culture et histoire - Page 1942
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Michel Collon Le 4 juillet 2012 " Guerres Et Mensonges des Médias "
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Timides observations sur la destruction de la race blanche en Australie (et ailleurs)
Le journal culturel Quadrant, de tonalité conservatrice, a récemment permis à un généticien et penseur audacieux, Frank Salter, de s’exprimer sur un sujet tabou : celui de la destruction de la majorité blanche de souche anglo-celtique en Australie. Il est facile de lire cet article en ligne, que j’ai découvert par un commentaire de Kevin McDonald sur son site <theoccidentalobserver.com>.
Ce texte ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà. La force d’une catastrophe est de frapper partout et simultanément. En Australie aussi, on supprime l’histoire, on favorise l’immigration du tiers-monde (M. Salter ose ce néologisme !), on criminalise les blancs, on leur censure tout accès au média s’ils ne pensent pas antiraciste, on encourage leur dénatalité s’ils ne sont pas Skippy le kangourou ! Rien que des bonnes nouvelles par conséquent pour tous les ennemis comme moi du fanatisme et de l’intolérance. M. Salter ajoute que c’est le premier exemple de colonisation obligatoire imposée contre sa propre population (aucun roi n’aurait fait cela, écrit-il étonnamment) ; enfin que si les USA ont commencé à basculer dans les années soixante, l’Australie a basculé dans les années 70 pour obéir à l’agenda multiracial.
C’est comme en Hexagonie depuis les années 70. Giscard, Pompidou, la loi Pleven, la loi Veil, le regroupement familial, le rapport Ozbekan-Pelrmutter (agenda : défranciser la capitale et transformer Paris en plateforme cosmopolite), le périphérique, les grands ensembles, tout nous est tombé dessus en un seul jour, même les films Dupont-Lajoie ou Rabbi Jacob (l’affreux de Funès patauge dans ses préjugés raciaux et bien sûr dans le chewing-gum vert nommé Yankee !)
L’intérêt du texte de M. Salter est ailleurs : il montre que la destruction de la race blanche est le programme de la démocratie mondialisée partout ; que les blancs, même quand ils votent, sont mis en minorité finalement dans leur propre pays ; qu’ils sont les seuls à être des racistes et des assassins en puissance ; qu’enfin leurs hommes et surtout leurs femmes politiques ne savent pas trop que faire pour en finir avec eux. Peut-être qu’on sera plus radical avec nous dans trente ans, quand nous aurons soixante ans de moyenne d’âge et qu’il faudra laisser la place à de plus jeunes et plus vaillants que nous ? Cochin avait décrit déjà, et Robert Michels, comment on fait monter ceux qu’il faut dans les appareils politiques.
M. Salter remonte à l’époque de la première guerre mondiale comme Kevin McDonald, à la révolution bolchévique (ce sont eux qui vont inventer la notion de racisme, tout en massacrant les chrétiens orthodoxes de Russie et d’ailleurs) et à l’anthropologue Boas, qui a légiféré en la matière, rendant toute étude des races impossibles sous peine de poursuite. M. Salter prend soin d’insister sur les sympathies communistes de Boas et bien sûr sur son acquiescement lors du génocide ukrainien, le fameux Holodomor. Quand on est humaniste, on ne compte pas. On ne comptait pas non plus quand on était patriote humanitaire sous la révolution Française. On découvre alors la signification de l’élite hostile, que ce soit sous la forme patriotique, socialiste, américaine ou néo-européenne. Que l’on ait pu aux USA et en deux générations ramener la proportion de bébés blancs de 89 à 49 % est tout simplement et comme en France le fruit d’une politique hostile, et pas des seuls hasards de la démographie et du progrès bien mal géré. La guerre culturelle des Boas et son école avait commencé avant et préparé cette liquidation de la conscience de groupe (rebaptisée racisme donc) et des nations d’accueil, c’est-à-dire des blancs, dont tous les pays sont devenus des pays d’accueil, avec six millions de chômeurs comme en Espagne ou pas.
M. Salter remarque que le taux de natalité (reproductive fitness, dit-il exactement) baisse avec l’immigration, ce qui est une évidence car les gens ont moins de place, d’argent et de moral pour faire des enfants. Evidemment on peut considérer surtout après la manifestation du 13 janvier, qu’il y a encore trop de blancs et de catholiques en France ! C’est ce que font les commentateurs des médias. Le président actuel qui a adressé ses voeux aux musulmans de France mais pas aux chrétiens le sait très bien. Gageons qu’il prendra les mesures fiscales qui s’imposent.
Le fond gnostique de tout cela, c’est-à-dire de la démocratie plurielle et de la liquidation de la race blanche (ou raciste, parce que c’est la même chose), c’est le nombre. C’est la quantité. C’est la vision que les hommes ne sont pas tous égaux mais tous pareils, comme l’avait expliqué Bernanos dans sa "France contre les robots" (les robots c’est nous maintenant). C’est la vision que nous viendrons tous de la machine politique, disait Cochin, et de ceux qui la contrôlent, le boss, le vénérable, les tireurs de ficelle (les wire-pullers des élections américaines), les orateurs et tout le reste. Le règne de la quantité suppose la destruction de tous les peuples au nom d’un idéal purement quantitatif. Les partis politiques s’allient et jouent contre leurs électeurs, Cochin le rappelle pour l’Amérique en s’appuyant sur les recherches du grand savant Ostrogroski. Les Etats-Unis, les nations unies, les planètes unies, tout sera zuni.
Il est bon de savoir que les Français ne sont pas si seuls dans leur épreuve, dans leur drôle de guerre, et que les médias sont partout tenus par de chauds partisans de la destruction des blancs et de leurs nations.
75 % des britanniques considèrent que l’islam est inassimilable en Grande-Bretagne (sur ces 25 % d’euphoriques en matière d’islamisme, combien de british de souche ? Ils ne sont plus que 84 % dans leur pays, d’où les blancs partent, comme de France et de Hollande d’ailleurs) ; la presse allemande a fait état des comportements ahurissant et sadiques des minorités levantines dans le grand Berlin ou à Brême (même les juges et la police ont peur) ; l’Amérique blanche se réveille timidement, qui n’a pas pu voter librement pour son candidat naturel et anti-impérial, le médecin libertarien Ron Paul ; et l’Australie maintenant qui en dépit du boom minier montre que l’on a tout détruit là-bas aussi, fabriquant à la chaîne des générations d’homosexuels et d’homophobes (les autres). Franck Salter a d’ailleurs commencé son étude par un examen de la théorie du genre qui est en train de dévaster - pardon, d’instruire - aussi la France.
Mais je retourne à mes chères études puisque cette entropie (à venir) des Blancs et de la chrétienté était déjà écrite par un autre savant australien, le Dr Pearson, dont j’ai déjà parlé, et vers la fin du XIXe siècle. Le docteur Salter cite aussi un autre universitaire, M. Kaufmann, qui évoque le coup de balai anti-anglo-saxon en Amérique du Nord à partir des années 50. A soixante ans de là (comme le temps passe vite ! comme nous ne nous rendons compte de rien !), les vieux Américains d’origine européenne pourront au moins se satisfaire d’une chose : on a remplacé la bête immonde blanche par de la bonne vieille dette. De la bête à la dette. Car la disparition de l’une est allée avec l’émergence de l’autre. Comme en Hexagonie d’ailleurs.
Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info/
Franck Sakter: "The War Against Human Nature" - "III: Race and the Nation in the Media"Eric Kaufmann: "The rise and fall of Anglo-America"Lien permanent Catégories : actualité, culture et histoire, géopolitique, insécurité, international 0 commentaire -
Traité de L’Élysée Et Malthus fut naturalisé allemand
Il y a cinquante ans fut signé le traité de l'Elysée, censé formaliser la réconciliation franco-allemande. Chacune des deux parties bénéficiait alors d'une économie au poids comparable... Mais Berlin s'est depuis émancipé du statut auquel Paris avait cru pouvoir le cantonner.
Allons-nous vers une rivalité démographique des grands pays d'Europe occidentale ? Le croisement des courbes nationales de natalité donne à l'horizon 2050 la République fédérale ex œquo avec le Royaume-Uni à 74 millions d'habitants, suivis de la France à 71 millions. Malgré la continence allemande, ce bloc des trois "grands" fera 43 % de l'Union européenne actuelle et écrasera littéralement le reste, l'Italie stagnant à 61 millions. Les projections au-delà ne sont pas vraiment sérieuses. Il est probable que le sous-continent sera gouverné par ce triumvirat qui agrégera quelques "clients" pour s'imposer en toutes circonstances aux autres partenaires et aux débris de la Commission européenne. Reste le dosage.
Un nain politique
Le traité de l'Elysée, dont nous fêtons le jubilé le 22 janvier, organisait une collaboration franco-allemande dans les domaines culturel et politique, dont il ne subsiste que le décor et des sourires forcés. L'époque était au miracle économique d'un nain politique coupé en trois par les hasards de la victoire alliée, miracle que récompensait la grande puissance morale du monde en lui octroyant la parité sur le pavois des chefs. C'était avant le Mur ou plus précisément avant le chancelier Kohi. Avec un sens aigu de la manœuvre qui, disait Napoléon, est un art tout d'exécution, le chancelier peu disert fit l'Anschluss de sa sœur orientale à la barbe des Alliés, se transporta à Berlin, et mit quelques semaines à formuler une garantie sur la frontière Oder-Neisse qui le séparait de l'ex-Prusse orientale. Le nain était mort. Nous étions en 1990, Mitterrand régnant, la France ne savait comment accepter cette surprenante émancipation ; outre-Manche, Margaret Thatcher y était carrément hostile. Pour le bien de l'Alliance, avant que la nouvelle République fédérale ne poursuive sa marche au soleil levant, les Occidentaux sauvèrent les apparences en se retirant de Berlin et les Soviétiques acceptèrent une montagne de deutschemarks pour se taire. Le traité de l'Elysée entrait au musée des traités. Malgré l'illusion d'une collaboration renouvelée en façade à chaque alternance politique qui aurait dû faire s'interpénétrer les deux peuples, les Français jugent mal l'Allemagne actuelle, qui, il est vrai, n'est pas leur destination favorite de vacances. L'ogre menaçant dont les chars marchaient à l'eau du robinet n'existe pas, le pays s'est transformé. Rentré en lui-même, libéré de toute diplomatie, il s'inscrit dans une problématique mondiale où son industrie excelle mais qui lui dicte beaucoup de préventions quant au destin d'une planète finie surexploitée. Aussi l'Allemand ne fait-il pas d'enfants. La « contrainte morale » exprimée par Malthus d'un juste apportionnement des ressources et des besoins obtenu par la continence maritale des défavorisés est généralisée à tous dans l’Allemagne actuelle : quel avenir pour nos enfants sur une planète surpeuplée en proie aux guerres asymétriques et aux revanches de tous ordres, et lourdement pénalisée par le réchauffement climatique que nous avons provoqué ? À vue d'homme, aucun !
