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culture et histoire - Page 1945

  • Le militantisme en question par Claude BOURRINET

    « Fabrice eut beaucoup de peine à se délivrer de la cohue; cette scène rappela son imagination sur la terre. Je n’ai que ce que je mérite, se dit-il, je me suis frotté à la canaille. »

     

    Stendhal, La Chartreuse de Parme.

     

    Qui s’avisera de lire la dernière fable de La Fontaine, son mot dernier avant la mort, connaîtra peut-être l’ultime message d’un sage épicurien en matière d’engagement : l’amateur de jardin ne place pas plus haut l’urgence sacrée de la contemplation, et tout ce qui en peut brouiller l’onde transparente est davantage qu’une faute philosophique : c’est un crime vis-à-vis de l’âme. La vertu de cet ultime apologue est de présenter, dans leur radical altruisme, les deux figures du militant qu’une civilisation ayant pour paradigmes l’apôtre et le citoyen a léguée à l’Europe. On ne fait pas plus concis. L’une, animée du zèle le plus politique, érige la justice en exercice de vertu. L’autre, poussée par une charité admirable, soigne avec abnégation son prochain. Les deux récoltent incompréhension, ingratitude et vindicte. L’hôte des bois, seul, dans son ermitage, sauve quelque chose du grand naufrage humain.

     

    Néanmoins, il n’est pas certain que l’épilogue de ce grand livre du monde que sont les Fables fût si péremptoire dans la condamnation d’un travers dont on sentait, en cette fin de grand siècle, les prémisses. Mainte saynète offre en effet matière, sinon à l’espoir, du moins à un certain plaisir de vivre, voire à un bonheur certain. Si La Fontaine verse quelque peu dans le jansénisme avec les affres de l’âge, il reste pour l’éternité un épicurien sensible aux  sollicitations positivement ordonnée d’un Monde qui n’est pas si désagréable que cela, nonobstant sa cruauté.

     

    En ce temps-là, peu avaient oublié Montaigne, le maître de tous, celui qui inspirait ou repoussait, parfois les deux à la fois, sans qui il ne fût ni Charon, ni Pascal, ni La Fontaine, ni beaucoup d’autres. Le châtelain périgourdin avait eu l’occasion de côtoyer La Boétie, qui promettait, ne fût-ce la mort, de donner à la France une plume et un grand cerveau, sinon un grand cœur. Montaigne conçut ses Essais comme un écrin pour l’ouvrage de son ami, lequel est tout un programme, puisqu’il s’intitule De la servitude volontaire. Les Temps étaient pourtant à la rébellion (mais l’une n’empêche pas l’autre), Parpaillots, Ligueurs s’empoignaient, avec l’aide fraternelle des ennemis de la France, pour s’entrégorger pour la plus grande gloire de leur Dieu. Cet âge de fer vit naître, peut-être, le militant moderne. On se mit à concevoir des programmes politiques destinés à changer le régime monarchique, la religion se transmuta en idéologie, et les Églises devinrent des partis. L’État n’était plus le médiateur naturel du Dieu transcendant et du peuple chrétien : il était devenu un instrument autonome, susceptible de transformations, malléable, améliorable, dont on pouvait s’emparer, et qui possédait sa propre Raison. Ainsi, avec le militant, naquit la politique.

     

    On connaît la position de Montaigne là-dessus. Le maire de Bordeaux et le grand commis qui s’entremit entre Henri III et Henri de Navarre, si son loyalisme le plaça dans les régiments royaux, où il fit avec un certain plaisir guerrier le coup de feu, se garda de s’offrir pleinement à la flamme du combat, où il eût à se brûler l’âme, le cœur, ou, quelque fût son nom, ce qui lui assurait de toutes les façons, devant le monde et devant lui-même, la pérennité de son être. Il s’en faut bien de se prêter pour ne pas se perdre. Tel était l’honnête homme, qui, moulé par un livre consubstantiel à sa recherche, invitait à exercer par le monde des hommes et face à la nécessité une indifférence active, qui n’est pas sans prévenir la nonchalance dévote de François de Sales. C’est bien là, chez Montaigne, qui n’évoqua jamais Jésus dans ses écrits, une sorte de synthèse improbable entre le stoïcisme et l’épicurisme. Aussi bien invoqua-t-il volontiers les figures emblématiques de Socrate, d’Alcibiade, de César, d’Alexandre, pour illustrer cette virilité négligente et attentive, cette implication dans les combats de la terre, et cette plasticité de l’âme et du corps, qui saisit le sel de la vie au moment du plus grand danger, comme si ce fût une promenade parmi les prairies élyséennes.

     

    Nous sommes loin du culte chevaleresque et du moine soldat. L’on n’y perçoit nullement la droite rectitude des héritiers de Zoroastre, des lutteurs manichéens et des croisés juchés sur leurs étriers afin de pourfendre le Mal et vider la cité des hommes des ennemis de la cité de Dieu.

     

    Il faudrait donc repenser le problème et du militantisme, et de l’engagement, en ayant conscience des conditionnement culturels et historiques qui en dessinent l’image. Bien évidemment, tout questionnement surgit en son point historial où la réponse est toujours contenue dans la manière d’interroger le destin. Les implicites sont bien plus redoutables que les apparences conceptuelles et rhétoriques les plus sensibles. La pensée, lorsqu’elle se fait servante de l’action, est freinée dans ses élans et ses capacités à creuser jusqu’aux racines. Elle exige un retrait.

     

    L’interrogation première devra porter sur cette inhibition quasi universelle à mettre à la question les plus évidentes légitimités, incertaines dans la mesure de leur évidence. À n’en pas douter, l’engagement pour une cause est une nourriture pour l’existence, même passagère, dont il est bien difficile de se passer comme viatique. Il ne s’agit parfois que de trouver la chapelle sur le marché des causes. Les situationnistes, bien après Nietzsche, rejetaient cette forme de confort qui, même lorsqu’il impliquait la mort et la souffrance, le sacrifice et l’opprobre, semblait octroyer au croyant l’assurance d’un salut, au regard de Dieu, des hommes, ou de soi-même, en tout cas un rôle, dont la véritable et profonde raison réside dans l’irraison de pulsions inavouées ou d’un narcissisme, d’un amour-propre, pour user de la terminologie du Grand Siècle, qui confère à tout discours assertif, et même performatif lorsqu’il s’agit d’agir, cette dose plus ou moins volumineuse de soupçon, de défiance, qui ne demande qu’à envahir l’esprit et le cœur, et justifier toutes les désertions, les abandons et le ressentiment.

     

    Mais il est vrai que le nomadisme militant et la haine des anciens emballements sont des traits caractéristiques de la conscience contemporaine, comme si la maladie sectatrice dénoncée chez les réformés par Bossuet se trouvait soudain envahir le champ politique, une fois les Grands Récits idéologiques chus dans la poussière de l’Histoire.

     

    Il est permis de se demander si un tel type de conscience se manifestait dans l’Antiquité non chrétienne. Il ne semble pas qu’il y eût, avant l’universalisation de la Weltanschauung galiléenne, ce dépassement, cet outre passement qui caractérise le lutteur convaincu de sa bonne foi et désireux de convertir autrui, avec cette obsession clinique de la trahison, des autres et de soi-même. On pourrait certes excepter de la communauté philosophique grecque, très bigarrée, les disciples d’Antisthène, ces cyniques, qui privilégiaient la physis au Nomos, et convoquaient la parrhèsia, la franchise qui invite à tout dire, pour lancer des invectives à l’égard des pouvoirs en place, ce qui leur valut maints déboires sous l’Empire, sous lequel leur mouvement avait pris une tournure populaire. Julien n’hésitait pas à mêler dans le même mépris cette Cynicorum turba, munie du tribôn et de la besace, et les « Galiléens incultes », auxquels ils ressemblaient beaucoup. Les autres philosophes se contentaient d’une saine abstention, ou, de façon plus risquée, de jouer les conseillers des Princes.

     

    Pour le reste, les Anciens se battaient pour défendre les dieux du foyer, de la cité, de la communauté, ils n’avaient en vue que les intérêts de cette dernière, et si la pensée plus ample d’un ordonnancement impérial leur vint à l’esprit, à la suite des Perses et des Égyptiens, ce fut comme la donnée d’un état de fait, comme le fruit d’un arbre immense à l’ombre duquel devaient s’ébattre, dans leurs particularismes, les peuples variés constituant l’humanité. Nulle part, à nul moment, le Grec et le Romain n’apparaissent comme des sectateurs d’une religion impérieuse. À l’intérieur de la Cité s’affrontaient des factions, les potentes, les humiliores, populo grasso et populo minuto de toujours. Mais il s’agissait de combat politique, d’organisation de l’État, un État organique, lié par mille liens au tissu sociétal, et qui s’incarnait particulièrement dans des hommes, qui étaient des orateurs et des soldats. On recrutait des clientèles, on se faisait des armées privées. Ces solidarités verticales dureraient autant que l’ancien monde, jusqu’à la première moitié du XVIIe siècle, où les puissants, dans une sorte de protection déclinée jusqu’au bas de l’échelle sociale, unissaient les membres de la société, pour parfois les mobiliser contre un État de plus en plus froid et autonome.

     

    Il s’avère néanmoins qu’apparaissaient dans les temps antiques des revendications souvent rapportées par les marxistes dans leur désir d’asseoir leur usurpation sur les traces du passé. Par exemple, dans les pages consacrées à Tibérius et Caius Gracchus, Plutarque reproduit un discours censé avoir été prononcé par Tibérius : « Les bêtes, disait-il, qui paissent en Italie ont une tanière, et il y a pour chacune d’elle un gîte et un asile; mais ceux qui combattent et meurent pour l’Italie n’ont que leur part d’air et de lumière, pas autre chose. Sans domicile, sans résidence fixe, ils errent partout avec leurs enfants et leurs femmes, etc. » Comment éviter l’émergence de l’espoir quand il faut trouver du pain?  Les fils de Cornélie étaient assez grands pour se vouer au parti populaire et en perdre la vie. Leur stoïcisme les élevait à la conception d’un cosmos garant du Nomos de la Cité, et le caractère subversif de leur combat n’était qu’une tentative de restitutio de l’Urbs, des Temps anciens où le Romain était paysan et libre. On sent dans cette lutte héroïque cet élan de justice qui sert de modèle pour l’éternité aux révoltés de tous temps. Cependant, les Gracques sont d’ici-bas, de la portion sublunaire de l’univers, commune aux choses périssables et imparfaites, et l’édifice qu’ils convoitent, qui participe de la bonne vie en quoi Aristote voit le télos de l’action politique, n’est pas une cathédrale pointée vers le ciel. Leur silhouette ne ressemble pas à celles des saints peints par Gréco, longilignes, tendus presque à rompre vers un point du Ciel ouvrant des vertiges angoissés. Les Gracques ont combattu pour remplir le devoir de leur gens, de leur lignée, celle qui leur enjoignait de défendre le peuple, d’en être le protecteur. Logiquement, César reprendra le flambeau, et assurera les fondements d’un État plus apte à unir les membres de l’Empire.

     

    Depuis la Renaissance, il est d’usage d’invoquer l’exemple de la geste politique antique pour inspirer l’action. Mais la filiation est rompue, la parenté apparente de la politique contemporaine avec celle de l’antiquité est illusoire.

     

    La frontière, on le sent bien, tient à peu de choses, mais séparent deux contrées entièrement différentes. Augustin savait parfaitement que Cité terrestre et cité de Dieu étaient intimement mêlées, et qu’il n’était pas si loisible de les identifier au sein d’une vie qui se nourrit de tout ce qu’elle trouve pour se justifier. Tant que la notion de Res publica subsista, et quand elle revint dans la conscience des hommes, les luttes politiques manifestèrent la propension des clans, des ordres, des classes, des partis, à se projeter dans l’avenir pour établir ce que d’aucuns considéraient comme l’ordre légitime des choses. Chacun au demeurant, même dans les siècles « obscurs » où, selon toutes les apparences, le christianisme appuyait son empreinte, ne remettait en cause l’ordre naturel qui s’appuyait sur l’inégalité, la hiérarchie, l’occupation justifiée de places prédestinées qu’il ne s’agissait seulement que de consolider ou d’élargir. Les potentialités subversives du christianisme, un christianisme au fond vulgaire, comme il y eut un marxisme qu’on appela tel, n’apparaissaient pas, parce qu’on scindait nettement le bas et le haut de la Création, et que les fins de la Justice divines, parfois impénétrables, étaient reportées à plus tard, si possible après la mort, ou à la fin des Temps.

     

    Le militant se trouvait donc chez les orants, les moines. Les évêques, avant le Concile de Trente, ressemblent plus à des Princes qu’à des Bergers soucieux de l’éducation de leur troupeau. L’engagement du croyant, hormis lors de ces brusques flambées que furent les Croisades, qui n’étaient pas si fréquentes, au fond, mis à part l’Espagne de la Reconquista (période où se développe la figure du militant, telle qu’elle se réalisa plus tard dans la vocation de l’hidalgo Ignace de Loyola), était de bien tenir son rôle dans l’économie divine. Cette idée subsiste chez Calderon, dans sa pièce El Gràn teatro del mundo, par exemple, où pauvre, riche, seigneur etc. ont leur rôle dévolu de toute éternité.

     

    La tension néanmoins prégnante dans l’anthropologie humaniste et baroque, qui sourd parfois de minorités marquées par la structuration mentale lentement instaurée par des siècles de christianisme, tension qui se manifeste spectaculairement dans l’éruption de mouvements millénaristes, comme les mouvements paysans allemands, comme celui des anabaptistes, ou ceux des « Niveleurs » anglais, et même chez les jansénistes qui, bien que fondamentalement dans l’incapacité de proposer un programme politique, comme l’avaient fait les Réformés, ont durablement marqué de leur empreinte militante le paysage politique de la France des XVIIe et XVIIIe siècle, et bien plus tard, n’a pas été contrarié par l’adoption, au sein des grands commis de l’État, des principes machiavéliens de la Raison d’État, selon lesquels la fin justifie les moyens.

     

    L’ironie voudra que ce soit l’être le plus hostile à l’ancien monde, Lénine, le fondateur du parti bolchevik, qui synthétise ces traditions pour unir l’enrégimentement jésuitique et le prophétisme apocalyptique. La puissance d’un programme comme celui contenu dans Que faire ? ne peut s’apprécier que si l’on y distingue la jonction électrique entre le formidable effondrement des valeurs provoqué par l’avènement de l’ère moderne et l’exacerbation d’un vieux fonds mystique, particulièrement présent en Russie orthodoxe, un peu moins dans l’Europe occidentale agnostique.

     

    On découvrit il y a quelques décennies, au moment où mouraient ce que l’on nomma les « grands récits » que l’entrée en militantisme possédait de nombreux points communs avec la conversion, l’entrée en religion. Mais on ne put le dire que parce qu’on en était sorti, et que dorénavant on pouvait s’en moquer, comme du pape et des curés de village. Le militantisme de masse devint aussi étrangement suranné que les voix nasillardes de la T.S.F. et les chapeaux mous. Les sociologues et les ethnologues s’en donnèrent à cœur joie. On perdit même l’habitude de coller des affiches sur les murs. Et la production de « Grands récits » fut remplacée par les stories telling, les compagnons de route par des publicistes girouettes, et les électeurs par des consommateurs d’offres politiques. Dans le même temps, les rivalités générées par la Guerre froide, qui avaient donné l’illusion qu’un choix était possible, devenaient des options de gouvernance.

     

    Il faut une perspicacité hors du commun pour saisir du premier coup d’œil, qui vaut un instinct, la vérité d’un système, surtout quand on est plongé dans les conditions horribles qui étaient celles d’Alexandre Zinoviev, lorsqu’il avait 17 ans sous Staline. Du moment où la vue prend un peu de hauteur, qui n’est certes pas celle de Sirius, la question de savoir ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire se pose autrement que lorsque elle reçoit l’écume des événements, à la manière des journaux.

     

    Dans le premier chapitre du Voyage au bout de la nuit, Céline nous plonge dans une conversation de café du commerce. Bardamu et Ganate, anticipant les anti-héros beckettiens, parlent de tout, et changent d’avis en un temps record. La critique célinienne va loin. Car ce qui est dénoncé, dans le Voyage, ce n’est pas seulement la guerre, la colonisation, l’Amérique et la misère. Ce serait déjà beaucoup, mais dès les premières lignes, on saisit l’angle par lequel il faut aborder le monde contemporain, celui qui, faisant appel aux masses, est responsable de dizaines de millions de mort et de l’assassinat d’une civilisation comme on en a rarement vu dans l’Histoire. Ce n’est pas un hasard que Le Temps, le quotidien à succès de la belle époque, vienne à nourrir la conversation. Comme écrit Camus dans La Chute, un autre livre sans concession lui aussi, « Une phrase leur [les historiens futurs] suffira pour l’homme moderne : il forniquait et lisait des journaux. ». Une remarque de Ganate nous met au fait, comme pour nous offrir une clé : « … Grands changements ! qu’ils racontent. Comment ça ? Rien n’est changé en vérité. Ils continuent à s’admirer et c’est tout. Et ça n’est pas nouveau non plus. Des mots, et encore pas beaucoup, même parmi les mots, qui sont changés !… » En plus de Schopenhauer, il y a de L’Ecclésiaste et du Pascal chez Céline. Autant dire que c’est un moraliste de notre Temps de détresse, comme Cioran. Avec seulement de plaisir que le style.

     

    Venons-en justement, au style. Car il faut bien l’avouer, la dose d’optimisme pour faire d’un homme un militant est à peu de chose près la même que pour en faire un imbécile. L’aristocrate, comme le guerrier, sait bien lui, que le cœur de ce phénomène somme toute étrange qu’est l’existence est de savoir mourir élégamment. Tout le reste est du commerce et de la réclame.

     

    Comment prendre néanmoins les situations les plus désagréables ou les plus insupportables ? Les cas extrêmes ne semblent pas offrir beaucoup le choix. Ce même Zinoviev, dont l’autobiographie est un bréviaire pour tout dissident, sauva sa vie plusieurs fois par des gestes dont le génie venait de leur folie même. Ainsi, au sortir de la Loubianka, escorté par deux hommes du N.K.V.D., leur faussa-t-il compagnie de la manière la plus improbable, les sbires ayant oublié quelque chose et l’ayant laissé provisoirement sur place, dans la rue, ne pensant pas qu’il eût l’audace de partir. Ce qu’il fit, sans le sou, sans rien, pour suivre un destin picaresque. Et tragique.

     

    Alexandre Zinoviev, paradoxalement, ne ménageait pas sa peine lorsqu’il s’engageait dans une activité. Il fut bon travailleur, bon soldat, héroïque même. Comme Jünger fut un bon guerrier. Ce qui distingue le rebelle véritable est sa pensée de derrière. Pascal en était un. Le non que l’on porte au fond de soi est peut-être plus efficace que toute agit-prop. Ne fût-on qu’un seul à dire non, la machine est déjà grippée. L’absence d’assentiment, la passivité, la désertion morale sont bien plus dangereux pour le totalitarisme, dur ou mou, que l’attaque frontale, qui ne fait souvent qu’alimenter la propagande en retour et conforter la police. À la longue, ce travail de sape, la multiplication des refus intimes, parfois prudemment partagés avec des happy few, travaille le sol qui soutient l’édifice. Car tout totalitarisme ne vise pas que les corps : il ne peut subsister si ses membres n’adhèrent pleinement à ses rêves, qui ne sauraient être que désirables.

     

    La logique du monde étant régie, depuis des millénaires, par une destruction de plus en plus accélérée de la Tradition, le chaos est le point terminus de son évolution, ce qui peut néanmoins offrir des perspectives sportives permettant aux âmes guerrières d’exceller.

     

    Claude Bourrinet http://www.europemaxima.com

  • Le Jansénisme, de Jansen à la Révolution française (1640-1790)

    Port-Royal
    L’abbaye de Port-Royal-des-Champs, centre du jansénisme au XVIIe siècle (auteur inconnu, XVIIIe).

    Au départ courant catholique rigoriste apparaissant en réaction au molinisme, le jansénisme (du nom de Cornelius Jansen) devint au XVIIIe siècle un courant politique qui occupa le devant la scène publique des années 1710 à 1760, s’érigeant en opposition aux autorités royale et pontificale. En déclin après l’expulsion de leurs ennemis jésuites, les Jansénistes préparèrent et participèrent aux débuts de la Révolution dont l’apport idéologique fut loin d’être négligeable.

    I. De Cornelius Jansen (Jansénius) à la bulle Unigenitus (1640-1713)

    ● Jansénius, le jansénisme et le molinisme

    Cornelius Jansen
    Cornelius Jansen.

    Cornelius Jansen (1585-1638), qui va donner son nom au courant, est né à Acquoy (Pays-Bas) au sein d’une famille catholique. A partir de 1602, il fréquente l’Université de Louvain en proie à une lutte opposant le parti jésuite au parti de Michael Baius lequel prend comme référence doctrinale saint Augustin. Le jeune Jansen s’attache vite à ce dernier parti. Plus tard, il prend en charge à Louvain le collège de Sainte-Pulchérie, résidence des étudiants en théologie néerlandais. Il défend vigoureusement l’Université de Louvain face aux Jésuites qui avaient fondé leur propre école de théologie, se posant en rivale de la Faculté, puis devient évêque d’Ypres en 1635. Il prépare dans le même temps son Augustinus, énorme traité sur la théologie augustinienne, à peine fini à sa mort. Il est publié deux ans après, en 1640, et publié en français une première fois en 1641 et une seconde en 1643. Les Oratoriens et les Dominicains font un bon accueil au traité, au contraire des Jésuites qui s’y opposent vigoureusement.

