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culture et histoire - Page 1948

  • La dialectique ami / ennemi : Analyse comparée des pensées de Julien Freund et Carl Schmitt

    friend_or_foePenser les relations de puissance à partir de la dialectique de l’ami/ennemi requiert en préalable de se déprendre des chatoiements de l’idéologie, des faux-reflets de tous ces mots en “isme” qui caractérisent l’apparence scientifique donnée aux engagements politiques. Carl Schmitt et Julien Freund l’avaient compris dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Leur clairvoyance eut un prix : l’isolement et le reniement des grands clercs d’une époque imprégnée par le marxisme. Si aujourd’hui les deux auteurs sont redécouverts dans certaines sphères de l’Université, leurs œuvres sont encore mal cernées et leurs exégètes suspectés. En effet, une lecture critique ou partisane de Schmitt et Freund implique de penser “puissance”, “ennemi”, termes qui sont à ranger au registre des interdits de notre société. Cette approche devrait pourtant sous-tendre toute analyse réaliste des rapports entre acteurs des relations internationales.

    Mise au point :         

    Carl Schmitt fut un élément du régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale quand Julien Freund, étudiant en philosophie, entrait en résistance très tôt. Si leurs œuvres sont marquées par les vicissitudes d’une époque particulière, elles les surpassent toutefois pleinement. L’angle sous lequel ils en viennent à penser la relation ami/ennemi tire sa force d’une double volonté d’extraction et d’abstraction de ce contexte. Il est intéressant de remarquer que, par delà les oppositions de l’Histoire, une certaine communauté de destin relie Freund et Schmitt : exclus par les clercs de leur vivant, ils sont aujourd’hui progressivement tirés des limbes où de mauvais desseins et d’éphémères raisons les avaient placés.

    La première rencontre des deux hommes se produit à Colmar, en 1959. Julien Freund en revient marqué : « j’avais compris jusqu’alors que la politique avait pour fondement une lutte opposant des adversaires. Je découvris la notion d’ennemi avec toute sa pesanteur politique, ce qui m’ouvrait des perspectives nouvelles sur les notions de guerre et de paix » (1). L’analyse en termes d’ami/ennemi les met dans une situation périlleuse vis-à-vis de leurs contemporains. Le sujet est sensible puisqu’il donne une consistance à la guerre, ce à quoi se refusent les pacifistes marqués par les utopies marxistes et libéralistes. Pour ceux-ci la paix perpétuelle est l’aboutissement eschatologique logique permis soit par la réalisation marxiste du sens de l’Histoire, soit par l’expansion du commerce pacificateur des mœurs.

    Différence d’approche :     

    Pour Schmitt : « la distinction spécifique du politique […]  c’est la discrimination de l’ami et de l’ennemi. Elle fournit un principe d’identification qui a valeur de critère et non une définition exhaustive ou compréhensive » (2). A son sens, la dialectique ami/ennemi s’appréhende comme un concept autonome dans la mesure où elle ne s’amalgame pas avec des considérations morales (bien/mal) ni esthétiques (beau/laid), mais constitue en elle-même une opposition de nature.

    Dans la pensée freundienne de l’essence du politique, le présupposé ami/ennemi commande la politique extérieure. Il est associé à la relation commandement/obéissance (présupposé de base du politique) et la relation privé/public (présupposé commandant la politique intérieure). Chacun de ces présupposés forme une dialectique indépassable : aucun des deux termes ne se fait jamais absorber par l’autre. Julien Freund prend appui sur la dialectique ami/ennemi pour prouver que les guerres sont inhérentes au politique et donc inévitables à l’Homme. Invoquant la relation public/privé, Freund établit une différence entre l’ennemi privé (intérieur, personnel) et l’ennemi public ou politique. À mesure qu’une opposition évolue vers la distinction ami/ennemi, elle devient plus politique car « il n’y a de politique que là où il y a un ennemi réel ou virtuel » (3). L’Etat est l’unité politique qui a réussi à rejeter l’ennemi intérieur vers l’extérieur. Mais son immuabilité n’est pas acquise. Le présupposé de l’ami/ennemi est donc celui qui conditionne la conservation des unités politiques. La relation dialectique propre à ce couple est la lutte dont un aspect essentiel réside dans la multiplicité de ses formes : il ne s’agit pas uniquement, par exemple, de la lutte des classes à l’ombre de laquelle K. Marx analyse l’histoire de toute société. La lutte surgit dès que l’ennemi s’affirme.

    Contrairement à C. Schmitt, Freund ne fait pas de la distinction ami/ennemi un critère ultime du politique, mais un présupposé parmi d’autres. Chez Schmitt la notion de l’unicité du concept ami/ennemi dans l’essence du politique peut contribuer à renverser la formule de Clausewitz et admettre que la guerre ne serait plus le prolongement de la politique mais sa nature même. Or, ce n’est pas ce que Freund envisage.

    Ami/ennemi dans la logique de puissance :          

    Une politique équilibrée de puissance doit identifier l’ennemi, figure principale du couple dans la mesure où c’est avec lui que se scelle la paix et non avec l’allié. Nier son existence comporte donc un risque, un ennemi non-reconnu étant toujours plus dangereux qu’un ennemi reconnu. « Ce qui nous paraît déterminant, c’est que la non reconnaissance de l’ennemi est un obstacle à la paix. Avec qui la faire, s’il n’y a plus d’ennemis ? Elle ne s’établit pas d’elle-même par l’adhésion des hommes à l’une ou l’autre doctrine pacifiste, surtout que leur nombre suscite une rivalité qui peut aller jusqu’à l’inimitié, sans compter que les moyens dits pacifiques ne sont pas toujours ni même nécessairement les meilleurs pour préserver une paix existante » (4). Par ailleurs il ne faut pas céder à la tentation de croire que la guerre règle définitivement les problèmes politiques posés par l’ennemi : « même la défaite totale de l’ennemi continuera à poser des problèmes au vainqueur » (5). Le conflit israélo-arabe en est l’exemple type.

    S’il est nécessaire de ne jamais remettre en cause les acquis de la paix et de toujours se battre pour elle, il faut pourtant se défaire des illusions que véhicule un certain pacifisme des esprits. Une nation insérée dans le jeu mondial doit, pour survivre, identifier ses ennemis. Car elle ne peut pas ne pas en avoir. La difficulté réside dans le fait que l’ennemi est aujourd’hui plus diffus, plus retors. Il se masque, déguise ses intentions, mais n’est ni irréel ni désincarné. Sa forme évolue sans cesse et ne se réduit plus à l’unique figure étatique. Dans tout nouvel acteur (entreprise, ONG…) sommeille une inimitié possible. A l’inverse, certains pays recherchent un ennemi de manière forcenée. C’est le cas des Etats-Unis, en particulier avec l’Irak et de manière générale dans toute leur politique extérieure depuis 1990.

    Les essences, ces activités naturelles de l’Homme, s’entrechoquent, s’interpénètrent et dialoguent constamment. L’économique et le politique, par exemple, sont à la fois autonomes, inséparables et en conflit. Or, force est de constater que la nature des rivalités pour la puissance prend une teinte économique croissante, expliquant par là l’invisibilité, la déterritorialisation et la dématérialisation de l’ennemi. Ce changement n’est pourtant pas définitif puisque la dialectique antithétique entre les essences de l’économique et du politique prend la forme d’un conflit perpétuel et sans vainqueur.
    L’enseignement s’ensuit que le postulat ami/ennemi de l’analyse freundienne, inspiré mais différencié de l’approche schmittienne, doit constituer le fondement d’une étude actualisée du phénomène guerre et des enjeux de puissance, de compétition entre nations.

    Jean-Baptiste Pitiot http://www.infoguerre.fr/

    Bibliographie:
    FREUND Julien, L'essence du politique, Paris, Sirey, [1965], 4e éd., Paris, Dalloz, 2004, 867 pages
    FREUND Julien, « Préface », [1971] in : SCHMITT Carl, La notion de politique – Théorie du partisan, Paris, Champs classiques, 2009, pp.7-38
    FREUND Julien, Sociologie du conflit, Paris, PUF, coll. « La politique éclatée », 1983, 382 pages
    SCHMITT Carl, La notion de politique – Théorie du partisan, Paris, Champs classiques, 2009, 323 pages
    TAGUIEFF Pierre-André, Julien Freund, Au cœur du politique, La Table Ronde, Paris, 2008, 154 pages