Darwinisme
D'où l'intérêt de l'Allemand pour les prescriptions malthusiennes du Club de Rome (halte à la croissance !), pour réduire l'empreinte carbone dès le niveau individuel (succès des Grunen), pour ne pas surpeupler son morceau de Terre, en contrepartie de quoi les activités maintenues doivent viser en tout l'excellence des procédés, seule garantie écologique à la fin. Et se croisent ici les deux théories, malthusienne et darwiniste : l'avenir est limité aux meilleurs, les autres disparaissent. Le chancelier Gerhard Schrôder était exactement sur cet axe quand il lança son Agenda 2010 qui rehaussait le niveau qualitatif des productions allemandes à moindre coût (en libérant les salaires et en délocalisant sur ses marches orientales les opérations élémentaires) sans hésiter à couper dans la dépense publique affectée au confort social pour dégager de la finance. Ceci fut fait en droite ligne de la critique malthusienne des Poor Laws anglaises : « Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s'il ne peut obtenir de ses parents la subsistance qu'il peut justement leur demander, et si la société n'a pas besoin de son travail, n'a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture, et en fait il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n'y a pas de couvert vacant pour lui. Elle lui commande de s'en aller, et elle mettra elle-même promptement ses ordres à exécution. » (Thomas Malthus, Essai sur le principe de population, 1798). Travailler pour manger... On dit les pauvres plus malheureux aujourd'hui en Allemagne qu'en France. Les variations dans la perception du non-bonheur rendent la comparaison difficile, mais il est paradoxalement vrai aussi que le chancelier actuel, Angela Merkel, brille au firmament des sondages de popularité, ce qui laisse accroire que l'apportionnement des ressources précité est accepté à l'aune des disponibilités acquises plus qu'à celles présagées par la démagogie. Le piteux état des finances des pays latins ne pousse pas les classes pauvres à la revendication irresponsable. C'est sans doute cette conscience civique qui est la plus large fracture entre nos deux pays. Il reste une dignité à l'Allemand que nous avons perdue dans le moulinage continu de nos revendications sociales à compte d'autrui. Il est bien fini le temps de nos objurgations, déjà vaines jadis. Nous sommes devenus "la Grande Nation" dans l'opinion publique qui se rit de voir annuler un contrat d'armement franco-saoudien par Daimler-Benz, propriétaire des châssis ! Dans aucun domaine, l'Allemagne ne nous fait de "cadeau" et sa concurrence fut rude, parfois à la limite de la déloyauté lorsque, par exemple, Siemens donna la technologie TGV de première génération aux Chinois pour contrer Alstom en Chine où la firme française disposait de positions trop solides à son goût. De même voit-on l'État allemand pénétrer les conseils d'administration du groupe EADS pour casser le monopole aéronautique toulousain. Et la liste s'allonge.
Décrochage
Que subsiste-t-i! du concept originel au jubilé du traité de l'Elysée ? Cette visite obligée à la belle-mère chaque année dont il ne sort rien que des communiqués rédigés par avance que personne ne lit, et du Champagne pour tout le monde. Le traité de l'Elysée fut signé par le président Charles De Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer le 22 janvier 1963 à Paris. Cette réconciliation formelle fut préparée dès le retour au pouvoir du général De Gaulle, alors que les deux économies étaient comparables et que le nouveau franc français, issu de la dévaluation de décembre 1958, valait 0,855 mark allemand, (l'ancien franc était à la parité de cent pour un). L'année 1960 sera le point d'origine de toutes les comparaisons franco-allemandes. Cinquante ans plus tard, le franc vaut 0,298 mark (- 65 %) et on le dit surévalué ; le retard de notre PIB est de 30 %. L'Allemagne a reconstruit son économie à la taille qu'elle avait à la Belle Époque relativement aux autres, et elle a rénové tous les Lànder orientaux récupérés en ruines en 1990. Ses comptes sont aujourd'hui à l'équilibre avec un commerce extérieur "triomphant". À l'inverse, nous subissons les trois déficits majeurs (budgétaire, commercial et social), écrasés que nous sommes par un Léviathan étatique qui saigne le pays comme les médicastres de Molière leur patient ! Les comparaisons seraient cruelles et déplacées lors de la célébration du cinquantenaire, mardi prochain à Berlin. On s'y taira.
Catoneo Action Française 2000 du 17 janvier au 6 février 2013 -
La CIA et le recrutement des intellectuels, vieille tradition de la Firme même en Europe
Ex: http://mediabenews.wordpress.com/
I) La CIA et la pêche aux intellectuels
Enfouie dans un article récemment publié par le Washington Post, sur l’expansion des opérations d’espionnage de la DIA (Agence de Renseignement de la Défense) se trouve une phrase qui devrait donner des frissons à tout chercheur, journaliste, étudiant ou intellectuel oeuvrant sur le monde musulman, qu’il soit ou non citoyen américain : « C’est une tâche colossale que de faire passer des agents de la DIA pour des intellectuels, des professionnels et de créer de toutes pièces de fausses identités, ce qui veut dire que, s’ils sont pris, ils ne bénéficieront d’aucune immunité diplomatique »…
Mais, il est peu probable que la DIA ait besoin de fabriquer des « intellectuels » vu la propension de ces derniers à signer volontairement pour un tel boulot car la coopération et la collaboration entre les services de renseignement US et ces intellectuels sont une longue histoire.
Il y a presque un siècle, l’anthropologiste Franz Boas fut ostracisé pour avoir révélé que des intellectuels servaient en qualité d’espions en Amérique Latine, une pratique qui a débuté au Mexique puis s’est renforcée au cours de la 2ème guerre mondiale. Boas caractérisait cette déviation qui faisait de la science une couverture pour l’espionnage politique, « comme la prostitution de la science de manière impardonnable et lui (l’individu) déniait le droit d’être classé comme scientifique »…
Les universitaires firent partie de l’effort de guerre dans les années 40-45 dans des capacités diverses, y compris au sein de l’OSS (le Bureau des Services Stratégiques), précurseur de la CIA. Depuis sa création en 1947, cette dernière a recruté, dans les meilleures facultés et universités, des diplômés pour faire de la recherche et de l’analyse. Si cette relation s’est un peu affaiblie entre 1970-1980, elle a rebondi avant les attaques du 11 septembre 2001 et s’est développée dans la foulée.
Quelle que soit la position idéologique d’un individu vis-à-vis de la CIA, il est naturel que les agences de renseignement recrutent des employés de la même manière que le feraient les grandes entreprises. Mais, c’est une chose que de faire de la recherche, pour les institutions militaires, diplomatiques ou le renseignement, et une autre de le cacher…
Les relations de la CIA avec l’Université se sont approfondies au cours des soixante dernières années et sont allées au-delà du simple parrainage de la recherche pour lui faciliter l’analyse des données. L’Agence n’a pas seulement soutenu l’expertise des intellectuels des pays et cultures qu’elle a engagés, mais a financé des recherches et des publications sans publiquement révéler l’origine de ce financement et utilisé ces individus pour l’aider à produire de la désinformation et à s’engager dans des activités directement reliées à l’espionnage.
De plus, en Asie du sud-est (particulièrement dans le Vietnam en guerre), en Amérique latine et en Afrique, les recherches en études de développement et techniques de contre- insurrection du « tiers monde » sont devenues l’aliment de base de la collaboration CIA – intellectuels.
Nonobstant les problèmes éthiques que posent de telles collaborations, des universitaires de renom ont, au cours des années, non seulement apporté leur soutien à la CIA, mais ont occupé des postes importants au coeur même l’agence. Comme Robert Gates, ancien directeur de l’agence de renseignement US et Secrétaire à la Défense, qui avait dirigé le Minerva Research Initiative, où il tentait de « comprendre plus étroitement les populations mondiales et leur diversité pour atteindre des décisions politiques stratégiques et opérationnelles plus efficaces ».
Même la célèbre Université de Berkeley, foyer de la contre-culture, a directement encouragé des recherches sous label universitaire mais en fait, produites par et pour la CIA. Dans le contexte de la guerre froide, des personnalités prétendument de gauche ont largement soutenu la compétition stratégique, politique, économique, scientifique et culturelle avec l’Union Soviétique.
Les véritables universitaires sont en danger
On peut se demander, étant donné le degré élevé de violence qui caractérise les services du renseignement et les militaires, si le fait que des intellectuels les rejoignent vaut que l’on s’insurge? Oui, il le faut.
Il est déjà difficile de se rendre dans un pays où les Etats-Unis sont engagés, soit dans des activités violentes par la guerre, l’occupation ou l’usage de drones (Irak, Afghanistan, Yémen), soit soutiennent les politiques répressives de gouvernements locaux (Maroc, Bahreïn, Israël, Egypte… etc) ou pratiquent l’espionnage (Iran, Soudan), ou encore essaient de gagner la confiance des militants religieux, sociaux, ou politiques, dans la ligne de mire de services secrets locaux ou étrangers. L’établissement de relations normales dans ce genre de pays est carrément hasardeux, sinon impossible, si on l’apprend que les agences de renseignement US utilisent des intellectuels (ou des journalistes) comme couvertures pour leurs agents.
Il en va de même des accords conclus par les universités, sans le consentement et dans l’ignorance des facultés et étudiants, pour offrir une couverture à des agents clandestins, mettant ainsi en danger ces universitaires sans qu’ils le sachent. Si cette pratique perdurait, elle entacherait définitivement les recherches universitaires dans le monde musulman ou dans sa diaspora en Europe et en Amérique du nord.
Ces dernières années, en plus du Programme Minerve, ceux de Human Terrain Systems (HTS) ont essayé de placer des universitaires dans ce qui est appelé des « opérations kinétiques » afin de développer des objectifs militaires et stratégiques en Afghanistan et en Irak. Que ces derniers espionnent les peuples qu’ils étudient de telle sorte que leurs études aboutissent directement à la « chaîne de la mort », le plus arbitrairement du monde, est tout simplement déplorable. (…)
Fonds inconnus, travail clandestin
Le Guardian rapportait, à la suite de l’article du Washington Post, que l’espionnage pourrait être utilisé pour accroître l’efficacité du programme de drones US qui, par « des frappes signées », cible et tue des gens supposés dangereux par ceux qui appuient sur le bouton.
Le succès des programmes Minerve et HTS, auprès des journalistes et étudiants, volontairement ou par nécessité, se lit comme la conséquence des coupes budgétaires pour financer la recherche. Mais il existe un monde parallèle à l’université qui ne manque pas d’argent privé en provenance du gouvernement, des entreprises et du privé : les think tank ou réservoirs de pensée, très proches, idéologiquement et professionnellement des agences de renseignement et de leurs vues politiques…
En 1982 et 1985, la Middle East Studies Association a voté deux résolutions interdisant aux universitaires d’accepter des fonds inconnus ou de travailler en clandestin tout en étant enregistré à l’Association en tant que membres. D’autres institutions professionnelles comme l’American Sociological Association et l’American Academy of Religion, se sont dotées de codes d’éthique forts, mais ne visent pas précisément la question de la coopération dans la chaîne de la mort, entre universitaires, militaires et renseignement.
Ce qui est clair, c’est que la communauté scientifique doit ériger un mur entre elle-même et les institutions militaires et du renseignement avant qu’un plan ne soit mis en place pour recourir au monde universitaire comme écran pour l’espionnage et activités clandestines. Si cela n’est pas fait très vite, le sort (arrestation, emprisonnement, mort) des ces universitaires, ou de ceux avec qui ils travaillent, sera de notre seule responsabilité.
II) Quand la CIA finançait les intellectuels européens
Pour contrer l’influence soviétique en Europe, les États-Unis ont constitué, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un réseau d’élites proaméricaines. La CIA a ainsi financé le Congrès pour la liberté de la culture, par lequel sont passés de nombreux intellectuels européens, au premier rang desquels Raymond Aron et Michel Crozier. Chargés, pendant la Guerre froide, d’élaborer une idéologie anticommuniste acceptable en Europe à la fois par la droite conservatrice et par la gauche socialiste et réformiste, ces réseaux ont été réactivés par l’administration Bush. Ils constituent aujourd’hui les relais européens des néo-conservateurs états-uniens.
