigme de la culpabilité européenne qui la déresponsabilise.
4 – Pour en finir avec l’« immigration choisie », forme contemporaine de la traite.
5 – En finir avec le placage des modèles occidentaux qui mutilent l’Afrique.
6 – Prendre en compte la réalité ethnique.
7 – Reconstruire par ethnies.
Mon propos reprendra dans son ensemble le fil conducteur du livre.
En outre, dans un premier temps, Lugan répertorie l’ensemble des maux de l’Afrique depuis 50 ans. Problèmes économiques, problèmes démographiques dont les croissances urbaines et les exodes ruraux colossaux en sont les exemples les plus visibles, problèmes des aides humanitaires et des aides au développement qui bloquent le développement propre de l’Afrique, problèmes politiques. Lugan estime que depuis 1960, toutes les formes d’aide et de développement qui ont été essayées ont toutes échouées avec « au bout du chemin, la faillite d’un continent » (p22). Il se pose alors la question du pourquoi de ces échecs ? :
« La réponse est simple : parce que le diagnostic des maux de l’Afrique n’a jamais été correctement posé. Des milliers d’experts et de spécialistes se sont pourtant intéressés au cas africain, des millions de pages de rapports furent rédigées et d’innombrables thèses lui furent consacrées. Leurs auteurs, dont certains étaient d’excellents connaisseurs du milieu, n’étaient pas tous aveugles ou incompétents. Tous étaient en revanche conditionnés par le « politiquement correct africain » imposé aux Etats unis par le lobby afro-américain et en Europe par l’ « école historique de la culpabilité européenne ». Voilà pourquoi ils n’ont pas vu les vraies causes des échecs de l’Afrique ou, plus grave encore, pourquoi ils se sont interdits de les désigner. » (p22).
3 raisons expliquent pour lui ce blocage : la primauté donnée à l’économie au détriment du politique, le refus de prendre en compte la notion de différence, et le postulat démocratique.
Ainsi posées les bases de son argumentation, Lugan lance les hostilités, citations, chiffres et documents à l’appui.
Le premier assaut est tourné contre l’aide pour le développement (APD) qui, selon lui, infantilise l’Afrique. Cette APD n’a cessé d’augmenter depuis 2000 : 15.6 milliards de dollars en 2000, 44 en 2008, 38 milliards doivent être versés par l’UE pour 2015. Mais, le résultat est sans appel pour notre spécialiste : l’APD a échoué dans « ces trois grands domaines qui sont ceux de la lutte contre la pauvreté, l’augmentation du PIB et celui de la résorption du chômage » (p28). Pourquoi cet échec ? « L’aide pour le développement a échoué parce que les Africains ne sont pas des Européens pauvres à la peau noire » (p 34).
L’Homme africain est « autre », dit-il, par rapport à l’Homme européen, et cela sur quatre grands points (pp 43-44) :
- L’Homme africain n’est pas soumis à un « extrême individualisme » comme les Américains ou les Européens, il est lié par un réseau complexe de solidarités et de dépendances,
- L’Homme africain est tourné vers le présent et non le futur (dans sa définition occidentale),
- L’Homme africain est fortement soumis par les forces de l’au-delà, qu’il gère par des rites et des danses,
- L’Homme africain est lié intégralement au groupe, au premier desquels se trouvent ses ancêtres.
Cette différence entre l’Homme africain et l’Homme européen et américain est primordiale. Malheureusement, elle est réfutée et « par avance disqualifiée de « raciste » par la police de la pensée, ce qui a pour résultat de mettre immédiatement un terme au débat » (p45).
Dans un second temps, Lugan s’attaque à la victimisation africaine et à la culpabilisation entretenue en Europe. Ici, l’approche historique est mise en avant pour tordre le cou à certaines idées fausses très répandues : la colonisation et la Traite des esclaves ne sont pas à l’origine de la révolution industrielle européenne (les chiffres avancées montrent que la Traite représentait environ moins de 4% des échanges commerciaux anglais au XVIIIème siècle (Eltis) ; mais qu’en plus l’apport capital négrier dans le capital général de l’empire britannique ne dépassa que rarement la barre de 1% (Pétré-Grenouilleau) ; en France, les régions les plus dynamiques au XVIIIème siècle ne sont pas les régions portuaires ; en Europe, les pays continentaux s’industrialisent très biens (Allemagne par exemple) ; aux E.-U., le système esclavagiste peut-être même considéré comme un facteur déterminant dans la défaite du Sud contre le Nord (tant militairement qu’économiquement – pensons donc à la localisation de la manufacturing belt !)) (pp 53-57).