    Le Jansénisme est assez proche doctrinalement du protestantisme bien que ses adeptes se déclarent parfaitement catholiques. Sa philosophie est profondément austère et pessimiste : insistant sur la corruption profonde de l’Homme et la dépendance complète à Dieu pour le Salut, le jansénisme prône le rejet du monde, ses distractions étant autant de diversions pouvant détourner le chrétien de Dieu. Au contraire, la Compagnie de Jésus, fondée pendant la Renaissance par l’espagnol Ignace de Loyola, est marquée par un certain humanisme. Les Jésuites ont adopté la doctrine de Luis Molina (le molinisme), minimisant le péché originel, et postulant que chaque homme dispose d’une grâce suffisante pour surmonter les basses tentations et mériter le repos éternel. Les deux doctrines s’opposent viscéralement. De plus, alors que les Jésuites sont résolument ultramontains et proches du pouvoir royal (jusqu’à Louis XV, les confesseurs du Roi seront systématiquement jésuites), les Jansénistes, adoptant une tradition « anti-despotique » (qui les fera s’opposer à l’absolutisme royal et l’autorité pontificale) se retrouvent dans le Gallicanisme. L’historien Dale K. Van Kley remarque que la Fronde parlementaire, dirigée contre l’autorité royale, éclate en 1648, soit sept ans après la première publication de l’Augustinus en français : est-ce qu’une pure coïncidence sachant que le jansénisme va par la suite fortement imprégner les magistrats du Parlement de Paris ?

    ● La réaction du pouvoir royal louis-quatorzien

    Le jansénisme est trop proche des positions calvinistes pour ne pas susciter la méfiance du pouvoir royal. Richelieu s’y montre hostile avant son décès. Le conflit est ouvertement déclenché lorsque les religieuses jansénistes de Port-Royal (bastion janséniste) refusent de signer le formulaire du pape Alexandre VII de 1656 rejetant une partie des propositions jansénistes. En représailles, les religieuses sont dispersées dans plusieurs couvents. En 1656-1657, la grande figure janséniste Blaise Pascal rédige ses Provinciales destinées à défendre le janséniste Antoine Arnauld condamné par la Sorbonne pour des opinions jugées hérétiques. Après une période de calme, la lutte reprend à la fin du XVIIe siècle. Une bulle de condamnation du pape est obtenue en 1705, les religieuses de Port-Royal à nouveau dispersées en 1709 et le monastère, l’église et le couvent rasés en 1711.

    En 1713, Louis XIV parvient à obtenir du pape Clément XI la bulle Unigenitus condamnant 101 propositions jansénistes. Cette bulle est une véritable bombe à retardement que laisse Louis XIV peu avant sa mort, qui va empoisonner la vie politique et religieuse du XVIIIe siècle, au point qu’un certain nombre d’historiens parlent du « siècle de la bulle Unigenitus » pour désigner le XVIIIe du point de vue politique et religieux.

    II. L’agitation janséniste de la bulle Unigenitus à l’expulsion des Jésuites (1713-1764)

    Avec la bulle Unigenitus, l’opposition des parlementaires jansénistes au pouvoir royal prend une tournure radicale. Les Jansénistes se posent en défenseurs des principes gallicans face aux ultramontains. Le jansénisme prend dès lors une forte teinte politique (les historiens parlent couramment de « second jansénisme » pour désigner ce courant politique et judiciaire). Les Jansénistes diffusent largement leurs idées dans le public par des libelles et brochures : de 1713 à 1731, plus de mille publications hostiles à la bulle Unigenitus ont été dénombrées. Les Nouvelles ecclésiastiques devient le périodique des Jansénistes, rapidement tiré à 6000 exemplaires et circulant clandestinement à partir de 1728, exemple de réussite d’une presse clandestine.

    ● Des convulsionnaires de Saint-Médard aux billets de confession

    A la mort de Louis XIV (1715), la Régence, en opposition au pouvoir précédent, se déclare favorable au jansénisme et mécontente la papauté. En 1717, le 5 mars, quatre évêques (Soanen, évêque de Senez ; Colbert, évêque de Montpellier ; La Broue, évêque de Mirepoix ; Langle, évêque de Boulogne) déposent à la Sorbonne un acte notarié par lequel ils appellent de la bulle Unigenitus ; dans le clergé, sur un total d’environ 100.000 membres, 3000 se joignent aux quatre évêques et dénoncent la bulle. L’étude de ces appelants permet de dessiner la géographie du jansénisme : le courant est essentiellement confiné au bassin parisien. Le Régent change alors sa position et devient hostile au jansénisme en exilant les appelants, excommuniés par Clément IX en 1718. Le cardinal de Fleury, à son arrivée au pouvoir, maintient la politique de fermeté.

    convulsionnaires
    Convulsionnaires au cimetière de Saint-Médard sur la tombe du diacre François de Pâris (gravure anonyme, 1737).

    Au cimetière de Saint-Médard se produisent alors d’étranges spectacles. Le diacre janséniste François de Pâris, appelant et réappelant, mort le 1er mai 1727 y est enterré. Les miracles se multiplient sur sa tombe : guérisons spectaculaires puis tremblements corporels (à partir de 1730) témoignant de la sainteté du personnage et en quelque sorte de la validité du jansénisme (affaire dite des convulsionnaires de Saint-Médard). Le cimetière est fermé par les autorités en janvier 1732, les sympathisants du jansénisme raillent l’autorité royale : « De par le roi, défense à Dieu / de faire miracle en ce lieu ». Les convulsions ne prennent pas fin pour autant, et gagnent la province, symbolisant la persécution de la « vraie foi ».

    Deux affaires suivent celle des convulsionnaires : l’archevêque de Paris Mgr de Beaumont, fortement hostile aux Jansénistes, désigne en 1749 une nouvelle supérieure à l’Hôpital général de Paris, chasse gardée des Jansénistes qui contrôlaient l’établissement. Cette décision déclenche de violentes protestations et calomnies dirigées contre l’archevêque. Quand le climat s’apaise éclate une nouvelle affaire : l’affaire des billets de confession.

    Il était d’usage d’exiger des billets de confession (attestation remise par le prêtre au chrétien ayant été confessé) pour conférer les sacrements à des personnes mourantes. Plusieurs évêques (comme celui de Laon) recommandent de n’accorder les derniers sacrements qu’aux chrétiens exhibant des billets de confession délivrés par des prêtres non jansénistes (les « constitutionnaires »). Mgr de Beaumont, dans son désir d’extirper le jansénisme de son diocèse, donne des instructions strictes en 1746 à ce sujet. La mort de plusieurs jansénistes sans les derniers sacrements scandalise l’opinion, les derniers sacrements donnant accès au salut éternel. En 1749, ce sont 4000 personnes qui assistent aux obsèques du principal du collège de Beauvais, mort sans recevoir les derniers sacrements. Le Parlement jansénisant se saisit de l’affaire et prétend instruire un procès contre l’archevêque : une grève de 15 mois des magistrats éclate, Louis XV exile les parlementaires, l’affaire s’étend aux Parlements provinciaux jusqu’à l’amnistie générale du 2 septembre 1754, donnée par le roi en échange d’un silence imposé sur les affaires ecclésiastiques. Mais rien n’est réglé. Quant à l’archevêque Mgr de Beaumont, lequel refuse toute conciliation, il est exilé le 3 décembre 1754. Pour l’opinion, l’affaire des billets de confession s’est soldée par la victoire des Parlements.

    ● L’expulsion des Jésuites

    Les Jésuites sont la bête noire des Jansénistes, tout les oppose. Une affaire va donner aux parlementaires jansénistes une fenêtre de tir : l’affaire La Valette. La Valette est le nom d’un jésuite établi en Martinique et qui avait monté une plantation de canne à sucre et entretenait un commerce pour financer des missions. En 1755, au commencement de la guerre de Sept Ans, ledit père jésuite est ruiné par la saisie de ses navires par les Britanniques. Il ne pouvait pas rembourser la dette due à la société commerciale marseillaise Lioncy et Gouffre. L’affaire passe devant le Parlement d’Aix-en-Provence qui condamne La Valette. A ce moment là, les Jésuites hésitent : faut-il rembourser la dette ou faire appel devant le Parlement de Paris ? Ils commettent une erreur qui va leur être fatale : passer devant le Parlement de Paris, le repaire de leurs plus acharnés ennemis qui ne demandaient pas mieux. Le procès commercial se transforme en procès « politique » : les parlementaires estiment que certains règlements des Jésuites sont incompatibles avec les lois fondamentales du royaume.

    En avril 1761, le Parlement demande à examiner la Constitution de la Compagnie de Jésus. Les Jésuites sont accusés de « despotisme », de « régicide » (donnés responsables sans le moindre fondement de l’attentat de Robert-François Damiens contre le roi en 1757) et d’entretenir des doctrines « pernicieuses », voire d’ébranler les fondements de la religion chrétienne. Le 6 août 1762, le Parlement déclare la Compagnie de Jésus « inadmissible par nature dans tout Etat policé ». Louis XV, conseillé par Choiseul et la marquise de Pompadour (amie des philosophes des Lumières), cherche alors à ce moment à se concilier les Parlements pour faire passer ses réformes fiscales et décide de sacrifier – à contre-coeur – les Jésuites. Un édit royal de 1764 supprime la Compagnie.

    L’historien britannique Dale K. Van Kley, dans l’ouvrage de référence The Jansenists and the Expulsion of the Jesuits from France, 1757-1765 (jamais traduit en français), a montré que cette expulsion était avant tout l’oeuvre des jansénistes, et non des philosophes des Lumières comme les historiens l’ont longtemps pensé (même si ceux-ci y étaient également favorables). Le projet d’ « exterminer » l’ordre jésuite était présent dans les écrits jansénistes bien avant l’affaire La Valette.

    III. Des Jansénistes aux « patriotes » (1764-1790)

    Les historiens ont souligné le rôle – direct ou indirect, volontaire ou non – des Jansénistes dans la Révolution. La conjonction de l’opposition janséniste et de l’opposition parlementaire, soutenue par une habile propagande (libelles et pamphlets), ont permis de dresser une partie de l’opinion publique contre l’autorité jugée « tyrannique » du roi. Dale K. Van Kley a montré qu’un grand nombre de pamphlets et brochures « patriotiques » des décennies pré-révolutionnaires sont d’origine ou d’inspiration janséniste. L’avocat Le Paige notamment, a popularisé l’idée, pendant l’affaire des billets de confession, que l’ancienneté du Parlement est supérieure à celle du Roi. Il se prononcera plus tard en faveur de la Constitution civile du clergé. D’autres jansénistes, tels que l’abbé Duguet, Maultro et Mey popularisent les idées de Montesquieu, en particulier l’idée de « despotisme », et entretiennent un climat de contestation. Les parlementaires prétendant représenter la Nation, et les Parlements étant plus anciens que le Roi, on en vient à l’idée que la Nation est supérieure au Roi.

    Jusqu’à la Révolution française, les Parlements adressent remontrances sur remontrances aux édits royaux. Louis XV se résout tardivement à adopter une politique de fermeté. Le chancelier Maupeaou, Terray et le duc d’Aiguillon sont chargés de conduire cette politique. Trois édits de février 1771 suppriment le Parlement de Paris et le remplacent par une nouvelle Cour accompagnée de six conseils supérieurs. La vénalité (vente) et l’hérédité des offices sont supprimées et la gratuité future de la justice introduite. Les protestations sont fortes, mais ce n’est qu’à la mort de Louis XV (1774) que les Parlements sont restaurés : le jeune Louis XVI, soucieux de sa popularité les rappelle. Ces Parlements bloquent les réformes de fond notamment en matière de fiscalité (rappelons qu’en 1786, les seuls intérêts de la dette entament 50 % du budget de l’Etat !). La convocation d’une Assemblée de notables (vieille institution tombée en désuétude) pour faire passer les réformes échoue, et l’opinion en appelle aux Etats généraux.

    Le marquis de Bouillé accuse les Jansénistes du Parlement d’avoir appuyé la demande de convocation des Etats généraux et d’avoir ainsi précipité la chute de la monarchie : « … je croix avec quelque fondement, que ceux qui dirigeaient alors le parlement de Paris (dont quelques-uns, tels que Duqueport et Freteau, étaient à la tête du parti janséniste qui, depuis plus de quarante ans, influençait cette cour [du Parlement], et la gouvernait même depuis l’extinction des jésuites), avaient une politique mieux calculée [que celles des magistrats], et une ambition établie sur des bases en apparence plus solides. On juge même qu’ils cherchaient à appuyer sur les états généraux les principes de l’aristocratie parlementaire qu’ils s’occupaient à établir depuis si longtemps [...]. Ainsi, au lieu d’être effrayés de la convocation des états, ils la demandèrent, persuadés que les membres de la magistrature, répandus en grand nombre dans l’ordre de la noblesse, y domineraient par l’éloquence de plusieurs d’entre eux, et par l’habitude de parler en public qu’avaient la plupart ; en même temps qu’ils se flattaient d’une influence plus grande encore dans le tiers-état par les membres du bureau et des tribunaux subalternes, qui devaient, ainsi qu’il est arrivé, remplir et diriger cet ordre. » (Mémoires du marquis de Bouillé, Berville et Barrière, 1822, 2e éd., pp. 64-65).

    Le 13 juin 1789, trois députés du clergé quittent les rangs de leur ordre pour rejoindre le tiers. Ces trois curés sont rejoints le lendemain par six autres (avec l’abbé Grégoire) et deux jours plus tard dix autres. Le 19 juin, 149 députés du clergé, soit une majorité, la plupart curés, votent le ralliement à ce qui est désormais l’ « Assemblée nationale ». Le 27 juin, Louis XVI ordonne aux autres députés du clergé et de la noblesse de rejoindre cette Assemblée nationale. Jacques Jallet, l’un des trois premiers députés du clergé à avoir fait défection en en entraînant deux autres, est janséniste, tout comme Grégoire qui le rejoint le lendemain.

    Les Jansénistes de l’Assemblée nationale prennent une part active dans la rédaction de la Constitution civile du clergé et la défendent dans les débats : « Comme Charrier de la Roche, les jansénistes sont les premiers à défendre publiquement la Constitution civile dans le vaste débat qui l’accompagne, y compris le serment controversé qu’elle exige des clercs. » (Dale Van Kley, Les Origines religieuses…, p. 519). Cette Constitution civile du clergé va opérer une véritable rupture dans la Révolution en refondant l’organisation de l’Eglise gallicane, laquelle va se diviser en clergé constitutionnel et clergé réfractaire. Elle réduit à néant l’influence pontificale et soumet les évêques et curés à l’élection (entre autres). L’abbé Sieyès s’en prend de façon claire à ceux qui « semblent n’avoir vu dans la Révolution, qu’une superbe occasion de relever l’importance théologique de Port-Royal et de faire l’apothéose de Jansénius sur la tombe de ses ennemis. » La grande majorité du clergé janséniste se range du côté constitutionnel.

    Les Jansénistes, largement minoritaires, se sont faits dépasser par la suite par les plus radicaux des révolutionnaires. Il n’aurait tenu qu’aux Jansénistes, la monarchie aurait été maintenue et il n’y aurait pas eu de politique de déchristianisation. Quelques Jansénistes se sont par ailleurs opposé dès le départ à la Révolution, et beaucoup finiront par prendre le chemin de l’exil. Le Jansénisme, déjà en déclin en 1789, ne survivra pas à la Révolution française.

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    Bibliographie :
    BEAUREPAIRE Pierre-Yves, 1715-1789. La France des Lumières, Paris, Belin, 2011.
    HILDESHEIMER Françoise, Le Jansénisme. L’histoire et l’héritage, Paris, Desclée de Brouwer, 1992.
    VAN KLEY Dale K., The Jansenists and the Expulsion of the Jesuits from France, 1757-1765, Yale University Press, 1975.
    VAN KLEY Dale K., Les Origines religieuses de la Révolution française (1560-1791), Paris, Seuil, 2006.

  • La bataille des champs Catalauniques (20 juin 451)

    Au cours de l’été 451 apr. J.-C. s’opposent aux champs Catalauniques deux coalitions hétéroclites, l’une emmenée par le patrice Aetius, l’autre par Attila roi des Huns. La date de la bataille est incertaine (peut-être septembre), le lieu l’est également.

    Attila roi des Huns
    Le banquet d’Attila, Mor Than (1870).

    Les Huns sont un peuple originaire d’Asie, proto-turc avec des composantes de type mongol (un quart selon l’historien Walter Pohl), qui fait son apparition en Europe orientale au IIIe siècle. En 375, les Huns traversent le Don, détruisent l’empire alain des rives de la Caspienne et repoussent vers l’Ouest tous leurs ennemis par la terreur qu’ils inspirent. Attila naît en 395 et est élevé à la cour de Constantinople. Adulte, il retourne dans la vallée du Danube où il gouverne son royaume avec son frère Bléda de 434 (mort de son oncle Ruga) à 445 (assassinat de Bléda). En 446, toutes les tribus des Huns sont rassemblées sous son commandement.

     

    I. Les raids sur l’Empire romain (441-451)

    Attiré par les richesses de l’Empire romain d’Orient qu’il connaît bien, Attila l’attaque à deux reprises (441-443 et 447-449) jusqu’à mettre le siège devant Constantinople. L’empereur d’Orient Théodose II achète la paix en lui versant d’énormes tributs. Le roi des Huns se tourne alors vers l’Occident et demande la main d’Honoria, sœur de l’empereur d’Occident Valentinien III, prétexte pour attaquer l’Empire (réclamation d’une dot). Il espère s’y approprier de larges territoires dont l’Aquitaine wisigothique. Il peut compter sur quelques alliés, dont les Vandales.

    Huns en Gaule
    Ville romaine en Gaule saccagée par les hordes d’Attila, Antoine Georges Marie Rochegrosse.

    Attila passe le Rhin début avril 451 avec une armée d’environ 200.000 hommes (de toutes origines). Il parvient sans difficulté jusqu’à Metz qu’il assiège et détruit la veille de Pâques (7 avril), massacrant tous ses habitants. Parcourant la Champagne, il s’en prend à Reims, Saint-Quentin et Laon. Les Gallo-Romains pensent que le chef des Huns va se diriger vers Lutèce, riche ville de 2000 habitants, mais, apprenant qu’elle est bien défendue (les Lutéciens sont galvanisés par Geneviève qui les exhorte à ne pas quitter la ville mais au contraire à s’armer et la fortifier), il s’en détourne pour Orléans, point de passage obligé pour traverser la Loire.

    L’évêque d’Orléans, Aignan, ancien militaire, quitte la ville avant le siège pour implorer l’aide du généralissime romain Aetius à Arles. Consul en 432 et patrice (titre honorifique) en 433, Aetius dispose d’un pouvoir important à Ravenne auprès de l’empereur d’Occident et il connaît bien les Huns pour avoir été dans sa jeunesse otage à la cour du roi hun. Devenu officier romain, il en a recruté à plusieurs reprises dans son armée pour leur courage. Celui-ci demande à Aignan de pratiquer une résistance à outrance jusqu’à son arrivée fixée au 14 juin 451. De retour dans sa cité, l’évêque galvanise ses habitants, leur fait chanter des psaumes et organise la défense. Les Huns, qui possèdent des machines de siège (capturées aux Romains ou construites à l’aide de transfuges romains), lancent plusieurs assauts et finissent par crever la muraille.

    Alors que la ville s’apprête à tomber, les habitants voient au loin arriver l’armée de secours commandée par Aetius englobant entres autres les Wisigoths de Théodoric Ier, les Alains de Sangiban, les Burgondes de Gondioc et les Francs saliens de Mérovée (incertain), des Armoricains et des Bretons. En apprenant l’arrivée de l’armée de secours, l’évêque dit « C’est le secours du Seigneur » (Grégoire de Tours, II, 7). Les Huns sont contraints de lever le siège et de se replier. Cette délivrance qui paraît miraculeuse en rappelle une autre, celle de Jeanne d’Arc en 1429. A la mi-juin, les Huns installés au Campus Mauriacus, près de Troyes, sont rattrapés par les troupes d’Aetius.

    II. La bataille des champs Catalauniques

    Huns à Châlons
    Les Huns à la bataille
    de Châlons
    , Alphonse
    de Neuville.

    Le déroulement de la bataille nous est connu par l’historien goth Jordanès (de langue latine), qui écrit un siècle après les faits mais qui semble avoir eu à sa disposition des documents fiables. La plaine où s’est déroulée le combat fut appelée « champs Catalauniques », nom qui vient probablement de catalauni (« chefs de guerre ») du gaulois catu, « combat », et de uellaunos, « chef ».

    Attila, tout comme Aetius, commande une vaste coalition de Germaniques (il est entouré d’une « tourbe de rois » selon l’expression de Jordanès), où les Ostrogoths de Valamir sont les plus nombreux. Sont présents les Gépides d’Ardaric, les Hérules, les Alamans, les Suèves, les Skires, les Ruges, les Bructères, les Francs ripuaires et les Thuringiens. Les Romains et les Huns sont minoritaires au sein des deux coalitions.

    Le nombre de combattants n’est pas connu. Jordanès en attribue 500.000 à Attila, ce qui est invraisemblable compte tenu des moyens logistiques. Les historiens militaires s’accordent autour de 25.000 à 50.000 hommes pour chacune des deux armées, ce qui reste énorme pour l’époque. Selon Jordanès, Attila inquiet consulte ses chamans avant la bataille, lesquels lui annoncent sa propre défaite mais aussi la mort du chef ennemi. Néanmoins, « Attila estima que la mort d’Aetius était souhaitable même au prix de sa défaite. » (Getica, XXXVII, 134-196).

    Le matin du 20 juin, Attila décide de se mettre au centre du dispositif. A sa droite sont placés les Ostrogoths et à sa gauche les Gépides et les autres peuples germaniques. De l’autre côté, Aetius met au centre les Alains de Sangiban dont il se méfie, à droite les Wisigoths et les Francs saliens. Le général romain se place à gauche. Son plan consiste à tourner l’ennemi par son aile droite (les Wisigoths).

    La nuit même avant la bataille, les Francs rencontrent une armée gépide fidèle à Attila ; l’affrontement qui s’en suit (dans l’obscurité) met hors de combat plusieurs milliers d’hommes de chaque côté.

    Le 20 juin en début d’après-midi débute la véritable bataille. Les Wisigoths affrontent et taillent en pièces les Ostrogoths, mais leur roi Théodoric est tué au cours du combat, soit en tombant de cheval, soit en recevant un javelot lancé par Andag, chef ostrogoth. Les Romains et les Francs saliens d’Aetius attaquent les Francs ripuaires, les Thuringiens, les Suèves et quelques Burgondes ralliés à Attila. Les Huns, au centre de la bataille, lancent une violente charge de cavalerie mais se heurtent aux cavaliers alains qui leur tiennent tête. Habitués aux attaques fulgurantes, les cavaliers huns sont peu habitués à soutenir une pression continue de la part de l’ennemi. Les Wisigoths se portant vers les Huns (conformément au plan d’Aetius) forcent Attila à reculer jusque dans son camp circulaire de chariots, alors que la nuit tombe. La prédiction des chamans d’Attila se révèle juste, mais c’est Théodoric qui a perdu la vie, et non Aetius comme le pensait le chef hun.