En 1945, l’Europe, ruinée par la guerre, devient l’enjeu de luttes d’influence entre les États-Unis et l’Union soviétique qui désirent dominer le continent. Afin de contenir la progression des partis communistes en Europe, les gouvernements états-uniens à partir de 1947 mènent une politique interventionniste en prenant appui sur les services secrets, principalement la CIA. Il s’agit d’une part de développer un groupe d’élites pro-états-uniennes par l’intermédiaire du Plan Marshall, relayé en France par le Commissariat au Plan, et d’autre part de financer les intellectuels anticommunistes. Ce projet de diplomatie culturelle prend forme à travers la fondation du Kongress für Kulturelle Freiheit (Congrès pour la liberté de la culture) qui rassemble des personnalités généralement impliquées dans plusieurs opérations d’ingérence états-unienne en Europe (commissions de modernisation, projet de l’Europe fédérale…). Financé secrètement pendant dix-sept ans par la CIA jusqu’au scandale de 1967, le Congrès pour la liberté de la culture constitue le fer de lance de la diplomatie culturelle états-unienne d’après-guerre. Des intellectuels, écrivains, journalistes, artistes se réunissent afin de réaliser un programme diplomatique dont l’objectif est la défaite idéologique du marxisme. Des revues, des séminaires médiatisés, des programmes de recherche, la création de bourses universitaires, le développement de réseaux de relations informels permettent à l’organisation d’avoir un impact réel dans les milieux universitaires, politiques, artistiques…
Pendant vingt-cinq ans, le Congrès pour la liberté de la culture recrute des intellectuels et fabrique ainsi des réseaux durables d’ingérence en Europe, notamment en France, pays désigné comme l’une des cibles prioritaires de Washington. Ces réseaux ont survécu à la dissolution de l’organisation et ont été réactivés par l’administration Bush. Ils constituent aujourd’hui les relais européens de la diplomatie culturelle décidée par les néo-conservateurs et les néo-libéraux états-uniens, eux-mêmes issus des rangs du Congrès pour la liberté de la culture.
La naissance du Kongress für Kulturelle Freiheit
Le Kongress für Kulturelle Freiheit est né en juin 1950 à Berlin dans la zone d’occupation états-unienne. Le secrétaire général de la réunion, Melvin Lasky, est un journaliste new-yorkais installé en Allemagne depuis la fin de la guerre. Militant de la gauche anti-stalinienne, il devient le rédacteur en chef de Der Monat (Le Mois), revue créée en 1947 avec l’appui de l’Office of Military Government of the United-States, et notamment du général Lucius Clay, « proconsul » de la zone d’occupation états-unienne en Allemagne. Soutenu par un comité « non-officiel et indépendant », Melvin Lasky tente de rassembler des intellectuels libéraux et socialistes dans une organisation unique, une « internationale » anticommuniste. Le comité de soutien comprend des personnalités comme le philosophe allemand Karl Jaspers, le socialiste Léon Blum, des écrivains comme André Gide et François Mauriac, des universitaires comme Raymond Aron et des intellectuels états-uniens, comme James Burnham et Sidney Hook, principaux théoriciens des New York Intellectuals. Bien que le Congrès regroupe des personnalités du monde entier, y compris du Tiers-Monde, son terrain d’action est exclusivement européen.
Le Congrès pour la liberté de la culture est sous le contrôle des intellectuels états-uniens, pour la plupart des trotskistes new-yorkais, notamment Sol Levitas, animateur du New Leader, et Elliot Cohen, fondateur de Commentary [[1] Commentary est la revue quasi-officielle du Congrès pour la liberté de (…) ainsi que des partisans de l’Europe fédérale (Altiero Spinelli, Denis de Rougemont…). Car au-delà de la façade publique, les instances dirigeantes du Congrès ont de multiples connexions avec les réseaux d’ingérence états-uniens de l’après-guerre : l’administration du plan Marshall mais aussi l’American Committee for United Europe (ACUE). Créé durant l’automne 1948 avec l’appui de personnalités gouvernementales (Robert Paterson, secrétaire à la guerre, Paul Hoffman, chef de l’administration du Plan Marshall, Lucius Clay), financé par la CIA, l’ACUE est chargé de favoriser la construction d’une Europe fédérale, conforme aux intérêts de Washington [ 2 ]. Cette proximité est même publiquement revendiquée en 1951, lorsqu’Henri Freney, au nom de l’ACUE rencontre officiellement les responsables du Congrès pour la liberté de la culture.
Un manifeste : l’ère des organisateurs de James Burnham
Le Congrès pour la liberté de la culture s’appuie sur un manifeste, l’ouvrage de James Burnham paru en 1941, The managerial revolution [3]. Ce livre met en perspective l’émergence d’une nouvelle idéologie : la rhétorique technocratique. Contre la philosophie de l’Histoire marxiste, qui repose sur la lutte des classes, James Burnham insiste sur l’échec économique et idéologique de l’Union soviétique et annonce l’avènement de « l’ère des managers ». Selon lui, à l’Est comme à l’Ouest, une nouvelle classe dirigeante assure le contrôle de l’État et des entreprises ; cette classe, dite des directeurs, pose d’une façon nouvelle la distinction entre capital et travail. James Burnham récuse donc indirectement les thèses de la philosophie de l’Histoire marxiste (en affirmant que la dichotomie capital/salaire est dépassée) et la perspective d’une victoire des démocraties parlementaires (en prétendant que la décision passe du Parlement aux bureaux). En fait les politiques et les propriétaires traditionnels sont remplacés progressivement par une nouvelle classe de techniciens, de managers.Avec cette théorie, qui n’est pas sans rappeler le mouvement technocratique des « synarques » dans les années 1930, il se fait le porte-parole d’une vision alternative de l’avenir, « ni de gauche, ni de droite » selon l’expression de Raymond Aron. Et c’est bien l’objectif : enrôler, dans la croisade anticommuniste, les conservateurs, mais surtout les intellectuels de la gauche non-communiste.Ces thèses sont indissociables de la trajectoire sociale de l’auteur. Fils d’un dirigeant d’une compagnie de chemins de fer, après des études à Oxford et Princeton, James Burnham se fait connaître par la création de la revue Symposium. Abandonnant la philosophie thomiste, il s’intéresse à la traduction du premier ouvrage de Trotski, The history of the russian revolution. Il rencontre Sidney Hook et s’engage dans l’action politique trotskiste avec la fondation en 1937 du Socialist workers party. Après une période de militantisme (il participe à la Quatrième internationale), une polémique avec Trotski sert de point de départ à sa conversion politique. En 1950, il participe ainsi à la création du Congrès pour la Liberté de Culture à Berlin, où il occupe des postes décisionnels importants jusqu’à la fin des années 1960. Pourtant, malgré son engagement dans les réseaux du Congrès, « piégé » par son passé révolutionnaire, James Burnham perd son poste d’universitaire durant la période du maccarthysme.
C’est dans le cadre de ce revirement politique – du trotskisme à la lutte anticommuniste – que James Burnham écrit The managerial revolution, qui constitue un instrument pratique de conversion (pour son auteur mais aussi pour les autres membres du Congrès souvent issus, eux aussi, des milieux trotskistes, notamment les New York Intellectuals [4]).
L’import-export de la rhétorique de la Troisième voie
La rhétorique de la Troisième voie (« la fin des idéologies », « la compétence technique des dirigeants ») fédère dans toute l’Europe de l’ouest des groupes politiques quis’investissent dans les activités du Congrès, véritable think tank chargé d’élaborer une idéologie anticommuniste acceptable en Europe à la fois par la droite conservatrice et par la gauche socialiste et réformiste. En France, trois courants politiques collaborent avec le Congrès : les militants de l’ex RDR (Rousset et Altman), les intellectuels gaullistes de la revue Liberté de l’esprit tels que Malraux, et les fédéralistes européens.La doctrine officielle du Congrès a été principalement élaborée par les New York Intellectuals. Leurs publications sont vulgarisées dans les pays européens par des « passeurs » transatlantiques qui assurent des fonctions de relais comme Raymond Aron, qui est à l’origine de la traduction de L’ère des organisateurs, Georges Friedmann qui reprend à son compte les thèses de Daniel Bell, auteur de The end of ideology publié en 1960… En France, les passeurs sont essentiellement des intellectuels relativement marginalisés dans l’espace universitaire ; le Centre d’études sociologiques (CES) constitue l’un des lieux de recrutement du Congrès, dans le sillage du Commissariat au Plan [5]. Les planificateurs attribuent en effet la plupart des crédits de recherche à des économistes et des sociologues qu’ils désirent enrôler afin de légitimer leurs décisions. Edgar Morin, Georges Friedmann, Eric de Dampierre, chercheurs du CES, sont ainsi présents au Congrès anniversaire de 1960.
Cette stratégie de recrutement efficace aboutit à la « démarxisation » (selon l’expression utilisée par Domenach, directeur d’Esprit) de certains milieux intellectuels plus ou moins liés au Parti communiste.
Raymond Aron : un intellectuel de la première génération
Raymond Aron, impliqué dans les activités françaises du Congrès jusqu’au scandale de 1967, est l’importateur des thèses des New York Intellectuals. Il fait traduire en 1947 le livre de son ami James Burnham (la première édition de L’ère des organisateurs est préfacée par le socialiste Léon Blum) et organise la diffusion des théories de la Troisième voie.Après la publication de L’homme contre les tyrans en 1946 et du Grand schismeen 1948, véritables manifestes des conservateurs français, Raymond Aron s’engage dans les réseaux du Congrès dès sa création à Berlin en 1950. Fortement impliqué dans ses structures de décision, au même titre que Michel Collinet et Manès Sperber, Raymond Aron est aussi reconnu comme l’un des théoriciens majeurs de « l’internationale » anticommuniste. En 1955, à la conférence internationale de Milan, il est l’un des cinq orateurs de la séance inaugurale (avec Hugh Gaitskell, Michael Polanyi, Sidney Hook et Friedrich von Hayek [6]). La même année, il publie L’opium des intellectuels, texte inspiré par les idées de James Burnham, dans lequel il dénonce le neutralisme des intellectuels de la gauche non communiste. En 1957, il rédige la préface de La révolution hongroise, Histoire du soulèvement, de Melvin Lasky et François Bondy, deux personnalités majeures du Congrès.
Né en 1905, dans « une famille de la bourgeoisie moyenne du judaïsme français » [7], Raymond Aron, normalien (1924), agrégé (1928), à la veille de la Seconde Guerre mondiale, se destine à une carrière de philosophe. En 1948, malgré le succès des thèses phénoménologico-existentialistes, il n’est pas choisi pour succéder à Albert Bayet à la Sorbonne ; il est contraint d’accepter des postes, relativement peu prestigieux, dans des écoles du pouvoir (ENA, IEP Paris). Parallèlement à cet échec, il acquiert des positions dominantes dans l’espace journalistique (il est l’éditorialiste du Figaro de 1947 à 1977, et participe à L’Express jusqu’à sa mort en 1983) et dans l’espace politique (en 1945, il est membre du gouvernement du général de Gaulle). Cette conversion à « droite » (à la veille de la guerre, Aron est un intellectuel socialiste), à un moment où Sartre domine la scène intellectuelle, est amplifiée par l’engagement dans les réseaux du Congrès et par sa participation active aux commissions de modernisation organisée par l’Association française pour l’accroissement de la productivité, créée en 1950 et qui dépendant du Commissariat au Plan.
