Suscités par l'Église, des mouvements de paix se développent au Xe siècle, donnant lieu à des assemblées, jusqu'à gagner la cour un 25 décembre – il y a mille ans !
Cette année-là, la vingt-quatrième de son règne, Robert II, trente-huit ans, s'appliquait, avec l'aide des évêques, à moraliser la guerre. Ce n'était pas une mince affaire en une époque de féodalité aussi violente, où l'État manquait de moyens pour imposer sa force. Nous avons déjà vu le fils d'Hugues Capet, désigné comme le Pieux, s'imposer en modèle de sainteté, menant une vie humble de prière, bien qu'affublé d'une épouse légère et vaniteuse, Constance d'Arles, fille de Guillaume Taillefer, comte de Provence, avec laquelle il vivait son purgatoire sur terre, après avoir trop laissé parler son coeur tumultueux...
Souvenir d'enfance
Dès son enfance, le roi avait entendu parler des mouvements de paix, qui, conformément à la loi de l'Église, se préoccupaient de ces souillures qu'étaient l'homicide et la violation des lieux consacrés. Les premiers signes de la "paix de Dieu" étaient apparus dans les montagnes auvergnates lors du plaid de Clermont (958) ; nourri d'idéaux déjà formulés par l'Église carolingienne, il demanda aux prélats du centre de la Gaule (Auvergne, Velay, Limousin...) de tenter de rétablir « la paix qui vaut mieux que tout ». Puis une assemblée tenue à Aurillac en 972 fut organisée par l'évêque Étienne II de Clermont avec ses collègues de Cahors et Périgueux ; on parla de contraindre par les armes ceux qui ne voudraient pas jurer la paix. Puis en 989 on se réunit à Charroux (Poitou) à l'initiative de Gombaud, archevêque de Bordeaux, en 990 à Narbonne, en 994 au Puy, où l'on définit la paix comme une condition du salut de l'âme.
C'est le 25 décembre 1010 - il y a mille ans – que le mouvement gagna la cour de Robert II le Pieux qui tint sa première assemblée à Orléans ; « Ô foule des pauvres, rends grâce au Dieu tout puissant. Honore-le de tes louanges car Il a remis dans la voie droite ce siècle condamné au vice », écrivit alors Fulbert, le très enthousiaste évêque de Chartres... L'abbaye de Cluny prit en main le mouvement et organisa un concile à Verdun-sur-le-Doubs en présence, semble-t-il, du roi lui-même, où l'on proposa la protection des chevaliers observant le Carême. Mais il revint à Robert de multiplier les assemblées : Compiègne (1023), Ivois (1023), Héry (1024). Certes les violences continuèrent sous le règne de Robert, mais au moins admettait-on qu'elles eussent des limites et qu'il existât des arrangements.
Une oeuvre de paix
Pour contraindre les récalcitrants, l'Église s'efforçait de revaloriser les tractations et le recours à la justice. On cherchait, par exemple, à régler les contentieux par la concertation et le dialogue, et à accroître la juridiction de l'évêque. À ceux qui observaient les préceptes édictés, les évêques accordaient l'absolution de leurs péchés et la bénédiction éternelle, mais ils lançaient des malédictions et des excommunications contre ceux qui refusaient d'obéir, qui contestaient les propriétés ecclésiastiques ou qui violentaient les terres des gens sans armes. L'Église usait principalement de l'anathème, de l'excommunication ou encore de l'interdit : privation d'offices religieux, de sépulture en terre sacrée, de sacrements. Ces malédictions n'étaient que provisoires, le but étant d'amener les fautifs devant la justice. En dernier recours, l'Église pouvait même faire usage de la force armée, ce qui donna l'occasion à certains d'utiliser la paix de Dieu comme moyen de pression pour faire plier un adversaire...
Le synode d'Elne instaure la Trève de Dieu
Bien du chemin restait à accomplir pour en arriver au synode d'Elne en 1027, qui mit en valeur la notion de Trève de Dieu, avec sanctions contre ceux qui feraient la guerre le dimanche, les jours de fêtes liturgiques ou pendant le Carême. Il allait falloir pour cela que le pouvoir temporel du roi se fût affermi, mais déjà Robert, par sa façon de gouverner, angélique sans être le moins du monde laxiste, avait réalisé les conditions de ce chef-d'oeuvre de la civilisation chrétienne.
Remarquons que la paix de Dieu n'alla nullement contre l'ordre social du temps. La féodalité s'en trouva renforcée et ennoblie, prenant l'habitude de concourir au bien commun, plus que liquider par des guerres ses haines particulières ; les liens sociaux se resserrèrent. On a ici le spectacle de ce qu'admire Maurras dans L'Église de l'Ordre : « Puisque le système du monde veut que les plus sérieuses garanties de tous les droits des humbles ou leurs plus sûres chances de bien et de salut soient liées au salut et au bien des puissants ; l'Église n'encombre pas cette vérité de contestations superflues. S'il y a des puissants féroces, elle les adoucit pour que le bien de la puissance qui est en eux donne tous ses fruits ; s'ils sont bons, elle fortifie leur autorité en l'utilisant pour ses vues loin d'en relâcher la précieuse consistance. » C'est ainsi que se forgea le société française au long des âges.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 n° 2807 – Du 16 décembre 2010 au 5 janvier 2011
culture et histoire - Page 1948
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1010 : L'Église et le roi
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Documentaire La legende du roi Arthur french
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Michel Serres et la Sainte Famille
Michel Serres est bel et bien marié. Avec les médias. On l’entend, on le lit, on sait quoi penser. Il est doué pour la séduction orale, à défaut de pénétrer profondément des réalités qui, visiblement, le dépassent. A France-info, sa voix primesautière, qui emmielle des truismes de salles de rédaction, mime l’improvisation un brin joviale avec un je-ne-sais-quoi de causticité, qui laisse l’auditeur pantois, et de toute façon, coi. Le gai savoir ! Comment voulez-vous être contre ? C’est tellement frappé du bon sens que vous avez l’impression de l’inventer à mesure que ça jacule pétillant du poste, comme du champagne. On en rirait de plaisir.
Avec lui, c’est sûr, l’époque est formidable. Un esprit sain, ce Michel.
L’un de mes amis m’a mis sous les yeux un entretien qui date un peu, du 24 octobre 2012, dans la Dépêche du Midi, mais qui n’est pas sans intérêt dans ce temps de manifs qui s’époumonent en revendications matrimoniales. Voilà enfin un débat qui nous projette au cœur de l’existence humaine ! Je rêve de rassemblements qui soutiendront les droits de l’Esprit saint, avant l’arrivée des Cosaques !
Mais avant ce feu d’artifice final, nous prendrons le temps de savourer, en esthètes de la fin des temps, les sophismes burlesques de celui qui, le 18 septembre dernier, sur sa fréquence radio préférée, soutenait que la bande dessinée Astérix faisait un « éloge du fascisme et du nazisme » ; car, voyez-vous, « tous, absolument tous les problèmes se résolvent toujours à coups de poing ». A coups de menhirs et d’huile de ricin, ajouterions-nous. Il est vrai que les démocraties occidentales préfèrent brandir des bouquets de roses pour convaincre les adversaires du Bien… Qu’aurait dit alors notre Tirésias du micro, s’il avait connu, par divination, les dérives poutinophiles de notre Gérard Obélix ? Bon sang ! mais c’est bien sûr ! aurait-il susurré…
Donc, dépêchons-nous d'étudier de près notre florilège de « tabous » brisés, cette brochette de pétards mouillés, dialogue «décomplexé » paru l’an dernier dans le journal célèbre de Toulouse. Un sommet du prêt-à-penser. Car dans sa novlangue fraîche comme un déchet recyclé, l’interviouveur n’hésite pas à y qualifier notre penseur des micros de « philosophe de renommée planétaire ». Ni plus, ni moins.
Première fusée : il y aurait trois grandes transformations. La première, vers 1000 avant J.C., qui aurait vu le passage de la parole à l’écrit ; puis celle de la Renaissance, qui aurait provoqué la transition de l’écrit à l’imprimerie ; et enfin la troisième, sous nos yeux, qui marginalise le livre en optant pour l’écran. Bon, c’est du McLuhan. Pas de quoi fouetter un masochiste gay prideur. Est-ce un bien ?Est-ce un mal ? Notre moderniste frénétique ne s’en désole point. Au contraire. Il vomit son mépris des « vieux », ces cons, qui devraient prendre leur retraite, et laisser la place aux « jeunes ». Ils ne comprennent rien, les antédiluviens, les décrépits qui vantent le passé, les hors service usagés qui oublient qu’on n’avait pas toutes ces merveilles de technologie, à cette époque, comme disent les mômes des escoles à qui on bassine l’espérance de vie ridiculement basse de nos ancêtres, la dégradation des corps (les femmes, plus du tout baisables à trente ans ! horreur !), la saleté etc. C’était l’enfer, quoi ! A côté du Paradis qu’on nous mitonne, sous nos yeux, l’immortalité à portée de scalpel, la jeunesse éternelle appliquée sur les joues, et surtout la sexualité pour tous, de neuf à quatre-vingt-dix-neuf ans ! Question conscience – de ce que l’on est, de ce qu’est le monde, des finalités de l’existence, c’est autre chose. Malheureusement, nous n’avons plus des Balzac, des Stendhal, des Flaubert pour démonter la stupidité moderne. Car l’évolution, ce que notre chercheur nomme le « progrès », ne s’est pas forcément effectuée dans le bon sens. Platon, il y a fort longtemps, se désolait déjà que la mémoire individuelle, la transmission des traditions, la compréhension intime des textes, avaient perdu en quantité, et surtout en qualité, avec leur transcription sur le papyrus ou la pierre, translation froide, figée, quasi morte, niant la souplesse de l’invention orale et le travail de la mémoire vivante. Plus tard, le passage du manuscrit à l’imprimerie a démocratisé les idées, et en les diffusant, les a transformées en armes idéologiques en même temps qu’elles perdaient de leur profondeur, de leurs nuances et finesses. Et maintenant, qui soutiendra que la machine nous ait rendus plus intelligents, plus sensibles et plus sociaux, malgré les réseaux ?
Il est vrai qu’avant, on mourait jeune, on était crasseux et con, et on ne savait pas se servir de facebook.