    1. TAGUIEFF Pierre-André, Julien Freund, Au cœur du politique, La Table Ronde, Paris, 2008,p.27 

    2. SCHMITT Carl, La notion de politique – Théorie du partisan, Paris, Champs classiques, 2009, p.64

    3. FREUND Julien, L'essence du politique, Paris, Sirey, [1965], 4e éd., Paris, Dalloz, 2004, p. 448

    4. Ibid. p.496

    5. Ibid. p.592
  • La critique de la modernité libérale chez Jean-Claude Michéa

    « Depuis vingt ans, chaque victoire de la Gauche correspond obligatoirement à une défaite du Socialisme. » (Jean-Claude Michéa, « Pour en finir avec le 21ème siècle », préface à Christopher Lasch, La culture du narcissisme, p.18)
    Rares sont les penseurs qui savent nous rappeler que la Gauche, la vraie, ne se ramène pas inexorablement aux pitreries géométriques des sociaux-démocrates. Michéa est de ceux-là. A l'occasion de la sortie ce 5 octobre de son nouvel essai, Le complexe d'Orphée – la gauche, les gens ordinaires et la religion du Progrès, une petite synthèse thématique de ses ouvrages jusque-là publiés. S'il est encore besoin de le présenter.
    Autodéfini « socialiste » du 19ème siècle, Michéa se veut un démocrate radical, distinct du démocratisme représentatif qu’il voit comme une oligarchie libérale. Disciple intellectuel d'Orwell dont il a fortement contribué à réactualiser la pensée, il aspire comme lui à une société socialiste, « dans laquelle chacun pourrait vivre décemment d’une activité ayant un sens humain. » (1) Sa cible privilégiée est par conséquent la modernité libérale, radicalité sans précédent, a-morale. Loin de l'intelligence de Smith et Constant, par une « dialectique descendante de l’idéologie libérale » (2) le déclin de son autocritique et du simple bon sens, la théorie libérale est devenue système et s’est dogmatisée. D'après Michéa, la situation catastrophique vers laquelle nous nous acheminons, loin d’être une dérive, est l’aboutissement le plus logique des implications de la philosophie libérale. Dissection d'un idéologie qui n'en finit plus de crever en entraînant tout sur son passage.
    Une radicalité sans précédent
    Genèse d’une philosophie nouvelle
    D'après Michéa, la crise de la conscience européenne remonte au 17ème siècle, séquelle de longues guerres civiles et religieuses, que les innovations tactiques et techniques poussèrent à un niveau d'intensité alors inconnu. Il découlait de ce traumatisme originel (3) la nécessité absolue de réfléchir à un système alternatif. Celui-ci devait éviter que les hommes ne se massacrent à nouveau, et que n’advienne une fois de plus cette guerre de tous contre tous tant crainte par Hobbes. Pour assurer Paix, Prospérité et Bonheur (4), l’énergie de l’homme serait réorientée dans une guerre de substitution, contre la nature – le travail et l'industrie via la maîtrise croissante de la technique. L’Économie politique comme « science » de même que l’idée moderne de Croissance virent le jour. Le jeune idéal des sciences expérimentales de la nature, joua également son rôle. Le modèle newtonien de la physique sociale poussait à orienter la recherche de la mise en adéquation des lois de la mécanique humaine sur les lois de la nature. La société était désormais vue comme une machine, capable de s’auto-réguler par le Marché. Celui-ci devait assurer la pacification de la société, avec le postulat mandevillien bien connu selon lequel les vices privés font la vertu publique. Pour rendre possible ce « laisser faire, laisser passer » énoncé par l’intendant Gournay, l’économie devait être « désenchâssée » (Polanyi) de la société traditionnelle, qui n’en faisait pas un fait social total. Dans L’Empire du moindre mal, Michéa nous rappelle à ce propos que le capitalisme portait en lui les innovations nécessaires à son assise dès le 2ème siècle, dans l’Empire romain. Mais, nous précise-t-il, « les conditions politiques et culturelles […] faisaient défaut. » (5) Avec l’avènement de la modernité libérale, au contraire, et l’achèvement de sa métaphysique au milieu du 18ème siècle, les activités marchandes cessèrent d’être méprisées. L’homme devait pouvoir disposer de la liberté personnelle suffisante pour s’épanouir, ses libertés garanties par le Droit.
    Les conditions furent réunies avec la Révolution française et la destruction des anciens référents de l’autorité symbolique. Les Droits de l’homme, désormais, étaient destinés à assurer la sécurité dans la jouissance privée. Mais i le libéralisme est radicalement nouveau en tant que doctrine politique, nous rappelle Michéa, l’humanité a quant à elle connu plusieurs modernités. Le passage de l’une à l’autre suppose la combinaison de deux éléments, apprend-on dans La double pensée : a) avoir conscience des transformations historiques, qui impliquent une rupture avec le passé ; b) les valoriser, donc les vivre et les voir comme un progrès. (6) Et distinguer, suivant cette précision, la logique marchande de la logique libérale, spécifiquement moderne. Pour autant, cet héritage des Lumières – et plus précisément du Scottish Enlightment (7) –, précise Michéa, n’est pas un humanisme lui-même reçu de la Renaissance. Il s’agit, au contraire, d’une « anthropologie pessimiste et désespérée ». (8) Par ailleurs, la modernité n’est pas forcément libérale, comme l’ont montré les totalitarismes du 20ème siècle. Même si, pour lui, parmi les multiples voies qui pouvaient être empruntées, le libéralisme tel que nous le connaissons constitue l’aboutissement le plus cohérent de sa logique philosophique initiale.
    Implications philosophiques : du Vrai et du Bien vers le Droit et le Juste
    Les premiers libéraux attribuaient la responsabilité des guerres civiles à l’idéologie, la prétention à détenir et incarner le Bien. Toute métaphysique devait alors être écartée. Le Vrai et le Bien s’effaçaient devant le Droit et le Juste. De transcendante, l’autorité devenait immanente et toute référence au symbolisme était bannie, sous peine de réactiver les guerres tant craintes. Le gouvernement scientifique suppose donc logiquement une neutralité axiologique préalable à sa praxis. Le libéralisme pour ce faire inauguré en rompant avec le monde concret. Postulant une ontologie construite de toutes pièces, il est un processus sans sujet. D’où l’introduction de sa (fausse) neutralité. Par le système mécanique dit des checks and balances, la main invisible du Marché est censée maintenir l’équilibre économique. Par ailleurs, l’originalité de la pensée libérale aura été, à en croire Michéa, de chercher à créer un homme nouveau. Mais dans l’esprit des théoriciens et des Lumières, il s’agissait seulement de faire appel aux penchants naturels de l’homme, limités peu ou prou à deux finalités : la seule recherche de la poursuite de son intérêt bien compris d’une part, et l’idée d’instinct de conservation d’autre part. Dans une société-machine, l’harmonie sociale, en suivant ces principes, était supposée s’atteindre naturellement.
    L’État libéral était donc obligé d’être « a-moral », de refuser de postuler le Bien. Le refus de toute métaphysique était la condition sine qua non de toute pacification. D’où le passage du dogmatico-finalisme au pragmatico-gestionnaire, pour reprendre les syntagmes de Michéa (9). Eviter de renouer avec la guerre de tous contre tous ne se ferait qu’à cette condition. Moraliser et fixer une limite, comme il est rappelé dans L’Empire du moindre mal, serait arbitraire. Pire, cela serait idéologique, car ce n’est qu’en se référant à des constructions normatives antérieures et moralement justifiées que l’on pourrait disposer de ce qu’il convient d’interdire et d’autoriser. Mais cela signifierait d’accepter, comme le notait déjà Orwell, de renouer avec une conception du bien et du mal en politique. (10) L’État libéral ne peut s’y résoudre, sous peine de contradictions. Il se contente d’ajuster juridiquement les libertés concurrentes, où la seule exigence est de ne pas nuire à autrui. Toute conception de la vie bonne, toute considération morale ou religieuse sont privatisées. Ainsi, le gouvernement des hommes passe à l’administration des choses, dirigé par des experts gestionnaires. On se contente d’équilibrer les contraires non pour une société bonne, mais pour la moins mauvaise possible ; la société du moindre mal.
    Le vrai visage du libéralisme
    Michéa estime insensé de parler aujourd’hui de trahison du libéralisme – de même qu’il qualifie d’être « hybride » et oxymorique tout libéral-conservateur – alors que nous assistons, au contraire, à la manifestation aboutie du libéralisme réellement existant. Ce système porte en lui ses contradictions internes dès le départ. Les deux libéralismes prétendus opposés découlent en fait d’un seul et même projet initial. Son cœur est en outre la neutralité axiologique (prétention non-idéologique), « principe d’unité ultime de tous les libéralismes effectivement existants » (11). Il est un relativisme intégral. Pourtant, l’État libéral suppose un fonctionnement exclusivement calculateur et procédural, une mathématisation constante pour maintenir le point d’équilibre. De plus, l’homme est censé s’y comporter rationnellement en acceptant de se plier aux postulats anthropologiques de la philosophie libérale. Il lui faut donc agir rationnellement et chercher à maximiser son utilité dans son intérêt égoïste bien compris. Il doit en outre accepter les règles de la concurrence libre et non faussée sans y introduire de conceptions morales. Toute critique de sa part serait forcément partisane et donc à exclure. A titre d’exemple, Michéa cite l’analyse anticapitaliste de Bob Kennedy au sujet du PIB,  indicateur biaisé car prenant en compte les catastrophes naturelles, les agressions et soins de santé qui en découlent, les dégradations de matériels, etc.. Rien au contraire n’y mesure la stabilité des mariages, le bien-être général ou la qualité environnementale. Mais les externalités, d’un point de vue libéral, sont « non mesurables » et « idéologiques », ce qui exclut de tels raisonnements des calculs économiques. (12)
    Au-delà des clivages apparents, l’unité dialectique fondamentale
    En menant cette analyse, Michéa s’attache à démonter une fausse antinomie. La vulgate contemporaine veut que deux libéralismes soient distincts ; un bon et un mauvais. Le bon, défendu par la Gauche, est le libéralisme politico-culturel, qu’il définit comme « l’avancée illimitée des droits et la libéralisation permanente des mœurs. » (13) Le mauvais, attribué à la Droite, est le libéralisme économique, dit aussi de Marché. Or, une étude plus poussée démontre au contraire que ces deux libéralismes se sont développés parallèlement. Bref, l’un est la condition de l’autre au sein d'un seul et même projet. Dans L’enseignement de l’ignorance – et ses conditions modernes, Michéa s’interrogeait déjà sur cette fausse antinomie. Comment se fait-il que les principales mesures régressives en matière scolaire soient le fait de gouvernements de Gauche, pourtant les parangons du Progrès ? Tout rapport à l’autorité, bafoué, était soutenu par la Gauche. La culture dite « bourgeoise », en réalité classique, avait été évacuée par mai 68 comme objet d’une domination de classe. La critique officielle de Bourdieu – entre autres – l’avait réduite à un simple capital symbolique, donc de domination, donc synonyme de l’ordre ancien tant honni. Dans Impasse Adam Smith, Michéa explique ce fait par la nature même de la Gauche. Le clivage avec la Droite était, initialement, la transposition hexagonale de l’opposition Tories / Whigs en Angleterre. Les premiers, conservateurs, étaient partisans d’un ordre autoritaire, organique et hiérarchisé, dans une société agraire et théologico-militaire ; les seconds, progressistes, étaient favorables à l’économie de marché et à l’émancipation de l’individu, et partisans de la révolution industrielle et scientifique.
    La Gauche historique française s’est inscrite dans cette continuité, en cherchant à représenter le parti du Mouvement, du Changement. Une politique réellement de Gauche cohérente avec elle-même ne peut donc pas être anti-libérale. Prôner un anticapitalisme de Gauche ou d’Extrême-Gauche est donc, pour Michéa, une contradiction dans les termes. Et chercher à renouer avec une gauche « vraiment de gauche » ne peut pas être opéré sous un angle antilibéral, contraire à ses postulats. Plus synonyme de Progrès que de Peuple, nous rappelle-t-il, la Gauche n’est véritablement redevenue elle-même qu’en se séparant du Socialisme des classes populaires, « contraire de l’individualisme absolu » (14). Précisons que Michéa prend comme synonymes projet libéral, économie et capitalisme. En outre, il remarque que malgré les critiques réciproques, les gouvernements appliquent des mesures qu’ils reprochent à l’opposition. La Droite applique les mesures libéralo-culturelles de la Gauche (promotion de la lutte contre toutes les discriminations, destruction de l’autorité à l’école, légalisation de modèles familiaux alternatifs), tandis que la Gauche privatise, cherche à dynamiser la Croissance, et n’hésite pas à déclarer (dixit Allègre, à l’époque ministre de l’Éducation) que l’École est « le plus grand marché du 21ème siècle ». (15) La Gauche, par son programme d’épuration libérale du Droit, voit sa fin ultime dans le droit de tous sur tout. Mais puisque le dogmatisme libéral récuse tout paradigme alternatif, il lui est impossible de saisir ne serait-ce que l’essence de ses contradictions. L’antithèse entre Progrès et Progressisme lui reste absconse. Toute modernisation, tant technologique que juridique, lui apparaît comme révolutionnaire et anticapitaliste. Logiquement, avec le mythe du Progrès, le 21ème siècle sera pour le Progressiste, l’homme « de gauche », nécessairement radieux. (16)
    L’unité dialectique fondamentale du libéralisme, ce « tableau à double entrée » (17), est donc manifeste. La logique – le progrès tant économique que juridique – est la même. La loi de l’offre et de la demande répond à l’équilibre des pouvoirs, le tout par auto-régulation. Le programme de domination illimitée de la nature est le corrélat de la Raison technico-scientifique. De nos jours, les partis de droite et de gauche sont, pour Michéa, une alternance unique, qui s’unifie lorsqu’un conflit pratique apparaît (traité de Lisbonne de 2008 malgré le vote du 29 mai 2005, 98% des textes votés en commun par PS & UMP au Parlement européen). Par conséquent, résume Michéa, le clivage droite / gauche offre aux classes populaires le choix entre bonnet blanc et blanc bonnet.
    L’impossible neutralité pratique
    Dans les faits même, la neutralité n’est pas respectée. Sur certains sujets comme l’avortement, l’État libéral n’hésite pas à prendre parti. (18) De même, les contraintes économiques sont prises dans un but politique, comme pour des recherches technologiques opérées pour limiter la durée de vie des appareils électroménagers à sept ans. (19) Idem quant à l’interventionnisme. Pour que le Marché soit tel qu’il est supposé être, l’État doit intervenir. Le néolibéralisme demande donc la mise en place par l’État, des conditions politiques, morales et culturelles du libre-échange. Parfois même, jusqu’à s’accommoder provisoirement d’une dictature. C’est ce que rappelle Michéa en mentionnant le soutien d’Hayek au régime de Pinochet. (20) Cette demande faite pour contribuer au bon fonctionnement de « l’ordre spontané » du Marché est une contradiction. La « schizophrénie constitutive » de l’homme nouveau l’est tout autant. Axiologiquement neutre, l’homme doit devenir un simple consommateur, un « mutant », « dépourvu de tout principe moral comme de tout sens de l’honneur. » (21) Pourtant ici encore, l’État libéral doit intervenir pour forcer juridiquement l’homme à être comme il est supposé se comporter naturellement – « il faut souffrir pour être moderne » (22), note cyniquement Michéa dans Orwell, anarchiste tory.
    Ce domaine recouvre les contradictions aux conséquences sociales les plus désastreuses. La neutralité axiologique de l’État libéral se refuse à tout montage normatif arbitraire. La liberté n’a pour limite que celle des autres. Mais pour définir clairement cette limite, il est pourtant nécessaire d’introduire des jugements de valeur. Faute de quoi, la liberté se résume au droit d’avoir des droits. Le jugement critique est mis à l’index, en particulier lorsque sa dénonciation provient de minorités qui, nous dit Michéa, organisent les rapports de force. Évolutifs, changeants, ces rapports poussent l’État libéral à perpétuellement changer son fusil d’épaule, en fonction de l’opinion, « cette créature ambigüe des instituts de sondage et du lobbying associatif. » (23) Dans le cas où la consommation des drogues se banaliserait, par exemple, l’axiomatique libérale impliquerait de la légaliser. (24) A supposer, toutefois, que la visibilité médiatique puisse être assurée – ce qui explique, d’après lui, que les paysans puissent être insultés sans susciter d’émoi particulier. (25) 
    http://www.scriptoblog.com/
    (1) Michéa (J.-.C), La double pensée – retour sur la question libérale, p.28.
    (2) Ibid., p.214.
    (3) Michéa (J.-C.), La double pensée, p.61.
    (4) Michéa (J.-C.), L’enseignement de l’ignorance – et ses conditions modernes, p.21.
    (5) Michéa (J.-C), L’empire du moindre mal – essai sur la civilisation libérale, p.71. Voir également, du même auteur, Orwell éducateur, pp.79-80.
    (6) La double pensée, pp.198-199.
    (7) « (…) l’une des formes les plus créatrices de la Philosophie européenne des Lumières, [avec laquelle] les postulats majeurs de l’utopie capitaliste ont été définis avec la plus grande cohérence. », Michéa (J.-C.), Orwell éducateur, p.37.
    (8) La double pensée, p.87.
    (9) L’empire du moindre mal, p.97.
    (10) Orwell (G.), Essais, articles, lettres volume III, 30, « Recension : The Road to Serfdom, de F. A. Hayek, The Mirror of the Past, de K. Zilliacus », p.155.
    (11) La double pensée, p.212.
    (12) L’empire du moindre mal, scolie [F] du chapitre IV, « Tractatus juridico-economicus », pp.114-115.
    (13) Ibid., p.14.
    (14) Michéa (J.-C.), Impasse Adam Smith – brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, p.48.
    (15) Ibid., p.29.
    (16) Michéa (J.-C.), « Pour en finir avec le 21ème siècle », in Lasch (C.), La culture du narcissisme, préface, p.10.
    (17) La double pensée, p.13.
    (18) Ibid., p.228.
    (19) Orwell éducateur, pp.63-64.
    (20) La double pensée, p.64. Voir aussi ibid., p.118.
    (21) Ibid., p.269.
    (22) Orwell, anarchiste tory, p.74.
    (23) La double pensée, p.41.
    (24) Ibid., p.150.
    (25) Ibid., p.243n.