La fabrication d’un intellectuel « pro-américain » : la trajectoire politique de Michel Crozier
Les intellectuels français du Congrès s’expriment à travers la revue Preuves, équivalent hexagonal de Der Monat. Le recrutement est assuré par le délégué parisien du Congrès, poste détenu par un intellectuel new-yorkais, Daniel Bell qui distribue des crédits de recherche ou des bourses d’études (aux États-Unis) à des jeunes intellectuels européens en échange de leur collaboration à la lutte anticommuniste.Michel Crozier, autre acteur clé du dispositif, peut être considéré comme un produit fabriqué par les réseaux du Congrès, qu’il intègre à la fin des années 50 ; son parcours met en perspective les modalités d’instrumentalisation des jeunes intellectuels dans le cadre de la diplomatie culturelle états-unienne.Au début des années 50, Michel Crozier est un jeune intellectuel connu grâce au succès d’un article publié dans Les temps modernes, la revue dirigée par Sartre. Dans ce texte intitulé « Human engineering », l’auteur s’attaque violemment au New Deal, condamne l’enrôlement des savants et dénonce les méthodes du patronat. L’article est fondamentalement « antiaméricain », « ultragauchiste ». Michel Crozier participe par ailleurs à Socialisme et barbarie, groupe dirigé par Cornelius Castoriadis et fonde La tribune des peuples, une revue tiers-mondiste ; il est soutenu par Daniel Guérin, un trotskiste français.En 1953, Michel Crozier rompt avec les réseaux du trotskisme français et entre dans le groupe Esprit où il publie un article critiquant l’intelligentsia de gauche. Cette rupture est renforcée par la rencontre, en 1956, de Daniel Bell, délégué parisien du Congrès. Celui-ci obtient pour Crozier une bourse d’études à Stanford. [8]En 1957, il participe au congrès de Vienne. Son intervention sur le syndicalisme français est publiée dans Preuves.Intégré dans les réseaux de passeurs, Michel Crozier participe aux commissions de modernisation et devient l’un des idéologues majeurs, avec Raymond Aron, de la Troisième voie française. Il rédige une partie du manifeste du club Jean Moulin [9], réunion de personnalités proches des planificateurs (Georges Suffert, Jean Ripert, Claude Gruson). Ce texte résume fidèlement les lignes directrices de la propagande de la Troisième voie : fin des idéologies, rationalité politique, participation des ouvriers à la gestion de l’entreprise, dévalorisation de l’action parlementaire et promotion des technocrates …En 1967, grâce au soutien de Stanley Hoffmann (collaborateur d’Esprit et fondateur du Center for european studies), Michel Crozier est recruté à Harvard. Il rencontre Henry Kissinger et Richard Neustadt, ancien conseiller de Truman, auteur du best-seller The power of presidency. Par l’intermédiaire d’un club organisé par Neustadt, Michel Crozier fréquente Joe Bower, le protégé de MacGeorge Bundy, le chef d’état-major de Kennedy et de Johnson et le président du staff de la Fondation Ford.
Après le scandale de 1967, Michel Crozier, intellectuel « pro-américain » fabriqué par le Congrès, est donc naturellement l’une des personnalités sollicitées pour présider à la reconstruction de l’organisation anticommuniste.
Du Congrès pour la liberté de la culture à l’Association internationale pour la liberté de la culture
En 1967, éclate en effet le scandale du financement occulte du Congrès pour la liberté de la culture, rendu public, en pleine guerre du Vietnam, par une campagne de presse. Dès 1964, le New York Times avait pourtant publié une enquête sur la fondation Fairfield, principal bailleur de fonds officiel du Congrès, et ses liens financiers avec la CIA. À cette époque, l’agence de renseignement états-unienne, par l’intermédiaire de James Angleton [10] tenta de censurer les références au Congrès.Les dirigeants du Congrès nettoient l’organisation avec l’aide de la fondation Ford qui assume, dés 1966, la totalité du financement. À l’occasion de cette réorganisation, MacGeorge Bundy propose à Raymond Aron de présider la reconstruction du Congrès ; celui-ci refuse en 1967, effrayé par le scandale déclenché en Europe.Cette année là, un article du magazine Ramparts provoque, malgré une campagne de dénigrement organisée par les services secrets [11], une vague de scandale sans précédent dans l’histoire du Congrès pour la liberté de la culture. Thomas Braden (arrivé à la CIA en 1950, chargé d’organiser la Division internationale d’opposition au communisme) confirme le financement occulte du Congrès dans un article au titre provocateur, « Je suis fier que la CIA soit amorale ».Après les événements de Mai 68, Jean-Jacques Servan-Schreiber, une des principales personnalités du club Jean Moulin, auteur d’un essai remarqué outre-Atlantique (le best-seller Le défi américain publié en 1967), se rend à Princeton en « quasi-chef d’État […] accompagné d’une suite qui en laissera pantois plus d’un » [12]. Michel Crozier est chargé de la rédaction des conclusions du séminaire de Princeton pour la presse internationale (le séminaire de Princeton est la première réunion de l’Association internationale).A partir de 1973, MacGeorge Bundy réduit progressivement les activités de la fondation Ford en Europe. L’Association internationale perd son influence et cesse d’exister (malgré la création d’organisations parallèles) en 1975, date de la signature des accords d’Helsinki.Au même titre que le Plan Marshall, l’ACUE et le volet militaire du stay-behind, le Congrès pour la liberté de la culture a contribué à installer durablement en Europe, dans le contexte de la Guerre froide, des agents dépendants des crédits états-uniens chargés de concrétiser la diplomatie d’ingérence imaginée à Washington. Une collaboration qui se poursuit aujourd’hui en France par l’intermédiaire de l’aide apportée par les fondations états-uniennes aux intellectuels de la nouvelle Troisième voie française.
par Denis Boneau http://www.voltairenet.org/article11249.html – 72k – 14 juin 2007 - http://euro-
[1] Commentary est la revue quasi-officielle du Congrès pour la liberté de la culture. Elle a été dirigée par Irving Kristol de 1947 à 1952, puis par Norman Podhoretz de 1960 à 1995, qui sont aujourd’hui deux figures clés du mouvement néo-conservateur états-unien. Le fils d’Irving Kristol, William Kristol, dirige actuellement la revue des « néo-cons », le Weekly Standard.
[2] Rémi Kauffer, « La CIA finance la construction européenne », Historia, 27 Février 2003.
[3] James Burnham, The managerial revolution or what is happening in the world now, New York, 1941. L’ère des organisateurs, éditions Calmann-Lévy, 1947.
[4] Joseph Romano, « James Burnham en France : L’import-export de la “révolution managériale” après 1945 », Revue Française de Science Politique, 2003.
[5] Le Commissariat au Plan, créé en 1946 afin d’organiser la distribution des crédits du Plan Marshall (volet économique de la diplomatie états-unienne d’après-guerre), a permis, sous l’impulsion de Jean Monnet, de développer la collaboration entre les hauts fonctionnaires français et les diplomates états-uniens. Etienne Hirsch, successeur de Jean Monnet, a mis en place des instances de « concertation », différents organismes rassemblant des universitaires, des syndicalistes, des hauts fonctionnaires… Les planificateurs ont ainsi fédéré les personnalités liées aux intérêts de Washington et se sont engagés dans une démarche de promotion du « modèle américain » notamment par l’intermédiaire des clubs politiques comme le club Jean Moulin (Georges Suffert, Jean-Jacques Servan-Schreiber), le club Citoyens 60 (Jacques Delors) et le cercle Tocqueville (Claude Bernardin).
[6] En 1947, Hayek participe activement à la fondation de la Société du Mont-Pèlerin. Maison-mère des think tanks néo-libéraux, l’organistation soutenue par l’Institute of Economic Affairs (1955), le Centre for Policy Studies (1974) et l’Adam Smith Institute (1977), regroupe les principaux artisans de la victoire de Margaret Thachter en 1979. Keith Dixon, Les évangélistes du marché, Raisons d’agir, 1998. Voir la note du Réseau Voltaire consacré à la Société du Mont pélerin.
[7] Raymond Aron, Mémoires, 50 ans de réflexion politique, Julliard, 1983.
[8] Michel Crozier, Ma belle époque, Mémoires, Librairie Arthème Fayard , 2002.
[9] Manifeste du Club Jean Moulin, L’État et le citoyen, Seuil, 1961.
[10] James Angleton, membre de la CIA, a participé aux opérations du stay-behind en Europe. Il était le patron X2 du contre-espionnage, et a été chargé, à cette occasion d’entrer en contact le patron du SDECE, les services secrets français, Henri Ribière. Voir « Stay-behind : les réseaux d’ingérence américains ».
[11] Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle, Éditions Denoël, 2003.
[12] Pierre Grémion, Intelligence de l’anticommunisme, Le Congrès pour la liberté de la culture à Paris, 1950-1975, Arthème Fayard, 1995.
Sources :
I) Traduction et synthèse : Xavière Jardez – Titre et intertitres : AFI-Flash
* Titre original : Scholars and spies: A disastrous combination, par Mark LeVine (Al Jazeera – 5/12/12)
http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2012/12/201212475854134641.html
Mark LeVine est professeur à la Middle Eastern history à l’Université d’Irvine et professeur honoraire au Centre for Middle Eastern Studies à l’Université de Lund en Suède. Il est l’auteur du livre à venir sur les révolutions dans le monde arabe The Five Year Old Who Toppled a Pharaoh.
II) Denis Boneau http://www.voltairenet.org/article11249.html – 72k – 14 juin 2007 -[1] Commentary est la revue quasi-officielle du Congrès pour la liberté de la culture. Elle a été dirigée par Irving Kristol de 1947 à 1952, puis par Norman Podhoretz de 1960 à 1995, qui sont aujourd’hui deux figures clés du mouvement néo-conservateur états-unien. Le fils d’Irving Kristol, William Kristol, dirige actuellement la revue des « néo-cons », le Weekly Standard.
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L'école malade de l'idéologie (2007)
M. Sarkozy, homme de la “rupture” ? Mais de la rupture avec qui, avec quoi ? Dans sa Lettre aux éducateurs prononcée à Blois le matin de la dernière rentrée, il n’a pas hésité, après quelques propos de bon sens, à conclure comme n’importe quelle vieille barbe dévote des “grands ancêtres” : « À nous de reprendre le fil qui court depuis l’humanisme de la Renaissance jusqu’à l’école de Jules Ferry, en passant par le projet des Lumières. » Nous avons tout de suite écrit (L’AF 2000 du 20 septembre 2007) que s’obstiner à inscrire l’école dans le carcan idéologique des utopies de 1789 ne pouvait en aucun cas porter remède à la débâcle de l’actuelle Éducation nationale.
Le malheur est que la République, quel que soit celui qui lui prête son visage, ne peut parler un autre langage sans s’autodétruire ! Le fait est incontestable : la révolution de 1789 a fondé l’État enseignant, l’État qui ne peut pas ne pas être enseignant, l’État chargé de régénérer l’homme selon l’idéologie libertaire, donc obligé d’utiliser l’école pour briser les “chaînes” de l’individu, arracher celui-ci à sa condition, développer en lui la “vertu” hors des références traditionnelles, et, plus prosaïquement, mouler les futurs électeurs...
Qu’on ne vienne pas nous dire que nous ramenons abusivement tout à 1789. Il suffit d’étudier attentivement la notion même de Droits de l’homme, pour comprendre que de cette propension à tout poser en termes de droits sans compensation de devoirs (droits de l’homme, droits de l’enfant, droit au diplôme, droit à la différence, droit à l’égalité, droit à la contestation...) découlent tout à fait logiquement les maux que l’on connaît aujourd’hui : baisse du niveau, suppression des notes, méthodes laxistes, discrédit jeté sur le “par coeur”, disparition de l’émulation, collège unique, mépris des traditions chrétiennes, l’histoire orientée, baccalauréat au rabais, indiscipline, esprit d’insubordination, non respect du professeur, drogue, violences, et j’en passe...