Deuxième fusée : « […] le darwinisme social, cette horreur, a engendré le fascisme, le nazisme, le stalinisme. » Etrange, je croyais qu’il avait donné naissance à cette bête immonde et féconde qu’est le libéralisme. Notre thuriféraire du présent préfère louer, de façon assez confuse, la « laïcité économique ». Car, « là où la laïcité n’existe pas, c’est la violence tous les jours ». Eh oui. Les Etats-Unis ne sont pas laïques, ni la France d’ailleurs, où règne une paix enviable. Mais au fait… qu’est la violence ? La vie quotidienne de nos concitoyens, des chômeurs, des employés soumis à toutes les pressions, le labeur précaire des gens d’en bas, que les pouvoirs publics laissent tomber, sont-ils si quiets, si exempts d’inhumanité ? Les arcanes du postmodernisme me seront à jamais fermées. Mais attention ! Ne croyez tout de même pas que notre professeur soit un nanti ! Il serait même un peu rebelle, le bougre, comme nous le fait remarquer son faire-valoir d’en face, qui note son « franc-parler bien gascon. » Gascon ? Boudu ! Vous allez voir ce que vous allez voir ! Je livre ce cri comme il l’est, et tant pis pour les cœurs tièdes et délicats : « La crise financière du casino de la bourse, mais c’est de la merde ! ». Vous avez remarqué ce relâchement de langage, qui dénote une vraie colère, sincère, profonde, sentie et vécue, de la rebellitude authentique. On croirait du Hollande, le candidat, avant qu’il ne se rende à la City.
Troisième fusée : Le Bien de maintenant mord aux talons le Bien d’hier. Cela a commencé avec les Nouveaux Philosophes, dans les années 70, BHL & Co, au nom de la lutte contre le « totalitarisme » et le « Goulag ». Notre homme de cœur déteste le Mal, et particulièrement sa bête noire (ou rouge), Sartre, que Céline avait étrillé en son temps. Il est vrai qu’il est mort, et que c’est plus facile de s’en prendre à lui, plutôt qu’à BHL et sa clique. Moins risqué. Que reproche-t-il à l’agité du bocal ? « Au nom de la ligne du parti, Sartre a couvert les horreurs du stalinisme. Idem pour Michel Foucault et l’ayatollah Khomeyni. ». Sauf que Sartre et Foucault étaient quand même d’une autre trempe, et que l’autoritarisme stalinien et chiite est, de loin, beaucoup moins pervers, empoisonné, roublard, perfide, et, disons-le, totalitaire, que cette société lisse du Meilleur des Mondes qui vous étouffe et vous crève en vous couvrant de caresses et de baisers sirupeux censés pour rendre la vie heureuse comme celle d’un fœtus dans une fosse septique. Comment être contre un Bien si gai ? Il est bien plaisant, au demeurant, de voir notre génie planétaire cracher dans une soupe qu’on a tellement réchauffée qu’elle en est devenue cette pâte épaisse et poisseuse, assaisonnée de moraline, qui sert à boucler la bouche des malheureux qui osent contester l’Ordre établi. Car qui a contribué magistralement à badigeonner les intelligences de cette morale antimorale, de cette sacralité transgressive, de ce credo petit bourgois, devenu dogmes pour bobos, qui vrillent dans les crânes les certitudes édifiantes de grand parc d’attraction contemporain gouverné par les démolisseurs et les apprentis sorciers qui sont les disciples zélés, justement, de Sartre, de Foucault, de Beauvoir ?
Nous arrivons enfin à la dernière fusée, la plus puante : l’Eglise en prend pour son catéchisme !
Je reproduis la démonstration du bon apôtre :
« Depuis le 1er siècle après Jésus-Christ, le modèle familial, c'est celui de l'église, c'est la Sainte Famille.
Mais examinons la Sainte Famille. Dans la Sainte Famille, le père n'est pas le père : Joseph n'est pas le père de Jésus. Le fils n'est pas le fils : Jésus est le fils de Dieu, pas de Joseph. Joseph, lui, n'a jamais fait l'amour avec sa femme. Quant à la mère, elle est bien la mère mais elle est vierge. La Sainte Famille, c'est ce que Levi-Strauss appellerait la structure élémentaire de la parenté. Une structure qui rompt complètement avec la généalogie antique, basée jusque-là sur la filiation : on est juif par la mère. Il y a trois types de filiation : la filiation naturelle, la reconnaissance de paternité et l'adoption. Dans la Sainte Famille, on fait l'impasse tout à la fois sur la filiation naturelle et sur la reconnaissance pour ne garder que l'adoption.
L'église donc, depuis l'Evangile selon Saint-Luc, pose comme modèle de la famille une structure élémentaire fondée sur l'adoption : il ne s'agit plus d'enfanter mais de se choisir. à tel point que nous ne sommes parents, vous ne serez parents, père et mère, que si vous dites à votre enfant «je t'ai choisi», «je t'adopte car je t'aime», «c'est toi que j'ai voulu». Et réciproquement : l'enfant choisit aussi ses parents parce qu'il les aime.
De sorte que pour moi, la position de l'église sur ce sujet du mariage homosexuel est parfaitement mystérieuse : ce problème est réglé depuis près de 2 000 ans. Je conseille à toute la hiérarchie catholique de relire l'Evangile selon Saint-Luc ».
C’est ce qui s’appelle renvoyer dans les cordes! Evêques, retournez à vos chères études !
Historiquement, le mariage chrétien, si je rassemble mes souvenirs, ne s’est imposé socialement, et encore !, qu’à partir de Constantin, c’est-à-dire dans la première partie du quatrième siècle. Le mariage, dans la société romaine, est une affaire privée. Les chrétiens en faisaient un enjeu hautement religieux. Constantin conseilla de le lier à l’office civil. Les disciples de Jésus ne constituaient, à cette époque, que 15% de la population. Saint Augustin lui-même, avant qu’il ne devînt chrétien, vécut en concubinage de nombreuses années, et eut un fils. Le mariage per usus, c’est-à-dire par cohabitation, était fréquent. L’Eglise adopta la forme la plus aristocratique du mariage romain, la confarreatio. Il existait une autre forme d’union, la coemptio, qui s’effectuait selon une fiction convenue d’achat symbolique. Quoi qu’il en soit, le christianisme conféra à l’union conjugale une dimension religieuse, déjà présente dans le mariage patricien des origines (selon le legs indo-européen, que l’on peut observer presque à l’état pur dans le mariage hindou), mais avec une charge émotionnelle que n’avait pas le modèle latin. Le serment de fidélité, par exemple, engageait dès les noces, et rendait indéfectible le mariage qui s’était conclu sous le regard d’un Dieu jaloux. C’est pourquoi le mariage devint, en même temps que sacrement, par analogie et la grâce du Cantique des Cantiques, le symbole même de la foi liant l’Eglise à Dieu.
On se demande, en passant, par quelle espèce d’extrapolation, Serres parvient à associer la Sainte Famille à un couple homosexuel. A moins que Marie ne se soit, en vérité, appelée Mario… Le Nouvel Evangile aurait eu alors la prescience des grandes avancées de l’humanité, qui nous promettent des gestations paternelles, et probablement aussi le droit à l’avortement pour les hommes attentifs à la liberté de leur corps. Toujours est-il que sa tentative simplette de réduire le mystère de l’incarnation à un modèle homocompatible, outre qu’elle est tristement significative d’un temps où les capacités exégétiques se sont singulièrement réduites, pèche par omission. Car il manque, dans son tableau, une personne qui a son importance, et pour cause ! Le Saint Esprit, en effet, donne tout son sens à l’événement décisif pour l’Histoire humaine – si l’on est croyant – , que sont l’Annonciation et l’Incarnation.
En admettant que la sainte Famille représente un modèle pour le chrétien, Serres commet une grave erreur en l’opposant à la famille prônée par la tradition. Il cite saint Luc, mais il aurait pu se référer à saint Marc, qui rapporte les paroles de Jésus : « […] l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font plus qu’un. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. »
Ces paroles insistent davantage sur les relations homme/femme que sur la procréation.
Un autre passage de l’Evangile se rapporte aussi aux liens de famille, justement dans Saint Luc (12, 49-53), mais cette fois-ci pour les mettre en cause : « Jésus disait à ses disciples : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et comme il m’en coûte d’attendre qu’il soit accompli ! Pensez-vous que je sois venu mettre la paix dans le monde ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »
Et dans Matthieu, 12, 46-50 : "Qui est ma mère, et qui sont mes frères ?"
Puis, tendant la main vers ses disciples, il dit :"Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur et une mère."
Jésus était-il un précurseur de Gide ? Un dangereux révolutionnaire ? On avouera que le christianisme est une drôle de religion pour prêcher d’un côté une union sans concessions, et de l’autre la nucléarisation du foyer familial !
Mais avant d’interroger Saint Paul, qui nous permettra d’y voir un peu plus clair, j’aimerais faire un détour par les analyses lumineuses d’un critique d’art, qui s’est éteint récemment, Daniel Arasse. Il nous livre, dans un petit livre de poche (folio essais), Histoires de peintures, un interprétation merveilleusement intelligente et vivante de cinq Annonciations, celles d’Ambrogio Lorenzetti, à Sienne, de Domenico Veneziano, à Cambridge, de Pierro della Francesca, à Pérouse, et surtout celles, au couvent San Marco, de Florence, et de Cortone, de Fra Angelico, dont la dernière a retenu mon attention. Un peintre dominicain comme l’Angelico était un véritable théologien. Je reproduis un passage, à mon sens, significatif, tout en regrettant de ne le faire pour l’ensemble d’une étude inoubliable, qui démontre qu’à l’aube de la Renaissance la haute Tradition n’était pas perdue : « Dans cette Annonciation de Cortone, alors que le point de fuite est latéral, le centre géométrique du tableau est occupé par la porte donnant sur la chambre de la Vierge, très obscure, où tout ce que je peux voir est l’angle d’un lit et le baldaquin rouge du lit de Marie. […] Si l’on fait le plan au sol du lit par rapport au bâtiment, on se rend compte que le lit n’entre pas dans celui-ci. Il est insituable, au-delà du mur du fond, donc il échappe à la règle de la perspective. La perspective mesure le monde ; mais le mystère du corps de la Vierge échappe à toute mesure. C’est le saint des saints, obscure. »
La perspective, c’est la vision à hauteur d’homme, c’est l’univers géométrisé, à portée de regard humain, tel qu’est celui de Michel Serres, arrogant positiviste qui pense mettre le mystère dans une camera oscura pour en tracer les lignes de fuite. La chambre noire, c’est la pensée étriquée d’une époque qui réduit tout à son sexe et à sa rationalité mesquine.