En outre, les colonies françaises sont assimilées au « tonneau des Danaïdes », notamment l’Algérie. L’auteur souligne que jamais aucun gouvernement n’a posé la question du nécessaire désengagement de l’Algérie, sa place en France étant admise par l’ensemble des Français. Son propos, sur le fait que la France n’a pas pillé son empire, se poursuit à travers des exemples précis. Au final, dit-il, la France s’est surtout ruinée avec son empire (p69).
Concernant le lien entre la colonisation et le drame africain, il existe mais pas de la façon dont le décrit le paradigme de la culpabilité européenne. (p 72)
Lugan dénombre 5 étapes, 5 grandes phases qui montrent la responsabilité européenne sur ce drame africain (pp 73-76).
D’abord au moment des « Grandes Découvertes » lorsqu’aux XV-XVIème siècles les Européens ont fait basculer le cœur économique de l’Afrique de l’intérieur (le Sahel notamment) aux littoraux : ceci marqua profondément l’évolution des sociétés. Ensuite, à la fin du XIXème siècle, la colonisation européenne « tua dans l’œuf » les tentatives de renaissance de certaines communautés du Sahel qui tentaient de s’étendre vers le Sud. La permanence sahélienne, musulmane et continentale se ressent encore aujourd’hui dans certains pays comme le Nigéria ou la Côte d’Ivoire. La troisième phase se produisit avec la décolonisation qui amplifia l’inversion des rapports de force : les anciens dominés devenus des cadres locaux du pouvoir colonial ont hérités des Etats artificiels légués par les colonisateurs (p75). La phase suivante se place dans les années 1990 lorsque les anciens pays colonisateurs européens imposèrent leur approche idéologique du politique, à savoir le régime démocratique fondée sur le « one man, one vote ». « Or cette mathématique électorale ou ethno mathématique donne le pouvoir aux plus nombreux (…). » Les conséquences sont dramatiques pour les peuples pasteurs très souvent en infériorité numérique face aux peuples d’agriculteurs démographiquement en force. Les tensions qui sont nées de ce système sont nombreuses et ont parfois débouché sur des massacres voire des génocides, surtout dans la région des Grands Lacs comme au Rwanda. Enfin, la dernière phase, qui découle directement de la précédente : les pays du Nord inventèrent « la calamiteuse notion d’ « ingérence humanitaire », cet indécent et hypocrite néo-colonialisme des « gentils » qui fut imposé aux opinions publiques par un véritable « matraquage » exercé par des batteurs d’estrade médiatiques », conscients des « drames provoqués par leur aveuglement idéologique et englués dans la repentance » (p76).
L’ensemble de ces éléments, couplés au problème démographique (explosion démographique) directement causé par les progrès de la médecine et les aides humanitaires apportés par les pays du Nord, conduisent l’Afrique dans une situation très critique.
Par la suite, Lugan cherche à démontrer que l’ « immigration choisie » est une (la ?) forme contemporaine de la Traite. Quelques citations de sa partie suffisent à exprimer la ligne défendue.