Déconnexion
Évidemment les effets néfastes de l’idéologie ont encore été renforcés ces dernières décennies par les “découvertes” pédagogiques allant toutes dans le sens de la “libération” de l’élève invité à tout découvrir par lui-même. De plus en plus de familles en sont réduites à faire donner à leurs enfants des cours de soutien qui deviennent déjà de véritables affaires d’argent.
On nous dira, bien sûr, que dans “l’école de la République” créée par Jules Ferry, la conscience professionnelle de certains professeurs, leur patriotisme voire leur personnalité, portent encore quelques bons fruits. Certes, mais il n’empêche que cette école officielle, créée essentiellement pour continuer l’oeuvre de la Révolution et « purger » (dixit Ferry) la nation de tout reste de christianisme, ne pourra jamais que tomber du côté où elle penche. Dans le vide spirituel, les idéologies s’imposent comme produits de substitution, les “expériences” pédagogiques désorientent toujours plus les élèves et les parents, tandis que les syndicats monopolisent tout débat...
Le sommet de l’absurde a été atteint dès 1947 avec le plan communiste Langevin-Wallon (que ni Nicolas Sarkozy ni personne ne dénonce !) érigeant le ministère de la rue de Grenelle en une espèce de Soviétie, se donnant pour mission l’éducation « pour tous les enfants », « à tous les niveaux et sous tous les aspects ». Dès lors le ministère n’a cessé de s’alourdir, de peser sur le budget des Français, de faire vivre des multitudes d’enseignants mais aussi de pédagogues, sociologues, animateurs, technocrates, psychiatres, syndicalistes qui prennent en main des multitudes d’enfants entassés dans des bâtiments démentiels et désespérants où ils s’ennuient ferme alors que beaucoup s’épanouiraient mieux en apprenant un métier.
À ce sujet, signalons que M. Sarkozy, dans sa fameuse lettre de rentrée, souhaitait que « les filières professionnelles soient reconnues comme des filières d’excellence au même titre que les autres ». Mais le même Nicolas Sarkozy, le 11 juin dernier, suivi à la rentrée par le Premier ministre François Fillon, écartait toute possibilité d’un apprentissage à quatorze ans parce qu’il contreviendrait à l’obligation de scolarité jusqu’à seize ans ! On en reste toujours à la situation où les filières professionnelles sont méprisées. Citons SOS-Éducation : « Encore une fois un gouvernement a plié devant les syndicats enseignants, pour qui l’égalitarisme est plus important que l’avenir des enfants, et ce sont les élèves qui n’arrivent pas à suivre la filière générale qui trinquent » (1).
C’est ainsi que l’école se déconnecte toujours plus gravement des réalités sociales, économiques, régionales, professionnelles, historiques. Résultat : des masses de jeunes sortent du lycée pour devenir chômeurs ! Selon le ministère lui-même le taux d’emploi des lycéens a chuté entre 2002 et 2003 de 69,8 % à 57,8 % (2). Ajoutons que 160 000 élèves par an quittent le système scolaire sans qualification et que, parmi les diplômés d’un baccalauréat technique ou professionnel, 45 % sont toujours au chômage sept mois après avoir reçu leur diplôme. Désespérer la jeunesse n’est certainement pas le moyen de reconstituer le tissu social...
Quelle liberté ?
Que dire alors de l’école privée ? Ses résultats sont certes légèrement meilleurs, les directeurs et les enseignants sont souvent plus dynamiques, mais, depuis les accords de 1991 entre Jacques Lang et l’abbé Cloupet, des règles étatiques limitent les ouvertures de classes, la liberté des méthodes pédagogiques, et le pouvoir du chef d’établissement empêché de licencier ses professeurs. Sans compter les entraves que font régner dans bien des directions diocésaines les technocrates de la foi...
Pas étonnant que des parents se regroupent pour créer leur propre école, totalement indépendante de l’État. Plus de cent écoles hors contrat existent déjà en France. Signalons à ce sujet le site de Mme Anne Coffinier Créer son école (3).
Certains s’émeuvent de cette explosion ; ils redoutent que les sectes s’infiltrent dans la brèche, ou que les “communautarismes” en sortent renforcés (au moins trois écoles musulmanes hors contrat existent déjà en France). Quant à la solution la plus juste pour une vraie liberté scolaire, qui serait d’accorder aux familles par le bon scolaire les moyens matériels du libre choix de l’école, publique ou privée, confessionnelle ou pas, elle présenterait selon certains le danger de faire à plus ou moins long terme de l’enseignement une affaire d’intérêts financiers.
La question est politique
Une solution à ces difficultés ? Se débarrasser des idéologies et retrouver les vraies finalités de l’enseignement : transmettre librement, généreusement, avec fierté l’héritage français dans toute sa diversité, sans le séparer inutilement des traditions éprouvées, des enracinements religieux, sociaux, économiques, professionnels, régionaux, historiques, le tout en sachant donner le goût de cet héritage aux nouvelles générations et aux enfants des familles nouvellement arrivées dans la nation.
La condition de ce retour au bon sens ? Un État lui-même dégagé des utopies de 1789, capable de refuser tout autant le centralisme que le libéralisme, sachant que s’il doit mettre des écoles publiques au service des familles cela ne lui donne aucun droit de s’assurer le monopole de l’enseignement. Un État libre lui-même pour accorder les plus grandes libertés en matière scolaire comme dans les autres domaines, tout en ayant assez de force pour empêcher que ces libertés dégénèrent en introduisant des pratiques contraires à l’unité nationale ou au respect dû à la religion catholique qui a forgé l’âme de la France. Inutile de dire que l’on ne peut rien attendre de tel de la république électoraliste...
Michel FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 18 au 31 octobre 2007
(1) www.soseducation.com
(2) www.education.gouv.fr
(3) www. créer-son-ecole.com -
L'Education nationale contribue à la falsification historique
Valeurs actuelles - 22/12/2011
Réponses de Jean Sévillia à un entretien sur les manipulations de l'histoire et les ravages de l'historiquement correct.
Toutes les époques sont-elles concernées par la falsification historique ?
Toutes les époques sont concernées, mais les raisons de ces maquillages varient selon les dominantes idéologiques. Pour faire court, l’histoire est instrumentalisée, en Occident, depuis les Lumières : encyclopédistes et philosophes tressent une légende noire de l’Église, dont ils combattent le pouvoir. Au XIXe siècle, le roman national, tel que l’enseigne l’école jusqu’aux années 1950, s’inscrit dans une veine républicaine qui glorifie la Révolution et caricature l’“Ancien Régime”. L’après-guerre est dominée, jusqu’à la fin des années 1960, par l’histoire marxiste, ce qui s’explique par l’hégémonie culturelle du Parti communiste.
Et par l’influence de l’école des Annales ?
À ceci près que Lucien Febvre et Marc Bloch, les fondateurs des Annales, étaient des hommes d’une très grande science, de grands historiens dont les travaux n’ont pas toujours été assimilés par ceux qui les diffusaient ensuite dans les établissements scolaires. Les Annales se sont démarxisées au fil du temps, et bon nombre d’historiens issus de cette école (Georges Duby, Emmanuel Le Roy Ladurie, François Furet, Jacques Le Goff…) sont revenus à une vision classique de l’histoire, parfois à la biographie, voire à l’“histoire-bataille”. Quoi qu’il en soit, le marxisme s’effondre dans les années 1980. Un autre paradigme lui est substitué – les droits de l’homme – , et c’est encore à l’aune de ce paradigme qu’on interprète le passé. C’est cela, l’“historiquement correct” : passer l’histoire au crible de l’idéologie du moment. Ce faisant, on commet un anachronisme préjudiciable à la connaissance historique.
Comment définiriez-vous l’idéologie dominante que vous évoquez ?
Elle relègue la nation dans les limbes de l’histoire, condamne les frontières, rejette tout enracinement géographique et spirituel. Elle fait l’apologie du nomadisme. Elle élève l’individu au rang de valeur sacrée et proclame son libre arbitre comme ultime référence. Est considéré comme juste celui qui respecte les droits de l’homme, comme injuste – donc immédiatement condamné – celui qui les viole. Alors que l’histoire est un domaine éminemment complexe, on cède à la facilité manichéenne (les bons et les méchants) et l’on procède à des réductions abusives en braquant le projecteur sur certains événements, au risque d’en laisser d’autres dans l’obscurité. Anachronisme, manichéisme, réductionnisme : ce sont les trois procédés de la falsification historique, qui sont beaucoup plus subtils que ce qui se faisait en Union soviétique…
Un exemple ?
La Première Guerre mondiale. On ne perçoit plus ce conflit qu’à travers la vie des combattants de base. Ce qu’ils ont vécu fut atroce, mais on insiste tant sur cet aspect qu’on oublie la dimension géopolitique de la guerre. Comme nous sommes attachés par-dessus tout à nos droits individuels, comme nous sommes dans un moment de concorde européenne, nous ne comprenons plus ce qui les animait, ni qu’ils aient largement consenti à ce sacrifice. Nous ne comprenons plus l’expression “faire son devoir”.
Plusieurs controverses ont éclaté sur des sujets de recherche historique, par exemple sur l’esclavage, après la parution d’un livre de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, les Traites négrières. Essai d’histoire globale (Gallimard). Est-ce aussi l’effet de l’historiquement correct ?
Absolument. En 2004, cet historien – dont l’ouvrage a reçu plusieurs prix – démontre que l’esclavage n’a pas été seulement le fait des Occidentaux. En 2005, il déclare, au détour d’un entretien à la presse, que « les traites négrières ne sont pas des génocides ». La condition des esclaves était certes atroce, mais l’intérêt des négriers n’était pas de les laisser mourir puisqu’ils tiraient profit de leur vente. Aussitôt, diverses associations lancent une procédure judiciaire et nourrissent une campagne si violente qu’elle provoque la réaction de nombreux historiens : un millier d’entre eux signeront un appel rappelant que l’histoire n’est ni une religion ni une morale, qu’elle ne doit pas s’écrire sous la dictée de la mémoire et qu’elle ne saurait être un objet juridique. C’est à cette occasion qu’est née l’association Liberté pour l’histoire, à l’époque présidée par René Rémond.
De nombreux historiens considèrent que le Parlement n’a pas à s’emparer de ces questions. Qu’en pensez-vous ?
Les lois mémorielles entretiennent une concurrence victimaire, indexée sur la tragédie que fut la Shoah. Elles ont aussi nourri des revendications d’ordre politique, de sorte qu’on peut craindre une instrumentalisation de l’histoire. Il est tout à fait légitime d’entretenir la mémoire des tragédies, de toutes les tragédies, mais la mémoire n’est pas toute l’histoire.
Autre polémique, celle qu’a provoquée le livre de Sylvain Gouguenheim, Aristote au mont Saint-Michel (Seuil), en 2008…
Agrégé d’histoire et docteur ès lettres, Sylvain Gouguenheim enseigne l’histoire médiévale à l’École normale supérieure de Lyon. Il souligne dans son livre que l’Occident médiéval n’a jamais été coupé de ses sources helléniques pour au moins trois raisons. Tout d’abord, il a toujours subsisté des îlots de culture grecque en Europe. Ensuite, les liens n’ont jamais été rompus entre le monde latin et l’Empire romain d’Orient. Enfin, c’est le plus souvent par des Arabes chrétiens que les penseurs de l’Antiquité grecque ont été traduits dans les régions passées sous la domination de l’islam. Conclusion : si la civilisation musulmane a contribué à la transmission du savoir antique, cette contribution n’a pas été exclusive ; elle a même été moindre que celle de la filière chrétienne. Ce livre a rapidement déclenché la mise en route d’une machine à exclure visant non seulement à discréditer son auteur comme historien, mais à l’interdire professionnellement !