Qu’est-ce que l’Incarnation, sinon l’immixtion de l’absolu dans le relatif, le croisement tranchant de la verticalité sur une horizontalité qui s’étalait sereinement comme un grand corps trop sûr de lui ? L’Incarnation, c’est la mesure hors mesure humaine d’une autre perspective, de celle du divin. La Sainte Famille constitue un modèle, oui, mais par le rappel qu’on ne saurait juger une vie, une union conjugale entre un homme et une femme (modèle sacral de la création humaine des origines) selon les critères biologiques de la procréation, selon même les devoirs de la société. La procréation selon les lois naturelles voulues par Dieu est importante, certes, mais la base de l’humain, pour le christianisme, ce n’est pas strictement le noyau familial, mais la foi, qui inclut tout. « Aime, et fais ce que tu veux », dit Saint Augustin à la suite de l’Evangile.
Etr que l'on n'aille pas dire que l'amour humain suffit pour répondre à cette injonction, une affectivité qui nierait les différences sexuelles. La vocation divine de l'homme est totale, et prend en compte sa nature, sa singularité, et les lois corporelles qui le régissent et qu'il s'agit de sublimer. Le mariage est une eschatologie, mais ancrée dans la réalité du monde, qui a fait que homme et femme soient opposés et complémentaires. Le discours pseudo-chrétien actuel, plein de sensiblerie et d'injonctions fraternitaires, qu'une culture du consensus et de la fusion brandit volontiers pour assommer les récalcitrants, n'est qu'une perversion lexicale et sémantique de la religion ancestrale.
Serres ne l’a pas compris. Il ne pouvait le comprendre, car son fameux progrès lui a fait perdre l’intelligence des choses depuis les origines.
Saint Paul, dans son Epître aux Corinthiens, reprenant le fil d’une Tradition très antique, synthétise les deux royaumes, les deux cités, en offrant une sagesse aux hommes qui ne peuvent se consacrer à l’abstinence, à ce qui constitue quand même le bien suprême, ici-bas, de la condition humaine, pour l’Eglise : la virginité (et cela, Serres omet de le rappeler). Or, Saint Paul propose une tâche exaltante à ceux qui veulent rester dans le Siècle : « …] chacun reçoit de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. » Dans le mariage, la Sainte Famille nous rappelle que nous devons vivre, dans le couple, comme des frères, comme des créatures de Dieu, affrontant ensemble les difficultés, partageant les bonheurs et les malheurs, et le mystère de la vie. C’est tout simplement ce que la tradition hindoue nomme le Dharma, le devoir cosmique qui soutient le monde, et ce que l’Eglise appelle la Charité, qui ne va pas, selon Saint Paul, sans quelque Grâce.
Laquelle manque manifestement à Michel Serres.Claude Bourrinet http://www.voxnr.com -
Présentation de l'entretien du 7 janvier 2013 sur "la culture de mort" réalisé avec André Frament de l'AFS.
I. Présentation de l'AFS et d'André Frament :
André Frament - Présentation de l'AFS et de sa... par Floriano75011II. La Théorie du « genre » ou « gender » :
André Frament - Théorie du "genre" (avec... par Floriano75011
III. L'homosexualité :
André Frament - Théorie du "genre" (avec... par Floriano75011
IV. L'avortement :
André Frament - Homosexualité (avec Florian... par Floriano75011
IV. L'avortement :
André Frament - Avortement (avec Florian Rouanet) par Floriano75011
V. L'euthanasie :
André Frament - Euthanasie (avec Florian Rouanet) par Floriano75011
VI. La conclusion :
André Frament - Conclusions (avec Florian Rouanet) par Floriano75011Merci Florian
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Les nœuds coulants d’un simulacre de justice
« L’exécution de Saddam Hussein est une faute politique majeure, a écrit avec raison, Robert Badinter… cette exécution précipitée a prévenu une condamnation pour les crimes majeurs contre l’humanité ». En réalité, c’est plutôt un tour de passe-passe qui relève de la haute politique internationale dans la mesure où il escamote les responsabilités occidentales dans bien des comportements reprochés à Saddam Hussein.
A cet égard, la parodie de ce procès a été conduite intelligemment : ne juger le personnage que sur le massacre de quelque 150 villageois à la suite d’un attentat manqué dont Saddam Hussein devait être la cible, affaire strictement irako-irakienne permettant d’écarter toutes les interventions étrangères du passé à commencer par celles de la puissance occupante. Précipiter l’exécution présentait l’avantage de permettre aux dirigeants chiites d’assouvir, à coup sûr, leur vengeance, devançant par exemple un très hypothétique soulèvement populaire (sunnite) qui eût tenté de libérer le Raïs. (Quoique si pareille menace avait été matérialisée les gardiens de Saddam Hussein devaient avoir la consigne de mettre fin à ses jours). Ainsi que le constatait Robert Badinter : … « Jamais Saddam Hussein n’aura été condamné pour ses crimes majeurs contre l’humanité ». C’est qu’il y eut de nombreux « pousse-au-crime » et qu’ils préfèrent demeurer dans l’ombre.
Longue est l’énumération des comportements jugés inadmissibles et des crimes majeurs « reprochés à Saddam Hussein. Essentiellement ceux-ci :
-Violences et meurtres pour affermir son pouvoir-Faire de l’Irak une puissance militaire (Saddam Hussein ayant compris que, riche en énergies fossiles, l’Irak devait avoir les moyens de défendre ses ressources nationales contre les prédateurs).
-Quête d’armements de destruction massive.
-Guerre contre l’Iran.
-Recours aux gaz asphyxiants contre les populations chiites favorables à l’ennemi iranien (massacre d’Halabja en 1988).-Répression implacable du soulèvement chiite au sud de l’Irak (1991) à la suite de l’invasion du Koweït et de l’intervention armée des Etats-Unis et de leurs alliés. -Détournement des fonds fournis par le programme de l’ONU : « Pétrole contre nourriture » ….
Ce réquisitoire incitant à quelques éclaircissements :
A) Un pouvoir assuré par la violence.
C’est dans un milieu où régnaient la trahison et la violence que Saddam Hussein accéda au pouvoir. Il faut rappeler qu’après la victoire des Alliés, en 1918, l’Irak passa de la domination des Turcs à celles des Britanniques, par souverain affidé interposé : le roi Fayçal 1er. Les partisans de l’indépendance, les Kurdes, les Sunnites, les Chiites, les pro-occidentaux et les Communistes, les zélateurs et les adversaires du nassérisme, vont s’affronter en coups d’Etat, émeutes, assassinats, tueries collectives. La Seconde Guerre mondiale ajouta une nouvelle cause de discorde avec l’intervention des Soviétiques soutenant la rébellion kurde.
En 1948, Londres avait imposé à Bagdad la signature du traité de Portsmouth qui confirmait « l’indépendance » de l’Irak mais perpétuait le contrôle de Londres. D’où soulèvement populaire et répression. Durant la décennie 1948-1958 une vingtaine de ministères se sont succédé au pouvoir à Bagdad. Le 14 juillet 1958, la population renversa la monarchie, le premier ministre probritannique Nouri Saïd est assassiné, sa dépouille mise en lambeaux. Meneur de l’insurrection le colonel Aref est arrêté et condamné à mort, le général Kassem croyant régner sans partage. Accédant au pouvoir par le coup d’Etat du 8 février 1963, le parti socialiste bassiste élimina physiquement les opposants. Mais une nouvelle révolution porta Abd Al Salam Aref au pouvoir. Tué dans un « accident » d’hélicoptère, son frère lui succéda. On évoquera par la suite le régime de « bain de sang » des frères Aref.Et c’est en 1968 qu’un autre coup d’Etat porta les officiers bassistes au pouvoir : Al Bakr, Saddam Hussein et le clan des Takriti. Ahmed Hassan al Bakr et Saddam HusseinTel a été le contexte historique. Il explique le comportement de Saddam Hussein persuadé qu’une implacable sévérité peut, seule, maintenir l’unité du pays, la paix intérieure et l’exploitation du profit de l’Irak, de ses ressources naturelles. Le monde occidental, mais aussi l’Union Soviétique et la Chine s’accommodèrent de pareilles ambitions comme des procédés utilisés pour atteindre ses objectifs. C’est qu’il était possible de tirer profit d’une telle politique. Elle ne commença à être critiquable que lorsque Saddam Hussein, faisant preuve d’un nationalisme jugé excessif, décida d’avantager son pays dans le commerce des richesses de son sous-sol.
- Armement (conventionnel de l’Irak).
Consacrant une part importante de la rente pétrolière à l’achat d’armements traditionnels (canons, chars d’assaut, avions, engins offensifs et défensifs) Bagdad attira les démarcheurs de tous les pays ayant une industrie d’armement ou plus modestement, produisant des équipements militaires.
Chronologiquement, l’Union Soviétique figura en tête du palmarès des fournisseurs d’armements. Dès 1958, et pour quelques 25 milliards de dollars, l’URSS équipa la quasi-totalité des nouvelles forces armées irakiennes. (En 1959, un accord de coopérations nucléaires scellait l’entente irako-soviétique, Moscou fournissant un réacteur nucléaire qui serait monté à Tuwaitha, près de Bagdad. En 1978, les Soviétiques portèrent même sa puissance de 2 à 5 mégawatts thermiques).C’est ainsi qu’avec l’URSS et la France, la Chine, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Tchécoslovaquie, l’Espagne, l’Italie, le Brésil et même l’Egypte, conclurent des marchés d’armement avec Bagdad, l’Irak se trouvant en mesure d’aligner 7 Divisions blindées, 6 Divisions de la Garde Républicaine, près de 600 chars d’assaut, 500 hélicoptères de combat, 680 avions de défense et d’attaque.
Outre l’appât du gain et un ravitaillement assuré en pétrole, y avait-il un dessein politique derrière cet empressement à armer l’Irak ? Sans doute créer en milieu arabe – important énergétiquement et stratégiquement – un Etat puissant, capable d’y établir un ordre nouveau, voisin du marxisme, pour l’URSS et affichant un socialisme laïque de bon aloi, pour les Occidentaux. Ainsi, les puissances qui détenaient la force et celles qui entendent dire le droit s’accordaient à armer Bagdad.
C) Quête par l’Irak, d’armes de destruction massive, à commencer par les armes atomiques.
L’Allemagne a fourni à l’Irak les équipements des usines chimiques de Samarra et de Fallujda. Der Spiegel a révélé qu’une firme de Hambourg avait acheminé outillages et produits chimiques destinés à la production de gaz toxique. Près de 90 firmes allemandes ont livré à l’Irak armes et produits chimiques destinés à l’armement. De son côté la Belgique vendit 500 tonnes de thiodiglycol, ingrédient permettant de fabriquer de l’ypérite.En janvier 1980, le Brésil signa un accord de coopération nucléaire –à des fins civiles officiellement – avec l’Irak. Les entreprises brésiliennes Avibras et Orbita avaient étudié les fusées destinées à l’étude de l’atmosphère mais aisément convertibles en missiles balistiques. Quant à l’Argentine, elle bénéficia d’un financement irakien pour mettre au point sa fusée Condor II et former des techniciens irakiens.