    Le lendemain, les Huns dans leur camp se tiennent prêts à se battre, se préparant à subir un siège. Attila aurait fait élever un bûcher composé de selles de chevaux dans lequel il se tenait prêt à se jeter en cas de défaite. Les Wisigoths cherchent le corps de leur roi. « Ils le trouvent au milieu de très nombreux cadavres, et, l’ayant honoré par des chants, ils l’enlèvent sous les yeux de l’ennemi. Vous eussiez vu des troupes de Goths dans le fracas de leurs voix discordantes qui, alors que la guerre faisait toujours rage, étaient venus rendre les honneurs funèbres » (XLI, 214). Après avoir entrechoqué leurs armes, ils proclament Thorismond, frère de Théodoric, roi.

    Aetius et Thorismond décident de ne pas pousser plus loin leur avantage pour des raisons stratégiques. Aetius pense que si les Huns sont éliminés, l’Empire romain d’Occident va passer sous la coupe des Wisigoths (il voit dans les Huns un contrepoids aux Wisigoths). Au contraire, Thorismond se dit que si les Huns sont écrasés, l’Empire va se retrouver fortifié par l’afflux d’un grand nombre de mercenaires Huns. Aucun des deux hommes ne voyant son intérêt dans l’anéantissement des Huns, et le mythe de l’invincibilité d’Attila ayant volé en éclats, l’alliance de circonstance entre Romains, Wisigoths et Alains se brise et Thorismond part pour Toulouse (l’année suivante, les Wisigoths de Thorismond écrasent leurs anciens frères d’armes, les Alains de Sangiban !). Attila peut battre en retraite tranquillement ; il passe le Rhin avec le prestigieux évêque Loup comme otage, pour ne pas être attaqué.

    III. Les derniers feux d’Attila (452-453)

    Rencontre entre Attila et Léon le Grand - Raphaël
    La rencontre entre Léon le Grand et Attila (fresque de Raphaël, 1513-1514, palais du Vatican).

    Attila ne revient plus en Gaule, mais ses forces restent suffisamment importantes pour attaquer l’Italie. Après avoir réorganisé ses forces, il descend la péninsule italienne en 452, rase Aquilée (une partie de ses habitants iront se réfugier sur des îlots au Sud, formant l’embryon de la future Venise), pille Milan, Padoue, Vérone et Pavie. Aetius laisse à leur sort les villes du Nord et se réfugie à Rome avec l’empereur ; son projet était de quitter l’Italie avec Valentinien III mais le Sénat s’y est opposé. L’empereur d’Orient Marcien, successeur de Théodose II, apporte son aide en attaquant les Huns du Danube, ouvrant en cela un deuxième front, et en envoyant des auxiliaires en Italie.

    L’armée des Huns est affaiblie par la chaleur, les exhalaisons et moustiques des marais d’Aquilée, le manque de vivres (famine de 451), la dysenterie. Alors qu’il marche sur Rome, ville très bien fortifiée, le pape Léon le Grand, ami d’Aetius, se porte à sa rencontre. Au cours d’une entrevue dont le contenu est resté secret, le pape parvient à convaincre le chef hun de se détourner de l’Italie pour retourner en Pannonie.

    Le « fléau de Dieu » décède en 453, le soir de ses noces avec une princesse burgonde, des suites d’une hémorragie selon Jordanès. La coalition disparaît avec son chef, ses composantes ne parvenant pas à s’entendre et s’entre-déchirant. Une partie des Huns se dirige vers l’Est, dans la région de la Volga. Ils ne représenteront plus de menace sérieuse. Quant à Aetius, il ne survit qu’un an à son ancien ennemi, l’empereur Valentinien III, ayant peur pour son trône et jaloux de sa gloire, le faisant assassiner en 454.

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    Bibliographie :
    CHAUTARD, Sophie. Les grandes batailles de l’Histoire. Studyrama, 2010.
    ROUCHE, Michel. Attila, la violence nomade. Fayard, 2009.

  • Un processus fou

     

    Le cinquantième anniversaire du traité d’amitié franco-allemand, la grève des instituteurs parisiens, les élections israéliennes, l’intervention de la France au Mali …autant de sujets qui font les gros titres des médias. Plus en tout cas que la manifestation hier à Bruxelles des buralistes français qui sont en train de mourir sous les coups redoublés du gouvernement et de l’Europe,  ou que la condamnation hier également de « l’humoriste » Mathieu Madénian. Le « comique » a écopé de 1.000 euros d’amende avec sursis pour injure publique envers le Front National. Une peine assortie de 1.000 euros de dommages et intérêts au FN et 1.500 euros pour les frais de justice. Lors d’une émission sur la chaîne Direct 8 -dans l’émission “Morandini!” du 26 septembre 2011-, il avait déclaré que 18% d’intentions de vote pour le Front national signifiait « 18% de fils de pute en France ».

    L’histoire ne dit pas si M. Madénian consulte régulièrement le site de Francetv info dont un article indiquait hier que « L’immigration comorienne pèse sur l’économie de Mayotte » ; un doux euphémisme introduisant la vidéo mise en ligne le 22 janvier évoquant un reportage de France 2 .

     « Un millier de morts ont été recensés en dix ans dans les eaux qui séparent Mayotte des Comores. Femmes et bébés font souvent le voyage dans des embarcations de fortune (…) . Les dispensaires de Mayotte soignent ces clandestins et des milliers de jeunes comoriens de très bas âge déambulent dans des bidonvilles de l’île, les parents étant expulsés vers les Comores (…) une économie en faillite dans ce département au bout du monde. »

    Nous l’évoquions sur ce blog dans un article publié le 6 octobre 2011, C’est à Mamoudzou, capitale de Mayotte, que se trouve la plus grande maternité de France, avec près de 5 000 naissances par an sur les 8 000 dans l’île… «En quelques années, indiquait alors le ministre de l’Outre-mer, Marie-Luce Penchard,le nombre d’enfants scolarisés dès l’âge de 3 ans a été doublé» (75 % des 72 000 enfants scolarisés à l’école primaire à Mayotte sont étrangers, NDLR).

    Sur l’île , les Français, Métros et Mahorais réunis, seraient 130 000,  les immigrés comoriens 50 000, probablement le double selon certaines sources. Les 20 000 comoriens expulsés chaque année reviennent dans la foulée sur ce territoire français. Insécurité,  délinquance violente, racisme anti-français font partie du quotidien.

    Le 22 décembre dernier, même Le Monde tirait la sonnette d’alarme : « Les flux (d’immigrés) en provenance du 139e pays le plus pauvre au monde sur 182 (les Comores, NDLR) ont atteint des proportions telles que si des médecins examinaient Mayotte, ils concluraient sans doute à son état d’épuisement. »

    « La pression est telle que le rapport démographique a atteint des records : 40 % des 212 000 habitants de Mayotte sont désormais d’origine comorienne (+ 25 % depuis 2007). La plupart sont en situation irrégulière. Même l’éducation nationale ne suit plus:25 % à 40 % des élèves sont issus de familles sans papiers. »

    Les gendarmes ne sont pas les seuls à tenter d’écoper la mer avec une petite cuillère: « Leurs bateaux (de surveillance) utilisent plus de 100 litres d’essence par heure. Leurs moteurs à 30 000 euros pièce s’usent les uns après les autres à force de remorquer les kwassas (embarcations, NDLR) interceptés. Pour un résultat de surcroît relativement médiocre : une embarcation sur trois empêchée d’atteindre Mayotte. »

    « Faute de patients solvables est-il encore indiqué, le système de santé est aussi proche de l’effondrement. Les soins sont gratuits pour les plus démunis qui ont une pathologie très grave ou dont le pronostic vital est engagé. Ce qui attire des embarcations entières de Comoriens malades, dont beaucoup de handicapés. Dans le même temps, le suivi des pathologies bénignes est compliqué car l’accès à la Sécurité sociale est conditionné à la régularité du séjour(…)»

    « Si toutes les infrastructures sont en difficulté à Mayotte, cette situation n’est pas qu’un enjeu local. Elle concerne directement Paris (…) la quasi-totalité des jeunes arrivant en métropole après un début de cursus sur l’île – dont des Comoriens devenus français – sont en échec scolaire ou professionnel. »

    Et pour compliquer les choses, « depuis peu, des demandeurs d’asile venus de l’Afrique des Grands Lacs débarquent aussi à Mayotte. Pour se loger, ces Africains s’agglutinent à leur tour avec les Comoriens dans les bidonvilles. Faute de ressources, les femmes – à l’instar des sans-papiers – n’ont d’autre choix que de se prostituer (…). On m’avait dit que c’était la France, résume un jeune Congolais de 18 ans, dépité, alors qu’il venait d’obtenir son statut de réfugié. Il s’appelle Baguma et son seul objectif est de rejoindre au plus vite la France. La vraie . »

    Bruno Gollnisch l’affirme, Ce n’est pas en tiers-mondisant la France que l’on aidera le tiers-monde, charité bien ordonnée commence par soi même. La situation commanderait bien évidement de prôner l’amour du prochain plutôt que du lointain pour éviter le naufrage, de supprimer le droit du sol, les avantages sociaux accordés aux immigrés et de rétablir une stricte préférence nationale.

     Le simple bon sens devrait inviter les plus immigrationnistes à ouvrir les yeux sur la dure réalité. Sans angélisme déplacé. Ainsi il est assez « surprenant » qu’en métropole, les évêques de Nantes, Luçon, Angers, Laval et Le Mans aient appelé « tous les baptisés » à « changer de regard sur les personnes migrantes et réfugiées ».

    « Nous invitons toutes les communautés chrétiennes à réfléchir à leur accueil », ont-ils affirmé,  en rappelant la phrase de Jésus rapportée par l’évangile selon saint Matthieu : « J’étais un étranger et vous m’avez recueilli. ».« Cela, d’autant plus que dans le contexte de crise que nous traversons, nous sommes parfois tentés par la peur et la méfiance à l’égard de l’étranger. »

     La question étant de savoir, mais ses évêques n’y répondent pas, à partir de quel taux de refus sommes-nous infidèles à la parole de Jésus pour accueillir tous les immigrés qui se pressent à nos frontières ?

     Mgr Dognin, de son côté, s’est félicité des « efforts de l’administration » pour l’ « abrogation de la circulaire sur les étudiants étrangers ou encore suppression du délit de solidarité » pour les personnes aidant des clandestins. Plus globalement, au sujet des immigrés, il feint de s’interroger : « Pourquoi leur donner certains droits et pas tous, comme celui de se présenter ou d’élire son député ? ».

     Le 22 décembre dernier, dans une lettre adressée à Christophe Barbier, directeur de l’Express, le professeur Yves-Marie Laulan, Président de l’Institut de Géopolitique des Populations, rappelait « les estimations de (son) dernier colloque du 11 février 2012 qui évalue à 73,3 milliards le coût net de l’immigration, défalcation faite d’une valeur ajoutée par les immigrés de 55,9 milliards . »

    Il réfutait l’assertion sur les bienfaits économiques de l’immigration de masse : ,« Faisons venir en France chaque année 200 000 sympathiques Congolais plus 200 000 aimables Maghrébins, qui ne demandent que cela, et voilà la France qui caracole en tête des pays européens. »

    « Cette proposition n’a aucune sens. Car assimiler un immigré venant du Tiers monde à un jeune français, allemand, britannique , formé et qualifié consiste à commettre l’erreur classique de nos  immigrationnistes  de choc. Cette vision quantitativiste est tout simplement une niaiserie, indigne (…) »

     « L’immigré coûte bien plus qu’il ne rapporte. Car il n’est malheureusement pas formé, ni éduqué ni qualifié . Il faut donc, dès qu’il pose son pied sur le territoire national, le prendre en charge , c’est-à-dire le loger, le soigner, mettre ses enfants à l’école, et lui donner de quoi subsister (l’ATA) . Et lutter contre l’inévitable délinquance. »

    « Mais, en revanche, cela explique en partie l’extraordinaire montée en puissance du budget social de la France qui vient encore tout récemment s’alourdir de 2,5 milliards supplémentaires en faveur des pauvres et des déshérités dont la plupart proviennent de l’immigration, légale ou clandestine. Au surplus, la fameuse CMU de Martine Aubry va bénéficier à 500 000 bénéficiaires supplémentaires . Je vous laisse deviner leur origine. »

    « Tout ceci pour dire qu’il faut être quelque peu demeuré, ou cynique, pour oser prôner la poursuite de l’immigration -250 000 par an dont 200 000 légaux et 50 000 au moins venant de l’immigration clandestine, futurs chômeurs ou assistés sociaux- alors que le taux de chômage va vers 11% de la population active et que le budget social éclate de toutes parts, cependant que le taux de croissance de notre pays stagne autour de 0 %. »

    Un constat de bon sens, que M. Laulan,  les dirigeants du FN partagent avec une majorité de Français. Il est révélateur que dans notre démocratie confisquée, comme l’a souligné Bruno Gollnisch à de nombreuses reprises, nos compatriotes n’aient jamais été consultés sur la nécessité de stopper ce processus fou.

    http://www.gollnisch.com

  • La comptabilité n'est pas neutre en économie

    Pour beaucoup de monde, la comptabilité n'est rien d'autre qu'une technique d'enregistrement des mouvements d'argent au sein d'une entreprise, d'une société qui permet de savoir si celles-ci sont bien ou mal gérées. Pourtant, rien n'est plus faux que cette image de neutralité de la comptabilité perçue comme discipline objective se contentant de constater ce qui se passe lorsque l'on sort du simple tableau débit/crédit tel qu'il apparaît sur le relevé de compte en banque d'une famille.
    L'EXTRÊME RIGUEUR DES PREMIERS TEMPS DU CAPITALISME
    Le véritable problème de la comptabilité n'est pas tant d'enregistrer ce qui se passe dans la réalité que de savoir comment prendre en compte cette réalité. Des règles existent, dans les « plans comptables » pour indiquer dans quelle catégorie un actif, une dépense, un achat, un flux financier doit être inscrit : déjà, à ce stade, la représentation de l'activité de l'entreprise, à travers son bilan et ses différents comptes, sera modifiée selon les règles retenues et la manière dont elles seront mises en œuvre, dans la mesure où il y aura inévitablement une part d'interprétation. Au-delà de la rigueur, la comptabilité relève aussi d'un certain art.
    Mais il y a plus : ainsi, comment relever la valeur réelle d'une machine dans un atelier ? Doit-on la comptabiliser à la valeur de la casse, comme cela s'est fait longtemps, ou bien la comptabiliser, comme actuellement, selon le « principe du coût historique », c'est-à-dire selon le prix auquel elle a été achetée ? La réponse à ce seul problème peut modifier bien la situation d'une entreprise et de sa gestion. Dans le premier cas, la valeur des actifs d'une entreprise est nécessairement faible ; dans le second, elle est évidemment bien plus élevée.
    Historiquement, au XIXe siècle, c'est la conception du premier cas qui était retenue. Elle se rapportait à une vision très austère de l'activité et du risque économiques. La faillite était vécue comme une hantise et la prise en compte des actifs se faisait en anticipant une éventuelle faillite en simulant le capital résiduel en cas de liquidation des biens. Dans le même temps, elle s'accordait avec une conception de l'entrepreneur qui investissait directement son capital, disposait d'un maximum d'autofinancement, faisait donc peu appel à l'emprunt et était responsable sur des biens propres. La prise de risque du "capitaliste" n'était pas un vain mot et cette pratique s'inscrivait encore dans la tradition d'honneur et d'effort de la civilisation européenne toujours vivante. Le « principe de prudence » alors appliqué faisait que l'on évitait de prendre en compte des profits à venir, autrement dit des profits potentiels pour ne retenir que les pertes potentielles.
    L'inconvénient d'un tel système était de ne faire apparaître les profits, autrement dit les dividendes pour les actionnaires d'une entreprise, que vers la dernière période de production des investissements : on ne touchait pas de bénéfices rapidement.
    LE SYSTEME DU "COÛT HISTORIQUE"
    Ce système peu attrayant convenait mal lorsque le développement économique nécessita de mobiliser toujours plus de capitaux : il fallait attirer les épargnants et, pour cela, leur assurer des revenus plus rapides. A l'âge de l'entrepreneur pionnier commençait à se substituer celui du financier et du spéculateur, la bourse prenant de plus en plus d'importance dans l'économie. Pour cela, il fut décidé de ne plus envisager une liquidation fictive comme c'était le cas avec ce système comptable mais en considérant que l'entreprise existait durablement, invoquant le « principe de continuité ». La nouvelle conception reposait sur l'idée qu'une machine produit des richesses durant sa vie et qu'il faut prendre en compte cette réalité. Autrement dit, on comptabilisera la valeur d'un actif à son prix d'achat, ce que l'on appelle le « coût historique » diminué chaque année d'un pourcentage correspondant à l'usure de la machine calculée sur sa durée de vie estimée : c'est le principe de l'amortissement, bien connu de nos jours.
    C'est ce système comptable fondé sur le « coût historique » qui a dominé tout le XXe siècle jusqu'aux années 1980. De ce fait, la valeur comptable des entreprises, ainsi fondée sur cette conception anticipatrice mais considérée comme «valeur réelle» au sus de tous, était réévaluée par rapport au modèle précédent mais permettait de distribuer plus rapidement des bénéfices, à savoir des dividendes pour les actionnaires.
    VENDRE LA PEAU DE L'OURS
    Toutefois, ce n'était pas suffisant : pour satisfaire les actionnaires, il fallait accroître l'anticipation des bénéfices. C'est pourquoi nous en sommes aujourd'hui à une troisième prise en compte de la valeur d'un actif, à savoir qu'une machine ne représente plus un coût mais une somme de services actualisés, autrement dit de services futurs, non encore réalisés, ramenés à l'instant présent. L'argument de base invoqué - et tiré des travaux d'économistes tel Walras ou ceux de l'École autrichienne - est le suivant : dans la mesure où un équipement va être utilisé durant plusieurs années, il faut calculer la valeur de cette utilisation en anticipant cette dernière ; c'est le principe connu sous le nom "d'actualisation" : la valeur comptable d'un équipement va donc inclure pour une part des bénéfices non encore réalisés. Jusqu'alors, on ne distribuait des bénéfices que sur des actes commerciaux réalisés ; maintenant, il n'est plus besoin d'attendre que les faits se produisent : il suffit d'anticiper, en considérant comme sûre l'espérance de voir les faits se réaliser. Le principe d'imprudence - et à la limite d'escroquerie - est entré dans l'ordre comptable.
    Autrement dit, on ne prend plus en compte une valeur de réalisation - raisonnablement supposée comme certaine mais simplement  une  espérance de profits. Nous sommes ainsi entrés dans l'ère de la valeur virtuelle et cela d'une manière d'autant plus dangereuse que l'on ne prend plus en compte les risques de perte, inversant ainsi les règles de simple prudence et de bon sens qui prévalaient depuis le XIXe siècle.
    L'effet d'une telle évolution de la comptabilité conduit à favoriser la recherche de profits à court terme et à ouvrir ainsi la porte à tous les dérèglements.
    LES NORMES IFRS
    Cette troisième phase s'est traduite par l'adoption de nouvelles normes comptables appelées IFRS (International Financial Reporting Standards). De quoi s'agit-t-il ? Le système repose sur le principe de la « juste valeur » (Fair Value), autrement dit sur la règle que les actifs d'une société doivent être valorisés à leur valeur de marché. Le but de cette réforme était de faciliter le travail de valorisation des sociétés ; mais cela entraîne une très grande volatilité de la valeur des actifs et la publication de résultats comptables sans rapport réel avec leur activité économique. En outre, cette valorisation s'applique indifféremment à des actifs d'une durée de moyen et de long terme pour lesquels la valorisation instantanée n'a pas de sens. En outre les méthodes de valorisation manquent de clarté et d'harmonisation entre les sociétés.
    Les établissements de crédit comme les entreprises ayant d'importantes participations financières se trouvent particulièrement exposés à ces défauts. Avec un tel principe, c'est une nouvelle philosophie de la compréhension de la situation financière des entreprises qui apparaît. Et c'est surtout la valorisation des actifs selon les techniques boursières qui fait son entrée dans la comptabilité.
    Ces normes IFRS se sont imposées aux Etats européens au début des années 2000, venant des États-Unis, à travers un organisme a priori indépendant, l'IASB (International Accounting Standard Board), auquel l'U.E., bien légèrement, a en quelque sorte donné carte blanche pour leur mise en œuvre. Celui-ci, aidé par les jeunes générations de cadres financiers formés dans les grandes écoles du mondialisme que sont les écoles de commerce et de gestion délivrant les fameux MBA (Master of Business Administration), a conduit à la transformation non négligeable des systèmes comptables en place comme le PCG français (Plan Comptable Général), plaidant pour une harmonisation des règles comptables en Europe et dans le monde occidental. Alors que le PCG régissait le seul droit comptable, les normes IFRS intègrent l'information financière en général, laquelle est essentiellement tournée vers les actionnaires et autres investisseurs.
    Actuellement, les normes IFRS régentent les « comptes consolidés » des entreprises, c'est-à-dire les comptes qui rassemblent tous les comptes et résultats des entreprises, notamment des grands groupes, et qui jouent un rôle majeur dans l'information économique et financière.
    Ce type d'information, concernant les anticipations et les perspectives de production n'est certes pas inutile mais n'a pas sa place dans une discipline qui doit, autant que possible, être un diagnostic de la santé d'une entreprise.
    LES NORMES ET LA CRISE FINANCIÈRE
    Ces normes IFRS ont contribué au développement de la pandémie financière présente et à venir dans la mesure où elles ont faussé les bilans : alors que les actifs des instituts financiers étaient comptabilisés à la valeur boursière, qui avait augmenté vertigineusement au cours des années 1990-2000, les dettes demeuraient évaluées à leur valeur initiale, ce qui a gonflé artificiellement les profits comptabilisés ! Le phénomène a encore été aggravé lorsque l'IASB a décidé de ne plus amortir certains actifs immatériels jugés rétifs à cet exercice, les traitant ainsi comme indestructibles. Une telle situation, jointe à la prestidigitation développée par « l'industrie financière » avec notamment les produits dérives, ne pouvait - et ne peut - qu'engendrer l'euphorie et conduire à l'abandon de toute prudence en matière de distribution de crédit. La politique du « n'importe quoi », pour ne pas dire de la malhonnêteté, sera illustrée par les faits suivants. Selon les normes IFRS, nous l'avons vu, les valeurs des actifs sont comptabilisées à la valeur des "marchés" (en réalité, quelques poignées d'agents financiers agissant derrières leurs écrans d'ordinateurs). En période  de hausse, tout va bien. Mais lorsque la crise arrive, comme en 2008, la logique des normes IFRS voudrait que l'on comptabilise ces mêmes actifs à la valeur des marchés, autrement dit une valeur fortement dévalorisée. Ce qui signifiait une forte dévalorisation de la valeur affichée des entreprises, autrement dit l'aggravation d'une situation déjà catastrophique. Que fut-il alors décidé par les instances financières mondialisées ? Tout simplement de ne pas comptabiliser les pertes au motif que, en période de crise, les marchés ne peuvent plus fonctionner correctement et par conséquent les valeurs relevées ne signifient plus rien !
    Des dirigeants financiers s'inquiètent du maintien de tels principes dangereux, tel le président d'AIG, groupe d'assurance américain qui a demandé leur remise en cause, tel le directeur général de Paribas Baudoin Prot qui s'est inquiété de trouver le moyen d'en limiter les effets « pro cycliques ». Mais il est à penser que les choses en resteront aux vœux pieux et aux vaines critiques. L'IASB n'a préconisé que des modifications ponctuelles qui ne remettent pas l'ensemble en cause alors que les normes IFRS s'appliquent à un nombre croissant d'Etats. Et l'on peut craindre que le "mal" augmente dans la mesure où les normes IFRS demeurent encore imprégnées des normes précédentes. Il existe en effet des projets plus extrêmes t fondés sur la « full fair value » autrement dit le « valeur sincère entière », qui vise à calquer la comptabilité sur les règles de spéculation boursière : le pire est donc à venir.
    L'étendue de l'escroquerie pourrait être élargie en prenant en compte les politiques fiscales qui, pour amoindrir la fiscalité pesant sur les plus puissantes sociétés, a instauré la technique de l'amortissement fiscal accéléré, la « prestidigitatrice en chef » étant probablement Margaret Thatcher qui, dans les années 1980 a autorisé des amortissements fiscaux de 100 %, autrement dit permettant de passer en perte sur une année la totalité d'un actif dont la durée de vie est de plusieurs années.
    UNE URGENTE REMISE EN ORDRE
    La comptabilité n'est pas, à l'évidence, une discipline neutre. Comme toute description, elle relève de concepts, de principes qui ont nécessairement leurs défauts, lesquels peuvent toujours être - et seront toujours - détournés à des fins frauduleuses. Mais ces principes doivent être honnêtes, réalistes. Ils ne peuvent être indépendants de la morale naturelle, c'est-à-dire des principes sains, de bon sens, sans lesquels une société est menacée d'effondrement. Il est clair que les principes fondamentaux appliqués actuellement en comptabilité ne sont pas des principes sains. Dans la perspective du redressement de notre civilisation à laquelle œuvrent tous les hommes de bien, à commencer par les nationalistes, il est vital de dénoncer les pratiques comptables actuelles et de définir des règles comptables saines et sincères. Lorsque l'actuel système aura sombré, provoquant le chaos, il faudra reconstruire l'ordre sur de saines bases.
    André GANDILLON, Président des Amis de RIVAROL
    Rivarol du 1er juillet 2011