Pourquoi ?
Parce qu’il est couramment admis que l’Occident n’aurait eu connaissance des textes antiques que par le truchement du monde islamique. L’essor de la culture occidentale ne pourrait donc pas s’expliquer sans l’intermédiation musulmane. Quiconque n’épouse pas cette thèse – enseignée dans les collèges – est voué aux gémonies. Il était naguère impossible de critiquer le communisme, il est aujourd’hui presque interdit d’évoquer l’islam. Il est quand même symptomatique que deux journaux français seulement – Valeurs actuelles et le Figaro Magazine – , aient parlé du livre de Christopher Caldwell, Une révolution sous nos yeux, qui explique que les populations musulmanes sont en train de redessiner l’avenir de l’Europe… Le système médiatique français reste politiquement très homogène.
Les programmes d’histoire n’échappent pas à la polémique. L’Éducation nationale est-elle à l’abri de la falsification historique ?
Je suis navré de le dire, mais l’Éducation nationale est au coeur de ce système. Les commissions des programmes sont constituées d’enseignants qui, pour beaucoup, sont inspirés par le “pédagogisme” ambiant, donc en accord avec l’idéologie dominante. Le retour à la chronologie est infime, l’histoire est toujours enseignée de façon thématique aux enfants. Qu’un agrégé d’histoire fasse du comparatisme entre les sociétés ou à travers les siècles est très intéressant, mais cela n’est guère adapté à des enfants qui n’ont ni les connaissances ni les repères chronologiques nécessaires. Le problème est d’autant plus important que le système scolaire français est très concentré.
Mais l’école de la République, celle d’Ernest Lavisse, diffusait elle aussi un message idéologique…
L’histoire républicaine était nationale. Parfois caricaturalement, mais cette approche avait au moins la vertu de donner aux enfants, qu’ils soient bretons ou provençaux, un patrimoine commun, presque un héritage spirituel. “Nos ancêtres les Gaulois”… Les choses étaient scientifiquement contestables, mais elles avaient un sens. L’histoire, telle qu’on l’enseigne aujourd’hui, sort de ce cadre national, car le credo politique actuel est de mettre à bas les nations. D’où le bannissement des grands hommes de notre histoire.
Comment expliquez-vous que la France doute à ce point d’elle-même ?
La nation française est une construction de l’État. Or, l’État a été dépossédé – démocratiquement, c’est vrai – des attributs de sa puissance. Au profit de quoi, de qui ? On ne sait pas très bien : de Bruxelles ? De Francfort ? La crise de la nation est évidemment liée à celle de l’État.,
Les choses peuvent-elles évoluer ?
Bien sûr. Les générations passent, les idéologies aussi. Mais ne me demandez pas de prédire l’avenir : nous avons assez à faire avec le passé !
Propos recueillis par Fabrice Madouas http://www.jeansevillia.com/ -
Pour en finir avec l’occident
« Cette Europe qui, dans un incalculable aveuglement, se trouve toujours sur le point de se poignarder elle-même, écrit Martin Heidegger dans son Introduction à la métaphysique, est prise aujourd’hui dans un étau entre la Russie d’une part et l’Amérique de l’autre. La Russie et l’Amérique sont, toutes deux, au point de vue métaphysique la même chose : la même frénésie de l’organisation sans racine de l’homme normalisé. Lorsque le dernier petit coin du globe terrestre est devenu exploitable économiquement (…) et que le temps comme provenance a disparu de l’être-là de tous les peuples, alors la question : “Pour quel but ? Où allons nous ? et quoi ensuite ?” est toujours présente et, à la façon d’un spectre, traverse toute cette sorcellerie ».
Dans les campagnes françaises, on ne danse plus la gigue ou la sardane les jours de fête. Le juke-box et le flipper ont colonisé les derniers refuges de la culture populaire. Dans un collège allemand, un garçon de dix-huit ans achève de crever d’overdose, recroquevillé au fond d’une pissotière. Dans la banlieue de Lille, trente Maliens vivent entassés dans une cave. À Bangkok ou à Honolulu, vous pouvez, pour cinq dollars, vous envoyer une fillette de quinze ans. « Ce n’est pas de la prostitution puisque toute la population le pratique », précise une brochure touristique américaine. Dans la banlieue de Mexico, une firme américaine de production de skate-board licencie une centaine d’ouvrières. Houston estime qu’il est plus rentable de s’installer à Bogota…
Tel est le visage hideux de la civilisation qui, avec une logique implacable, s’impose à tous les continents, arasant les cultures sous un même mode de vie planétaire et digérant les contestations socio-politiques des peuples qui lui sont soumis dans les mêmes habitudes de mœurs (standard habits). À quoi sert, en effet, de crier « US go home ! » si on porte des jeans ? Pour Konrad Lorenz, cette civilisation a trouvé pire que l’asservissement ou l’oppression : elle a inventé la « domestication physiologique ». Et plus efficacement que le marxisme soviétique, elle réalise une expérience sociale de fin de l’histoire. Avec pour objectif d’assurer partout le triomphe du type bourgeois, au terme d’une dynamique homogénéisante et d’un processus d’involution culturelle.
Cette civilisation dans laquelle les peuples d’Asie, d’Afrique, d’Europe et d’Amérique latine sont aujourd’hui englués, il nous faut bien la désigner par son nom : c’est la civilisation occidentale.
La civilisation occidentale n’est pas la civilisation européenne. Elle est le fruit monstrueux de la culture européenne, à laquelle elle a emprunté son dynamisme et son esprit d’entreprise, mais à laquelle elle s’oppose fondamentalement, et des idéologies égalitaires issues du monothéisme judéo-chrétien. Elle s’accomplit dans l’Amérique qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, lui a donné son impulsion décisive. La composante monothéiste de la civilisation occidentale est d’ailleurs clairement reconnaissable à son projet, identique en substance à celui de la société soviétique : imposer une civilisation universelle fondée sur la domination de l’économie comme classe-de-vie et dépolitiser les peuples au profit d’une « gestion » mondiale.
Il convient dès lors de distinguer la civilisation occidentale du système occidental, celui-ci désignant la puissance qui entraîne l’expansion de celle-là. Le système occidental ne peut en outre être décrit sous les traits d’un pouvoir homogène et constitué en tant que tel. Il s’organise en un réseau mondial de microdécisions, cohérent mais inorganique, ce qui le rend relativement insaisissable et, partant, d’autant plus redoutable. Il regroupe notamment les milieux d’affaires de l’OCDE, les états-majors d’une centaine de firmes transnationales, un fort pourcentage du personnel politique des nations « occidentales », les sphères dirigeantes des « élites » conservatrices des pays pauvres, une partie des cadres des institutions internationales, et la plupart des rouages supérieurs des institutions bancaires du monde « développé ».
Le système occidental tient son épicentre aux États-Unis. Il n’est pas d’essence politique ou étatique, mais procède par mobilisation de l’économie. Négligeant les États, les frontières, les religions, sa « théorie de la praxis » repose moins sur la diffusion d’un corpus idéologique ou sur la contrainte que sur une modification radicale des comportements culturels, orientés vers le modèle américain.
Mais qui pense « Occident » pense aussitôt « Tiers-Monde ». On dit que c’est Alfred Sauvy qui a créé ce terme, peu après la conférence des pays non-alignés à Bandoeng, en 1955. Mais le Tiers-Monde existe-t-il ?
Le léninisme soviétique a en réalité conçu le concept de Tiers-Monde bien avant que le terme n’existât. Dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916) Lénine fonde la doctrine qui inspire plus que jamais la politique étrangère de l’Union soviétique : utiliser les pays pauvres comme masse de manœuvre contre le capitalisme mondial, les rendre objets de l’histoire de la révolution. Identique en cela au libéralisme occidental, l’idéologie léniniste subordonne l’indépendance des peuples à son projet universaliste. Le léninisme, qui est un occidentalisme en creux, n’envisage pas l’altérité nationale et ne conçoit le nationalisme des peuples non-européens que comme un instrument provisoire au service du même projet que celui de l’occidentalisme : une civilisation mondiale homogène et fondée sur l’économie.
Karl Marx lui-même annonce du reste cette parenté entre le léninisme et le libéralisme occidental. Dans The British Rule in India et dans The Future Results of British Rule in India (1853), il se félicite de ce que « la domination britannique ait complètement démoli le cadre de la société indienne » et que « cette partie du monde, jusque là restée inférieure, soit désormais annexée au monde occidental ». Car il n’est de pire obstacle pour le « socialisme », que les sociétés traditionnelles. Georges Marchais n’a-t-il pas dit que c’était pour abolir le droit de cuissage que l’armée soviétique avait envahi l’Afghanistan ?
Le Tiers-Monde engloberait-il alors tous les peuples qui, renonçant à leur identité culturelle propre, porteraient leur candidature à l’occidentalisation, comme les prolétaires à l’embourgeoisement ? Au besoin en nourrissant un ressentiment contre leur modèle ? La force du système occidental, objectivement complice en cela du projet léniniste, c’est de savoir que le désir d’assimilation l’emporte toujours sur le ressentiment : le Tiers-Monde ne le menace pas.
Pour le Vénézuélien Carlos Rangel, « l’essence du tiers-mondisme n’est ni la pauvreté ni le sous-développement », mais « un mécontentement qui n’empêche ni un mode de vie à l’occidentale, ni même une richesse tapageuse » (« Pourquoi l’Occident est en train de perdre le Tiers-Monde », in Politique internationale, printemps 1979). Pour Carlos Rangel, « appartiennent au Tiers-Monde les peuples qui, quoique très dissemblables, partagent le même sentiment profond d’aliénation et d’antagonisme envers les pays non-communistes ayant réussi, et qui se trouvent par rapport à ces derniers dans une position analogue à celle de populations de couleur dans une société où le pouvoir est entre les mains des Blancs ».
Ces peuples, poursuit Carlos Rangel, ne se sentent pas « membres fondateurs du club qui s’appelle civilisation occidentale ». Même le Japon ou l’Espagne, et à la limite la France, « ne seront jamais aussi intégrés dans la société capitaliste occidentale que la Nouvelle-Zélande qui appartient culturellement à la source où le capitalisme a puisé son impulsion », à savoir « l’hégémonie anglo-saxonne instaurée par l’Angleterre et dont les États-Unis ont pris le relais ». Carlos Rangel ajoute : « Le moindre défaut d’identification à la source première des idées et au siège actuel du pouvoir est inexorablement cause d’anxiété et d’insatisfaction nationales ».
L’appartenance au Tiers-Monde ou à la civilisation occidentale demeure donc un fait culturel.
C’est la planète entière qui vit donc un complexe d’identification. Comme l’égalité toujours proclamée et jamais atteinte, le modèle occidental recèle une logique de l’aliénation. La civilisation occidentale se présente explicitement comme un ensemble purement économique dont le principal critère d’appartenance serait le niveau de vie, mais implicitement, cette civilisation se donne une structure hiérarchisée à deux niveaux culturels : les membres du « club » et les « autres », qui ne seront jamais que des demi-occidentaux et qui n’entreront jamais dans le « club ». Pourquoi ? Parce qu’ils n’appartiennent pas au monde anglo-américain, qui se pense lui-même comme l’épicentre de l’Occident.