L’Italie vendit à l’Irak une usine pilote pour la fabrication du combustible des réacteurs à eau pressurisée tandis que les Etats-Unis fournissaient les ordinateurs nécessaires à l’équipement du Centre de Recherche irakien Saad 16. Pour sa part l’Espagne a exporté en Irak des projectiles chargés de gaz toxique (utilisés ultérieurement contre les Iraniens et les Kurdes). La société belge Sybetra filiale de la Société Générale fut chargée de construire un centre d’extraction et de traitement des phosphates, dans le nord-ouest irakien afin d’alimenter deux complexes chimiques produisant de l’acide phosphorique qui entre dans la composition du gaz toxique tabun. Ce sont encore les Belges, les sociétés Mechim et Wutz qui reçurent la mission de construire une usine de traitement des phosphates afin d’en extraire de l’uranium naturel.
Se tournant vers Moscou, Bagdad avait demandé, en 1974, une assistance scientifique permettant la maîtrise, sous toutes ses formes, de l’énergie nucléaire. Le Kremlin refusa de s’engager plus avant. Paris s’empressa de répondre à l’attente des Irakiens. Sur instruction de Giscard d’Estaing, le ministre de l’Industrie, Michel d’Ornano proposa de livrer à l’Irak la réplique d’une centrale nucléaire installée à Saclay, centrale qui fonctionnait à l’uranium 235 « enrichi » (93 %) et c’est ainsi qu’Osiris devint Osirak.
Paris livrerait l’uranium nécessaire et formerait les scientifiques et techniciens irakiens. Invité à l’Elysée, en septembre 1975, le vice président irakien ne put s’empêcher de déclarer à un journal libanais que … « l’accord conclu avec la France était le premier pas concret vers la production de l’arme atomique arabe ». Et le premier ministre, Jacques Chirac, fit visiter les installations nucléaires de la vallée du Rhône et traita fastueusement son ami Saddam Hussein à Baumanière, aux Baux de Provence. La France venait d’engager l’Irak dans la voie de l’énergie nucléaire, et, indirectement, sous toutes ses formes. Un accord fut signé le 18 novembre 1975 selon lequel, initialement, la France fournirait deux réacteurs : Osirak (Tammouz 1) et Isis (Tammouz 2) de moindre puissance et une filiale du Commissariat à l’énergie atomique recevrait 1,45 milliard de francs pour l’édification, à Bagdad, d’un Centre de recherches nucléaires. Consommant environ 10 tonnes d’uranium naturel par an Osirak pourrait produire, annuellement, 7 à 10 kilos de plutonium militairement utilisable.
Le gouvernement d’Etat d’Israël protesta. Paris répondit que l’Irak ayant signé le traité de non prolifération, la collaboration nucléaire avec Bagdad n’était pas interdite.
Peu convaincu l’Etat d’Israël décida d’intervenir. Soucieux de ne pas gêner la campagne électorale de François Mitterrand, et sans doute avec son accord, les Israéliens, avec 8 avions F 16 protégés sur leur parcours par six F 15, détruisirent le site de Tuwaitha, tuant un scientifique français. Mais, au début de 1982, François Mitterrand proposa à Saddam Hussein de reconstruire à l’identique – moyennant finances, bien sûr – les réacteurs Tammouz.Poursuivi, le procès de Saddam Hussein eût probablement conduit les avocats de la défense à évoquer l’implication de la France dans l’armement atomique de l’Irak. Et pas à l’avantage de notre pays.
C) Guerre Irak-Iran
Saddam Hussein a été coupable du déclenchement des hostilités contre l’Iran. Dénonçant les accords d’Alger relatifs au partage du Chatt al Arab, il mobilisa toutes ses forces armées contre celles de Téhéran.
Un « fauteur de guerre » et une guerre qui fit plus d’un million de morts.
C’est une fois encore escamoter le contexte ; les événements survenus en Irak à partir de la fin des années 70 ont été déterminants. L’ayatollah Khomeini, d’abord en Iran, puis en France où Giscard d’Estaing l’accueillit, en octobre 1978, prêchait la révolte et le renversement du Chah et du régime politique qu’il avait instauré (modernisation du pays, réforme agraire, avancées sociales, démarches sans doute prématurées). Après des mois de manifestations, d’émeutes, de rude répression, le Chah se réfugia en Egypte, gagna le Maroc et les Etats-Unis finalement l’Egypte où il meurt le 27 juillet 1979.
En avril la République islamique d’Iran avait été proclamée et Khomeini entreprit de réaliser un vaste programme de nationalisation peu apprécié à l’extérieur. A l’intérieur régnait l’instabilité due aux querelles religieuses et sociales. En novembre 1979 les étudiants firent irruption dans l’ambassade des Etats-Unis et y prirent 90 otages dont 60 de nationalité américaine.
On comprend aisément que les diplomaties occidentales, à la remorque de Washington, aient fait pression sur Bagdad pour que celui-ci s’attaque à l’Iran. Fournisseurs d’armes, ils avaient beaucoup à gagner. Même l’URSS qui, ravitailla à la fois les armées irakiennes et les formations armées iraniennes. Paris prit parti pour l’Irak, le gouvernement Mauroy allant jusqu’à prélever des avions Super Etendard sur les modestes disponibilités de l’Aéronavale pour les prêter à l’Irak afin d’attaquer le trafic maritime iranien à l’aide des engins Exocet que pouvaient lancer ces avions. Et si, en mars 1985, le bombardement au gaz toxique de la population kurde d’Halabja suscita un malaise dans les relations Paris-Bagdad, celui-ci fut vite surmonté, M. Roland Dumas recevant chaleureusement le 16 mars, M. Tarek Aziz au Quai d’Orsay, les ventes d’armes à l’Irak n’étant pas interrompues.
Devant de tels témoignages de soutien, il est normal que Saddam Hussein, champion d’un certain socialisme laïque, ait estimé qu’il pourrait spéculer sur l’assistance des puissances occidentales auxquelles, indirectement dans le cas de conflit avec l’Iran, il rendait un éminent service.
D) Invasion du Koweït.
Ce fut là une impardonnable atteinte à l’ordre international. Pareille agression devait être sévèrement condamnée. Mais le contexte explique –sans l’excuser un tel acte. Voici les faits :
-En 1984, Ronald Reagan avait signé une directive présidentielle secrète précisant que l’Irak ayant pris l’initiative d’engager des hostilités contre l’Iran, il était de l’intérêt des Etats-Unis qu’il en sorte vainqueur, car à tout prix, il fallait éviter que l’Iran domine la zone du Golfe. Il fallait que les Alliés aident Bagdad dans son combat contre l’intégrisme religieux, à l’iranienne, - directive visant « la nécessaire amélioration des relations avec l’Irak et l’extension de la coopération avec ce pays ».-Alors qu’à Genève allait débuter une importante conférence de l’OPEP, le 25 juillet 1990, l’ambassadeur des Etats-Unis, Mme Avril Glaspie fut reçue par Saddam Hussein.
Mme Glaspie, prudente, répondit que … « Les Etats-Unis n’avaient pas d’opinion sur les conflits interarabes tels que les désaccords quant à la frontière du Koweït… en revanche les efforts extraordinaires déployés par Bagdad pour reconstruire l’Irak étaient appréciés aux Etats-Unis ».
Le 31 juillet Mme Tutwiller, porte-parole du Secrétaire d’Etat et l’adjoint de M. J. Baker pour les questions du Proche-Orient M. John Kelly déclarèrent lors d’une conférence de presse que … « si le Koweït ou les Emirats Unis étaient attaqués par l’Irak, les Etats-Unis n’étaient pas tenus de leur porter secours ». Jusqu’au 2 août Washington entendait entretenir de bonnes relations avec Bagdad et le laisser agir conformément à ses intérêts. Etait-ce un piège ? Ou une divagation verbale des représentants du Département de l’Etat ? Si le procès avait été mené à terme, les avocats de Saddam Hussein auraient eu beau jeu d’évoquer le piège, voire l’encouragement donné à Saddam Hussein comme il avait été encouragé à s’en prendre à l’Iran dix ans plus tôt. En faveur de l’hypothèse du piège, lisons la Pravda : …
Les Etats-Unis agissent au nom de la défense des victimes de l’agression. Mais il serait naïf de croire qu’ils avaient seulement des buts altruistes. Les intérêts réels de Washington reposent sur l’aide à l’Arabie Séoudite, mais avant tout sur le pétrole… ».
Aussi la parodie du procès de Saddam Hussein apparaît-elle être la manifestation de la vengeance : celle des Chiites contre les Sunnites. Alors tribunal international ? Ses membres, ressortissants des pays qui poussèrent au crime Saddam Hussein auraient fait preuve d’impartialité pour blanchir leurs gouvernements respectifs. La « justice » ne peut être que celle qui convient aux plus forts. »Pierre-Marie Gallois http://www.lesmanantsduroi.com
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Décadence, misère et grandeur de l'autorité (2ème partie)
LE MAL, en détruisant nécessairement l'autorité du père (de la majorité des pères) qui aujourd'hui n'est plus digne de ce nom sociologiquement parlant, a donné une voie inattendue vers le changement social. Ne peut-on pas se réjouir qu'un père aujourd'hui sans repères, sans valeurs solides, sans principes, sans foi transcendante, ne possède plus l'autorité nécessaire à la reproduction culturelle de sa progéniture ? C'est encore Paul Bourget qui, dans son roman L'Etape, montre l'effondrement moral qui touchait la petite bourgeoisie cultivée des années 1900 et la réaction vive des fils de "boursiers" déterminés à retrouver leurs racines, une communauté, et des valeurs imprescriptibles. Ces fils ont personnellement franchi l'étape métaphysique pour entrer dans l'état "organique" et "positiviste" (dans un sens maurrasso-comtien).
« J'ai cru que la Démocratie s'accordait avec la Science » (15) fait dire Bourget à Jean Monneron, le personnage principal de son fameux roman.
« Voilà cent ans poursuit-il que chacun dans ce pays se fait juge de toute la société au nom de ce qu'il appelle sa conscience et qui n'est que sa passion dominante. Et c'est le secret de l'agonie de la France...»
Comment "penser" la société ? « Je veux la traiter comme la physiologie nous apprend à traiter un corps vivant, par l'expérience, dit Jean. Nous avons une expérience instituée par la nature, c'est la tradition, sous toutes ses formes. Nous avons une patrie, acceptons-la ; une famille, acceptons-la ; une religion... » (16)
Dans cette fiction littéraire, c'est le père de Jean, Joseph Monneron, qui représente la génération sacrifiée, celle ayant expérimenté l'anarchie intellectuelle, "subie" les ambitions, un enseignement acharné, inassouvissable, inapaisable. Mais s'il ne peut "passer", dépasser l'étape, son fils, Jean, le fait non sans efforts mais d'une manière irrévocable.