  • Messe anniversaire du martyre de LOUIS XVI à Fontainebleau

    Après Saint-Germain l’Auxerrois (messe célébrée par le Père Abbé de l’abbaye Sainte-Anne de KERGONAN) et Saint-Denis (célébrée par M. l’Abbé LEFEVRE), comme en de très nombreuses églises de France et de Navarre (à Bayonne par S.E. Mgr. AILLET), la mémoire de LOUIS XVI a été honorée 220 ans après son martyre à Fontainebleau

    Après lecture du testament du roi, M. l’Abbé LEFEVRE a rappelé la signification de l’assassinat de Louis XVI père des familles françaises. La révolution parachève actuellement l’assassinat légal de la famille naturelle en France.

    Pour sauver la FRANCE, les seuls combats qui vaillent : la restauration des valeurs civilisatrices incarnées par l’Eglise et le régime politique naturel incarné par la monarchie très chrétienne, contre la RUINEpublique qui nous mène au chaos.

    Nous ne saurions oublier la dégradation CONSTANTE d’une situation confortée par le combat dépassé du moindre mal.

    "En optant pour le moindre mal, on a fini par faire oublier aux français que le moindre mal est le mal quand-même" (Ch. Maurras) Un mal sans cesse plus profond.

    Donc ne pas se contenter de "colmater" par le moindre mal, mais en même temps, travailler recréer les conditions de restauration du BIEN.

    "Rebâtissons la grande arche catholique et royale" exhortation de Ch. Maurras.

    AF Fontainebleau http://www.actionfrancaise.net

     
  • Le militantisme en question par Claude BOURRINET

    « Fabrice eut beaucoup de peine à se délivrer de la cohue; cette scène rappela son imagination sur la terre. Je n’ai que ce que je mérite, se dit-il, je me suis frotté à la canaille. »

     

    Stendhal, La Chartreuse de Parme.

     

    Qui s’avisera de lire la dernière fable de La Fontaine, son mot dernier avant la mort, connaîtra peut-être l’ultime message d’un sage épicurien en matière d’engagement : l’amateur de jardin ne place pas plus haut l’urgence sacrée de la contemplation, et tout ce qui en peut brouiller l’onde transparente est davantage qu’une faute philosophique : c’est un crime vis-à-vis de l’âme. La vertu de cet ultime apologue est de présenter, dans leur radical altruisme, les deux figures du militant qu’une civilisation ayant pour paradigmes l’apôtre et le citoyen a léguée à l’Europe. On ne fait pas plus concis. L’une, animée du zèle le plus politique, érige la justice en exercice de vertu. L’autre, poussée par une charité admirable, soigne avec abnégation son prochain. Les deux récoltent incompréhension, ingratitude et vindicte. L’hôte des bois, seul, dans son ermitage, sauve quelque chose du grand naufrage humain.

     

    Néanmoins, il n’est pas certain que l’épilogue de ce grand livre du monde que sont les Fables fût si péremptoire dans la condamnation d’un travers dont on sentait, en cette fin de grand siècle, les prémisses. Mainte saynète offre en effet matière, sinon à l’espoir, du moins à un certain plaisir de vivre, voire à un bonheur certain. Si La Fontaine verse quelque peu dans le jansénisme avec les affres de l’âge, il reste pour l’éternité un épicurien sensible aux  sollicitations positivement ordonnée d’un Monde qui n’est pas si désagréable que cela, nonobstant sa cruauté.

     

    En ce temps-là, peu avaient oublié Montaigne, le maître de tous, celui qui inspirait ou repoussait, parfois les deux à la fois, sans qui il ne fût ni Charon, ni Pascal, ni La Fontaine, ni beaucoup d’autres. Le châtelain périgourdin avait eu l’occasion de côtoyer La Boétie, qui promettait, ne fût-ce la mort, de donner à la France une plume et un grand cerveau, sinon un grand cœur. Montaigne conçut ses Essais comme un écrin pour l’ouvrage de son ami, lequel est tout un programme, puisqu’il s’intitule De la servitude volontaire. Les Temps étaient pourtant à la rébellion (mais l’une n’empêche pas l’autre), Parpaillots, Ligueurs s’empoignaient, avec l’aide fraternelle des ennemis de la France, pour s’entrégorger pour la plus grande gloire de leur Dieu. Cet âge de fer vit naître, peut-être, le militant moderne. On se mit à concevoir des programmes politiques destinés à changer le régime monarchique, la religion se transmuta en idéologie, et les Églises devinrent des partis. L’État n’était plus le médiateur naturel du Dieu transcendant et du peuple chrétien : il était devenu un instrument autonome, susceptible de transformations, malléable, améliorable, dont on pouvait s’emparer, et qui possédait sa propre Raison. Ainsi, avec le militant, naquit la politique.

     

    On connaît la position de Montaigne là-dessus. Le maire de Bordeaux et le grand commis qui s’entremit entre Henri III et Henri de Navarre, si son loyalisme le plaça dans les régiments royaux, où il fit avec un certain plaisir guerrier le coup de feu, se garda de s’offrir pleinement à la flamme du combat, où il eût à se brûler l’âme, le cœur, ou, quelque fût son nom, ce qui lui assurait de toutes les façons, devant le monde et devant lui-même, la pérennité de son être. Il s’en faut bien de se prêter pour ne pas se perdre. Tel était l’honnête homme, qui, moulé par un livre consubstantiel à sa recherche, invitait à exercer par le monde des hommes et face à la nécessité une indifférence active, qui n’est pas sans prévenir la nonchalance dévote de François de Sales. C’est bien là, chez Montaigne, qui n’évoqua jamais Jésus dans ses écrits, une sorte de synthèse improbable entre le stoïcisme et l’épicurisme. Aussi bien invoqua-t-il volontiers les figures emblématiques de Socrate, d’Alcibiade, de César, d’Alexandre, pour illustrer cette virilité négligente et attentive, cette implication dans les combats de la terre, et cette plasticité de l’âme et du corps, qui saisit le sel de la vie au moment du plus grand danger, comme si ce fût une promenade parmi les prairies élyséennes.

     

    Nous sommes loin du culte chevaleresque et du moine soldat. L’on n’y perçoit nullement la droite rectitude des héritiers de Zoroastre, des lutteurs manichéens et des croisés juchés sur leurs étriers afin de pourfendre le Mal et vider la cité des hommes des ennemis de la cité de Dieu.

     

    Il faudrait donc repenser le problème et du militantisme, et de l’engagement, en ayant conscience des conditionnement culturels et historiques qui en dessinent l’image. Bien évidemment, tout questionnement surgit en son point historial où la réponse est toujours contenue dans la manière d’interroger le destin. Les implicites sont bien plus redoutables que les apparences conceptuelles et rhétoriques les plus sensibles. La pensée, lorsqu’elle se fait servante de l’action, est freinée dans ses élans et ses capacités à creuser jusqu’aux racines. Elle exige un retrait.

     

    L’interrogation première devra porter sur cette inhibition quasi universelle à mettre à la question les plus évidentes légitimités, incertaines dans la mesure de leur évidence. À n’en pas douter, l’engagement pour une cause est une nourriture pour l’existence, même passagère, dont il est bien difficile de se passer comme viatique. Il ne s’agit parfois que de trouver la chapelle sur le marché des causes. Les situationnistes, bien après Nietzsche, rejetaient cette forme de confort qui, même lorsqu’il impliquait la mort et la souffrance, le sacrifice et l’opprobre, semblait octroyer au croyant l’assurance d’un salut, au regard de Dieu, des hommes, ou de soi-même, en tout cas un rôle, dont la véritable et profonde raison réside dans l’irraison de pulsions inavouées ou d’un narcissisme, d’un amour-propre, pour user de la terminologie du Grand Siècle, qui confère à tout discours assertif, et même performatif lorsqu’il s’agit d’agir, cette dose plus ou moins volumineuse de soupçon, de défiance, qui ne demande qu’à envahir l’esprit et le cœur, et justifier toutes les désertions, les abandons et le ressentiment.

     

    Mais il est vrai que le nomadisme militant et la haine des anciens emballements sont des traits caractéristiques de la conscience contemporaine, comme si la maladie sectatrice dénoncée chez les réformés par Bossuet se trouvait soudain envahir le champ politique, une fois les Grands Récits idéologiques chus dans la poussière de l’Histoire.

     

    Il est permis de se demander si un tel type de conscience se manifestait dans l’Antiquité non chrétienne. Il ne semble pas qu’il y eût, avant l’universalisation de la Weltanschauung galiléenne, ce dépassement, cet outre passement qui caractérise le lutteur convaincu de sa bonne foi et désireux de convertir autrui, avec cette obsession clinique de la trahison, des autres et de soi-même. On pourrait certes excepter de la communauté philosophique grecque, très bigarrée, les disciples d’Antisthène, ces cyniques, qui privilégiaient la physis au Nomos, et convoquaient la parrhèsia, la franchise qui invite à tout dire, pour lancer des invectives à l’égard des pouvoirs en place, ce qui leur valut maints déboires sous l’Empire, sous lequel leur mouvement avait pris une tournure populaire. Julien n’hésitait pas à mêler dans le même mépris cette Cynicorum turba, munie du tribôn et de la besace, et les « Galiléens incultes », auxquels ils ressemblaient beaucoup. Les autres philosophes se contentaient d’une saine abstention, ou, de façon plus risquée, de jouer les conseillers des Princes.

     

    Pour le reste, les Anciens se battaient pour défendre les dieux du foyer, de la cité, de la communauté, ils n’avaient en vue que les intérêts de cette dernière, et si la pensée plus ample d’un ordonnancement impérial leur vint à l’esprit, à la suite des Perses et des Égyptiens, ce fut comme la donnée d’un état de fait, comme le fruit d’un arbre immense à l’ombre duquel devaient s’ébattre, dans leurs particularismes, les peuples variés constituant l’humanité. Nulle part, à nul moment, le Grec et le Romain n’apparaissent comme des sectateurs d’une religion impérieuse. À l’intérieur de la Cité s’affrontaient des factions, les potentes, les humiliores, populo grasso et populo minuto de toujours. Mais il s’agissait de combat politique, d’organisation de l’État, un État organique, lié par mille liens au tissu sociétal, et qui s’incarnait particulièrement dans des hommes, qui étaient des orateurs et des soldats. On recrutait des clientèles, on se faisait des armées privées. Ces solidarités verticales dureraient autant que l’ancien monde, jusqu’à la première moitié du XVIIe siècle, où les puissants, dans une sorte de protection déclinée jusqu’au bas de l’échelle sociale, unissaient les membres de la société, pour parfois les mobiliser contre un État de plus en plus froid et autonome.