Aussi la civilisation occidentale, du fait de sa dominante anglo-américaine, rejette elle-même toute identification à la culture européenne, notamment en raison des composantes latines, germaniques, celtiques ou slaves de cette dernière. Mais cette dichotomie peut être poussée plus loin encore : dans la mesure où la civilisation occidentale exprime pleinement le projet américain et où l’Amérique s’est construite sur un refus de l’Europe, l’essence de la civilisation occidentale, c’est la rupture avec la culture européenne, dont elle se venge d’ailleurs en la digérant par ethnocide culturel et par neutralisation politique.
Le néo-colonialisme occidental, tel qu’il se manifeste dans toutes les parties du monde, de l’Irlande à l’Indonésie, s’appuie essentiellement sur l’idéologie libérale américaine, laquelle s’est imposée aux organisations internationales. On n’en finirait pas de citer les peuples dont les formes propres de souveraineté ont été détruites au profit d’une « démocratie » destinée à intégrer ces peuples à l’ordre économique occidental et marchand. Le néo-colonialisme a institué la pire des dépendances et assassiné la première de libertés, celle qui consiste, pour un peuple, à se gouverner selon sa propre conception du monde. Et ce sont les bourgeoisies locales, formées par l’Occident, qui se font l’instrument de cette dépossession politico-culturelle1.
C’est sur l’idée même de développement économique du Tiers-Monde qu’il convient enfin de porter le soupçon. Cette notion présuppose en effet que les peuples du Tiers-Monde doivent nécessairement suivre le chemin de l’industrialisation occidentale. Or cela concorde singulièrement avec le souhait libéral de division internationale du travail et de spécialisation économique des zones, indispensable au capitalisme moderne de libre-échange planétaire. Et qui, sous des camouflages doctrinaux et humanitaires (le « droit au développement ») prône ainsi l’industrialisation du Tiers-Monde ? Ceux qui défendent les intérêts d’un système économique auquel un commerce industriel mondial en croissance est aussi nécessaire que l’eau de mer tiède pour les bancs de maquereaux2.
À plusieurs reprises, François Perroux a montré que le « niveau de vie global » des pays « en voie de développement » que l’on considère comme étant déjà presque développés, était moins élevé que celui qui était atteint dans les sociétés traditionnelles. Inversement, les pays les plus pauvres ou les zones les moins industrialisées connaissent un « niveau de vie » réel supérieur à ce que les chiffres de l’OCDE peuvent laisser croire3. Et jusqu’à présent, les États-Unis ont été les seuls véritables bénéficiaires de l’industrialisation de l’Asie, de l’Afrique ou de l’Amérique du Sud.
Mais il ne faut pas se leurrer, l’industrialisation de la planète est irréversible. La part de consommation de l’Asie ou de l’Amérique latine ne cesse de croître. En revanche, c’est la forme de cette industrialisation, libre-échangiste et soumise au modèle de développement occidental, qui doit être critiquée. Dans la mesure où toutes les structures industrielles se ressemblent, les modes de consommation s’uniformisent et s’américanisent. En outre, si cette forme d’industrialisation est un facteur de « développement » pour certains pays, elle est la cause de déséquilibres graves et de sous-développements pour beaucoup d’autres : « Les quatre cinquièmes des exportations industrielles des pays neufs, écrit Jean Lemperière, proviennent de neuf pays : les quatre pays ateliers d’Extrême-Orient, l’Inde, les trois grands pays d’Amérique latine et Israël » (Le Monde, 22 janvier 1980).
Enfin, une économie industrielle mondialisée s’avèrera d’une extrême fragilité face aux crises par le réseau de dépendances qu’elle tisse entre les nations.
En regard, les idéologies « ethno-nationales » peuvent parfaitement aider certains peuples à se libérer du néo-colonialisme occidental. Ces idéologies sont apparues en Europe dès le début du XIVe siècle4 et s’opposaient déjà à un universalisme redoutable, celui du pouvoir ecclésiastique. Elles appelaient à la constitution d’un État laïc coïncidant avec la nation et se référaient au mythe mobilisateur de l’imperium romain antique. Reprises par Fichte et Herder au XVIIIe siècle, les idées ethno-nationales aboutirent à une contestation radicale des idéologies universalistes et individualistes, et elles jouèrent un rôle important dans les mouvements de libération nationale, au XIXe et au XXe siècles.
C’est du reste grâce à l’idéologie nationaliste que les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique ont pu se mobiliser contre le colonialisme. Aujourd’hui, c’est encore l’ethno-nationalisme qui, seul, pourra briser le carcan du néo-colonialisme occidental (ou soviétique). « Il y a eu adaptation, écrit Marcel Rouvier, du modèle idéologique européen ethno-national parce qu’il correspondait aux exigences de la situation du Tiers-Monde au XXe siècle », et le succès de cette idéologie est prévisible « avec le déclin de l’universalisme marxiste qui était resté son seul concurrent sérieux ». Pour Rouvier, le thème majeur du combat ethno-national est « le développement des idées de quête essentielle de l’identité comme ressort principal de l’histoire, de permanence d’un fondement qui est la transmutation du Volksgeist romantique, de légitimité profonde d’un nationalitarisme sain ».
Au Mexique, pays mis en coupe réglée par les États-Unis, c’est ainsi que l’on assiste à l’édification, par l’État et par le peuple, d’un nationalisme original, fondé sur la régénération d’une conscience historique qui retrouve ses fondements spécifiques dans les cultures indiennes. Un peuple nouveau se crée ainsi, libéré de l’histoire « occidentale » et pensant son destin à partir d’une re-création de son passé. Belle leçon pour nous, Européens, qui, au-delà de cet « occident chrétien » dans lequel nous ne pouvons plus nous reconnaître, devons aussi repenser notre destin en retrouvant les fondements spécifiques de notre culture, en édifiant un mythe indo-européen.
En Afrique, l’adaptation de l’idéologie ethno-nationale a également réussi, mais sous une forme moins politique et historique que tribale et communautaire : « La valeur de la culture africaine n’est pas liée à certains fantasmes ou à des complexes refoulés devant les canons de la beauté grecque », dit, non sans malice, le cinéaste sénégalais Sembène Ousmane (Jeune Afrique, 19 septembre 1979). La recherche de l’authenticité, le choix des patronymes et le retour aux coutumes patriarcales traditionnelles, combattues par le christianisme et les Nations Unies, ne peuvent faire sourire que les imbéciles et les salauds.
Quant au nationalisme islamique, il constitue le plus heureux camouflet jamais infligé à l’utopie civilisatrice du modèle américain. Il remet en cause l’idée occidentale de croissance marchande et de primat du développement économique, tout en rejetant le marxisme, justement considéré comme facteur de déculturation et, accessoirement, comme instrument du néo-colonialisme soviétique.
C’est également grâce à l’éveil d’une conscience nationale que la Chine a pu atténuer l’effet massificateur du marxisme, et opérer ainsi un syncrétisme probablement positif entre les idées venues de l’Ouest et la poursuite de son destin de peuple-continent. Elle a su adapter ses structures culturelles ancestrales de souveraineté et constituer, « en comptant sur ses propres forces », une puissance historique indépendante du magma occidental comme du bloc soviétique. Ce n’est pas sans bonnes raisons que la Chine ressent le besoin de ne plus mener seule le rôle d’acteur de l’histoire, face aux deux grands universalismes, l’Occident américain et le « soviétisme » russe. Dans ce jeu à trois où elle ne peut s’allier qu’à son contraire – hier l’Union soviétique, aujourd’hui les États-Unis – elle a besoin que lui vienne un acteur-partenaire. C’est pourquoi, elle en appelle à l’Europe, l’incitant à sortir de sa léthargie, à rentrer dans l’histoire, à reconquérir sa liberté.
Comme la Chine s’est libérée du « soviétisme », l’Europe doit en effet se libérer de l’Occident et se réapproprier les idéologies ethno-nationales qu’elle a suscitées.
Se libérer de la civilisation occidentale, c’est commencer par douter de l’idée de solidarité du bloc occidental imposée à l’Afrique comme à l’Europe ou au Japon. Car il faut bien distinguer, en géopolitique, les solidarités factuelles et les solidarités réelles, c’est-à-dire à la fois souhaitables et conformes aux intérêts historiques des peuples mis en cause. L’Occident et le bloc soviétique ne constituent que des ensembles de solidarité factuelle. La Pologne ou l’Allemagne fédérale, comme le Chili ou l’Afghanistan, ne sont pas insérés à des ensembles de solidarité réelle.
Or la gauche « tiers-mondiste » et la droite « occidentaliste » renforcent, par les concepts institués par leur vocabulaire idéologique, ce statu quo mondial de blocs de solidarité factuelle. Une nouvelle géopolitique commence par de nouvelles définitions.
L’Occident ou le Tiers-Monde doivent disparaître en tant que concepts géopolitiques. Parlons de l’Europe, des États-Unis, de l’Amérique Latine, de l’Union soviétique ou de l’Inde. Il faut repenser le monde en termes d’ensemble organiques de solidarité réelle : des communautés de destin continentales, des groupes de peuples cohérents et « optimalement » homogènes de par leurs traditions, leur géographie, leurs composantes ethno-culturelles.
« La nation, écrit François Perroux, réalité vivante et dynamique, devient l’une des sources d’énergie essentielle pour restructurer la société mondiale et son économie (…). Les terriens se coagulent en nations armées, en empires, en communautés hésitantes et tentent économiquement de former des régions de nations (Bertrand Russel). Ces rassemblements s’en trouvent – ni clos, ce qui est impossible, ni accueillants sans réserve (…). Dans ces associations de nations, il faudra des projets collectifs d’infrastructure, d’investissement, de diffusion des produits et des revenus. C’est dans la mesure où les nations, témoins et défenseurs des peuples, favoriseront cette déconcentration des pouvoirs économiques et cette décentralisation de leurs effets, que s’ébauchera une certaine réciprocité dans le développement qui ne se construit pas spontanément par le jeu des intérêts privés » (Le Monde de l’économie, 9 octobre 1979).
Ces associations de nations sont géopolitiquement possibles, et elles briseraient le cadre économico-stratégique actuel. Chaque grande région planétaire pourrait ainsi voir coïncider dans son espace de vie une relative parenté culturelle, une communauté d’intérêts politiques, une certaine homogénéité ethnique et historique, et des facteurs macro-économiques qui rendent possibles à terme un développement autonome sans recours à la mendicité internationale5. Un nouveau nomos de la terre, pour reprendre l’expression de Carl Schmitt, pourrait ainsi voir le jour, fondé sur une société de communautés et non plus sur une pseudo communauté de sociétés.
Mais les cultures, dira-t-on, ne pourront plus communiquer entre elles. C’est exactement l’inverse qui est vrai. En communiquant entre elles par le référent commun qu’est la civilisation occidentale, les cultures établissent en réalité une pseudo communication. Ce référent commun aliène en effet la personnalité de celui qui l’utilise. Le signifiant (le langage culturel occidental) se substitue au signifié (la culture locale qui tente de s’expliquer par le langage occidental). Bref, les peuples se connaissent de plus en plus mal, les cultures ne communiquent plus et ne parviennent plus à s’enrichir parce qu’elles utilisent un espéranto infra culturel qui appartient à tout le monde et à personne.