Pourtant profondément sensible à l'affection que lui porte son père (qui ne vit que pour ses idées), Jean, convaincu de l'"erreur" libérale, décide de rompre brutalement et définitivement avec les dogmes progressistes qui avaient pourtant bercé toute son enfance et adolescence. Car c'est au nom de la raison que le jeune Jean fait le choix du traditionalisme. L'étape du père fut douloureuse mais utile pour le fils raisonneur et intelligent, qui a eu cependant la "chance" de rencontrer l'homme du « vrai progrès », le « gardien de la mémoire », l'"arche" de la connaissance traditionnelle. Sans lui, l'étape du père aurait-elle pu être profitable ? N'aurait-elle pas été plutôt selon Bourget un funeste sinistre humain ? Le reste de la fratrie, seul devant les dogmes du père, sombre dans le désespoir, l'esprit de lucre et la malhonnêteté, faute d'avoir "digéré" l'étape".
Si elle n'est pas très originale, l'histoire de Paul Bourget constitue en quelque sorte une allégorie, à l'échelle atomique, du développement possible ou en cours de la société française. Dans son roman, Jean présente la troisième génération d'une famille dont l'histoire débute véritablement avec la naissance de son père Joseph. Ce dernier s'arrache de la paysannerie qu'il exècre en secret, et de ce fait, se détache avec énergie des règles, coutumes et traditions qui régulaient depuis des siècles la vie de ses ancêtres. Joseph entre symboliquement dans le second état (la deuxième étape) explicité par Auguste Comte (postulant, répétons-le, que le développement de la société passe par trois états). Le premier état, nous le savons, est théologique, c'est-à-dire essentiellement religieux et donc "naturellement" reliant. Selon Comte et Bourget, parce qu'il est le "produit" de l'institutionnalisation de croyances objectivement irrationnelles, il était inéluctablement condamné à disparaître.
Le deuxième état est métaphysique et abstrait, représente l'adolescence du monde occidental. Il correspond dans une certaine mesure à l'étape relatée par Bourget dans son roman éponyme.
Le troisième état, explicité d'une manière assez équivoque par Comte (en raison de ses téméraires anticipations ou prédictions) est celui où l'acteur social accepte un ordre social nouveau et paradoxalement "réactionnaire", en fait, "post-individualiste".
Pour Jean qui accepte cet état, il s'agit d'un choix "avant-gardiste", "précoce" et donc incompris par son camarade juif Crémieux-Dax, "embourbé" dans le stade romantique et "mortifère".
« — Va jusqu'au bout, dit Crémieux-Dax avec une violence extraordinaire, et ose prétendre que tu dois être catholique scientifiquement.
— Scientifiquement, oui, répondit Jean. Entendons-nous : la foi n'est pas une géométrie ni une chimie. Elle ne se démontre pas. Mais non seulement la science ne s'y oppose pas, et au contraire elle indique cette solution comme la plus raisonnable. Et c'est aussi celle où j'ai résolu de me ranger. Oui, insiste-t-il avec plus de fermeté encore, je me suis décidé à me faire catholique, comme tous les miens l'ont été pendant des siècles et des siècles. Je ne peux pas vivre sans mes morts... J'ai retrouvé leur foi et je ne la laisserai plus périr... » (17)
Lisons tout de suite la très intéressante suite de cette discussion :
« Leur foi ? S'écria Crémieux-Dax. Te faire catholique ? Toi ? Ne me dis pas cela. Voyons, ce n'est pas possible. On ne se fait pas catholique avec ton cerveau. »
« C'est avec lui pourtant que je le suis devenu, dit Jean Monneron, et il ajouta : et que je le resterai. » (18) Ainsi est-ce par le parti de l'intelligence (et il est difficile de ne pas faire un lien avec l'école de l'Action française d'avant la Première Guerre Mondiale) qu'une fraction de la jeunesse (et certainement de la jeunesse la plus brillante, celle qui fut quasiment exterminée en 14-18 par une "élite" inquiète) retrouva le chemin de la tradition et de l'autorité. Car le nationalisme est avant tout une Action logique dont la nécessité est démontrée par l'histoire. C'est aux nationalistes et à eux seuls de restaurer le principe crucial d'autorité, car « si le peuple a besoin de chef comme un homme de pain » (Maurras), il a besoin d'un dirigeant honnête, charismatique et galvanisé par son œuvre de restauration nationale.
François-Xavier ROCHETTE. Rivarol du 9 décembre 2011
15) Paul Bourget, L'Etape, Hachette, 1929 (1902), P. 353.
16) Ibid, page 353.
17) Ibid, page 354.
18) Ibid, page 354. -
Je veux un régime fort !
Je n'aime pas la politique. Si vous pensez que le fascisme consiste à faire défiler des garçons bottés en chemises brunes ou noires, dites-vous que ce n'est pas ma définition du fascisme. J'ai défendu les fascistes, c'est tout différent : parce que j'ai connu des fascistes et parce que je déteste le mensonge. J'ai protesté contre une falsification des faits et contre une entreprise de dénaturation des âmes et de confiscation des volontés, fondée sur cette falsification. Je reste convaincu que j'avais raison.
On nous a menti et on continue à nous mentir : parce que ce mensonge est indispensable aux politiciens en place. Mais ce mensonge s'effrite aujourd'hui, il s'effondrera demain. On finira par regarder les expériences fascistes comme des expériences politiques qui ont été obérées et défigurées par les nécessités dramatiques de la guerre, mais qui ont pour caractère essentiel l'exaltation de certaines valeurs morales : le courage, l'énergie, la discipline, la responsabilité, la conscience professionnelle, la solidarité, dont la disparition est le drame des sociétés qui ont suivi. Etre fasciste aujourd'hui, c'est souhaiter que ces mots aient un sens pour les peuples.
[...] Avant de détester le fascisme, il faudrait essayer de le comprendre. Le fascisme est né, historiquement, de la colère des anciens combattants contre les politiciens. Mais il a été, plus profondément, une opposition spontanée contre la démoralisation de la guerre et de l'après-guerre qui accompagna la transformation d'une société rurale stable, économe, patiente, courageuse, attachée à l'honnêteté et au civisme, en une société de salariés ayant pour horizon l'augmentation des salaires, pour guide l'idéologie, pour instrument la politique.
Les mouvements fascistes sont nés d'une réaction contre cette dénaturation des peuples. Cette réaction eut partout le même point d'appui. Dans leur désarroi, ceux qui refusaient ce monde nouveau de l'après-guerre se sont reportés à une image-type de la grandeur passée de leur peuple, pour l'Italie celle des légions de Rome, pour l'Allemagne celle des Germains d'Arminius qui avaient vaincu l'armée du consul Varus, pour la Roumanie ou la Hongrie celle de leurs paysans combattants, pour l'Espagne l'image de l'honneur castillan : non pas une idéologie, mais un modèle moral, celui qui incarnait le mieux ce qu'ils étaient ou ce qu'ils avaient voulu être dans les tranchées où ils s'étaient battus.
En détruisant, après la Seconde Guerre Mondiale, cette renaissance de la conscience nationale sous prétexte d'anéantir l'idéologie raciste, on a détruit une solution politique originale qui permettait à la fois de briser les idéologies destructrices de l'unité nationale et les excès du capitalisme sauvage.
Or, le racisme constitué en idéologie ne fait pas partie de la définition du fascisme ni même de la définition du national-socialisme. Comme les autres idéologies, il part d'une idée juste qui a été outrée et déformée en devenant un système. Ses excès ont été les excès auxquels aboutit toute pensée systématique.
En réalité, les régimes fascistes n'ont pas été des régimes de contrainte pour les individus. Ils ont généralement respecté les libertés individuelles et n'ont réprimé que le sabotage, le parasitisme et la spéculation. En revanche, ils ont assuré aux peuples la plus précieuse des libertés, celle d'être eux-mêmes et non pas ce qu'on a décidé qu'ils sont : liberté que nous ne connaissons plus.
[...] Les régimes fascistes ont été ou ont essayé d'être des régimes de solidarité et de justice sociale, qui ont été ensuite déformés par les contraintes de la guerre. Tout régime de solidarité et de justice sociale exige un Etat fort : mais un Etat fort n'a pas besoin d'idéologie : il a besoin seulement de bon sens et de générosité.
Je ne crois pas à l'histoire des régimes fascistes et de la Seconde Guerre Mondiale telle qu'on la présente aujourd'hui. Cette histoire n'est pas encore faite : et ce qui en a été fait, on nous le cache. Le dossier des falsifications est copieux : il porte sur les faits, les documents, les omissions. Je laisse à chacun la tâche d'en dresser ce qu'on aperçoit, dès maintenant, de ce catalogue. Tout homme qui réfléchit devrait prendre conscience de nos illusions : nous broutons comme des bêtes sans raison le mensonge de notre victoire, le mensonge de la Résistance, le mensonge de notre liberté. Ces mensonges ont nourri des idéologies d'autodestruction, l'antiracisme, la lutte des classes. Et cette nourriture frelatée est le secret de notre impuissance.
Très bientôt, dans vingt ans, dans dix ans peut-être, la race blanche en Europe devra lutter pour sa survie. Cette bataille suprême exigera des régimes forts, des gouvernements de salut public. Elle ne pourra être conduite que dans le dépérissement des idéologies et par le recours aux qualités viriles que je disais. Il ne faut pas se demander aujourd'hui si ces régimes forts sont possibles, il faut savoir qu'ils sont inévitables: sous quelque nom qu'on leur donne. Car ils sont la condition de notre salut.Maurice Bardèche http://www.voxnr.com
Texte paru dans la revue Le Crapouillot, N° 77, septembre-octobre 1984
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« Le temps des avant-gardes » de Jean Clair
Ancien directeur du Musée Picasso et écrivain de haut parage, Jean Clair est sans doute la personne la plus à même de juger l’art contemporain, qu’il observe depuis bientôt un demi-siècle. A son retour des Etats-Unis et aux débuts du Centre Beaubourg, Jean Clair, comme tant d’autres, assiste avec enthousiasme aux premiers happenings en se gavant de « concepts ». C.G.