     

    Il s’avère néanmoins qu’apparaissaient dans les temps antiques des revendications souvent rapportées par les marxistes dans leur désir d’asseoir leur usurpation sur les traces du passé. Par exemple, dans les pages consacrées à Tibérius et Caius Gracchus, Plutarque reproduit un discours censé avoir été prononcé par Tibérius : « Les bêtes, disait-il, qui paissent en Italie ont une tanière, et il y a pour chacune d’elle un gîte et un asile; mais ceux qui combattent et meurent pour l’Italie n’ont que leur part d’air et de lumière, pas autre chose. Sans domicile, sans résidence fixe, ils errent partout avec leurs enfants et leurs femmes, etc. » Comment éviter l’émergence de l’espoir quand il faut trouver du pain?  Les fils de Cornélie étaient assez grands pour se vouer au parti populaire et en perdre la vie. Leur stoïcisme les élevait à la conception d’un cosmos garant du Nomos de la Cité, et le caractère subversif de leur combat n’était qu’une tentative de restitutio de l’Urbs, des Temps anciens où le Romain était paysan et libre. On sent dans cette lutte héroïque cet élan de justice qui sert de modèle pour l’éternité aux révoltés de tous temps. Cependant, les Gracques sont d’ici-bas, de la portion sublunaire de l’univers, commune aux choses périssables et imparfaites, et l’édifice qu’ils convoitent, qui participe de la bonne vie en quoi Aristote voit le télos de l’action politique, n’est pas une cathédrale pointée vers le ciel. Leur silhouette ne ressemble pas à celles des saints peints par Gréco, longilignes, tendus presque à rompre vers un point du Ciel ouvrant des vertiges angoissés. Les Gracques ont combattu pour remplir le devoir de leur gens, de leur lignée, celle qui leur enjoignait de défendre le peuple, d’en être le protecteur. Logiquement, César reprendra le flambeau, et assurera les fondements d’un État plus apte à unir les membres de l’Empire.

     

    Depuis la Renaissance, il est d’usage d’invoquer l’exemple de la geste politique antique pour inspirer l’action. Mais la filiation est rompue, la parenté apparente de la politique contemporaine avec celle de l’antiquité est illusoire.

     

    La frontière, on le sent bien, tient à peu de choses, mais séparent deux contrées entièrement différentes. Augustin savait parfaitement que Cité terrestre et cité de Dieu étaient intimement mêlées, et qu’il n’était pas si loisible de les identifier au sein d’une vie qui se nourrit de tout ce qu’elle trouve pour se justifier. Tant que la notion de Res publica subsista, et quand elle revint dans la conscience des hommes, les luttes politiques manifestèrent la propension des clans, des ordres, des classes, des partis, à se projeter dans l’avenir pour établir ce que d’aucuns considéraient comme l’ordre légitime des choses. Chacun au demeurant, même dans les siècles « obscurs » où, selon toutes les apparences, le christianisme appuyait son empreinte, ne remettait en cause l’ordre naturel qui s’appuyait sur l’inégalité, la hiérarchie, l’occupation justifiée de places prédestinées qu’il ne s’agissait seulement que de consolider ou d’élargir. Les potentialités subversives du christianisme, un christianisme au fond vulgaire, comme il y eut un marxisme qu’on appela tel, n’apparaissaient pas, parce qu’on scindait nettement le bas et le haut de la Création, et que les fins de la Justice divines, parfois impénétrables, étaient reportées à plus tard, si possible après la mort, ou à la fin des Temps.

     

    Le militant se trouvait donc chez les orants, les moines. Les évêques, avant le Concile de Trente, ressemblent plus à des Princes qu’à des Bergers soucieux de l’éducation de leur troupeau. L’engagement du croyant, hormis lors de ces brusques flambées que furent les Croisades, qui n’étaient pas si fréquentes, au fond, mis à part l’Espagne de la Reconquista (période où se développe la figure du militant, telle qu’elle se réalisa plus tard dans la vocation de l’hidalgo Ignace de Loyola), était de bien tenir son rôle dans l’économie divine. Cette idée subsiste chez Calderon, dans sa pièce El Gràn teatro del mundo, par exemple, où pauvre, riche, seigneur etc. ont leur rôle dévolu de toute éternité.

     

    La tension néanmoins prégnante dans l’anthropologie humaniste et baroque, qui sourd parfois de minorités marquées par la structuration mentale lentement instaurée par des siècles de christianisme, tension qui se manifeste spectaculairement dans l’éruption de mouvements millénaristes, comme les mouvements paysans allemands, comme celui des anabaptistes, ou ceux des « Niveleurs » anglais, et même chez les jansénistes qui, bien que fondamentalement dans l’incapacité de proposer un programme politique, comme l’avaient fait les Réformés, ont durablement marqué de leur empreinte militante le paysage politique de la France des XVIIe et XVIIIe siècle, et bien plus tard, n’a pas été contrarié par l’adoption, au sein des grands commis de l’État, des principes machiavéliens de la Raison d’État, selon lesquels la fin justifie les moyens.

     

    L’ironie voudra que ce soit l’être le plus hostile à l’ancien monde, Lénine, le fondateur du parti bolchevik, qui synthétise ces traditions pour unir l’enrégimentement jésuitique et le prophétisme apocalyptique. La puissance d’un programme comme celui contenu dans Que faire ? ne peut s’apprécier que si l’on y distingue la jonction électrique entre le formidable effondrement des valeurs provoqué par l’avènement de l’ère moderne et l’exacerbation d’un vieux fonds mystique, particulièrement présent en Russie orthodoxe, un peu moins dans l’Europe occidentale agnostique.

     

    On découvrit il y a quelques décennies, au moment où mouraient ce que l’on nomma les « grands récits » que l’entrée en militantisme possédait de nombreux points communs avec la conversion, l’entrée en religion. Mais on ne put le dire que parce qu’on en était sorti, et que dorénavant on pouvait s’en moquer, comme du pape et des curés de village. Le militantisme de masse devint aussi étrangement suranné que les voix nasillardes de la T.S.F. et les chapeaux mous. Les sociologues et les ethnologues s’en donnèrent à cœur joie. On perdit même l’habitude de coller des affiches sur les murs. Et la production de « Grands récits » fut remplacée par les stories telling, les compagnons de route par des publicistes girouettes, et les électeurs par des consommateurs d’offres politiques. Dans le même temps, les rivalités générées par la Guerre froide, qui avaient donné l’illusion qu’un choix était possible, devenaient des options de gouvernance.

     

    Il faut une perspicacité hors du commun pour saisir du premier coup d’œil, qui vaut un instinct, la vérité d’un système, surtout quand on est plongé dans les conditions horribles qui étaient celles d’Alexandre Zinoviev, lorsqu’il avait 17 ans sous Staline. Du moment où la vue prend un peu de hauteur, qui n’est certes pas celle de Sirius, la question de savoir ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire se pose autrement que lorsque elle reçoit l’écume des événements, à la manière des journaux.

     

    Dans le premier chapitre du Voyage au bout de la nuit, Céline nous plonge dans une conversation de café du commerce. Bardamu et Ganate, anticipant les anti-héros beckettiens, parlent de tout, et changent d’avis en un temps record. La critique célinienne va loin. Car ce qui est dénoncé, dans le Voyage, ce n’est pas seulement la guerre, la colonisation, l’Amérique et la misère. Ce serait déjà beaucoup, mais dès les premières lignes, on saisit l’angle par lequel il faut aborder le monde contemporain, celui qui, faisant appel aux masses, est responsable de dizaines de millions de mort et de l’assassinat d’une civilisation comme on en a rarement vu dans l’Histoire. Ce n’est pas un hasard que Le Temps, le quotidien à succès de la belle époque, vienne à nourrir la conversation. Comme écrit Camus dans La Chute, un autre livre sans concession lui aussi, « Une phrase leur [les historiens futurs] suffira pour l’homme moderne : il forniquait et lisait des journaux. ». Une remarque de Ganate nous met au fait, comme pour nous offrir une clé : « … Grands changements ! qu’ils racontent. Comment ça ? Rien n’est changé en vérité. Ils continuent à s’admirer et c’est tout. Et ça n’est pas nouveau non plus. Des mots, et encore pas beaucoup, même parmi les mots, qui sont changés !… » En plus de Schopenhauer, il y a de L’Ecclésiaste et du Pascal chez Céline. Autant dire que c’est un moraliste de notre Temps de détresse, comme Cioran. Avec seulement de plaisir que le style.

     

    Venons-en justement, au style. Car il faut bien l’avouer, la dose d’optimisme pour faire d’un homme un militant est à peu de chose près la même que pour en faire un imbécile. L’aristocrate, comme le guerrier, sait bien lui, que le cœur de ce phénomène somme toute étrange qu’est l’existence est de savoir mourir élégamment. Tout le reste est du commerce et de la réclame.

     

    Comment prendre néanmoins les situations les plus désagréables ou les plus insupportables ? Les cas extrêmes ne semblent pas offrir beaucoup le choix. Ce même Zinoviev, dont l’autobiographie est un bréviaire pour tout dissident, sauva sa vie plusieurs fois par des gestes dont le génie venait de leur folie même. Ainsi, au sortir de la Loubianka, escorté par deux hommes du N.K.V.D., leur faussa-t-il compagnie de la manière la plus improbable, les sbires ayant oublié quelque chose et l’ayant laissé provisoirement sur place, dans la rue, ne pensant pas qu’il eût l’audace de partir. Ce qu’il fit, sans le sou, sans rien, pour suivre un destin picaresque. Et tragique.

     

    Alexandre Zinoviev, paradoxalement, ne ménageait pas sa peine lorsqu’il s’engageait dans une activité. Il fut bon travailleur, bon soldat, héroïque même. Comme Jünger fut un bon guerrier. Ce qui distingue le rebelle véritable est sa pensée de derrière. Pascal en était un. Le non que l’on porte au fond de soi est peut-être plus efficace que toute agit-prop. Ne fût-on qu’un seul à dire non, la machine est déjà grippée. L’absence d’assentiment, la passivité, la désertion morale sont bien plus dangereux pour le totalitarisme, dur ou mou, que l’attaque frontale, qui ne fait souvent qu’alimenter la propagande en retour et conforter la police. À la longue, ce travail de sape, la multiplication des refus intimes, parfois prudemment partagés avec des happy few, travaille le sol qui soutient l’édifice. Car tout totalitarisme ne vise pas que les corps : il ne peut subsister si ses membres n’adhèrent pleinement à ses rêves, qui ne sauraient être que désirables.

     

    La logique du monde étant régie, depuis des millénaires, par une destruction de plus en plus accélérée de la Tradition, le chaos est le point terminus de son évolution, ce qui peut néanmoins offrir des perspectives sportives permettant aux âmes guerrières d’exceller.

     

    Claude Bourrinet http://www.europemaxima.com

  • Le Jansénisme, de Jansen à la Révolution française (1640-1790)

    Port-Royal
    L’abbaye de Port-Royal-des-Champs, centre du jansénisme au XVIIe siècle (auteur inconnu, XVIIIe).

    Au départ courant catholique rigoriste apparaissant en réaction au molinisme, le jansénisme (du nom de Cornelius Jansen) devint au XVIIIe siècle un courant politique qui occupa le devant la scène publique des années 1710 à 1760, s’érigeant en opposition aux autorités royale et pontificale. En déclin après l’expulsion de leurs ennemis jésuites, les Jansénistes préparèrent et participèrent aux débuts de la Révolution dont l’apport idéologique fut loin d’être négligeable.

    I. De Cornelius Jansen (Jansénius) à la bulle Unigenitus (1640-1713)

    ● Jansénius, le jansénisme et le molinisme

    Cornelius Jansen
    Cornelius Jansen.