Communiant dans les mêmes mœurs linguistiques, vestimentaires, alimentaires, etc., les hommes ne peuvent plus percevoir les spécificités des autres hommes, quand celles-ci existent encore. Un Italien en Thaïlande va utiliser l’anglais, descendre dans un hôtel international et ne verra des mœurs thaïlandaises qu’un folklore marginalisé. S’il se rend en Afrique, les Africains qu’il côtoiera seront des « costards-trois-pièces-attaché-case », selon la savoureuse expression du juriste ivoirien Badibanga. Que connaîtra-t-il de l’homme africain ?
À l’inverse, quand Marco Polo vint en Chine, la communication fut réelle et féconde malgré l’absence de référent commun, et l’influence de la culture chinoise notable par la suite en Europe. Les cultures sont incommensurables, elles ne peuvent se comprendre de l’intérieur, mais elles peuvent s’influencer « sur les franges » et tirer profit des contacts, non des mélanges. L’idée d’interpénétration des cultures, ou l’illusion mécaniste d’une somme universelle du « meilleur » des cultures, idée défendue notamment par Léopold Senghor, ne peut aboutir qu’à l’appauvrissement de toutes les cultures, qu’au renforcement du langage infra culturel occidental. Langage aliénant parce qu’il ne repose sur le support anthropologique d’aucun peuple, et qu’à ce titre, il ne véhicule aucun sens.
Pour Martin Heidegger, le terme d’occidental ne traduit pas l’essence de l’Europe. Il préfère employer ce mot énigmatique, l’hespérial, pour qualifier l’essence de la modernité européenne ou, plus exactement, son possible devenir, sa virtualité. L’avènement de l’hespérial suppose alors, en Europe, la mort de l’Occidental.
1. Il n’y a pas de « monde blanc »
Toutes les idéologies dominantes opposent, dans leur discours, le Tiers-Monde et l’Occident. Quels que soient les critères pris en compte, les définitions fonctionnent toutes selon le même principe d’exclusion.Le christianisme fut ainsi le premier à opposer infidèles et croyants, perpétuant pendant des siècles cette vision manichéenne du monde. Au XVIIIe siècle, le bon sauvage a beau connaître une existence paradisiaque, il n’en demeure pas moins un « sauvage » que les philosophes opposent cette fois au civilisé. Inversant cette proposition, le rationalisme distingue à son tour les peuples occidentaux civilisés des peuples non-civilisés. Dans leur analyse de la croissance économique, les théories libérales ne font, elles aussi, qu’opposer l’Occident développé au Tiers-Monde en voie de développement.
Qu’elles soient de droite ou de gauche, progressistes ou réactionnaires, les idéologies occidentalistes restent soumises à cette logique manichéenne. L’occidentalisme nie l’identité de l’Autre, qu’il perçoit d’abord comme un non-chrétien, non-civilisé ou non-développé… Sans s’imaginer que cet Autre puisse être tout simplement lui-même.
Ce refus de l’altérité relève d’une démarche essentiellement raciste. Implicitement c’est toujours le monde blanc que l’on oppose au monde de couleur.
La notion même d’Occident est en fait le produit d’une idéologie et ne recouvre aucune réalité géopolitique, culturelle et même économique (où classer l’Argentine, pays blanc en voie de sous-développement, ou le Japon, pays de couleur hyper développé ?).
Les mots ne sont pas neutres. Le concept d’Occident piège celui qui l’emploie. Parler d’Occident, c’est à la limite reconnaître son existence et admettre la logique qu’il véhicule. C’est adopter implicitement l’idéologie dont il est le produit.
2. La décolonisation est à refaire
L’occidentalisation de la planète est-elle, comme on l’affirme généralement, la conséquence historique du colonialisme européen ? Très répandue dans les milieux progressistes, cette thèse n’apparaît que partiellement vraie. Le colonialisme européen, tel qu’il s’est manifesté du XVIe au XXe siècle, doit être, en effet, clairement distingué du néo-colonialisme occidental qui lui a succédé.Le colonialisme européen traditionnel traduisait une volonté hégémonique et impériale, qui n’impliquait pas nécessairement la destruction des valeurs du colonisé. Mais à partir du XIXe siècle, le colonialisme européen fut également l’expression d’une volonté « civilisatrice » issue de l’universalisme philosophique du siècle des Lumières et d’un égalitarisme qui devait pousser le colonisateur à assimiler le colonisé et à le déposséder de ses valeurs.
En condamnant, au nom d’une morale humaniste et messianique, la volonté hégémonique et impériale des puissances européennes, les États-Unis contribuèrent de façon décisive au démantèlement des empires coloniaux. Non pour libérer les peuples colonisés, mais pour substituer à l’ordre colonial traditionnel, d’essence politique, un néo-colonialisme qui n’aurait retenu du colonialisme que la volonté « civilisatrice ». Ainsi, « occidentalisé », le néo-colonialisme n’a fait que radicaliser les menaces que faisait peser l’ancien colonialisme européen sur l’identité des peuples colonisés.
C’est ainsi que des peuples qui avaient jusqu’alors échappé à l’influence coloniale européenne se trouvèrent irrésistiblement soumis au néo-colonialisme occidental, sans que ces peuples pussent réagir.
Comment, en effet, se révolter contre un réseau d’influence qui englobe les bourgeoisies locales, les multinationales, les milieux d’affaires, etc. ? Quand un maître est visible, on peut le désigner comme ennemi et s’en affranchir, mais le néo-colonialisme soumet les peuples à un « système de vie », et non plus au pouvoir politique d’une autre nation, comme dans le colonialisme européen traditionnel. Comment combattre un colonisateur fantôme ? La réponse s’impose : la « néo-décolonisation » sera métapolitique et culturelle.
3. Quand l’Occident a oublié la Grèce
C’est dans « La Parole d’Anaximandre », texte exégétique d’un fragment du philosophe présocratique, que Martin Heidegger introduit le concept d’Abend-Land. Il l’oppose à Abendland (Occident) et, dans la traduction de Wolfgang Brockmeir, Abend-Land a été très heureusement rendu par « Hespérie » et « hespérial ».L’Hespérie, c’est, comme l’indique la racine grecque, la terre du couchant. Mais il ne désigne pas l’Ouest, ni les régions occidentales du monde, mais bien plutôt un projet d’organisation du monde qui marquerait le couchant, c’est-à-dire l’accomplissement d’une vue-du-monde aurorale exprimée au VIIe siècle avant notre ère par le premier penseur européen.
Heidegger écrit : « Commence l’événement le plus vaste, l’oubli de l’être, celui dans lequel l’Histoire hespériale du monde advient et se décide ». Pour Heidegger, l’homme européen a été tour à tour « grec », « chrétien », « moderne », « planétaire » ou encore « occidental » ou « américain ». Il peut aujourd’hui devenir « hespérial ».
« L’antiquité qui détermine la parole d’Anaximandre, écrit encore Heidegger, appartient au matin de l’aurore de l’Hespérie (…) Si nous persistons si obstinément à penser la pensée des grecs comme les Grecs ont su la penser, ce n’est pas pour l’amour des Grecs ; c’est pour retrouver ce Même qui en des guises diverses concerne les Grecs et nous concerne historialement. C’est cela, qui porte l’aurore de la pensée dans le destin de l’hespérial. C’est conformément à ce destin que les Grecs deviennent seulement les Grecs, au sens historial. Le destin attend ce que devient sa semence ».
L’hespérial représente en même temps la fin, le couchant de la tradition métaphysique grecque, et le début virtuel d’un autre cycle qui accomplirait la pensée grecque à un autre niveau, celui de la volonté-de-puissance auto-consciente. L’hespérial est donc à la fois un recommencement, un retour profond à l’aurore, c’est-à-dire à la conception grecque du monde, et une rupture avec l’occidental qui, lui, a oublié la Grèce.
Revenir en Hespérie, pour nous Européens, consisterait alors à accomplir notre volonté-de-puissance en tant qu’Européens, conscients de notre filiation grecque, et non plus en tant qu’Occidentaux oublieux de cette filiation. L’Hespérial, c’est l’Européen qui redevient conscient qu’il est Grec, et qui pour cela rejette l’Occident comme non-grec, en finit avec l’oubli de lui-même, aura « médité le désarroi du destin présent du monde », et voudra consciemment accomplir la vue-du-monde grecque.
1980. http://grece-fr.com
1. Cf. les études réalisées par l’africanologue Hubert Deschamp sur la destruction des formes culturelles de souveraineté africaines par la « démocratie », notamment les systèmes d’anarchie équilibrée et de chefferies propres à certains peuples américains.
2. Il est intéressant de noter qu’en dépit des positions théoriques des économistes marxistes, les pays socialistes ont pratiqué vis-à-vis du Tiers-Monde le même mercantilisme économique que les pays capitalistes. La pratique économique extérieure du socialisme est capitaliste et marchande.
3. Cf. « La faim n’est qu’une conséquence » de Daniel Joussen (Le Monde, 29 décembre 1979).
4. Vers 1300, Pierre Dubon, légiste de Philippe Le Bel, préconise l’abolition du pouvoir papal et ecclésiastique. Au XIVe siècle, en France et en Italie, des intellectuels envisagent une nation étatique comme cadre politique des peuples européens et exaltent l’idée de puissance nationale. Ces thèmes seront repris par Pétrarque et Machiavel, qui s’inspireront aussi de Marsile de Padoue, théoricien, dès 1342, de l’État laïque autonome et de la substitution du nationalisme politique à l’idée théocratique.
5. Pour certains économistes libéraux, l’aide au pays sous-développés devrait, il est vrai, se limiter à une aide aux firmes investissant dans ces pays. « En faisant bénéficier l’industrie de l’aide au Tiers-Monde, disait un haut fonctionnaire français, on fera finalement bénéficier le Tiers-Monde de l’aide à l’industrie… ».
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Conférence à Paris
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Conférence d'Alain Soral et Pierre Jovanovic à Lyon 01.2013
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Corée du Nord : les goulags maintenant visibles sur Google Maps
Capture d’écran de la carte de Corée du Nord sur Google Maps indiquant un goulag. Crédit : DR
PYONGYANG (NOVOPress) – Le géant américain Google a actualisé une carte de la Corée du Nord identifiant les sinistres camps dans lesquels le régime communiste interne ses opposants, ainsi qu’un centre de recherche nucléaire.
La carte du pays sur Google Maps est composée à partir du service Google Map Maker grâce à des contributions d’internautes, un peu sur le modèle de l’encyclopédie en ligne Wikipedia. Elle propose un aperçu plus détaillé de Pyongyang avec des écoles, des hôtels, des hôpitaux, une cathédrale, un marché et des parcs ci et là de part et d’autre du fleuve Taedong qui coupe la capitale en deux.
Jayanth Mysore, un responsable de Google Map Maker, a présenté mardi nouvelle carte du pays le plus fermé au monde : « Pendant longtemps, la dictature communiste est demeurée l’une des plus vastes zones dotées de données cartographiques limitées. Aujourd’hui nous y remédions ».
La carte est malgré tout encore clairsemée : quelques villes, des aéroports, une usine chimique, un site de recherche nucléaire et surtout des tâches grisâtres représentant des camps d’internement.
Ainsi, à une centaine de kilomètres au nord-est de Pyongyang, le camp (kwan-li-so) N°18, identifié comme un goulag, est clairement indiqué. Sur Google, le site en question est identifié sous le terme de « Bukchang Gulag ».
Rappelons que, dans un rapport de mai 2011, Amnesty International affirmait que les camps d’enfermement nord-coréens ont augmenté en taille et en nombre ces dix dernières années et enferment actuellement quelque 200.000 personnes dans des conditions atroces.
Julien Lemaire http://fr.novopress.info