Il est souvent le premier à écrire sur Boltanski, Buren, Sarkis ; il rencontre avec déférence des artistes pour les revues qu’il anime alors et donc les textes sont aujourd’hui réédités. Puis, l’historien d’art prend peu à peu conscience que l’avant-garde, défunte depuis la fin des années 30, se mue sous ses yeux en « art contemporain », une arme au service du colonialisme culturel des Etats-Unis. Comme le remarque avec finesse Colette Lambrichs, qui préface ce précieux recueil, cet art d’importation, imposé par le vainqueur de 1945, pénètre en Europe par la Belgique des sixties, qu’elle définit justement comme « une porte dépourvue de serrure dans un territoire au pouvoir politique inexistant ». L’art contemporain constitue bien l’une des machines de guerre de l’hyperpuissance, dont la cible est la suprématie politique et culturelle de la vieille Europe. Les enfants de l’après-guerre seront les dindons de cette farce machiavélienne, victimes consentantes d’une gigantesque lessive, « la dernière humiliation de la défaite, la pire car celle de l’esprit ».
En un mot comme en cent, Jean Clair décrit comment les oripeaux d’une avant-garde mythifiée servent le capitalisme américain, lancé à la conquête d’une Europe divisée et dévastée. Derrière l’imposture, une marque, « un art qui est à l’oligarchie internationale et sans goût d’aujourd’hui, de New York à Moscou et de Venise à Pékin, ce qu’avait été l’art pompier du XIXe ».
Jean Clair pousse plus loin son analyse pour aborder aux racines de notre déclin. N’est-il pas le témoin direct, et compétent, d’une métamorphose qui débute avec Marcel Duchamp ? La quête du vrai, du juste et du beau cède la place à la subjectivité profane, voire profanatrice ; la fidélité au patrimoine ancestral se voit diabolisée et remplacée par le terrorisme de la nouveauté. Or, la beauté, le bonheur, ne sont-ils pas, souvent, dans la répétition ? Aujourd’hui encore, cette seule question suffit à projeter le naïf dans la géhenne tant sont gigantesques les intérêts financiers et métapolitiques en jeu.
Paradoxe suprême pour un directeur de musées comme pour l’organisateur d’expositions célèbres, Jean Clair prône la fin des musées, qu’il décrit comme des nécropoles où s’entassent les parodies, des mouroirs pour œuvres vidées de tout sens - quand elles en ont un. Servi par un magnifique sens de la formule, surtout assassine, Jean Clair déconstruit à sa façon maintes mythologies obsolètes en posant la question qui tue : plutôt que de braire sur tous les tons qu’il faut « démocratiser la culture », une foutaise de la plus belle eau, ne faut-il pas plutôt cultiver la démocratie ?
Christopher Gérard http://www.polemia.com
Archaïon
3/12/2012Jean Clair, Le Temps des avant-gardes. Chroniques d’art 1968-1978, La Différence, novembre 2012, 318 pages, 25€.
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Décadence, misère et grandeur de l'autorité
« L'esprit confronté à sa propre immanence se découvre promis à un néant dont plus rien ne semble dorénavant le séparer »
Victor Nguyen
Ces quelques mots de Victor Nguyen résument l'effroyable position intellectuelle dans laquelle se trouvait enfermée une fraction considérable des hommes de lettres de la fin du dix-neuvième siècle, la fraction la plus visible, la plus célèbre et indubitablement la plus talentueuse.
On doit à ce chercheur tragiquement disparu un ouvrage monumental (tant du point de vue des éléments nouveaux qu'il apporte aux historiens qu'à sa qualité littéraire). Aux Origines de l'Action française (1) (publié la première fois il y a exactement 20 ans), au début duquel on trouve une centaine de pages denses et lumineuses dans lesquelles Nguyen traite d'un thème récurrent à l'époque étudiée, La décadence. Véritable cancer moral touchant en premier lieu le microcosme des Lettres et des intellectuels. Et parmi ceux-là, tout particulièrement, ceux qui paradoxalement se relèveront plus tard avec le plus de ferveur au crépuscule de leur vie.
NIHILISME ET DÉCADENCE
Nous savons que la notion de nihilisme fut empruntée par Nietzsche à Paul Bourget, créateur de celle-ci alors qu'il débutait son immense œuvre de reconstruction morale, initialement toute personnelle, via l'étude psychologique de ses contemporains (2) On comprend à quel point ce terme est étroitement lié au concept, certes équivoque, de décadence. Cependant, et c'est là un point commun qui unit un grand nombre d'écrivains de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, Bourget lui-même souffre davantage du reflux brutal de la vigueur romantique qui aurait jeté dans la plus noire déréliction la "populace" contemporaine, composée d'individus vaniteux et incroyants, véritable heimatlos étiquetés ; « français et catholiques » mais en réalité, imperméables à toute transcendance. Pourtant, Bourget lui-même a longtemps espéré que la Révolution pourrait procéder encore en son temps à une régénération morale élitiste comme populaire.
« Républicain, Paul Bourget l'a été et l'est encore à l'heure où il procède à ce bilan. Aux derniers jours de l'Empire, jeune bourgeois du Quartier latin, il a détesté le régime de Napoléon III, il a applaudi à sa chute. Puis il a rêvé d'un grand râle littéraire dans la régénération française qui s'annonçait : Rétablir la République par le drame, évoquer Saint-Just, porter la Révolution sur la scène, quel trait de génie. » (3) Mais son désenchantement est à la mesure de cette exaltation. « Paradoxalement, l'attitude de Bourget se modifiera, dans la mesure où il était éminemment un moderne, un artiste particulièrement sensible aux courants qui traversent son époque. » (4). Observant peut-être l'absence de dynamique révolutionnaire, l'inertie politique des forces républicaines soucieuses de se maintenir au pouvoir via le conservatisme, Bourget rejette enfin ces épuisantes ardeurs qui lui donnaient l'impression de vivre, de participer personnellement à la construction d'un "Tout" en se surpassant et pour se surpasser.
PESSIMISME UNIVERSEL
« Bourget qui vit de sa plume, a conscience de n'avoir pas donné encore sa mesure. Il ne pénètre aussi intensément l'inquiétude de ses contemporains qu'en analysant la sienne et, en la portant au grand jour, il saisit (ou croit saisir) quasi expérimentalement sur sa propre personne les progrès du mal. » (5)
Ce mal serait le pessimisme universel, le sentiment de l'impuissance finale de l'homme face à son destin.
« Et en 1880, l'analyse gagne en précision : par le mot décadence, on désigne volontiers l'état d'une société qui produit un trop petit nombre d'individus propres aux travaux de la vie commune. » (6) Le mal est identifié. Et il prolifère. La cause de cette désaffection résiderait dans la généralisation de l'individualisme faisant disparaître paradoxalement les fortes individualités au profit des unités "atomiques" interchangeables. Un individualisme qui se nourrit essentiellement de l'implosion de l'autorité.
« La vie moderne, impuissante à les créer, conduit au nihilisme, parce que l'homme contemporain découvre avec angoisse que rien en lui, ni hors de lui, ne l'a préparé à affronter virilement son destin. » (7)
Ce sentiment diffus contaminant un Renan, un Taine, un Huysmans, un Villiers de l'Isle-Adam, un Baudelaire (s'en délectant) ne découle pas d'une source définie, que l'on pourrait facilement dégager mais d'un ennui, lourd et pesant succédant à une euphorie collective provoquée par les "folies" de la Révolution et de ses prolongations, de la grande épopée napoléonienne, sujet romantique par excellence, des soubresauts de 1830 et de 1848. Après trop d'excitation, n'est-il pas naturel de subir douloureusement ou mélancoliquement une phase dépressive qui ne serait que l'antithèse obligée des excès passés ? Lorsque l'Histoire ne semble plus se dérouler suffisamment rapidement pour les âmes s'étant habituées à la "célérité", et à l'audace, l'utopiste, de leurs dirigeants, celles-ci n'apprécient plus, dans toute sa mesure la "grave" et prétendue sagesse de cette République qui souhaite renouer avec ses "bases", d'un Thiers pour qui « la science de gouverner est toute dans l'art de dorer les pilules » (sic).
LA DÉFAITE DE 1870 : UN EFFET DE LA DÉCADENCE
Ce décadentisme, souvent perçu d'une manière hyperbolique, n'est pourtant pas né ex nihilo. Il est en effet aisé d'appréhender la crise d'identité rongeant jusqu'à la névrose (notion déjà éminemment moderne) les individus, engagés peu ou prou, ayant vécu les grands drames historiques comme des épreuves toutes personnelles. Même si ce phénomène s'est aussi transmuté en une mode littéraire à travers laquelle la dénonciation du mal n'était pas toujours évidente, ou pis où l'on pouvait y découvrir une certaine complaisance ou une morne désinvolture devant l'objet étudié, force est d'admettre que ce sentiment d'agonie interminable s'enracinait à travers toutes les franges de la population. Argument expérimentalement vérifié en 1870 quand le corps même du pays et non plus seulement son "esprit" semblait désormais affecté par le mal.
« Sans surgir, loin de là, de la défaite de 1870, la décadence en a reçu un surcroît de postulation. Jusque-là image ou idée, elle s'est cristallisée alors au plan collectif. »(8)
Sur ce point Nguyen cite la mise en garde d'Alexandre Dumas fils :
« En mars 1873, dans la préface de La Femme de Claude, qu'il dédie au vieil Orléaniste Cuvillier-Fleury, Alexandre Dumas fils s'adresse au pays tout entier.
"Prends garde ! Tu traverses des temps difficiles ; tu viens de payer cher, elles ne sont même pas encore payées, les fautes d'autrefois ; il ne s'agit plus d'être spirituel, léger, libertin, railleur, sceptique et folâtre ; en voilà assez pour quelques temps au moins. Dieu, la Patrie, le travail, le mariage, l'amour, la femme, l'enfant, tout cela est sérieux, très sérieux. »(9)
Représentent-ils les postulats premiers à partir desquels la science politique devrait bâtir toute "idéologie", toute action et toute représentation de notre société ?
La traumatisante défaite de 1870 est ainsi considérée non comme la cause essentielle de la décadence mais, pis, comme son effet.
« Elle signifie une angoisse que le relèvement rapide ne suffira pas à calmer : une possible Finis Franciae. » (10)
Emile Montégut pense saisir les racines profondes du mal qui seraient principalement politiques, les plus douloureux malheurs de la nation pouvant être expliqués par l'hypertrophie étatique, l'ultra-centralisation jacobine faisant de la Patrie un colosse aux pieds d'argile, où l'autorité nécessaire et vitale s'est évaporée.