    Cornelius Jansen (1585-1638), qui va donner son nom au courant, est né à Acquoy (Pays-Bas) au sein d’une famille catholique. A partir de 1602, il fréquente l’Université de Louvain en proie à une lutte opposant le parti jésuite au parti de Michael Baius lequel prend comme référence doctrinale saint Augustin. Le jeune Jansen s’attache vite à ce dernier parti. Plus tard, il prend en charge à Louvain le collège de Sainte-Pulchérie, résidence des étudiants en théologie néerlandais. Il défend vigoureusement l’Université de Louvain face aux Jésuites qui avaient fondé leur propre école de théologie, se posant en rivale de la Faculté, puis devient évêque d’Ypres en 1635. Il prépare dans le même temps son Augustinus, énorme traité sur la théologie augustinienne, à peine fini à sa mort. Il est publié deux ans après, en 1640, et publié en français une première fois en 1641 et une seconde en 1643. Les Oratoriens et les Dominicains font un bon accueil au traité, au contraire des Jésuites qui s’y opposent vigoureusement.

    Le Jansénisme est assez proche doctrinalement du protestantisme bien que ses adeptes se déclarent parfaitement catholiques. Sa philosophie est profondément austère et pessimiste : insistant sur la corruption profonde de l’Homme et la dépendance complète à Dieu pour le Salut, le jansénisme prône le rejet du monde, ses distractions étant autant de diversions pouvant détourner le chrétien de Dieu. Au contraire, la Compagnie de Jésus, fondée pendant la Renaissance par l’espagnol Ignace de Loyola, est marquée par un certain humanisme. Les Jésuites ont adopté la doctrine de Luis Molina (le molinisme), minimisant le péché originel, et postulant que chaque homme dispose d’une grâce suffisante pour surmonter les basses tentations et mériter le repos éternel. Les deux doctrines s’opposent viscéralement. De plus, alors que les Jésuites sont résolument ultramontains et proches du pouvoir royal (jusqu’à Louis XV, les confesseurs du Roi seront systématiquement jésuites), les Jansénistes, adoptant une tradition « anti-despotique » (qui les fera s’opposer à l’absolutisme royal et l’autorité pontificale) se retrouvent dans le Gallicanisme. L’historien Dale K. Van Kley remarque que la Fronde parlementaire, dirigée contre l’autorité royale, éclate en 1648, soit sept ans après la première publication de l’Augustinus en français : est-ce qu’une pure coïncidence sachant que le jansénisme va par la suite fortement imprégner les magistrats du Parlement de Paris ?

    ● La réaction du pouvoir royal louis-quatorzien

    Le jansénisme est trop proche des positions calvinistes pour ne pas susciter la méfiance du pouvoir royal. Richelieu s’y montre hostile avant son décès. Le conflit est ouvertement déclenché lorsque les religieuses jansénistes de Port-Royal (bastion janséniste) refusent de signer le formulaire du pape Alexandre VII de 1656 rejetant une partie des propositions jansénistes. En représailles, les religieuses sont dispersées dans plusieurs couvents. En 1656-1657, la grande figure janséniste Blaise Pascal rédige ses Provinciales destinées à défendre le janséniste Antoine Arnauld condamné par la Sorbonne pour des opinions jugées hérétiques. Après une période de calme, la lutte reprend à la fin du XVIIe siècle. Une bulle de condamnation du pape est obtenue en 1705, les religieuses de Port-Royal à nouveau dispersées en 1709 et le monastère, l’église et le couvent rasés en 1711.

    En 1713, Louis XIV parvient à obtenir du pape Clément XI la bulle Unigenitus condamnant 101 propositions jansénistes. Cette bulle est une véritable bombe à retardement que laisse Louis XIV peu avant sa mort, qui va empoisonner la vie politique et religieuse du XVIIIe siècle, au point qu’un certain nombre d’historiens parlent du « siècle de la bulle Unigenitus » pour désigner le XVIIIe du point de vue politique et religieux.

    II. L’agitation janséniste de la bulle Unigenitus à l’expulsion des Jésuites (1713-1764)

    Avec la bulle Unigenitus, l’opposition des parlementaires jansénistes au pouvoir royal prend une tournure radicale. Les Jansénistes se posent en défenseurs des principes gallicans face aux ultramontains. Le jansénisme prend dès lors une forte teinte politique (les historiens parlent couramment de « second jansénisme » pour désigner ce courant politique et judiciaire). Les Jansénistes diffusent largement leurs idées dans le public par des libelles et brochures : de 1713 à 1731, plus de mille publications hostiles à la bulle Unigenitus ont été dénombrées. Les Nouvelles ecclésiastiques devient le périodique des Jansénistes, rapidement tiré à 6000 exemplaires et circulant clandestinement à partir de 1728, exemple de réussite d’une presse clandestine.

    ● Des convulsionnaires de Saint-Médard aux billets de confession

    A la mort de Louis XIV (1715), la Régence, en opposition au pouvoir précédent, se déclare favorable au jansénisme et mécontente la papauté. En 1717, le 5 mars, quatre évêques (Soanen, évêque de Senez ; Colbert, évêque de Montpellier ; La Broue, évêque de Mirepoix ; Langle, évêque de Boulogne) déposent à la Sorbonne un acte notarié par lequel ils appellent de la bulle Unigenitus ; dans le clergé, sur un total d’environ 100.000 membres, 3000 se joignent aux quatre évêques et dénoncent la bulle. L’étude de ces appelants permet de dessiner la géographie du jansénisme : le courant est essentiellement confiné au bassin parisien. Le Régent change alors sa position et devient hostile au jansénisme en exilant les appelants, excommuniés par Clément IX en 1718. Le cardinal de Fleury, à son arrivée au pouvoir, maintient la politique de fermeté.

    convulsionnaires
    Convulsionnaires au cimetière de Saint-Médard sur la tombe du diacre François de Pâris (gravure anonyme, 1737).

    Au cimetière de Saint-Médard se produisent alors d’étranges spectacles. Le diacre janséniste François de Pâris, appelant et réappelant, mort le 1er mai 1727 y est enterré. Les miracles se multiplient sur sa tombe : guérisons spectaculaires puis tremblements corporels (à partir de 1730) témoignant de la sainteté du personnage et en quelque sorte de la validité du jansénisme (affaire dite des convulsionnaires de Saint-Médard). Le cimetière est fermé par les autorités en janvier 1732, les sympathisants du jansénisme raillent l’autorité royale : « De par le roi, défense à Dieu / de faire miracle en ce lieu ». Les convulsions ne prennent pas fin pour autant, et gagnent la province, symbolisant la persécution de la « vraie foi ».

    Deux affaires suivent celle des convulsionnaires : l’archevêque de Paris Mgr de Beaumont, fortement hostile aux Jansénistes, désigne en 1749 une nouvelle supérieure à l’Hôpital général de Paris, chasse gardée des Jansénistes qui contrôlaient l’établissement. Cette décision déclenche de violentes protestations et calomnies dirigées contre l’archevêque. Quand le climat s’apaise éclate une nouvelle affaire : l’affaire des billets de confession.

    Il était d’usage d’exiger des billets de confession (attestation remise par le prêtre au chrétien ayant été confessé) pour conférer les sacrements à des personnes mourantes. Plusieurs évêques (comme celui de Laon) recommandent de n’accorder les derniers sacrements qu’aux chrétiens exhibant des billets de confession délivrés par des prêtres non jansénistes (les « constitutionnaires »). Mgr de Beaumont, dans son désir d’extirper le jansénisme de son diocèse, donne des instructions strictes en 1746 à ce sujet. La mort de plusieurs jansénistes sans les derniers sacrements scandalise l’opinion, les derniers sacrements donnant accès au salut éternel. En 1749, ce sont 4000 personnes qui assistent aux obsèques du principal du collège de Beauvais, mort sans recevoir les derniers sacrements. Le Parlement jansénisant se saisit de l’affaire et prétend instruire un procès contre l’archevêque : une grève de 15 mois des magistrats éclate, Louis XV exile les parlementaires, l’affaire s’étend aux Parlements provinciaux jusqu’à l’amnistie générale du 2 septembre 1754, donnée par le roi en échange d’un silence imposé sur les affaires ecclésiastiques. Mais rien n’est réglé. Quant à l’archevêque Mgr de Beaumont, lequel refuse toute conciliation, il est exilé le 3 décembre 1754. Pour l’opinion, l’affaire des billets de confession s’est soldée par la victoire des Parlements.

    ● L’expulsion des Jésuites

    Les Jésuites sont la bête noire des Jansénistes, tout les oppose. Une affaire va donner aux parlementaires jansénistes une fenêtre de tir : l’affaire La Valette. La Valette est le nom d’un jésuite établi en Martinique et qui avait monté une plantation de canne à sucre et entretenait un commerce pour financer des missions. En 1755, au commencement de la guerre de Sept Ans, ledit père jésuite est ruiné par la saisie de ses navires par les Britanniques. Il ne pouvait pas rembourser la dette due à la société commerciale marseillaise Lioncy et Gouffre. L’affaire passe devant le Parlement d’Aix-en-Provence qui condamne La Valette. A ce moment là, les Jésuites hésitent : faut-il rembourser la dette ou faire appel devant le Parlement de Paris ? Ils commettent une erreur qui va leur être fatale : passer devant le Parlement de Paris, le repaire de leurs plus acharnés ennemis qui ne demandaient pas mieux. Le procès commercial se transforme en procès « politique » : les parlementaires estiment que certains règlements des Jésuites sont incompatibles avec les lois fondamentales du royaume.

    En avril 1761, le Parlement demande à examiner la Constitution de la Compagnie de Jésus. Les Jésuites sont accusés de « despotisme », de « régicide » (donnés responsables sans le moindre fondement de l’attentat de Robert-François Damiens contre le roi en 1757) et d’entretenir des doctrines « pernicieuses », voire d’ébranler les fondements de la religion chrétienne. Le 6 août 1762, le Parlement déclare la Compagnie de Jésus « inadmissible par nature dans tout Etat policé ». Louis XV, conseillé par Choiseul et la marquise de Pompadour (amie des philosophes des Lumières), cherche alors à ce moment à se concilier les Parlements pour faire passer ses réformes fiscales et décide de sacrifier – à contre-coeur – les Jésuites. Un édit royal de 1764 supprime la Compagnie.

    L’historien britannique Dale K. Van Kley, dans l’ouvrage de référence The Jansenists and the Expulsion of the Jesuits from France, 1757-1765 (jamais traduit en français), a montré que cette expulsion était avant tout l’oeuvre des jansénistes, et non des philosophes des Lumières comme les historiens l’ont longtemps pensé (même si ceux-ci y étaient également favorables). Le projet d’ « exterminer » l’ordre jésuite était présent dans les écrits jansénistes bien avant l’affaire La Valette.

    III. Des Jansénistes aux « patriotes » (1764-1790)

    Les historiens ont souligné le rôle – direct ou indirect, volontaire ou non – des Jansénistes dans la Révolution. La conjonction de l’opposition janséniste et de l’opposition parlementaire, soutenue par une habile propagande (libelles et pamphlets), ont permis de dresser une partie de l’opinion publique contre l’autorité jugée « tyrannique » du roi. Dale K. Van Kley a montré qu’un grand nombre de pamphlets et brochures « patriotiques » des décennies pré-révolutionnaires sont d’origine ou d’inspiration janséniste. L’avocat Le Paige notamment, a popularisé l’idée, pendant l’affaire des billets de confession, que l’ancienneté du Parlement est supérieure à celle du Roi. Il se prononcera plus tard en faveur de la Constitution civile du clergé. D’autres jansénistes, tels que l’abbé Duguet, Maultro et Mey popularisent les idées de Montesquieu, en particulier l’idée de « despotisme », et entretiennent un climat de contestation. Les parlementaires prétendant représenter la Nation, et les Parlements étant plus anciens que le Roi, on en vient à l’idée que la Nation est supérieure au Roi.

    Jusqu’à la Révolution française, les Parlements adressent remontrances sur remontrances aux édits royaux. Louis XV se résout tardivement à adopter une politique de fermeté. Le chancelier Maupeaou, Terray et le duc d’Aiguillon sont chargés de conduire cette politique. Trois édits de février 1771 suppriment le Parlement de Paris et le remplacent par une nouvelle Cour accompagnée de six conseils supérieurs. La vénalité (vente) et l’hérédité des offices sont supprimées et la gratuité future de la justice introduite. Les protestations sont fortes, mais ce n’est qu’à la mort de Louis XV (1774) que les Parlements sont restaurés : le jeune Louis XVI, soucieux de sa popularité les rappelle. Ces Parlements bloquent les réformes de fond notamment en matière de fiscalité (rappelons qu’en 1786, les seuls intérêts de la dette entament 50 % du budget de l’Etat !). La convocation d’une Assemblée de notables (vieille institution tombée en désuétude) pour faire passer les réformes échoue, et l’opinion en appelle aux Etats généraux.