  • La Licra s'est bâtie sur un mythe

    Des antiracistes manipulés par l'URSS

    Patrick Gaubert, le président de la Licra, est furieux. En mai dernier, hommage à été rendu à l'Arc de Triomphe à Simon Petlioura, le « père de la nation ukrainienne ».
    Or celui-ci aurait été un fieffé antisémite. Ce qui est faux. Mais comme c'est sur ce mythe que s'est fondée la Licra il y a bientôt 80 ans ...


    Le jeudi 25 mai dernier, après une célébration sur la tombe de Simon Petlioura au cimetière de Montparnasse, une cinquantaine de personnes se sont retrouvées à 17 h 30 sous l'Arc de Triomphe entourées par un confortable dispositif policier alors qu'une vingtaine de militants de la Licra étaient tenus à distance. Au cours de la cérémonie, organisée par l'ambassade d'Ukraine à Paris, deux gerbes ont été déposées sur la tombe du soldat inconnu, dont une par l'ambassadeur, Yuriy Sergeyev. Etaient également présents des représentants du Comité représentatif de la communauté ukrainienne en France et de la Bibliothèque Simon Petlioura. Après la sonnerie aux morts ont retenti l'hymne ukrainien (« L'Ukraine n'est pas encore morte » ) et La Marseillaise. Le lendemain était organisé un colloque sur « La place et la personnalité de Simon Petlioura aujourd'hui » avec la participation de nombreux universitaires ukrainiens.

    Le président de la Licra hurle au « scandale mémoriel »
    Le 26 mai au soir, Le Monde publiait une tribune libre du président de la Licra, Patrick Gaubert, par ailleurs député UMP au Parlement européen, ancien chargé de mission auprès de Charles Pasqua au ministère de l'Intérieur et membre du comité consultatif de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). N'ayant pu obtenir du ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, qu'il consigne l'ambassadeur d'Ukraine à sa résidence plutôt que d'aller «profaner» la tombe du Soldat inconnu, Patrick Gaubert prenait les lecteurs du Monde à témoin de ce « scandale mémoriel » organisé pour le 80e anniversaire de la mort à Paris de Simon Petlioura, qui fut l'otaman - le commandant en chef de l'armée - et le président de la République ukrainienne indépendante (1919) jusqu'à ce que ses troupes soient, l'année suivante, battues par les forces bolcheviques :
    « Nous sommes tout simplement en train d'assister à un viol de la mémoire, à un déni d'histoire, à un second assassinat, posthume celui-là, des victimes juives [...] Tous les Français doivent savoir qu'un assassin est honoré sur le sol même de la République, dans ses lieux de mémoire et de paix. Cela, la Licra ne le tolère pas. Au nom de son histoire et de toutes celles et tous ceux qui périrent de la folie des hommes. » On passera le couplet sur les « relents nauséabonds » que Gaubert sent exhaler de l'Est de l'Europe.
    Pourquoi une telle hargne à l'égard d'un hommage rendu à un Ukrainien dont peu de Français connaissaient jusqu'alors l'existence ? Parce qu'un antisémite, fût-il obscur, n'a pas à être honoré sur la tombe du Soldat inconnu ? C'est ce que Gaubert voudrait faire croire, et c'est même ce qu'il est obligé de faire croire. Car si le mythe de l'antisémitisme de Simon Petlioura s'effondre, mythe forgé dans les années qui ont suivi la Révolution d'Octobre par la propagande soviétique, c'est la Licra elle-même qui vole en éclats et se voit obligée de reconnaître qu'elle a été créée sur une imposture.

    Abattu de sept balles devant la librairie Gibert
    Le 25 mai 1926, Simon Petlioura, en exil à Paris, déjeune chez Chartier puis se dirige vers le boulevard Saint-Michel. A la hauteur de la librairie Gibert, un homme l'apostrophe. Il se retourne et n'a que le temps d'apercevoir un homme pâle d'une quarantaine d'années qui braque un pistolet en sa direction. Sept balles l'atteignent dont une au cœur, mortelle.
    L'assassin, aussitôt arrêté, s'appelle Samuel Schwartzbard. Il est horloger, est né à Smolensk (Biélorussie), dit avoir vécu en Ukraine où sa famille, israélite, aurait été décimée par un pogrom, ce qui justifie son acte. Il ne dit pas, mais la police va bientôt le découvrir, que son idéalisme doit être tempéré par une condamnation à quatre mois de prison pour cambriolage en Autriche. Il a aussi été expulsé de Hongrie pour « raisons administratives ». Il est arrivé en France en 1911 à l'âge de 25 ans et s'y est marié.
    Son procès s'ouvre le 18 octobre 1927 devant les assises de la Seine. Me Henry Torrès le défend, militant socialiste, celui-ci a rejoint de Parti communiste français au congrès de Tours (1920) puis l'a quitté pour fonder une organisation dissidente. Quatre ans plus tôt, il a déjà obtenu l'acquittement de l'anarchiste Germaine Breton, jugée pour l'assassinat, qu'elle avait reconnu, du responsable monarchiste de l'Action française, Marius Plateau. L'année suivante, il a aussi sauvé la tête de l'anarchiste italien Ernesto Bonomini, meurtrier de Nicola Bonservizi, représentant à Paris du régime fasciste de Benito Mussolini. Me Torrès va encore faire des miracles.

    L'assassin acquitté sous une salve d'applaudissements !
    Il peut cette fois encore s'appuyer sur une importante campagne de presse. Elle est animée par Bernard Lecache. Celui-ci, qui avait également rallié le PCF en 1920 avant de revenir dans le giron du Parti socialiste et est réputé pour ses diatribes antimilitaristes, mobilise ses réseaux. Quelques jours avant le procès, le ton est donné par L'Humanité qui titre : « La tragédie juive d'Ukraine » et prend la défense du « meurtrier du brigand Petlioura ». Lecache crée aussi pour l'occasion une nouvelle organisation, la Ligue contre les pogroms, à laquelle adhèrent aussitôt nombre de personnalités parmi lesquelles Albert Einstein, Léon Blum, Maxime Gorki ou Victor Hasch.
    Me Torrès a convoqué quatre-vingts témoins, tous plus illustres les uns que les autres. Aucun n'a assisté à un pogrom, mais la plupart savent, de source sûre, qu'ils ont eu lieu et que Petlioura les a ordonnés. Samuel Schwartzbard lui-même s'emmêle dans ses récits historiques, confondant lieux, dates et protagonistes. Le 26 octobre 1927, le verdict tombe pourtant sous une salve d'applaudissements : acquitté ! La partie civile, qui n'en croit pas ses oreilles, doit se contenter de deux francs de dommages intérêts ! Même pas de quoi payer les obsèques !
    « Dans les jours qui suivent, rappelle la Licra, la Ligue contre les pogroms se transforme en Ligue internationale contre l'antisémitisme (Lica) », qui deviendra la Licra, avec un « r » pour racisme, en 1979. Les statuts de l'association seront déposés en février 1928 et Bernard Lecache en prendra la présidence jusqu'à sa mort en 1968.
    Dans le comité d'honneur de la Lica nouvellement créée figurent alors, outre Blum et Einstein qui poursuivent la lutte, les écrivains Romain Rolland et André Malraux, l'ancien président du Conseil et futur président de l'Assemblée nationale, Edouard Herriot, le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, qui recevra en 1951 le prix Nobel de la paix, etc. Sigmund Freud, Tristan Bernard et beaucoup d'autres la rejoindront plus tard.

    La leçon d'histoire de l'ambassadeur d'Ukraine
    Or tous ont été abusés, à l'exception bien sûr de quelques-uns qui savaient mais qui n'ont rien dit en raison de la nécessité qu'il y avait alors, pour le clan pro-soviétique, d'accréditer la thèse de l'antisémitisme de Simon Petlioura. Patrick Gaubert sait-il sur quelle mystification l'organisation qu'il dirige s'est créée ?
    Yuriy Sergeyev, l'ambassadeur d'Ukraine, a écrit au président de la Licra. Il ne doute pas de son honnêteté. Il pense qu'il manque d'informations comme lui-même en a été privé jusqu'aux années 1990, lorsqu'il a découvert que les « stéréotypes négatifs sur la personnalité de Simon Petlioura ont été imposés par l'URSS en France par l'entremise du Komintern », où « elles restent vivaces ». Car l'ouverture des archives du KGB, le travail mené par les organisations indépendantes de défense des droits de l'homme, les recherches historiques menées par les Ukrainiens dans le but de retrouver leur mémoire identitaire vont toutes dans le même sens : « Le procès de [Schwartzbard] a été instrumentalisé par les autorités soviétiques, par l'intermédiaire du Komintern, pour compromettre l'idée de l'indépendance ukrainienne en remettant sur l'un de ses artisans la responsabilité des persécutions des Juifs, tandis qu'elles avaient pour seule cause la politique officielle d'antisémitisme, partie intégrante de l'idéologie de l'Empire Russe. » « Dans les années 1920, ajoute-t-il, d'aucuns en ont profité pour contrecarrer la renaissance de l'Ukraine indépendante et semblent en user aujourd'hui pour empêcher le retour de l'Ukraine à la démocratie et à l'Europe. »
    Il y a donc le mythe, auquel Simone Signoret n'a pas peu contribué avec son roman Adieu Volodia, et la réalité, très différente, établie désormais par de nombreux travaux dont ceux de Leon Poliakov ou de l'écrivain Issak Babel, qui, tué par le KGB, a témoigné que les pogroms, s'ils eurent effectivement lieu et furent effroyables - peut-être 100 000 morts - furent essentiellement dus aux troupes bolcheviques et, dans une mesure infiniment moindre, aux anarchistes de Nestor Makhno et aux forces monarchistes (les Russes blancs).
    De plus, comme le rappelle le député ukrainien Andryï Shkil, l'éphémère gouvernement de Simon Petlioura (treize mois,) comprenait plusieurs juifs, dont Salomon Goldelman, en charge des Affaires nationales pour les minorités, ou Abraham Revoutsky, en charge des Affaires juives, poste n'ayant évidemment rien à voir avec le Commissariat aux Affaires juives de sinistre mémoire mais s'étant révélé nécessaire au bon gouvernement d'une nation aux peuples composites.
    Mieux encore : lorsqu'il apparaît que certain, éléments de l'armée ukrainienne, échappait à son contrôle dans la situation pour le moins confuse qui était celle de l'Ukraine à l'époque, se livraient à des exactions à caractère antisémite, Simon Petlioura ordonna que les coupables soient retrouvés et châtiés. « Le Directoire [dirigé par Petlioura], écrit O. Kochtchouk dans Ukraine Europe, se livra à une intense propagande « anti-pogromiste » destinée à ses propres troupes et à toute la population de l'Ukraine. Le 30 juillet 1919, le Directoire offrit une forte somme à la communauté juive pour les victimes des pogroms. le 18 août 1919, l'otaman en chef confirma l'application de la peine de mort pour acte de pogrom », tous faits établis et recoupés par de nombreuses sources, dont les archives diplomatiques enfin soustraites des caves où les services soviétiques les avaient entreposée.
    C'est donc sur une imposture, ou à tout le moins sur un malentendu, que la Licra a été fondée, occultant jusqu'au fait que, depuis Paris où il essaya encore, jusqu'en 1924, d'organiser la Résistance, Simon Petlioura n'eut de cesse d'en appeler à l'arrêt des persécutions contre les juifs. Puisque Gaubert est un adepte de la repentance, le temps est peut-être venu pour l'organisation qu'il préside de faire son mea culpa.
    Gabriel Glauque Le Choc du Mois Juillet/Août 2006

  • L’idéologie contre l’Afrique

    Allons-nous longtemps encore faire semblant de croire que les échecs de l’Afrique seraient dus à un déficit de démocratie, à l’absence de classes moyennes, au sous-équipement ? Ce continent n’aurait-il, comme ambition, que celle de nos experts, à savoir les courbes du PIB ou du PNB et les "bons points" de l’ajustement structurel ?
    Les pays "développés" s’obstinent dans le consensuel refus de trois réalités :
    1) les problèmes africains ne sont pas économiques mais culturels ;
    2) nos cultures sont incompatibles car, comme le disait le maréchal Lyautey, les Africains sont "autres" ;
    3) notre approche culpabilisée de l’Afrique fait que nous tuons le continent en voulant pourtant désespérément sa survie. Un exemple : on nous dit que l’Afrique manque de cadres. La vérité est autre : au fur et à mesure qu’ils sont formés, les cadres africains s’expatrient. C’est ainsi que la CEE et le Canada donnent du travail à plusieurs dizaines de milliers de Déserteurs de haut niveau (médecins, vétérinaires, ingénieurs, etc.). En référence a nos principes philosophiques d’accueil et de générosité, nous privons ainsi l’Afrique des plus diplômés de ses enfants.
    Au lieu de continuer à vouloir transfuser un impossible développement à l’Afrique, c’est une renaissance, une réhabilitation de ses valeurs culturelles qu’il faudrait au contraire favoriser. Or, cette démarche passe par un désengagement européen pour que l’Afrique trouve en elle-même les conditions d’une éventuelle réaction, notre arrogant universalisme idéologique doit cesser d’y exercer ses ravages.
    Le continent dispose, pour le moment, de deux solides points d’ancrage : les ethnies et le monde de la brousse ; mais le temps est compté car, chaque jour, l’Afrique vivante, c’est-à-dire l’Afrique rurale, celle qui possède encore dynamisme et cohésion, s’affaiblit au profit des villes artificielles et improductives.
    Or, la démocratisation qui est imposée à l’Afrique détruit la cohésion ethnique par la recherche du plus petit commun dénominateur qui est la tribu. Elle transforme l’ethnisme en tribalisme, ce qui n’est pas la même chose. Le processus risque alors de devenir irréversible, ce qui est dramatique pour l’avenir, car seul l’ethnisme est capable de donner naissance aux ensembles humainement cohérents qui naîtront un jour des décombres de bien des frontières actuelles.
    Que l’on y réfléchisse : ce n’est pas par la démocratie que se constituèrent les Etats-Nations d’Europe ou d’Asie, mais par la force, par la volonté de puissance, par la ruse et par la durée. Ce n’est pas le préalable démocratique qui forgea l’unité allemande, mais l’énergie prussienne canalisée par Bismarck. Or, en Afrique, les "Prusses" potentielles ont été détruites lors de la conquête coloniale, d’abord, mais surtout avec les indépendances octroyées aux plus nombreux, c’est-à-dire souvent aux vaincus de l’histoire africaine.
    La colonisation philanthropique s’était, en effet, appuyée sur les groupes dominés, condamnés et qui étaient venus à nous pour être protégés des peuples prédateurs. Au nom de la charité, de la justice et même des "droits de l’homme", notions insolites et même traumatisantes en Afrique, nous avons ainsi brisé les séculaires équilibres naturels africains.
    Mais, plus le temps passe et plus nos a priori philosophiques se heurtent aux réalités. Là est d’ailleurs l’espoir de l’Afrique. Cependant, c’est en Europe et en Amérique que se pose le vrai problème : comment faire comprendre aux intellectuels et aux charitabilistes de profession qu’en organisant la survie artificielle, et hélas provisoire, de populations à la croissance incontrôlable ils engluent l’Afrique dans la catastrophe ? Comment leur expliquer que les peuples dont les femmes ont le ventre le plus fécond ne sont pas forcément les plus doués pour diriger, pour commander, pour administrer ?
    Bernard Lugan  http://www.francecourtoise.info