« Tous les éléments sociaux, c'est-à-dire ce qui donne à un pays fixité et continuité, ont été tour à tour déracinés : il n'y a plus qu'un amas de poussière désagrégée et impuissante. Dans un tel milieu social, l'Etat seul a volonté, faculté de commander, et chance d'être obéi ; malheureusement, dès que le ressort de l'Etat se brise, toute direction disparaît, et les destinées de la nation sont soumises à l'intelligence du hasard ». (11) Derrière le constat de ces "décombres", on relève l'alternative politique de l'auteur, implicitement dévoilée, décentralisation, il oppose et chérit le patriotisme et les pays charnels. « Montégut qui dresse ce bilan tout renanien, politiquement s'entend, remarque que révolution et patrie sont deux nouons contradictoires : "Le jour même où la France sacrifia l'idée de patrie à l'idée d'humanité, l'ancienne maison royale tomba". » (12)
NOMBREUSES CONVERSIONS AU PROTESTANTISME
La décadence apparaissant désormais comme une réalité incontestable, c'est la Révolution en bloc qui est dans la ligne de mire d'une certaine élite littéraire considérant ses principes comme funestes ou, au moins, fondés sur une douteuse métaphysique détachée de toute scientificité dont les conséquences seraient de provoquer l'instabilité permanente dans le Pays. « Peut-être va-t-on percevoir que depuis cette date (1789) notre existence n'a été qu'une suite de hauts et de bas, une suite de raccommodages de l'ordre social, forcé de demander à chaque génération un nouveau sauveur. Au fond, la Révolution française a tué l'abnégation de l'individu, entretenue par la religion et par quelques autres sentiments idéaux. » (13)
Devant ce spectacle éloquent, deux solutions d'importance s'offrent à ceux qui en souffrent. La première convient aux intellectuels restés fidèles aux principes individualistes et libéraux, et qui, par ailleurs, ne sont pas des "nostalgiques" mais des utopistes inconscients et égoïstes : la conversion au protestantisme. « Puisque l'Eglise se repliait sur elle-même dans une anxiété obsidionale, écrit Nguyen, le protestantisme parut pouvoir se muer en religion de remplacement. Ne paraissait-il pas, partout dans le monde, facteur de progrès et de liberté autant que d'ordre et de stabilité ? N'y avait-il pas une essence commune à la Réforme et à la Révolution, également protestation de la conscience individuelle ? Déplus le protestantisme semblait mieux se concilier avec la science et la raison modernes qu 'un catholicisme suranné et attaché aux valeurs d'obéissance et d'autorité. »
Mais « défaite militaire, soucis politiques et sociaux, inquiétudes intellectuelles et religieuses convergent alors pour faire du protestantisme dans la République cet Etat dans l'Etat que la polémique de droite (elle n'est pas seule) se plaît à généraliser et à dénoncer ». (14)
La deuxième solution connue pour sortir de cet état de déréliction est, au contraire, l'acceptation des "lois" sociales régissant d'une manière organique la société entière, et par conséquent le rejet de l'individualisme et du libre, examen protestant. On comprend en outre : que les multiples conversions au protestantisme d'individus représentant l'élite intellectuelle d'une nation recréée et imaginée exaspèrent ceux qui ont fait un choix "spirituel" diamétralement opposé et alimentent de fait la somme argumentaire des antilibéraux. La France des "organicistes", nourrie des réflexions des grands auteurs contre-révolutionnaires, représente en effet une "totalité" à laquelle on ne peut rien retrancher. La société bourgeoise ayant échoué à se transfigurer, l'alternative maistrienne gagne alors en crédibilité pour les patriotes de droite, fatigués, privés d'être par l'effacement de toute transcendance.
L'AUTORITÉ BAFOUÉE DU PATER FAMILIAS
En utilisant la grille de lecture socio-historique élaborée par Auguste Comte, nous pouvons dire que la France en particulier est passée brutalement de l'état théologique et traditionnel à un état métaphysique où les anciennes autorités ont été sapées voire physiquement exterminées. L'état métaphysique est le stade de la spéculation intellectuelle et de l'individualisme triomphant, celui dans lequel tout doit disparaître, la religion des pères, la patrie, les communautés, la famille, les principes transcendants. Un état, qui s'appuie sur une rationalité et un cartésianisme arrogants, postulant arbitrairement que l'atome unique de la société, son seul composant, est l'individu brut et ses intérêts les plus égoïstes. Cette étape métaphysique, qui n'en finit plus, est donc en premier lieu la matrice du désenchantement du monde, celle ayant rendu et rendant encore les masses "axiosceptiques" (imperméables à tout principe transcendant), incrédules et surtout sourdes aux propos tenus par les émissaires de la vérité.
Il est bien évident que l'étape métaphysique, sur le plan strictement intellectuel (précisons-le), était une phase inévitable. L'expansion de la science et de la philosophie grandiloquente a subjuguâtes masses comme le microcosme intellectuel du pays. Un phénomène violent qui s'explique également dans une certaine mesure, par l'ancienne routinisation du monde "ancien" dont l'autorité ne découlait principalement que du pouvoir traditionnel, d'un pouvoir qui manquait, à son terme, de la puissance d'une saine et nécessaire domination charismatique. Mais aussi par une centralisation qui ne cessait de s'amplifier avant-même la Révolution. Comme l'indique le sociologue conservateur américain Robert Nisbet, « ce qui sépare les rétrogrades (Maistre, Bonald auxquels nous, pouvons ajouter Burke) des révolutionnaires, c'est essentiellement leur attachement respectif aux philosophies du pluralisme et de la centralisation. Par essence la doctrine, rétrograde, fondée sur les valeurs médiévales, prône la distribution des centres politiques, c'est-à-dire le pluralisme des sources d'autorité — communauté locale, famille, corporation et toutes les autres institutions d'où émanent la coutume et la tradition. »
Et l'on saisit aisément avec Burke la supériorité du système, médiéval sur la centralisation jacobine : « Nul n 'a jamais été lié par un sentiment de fierté, de prédilection ou de véritable affection à une description de surfaces géométriques. [...] C'est au sein de la famille que naissent les affections publiques [...]. Puis elles s'étendent au voisinage et à ceux que nous avons coutume de rencontrer dans notre province. » Pour Bonald, la monarchie reconnaît l'autorité exercée par les différents groupes sociaux et religieux qui existent au sein de la société, ce que ne fait ni ne peut faire la démocratie qui repose sur la doctrine révolutionnaire de la volonté générale. L'intérêt de la démocratie est de dissoudre toute forme d'autorité locale et de dévaluer le symbole suprême de cette autorité, le père. « Dans les aristocraties, écrit Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, le père n'est pas seulement le chef politique de la famille ; il y est l'organe de la tradition, l'interprète de la coutume, l'arbitre des mœurs. On l'écoute avec déférence, on ne l'aborde, qu'avec respect, et l'amour qu'on lui porte est toujours tempéré par la crainte. »
De fait, le père représente le premier élément social qui exerce une pression salvatrice sur l'individu. Une pression salvatrice, en effet, car comme l'a démontré, Emile Durkheim (avec de nombreuses données, éléments factuels, statistiques), « libérer l'individu de toute pression sociale, c'est l'abandonner à lui-même et le démoraliser ».
François-Xavier ROCHETTE. Rivarol du 2 décembre 2011
1.) Victor Nguyen, Aux Origines de l'Action française, Intelligence et politique à l'aube du Vingtième siècle, Paris, Fayard, 1991.
2.)Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine, Paris, Lemerre, 1886.
3.)Ibid, page 36.
4.)Ibid, page 36.
5.)Ibid, page 37.
6.) Ibid, page39.
7.) Ibid, page 39.
8.) Ibid, page 40.
9.) Ibid, page40.
10) Ibid, page 42.
11) Cité-par Victor Nguyen P. 57.
12)Texte des Goncourt cité par Nguyen (page 72) qui ne précise pas ses références.
13), Ibid, page 89. -
Apprendre à lire, écrire et compter dans les petites écoles d’Ancien Régime (XVIIe-XVIIIe)
Lire, écrire et compter sont les trois rudiments élémentaires enseignés dans les petites écoles de l’Ancien Régime, qui ont vu naître la pédagogie moderne (utilisation des images, du jeu comme moyen d’apprentissage). Si le catéchisme, la prière et les leçons de civilité tenaient la première place dans ces petites écoles, la lecture et l’écriture n’étaient pas oubliées.
L’école est alors à la charge de l’Église, et tenue soit par un maître – voire une maîtresse – nommé par le curé de la paroisse avec la communauté des habitants, soit par une congrégation enseignante, soit quelquefois par le curé lui-même. Dans les campagnes, les habitats destinés spécifiquement à l’éducation des enfants sont extrêmement rares, la communauté décidant de se lancer dans cette coûteuse entreprise devant obtenir l’accord de l’intendant qui menait enquête sur le besoin scolaire. De ce fait, la salle de classe est installée dans le logement du maître (dans la grande majorité des paroisses), parfois dans une grange ou sous le porche de l’église. Rappelons enfin qu’une infime minorité des élèves scolarisés dans ces petites écoles accèdent au collège : la petite école n’est pas une passerelle, et d’ailleurs bon nombre d’enfants la quittent avant la fin de l’apprentissage.
I. L’encadrement des élèves
Tenir sa classe n’est pas chose aisée sous l’Ancien Régime, d’autant qu’il n’est pas exceptionnel que le maître d’école ait plus de cent élèves, tous niveaux confondus, à gérer ! A une certaine anarchie qui caractérise les petites écoles du XVIe se substitue une discipline de fer à partir du XVIIe. L’espace est quadrillé : les élèves sont classés en fonction de leur niveau, avec un espace pour les nouveaux, et un pour les cancres (le « banc d’infamie » avec le bonnet d’âne ou un âne peint). Garçons et filles sont séparés dans deux salles différentes, parfois simplement sur des bancs différents.
L’enfant est constamment surveillé. Le pédagogue Jacques de Batencour, dans l’Escole paroissiale (1654), va jusqu’à conseiller au maître, si sa chambre est au-dessus de la classe, d’installer un treillis de bois d’où il pourra observer les écoliers sans être vu. Mais le maître à surtout recours à des relais pour la surveillance puisqu’il ne peut pas surveiller seul ce qui peut être une centaine d’élèves. Batencour conseille au maître de déléguer la surveillance à deux observateurs qui noteront sur un bout de papier le nom des enfants indisciplinés : ceux qui parlent, ceux qui poussent les autres, ceux qui ne sont pas dans le rang. Ces deux observateurs doivent être choisis parmi « les plus fidèles et les plus avisés ». A chaque coin de l’école, un admoniteur doit annoncer tout haut le nom des élèves qui parlent, n’écrivent pas ou badinent, le maître pouvant alors punir. Deux intendants sélectionnés parmi « les plus grands, les plus zélés et affectionnés à l’école » ont la surveillance de tous les autres officiers.