    Le marquis de Bouillé accuse les Jansénistes du Parlement d’avoir appuyé la demande de convocation des Etats généraux et d’avoir ainsi précipité la chute de la monarchie : « … je croix avec quelque fondement, que ceux qui dirigeaient alors le parlement de Paris (dont quelques-uns, tels que Duqueport et Freteau, étaient à la tête du parti janséniste qui, depuis plus de quarante ans, influençait cette cour [du Parlement], et la gouvernait même depuis l’extinction des jésuites), avaient une politique mieux calculée [que celles des magistrats], et une ambition établie sur des bases en apparence plus solides. On juge même qu’ils cherchaient à appuyer sur les états généraux les principes de l’aristocratie parlementaire qu’ils s’occupaient à établir depuis si longtemps [...]. Ainsi, au lieu d’être effrayés de la convocation des états, ils la demandèrent, persuadés que les membres de la magistrature, répandus en grand nombre dans l’ordre de la noblesse, y domineraient par l’éloquence de plusieurs d’entre eux, et par l’habitude de parler en public qu’avaient la plupart ; en même temps qu’ils se flattaient d’une influence plus grande encore dans le tiers-état par les membres du bureau et des tribunaux subalternes, qui devaient, ainsi qu’il est arrivé, remplir et diriger cet ordre. » (Mémoires du marquis de Bouillé, Berville et Barrière, 1822, 2e éd., pp. 64-65).

    Le 13 juin 1789, trois députés du clergé quittent les rangs de leur ordre pour rejoindre le tiers. Ces trois curés sont rejoints le lendemain par six autres (avec l’abbé Grégoire) et deux jours plus tard dix autres. Le 19 juin, 149 députés du clergé, soit une majorité, la plupart curés, votent le ralliement à ce qui est désormais l’ « Assemblée nationale ». Le 27 juin, Louis XVI ordonne aux autres députés du clergé et de la noblesse de rejoindre cette Assemblée nationale. Jacques Jallet, l’un des trois premiers députés du clergé à avoir fait défection en en entraînant deux autres, est janséniste, tout comme Grégoire qui le rejoint le lendemain.

    Les Jansénistes de l’Assemblée nationale prennent une part active dans la rédaction de la Constitution civile du clergé et la défendent dans les débats : « Comme Charrier de la Roche, les jansénistes sont les premiers à défendre publiquement la Constitution civile dans le vaste débat qui l’accompagne, y compris le serment controversé qu’elle exige des clercs. » (Dale Van Kley, Les Origines religieuses…, p. 519). Cette Constitution civile du clergé va opérer une véritable rupture dans la Révolution en refondant l’organisation de l’Eglise gallicane, laquelle va se diviser en clergé constitutionnel et clergé réfractaire. Elle réduit à néant l’influence pontificale et soumet les évêques et curés à l’élection (entre autres). L’abbé Sieyès s’en prend de façon claire à ceux qui « semblent n’avoir vu dans la Révolution, qu’une superbe occasion de relever l’importance théologique de Port-Royal et de faire l’apothéose de Jansénius sur la tombe de ses ennemis. » La grande majorité du clergé janséniste se range du côté constitutionnel.

    Les Jansénistes, largement minoritaires, se sont faits dépasser par la suite par les plus radicaux des révolutionnaires. Il n’aurait tenu qu’aux Jansénistes, la monarchie aurait été maintenue et il n’y aurait pas eu de politique de déchristianisation. Quelques Jansénistes se sont par ailleurs opposé dès le départ à la Révolution, et beaucoup finiront par prendre le chemin de l’exil. Le Jansénisme, déjà en déclin en 1789, ne survivra pas à la Révolution française.

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    Bibliographie :
    BEAUREPAIRE Pierre-Yves, 1715-1789. La France des Lumières, Paris, Belin, 2011.
    HILDESHEIMER Françoise, Le Jansénisme. L’histoire et l’héritage, Paris, Desclée de Brouwer, 1992.
    VAN KLEY Dale K., The Jansenists and the Expulsion of the Jesuits from France, 1757-1765, Yale University Press, 1975.
    VAN KLEY Dale K., Les Origines religieuses de la Révolution française (1560-1791), Paris, Seuil, 2006.

  • La bataille des champs Catalauniques (20 juin 451)

    Au cours de l’été 451 apr. J.-C. s’opposent aux champs Catalauniques deux coalitions hétéroclites, l’une emmenée par le patrice Aetius, l’autre par Attila roi des Huns. La date de la bataille est incertaine (peut-être septembre), le lieu l’est également.

    Attila roi des Huns
    Le banquet d’Attila, Mor Than (1870).

    Les Huns sont un peuple originaire d’Asie, proto-turc avec des composantes de type mongol (un quart selon l’historien Walter Pohl), qui fait son apparition en Europe orientale au IIIe siècle. En 375, les Huns traversent le Don, détruisent l’empire alain des rives de la Caspienne et repoussent vers l’Ouest tous leurs ennemis par la terreur qu’ils inspirent. Attila naît en 395 et est élevé à la cour de Constantinople. Adulte, il retourne dans la vallée du Danube où il gouverne son royaume avec son frère Bléda de 434 (mort de son oncle Ruga) à 445 (assassinat de Bléda). En 446, toutes les tribus des Huns sont rassemblées sous son commandement.

     

    I. Les raids sur l’Empire romain (441-451)

    Attiré par les richesses de l’Empire romain d’Orient qu’il connaît bien, Attila l’attaque à deux reprises (441-443 et 447-449) jusqu’à mettre le siège devant Constantinople. L’empereur d’Orient Théodose II achète la paix en lui versant d’énormes tributs. Le roi des Huns se tourne alors vers l’Occident et demande la main d’Honoria, sœur de l’empereur d’Occident Valentinien III, prétexte pour attaquer l’Empire (réclamation d’une dot). Il espère s’y approprier de larges territoires dont l’Aquitaine wisigothique. Il peut compter sur quelques alliés, dont les Vandales.

    Huns en Gaule
    Ville romaine en Gaule saccagée par les hordes d’Attila, Antoine Georges Marie Rochegrosse.

    Attila passe le Rhin début avril 451 avec une armée d’environ 200.000 hommes (de toutes origines). Il parvient sans difficulté jusqu’à Metz qu’il assiège et détruit la veille de Pâques (7 avril), massacrant tous ses habitants. Parcourant la Champagne, il s’en prend à Reims, Saint-Quentin et Laon. Les Gallo-Romains pensent que le chef des Huns va se diriger vers Lutèce, riche ville de 2000 habitants, mais, apprenant qu’elle est bien défendue (les Lutéciens sont galvanisés par Geneviève qui les exhorte à ne pas quitter la ville mais au contraire à s’armer et la fortifier), il s’en détourne pour Orléans, point de passage obligé pour traverser la Loire.

    L’évêque d’Orléans, Aignan, ancien militaire, quitte la ville avant le siège pour implorer l’aide du généralissime romain Aetius à Arles. Consul en 432 et patrice (titre honorifique) en 433, Aetius dispose d’un pouvoir important à Ravenne auprès de l’empereur d’Occident et il connaît bien les Huns pour avoir été dans sa jeunesse otage à la cour du roi hun. Devenu officier romain, il en a recruté à plusieurs reprises dans son armée pour leur courage. Celui-ci demande à Aignan de pratiquer une résistance à outrance jusqu’à son arrivée fixée au 14 juin 451. De retour dans sa cité, l’évêque galvanise ses habitants, leur fait chanter des psaumes et organise la défense. Les Huns, qui possèdent des machines de siège (capturées aux Romains ou construites à l’aide de transfuges romains), lancent plusieurs assauts et finissent par crever la muraille.

    Alors que la ville s’apprête à tomber, les habitants voient au loin arriver l’armée de secours commandée par Aetius englobant entres autres les Wisigoths de Théodoric Ier, les Alains de Sangiban, les Burgondes de Gondioc et les Francs saliens de Mérovée (incertain), des Armoricains et des Bretons. En apprenant l’arrivée de l’armée de secours, l’évêque dit « C’est le secours du Seigneur » (Grégoire de Tours, II, 7). Les Huns sont contraints de lever le siège et de se replier. Cette délivrance qui paraît miraculeuse en rappelle une autre, celle de Jeanne d’Arc en 1429. A la mi-juin, les Huns installés au Campus Mauriacus, près de Troyes, sont rattrapés par les troupes d’Aetius.

    II. La bataille des champs Catalauniques

    Huns à Châlons
    Les Huns à la bataille
    de Châlons
    , Alphonse
    de Neuville.

    Le déroulement de la bataille nous est connu par l’historien goth Jordanès (de langue latine), qui écrit un siècle après les faits mais qui semble avoir eu à sa disposition des documents fiables. La plaine où s’est déroulée le combat fut appelée « champs Catalauniques », nom qui vient probablement de catalauni (« chefs de guerre ») du gaulois catu, « combat », et de uellaunos, « chef ».

    Attila, tout comme Aetius, commande une vaste coalition de Germaniques (il est entouré d’une « tourbe de rois » selon l’expression de Jordanès), où les Ostrogoths de Valamir sont les plus nombreux. Sont présents les Gépides d’Ardaric, les Hérules, les Alamans, les Suèves, les Skires, les Ruges, les Bructères, les Francs ripuaires et les Thuringiens. Les Romains et les Huns sont minoritaires au sein des deux coalitions.

    Le nombre de combattants n’est pas connu. Jordanès en attribue 500.000 à Attila, ce qui est invraisemblable compte tenu des moyens logistiques. Les historiens militaires s’accordent autour de 25.000 à 50.000 hommes pour chacune des deux armées, ce qui reste énorme pour l’époque. Selon Jordanès, Attila inquiet consulte ses chamans avant la bataille, lesquels lui annoncent sa propre défaite mais aussi la mort du chef ennemi. Néanmoins, « Attila estima que la mort d’Aetius était souhaitable même au prix de sa défaite. » (Getica, XXXVII, 134-196).

    Le matin du 20 juin, Attila décide de se mettre au centre du dispositif. A sa droite sont placés les Ostrogoths et à sa gauche les Gépides et les autres peuples germaniques. De l’autre côté, Aetius met au centre les Alains de Sangiban dont il se méfie, à droite les Wisigoths et les Francs saliens. Le général romain se place à gauche. Son plan consiste à tourner l’ennemi par son aile droite (les Wisigoths).

    La nuit même avant la bataille, les Francs rencontrent une armée gépide fidèle à Attila ; l’affrontement qui s’en suit (dans l’obscurité) met hors de combat plusieurs milliers d’hommes de chaque côté.

    Le 20 juin en début d’après-midi débute la véritable bataille. Les Wisigoths affrontent et taillent en pièces les Ostrogoths, mais leur roi Théodoric est tué au cours du combat, soit en tombant de cheval, soit en recevant un javelot lancé par Andag, chef ostrogoth. Les Romains et les Francs saliens d’Aetius attaquent les Francs ripuaires, les Thuringiens, les Suèves et quelques Burgondes ralliés à Attila. Les Huns, au centre de la bataille, lancent une violente charge de cavalerie mais se heurtent aux cavaliers alains qui leur tiennent tête. Habitués aux attaques fulgurantes, les cavaliers huns sont peu habitués à soutenir une pression continue de la part de l’ennemi. Les Wisigoths se portant vers les Huns (conformément au plan d’Aetius) forcent Attila à reculer jusque dans son camp circulaire de chariots, alors que la nuit tombe. La prédiction des chamans d’Attila se révèle juste, mais c’est Théodoric qui a perdu la vie, et non Aetius comme le pensait le chef hun.

    Le lendemain, les Huns dans leur camp se tiennent prêts à se battre, se préparant à subir un siège. Attila aurait fait élever un bûcher composé de selles de chevaux dans lequel il se tenait prêt à se jeter en cas de défaite. Les Wisigoths cherchent le corps de leur roi. « Ils le trouvent au milieu de très nombreux cadavres, et, l’ayant honoré par des chants, ils l’enlèvent sous les yeux de l’ennemi. Vous eussiez vu des troupes de Goths dans le fracas de leurs voix discordantes qui, alors que la guerre faisait toujours rage, étaient venus rendre les honneurs funèbres » (XLI, 214). Après avoir entrechoqué leurs armes, ils proclament Thorismond, frère de Théodoric, roi.