  • L’Europe face à la globalisation

       Texte de l’allocution de Robert Steuckers au colloque annuel 2004 (*) de la Gesellschaft für Freie Publizistik, dont l’invité d’honneur était Viatcheslav Dachitchev, le conseiller de Mikhaïl Gorbatchev pour les questions allemandes. C’est le Prof. Dachitchev qui a été l’artisan de la réunification. Il soutient désormais la lutte du Président Poutine contre les oligarques et contre les menées américaines en Caucasie, par terroristes tchétchènes interposés. (Synergies Européennes, octobre 2005)
    Mon exposé d’aujourd’hui aura bien évidemment une dimension géopolitique, mais aussi une dimension géo-économique, car les grandes voies et les réseaux de communication, sur terre comme sur mer, et la portée des systèmes d’armement les plus modernes, jouent un rôle considérable dans la concurrence ac­tuelle qui oppose l’Europe aux États-Unis. L’ampleur de ces voies, de ces réseaux, etc. déterminent les catégories dans lesquelles il convient de penser : soit en termes de peuples, soit en termes d’Empire.
     Si l’on parle des peuples, on doit savoir de quoi il retourne. À l’époque des soulèvements populaires au XIXe siècle, les peuples se sont dressés contre les empires multiethniques, qu’ils considéraient comme des “camisoles de force”. À partir de 1848, les Polonais et les Finnois en Russie, les Tchèques et les Ita­liens sur le territoire où s’exerçait la souveraineté de la monarchie impériale et royale austro-hongroi­se, les Slaves du Sud et les Grecs au sein de l’Empire ottoman, les Irlandais dans le Royaume-Uni, se sont rebellés ou ont développé un mouvement identitaire qui leur était propre. En France, les mouvements culturels bretons ou provençaux (les “félibriges”) se sont développés dans une perspective anti-centra­liste et anti-jacobine.
    D’où vient cette révolte générale de type culturel ? Elle provient, grosso modo, de la philosophie de l’his­toire de Johann Gottfried Herder, pour qui la langue, la littérature et la mémoire historique consti­tuent, chez chaque peuple, un faisceau de forces, que l’on peut considérer comme étant son identité en acte. L’identité est par conséquent spécifique au peuple, ce qui signifie que chaque peuple a le droit de posséder sa propre forme politique et de constituer un État selon sa spécificité, taillé à sa mesure et ré­visable à tout moment. L’avantage de cette perspective, c’est que chaque peuple peut déployer librement ses propres forces et ses propres caractéristiques. Mais cette perspective recèle également un danger : à l’intérieur d’une même communauté de peuples ou d’un espace civilisationnel, la balkanisation menace.
    Herder en était bien conscient : raison pour laquelle il avait tenté, sous le règne de la Tsarine Catherine II, d’esquisser une synthèse, not. une forme politique, idéologique et philosophique nouvelle qui devait s’appliquer à l’espace intermédiaire situé entre la Russie et l’Allemagne. Herder rêvait de faire émerger une nouvelle Grèce de facture homérienne entre les Pays Baltes et la Crimée. Les éléments ger­maniques, baltes et slaves auraient tous concourru à un retour à la Grèce la plus ancienne et la plus hé­roïque, qui aurait été en même temps un retour aux sources les plus anciennes et les plus sublimes de l’Europe. Cette idée de Herder peut nous apparaître aujourd’hui bien éthérée et utopique. Mais de cette esquisse et de l’ensemble de l’œuvre de Herder, on peut retenir un élément fondamental pour notre épo­que : une synthèse en Europe n’est possible que si l’on remonte aux sources les plus anciennes, c’est-à-di­re aux premiers fondements de l’humanité européenne, au noyau de notre propre spécificité humaine, que l’on veillera à activer en permanence. Les archétypes sont en effet des moteurs, des forces mouvan­tes, qu’aucun progressisme ne peut éteindre car, alors, la culture se fige, devient un désert, tout de sé­cheresse et d’aridité.
    La “nation” selon Herder
    La nation, en tant que concept, était, pour Herder une unité plus ou moins homogène, une unité inalié­nable en tant que telle, faite d’un composé d’ethnicité, de langue, de littérature, d’histoire et de mœurs. Pour les révolutionnaires français, la nation, au contraire, n’était nullement un tel faisceau de faits ob­jectifs et tangibles, mais n’était que la population en armes, quelle que soit la langue que ces masses par­laient, ou, pour être plus précis, n’était jamais que le demos en armes, ou encore le “Tiers-État” mobilisé pour étendre à l’infini l’espace de la république universaliste. Tilo Meyer nous a donné une excellen­te définition de la nation. D’après lui, l’ethnos, soit le peuple selon la définition de Herder, ne peut pas être mis purement et simplement à la disposition du démos. Ne sont démocratiques et populaires, au bon sens du terme, que les systèmes politiques qui se basent sur la définition que donne Herder de la nation. Les autres systèmes, qui découlent des idées de la révolution française, sont en revanche égalitaires (dans le sens où ils réduisent tout à une aune unique) et, par là même, totalitaires. Le projet actuel de fabriquer une “multiculture” relève de ce mixte d’égalitarisme équarisseur et de totalitarisme.
    La mobilisation des masses au temps de la Révolution française avait bien entendu une motivation mili­taire : les armées de la révolution acquéraient de la sorte une puissance de frappe considérable et décisi­ve, pour battre les armées professionnelles de la Prusse et de l’Autriche, bien entraînées mais inférieu­res en nombre. Les batailles de Jemmappes et de Valmy en 1792 l’ont démontré. La révolution introduit un nouveau mode de faire la guerre, qui lui procure des victoires décisives. Clausewitz a étudié les rai­sons des défaites prussiennes et a constaté que la mobilisation totale de toutes les forces masculines au sein d’un État constituait la seule réponse possible à la révolution, afin de déborder les masses de cito­yens armés de la France révolutionnaire et ne pas être débordé par elles. L’exemple qu’ont donné les po­pulations rurales espagnoles dans leur guerre contre les troupes napoléoniennes [« guerre des partisans » appelée « Guerre de l’Indépendance », de 1808 à 1813] (1), où le peuple tout entier s’est dressé pour défendre la Tradition contre la Révolution, a prouvé que des masses orientées selon les principes de la Tradition pouvaient battre ou durement étriller des armées de masse inspirées par la ré­volution. La pensée de Jahn, le “Père Gymnastique”, comme on l’appelait en Allemagne, constitue une syn­thèse germanique entre la théorie de Clausewitz et la pratique des paysans insurgés d’Espagne. La mobi­lisation du peuple s’est d’abord réalisée en Espagne avant de se réaliser en Allemagne et a rendu ainsi possible la victoire européenne contre Napoléon, c’est-à-dire contre le principe mécaniste de la Révolu­tion française.
    Après le Congrès de Vienne de 1815, les forces réactionnaires ont voulu désarmer les peuples. L'Europe de Metternich a voulu rendre caduque, rétroactivement, la liberté politique pourtant promise. Or si le paysan ou l’artisan doit devenir soldat et payer, le cas échéant, l’impôt du sang, il doit recevoir en é­change le droit de vote et de participation à la chose politique. Lorsque chaque citoyen reçoit le droit et la possibilité d’étudier, il reçoit simultanément un droit à participer, d’une manière ou d’une autre, aux débats politiques de son pays ; telle était la revendication des corporations étudiantes nationalistes et dé­mocratiques de l’époque. Ces étudiants se révoltaient contre une restauration qui conservait le service militaire obligatoire sans vouloir accorder en contrepartie la liberté politique. Ils étayaient intellectuel­lement leur rébellion par un mixte étonnant dérivé du concept herdérien de la nation et d’idéaux mé­canicistes pseudo-nationaux issus du corpus idéologique de la révolution française. À cette époque entre révolution et restauration, la pensée politique oscillait entre une pensée rebelle, qui raisonnait en ter­mes de peuples, et une pensée traditionnelle, qui raisonnait en termes d’empires, ce qui estompait les frontières idéologiques, très floues. Une synthèse nécessairement organique s’avérait impérative. Une telle synthèse n’a jamais émergé, ce qui nous contraint, aujourd’hui, à réfléchir aux concepts nés à l’é­poque.
    La dialectique “peuples/Empire”
    Revenons à la dialectique Peuple/Empire ou Peuples/Aires civilisationnelles : à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, nous avions, d’une part, de vastes unités politiques, que la plupart des hommes étaient incapables de concevoir et de visionner, mais, par ailleurs, ces unités politiques de grandes dimensions, mal comprises et rejettées, s’avéraient nécessaires pour affronter la concurrence qu’allait immanquable­ment imposer la grande puissance transatlantique qui commençait à se déployer. Les colonies espagnoles se sont “libérées”, du moins en apparence, pour tomber rapidement sous la dépendance des États-Unis en pleine ascension. Le ministre autrichien de l’époque, Hülsemann, à la suite de la proclamation de la “Doctrine de Monroe”, ainsi que le philosophe français Alexis de Tocqueville, qui venait d’achever un long voyage en Amérique du Nord, lançaient tous 2 un avertissement aux Européens, pour leur dire qu’au-delà de l’Atlantique une puissance était en train d’émerger, qui était fondamentalement différente que tout ce que l’on avait connu en Europe auparavant. La politique internationale venait d’acquérir des di­mensions véritablement continentales voire globales. L’avenir appartiendrait dorénavant aux seules puissances disposant de suffisamment d’étendue, de matières premières sur le territoire où elles exer­çaient leur souveraineté, un territoire qui devait être compact, aux frontières bien délimités et “ar­rondies”, et non pas aux empires coloniaux dispersés aux 4 vents.
    Hülsemann, et après lui Constantin Franz, plaidaient pour une alliance des puissances coloniales dé­pourvues de colonies, ce qui a conduit notamment à la signature de traités comme celui qui instituait “l’alliance des trois empereurs” (Russie, Allemagne, Autriche-Hongrie) ou à l’application de principes com­me celui de “l’assurance mutuelle prusso-russe”. Au début du XXe siècle, l’alliance qui unissait l’Al­lemagne et l’Autriche-Hongrie a voulu réanimer l’homme malade du Bosphore, c’est-à-dire l’Empire otto­man, dont elles voulaient faire un “territoire complémentaire”, source de matières premières et espace de débouchés. Cette volonté impliquait la construction d’un réseau de communications moderne, en l’oc­currence, à l’époque, d’une ligne de chemin de fer entre Hambourg et Bagdad (et éventuellement de con­tinuer la ligne de chemin de fer jusqu’à la côte du Golfe Persique). Ce projet recèle l’une des causes prin­cipales de la Première Guerre mondiale. En effet, l’Angleterre ne pouvait tolérer une présence non an­glaise dans cette région du monde ; la Russie ne pouvait accepter que les Allemands et les Autrichiens dé­terminassent la politique à Constantinople, que les Russes appellaient parfois “Tsarigrad”.
    La leçon de Spengler et d’Huntington
    En Europe, les structures de type impérial sont donc une nécessité, afin de maintenir la cohérence de l’aire civilisationnelle européenne, dont la culture a jailli du sol européen, afin que tous les peuples au sein de cette aire civilisationnelle, organisée selon les principes impériaux, puissent avoir un avenir. Aujour­d’hui, le Professeur américain Samuel Huntington postule que l’on se mette à penser la politique du point de vue des aires civilisationnelles. Il parle, en anglais, de “civilizations”. La langue allemande, elle, fera la différence, avec Oswald Spengler, entre la notion de Kultur, qui représente une force organique, et celle de Zivilisation, qui résume en elle tous les acquis purement mécaniques et techniques d’une aire civilisationnelle ou culturelle. Ces acquis atteignent leur apex lorsque les forces issues des racines cul­turelles sont presque épuisées.
    S. Huntington, que l’on peut considérer comme une sorte de disciple contemporain de Spengler, pense que ces forces radicales peuvent être réactivées, si on le veut, comme le font les fondamentalistes islamistes ou les rénovateurs de l’hindouisme aujourd’hui. Il évoque une aire civilisationnelle “occidentale”, qui regroupe l’Europe et l’Amérique au sein d’une unité atlantique. Mais, pour nous, comme jadis pour Hülsemann et Tocqueville, l’Europe — en tant que source dormante de l’humanité européenne primordiale — et l’Amérique — en tant que nouveauté sans passé sur la scène internationale et dont l’essence est révolutionnaire et mécaniciste — constituent 2 pôles fondamentalement différents, même si, à la surface des discours politiques américains, conservateurs ou néo-conservateurs, nous observons la présence de fragments effectivement “classiques”, mais ce ne sont là que les fragments d’une culture fabriquée, vendue comme “classique”, mais dont la seule fonction est de servir de simple décorum.
    Ce décor “classique” est l’objet d’intéressantes discussions idéologiques et philosophiques aux États-Unis aujourd’hui. On s’y pose des questions telles : Doit-on considérer ces éléments de “classicisme” comme les simples reliquats d’un passé européen commun, plus ou moins ou­blié, ou doit-on les évacuer définitivement de l’horizon philosophique, les jeter par-dessus bord, ou doit-on les utiliser comme éléments intellectuels pour parfaire des manœuvres d’illusionniste dans le monde des médias, pour faire croire que l’on est toujours attaché aux valeurs européennes classiques ? Ce débat, nous devons le suivre attentivement, sans jamais être dupes.
    L’Europe actuelle, qui a pris la forme de l’eurocratie bruxelloise, n’est évidemment pas un Empire, mais, au contraire, un Super-État en devenir. La notion d’ “État” n’a rien à voir avec la notion d’ “Empire”, car un “État” est “statique” et ne se meut pas, tandis que, par définition, un Empire englobe en son sein toutes les formes organiques de l’aire civilisationnelle qu’il organise, les transforme et les adapte sur les plans spirituel et politique, ce qui implique qu’il est en permanence en effervescence et en mouvement. L’eurocratie bruxelloise conduira, si elle persiste dans ses errements, à une rigidification totale. L’actuelle eurocratie bruxelloise n’a pas de mémoire, refuse d’en avoir une, a perdu toute assise historique, se pose comme sans racines. L’idéologie de cette construction de type “machine” relève du pur bricolage idéologique, d’un bricolage qui refuse de tirer des leçons des expériences du passé.
    Cela implique que la praxis économique de l’eurocratie bruxelloise se pose comme “ouverte sur le monde” et néo-libérale (2), ce qui constitue une négation de la dimension historique des systèmes économiques réelle­ment existants, qui ont effectivement émergé et se sont développés sur le sol européen. Le néo-libéra­lisme, qui plus est, ne permet aucune évolution positive dans le sens d’une autarcie continentale. L’euro­cratie de Bruxelles n’est donc plus une instance européenne au sens réel et historique du terme, mais une instance occidentale, car tout néo-libéralisme doctrinaire, en tant que modernisation du vieux libé­ralisme manchesterien anglo-saxon, est la marque idéologique par excellence de l’Occident, comme l’ont remarqué et démontré, de manière convaincante et suffisante, au fil des décennies, des auteurs aussi divers qu’Ernst Niekisch, Arthur Moeller van den Bruck, Guillaume Faye ou Claudio Finzi.
    Les peuples périssent d’un excès de libéralisme
    Mais tous les projets d’unir et de concentrer les forces de l’Europe, qui se sont succédé au fil des dé­cennies, ne posaient nullement comme a priori d’avoir une Europe “ouverte sur le monde”, mais au con­traire tous voulaient une Europe autarcique, même si cette autarcie acceptait les principes d’une écono­mie de marché, mais dans le sens d’un ordo-libéralisme [entendu au sens ancien de potectionnisme], c’est-à-dire d’un libéralisme qui tenait compte des facteurs non économiques. En effet, une économie ne peut pas, sans danger, refuser par principe de tenir compte des autres domaines de l’activité humaine. L’héritage culturel, l’organisation de la méde­cine et de l’enseignement doivent toujours recevoir une priorité par rapport aux facteurs purement économiques, parce qu’ils procurent ordre et stabilité au sein d’une société donnée ou d’une aire civi­lisationnelle, garantissant du même coup l’avenir des peuples qui vivent dans cet espace de civilisation. Sans une telle stabilité, les peuples périssent littéralement d’un excès de libéralisme (ou d’économicisme ou de “commercialite”), comme l’avait très justement constaté A. Moeller van den Bruck au début des années 20 du XXe siècle.
    Pour ce qui concerne directement le destin de l’Europe, des industriels et économistes autrichiens a­vaient suggéré une politique européenne cohérente dès la fin du XIXe siècle. Par ex., Alexander von Peez (1829-1912) avait remarqué très tôt que les États-Unis visaient l’élimination de l’Europe, non seulement dans l’ensemble du Nouveau Monde au nom du panaméricanisme, mais aussi partout ailleurs, y compris en Europe même. La question de survie, pour tous les peuples européens, était donc posée : ou bien on allait assister à une unification grande-européenne au sein d’un système économique autarcique, semblable au Zollverein [Union douanière] allemand ou bien on allait assister à une colonisation générale du continent européen par la nouvelle puissance panaméricaine, qui était en train de monter. Il avertissait les Européens du danger d’une “américanisation universelle”. Le théoricien de l’économie Gu­stav Schmoller, figure de proue de l’”école historique allemande”, plaidait, pour sa part, pour un “bloc économique européen”, capable d’apporter une réponse au dynamisme des États-Unis. Pour lui, un tel bloc serait “autarcique” et se protègerait par des barrières douanières, exactement le contraire de ce que préconise aujourd’hui l’eurocratie bruxelloise.
    Julius Wolf (1862-1937), un autre théoricien allemand de l’économie, prévoyait que le gigantesque marché panaméri­cain se fermerait un jour aux marchandises et aux produits européens et qu’une concurrence renforcée entre les produits européens et américains s’instaurerait à l’échelle de la planète. Arthur Dix et Walther Rathenau ont fait leur cette vision. Jäckh et Rohrbach, pour leur part, se faisaient les avocats d’un bloc économique qui s’étendrait de la Mer du Nord au Golfe Persique. C’est ainsi qu’est née la “question d’Orient”, le long de l’Axe Hambourg/Koweit. L’Empereur d’Allemagne, Guillaume II, voulait que les Bal­kans, l’Anatolie et la Mésopotamie devinssent un “espace de complément” (Ergänzungsraum) pour l’in­dustrie allemande en pleine expansion, mais il a invité toutes les autres puissances européennes à par­ticiper à ce grand projet, y compris la France, dans un esprit chevaleresque de conciliation. Gabriel Ha­noteaux (1853-1944) a été le seul homme d’État français qui a voulu donner une suite positive à ce projet rationnel. En Russie, Sergueï Witte (1849-1915), homme d’État de tout premier plan, perçoit également ce projet d’un œil po­sitif. Malheureusement ces hommes d’État clairvoyants ont été mis sur une voie de garage par des obs­curantistes à courtes vues, de toutes colorations idéologiques.
     Constantinople : pomme de discorde
    La pomme de discorde, qui a conduit au déclenchement de la Première Guerre mondiale, était, en fait, la ville de Constantinople. L’objet de cette guerre si meurtrière a été la domination des Détroits et du bas­sin oriental de la Méditerranée. Les Anglais avaient toujours souhaité laisser les Détroits aux mains des Turcs, dont la puissance avait considérablement décliné (“L’homme malade du Bosphore”, disait Bis­marck). Mais, en revanche, ils ne pouvaient accepter une Turquie devenue l’espace complémentaire (Ergänzungsraum) d’une Europe centrale, dont l’économie serait organisée de manière cohérente et unitaire, sous direction allemande. Par conséquent, pour éviter ce cauchemar de leurs stratèges, ils ont conçu le plan de “balkaniser” et de morceler encore davantage le reste de l’Empire ottoman, de façon à ce qu’aucune continuité territoriale ne subsiste, surtout dans l’espace situé entre la Mer Méditerranée et le Golfe Persique. La Turquie, la Russie et l’Allemagne devaient toutes les 3 se voir exclues de cette région hautement stratégique de la planète, ce qui impliquait de mettre en œuvre une politique de “con­tainment” avant la lettre. Les Russes rêvaient avant 1914 de reconquérir Constantinople et de faire de cette ville magnifique, leur “Tsarigrad”, la ville des Empereurs (byzantins), dont leurs tsars avaient pris le relais. Les Russes se percevaient comme les principaux porteurs de la “Troisième Rome” et enten­daient faire de l’ancienne Byzance le point de convergence central de l’aire culturelle chrétienne-ortho­doxe. Les Français avaient des intérêts au Proche-Orient, en Syrie et au Liban, où ils étaient censé pro­téger les communautés chrétiennes. Le télescopage de ces intérêts divergents et contradictoires a con­duit à la catastrophe de 1914.
    En 1918, la France et l’Angleterre étaient presque en état de banqueroute. Ces 2 puissances occiden­tales avaient contracté des dettes pharamineuses aux États-Unis, où elles avaient acheté des quantités énormes de matériels militaires, afin de pouvoir tenir le front. Les États-Unis qui, avant 1914, avaient des dettes partout dans le monde, se sont retrouvés dans la position de créanciers en un tourne-main. La France n’avait pas seulement perdu 1,5 million d’hommes, c’est-à-dire sa substance biologique, mais était contrainte de rembourser des dettes à l’infini : le Traité de Versailles a choisi de faire payer les Alle­mands, au titre de réparation.
    Ce jeu malsain de dettes et de remboursements a ruiné l’Europe et l’a plongée dans une spirale épouvan­table d’inflations et de catastrophes économiques. Pendant les années 20, les États-Unis voulaient gagner l’Allemagne comme principal client et débouché, afin de pouvoir “pénétrer”, comme on disait à l’époque, les marchés européens protégés par des barrières douanières. L’économie de la République de Weimar, régulée par les Plans Dawes et Young, était considérée, dans les plus hautes sphères économiques améri­caines, comme une économie “pénétrée”. Cette situation faite à l’Allemagne à l’époque, devait être éten­due à toute l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi, qu’étape après étape, l’”américanisation universelle” s’est imposée, via l’idéologie du “One World” de Roosevelt ou via la no­tion de globalisation à la Soros aujourd’hui. Les termes pour la désigner varient, la stratégie reste la même.
    Le projet d’unifier le continent par l’intérieur
    La Seconde Guerre mondiale avait pour objectif principal, selon Roosevelt et Churchill, d’empêcher l’u­nification européenne sous la férule des puissances de l’Axe, afin d’éviter l’émergence d’une économie “impénétrée” et “impénétrable”, capable de s’affirmer sur la scène mondiale. La Seconde Guerre mon­diale n’avait donc pas pour but de “libérer” l’Europe mais de précipiter définitivement l’économie de no­tre continent dans un état de dépendance et de l’y maintenir. Je n’énonce donc pas un jugement “moral” sur les responsabilités de la guerre, mais je juge son déclenchement au départ de critères matériels et économiques objectifs. Nos médias omettent de citer encore quelques buts de guerre, pourtant claire­ment affirmés à l’époque, ce qui ne doit surtout pas nous induire à penser qu’ils étaient insignifiants. Bien au contraire !
    Dans la revue Géopolitique, qui paraît aujourd’hui à Paris, et est distribuée dans les cercles les plus officiels, un article nous rappelait la volonté britannique, en 1942, d’empêcher la navigation fluviale sur le Danube et le creusement de la liaison par canal entre le Rhin, le Main et le Da­nube. Pour illustrer ce fait, l'article présentait une carte parue dans la presse lon­donienne en 1942, au beau milieu d’articles qui expliquaient que l’Allemagne était “dangereuse”, non pas parce qu’elle possédait telle ou telle forme de gouvernement qui aurait été “anti-démocratique”, mais parce que ce régime, indépendamment de sa forme, se montrait capable de réaliser un vieux plan de Charlemagne ainsi que le Testament politique du roi de Prusse Frédéric II, c’est-à-dire de réaliser une na­vigation fluviale optimale sur tout l’intérieur du continent, soit un réseau de communications contrôlable au départ même des puissances qui constituent, physiquement, ce continent ; un contrôle qu’elles exer­ceraient en toute indépendance et sans l’instrument d’une flotte importante, ce qui aurait eu pour co­rollaire immédiat de relativiser totalementle contrôle maritime britannique en Méditerranée et de rui­ner ipso facto la stratégie qui y avait été déployée par le Royaume-Uni depuis la Guerre de Succession d’Espagne et les opérations de Nelson à l’ère napoléonienne. Ainsi, pour atteindre, depuis les côtes de l’Atlantique, les zones à blé de la Crimée et des bassins du Dniestr, du Dniepr et du Don, ou pour at­teindre l’Égypte, l’Europe n’aurait plus nécessairement eu besoin des cargos des armateurs financés par l’Angleterre. La Mer Noire aurait été liée directement à l’Europe centrale et au bassin du Rhin.
    Une telle symphonie géopolitique, géostratégique et géo-économique, les puissances thalassocratiques l’ont toujours refusée, car elle aurait signifié pour elles un irrémédiable déclin. Les visions géopolitiques du géopolitologue français André Chéradame, très vraisemblablement téléguidé par les services britan­niques, impliquaient le morcellement de la Mitteleuropa et du bassin danubien, qu’il avait théorisé pour le Diktat de Versailles. Ses visions visaient également à créer le maximum d’États artificiels, à peine viables et antagonistes les uns des autres dans le bassin du Danube, afin que de Vienne à la Mer Noire, il n’y ait plus ni cohérence ni dynamisme économiques, ni espace structuré par un principe im­périal (reichisch).
    L’objectif, qui était d’empêcher toute communication par voie fluviale, sera encore renforcé lors des é­vénements de la Guerre Froide. L’Elbe, soit l’axe Prague/Hambourg, et le Danube, comme artère fluviale de l’Europe, ont été tous 2 verrouillés par le Rideau de Fer. La Guerre Froide avait pour objectif de pérenniser cette césure. Le bombardement des ponts sur le Danube près de Belgrade en 1999 ne pour­suivait pas d’autres buts.
    Étalon-or et étalon-travail
    La Guerre Froide visait aussi à maintenir la Russie éloignée de la Méditerranée, afin de ne pas procurer à l’Union Soviétique un accès aux mers chaudes, à garder l’Allemagne en état de division, à laisser à la France une autonomie relative. Officiellement, la France appartenait au camp des vainqueurs et cette po­litique de morcellement et de balkanisation lui a été épargnée. Les Américains toléraient cette relative autonomie parce que les grands fleuves français, comme la Seine, la Loire et la Garonne sont des fleuves atlantiques et ne possédaient pas, à l’époque, de liaisons importantes avec l’espace danubien et aussi parce que l’industrie française des biens de consommation était assez faible au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est que dans les années 50 et 60 qu’une telle industrie a pris son envol en France, avec la production d’automobiles bon marché (comme la légendaire “2CV” de Citroën que les Allemands appelaient la “vilaine cane”, la “Dauphine” ou les modèles “R8” de Renault) ou d’ap­pareils électro-ménagers de Moulinex, etc., ensemble de produits qui demeuraient très en-dessous des standards allemands. La force de la France avait été ses réserves d’or ; celle de l’Allemagne, la production d’excellents produits de précision et de mécanique fine, que l’on pouvait échanger contre de l’or ou des devises.
    Anton Zischka écrivit un jour que le retour d’Amérique des réserves d’or françaises — pendant le règne de De Gaulle, au cours des années 60 et à l’instigation de l’économiste Rueff — a été une bonne me­sure mais toutefois insuffisante parce que certaines branches de l’industrie de la consommation n’existaient pas encore en France : ce pays ne produisait pas d’appareils photographiques, de machines à écrire, de produits d’optique comme Zeiss-Ikon, d’automobiles solides destinées à l’exportation.
    Comme Zischka l’avait théorisé dans son célèbre ouvrage Sieg der Arbeit (La victoire de l’étalon-travail), l’or est certes une source de richesse et de puissance nationales, mais cette source demeure statique, tandis que l’étalon-travail constitue un facteur perpétuellement producteur, correspondant à la dynamique de l’époque contemporaine. Les stratèges américains l’avaient bien vu. Ils ont laissé se pro­duire le miracle économique allemand, car ce fut un développement quantitatif, certes spectaculaire, mais trompeur. À un certain moment, au bout de quelques décennies, ce miracle devait trouver sa fin car tout développement complémentaire de l’industrie allemande ne pouvait se produire qu’en direction de l’espace balkanique, du bassin de la Mer Noire et du Proche-Orient.
    Dans ce contexte si riche en conflits réels ou potentiels, dont les racines si situent à la fin du XIXe siècle, les instruments qui ont servi, depuis plusieurs décennies, à coloniser et à mettre hors jeu l’Al­lemagne et, partant, l’Europe entière, sont les suivants :
    ♦ La Mafia et les drogues
    Pour en arriver à contrôler l’Europe, les services secrets américains ont toujours téléguidés diverses organisations mafieuses. Selon le spécialiste actuel des mafias, le Français Xavier Raufer, le “tropisme mafieux” de la politique américain a déjà une longue histoire derrière lui : tout a commencé en 1943, lorsque les autorités américaines vont chercher en prison le boss de la mafia Lucky Luciano, originaire de Sicile, afin qu’il aide à préparer le débarquement allié dans son île natale et la conquête du Sud de l’I­talie. Depuis lors, on peut effectivement constater un lien étroit entre la mafia et les services spéciaux des États-Unis. En 1949, lorsque Mao fait de la Chine une “république populaire”, l’armée nationaliste chi­noise du Kuo-Min-Tang se replie dans le “Triangle d’Or”, une région à cheval sur la frontière birmano-lao­tienne. Les Américains souhaitent que cette armée soit tenue en réserve pour mener ultérieurement d’éventuelles opérations en Chine communiste. Le Congrès se serait cependant opposé à financer une telle armée avec l’argent du contribuable américain et, de surcroît, n’aurait jamais avalisé une opé­ration de ce genre. Par conséquent, la seule solution qui restait était d’assurer son auto-financement par la production et le trafic de drogue.
    Pendant la guerre du Vietnam, certaines tribus montagnardes, com­me les Hmongs, ont reçu du matériel militaire payé par l’argent de la drogue. Avant la prise du pouvoir par Mao en Chine et avant la guerre du Vietnam, le nombre de toxicomanes était très limité : seuls quel­ques artistes d’avant-garde, des acteurs de cinéma ou des membres de la “jet society” avant la lettre consommaient de l’héroïne ou de la cocaïne : cela faisait tout au plus 5.000 personnes pour toute l’Amé­rique du Nord. Les médias téléguidés par les services ont incité à la consommation de drogues et, à la fin de la guerre du Vietnam, l’Amérique comptait déjà 560.000 drogués. Les mafias chinoise et italienne ont pris la logistique en main et ont joué dès lors un rôle important dans le financement des guerres im­populaires.