Jean-Baptiste de La Salle (auteur de la Conduite des écoles chrétiennes, 1706) reprend la hiérarchie politique romaine antique mise en place par les Jésuites dans leurs collèges avec les titres d’empereur, censeur, préteur, consul, prince des décurions, maîtres des prodécurions, sénateurs, décurions et prodécurions. L’unité de travail est le banc, chaque officier ayant en charge l’un des bancs ; les officiers supérieurs font réciter les officiers inférieurs. Cette structure pyramidale est une manière de tenir la classe et de récompenser les meilleurs élèves par l’octroi de titres qui devaient les rendre fiers !
Carte tirée de L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle (R. Chartier, D. Julia, M.-M. Compère ; cf. sources), p. 17.La France scolaire du baron Dupin : Le baron Charles Dupin réalisa la première carte du tissu scolaire en France, plus précisément de la fréquentation scolaire (1826). Il y voit deux France : une France du Nord-Est instruite et une France du Sud et de l’Ouest « obscure » séparées par une ligne reliant Saint-Malo à Genève. Cette démarcation est valable sous l’Ancien Régime, le nombre d’individus sachant, à la fin du XVIIe et au XVIIIe, signer dans les registres paroissiaux (seul moyen pour les historiens d’évaluer l’alphabétisation des Français) étant plus élevé au Nord de la ligne Saint-Malo – Genève. En 1827, Dupin publie les Forces productives et commerciales de la France où il établit un lien direct de cause à effet entre l’instruction des masses et le développement économique, contre l’avis des philosophes des Lumières. La France du Nord-Est abrite alors les régions les plus riches et industrieuses tandis que les régions où le tissu scolaire est le moins dense sont souvent pauvres et mal-payantes (Bretagne, Massif central, Loire,…).
II. Lire
Abécédaire provençal
du début du XVIIIe.L’apprentissage de la lecture est l’activité essentielle des petites écoles et la seule que certains enfants connaîtront : ils ne resteront pas assez longtemps pour apprendre à écrire. Cet apprentissage dure normalement trois ans. L’Escole paroissiale de Jacques de Batencour indique un apprentissage divisé en plusieurs étapes. D’abord, il faut enseigner aux enfants à connaître les lettres ; puis leur apprendre à assembler ces lettres pour former des syllabes et enfin épeler les syllabes pour en faire des mots. Jean-Baptiste de La Salle quant à lui décrit pas moins de neuf degrés dans l’apprentissage : successivement « Carte d’alphabet » (2 mois), « Carte des syllabes » (1 mois), « le Syllabaire » (5 mois), « Épellation dans le 1er livre » (3 mois), « Épellation et lecture dans le 2e livre » (3 mois), « Lecture seule dans le 2e livre » (3 mois), « Lecture dans le 3e livre » (6 mois), « Lecture en latin dans le Psautier » (6 mois) et « Lecture dans la Civilité » (2 mois).
L’épellation fait l’objet de débats. Les pédagogues Arnauld et Lancelot écrivent dans la Grammaire générale et raisonnée de 1660 qu’il vaut mieux apprendre aux élèves les lettres par leur prononciation. Cette méthode gagne rapidement du terrain face à la précédente. Les Frères Tabourin dans les classes qu’ils ouvrent au début du XVIIIe nomment les consonnes en y ajoutant seulement un « e » muet et non un « é » (par exemple « be » au lieu de « bé », « me » au lieu de « ém »).
III. Écrire
L’apprentissage de l’écriture suppose un certain matériel : du papier, de l’encre (mise dans des cornets de plombs fixés sur la table) et un canif et deux plumes d’oie apportés par l’élève. La taille de la plume est déjà un exercice en soi que l’auteur de l’article consacré à ce sujet dans l’Encyclopédie décrit avec détail. L’élève doit apprendre à bien positionner son corps : ni trop penché, ni trop droit avec le bras gauche posé à l’aise sur la table. Jean-Baptiste de La Salle écrit que le maître doit mettre lui même l’écolier dans la bonne posture et chaque membre au bon endroit. L’élève doit enfin apprendre à bien tenir la plume. Pour leur apprendre à bien la tenir, Jean-Baptiste de La Salle propose de substituer au départ à la plume un bâton de même grosseur avec des crans marquant l’endroit où poser les doigts. L’élève apprend d’abord à former certaines lettres : les lettres C, O, I, F, M pour La Salle. Après ces rudiments, l’écolier apprend les notions de hauteur, largeur et pente des écritures, la distance des lettres et des lignes.
Le maître ne doit faire remarquer à l’élève que deux ou trois fautes à la fois, même s’il en a fait davantage sans quoi il serait embrouillé « comme un estomac à qui on donne trop de viandes » (La Salle) : l’élève oublierait tout dans sa confusion. Certaines techniques conseillées par les pédagogues aident à l’apprentissage comme l’utilisation de transparents ou de papiers rayés par ligne et par largeur que l’on place sous la feuille.
IV. Débats pédagogiques et évolution de l’enseignement
● Enseigner le latin ou la langue vulgaire ?
Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la première langue apprise n’est pas le français mais le latin ! Plusieurs arguments sont avancés à cela : le latin permet de répondre aux offices et de lire l’Écriture et l’on pense que l’apprentissage du latin est plus facile que celui du français, le latin étant à la base du français. D’autre part, un grand nombre d’élèves pratiquent, hors de l’école, les parlers patoisants, qui sont d’une extrême diversité, pouvant varier d’un village à l’autre. Il paraît donc plus judicieux d’apprendre la langue de l’Église, langue universelle et stable.
Saint Jean-Baptiste de La Salle provoque à la fin du XVIIe de vifs débats lorsqu’il propose d’enseigner d’abord à lire la langue maternelle. La Salle renverse l’argument de la facilité en estimant qu’il est plus motivant pour des élèves d’apprendre à lire dans leur langue usuelle qu’en une langue qu’ils ne comprennent pas tout de suite. A cet argument, il ajoute que le latin est vite oublié et d’aucune utilité dans la vie future sauf pour quelques exceptions. La Salle fait publier sans permission un syllabaire français en 1698, le premier du genre si l’on excepte les ABC calvinistes et l’Alphabet francoys, latin et grec de Jean Behourt paru en 1620 et resté sans réédition. Si l’apprentissage dans la langue vernaculaire progresse, certaines écoles continuent d’enseigner l’apprentissage en latin jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
● Enseigner le français plutôt que le patois ?
Au XVIIIe siècle, l’idée fait son chemin chez une fraction des pédagogues d’enseigner le français plutôt que le patois local. Après tout, la langue française stabilisée n’est-elle pas la langue de la législation, des rapports et des injonctions des autorités provinciales dont on doit prendre connaissance ? Ne paraît-il pas anormal que le français soit davantage maîtrisé par les élites européennes que par les Français eux-mêmes ?
Dans son testament pédagogique de 1752, un vieux régent du Praz (Savoie), qui a enseigné pendant 48 ans, conseille à ses collègues d’apprendre à leurs élèves à « parler français, qui est la langue dont on se sert canoniquement et civilement dans ce pays, et qui s’étend dans presque toutes les contrées du monde, outre que la chose la plus essentielle est que les instructions qui se font dans l’église et ailleurs se font en cette langue ; on la pratique en se confessant et lorsque l’on est obligé de parler à un juge, à un intendant et à toutes personnes dont on est obligé de se servir de cette langue générale pour se faire entendre. ».
L’apprentissage du français tend à se répandre dans les provinces où l’on parle majoritairement un patois même s’il semble rester largement minoritaire à la veille de la Révolution.
● Apprendre en jouant (XVIIIe siècle)
A partir du XVIIIe siècle, les pédagogues insèrent du jeu dans les méthodes d’apprentissage. Les enfants peuvent avoir à disposition des lettres découpées, peintes sur des cartes ou gravées sur des boules pour former des syllabes en s’amusant. En 1773, le baron de Bouis propose une méthode où il associe lettres et couleurs et lui donne le titre révélateur de Méthode récréative pour apprendre à lire aux enfants sans qu’ils y pensent. « On peut nommer cette méthode syllabaire joyeux puisque l’enfant est toujours gai ». L’abbé Berthaud propose dans le Quadrille des enfans publié en 1744 d’associer les sons à des images montrant des objets courants. L’enfant apprend à nommer le son avec l’objet qui lui est lié : le son « i » est associé à l’objet « lit », « une » à la lune, « in » au moulin, « cau » à l’abricot. Ces associations de son et d’images se trouvent sur 84 figures coloriées groupées sur des planches insérées dans un livre mais peuvent être aussi découpées et collées. Dans les éditions tardives, ces 84 cartes se présentent sous la forme de fiches mobiles à placer dans des boîtes à compartiments. L’appel à l’image, jugé susceptible d’éveiller l’intérêt de l’écolier, se répand rapidement et est promis à un bel avenir.
Illustrations issues du Roti-cochon ou méthode très-facile pour bien apprendre les enfans à lire en latin & en francois (vers 1680 ?) :
Le Rôti-cochon, peut-être plus célèbre aujourd’hui qu’en son temps (du fait de ses rééditions successives à partir de 1890), est représentatif de cette vague de livres illustrés du XVIIIe, conçus pour accroître l’intérêt de l’élève.
V. Compter
Compter est la dernière étape de l’apprentissage scolaire et nombre d’enfants quittent l’école avant d’apprendre les rudiments du calcul (on n’apprend pas à compter en même temps que l’on apprend à lire ou écrire, mais après). Dans les écoles des Frères des écoles chrétiennes, on apprend successivement l’addition pendant deux mois, la soustraction deux autres mois, la multiplication durant trois mois et la division pendant quatre mois. L’apprentissage des quatre opérations de base est complété par celui de la règle de trois, de la preuve par neuf et des fractions. Cet enseignement n’est néanmoins par présent partout : bon nombre de maîtres ne savent pas aller au-delà de l’addition.
On ne dissocie jamais l’aspect utilitaire : on apprend à compter en livres, sols et deniers et on repère l’intérêt de chaque opération pour chaque profession. Parfois, dans des manuels plus développés, s’ajoutent des règles de conversion des mesures de capacité, ou pour les futurs commerçants le calcul de l’intérêt des sommes prêtées.
Bibliographie :
CHARTIER, Roger ; JULIA, Dominique ; COMPÈRE, Marie-Madeleine. L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle. Société d’édition d’enseignement supérieur, 1976.
GROSPERRIN, Bernard. Les petites écoles sous l’Ancien Régime. Ouest France, 1984.
LEBRUN, François ; VENARD, Marc ; QUÉNIART, Jean. Histoire de l’enseignement et de l’éducation. 2 – 1480-1789. Perrin, 2003.Gallica (le Rôti-cochon) http://histoire.fdesouche.com