    Aetius et Thorismond décident de ne pas pousser plus loin leur avantage pour des raisons stratégiques. Aetius pense que si les Huns sont éliminés, l’Empire romain d’Occident va passer sous la coupe des Wisigoths (il voit dans les Huns un contrepoids aux Wisigoths). Au contraire, Thorismond se dit que si les Huns sont écrasés, l’Empire va se retrouver fortifié par l’afflux d’un grand nombre de mercenaires Huns. Aucun des deux hommes ne voyant son intérêt dans l’anéantissement des Huns, et le mythe de l’invincibilité d’Attila ayant volé en éclats, l’alliance de circonstance entre Romains, Wisigoths et Alains se brise et Thorismond part pour Toulouse (l’année suivante, les Wisigoths de Thorismond écrasent leurs anciens frères d’armes, les Alains de Sangiban !). Attila peut battre en retraite tranquillement ; il passe le Rhin avec le prestigieux évêque Loup comme otage, pour ne pas être attaqué.

    III. Les derniers feux d’Attila (452-453)

    Rencontre entre Attila et Léon le Grand - Raphaël
    La rencontre entre Léon le Grand et Attila (fresque de Raphaël, 1513-1514, palais du Vatican).

    Attila ne revient plus en Gaule, mais ses forces restent suffisamment importantes pour attaquer l’Italie. Après avoir réorganisé ses forces, il descend la péninsule italienne en 452, rase Aquilée (une partie de ses habitants iront se réfugier sur des îlots au Sud, formant l’embryon de la future Venise), pille Milan, Padoue, Vérone et Pavie. Aetius laisse à leur sort les villes du Nord et se réfugie à Rome avec l’empereur ; son projet était de quitter l’Italie avec Valentinien III mais le Sénat s’y est opposé. L’empereur d’Orient Marcien, successeur de Théodose II, apporte son aide en attaquant les Huns du Danube, ouvrant en cela un deuxième front, et en envoyant des auxiliaires en Italie.

    L’armée des Huns est affaiblie par la chaleur, les exhalaisons et moustiques des marais d’Aquilée, le manque de vivres (famine de 451), la dysenterie. Alors qu’il marche sur Rome, ville très bien fortifiée, le pape Léon le Grand, ami d’Aetius, se porte à sa rencontre. Au cours d’une entrevue dont le contenu est resté secret, le pape parvient à convaincre le chef hun de se détourner de l’Italie pour retourner en Pannonie.

    Le « fléau de Dieu » décède en 453, le soir de ses noces avec une princesse burgonde, des suites d’une hémorragie selon Jordanès. La coalition disparaît avec son chef, ses composantes ne parvenant pas à s’entendre et s’entre-déchirant. Une partie des Huns se dirige vers l’Est, dans la région de la Volga. Ils ne représenteront plus de menace sérieuse. Quant à Aetius, il ne survit qu’un an à son ancien ennemi, l’empereur Valentinien III, ayant peur pour son trône et jaloux de sa gloire, le faisant assassiner en 454.

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    Bibliographie :
    CHAUTARD, Sophie. Les grandes batailles de l’Histoire. Studyrama, 2010.
    ROUCHE, Michel. Attila, la violence nomade. Fayard, 2009.

  • Un processus fou

     

    Le cinquantième anniversaire du traité d’amitié franco-allemand, la grève des instituteurs parisiens, les élections israéliennes, l’intervention de la France au Mali …autant de sujets qui font les gros titres des médias. Plus en tout cas que la manifestation hier à Bruxelles des buralistes français qui sont en train de mourir sous les coups redoublés du gouvernement et de l’Europe,  ou que la condamnation hier également de « l’humoriste » Mathieu Madénian. Le « comique » a écopé de 1.000 euros d’amende avec sursis pour injure publique envers le Front National. Une peine assortie de 1.000 euros de dommages et intérêts au FN et 1.500 euros pour les frais de justice. Lors d’une émission sur la chaîne Direct 8 -dans l’émission “Morandini!” du 26 septembre 2011-, il avait déclaré que 18% d’intentions de vote pour le Front national signifiait « 18% de fils de pute en France ».

    L’histoire ne dit pas si M. Madénian consulte régulièrement le site de Francetv info dont un article indiquait hier que « L’immigration comorienne pèse sur l’économie de Mayotte » ; un doux euphémisme introduisant la vidéo mise en ligne le 22 janvier évoquant un reportage de France 2 .

     « Un millier de morts ont été recensés en dix ans dans les eaux qui séparent Mayotte des Comores. Femmes et bébés font souvent le voyage dans des embarcations de fortune (…) . Les dispensaires de Mayotte soignent ces clandestins et des milliers de jeunes comoriens de très bas âge déambulent dans des bidonvilles de l’île, les parents étant expulsés vers les Comores (…) une économie en faillite dans ce département au bout du monde. »

    Nous l’évoquions sur ce blog dans un article publié le 6 octobre 2011, C’est à Mamoudzou, capitale de Mayotte, que se trouve la plus grande maternité de France, avec près de 5 000 naissances par an sur les 8 000 dans l’île… «En quelques années, indiquait alors le ministre de l’Outre-mer, Marie-Luce Penchard,le nombre d’enfants scolarisés dès l’âge de 3 ans a été doublé» (75 % des 72 000 enfants scolarisés à l’école primaire à Mayotte sont étrangers, NDLR).

    Sur l’île , les Français, Métros et Mahorais réunis, seraient 130 000,  les immigrés comoriens 50 000, probablement le double selon certaines sources. Les 20 000 comoriens expulsés chaque année reviennent dans la foulée sur ce territoire français. Insécurité,  délinquance violente, racisme anti-français font partie du quotidien.

    Le 22 décembre dernier, même Le Monde tirait la sonnette d’alarme : « Les flux (d’immigrés) en provenance du 139e pays le plus pauvre au monde sur 182 (les Comores, NDLR) ont atteint des proportions telles que si des médecins examinaient Mayotte, ils concluraient sans doute à son état d’épuisement. »

    « La pression est telle que le rapport démographique a atteint des records : 40 % des 212 000 habitants de Mayotte sont désormais d’origine comorienne (+ 25 % depuis 2007). La plupart sont en situation irrégulière. Même l’éducation nationale ne suit plus:25 % à 40 % des élèves sont issus de familles sans papiers. »

    Les gendarmes ne sont pas les seuls à tenter d’écoper la mer avec une petite cuillère: « Leurs bateaux (de surveillance) utilisent plus de 100 litres d’essence par heure. Leurs moteurs à 30 000 euros pièce s’usent les uns après les autres à force de remorquer les kwassas (embarcations, NDLR) interceptés. Pour un résultat de surcroît relativement médiocre : une embarcation sur trois empêchée d’atteindre Mayotte. »

    « Faute de patients solvables est-il encore indiqué, le système de santé est aussi proche de l’effondrement. Les soins sont gratuits pour les plus démunis qui ont une pathologie très grave ou dont le pronostic vital est engagé. Ce qui attire des embarcations entières de Comoriens malades, dont beaucoup de handicapés. Dans le même temps, le suivi des pathologies bénignes est compliqué car l’accès à la Sécurité sociale est conditionné à la régularité du séjour(…)»

    « Si toutes les infrastructures sont en difficulté à Mayotte, cette situation n’est pas qu’un enjeu local. Elle concerne directement Paris (…) la quasi-totalité des jeunes arrivant en métropole après un début de cursus sur l’île – dont des Comoriens devenus français – sont en échec scolaire ou professionnel. »

    Et pour compliquer les choses, « depuis peu, des demandeurs d’asile venus de l’Afrique des Grands Lacs débarquent aussi à Mayotte. Pour se loger, ces Africains s’agglutinent à leur tour avec les Comoriens dans les bidonvilles. Faute de ressources, les femmes – à l’instar des sans-papiers – n’ont d’autre choix que de se prostituer (…). On m’avait dit que c’était la France, résume un jeune Congolais de 18 ans, dépité, alors qu’il venait d’obtenir son statut de réfugié. Il s’appelle Baguma et son seul objectif est de rejoindre au plus vite la France. La vraie . »

    Bruno Gollnisch l’affirme, Ce n’est pas en tiers-mondisant la France que l’on aidera le tiers-monde, charité bien ordonnée commence par soi même. La situation commanderait bien évidement de prôner l’amour du prochain plutôt que du lointain pour éviter le naufrage, de supprimer le droit du sol, les avantages sociaux accordés aux immigrés et de rétablir une stricte préférence nationale.

     Le simple bon sens devrait inviter les plus immigrationnistes à ouvrir les yeux sur la dure réalité. Sans angélisme déplacé. Ainsi il est assez « surprenant » qu’en métropole, les évêques de Nantes, Luçon, Angers, Laval et Le Mans aient appelé « tous les baptisés » à « changer de regard sur les personnes migrantes et réfugiées ».

    « Nous invitons toutes les communautés chrétiennes à réfléchir à leur accueil », ont-ils affirmé,  en rappelant la phrase de Jésus rapportée par l’évangile selon saint Matthieu : « J’étais un étranger et vous m’avez recueilli. ».« Cela, d’autant plus que dans le contexte de crise que nous traversons, nous sommes parfois tentés par la peur et la méfiance à l’égard de l’étranger. »

     La question étant de savoir, mais ses évêques n’y répondent pas, à partir de quel taux de refus sommes-nous infidèles à la parole de Jésus pour accueillir tous les immigrés qui se pressent à nos frontières ?

     Mgr Dognin, de son côté, s’est félicité des « efforts de l’administration » pour l’ « abrogation de la circulaire sur les étudiants étrangers ou encore suppression du délit de solidarité » pour les personnes aidant des clandestins. Plus globalement, au sujet des immigrés, il feint de s’interroger : « Pourquoi leur donner certains droits et pas tous, comme celui de se présenter ou d’élire son député ? ».

     Le 22 décembre dernier, dans une lettre adressée à Christophe Barbier, directeur de l’Express, le professeur Yves-Marie Laulan, Président de l’Institut de Géopolitique des Populations, rappelait « les estimations de (son) dernier colloque du 11 février 2012 qui évalue à 73,3 milliards le coût net de l’immigration, défalcation faite d’une valeur ajoutée par les immigrés de 55,9 milliards . »

    Il réfutait l’assertion sur les bienfaits économiques de l’immigration de masse : ,« Faisons venir en France chaque année 200 000 sympathiques Congolais plus 200 000 aimables Maghrébins, qui ne demandent que cela, et voilà la France qui caracole en tête des pays européens. »

    « Cette proposition n’a aucune sens. Car assimiler un immigré venant du Tiers monde à un jeune français, allemand, britannique , formé et qualifié consiste à commettre l’erreur classique de nos  immigrationnistes  de choc. Cette vision quantitativiste est tout simplement une niaiserie, indigne (…) »

     « L’immigré coûte bien plus qu’il ne rapporte. Car il n’est malheureusement pas formé, ni éduqué ni qualifié . Il faut donc, dès qu’il pose son pied sur le territoire national, le prendre en charge , c’est-à-dire le loger, le soigner, mettre ses enfants à l’école, et lui donner de quoi subsister (l’ATA) . Et lutter contre l’inévitable délinquance. »

    « Mais, en revanche, cela explique en partie l’extraordinaire montée en puissance du budget social de la France qui vient encore tout récemment s’alourdir de 2,5 milliards supplémentaires en faveur des pauvres et des déshérités dont la plupart proviennent de l’immigration, légale ou clandestine. Au surplus, la fameuse CMU de Martine Aubry va bénéficier à 500 000 bénéficiaires supplémentaires . Je vous laisse deviner leur origine. »

    « Tout ceci pour dire qu’il faut être quelque peu demeuré, ou cynique, pour oser prôner la poursuite de l’immigration -250 000 par an dont 200 000 légaux et 50 000 au moins venant de l’immigration clandestine, futurs chômeurs ou assistés sociaux- alors que le taux de chômage va vers 11% de la population active et que le budget social éclate de toutes parts, cependant que le taux de croissance de notre pays stagne autour de 0 %. »