En introduction, d’abord, il illustre sa thèse avec des données très révélatrices : « En 2009, sur 155 900 brevets d’invention déposés dans le monde, 486 seulement le furent par des Africains, soit à peine 0.3 %. Sur ce total, les 4/5ème le furent par des Sud-africains dont 90% par des Sud-Africains blancs, les 10% restant par des Sud-Africains d’origine indienne. Le Maroc ayant déposés 46 brevets et l’Egypte 41, la part du reste de l’Afrique est donc inexistante. L’Afrique (…) se fait (…) voler ses cerveaux, ce qui est clairement une forme d’assassinat pour un continent qui ne compte que 83 ingénieurs par million d’habitants quand l’Europe en a 1000. » (p83)
Ainsi, « l’immigration choisie » apparaît pour Lugan comme une « hypocrisie » partagée par les autorités françaises qui ont choisi de biaiser la question générale de l’immigration en se prononçant pour cette forme d’immigration (choisie) qui s’opposerait à l’ « immigration subie » (p84). « Or, cette nouvelle traite des Noirs porte sur les plus précieux des Africains, ses diplômés, et elle se fait avec l’habituelle complicité des « gentils » de l’anti-ségrégation et des requins du capitalisme. Au nom du paradigme de la culpabilité qui les hante, les premiers s’interdisent de voir qu’en les accueillant, ils saignent l’Afrique. Les seconds les encouragent à venir au nom des lois du marché, du travail global et de la mobilité de la main-d’œuvre. » (p85). Pout l’ancien président de la Commission de l’Union africaine (jusqu’en 2008), Alpha Oumar Konaré, il s’agit ni plus ni moins de « traite des cerveaux ». Une traite des cerveaux qui est facilité par l’existence de véritables filières d’études : en France, certains programmes de coopération universitaire n’existent que pour le maintien de filières alibi destinées à obtenir des moyens ou à maintenir des postes dans des universités de second plan.
Parallèlement à cette traite des cerveaux, d’autres groupes de personnes sont concernés par une immigration qui fragilise l’Afrique. L’exemple des médecins et des infirmières est « éloquent et scandaleux à la fois », compte tenu des difficultés sanitaires que connait l’ensemble du continent (pp86-89). Le scandale de cette immigration touche également le milieu sportif, le football et l’athlétisme notamment. Dans ces sports est mis en avant, presque sans volonté de le cacher, le mercantilisme des pays du Nord vis à vis des populations jeunes africaines, victime parfois d’un véritable « drame humain », lorsque ces derniers sont escroqués par des agents véreux, comme en Ile de France (pp89-90).
« Comme à l’époque honteuse de la Traite, des acheteurs blancs vont donc sur place, en Afrique, pour y sélectionner la « marchandise » humaine que leur présentent des intermédiaires africains (…). Comme hier, des Africains sont donc vendus aux Européens par d’autres Africains. » (p90).
En outre, une solution existe à ce sujet, et elle fut même employée jusqu’à la victoire socialiste le 10 mai 1981. Le système en question permettait à ses jeunes universitaires de mener sur le terrain des recherches approfondies tout en assurant leurs activités d’enseignement, la France avait alors les meilleurs africanistes mondiaux. Mais tout fut supprimé sous la « pression du bas-clergé pédagogiste, le « 10 mai 1981 » ayant été la revanche des apparatchiks socialistes, souvent instituteurs syndicalisés et qui jalousaient les universitaires. Les têtes qui dépassaient furent alors coupées et les universités françaises en Afrique remplacées par des Instituts de formation pédagogique. La France ne forma donc plus des élites, mais des masses avec le résultat habituel d’une telle démarche qui fut la médiocratie généralisée. » (pp92-93).
Enfin, on peut citer, voire même incriminer, la « francophonie » institutionnelle qui est une véritable « pompe aspirante » pour les cerveaux africains (p95) – (à noter l’obsession linguistique du Québec allant même jusqu’à acheter les élites francophones africaines).
Dans son chapitre V, Lugan nous invite à réfléchir sur ce qu’il aimerait être la fin du placage des modèles occidentaux mutilant l’Afrique.
Ces modèles occidentaux sont principalement le « diktat démocratique avec sa version africaine, l’ethno mathématique, qui donne automatiquement la victoire aux ethnies les plus nombreuses » et « les frontières artificielles qui étouffent ou qui mutilent des peuples » (p98).
Pour la question des frontières, Lugan explique qu’en traçant ces frontières, réalité inconnue et même souvent incompréhensible en Afrique, la colonisation a effectivement perturbé les grands équilibres humains africains. Pour eux, les territoires vécus, ethniques, étaient séparés par des « zones tampons », très souvent mouvantes, n’appartenant à aucun groupe, mais aux esprits. Ces « fronts pionniers » ont ainsi été brutalement contestés, détruisant l’équilibre interne à tous ces peuples (éleveurs ou agriculteurs).
En parallèle, la question de la terre s’est posée à mesure que celle-ci devenait, après les indépendances, le principal levier des revendications nationalistes, de par sa place dans l’économie locale. Or depuis une dizaine d’années, l’ « Afrique subit une véritable recolonisation agricole et sur une échelle bien plus importante que durant l’époque coloniale » (p108), notamment par des nouveaux colons, principalement la Chine, la Corée du Sud, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Des millions d’hectares ont ainsi été vendu ou loué, surtout en Ethiopie, au Mozambique et au Soudan.