    L’alliance entre la Turquie et les États-Unis a permis à un troisième réseau mafieux de participer à cette stratégie générale, celui formé par les organisations turques, qui travaillent en étroite collaboration avec des sectes para-religieuses et avec l’armée. Elles ont des liens avec des organisations criminelles similaires en Ouzbékistan voire dans d’autres pays turcophones d’Asie centrale et surtout en Albanie. Les organisations mafieuses albanaises ont pu étendre leurs activités à toute l’Europe à la suite du conflit du Kosovo, ce qui leur a permis de financer les unités de l’UÇK. Celles-ci ont joué le même rôle dans les Balkans que les tribus Hmongs au Vietnam dans les années 60. Elles ont préparé le pays avant l’offensive des troupes de l’OTAN.
    Par ailleurs, le soutien médiatique insidieux, apporté à la toxicomanie généralisée chez les jeunes, poursuit un autre objectif stratégique, celui de miner l’enseignement, de façon à ce que l’Europe perde un autre de ses atouts : celui que procuraient les meilleurs établissements d’enseignement et d’éducation du monde, qui, jadis, avaient toujours aidé notre continent à se sauver des pires situations.
    Dans toute l’Europe, les forces politiques saines doivent lutter contre les organisations mafieuses, non seulement parce qu’elle sont des organisations criminelles, mais aussi parce qu’elles sont les instruments d’un État, étranger à l’espace européen, qui cultive une haine viscérale à l’égard de l’identité européen­ne. La lutte contre les organisations mafieuses implique notamment de contrôler et de réguler les flux migratoires en provenance de pays où la présence et l’influence de mafias se fait lourdement sentir (Turquie, Albanie, Ouzbékistan, etc.).
    ♦ Les multinationales
    Depuis les années 60, les multinationales sont un instrument du capitalisme américain, destiné à contraindre les autres États à ouvrir leurs frontières. Sur le plan strictement économique, le principe qui consiste à favoriser l’essaimage de multinationales conduit à des stratégies de “délocalisations”, comme on le dit dans le jargon néo-libéral. Ces stratégies de délocalisation sont responsables des taux élevés de chômage. Même dans le cas de produits en apparance peu signifiants ou anodins, tels les jouets ou les bonbons, les multinationales ont détruit des centaines de milliers d’emplois. Exemple : les voitures miniatures étaient, jadis, dans mon enfance, fabriquées généralement en Angleterre, comme les Dinky Toys, les Matchbox et les Corgi Toys. Aujourd’hui, les miniatures de la nouvelle génération, portant parfois la même marque, comme Matchbox, nous viennent de Thaïlande, de Chine ou de Macao.
    À l’époque de son engouement pour l’espace politique national-révolutionnaire, le sociologue allemand Henning Eichberg, aujourd’hui exilé au Danemark, écrivait, avec beaucoup de pertinence, dans la revue berlinoise Neue Zeit, que nous subissions “une subversion totale par les bonbons” (eine totale Subvertierung durch Bonbons). En effet, les douceurs et sucreries pour les enfants ne sont plus produites aux niveaux locaux, ou confectionnées par une grand-mère pleine d’amour, mais vendues en masse, dans des drugstores ou des pompes à essence, des supermarchés ou des distributeurs automatiques, sous le nom de “Mars”, “Milky Way” ou “Snickers”. Ce ne sont plus des grand-mères ou des mamans qui les confectionnent, mais des multinationales sans cœur et tout en chiffres et en bilans, gérés par d’infects technocrates qui les vendent dans tous les coins et les recoins de la planète. À combien de personnes ces stratégies infâmes ont-elles coûté l’emploi, ont-elles ôté le sens à l’existence ?
    Dans l’Europe entière, les forces politiques saines, si elles veulent vraiment lutter contre le chômage de masse, doivent refuser toutes les logiques de délocalisations et protéger efficacement les productions locales.
    ♦ Le néo-libéralisme comme idéologie
    Le néo-libéralisme est l’idéologie économique de la globalisation. L’écrivain et économiste français Michel Albert a constaté, au début des années 90, que le néo-libéralisme, héritage des gouvernements de Thatcher et de Reagan, correspond en pratique à une négation quasi complète de tout investissement local (régional, national, transnational dans un cadre continental semi-autarcique et auto-centré, etc.). Il réagissait contre cette nouvelle pathologie politique, qui consistait à vouloir imiter à tout prix la gestion thatcherienne et les “reaganomics” et préconisait de remettre à l’ordre du jour les politiques “ordo-libérales”. L’“ordo-libéralisme” ou “modèle rhénan” (dans le vocabulaire de M. Albert), n’est pas seulement allemand ou “rhénan” mais aussi japonais, suédois, partiellement belge (les structures patrimoniales des vieilles industries de Flandre ou de Wallonie) ou français (les grandes entreprises familiales autour des villes de Lyon ou de Lille ou en Lorraine).
    Ce “modèle rhénan” privilégie l’investissement plutôt que la spéculation en bourse. L’investissement ne se fait pas qu’en capital-machine dans l’industrie mais aussi, pour Albert, dans les modules de recherche des universités, dans les écoles supérieures professionnelles ou, plus généralement, dans l’enseignement. Conjointement aux idées délétères du mouvement soixante-huitard, l’idéologie néo-libérale a miné les systèmes d’enseignement dans toute l’Europe. En Allemagne, aujourd’hui, la situation est grave. En France, elle est pire, sinon catastrophique. En Angleterre, une initiative citoyenne, baptisée Campaign for Real Education, revendique actuellement, auprès des enseignants et des associations de parents, la revalorisation de la discipline à l’école, afin d’améliorer le niveau des études et les capacités linguistiques (en langue maternelle) des enfants. Le géopolitologue Robert Strausz-Hupé (1903-2002, ci-contre couverture de son autobiographie In my time parue en 1965), qui œuvrait dans les cénacles intellectuels gravitant jadis autour de Roosevelt, avait planifié la destruction des forces implicites du vieux continent européen, dans un programme destiné à l’Allemagne et à l’Europe, au même moment où Morgenthau concoctait ses plans pour une pastoralisation générale et définitive de l’espace germanique. Selon ce Strausz-Hupé, il fallait briser à jamais l’homogénéité ethnique des pays européens et ses systèmes d’éducation. Pour réaliser ce projet au bout de quelques décennies, les spéculations anti-autoritaires de pédagogues éthérés, la consommation de drogues et l’idéologie de 68 ont joué un rôle-clef. En évoquant ces faits, quelques voix chuchotent que le philosophe Herbert Marcuse, idole des soixante-huitards, aurait travaillé pour l’Office for Strategic Studies (OSS), l’agence américaine de renseignement qui a précédé la célèbre CIA.
    Dans toute l’Europe, les forces politiques saines devraient militer aujourd’hui pour réaffirmer l’existence d’un système ordo-libéral de facture “rhénane” (selon Albert), c’est-à-dire un système économique qui investit au lieu de spéculer et qui apporte son soutien à l’école et aux universités, sans négliger les autres secteurs non marchands, comme les secteurs hospitalier et culturel, car les piliers porteurs non marchands de toute société ne peuvent être mis à disposition ni être sacrifié à la seule économie. Ces secteurs non marchands soudent les communautés populaires, créent une fidélité à l’État dans toutes les catégories sociales. Le néo-libéralisme ne soude pas, il dé-soude, il ne génère aucune fidélité et fait régner la loi de la jungle.
    ♦ Les médias
    L’Europe est également tenue sous la coupe d’un système médiatique qui, in fine, est téléguidé par certains services étrangers, qui veillent à susciter les “bonnes” émotions au bon moment. Ces médias façonnent la mentalité contemporaine et visent à exclure du débat tout esprit indépendant et critique, surtout si ces esprits critiques sont effectivement critiques parce qu’ils pensent en termes d’histoire et de tradition. En effet, les esprits détachés du temps et de l’espace, sans feu ni lieu (Jacques Ellul), représentent ce que l’on appelle en Allemagne die schwebende Intelligenz, l’intelligentsia virevoltante, qui est justement cette forme d’intelligentsia dont l’américanisation et la globalisation ont besoin. La domination de l’Europe par des instruments médiatiques a commencé immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, not. quand une revue, apparemment anodine dans sa forme et sa présentation, Sélection du Reader’s Digest, a été répandue dans toute l’Europe et dans toutes les langues, quand la France de 1948 fut contrainte de faire jouer dans toutes ses salles de cinéma des films “made in USA”, sinon elle ne recevait pas les fonds du Plan Marshall. Le gouvernement Blum a accepté ce diktat, qui signait l’arrêt de mort du cinéma français.
    Quand l’ancien créateur cinématographique Claude Autant-Lara, classé à gauche au temps de sa gloire, fut élu au Parlement Européen sur les listes du nationaliste français Jean-Marie le Pen, il reçut le droit de prononcer le discours inaugural de l’assemblée, vu qu’il en était le doyen. Il saisit cette opportunité pour condamner, du haut de la tribune de Strasbourg, la politique américaine qui a toujours consisté à imposer systématiquement les films d’Hollywood, pour torpiller les productions nationales des pays européens. Les chansons, les modes, les drogues, la télévision (avec CNN), l’internet sont autant de canaux qu’utilise la propagande américaine pour effacer la mémoire historique des Européens et d’influencer ainsi les opinions publiques, de façon à ce qu’aucune autre vision du monde autre que celle de l’American way of Life ne puisse plus jamais émerger.
    Dans toute l’Europe, les forces politiques saines doivent viser à faire financer des médias indépendants, locaux et liés au sol, qui soient à même de fournir au public des messages idéologiquement et politiquement différents. Afin d’empêcher que nos peuples soient abrutis et placés sous influence par des systèmes médiatiques hypercentralisés et téléguidés par une super-puissance étrangère à notre espace. Un tel contrôle médiatique s’avère nécessaire dans la perspective des guerres du futur, qui seront des “guerres cognitives”, dont l’objectif sera d’influencer les peuples et de rendre les “audiences étrangères” (“enemy/alien audiences” dans le jargon de la CIA ou de la NSA) perméables au discours voulus par les services spéciaux de Washington, afin qu’aucune autre solution à un problème de politique internationale ne puisse être considérée comme “morale” ou “acceptable”.
    ♦ Les moyens militaires
    On affirme généralement que la puissance des États-Unis est essentiellement une puissance maritime. Les puissances mondiales, qui sont simultanément des puissances maritimes (des thalassocraties), sont généralement “bi-océaniques” : on veut dire par là qu’elles ont des “fenêtres” sur 2 océans. L’objectif de la guerre que les États-Unis ont imposé au Mexique en 1848 était de se tailler une vaste fenêtre donnant sur l’Océan Pacifique, pour pouvoir ensuite accéder, à court ou à moyen terme, aux marchés de Chine et d’Extrême-Orient et d’en faire des marchés exclusivement réservés aux productions américaines. Lorsque l’Amiral américain Alfred Thayer Mahan s’efforce à la fin du XIXe siècle de faire de la Navy League un instrument pour promouvoir dans les esprits et dans les actes l’impérialisme américain, il poursuivait simultanément l’objectif de faire de la flotte américaine, qui était alors en train de se développer, un monopole militaire exclusif : seule cette flotte aurait le droit de s’imposer sur la planète sans souffrir la présence de concurrents.
    Son but politique et stratégique était de donner aux puissances anglo-saxonnes une “arme d’intervention” globale et ubiquitaire, susceptible de donner à la Grande-Bretagne et aux États-Unis un instrument capable de développer une vitesse de déplacement supérieure à tous les autres instruments possibles à l’époque, afin d’assurer le succès de leurs interventions partout dans le monde. Les autres puissances ne pouvant pas posséder d’instruments aussi rapides ou d’une vitesse encore supérieure. Par conséquent, l’objectif visait aussi à enlever à l’avenir aux autres puissances de la planète la possession d’un armement naval similaire ou comparable. La conquête de l’espace maritime du Pacifique a donc eu lieu après celle des côtes californiennes en 1848, pour être plus exact 50 ans plus tard, lors de la guerre contre l’Espagne qui a abouti à l’élimination de cette puissance européenne dans les Caraïbes et dans les Philippines. L’Allemagne, à l’époque, a repris à son compte la souveraineté sur la Micronésie et a défendu, dans ce cadre, l’île de Samoa, avec sa marine de guerre, contre les prétentions américaines. Entre 1900 et 1917, les États-Unis n’ont posé aucun acte décisif, mais la Première Guerre mondiale leur a donné l’occasion d’intervenir et de vendre du matériel de guerre en telles quantités aux alliés occidentaux qu’au lendemain de la guerre ils n’étaient plus débiteurs du monde mais ses premiers créanciers.
    En 1922, les Américains et les Britanniques imposent à l’Allemagne et à leurs propres alliés le Traité de Washington. On ne parle pas assez de ce Traité important, décisif et significatif pour l’Europe toute entière. Il imposait à chaque puissance maritime du monde un tonnage spécifique pour sa flotte de guerre : 550.000 tonnes pour les États-Unis et autant pour l’Angleterre; 375.000 tonnes pour le Japon ; 175.000 tonnes pour l’Italie et autant pour la France. Versailles avait déjà sonné le glas de la marine de guerre allemande. La France, bien que considérée comme un État vainqueur, ne pouvait plus désormais, après le traité de Washington, se donner les moyens de devenir une forte puissance maritime. La réduction à quasi rien du tonnage autorisé de la flotte allemande était en fait, aux yeux de Washington, une vengence pour Samoa et une mesure préventive, pour éliminer la présence du Reich dans le Pacifique. Pourquoi est-il important aujourd’hui de rappeler à tous les clauses du Traité de Washington ? Parce qu’avec ce Traité nous avons affaire à un exemple d’école du modus operandi américain.
       * 1. Ce procédé a été systématisé par la suite.
     * 2. Les peuples lésés ont tenté en vain d’apporter des réponses à ces mesures qui restreignaient considérablement l’exercice de leur souveraineté. Il suffit de penser au développement de l’aviation civile française, aux temps héroïques où se sont distingués des pilotes exceptionnels comme Jean Mermoz et Antoine de Saint-Exupéry, ou au développement des dirigeables Zeppelin en Allemagne, qui a connu un fin tragique en 1937 à New York quand le “Hindenburg” s’est écrasé au sol en proie aux flammes.
    Du “Mistral” aux “Mirages”
    Les 2 puissances que sont la France et l’Allemagne n’ont pas pu remplacer leurs marines perdues à la suite des clauses du Traité de Washington de 1922 par une “flotte aérienne” adéquate et suffisante. L’objectif général poursuivi par les Américains était de ne tolérer aucune industrie autonome d’armement de haute technologie chez leurs anciens alliés. Après la Seconde Guerre mondiale, la France et les petites puissances occidentales ont été contraintes d’acheter le vieux matériel de guerre américain pour leurs armées. L’armée française a ainsi été dotée exclusivement de matériels américains. Mais avec l’aide d’ingénieurs allemands prisonniers de guerre, la France a été rapidement en mesure de fabriquer des avions de combat ultra-modernes, comme par ex. les avions à réaction de type “Mistral”.
    Après 1945, l’Allemagne n’a plus possédé d’industrie aéronautique digne de ce nom. Fokker, aux Pays-Bas, n’a plus pu qu’essayer de survivre et est finalement resté une entreprise trop modeste pour ses capacités réelles. Sous De Gaulle, les ingénieurs français développent, en coopération avec des collègues allemands, les fameux chasseurs Mirage, concurrents sérieux pour leurs équivalents américains sur le marché mondial. Les chasseurs Mirage III constituaient un développement du Volksjäger (“chasseur du peuple”) allemand de la Seconde Guerre mondiale, le Heinkel 162. En 1975, les Américains forcent les gouvernements des pays scandinaves et bénéluxiens de l’OTAN à acquérir des chasseurs F-16, après avoir convaincu une brochette de politiciens corrompus. Cette décision a eu pour effet que les Français de Bloch-Dassault et les Suédois de SAAB n’ont plus pu opérer de sauts technologiques majeurs, parce que la perte de ce marché intérieur européen ne leur permettait pas de financer des recherches de pointe. Le même scénario s’est déroulé plus récemment, avec la vente de F-16 aux forces aériennes polonaise et hongroise. Depuis ce “marché du siècle”, les avionneurs français et suédois claudiquent à la traîne et ne parviennent plus à se hisser, faute de moyens financiers, aux plus hauts niveaux de la technologie avionique. Si, sur le plan des technologies de l’armement, les Allemands ont eu l’autorisation de construire leurs chars Léopard, c’est parce que l’Amérique est avant tout une puissance maritime et ne s’intéresse pas a priori aux armements destinés aux armées de terre. Les Américains mettent davantage l’accent sur les navires de guerre, les sous-marins, les missiles, les satellites et les forces aériennes.
    Dans un article paru dans l’hebdomadaire berlinois Junge Freiheit, on apprend que les consortiums américains achètent les firmes qui produisent des technologies de pointe, comme Fiat-Avio en Italie, une branche du gigantesque consortium que représente Fiat et produit des moteurs d’avion; ensuite une entreprise d’Allemagne du Nord qui fabrique des sous-marins et le consortium espagnol Santa Barbara Blindados, qui fabrique les chars Léopard allemands pour le compte de l’armée espagnole. De cette manière, les tenants de l’industrie de guerre américaine auront accès à tous les secrets de l’industrie allemande des blindés. Ces manœuvres financières ont pour objectif de contraindre l’Europe à la dépendance, avant qu’elle ne se donne les possibilités d’affirmer son indépendance militaire.
    Les organisations militaires qui sont ou étaient sous la tutelle américaine, comme l’OTAN, le CENTO ou l’OTASE, ne servaient qu’à une chose : créer un marché pour les armes américaines déclassées, notamment les avions, afin d’empêcher, dans les pays “alliés”, toute éclosion ou résurrection d’industries d’armement indépendantes, capables de concurrencer leurs équivalentes américaines. Les progrès technologiques, qui auraient pu résulter de l’indépendance des industries d’armement en Europe ou ailleurs, auraient sans doute permis la production de systèmes d’armement plus performants pour les “alien armies”, les armées étrangères, ce qui aurait aussi eu pour conséquence de tenir en échec, le cas échéant, la super-puissance dominante, devenue entre-temps la seule superpuissance de la planète, voire de la réduire à la dimension d’une puissance de deuxième ou de troisième rang.
    Le réseau “ÉCHELON”
    La crainte de voir des puissances potentiellement hostiles développer des technologies militaires performantes est profondément ancrée dans les têtes du personnel politique dirigeant des États-Unis. C’est ce qui explique la nécessité d’espionner les “alliés”. Comme nous l’a très bien expliqué Michael Wiesberg dans les colonnes de l’hebdomadaire berlinois Junge Freiheit, le système satellitaire “ÉCHELON” a été conçu pendant la Guerre Froide en tant que système d’observation militaire, destiné à compléter les moyens de communication existants de l’époque, tels les câbles sous-marins ou les autres satellites utilisés à des fins militaires. Mais sous Clinton, le système “ÉCHELON” a cessé d’être un instrument purement militaire ; très officiellement, il poursuit désormais des missions civiles. Et lorsque des objectifs civils deviennent objets de systèmes d’espionnage de haute technologie, cela signifie que les “alliés” de la super-puissance, hyper-armée, deviennent, eux aussi, à leur tour, les cibles de ces écoutes permanentes. Dans un tel contexte, ces “alliés” ne sont plus des “alliés” au sens conventionnel du terme. La perspective purement politique, telle qu’elle nous fut jadis définie par un Carl Schmitt, change complètement. Il n’existe alors plus d’ennemis au sens “schmittien” du terme, mais plus d’”alliés” non plus, dans le sens où ceux-ci serait théoriquement et juridiquement perçus et traités comme des égaux. Le langage utilisé désormais dans les hautes sphères dirigeantes américaines et dans les services secrets US trahit ce glissement sémantique et pratique : on n’y parle plus d’”ennemis” ou d’”alliés”, mais d’alien audiences, littéralement d’”auditeurs étrangers”, de “destinataires [de messages] étrangers”, qui doivent être la cible des services de propagande américains, qui ont pour mission de les rendre “réceptifs” et dociles.
    Que signifie ce glissement, cette modification, sémantique, en apparence anodine ? Elle signifie qu’après l’effondrement de l’Union Soviétique, les “alliés” européens sont devenus superflus et ne constituent plus qu’un ensemble de résidus, vestiges d’un passé bien révolu, tant et si bien que l’on peut sans vergogne aller pomper des informations chez eux, qu’on peut les placer sous écoute permanente, surtout dans les domaines qui touchent les technologies de pointe. Les Européens ont déjà pu constater, à leurs dépens, que des firmes françaises et allemandes ont été espionnées par voie électronique ou par le truchement des satellites du système ÉCHELON. Certaines de ces entreprises avaient mis au point un système de purification des eaux. Comme les informations qu’elles envoyaient par courrier électronique avaient préalablement été pompées, les entreprises concurrentes américaines avaient pu fabriquer les produits à meilleur marché, tout simplement parce qu’elles n’avaient pas investi le moindre cent dans la recherche.
    L’appareil étatique américain favorise de la sorte ses propres firmes nationales et pille simultanément les entreprises de ses “alliés”. Cette forme d’espionnage industriel recèle un danger mortel pour nos sociétés civiles, car elle génère un chômage au sein d’un personnel hautement qualifié. Duncan Campbell, un courageux journaliste britannique qui a dénoncé le scandale d’ÉCHELON, donne, dans son rapport, des dizaines d’exemples de pillages similaires, dans tous les domaines des technologies de pointe. Les États-Unis, cependant, ne sont pas les seuls à participer au réseau satellitaire d’espionnage ÉCHELON ; la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande y participent aussi, si bien qu’une question importante se pose à nous : le Royaume-Uni constitue-t-il une puissance européenne loyale ? Le Général de Gaulle n’avait-il pas raison quand il disait que la “relation spéciale” (special relationship) entre les États-Unis et la Grande-Bretagne était derechef hostile au continent européen, et le resterait à jamais ?
    Lorsque nous évoquons une “Europe des peuples”, nous devons avoir en tête 2 faisceaux de faits, jouant chacun un rôle important :
    ◊ 1. Le premier faisceau de faits est de nature culturelle. La culture est ce que l’on doit maintenir intact, dans la mesure du possible, dans le tourbillon incessant des modèles divergents que nous propose la modernité. Nous en sommes bien évidemment conscients, nous plus que beaucoup d’autres. Mais cette conscience, qui est la nôtre, recèle un grand danger, propre de tout combat culturel : celui de transformer tout héritage culturel en un fatras “muséifié” ou de percevoir toute activité culturelle comme un simple passe-temps. La défense de nos héritages culturels ne peut en aucun cas être “statique”, dépourvue de dynamisme. Toute culture vivante possède une dimension politique, économique et géopolitique.
    ◊ 2. Second faisceau de faits : le peuple, en tant que substrat ethnique porteur et créateur/fondateur de culture, ne peut jamais, au grand jamais, être mis à disposition par la classe politique dominante. Ce substrat populaire fait émerger, au fil du temps, une culture et une littérature spécifiques et non aliénables, produits d’une histoire particulière. Il génère également un système économique spécifique, qui est tel et non autre. Toute forme économique nait et s’inserre dans un espace particulier, est une émanation d’une époque particulière. Par voie de conséquence, toute économie viable ne peut s’inscrire dans un schéma conceptuel qui se voudrait d’emblée “international” ou “universel”. Perroux, Albertini et Silem, les grands théoriciens français de l’économie et de l’histoire économique, insistent justement sur la dimension historique des systèmes économiques, sans oublier les grands théoriciens des systèmes autarciques. Pour clarifier leurs propos si pertinents, ils ont classés l’ensemble des systèmes en 2 catégories didactiques : les “orthodoxes”, d’une part, les “hétérodoxes”, d’autres part.
    “Orthodoxes” et “hétérodoxes” en théorie économique
    Les “orthodoxes” sont les libéraux de l’école d’Adam Smith (les “libéraux manchesteriens”) et les marxistes, qui pensent sur base de concepts “universels” et veulent implanter les mêmes modèles et catégories partout dans le monde. Ils sont en fait les ancêtres philosophiques des araseurs globalistes d’aujourd’hui. Les “hétérodoxes” en revanche mettent l’accent sur les particularités de chaque système économique. Ils sont les héritiers de l’”école historique” allemande, et d’économistes tels Rodbertus, Schmoller et de Laveleye. Sous la République de Weimar, le Tat-Kreis et la revue Die Tat, avec des héritiers de cette école comme Ferdinand Fried et Ernst Wagemann, ont poursuivi cette quête et approfondi cette veine intellectuelle.
    Comme nous venons de le dire, pour les “hétérodoxes” et les te­nants de l’école historique, chaque espace économique est lié à un lieu et est le fruit d’une histoire par­ticulière, que l’on ne peut pas tout bonnement mettre entre parenthèse et ignorer. L’histoire et l’éco­nomie façonnent les institutions, qui sont liées à un substrat ethnique, à un lieu et à une époque, des institutions qui font fonctionner une économie de manière telle et non autre. Nous percevons très nettement, ici, pourquoi l’UE a connu jusqu’ici l’échec, et le connaîtra encore dans l’avenir : elle n’a ja­mais emprunté cette voie hétérodoxe. Nous, bien évidemment, nous optons pour cette approche hétéro­doxe de l’économie, dans le sens où l’entendent Perroux, Silem et Albertini. L’économie est le “nomos” de l’oïkos, ce qui signifie qu’elle est la mise en forme d’un lieu de vie spécifique, où j’habite, moi, en tant que “façonneur” potentiel du politique, avec les miens. D’après l’étymologie même du mot éco­nomie, il n’y a pas d’économie sans lieu (**). Une économie universelle n’existe pas par définition.
    Revenons à la géopolitique. Par définition, la discipline, que constitue la “géopolitique”, traite de l’in­fluence des facteurs géographiques/spatiaux sur les ressorts éternels de la politique, à l’intérieur d’une aire donnée. Les facteurs spatiaux, immédiats et environnants, influencent bien entendu la manière de pratiquer l’économie dans les limites de l’“oïkos” lui-même. S’il nous paraît utile et équilibrant de con­server ces modes hérités de pratiquer l’économie, et de ne pas les remplacer par des règles qui seraient soi-disant applicables sans faille à tous les lieux du monde, alors nous pouvons parler d’un principe “au­tarcique”, quand l’économie se donne pour but d’être et de rester auto-suffisante. La notion d’autarcie économique n’implique pas nécessairement que l’on constitue à terme un “État commercial fermé” (l’in­terprétation étroite de l’idée conçue par Fichte). À l’heure actuelle, la notion d’autarcie devrait viser un équilibre entre une ouverture raisonnable des frontières commerciales et la pratique tout aussi raison­nable de fermetures ad hoc, afin de protéger, comme il se doit, les productions indigènes. Une notion ac­tualisée d’autarcie vise un “auto-centrage” bien balancé de toute économie nationale ou “grand-spatiale” (großräumisch / reichisch), ainsi que l’avait théorisé avec brio André Grjébine, un disciple de Fran­çois Perroux.
    De Frédéric II à Friedrich List
    Friedrich List s’était fait l’avocat, au XIXe siècle, des systèmes économiques indépendants. C’est lui qui a forgé, par ses idées et plans, les économies modernes de l’Allemagne, des États-Unis, de la France et de la Belgique, et partiellement aussi de la Russie à l’époque du ministre du Tsar Serguëi Witte, l’homme qui, à la veille de la Première Guerre mondiale, a modernisé l’empire russe. L’idée principale de List était de lancer le processus d’industrialisation dans chaque pays et de développer de bons systèmes et réseaux de communications. À l’époque de List, ces systèmes et réseaux de communications étaient les canaux et les chemins de fer. De son point de vue, et du nôtre, chaque peuple, chaque aire culturelle ou civilisationnelle, chaque fédération de peuples, a le droit de construire son propre réseau de communi­cation, afin de se consolider économiquement. Dans ce sens, List entendait réaliser les vœux concrets contenus dans le Testament politique de Frédéric II de Prusse.
    Le roi de Prusse écrivit en 1756 que la mission majeure de l’État prussien dans l’espace de la grande plaine de l’Allemagne du Nord était de relier entre eux par canaux les grands bassins fluviaux, si bien qu’entre la Vistule et la Mer du Nord les communications s’en trouvent grandement facilitées. Ce projet visait à dépasser l’état de discontinuité et de fragmentation de l’espace nord-allemand, qui avait grevé pendant des siècles le destin historique du Saint-Empire. Le système de canaux envisagés réduisait ensuite la dépendance de cette plaine par rapport à la mer. En son temps, List développa également le projet de relier à l’Atlantique les grands lacs situés au centre du continent nord-américain. Il encouragea les Français à construire un canal entre l’Atlantique et la Méditerranée, afin de relativiser la position de Gibraltar.
    Il donna aussi le conseil au roi des Belges, Léopold Ier de Saxe-Cobourg, de relier les bassins de l’Escaut et de la Meuse à celui du Rhin. Ainsi, successivement, l’État belge a fait creuser plusieurs canaux, dont le “Canal du Centre”, le Canal Anvers-Charleroi et, beaucoup plus tard seulement, le Canal Albert (en 1928), couronnement de ce projet germano-belge du XIXe siècle. List conseilla à tous de construire des lignes de chemin de fer, afin d’accélérer partout les communications. Ce sont surtout l’Allemagne et les États-Unis qui doivent à ce grand ingénieur et économiste d’être devenus de grandes puissances industrielles.
    Du droit inaliénable à déployer ses propres moyens électroniques
    Les puissances thalassocratiques ne peuvent en aucun cas tolérer de tels dévelopements dans les pays continentaux. Les Anglais craignaient, aux XIXe et XXe siècles, que l’élément constitutif de leur puissance, c’est-à-dire leur flotte, perdrait automatiquement de son importance en cas d’amélioration des voies navigables intra-continentales et des chemins de fer. La presse anglaise s’était insurgée contre la construction, par les Français, du grand canal entre l’Atlantique et la Méditerranée. En 1942, cette même presse londonienne publie une carte pour expliciter à son public les dangers que recèlerait la construction d’une liaison entre le Rhin, le Main et le Danube. Dans son ouvrage du plus haut intérêt, intitulé Präventivschlag, Max Klüver nous rappelle que les services spéciaux britanniques avaient planifié et commencé à exécuter des missions de sabotage contre les ponts sur le Danube en Hongrie et en Roumanie. La Guerre Froide — il suffit de lire une carte physique de l’Europe — avait également pour objectif de couper les communications fluviales sur l’Elbe et le Danube, afin d’empêcher toute dynamique entre la Bohème et l’Allemagne du Nord et entre le complexe bavaro-autrichien et l’espace balkanique.