Cependant, du fait de l’ignorance des cadastres par les populations locales africaines, des incidents éclatent au sujet de ces terres et de ce qu’elles ont à offrir aux peuples, comme à Madagascar ou au Mozambique (comme les meurtrières émeutes paysannes de septembre 2010). Ces mouvements sont, d’après Lugan, « annonciateurs » d’une vague de fond qui, tôt ou tard, réclamera la récupération des terres occupées par des étrangers. » (p112).
Dans son avant dernière partie, B. Lugan insiste sur l’importance de la réalité ethnique, tout en critiquant les africanistes français niant celle-ci, parmi lesquels Jean Pierre Chrétien et Catherine Coquery-Vidrovitch.
Le premier soutient « depuis bientôt un demi-siècle que les ethnies furent créées par la colonisation ». Or, comme l’a remarqué Axel Eric Augé (p 115) : « […] l’idée de l’invention de l’ethnicité semble pour le moins simpliste en considérant que les ethnies auraient attendu le colonialisme pour se reconnaître différentes culturellement […] En somme, les Africains étaient une masse indifférenciée et attendaient les Européens pour ressentir des phénomènes identitaires ! ».
Pour la seconde, « l’ethnie fut largement fabriquée à des fins de contrôle non seulement administratif et politique, mais aussi religieux ».
Le comble, juste pour rire, revient au quotidien Le Monde qui le 19 janvier 2011 réunissait 38 « africanistes » dont 23 Français signant un manifeste dans lequel ils écrivaient : « Le soucis d’une analyse rigoureuse (nous soulignons) nous conduit à reconnaître qu’il n’y a pas en Côte d’Ivoire, de haine atavique entre prétendus groupes ethniques ennemis, ni même entre autochtones et allogènes, entre sudistes et nordistes, encore moins entre chrétiens et musulmans […] la Côte d’Ivoire est un melting-pot transethnique, cosmopolite et pluriconfessionnel ».
Au final, démêlant le vrai du faux à propos de la question ethnique, l’auteur en vient à définir l’ethnie comme un « ensemble agglomérant à caractère culturel et linguistique englobant, de nombreuses tribus [groupement de clans ou de familles sous l’autorité d’un même chef] et une multitude de clans [unité sociologique désignant un ensemble d’individus consanguins descendant d’un ancêtre commun]. Contrairement à ce qui est couramment et faussement affirmé, l’ethnisme n’est donc pas la division, mais tout au contraire le fédérateur naturel du tribalisme qui, lui, peut être émiettement. »
En cela, conclue-t-il, « la démocratie fait éclater l’ethnie, élément fédérateur et même coagulateur des identités tribales ou claniques au profit de la tribu, élément désagrégateur. » (pp125-126).
Pour l’anecdote, Lugan relate que les dirigeants tutsi du Rwanda furent des élèves de J.-P. Chrétien et affirmèrent à sa suite que les « ethnies étant une création coloniale, le génocide de 1994 est donc le produit de la colonisation ; dans ces conditions, quiconque parle d’ethnies est un complice des génocideurs. » (p 128).
En conclusion de l’ouvrage, le dense chapitre VII, qui est une analyse régionale, à travers le prisme de l’ethnie, de l’Ethiopie et du Soudan (« ou la reconnaissance radicale de la réalité ethnique), de la Côte d’Ivoire et Nigeria (« des partitions refusées ») et la Guinée, le Kenya et l’Afrique du Sud (« comment organiser la cohabitation ethnique ? »).
Cette grande partie de 50 pages ne peut être résumée dans cette chronique celui-ci éclaire considérablement l’état géopolitique et politique de ces Etats, au demeurant mal représentés et compris dans les mass media actuels.
En somme, Bernard Lugan signe ici un ouvrage profondément engagé et engageant, précis et efficace, intellectuellement honnête, objectivement sérieux et politiquement incorrect, que je vous invite à lire et à réciter aux curieux, connaisseurs honnêtes ou malhonnêtes.
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Julius Evola et le Futurisme italien