    La guerre contre la Serbie en 1999 a servi, entre autres choses, à bloquer tout trafic sur le Danube et à empêcher l’éclosion d’un système de communication à voies multiples entre la région de Belgrade et la Mer Egée. Les idées de List restent tout à fait actuelles et mériteraient bien d’être approfondies et étoffées, not. en incluant dans leurs réflexions sur l’autarcie et l’indépendance économique la technologie nouvelle que représentent aujourd’hui les systèmes satellitaires. Tout groupe de peuples, toute fédération comme l’UE par ex., devrait disposer du droit, inaliénable, de déployer ses propres moyens et systèmes électroniques, afin de renforcer sa puissance industrielle et économique.
    Pour observer de réelles actualisations des théories de List, qui, en Europe, sont refoulées voire “inter­dites” comme presque toutes les doctrines “hétérodoxes”, nous devons tourner nos regards vers l’A­mérique latine. Sur ce continent, travaillent et enseignent des disciples de List et de Perroux. Lorsque ces théoriciens et économistes latino-américains parlent de s’émanciper de la tutelle américaine, ils utilisent le concept de “continentalisme”. Ils désignent par là un mouvement politique présent sur l’en­semble du continent ibéro-américain et capable de rassembler et de fédérer toutes les forces souhaitant se dégager de la dépendance imposée par Washington.
    L’Argentine, par ex., a développé des idées et des idéaux autarcistes bien étayés dès l’époque du Général Péron. Avant que les forces transnationales du monde bancaire aient ruiné le pays en utilisant tous les trucs possibles et imaginables, l’Argentine bénéficiait d’une réelle indépendance alimentaire, grâce à sa surproduction de céréales et de viandes, destinées à l’exportation. Cette puissance civile constituait une épine dans le pied de la politique américaine. L’Argentine avait aussi, not. grâce à l’aide d’ingénieurs allemands, pu développer une industrie militaire complète et bien diversifiée. En 1982, les pilotes argentins se servaient d’avions de combat fabriqués en Argentine même, les fameux “Pucaras”, qui détruisirent des navires de guerre britanniques lors de la Guerre des Malouines. Cette politique d’autonomie bien poursuivie fait de l’idéologie péroniste, qui l’articule, l’ennemi numéro un des États-Unis en Amérique ibérique, et plus particulièrement dans le “cône sud”, depuis plus de 60 ans. Les nombreuses crises, créées de toutes pièces, qui ont secoué la patrie du Général Péron, ont réduit à néant les pratiques autarciques, pourtant si bien conçues. Une expérience très positive a connu une fin misérable, ce qui est un désastre pour l’humanité entière.
    Ceux qui veulent aujourd’hui poursuivre une politique européenne d’indépendance, en dehors de tous les conformismes suggérés par les médias aux ordres, doivent articuler les 6 points suivants pour répon­dre à la politique de globalisation voulue par les États-Unis :
    ♦ Point 1 : Abandonner le néo-libéralisme, retrouver l’ordo-libéralisme !
    L’économie doit à nouveau reposer sur les principes du “modèle rhénan” (Michel Albert) et retrouver sa dimension “patrimoniale”. La démarche principale pour retourner à ce modèle “rhénan” et patrimonial, et réétablir ainsi une économie de marché ordo-libérale, consiste à investir plutôt qu’à spéculer. Lorsque l’on parle d’investissement, cela vaut également pour les établissements d’enseignement, les universités et la recherche. Une telle politique implique également le contrôle des domaines stratégiques les plus importants, comme au Japon ou aux États-Unis, ce que pratique désormais le Président Poutine en Russie post-communiste. Poutine, en effet, vient de prier récemment l’oligarque Khodorovski, d’investir “pa­triotiquement” sa fortune dans des projets à développer dans la Fédération de Russie, plutôt que de les “placer” à l’étranger et d’y spéculer sans risque. L’eurocratie bruxelloise, elle, a toujours refusé une telle politique. Récemment, le député du Front National français Bruno Gollnisch a proposé une politique européenne selon 3 axes : 1) soutenir Airbus, afin de développer une industrie aéronautique euro­péenne indépendante de l’Amérique ; 2) développer “Aérospace” afin de doter l’Europe d’un système sa­tellitaire propre ; 3) soutenir toutes les recherches en matières énergétiques afin de délivrer l’Europe de la tutelle des consortia pétrolier dirigés par les États-Unis. Un programme aussi clair constitue indu­bitablement un pas dans la bonne direction
    ♦ Point 2 : Lutter pour soustraire l’Europe à l’emprise et l’influence des grandes agences médiatiques américaines !
    Pour nous rendre indépendants des grandes agences médiatiques américaines, qui interprètent la réalité ambiante de la scène internationale dans des perspectives qui vont à l’encontre de nos propres intérêts, l’Europe doit donc développer une politique spatiale, ce qui implique une étroite coopération avec la Russie. Sans la Russie, nous accusons un retard considérable en ce domaine. Pendant des décennies, la Russie a rassemblé un savoir-faire considérable en matières spatiales. La Chine et l’Inde sont prêtes, elles aussi, à participer à un projet commun dans ce sens. Mais, pour pouvoir combattre le plus efficacement qui soit le totalitarisme médiacratique que nous imposent les États-Unis, nous avons besoin d’une ré­volution intellectuelle et spirituelle, d’une nouvelle métapolitique, qui briserait la fascination dangereuse qu’exerce l’industrie américaine de la cinématographie et des loisirs. Si les productions européennes présentent une qualité et attirent le public, tout en conservant la diversité et la pluralité des cultures européennes au sens où l’entendait Herder, nous serions en mesure de gagner la “guerre cognitive”, comme l’appellent aujourd’hui les stratégistes français. Toute révolution spirituelle a besoin de fantaisie, de créativité, d’un futurisme rédempteur et, surtout, d’une certaine insolence dans la critique, comme le démontre l’histoire d’une feuille satirique allemande d’avant 1914, le Simplicissimus. Un esprit d’in­solence, lorsqu’il fait mouche, aide à gagner la “guerre cognitive”.
    ♦ Point 3 : Les principes de politique étrangère ne devraient pas être ceux qu’induit et prêche l’Amérique sans arrêt
    L’Europe doit imposer ses propres concepts en politique extérieure, en d’autres termes rejeter l’universalisme de Washington, que celui-ci s’exprime sur le mode du “multilatéralisme”, comme le veut Kerry, ou de l’”unilatéralisme”, tel que Bush le pratique en Irak. Pour une Europe, qui ne serait plus l’expression de l’eurocratie bruxelloise, aucun modèle ne devrait être considéré comme universellement valable ou annoncé comme tel. Que 2 faisceaux de principes soient rappelés et cités ici :
    ◊ Armin Mohler, décédé en juillet 2003, parlait de la nécessité de donner une interprétation et une pratique allemandes au gaullisme, dans la mesure, écrivait-il dans son ouvrage Von rechts gesehen (Vu de droite), où l’Europe devrait sans cesse s’intéresser aux — et protéger — (les) pays que les Américains décrètent rogue states (“États-voyous”). Lorsqu’A. Mohler écrivit ses lignes sur le gaullisme, l’État-voyou par excellence, dans la terminologie propagandiste américaine, était la Chine. Au même moment, dans le camp “national-européen”, Jean Thiriart et les militants de son mouvement Jeune Europe à Bruxelles, disaient exactement la même chose. En Allemagne, Werner Georg Haverbeck, à Vlotho, tentait, dans son Collegium Humanum de répandre dans les milieux intellectuels allemands une information plus objective sur la Chine. La reine-mère en Belgique, Elisabeth von Wittelsbach, pour s’opposer ostensiblement à la “Doctrine Hallstein” de l’OTAN, entreprit à l’époque de faire un voyage en Chine. Tous furent affublés de l’épithète disqualifiante de “crypto-communistes”. Or, orienter la politique internationale de l’Europe selon certains modèles chinois n’est nullement une idiotie ou une aberration.
    ◊ Cette “sinophilie” des années 50 et 60 nous amène tout naturellement à réflechir sur un modèle que l’Europe pourrait parfaitement imiter, au lieu de suivre aveuglément les principes et les pratiques de l’universalisme américain. Ce modèle est celui que la Chine propose aujourd’hui encore, après la parenthèse paléo-communiste :
        * Aucune immixtion d’États tiers dans les affaires intérieures d’un autre État. Cela signifie que l’idéologie des droits de l’homme ne peut être utilisée pour susciter des conflits au sein d’un État tiers. Le Général Löser, qui, immédiatement avant la chute du Mur, militait en Allemagne pour une neutralisation de la zone centre-européenne (Mitteleuropa), défendait des points de vue similaires.
        * Respect de la souveraineté des États existants.
        * Ne jamais agir pour ébranler les fondements sur lesquels reposaient les stabilités des États.
        * Continuer à travailler à la coexistence pacifique.
        * Garantir à chaque peuple la liberté de façonner à sa guise son propre système économique.
    Cette philosophie politique chinoise repose sur les travaux d’auteurs classiques comme Sun Tzu ou Han Fei et sur le Tao Te King. Cette pensée recèle des arguments clairs comme de l’eau de roche, sans rien avoir à faire avec ce moralisme délétère qui caractérise l’articulation dans les médias de l’universalisme américain.
    ♦ Point 4 : S’efforcer d’être indépendant sur le plan militaire
    La tâche principale d’un mouvement de libération contientale dans toute l’Europe serait de viser la protection sans faille de l’industrie de l’armement et d’éviter que les firmes existantes ne tombent aux mains de consortia américains tels Carlyle Incorporation. Fiat Avio en Italie, la dernière firme qui construisait des sous-marins en Allemagne, le consortium espagnol Santa Barbara Blindados viennent tout juste de devenir américains par le truchement de spéculations boursières. Autre tâche : privilégier systématiquement l’Eurocorps au lieu de l’OTAN, tout en transformant cet “Eurocorps” en une armée populaire de type helvétique, soit en une milice, comme l’avaient voulu Löser en Allemagne, Spannocchi en Autriche et Brossolet en France. L’OTAN n’a en effet plus aucune raison d’exister depuis que l’Allemagne et l’Europe ont été réunifiées en 1989. Dans la foulée de la disparition du Rideau de Fer, les Européens ont raté une chance historique de façonner un ordre mondial selon leurs intérêts. C’est pourquoi la belle idée d’un “Axe Paris-Berlin-Moscou” vient sans doute trop tard. Troisième tâche : construire une flotte européenne dotée de porte-avions. Quatrième tâche : lancer un système satellitaire européen, afin que l’Europe puisse enfin disposer d’une arme pour mener tout à la fois les guerres militaires et les guerres culturelles/cognitives. Ce qui nous conduit à énoncer le point 5.
    ♦ Point 5 : Combattre le réseau ÉCHELON
    En tant que système d’observation et d’espionnage au service de la Grande-Bretagne, de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis, ÉCHELON est une arme dirigée contre l’Europe, la Russie, l’Inde, la Chine et le Japon. Il incarne l’idée dangereuse d’une surveillance totale, comme l’avaient prédite Orwell et Foucault. La pratique américaine et anglo-saxonne d’une surveillance aussi ubiquitaire doit être contrée et combattue par toutes les autres puissances du monde qui en font l’objet. Elle ne peut l’être que par la constitution d’un système équivalent, fruit d’une étroite coopération entre la Russie, l’Europe, l’Inde, la Chine et le Japon. Si ÉCHELON n’est plus le seul et unique système de ce type, les puissances de la grande masse continentale eurasiatique pourront apporter leur réponse culturelle, militaire et économique. En ÉCHELON, en effet, fusionnent les opérations culturelles, économiques et militaires qui sont menées partout dans le monde aujourd’hui. La réponse à y apporter réside bel et bien dans la constitution d’un “Euro-Space” en liaison avec le savoir-faire russe accumulé depuis le lancement du premier spoutnik à la fin des années 50
    ♦ Point 6 : Pour une politique énergétique indépendante
    Pour ce qui concerne la politique énergétique, la voie à suivre est celle de la diversification maximale des sources d’énergie, comme De Gaulle l’avait amorcée en France dans les années 60, lorsqu’il entendait prendre ses distances par rapport à l’Amérique et à l’OTAN. Le Bureau du Plan français voulait à l’époque exploiter toutes les sources d’énergie possibles : éoliennes, solaires, marémotrices, hydrauliques, sans pour autant exclure le pétrole et le nucléaire. La diversification permet de se dégager d’une dépendance trop étroite à l’endroit d’une source d’énergie unique et/ou exclusive. Aujourd’hui, cette politique de diversification reste valable. Ce qui n’exclut pas de participer à un vaste projet de développement des oléoducs et gazoducs eurasiens, de concert avec la Russie, la Chine, les Corées et le Japon. L’objectif majeur est de se dégager de la dépendance à l’égard du pétrole saoudien et, par ricochet, des sources pétrolières contrôlées par les États-Unis.
    Ces 6 points ne pourront jamais être réalisés par le personnel politique actuel. Ceci n’est pas une conclusion qui m’est personnelle, fruit d’une aigreur à l’endroit de l’établissement politique dominant. L’analyse, qui conclut à cette incompétence générale du personnel politique établi, existe déjà, coulée dans des ouvrages de référence, solidement charpentés. Ils constituent une source inépuisable d’idées politiques nouvelles, de programmes réalisables. Erwin Scheuch, Hans-Herbert von Arnim, Konrad Adam, la tradition anti-partitocratique italienne, l’œuvre d’un Roberto Michels, critique des oligarchies, l’œuvre de l’ancien ministre de Franco, Gonzalo Fernandez de la Mora, nous livrent les concepts de combat nécessaires pour déployer une critique offensive et générale des partitocraties et des “cliques” (Scheuch) en place. Cette critique doit contraindre à terme les “élites sans projet” à laisser le terrain à de nouvelles élites, capable d’apporter les vraies réponses aux problèmes contemporains. Pour finir, il me paraît utile de méditer une opinion émise jadis par A. Moeller van den Bruck, qui disait que la politique partisane (la partitocratie) était un mal, parce que les partis s’emparent de l’appareil d’État, alors que celui-ci devrait en théorie appartenir à tous; ainsi s’instaure, dit Moeller van den Bruck, un “filtre” entre le peuple réel et le monde de la politique, qui détruit toute immédiateté entre gouvernés et gouvernants.
    Seule cette immédiateté, postulée par Moeller van den Bruck, fonde la véritable démocratie, qui ne peut être que populiste et organique. S’il n’y a ni populisme ni organicité en permanence, l’État dégénère en une institution rigide et purement formelle, inorganique et dévitalisée.
    Cette grande idée de l’immédiateté dans le politique pur permet de réaliser de véritables projets et de démasquer les messages idéologiques qui nous conduisent sur de fausses routes. C’est à la restauration de cette immédiateté que nous entendons œuvrer.
    ► Robert Steuckers, Forest-Flotzenberg / Friedrichsroda (Thüringen), avril 2004 / VOULOIR. http://vouloir.hautetfort.com/
    ◘ Notes :
    (*) Original allemand : R. Steuckers, « Europa der Völker statt US-Globalisierung », in Veröffentlichungen der Gesellschaft für Freie Publizistik, XX. Kongress-Protokoll 2004, Die Neue Achse : Europas Chancen gegen Amerika, Gesellschaft für Freie Publizistik e. V., Oberboihingen, 2004. Ont également participé à ce Congrès, Dr. Rolf Kosiek, Dr. Dr. Volkmar Weiss, Dr. Walter Post, Prof. Dr. Wjatscheslaw Daschitschew [Viatcheslav Dachitchev], Harald Neubauer, Dr. Pierre Krebs, Dr. Gert Sudholt.
    (**) Le mot grec oïkos est de même racine indo-européenne que le latin vicus, signifiant “village”, soit un site bien circonscrit dans l’espace. Le terme latin vicus a donné le néerlandais wijk (quartier) et le suffixe onomastique anglais “-wich”, comme dans “Greenwich”, par ex., qui donnerait “Groenwijk” en néerlandais. Le son “w” ou “v” ayant disparu dans le grec classique et s’étant maintenu dans les langues latines et germaniques, la forme originale est “[w/v]oikos”, où l’on reconnaît les 2 consonnes, inamovibles, tandis que les voyelles varient. Le “k” est devenu “tch” en anglais, selon les mêmes règles phonétiques qui ont donné le passage de castellum (latin) à castel (vieux français), à “cateau” ou “casteau” (picard), à “château” (français moderne) ; ou encore le passage de “canis” (latin) à “ki” (picard du Borinage) puis à “chien” (français moderne) et à “tché” (wallon de Liège). De “tché”, on passe ensuite au domaine germanique où bon nombre de “k” latins ont donné un “h” aspiré, en passant par le son intermédiaire écrit “ch” en néerlandais et en allemand (exemple : “canis”/ “hond/Hund”; “cervus”/ “cerf” / “hert”/”Hirsch”, etc.). Les noms de peuples suivent aussi la même règle : les “Chattes” de l’Antiquité sont devenus les “Hessois” (“Hessen”) d’aujourd’hui, en tenant compte que le “t” se transforme en double “s”, selon les règles des mutations consonantiques, propres aux langues germaniques continentales.

  • Joseph Fadelle : « Il faut apprendre à aimer la France! »

    Son ouvrage, le prix à payer, est à ce jour traduit dans une dizaine de langues, dont l’arabe. Joseph continue ses tournées et ses conférences. Il part dans quelques semaines en Jordanie, au Liban, et en Israël, pour donner son témoignage. Il espère un jour pouvoir raconter son histoire dans son pays natal, ou au moins dans le nord, au Kurdistan.
    A ce jour, il vit toujours en France avec sa femme et ses quatre enfants, qu’il élève dans « l’amour de la France qui lui a tant donné ». Cet amour-là est pour lui la base, le ciment de la société française. Témoignage d’un réfugié sur l’amour de son pays d’accueil.

    Pourquoi cette injonction d’aimer la France ?

    J’aime reprendre ce que disait feu le patriarche Chenouda aux Egyptiens : « l’Egypte n’est pas un pays dans lequel on vit, mais c’est l’Egypte qui vit en nous ». Ces mots, je souhaite les adresser à tous ceux qui vivent en France, qu’ils en soient citoyens ou non. Il faut faire en sorte que la France vive en nous. C’est particulièrement vrai pour les hommes politiques. Cet amour peut résoudre beaucoup de problèmes actuels. Il faut être reconnaissant envers la France. Moi le premier, je lui suis infiniment reconnaissant de tout ce qu’elle m’a donné. Sans la reconnaissance qui s’incarne dans l’amour, on ne peut pas être citoyen d’une nation.

    Pensez-vous qu’aujourd’hui, il y ait un « déficit » d’amour envers la France ?

    Oui, je rencontre des gens nés en France, dont les parents sont nés en France, et qui n’aiment pas la France. Mais ils y vivent parce que la France leur offre ce que nul autre pays au monde ne peut leur offrir. La France m’a accueilli quand aucun pays ne voulait de moi. Elle m’a fait sentir que j’étais un enfant du pays. Elle m’a tout donné. Ce manque d’amour nous conduit à la perte.

    Comment expliquez-vous cela ?

    On ne peut rien construire si on n’aime pas la France. C’est aux parents de transmettre cet amour, par leur éducation. Et les écoles doivent enseigner le patriotisme et la citoyenneté. Qu’apprend-on aujourd’hui aux petits Français ? A gagner de l’argent et à penser à leur petit confort personnel. « Il faut consommer au maximum ! », leur inculque la société. Cela les éloigne d’un vrai amour de leur pays. Que sera la France si elle continue à combattre l’Amour, et à prôner le matérialisme, l’individualisme, l’égoïsme. ?

    La religion peut-elle être un frein à ce sentiment ?

    Absolument pas ! Au contraire. Mais il faut être extrêmement vigilant. Le problème naît quand la charia est mise au dessus des lois de la République. La France est responsable de l’intégration des étrangers qu’elle accueille et à qui elle offre la nationalité. Une grande communauté de réfugiés chaldéens vit près de Sarcelles, en banlieue parisienne. A l’école primaire Albert Camus, une école publique de la République Française, une institutrice à donné des devoirs sur des extraits du Coran, en dehors de tout programme officiel. Des gens sont venus distribuer des exemplaires du Coran aux élèves. Résultat des courses, on a vu des petits chaldéens rentrer chez eux et demander à leur mère si ce qu’elle leur servait à table était halal. Comment la France peut-elle fermer les yeux là-dessus ?

    Comment analysez-vous l’arrivée en France, depuis plus de 60 ans, d’une nombreuse population musulmane ?

    La présence de tant de musulmans en France doit être considérée comme providentielle. Il me semble que c’est l’occasion pour les Français d’être réveillés et de prendre conscience du trésor qu’ils ont, de les éveiller à leur responsabilité d’évangélisateurs. Il n’y en a pas assez ! Les Français sont endormis dans un sommeil qui semble se prolonger, de sorte que c’est la situation inverse qui se produit. Beaucoup ont peur de heurter leurs interlocuteurs. Mais on peut très bien parler du Christ sans blesser ! Il faut un enracinement dans la foi chrétienne. Est-ce que le Christ est tout pour moi ou est-ce qu’il est à la marge ? La France a grand besoin d’ouvriers, parce que « la moisson est abondante ». L’évangélisation n’est pas une option ! C’est le devoir de tout chrétien. Saint Paul n’est pas rentré chez lui vivre sa foi dans le confort et le calme.

    Comment initier un vrai dialogue avec un musulman ?

    Il faut commencer par l’aimer ! Ensuite tout dépend du stade dans lequel il se trouve par rapport à sa connaissance de l’Islam et du Coran. Souvent je commence par poser des questions sur l’origine du Coran. Ensuite je les questionne sur tous les versets qui invitent à tuer, à voler, à commettre l’adultère, tous ces versets que la nature humaine ne peut pas admettre. Nous avons le projet de construction d’un centre, le centre Fatima, qui accueillerait des personnes pour leur apprendre les éléments de base d’un vrai dialogue avec les musulmans. Il ne faut pas avoir peur ! Mais il faut être bien formé. Ce centre se situera à quelques kilomètres de Chartres.

    Connaissez-vous beaucoup de cas de musulmans qui, en France, souhaitent se convertir au christianisme et qui en sont empêchés pour des raisons familiales ou sociales ?

    Il y a beaucoup de cas de musulmans en France, qui se convertissent au christianisme ; ils sont nombreux à rencontrer des obstacles. L’idée de se voir obligé de couper tout lien avec la famille leur coûte et les fait réfléchir, c’est un frein. Beaucoup vont vivre intérieurement et secrètement leur conversion et leur foi chrétienne, de peur de perdre leur famille. Ils continueront à vivre socialement comme musulmans. D’autres vont interrompre tout contact avec leur famille avant d’embrasser le christianisme en recevant le baptême. J’ai accompagné et j’accompagne toujours des musulmans les aidant et les encourageant à comprendre le Coran, à oser chercher la vérité. Je les invite à découvrir l’amour de Dieu le Père. A l’issu de mes conférences-témoignages, je reçois des confidences de la part de musulmans qui se posent des véritables questions, tout en exprimant une peur face à la recherche de la vérité. Mais la vérité libère, la vérité rassure, la vérité est précieuse, encore plus précieuse que les liens familiaux humains.

    Vous témoignez aujourd’hui à visage découvert. N’avez-vous pas peur des conséquences ?

    Mon père spirituel m’a accordé l’autorisation de témoigner à visage découvert, ce que je demandais depuis longtemps. J’ai survécu à la torture, à la persécution et j’ai échappé plusieurs fois à la mort. On a tiré sur moi à bout portant. Le Christ m’a protégé et aujourd’hui je suis vivant pour témoigner de son Amour et annoncer l’Evangile. Je n’ai pas peur, ma force vient du Christ ! Je suis bien conscient du danger encouru par tout converti quittant l’islam. Et je n’ai aucun doute, je serai tué par un musulman, qui appliquera la charia. Nous savons bien que l’Eglise vit par le sang des martyrs, et si un jour le Seigneur m’accorde la grâce du martyr, je suis prêt. Sa volonté triomphera face à la mort.

    Propos recueillis par Raphaelle Villemain pour aed-france

    Si vous souhaitez écrire à Joseph, adressez votre courrier à l’AED.
    AED
    Service information – à l’attention de Joseph Fadelle
    29 rue du Louvre
    78 750 Mareil-Marly

  • L’enseignement supérieur en faillite

     

     
    L’université française naît au XIIIe siècle, sur l’initiative des princes, comme d’ailleurs dans tout le reste de l’Europe, d’abord à Paris, Montpellier, Toulouse puis Avignon et Orléans. Son rôle, dès l’origine, est politique, comme en témoigne le chancelier de l’Université de Paris, Jean Gerson, dans un discours prononcé devant la cour en 1405 : « L’office de la fille du roi [i. e. l’université de Paris] est de traiter et d’enseigner vérité et justice […] Et si d’aucuns disent de quoi se veut-elle entremettre et mêler ? Qu’elle s’occupe à étudier et regarder ses livres ! […] Que dirait tout le bon peuple de France, que l’université exhorte tous les jours à l’obéissance au roi et aux seigneurs, si elle ne disait tout aussi bien que le roi doit se comporter avec bonté, justice et raison envers son peuple ? […] Mais enfin, l’université ne représente-t-elle pas tout le royaume de France, voire tout le monde, en tant que toutes parts lui viennent ou peuvent venir des étudiants pour acquérir sagesse et savoir ? »
    L’université royale a l’ambition d’enseigner les vertus morales et et intellectuelles nécessaires à l’excellence humaine. Elle n’est pas simplement le conseiller du prince, mais aussi un accès à l’universel, tout en occupant une fonction représentative du peuple français dans son entier. Le peuple français, dans ce qu’il a de meilleur, serions-nous tenté d’ajouter.
    Vertu et ascension sociale
    Aujourd’hui, son rôle d’éducation à la vertu, son ouverture sur l’universel comme sa fonction représentative semblent s’être effacés. Seule demeure sa dépendance avec le pouvoir politique, qui, au cours de l’histoire moderne, lui a assigné de nouveaux rôles et de nouvelles finalités.
    Sa démocratisation, qui s’est accélérée avec la Troisième République et les réformes universitaires de l’après mai 1968, lui ont amalgamé un ferment égalitaire. L’enseignement supérieur devait désormais servir d’ascenseur social aux citoyens. Les préoccupations pédagogiques de la communauté enseignante s’en sont trouvées bouleversées, puisqu’au souci de formation s’ajouta celui de l’insertion professionnelle.
    Jusqu’au moment de l’après-guerre, même la république considérait que seuls ses meilleurs citoyens avaient droit au meilleur des enseignements. L’« élitisme républicain », comme le rappelle Marc Fumaroli, sélectionnait parmi les petits Français les plus aptes à suivre de longues études abstraites. Léon Daudet, alors député, ne répugnait pas à défendre en assemblée les humanités classiques, comme le seul aspect du régime qui trouvait grâce à ses yeux.
    L’idéologie égalitaire
    Advint la Seconde Guerre mondiale, puis le triomphe idéologique de l’égalitarisme porté par la gauche comme par une droite vaincue dans les idées. Le collège unique, la fin de la sélection à l’école, la dévalorisation des filières technologiques, les réformes Haby, Langevin Wallon précédèrent la massification de l’enseignement supérieur. Les différents rôles assignés à l’université à la veille de Mai 1968 ne pouvaient plus être endossés : l’explosion des effectifs demandait une réforme, les idéologues firent primer son rôle social sur le contenu des enseignements.
    Pour éviter d’envoyer les citoyens à l’usine, on poussa les français dans l’enseignement supérieur. Pour qu’ils en ressortissent diplômés, on abaissa les exigences universitaires, et supprima (officiellement) la sélection à l’entrée des facs. Pour donner à chacun sa chance d’entrer à l’université, on multiplia ses antennes à travers la France, sans trop se soucier de la compétence de ses enseignants.
    Toutefois, pour paraphraser Lénine, les faits sont têtus, et les filières d’excellence se recréèrent à l’extérieur de l’université, au sein des prépas et des grandes écoles. L’inégalité sociale n’a pas été évité, puisque ces filières sélectives ne s’adressent qu’aux meilleurs, et qu’aux familles assez socialement et culturellement favorisées. La compétition entre les universités n’a jamais ralenti, et personne n’a jamais cru qu’un diplôme délivré en Sorbonne valait la même chose qu’un diplôme délivré à l’université d’Amiens ou du Littoral.
    La croisée des chemins
    Nous vivons une nouvelle phase de transformation de l’enseignement supérieur, qui correspond à l’effondrement de la période de glaciation égalitariste de l’après-guerre. L’ambition égalitariste, qui cherchait à donner à tous la possibilité d’entrer dans l’enseignement supérieur et d’en sortir diplômé, est un échec retentissant. Les années d’études ont progressé, mais le niveau a chuté de manière vertigineuse. Nos universités, hier reconnues dans l’Europe et dans le monde, sont désormais déconsidérées au profit de leurs concurrentes anglo-saxonnes. La concurrence se fait plus rude à cause de la mondialisation : les universités françaises ne sont plus en concurrence entre elles, mais avec Harvard, Yale, Cambridge ou Nankin.
    Ce changement de climat général a un effet positif, il remet à l’ordre du jour la question de l’autonomie de l’université, que l’Action française a toujours défendue, et un effet négatif : les politiques sont tentés d’aligner les finalités de l’université sur les standards du marché.
    Les ambitions sarkozistes
    La réforme de l’enseignement supérieur impulsée par Nicolas Sarkozy se conçoit sur cet arrière plan historique. Elle retient la priorité du rôle social de l’université, puisque l’enseignement supérieur doit d’abord conduire à l’emploi et la qualification professionnelle *, mais ne dit rien sur son rôle moral et politique d’éducation civique. Toutefois, l’ambitieuse réforme Sarkozy-Pécresse n’a pas été prise en compte significativement dans le budget 2008, ce qui laisse planer le doute sur les réelles ambitions du gouvernement. Il est à craindre qu’une fois de plus, nos élites démocratiques préfèrent une réforme cosmétique qui ne dérange pas les conservatismes syndicaux et institutionnels à l’avenir du peuple français en son entier.
    Agathe T. BLOUSE L’Action Française 2000 du 1 er au 14 novembre 2007
    * Comme il a pu l’expliquer par exemple lors de la convention de l’UMP sur la recherche et l’enseignement supérieur le 4 octobre 2006.