    Un constat de bon sens, que M. Laulan,  les dirigeants du FN partagent avec une majorité de Français. Il est révélateur que dans notre démocratie confisquée, comme l’a souligné Bruno Gollnisch à de nombreuses reprises, nos compatriotes n’aient jamais été consultés sur la nécessité de stopper ce processus fou.

    http://www.gollnisch.com

  • La comptabilité n'est pas neutre en économie

    Pour beaucoup de monde, la comptabilité n'est rien d'autre qu'une technique d'enregistrement des mouvements d'argent au sein d'une entreprise, d'une société qui permet de savoir si celles-ci sont bien ou mal gérées. Pourtant, rien n'est plus faux que cette image de neutralité de la comptabilité perçue comme discipline objective se contentant de constater ce qui se passe lorsque l'on sort du simple tableau débit/crédit tel qu'il apparaît sur le relevé de compte en banque d'une famille.
    L'EXTRÊME RIGUEUR DES PREMIERS TEMPS DU CAPITALISME
    Le véritable problème de la comptabilité n'est pas tant d'enregistrer ce qui se passe dans la réalité que de savoir comment prendre en compte cette réalité. Des règles existent, dans les « plans comptables » pour indiquer dans quelle catégorie un actif, une dépense, un achat, un flux financier doit être inscrit : déjà, à ce stade, la représentation de l'activité de l'entreprise, à travers son bilan et ses différents comptes, sera modifiée selon les règles retenues et la manière dont elles seront mises en œuvre, dans la mesure où il y aura inévitablement une part d'interprétation. Au-delà de la rigueur, la comptabilité relève aussi d'un certain art.
    Mais il y a plus : ainsi, comment relever la valeur réelle d'une machine dans un atelier ? Doit-on la comptabiliser à la valeur de la casse, comme cela s'est fait longtemps, ou bien la comptabiliser, comme actuellement, selon le « principe du coût historique », c'est-à-dire selon le prix auquel elle a été achetée ? La réponse à ce seul problème peut modifier bien la situation d'une entreprise et de sa gestion. Dans le premier cas, la valeur des actifs d'une entreprise est nécessairement faible ; dans le second, elle est évidemment bien plus élevée.
    Historiquement, au XIXe siècle, c'est la conception du premier cas qui était retenue. Elle se rapportait à une vision très austère de l'activité et du risque économiques. La faillite était vécue comme une hantise et la prise en compte des actifs se faisait en anticipant une éventuelle faillite en simulant le capital résiduel en cas de liquidation des biens. Dans le même temps, elle s'accordait avec une conception de l'entrepreneur qui investissait directement son capital, disposait d'un maximum d'autofinancement, faisait donc peu appel à l'emprunt et était responsable sur des biens propres. La prise de risque du "capitaliste" n'était pas un vain mot et cette pratique s'inscrivait encore dans la tradition d'honneur et d'effort de la civilisation européenne toujours vivante. Le « principe de prudence » alors appliqué faisait que l'on évitait de prendre en compte des profits à venir, autrement dit des profits potentiels pour ne retenir que les pertes potentielles.
    L'inconvénient d'un tel système était de ne faire apparaître les profits, autrement dit les dividendes pour les actionnaires d'une entreprise, que vers la dernière période de production des investissements : on ne touchait pas de bénéfices rapidement.
    LE SYSTEME DU "COÛT HISTORIQUE"
    Ce système peu attrayant convenait mal lorsque le développement économique nécessita de mobiliser toujours plus de capitaux : il fallait attirer les épargnants et, pour cela, leur assurer des revenus plus rapides. A l'âge de l'entrepreneur pionnier commençait à se substituer celui du financier et du spéculateur, la bourse prenant de plus en plus d'importance dans l'économie. Pour cela, il fut décidé de ne plus envisager une liquidation fictive comme c'était le cas avec ce système comptable mais en considérant que l'entreprise existait durablement, invoquant le « principe de continuité ». La nouvelle conception reposait sur l'idée qu'une machine produit des richesses durant sa vie et qu'il faut prendre en compte cette réalité. Autrement dit, on comptabilisera la valeur d'un actif à son prix d'achat, ce que l'on appelle le « coût historique » diminué chaque année d'un pourcentage correspondant à l'usure de la machine calculée sur sa durée de vie estimée : c'est le principe de l'amortissement, bien connu de nos jours.
    C'est ce système comptable fondé sur le « coût historique » qui a dominé tout le XXe siècle jusqu'aux années 1980. De ce fait, la valeur comptable des entreprises, ainsi fondée sur cette conception anticipatrice mais considérée comme «valeur réelle» au sus de tous, était réévaluée par rapport au modèle précédent mais permettait de distribuer plus rapidement des bénéfices, à savoir des dividendes pour les actionnaires.
    VENDRE LA PEAU DE L'OURS
    Toutefois, ce n'était pas suffisant : pour satisfaire les actionnaires, il fallait accroître l'anticipation des bénéfices. C'est pourquoi nous en sommes aujourd'hui à une troisième prise en compte de la valeur d'un actif, à savoir qu'une machine ne représente plus un coût mais une somme de services actualisés, autrement dit de services futurs, non encore réalisés, ramenés à l'instant présent. L'argument de base invoqué - et tiré des travaux d'économistes tel Walras ou ceux de l'École autrichienne - est le suivant : dans la mesure où un équipement va être utilisé durant plusieurs années, il faut calculer la valeur de cette utilisation en anticipant cette dernière ; c'est le principe connu sous le nom "d'actualisation" : la valeur comptable d'un équipement va donc inclure pour une part des bénéfices non encore réalisés. Jusqu'alors, on ne distribuait des bénéfices que sur des actes commerciaux réalisés ; maintenant, il n'est plus besoin d'attendre que les faits se produisent : il suffit d'anticiper, en considérant comme sûre l'espérance de voir les faits se réaliser. Le principe d'imprudence - et à la limite d'escroquerie - est entré dans l'ordre comptable.
    Autrement dit, on ne prend plus en compte une valeur de réalisation - raisonnablement supposée comme certaine mais simplement  une  espérance de profits. Nous sommes ainsi entrés dans l'ère de la valeur virtuelle et cela d'une manière d'autant plus dangereuse que l'on ne prend plus en compte les risques de perte, inversant ainsi les règles de simple prudence et de bon sens qui prévalaient depuis le XIXe siècle.
    L'effet d'une telle évolution de la comptabilité conduit à favoriser la recherche de profits à court terme et à ouvrir ainsi la porte à tous les dérèglements.
    LES NORMES IFRS
    Cette troisième phase s'est traduite par l'adoption de nouvelles normes comptables appelées IFRS (International Financial Reporting Standards). De quoi s'agit-t-il ? Le système repose sur le principe de la « juste valeur » (Fair Value), autrement dit sur la règle que les actifs d'une société doivent être valorisés à leur valeur de marché. Le but de cette réforme était de faciliter le travail de valorisation des sociétés ; mais cela entraîne une très grande volatilité de la valeur des actifs et la publication de résultats comptables sans rapport réel avec leur activité économique. En outre, cette valorisation s'applique indifféremment à des actifs d'une durée de moyen et de long terme pour lesquels la valorisation instantanée n'a pas de sens. En outre les méthodes de valorisation manquent de clarté et d'harmonisation entre les sociétés.
    Les établissements de crédit comme les entreprises ayant d'importantes participations financières se trouvent particulièrement exposés à ces défauts. Avec un tel principe, c'est une nouvelle philosophie de la compréhension de la situation financière des entreprises qui apparaît. Et c'est surtout la valorisation des actifs selon les techniques boursières qui fait son entrée dans la comptabilité.
    Ces normes IFRS se sont imposées aux Etats européens au début des années 2000, venant des États-Unis, à travers un organisme a priori indépendant, l'IASB (International Accounting Standard Board), auquel l'U.E., bien légèrement, a en quelque sorte donné carte blanche pour leur mise en œuvre. Celui-ci, aidé par les jeunes générations de cadres financiers formés dans les grandes écoles du mondialisme que sont les écoles de commerce et de gestion délivrant les fameux MBA (Master of Business Administration), a conduit à la transformation non négligeable des systèmes comptables en place comme le PCG français (Plan Comptable Général), plaidant pour une harmonisation des règles comptables en Europe et dans le monde occidental. Alors que le PCG régissait le seul droit comptable, les normes IFRS intègrent l'information financière en général, laquelle est essentiellement tournée vers les actionnaires et autres investisseurs.
    Actuellement, les normes IFRS régentent les « comptes consolidés » des entreprises, c'est-à-dire les comptes qui rassemblent tous les comptes et résultats des entreprises, notamment des grands groupes, et qui jouent un rôle majeur dans l'information économique et financière.
    Ce type d'information, concernant les anticipations et les perspectives de production n'est certes pas inutile mais n'a pas sa place dans une discipline qui doit, autant que possible, être un diagnostic de la santé d'une entreprise.
    LES NORMES ET LA CRISE FINANCIÈRE
    Ces normes IFRS ont contribué au développement de la pandémie financière présente et à venir dans la mesure où elles ont faussé les bilans : alors que les actifs des instituts financiers étaient comptabilisés à la valeur boursière, qui avait augmenté vertigineusement au cours des années 1990-2000, les dettes demeuraient évaluées à leur valeur initiale, ce qui a gonflé artificiellement les profits comptabilisés ! Le phénomène a encore été aggravé lorsque l'IASB a décidé de ne plus amortir certains actifs immatériels jugés rétifs à cet exercice, les traitant ainsi comme indestructibles. Une telle situation, jointe à la prestidigitation développée par « l'industrie financière » avec notamment les produits dérives, ne pouvait - et ne peut - qu'engendrer l'euphorie et conduire à l'abandon de toute prudence en matière de distribution de crédit. La politique du « n'importe quoi », pour ne pas dire de la malhonnêteté, sera illustrée par les faits suivants. Selon les normes IFRS, nous l'avons vu, les valeurs des actifs sont comptabilisées à la valeur des "marchés" (en réalité, quelques poignées d'agents financiers agissant derrières leurs écrans d'ordinateurs). En période  de hausse, tout va bien. Mais lorsque la crise arrive, comme en 2008, la logique des normes IFRS voudrait que l'on comptabilise ces mêmes actifs à la valeur des marchés, autrement dit une valeur fortement dévalorisée. Ce qui signifiait une forte dévalorisation de la valeur affichée des entreprises, autrement dit l'aggravation d'une situation déjà catastrophique. Que fut-il alors décidé par les instances financières mondialisées ? Tout simplement de ne pas comptabiliser les pertes au motif que, en période de crise, les marchés ne peuvent plus fonctionner correctement et par conséquent les valeurs relevées ne signifient plus rien !
    Des dirigeants financiers s'inquiètent du maintien de tels principes dangereux, tel le président d'AIG, groupe d'assurance américain qui a demandé leur remise en cause, tel le directeur général de Paribas Baudoin Prot qui s'est inquiété de trouver le moyen d'en limiter les effets « pro cycliques ». Mais il est à penser que les choses en resteront aux vœux pieux et aux vaines critiques. L'IASB n'a préconisé que des modifications ponctuelles qui ne remettent pas l'ensemble en cause alors que les normes IFRS s'appliquent à un nombre croissant d'Etats. Et l'on peut craindre que le "mal" augmente dans la mesure où les normes IFRS demeurent encore imprégnées des normes précédentes. Il existe en effet des projets plus extrêmes t fondés sur la « full fair value » autrement dit le « valeur sincère entière », qui vise à calquer la comptabilité sur les règles de spéculation boursière : le pire est donc à venir.
    L'étendue de l'escroquerie pourrait être élargie en prenant en compte les politiques fiscales qui, pour amoindrir la fiscalité pesant sur les plus puissantes sociétés, a instauré la technique de l'amortissement fiscal accéléré, la « prestidigitatrice en chef » étant probablement Margaret Thatcher qui, dans les années 1980 a autorisé des amortissements fiscaux de 100 %, autrement dit permettant de passer en perte sur une année la totalité d'un actif dont la durée de vie est de plusieurs années.
    UNE URGENTE REMISE EN ORDRE
    La comptabilité n'est pas, à l'évidence, une discipline neutre. Comme toute description, elle relève de concepts, de principes qui ont nécessairement leurs défauts, lesquels peuvent toujours être - et seront toujours - détournés à des fins frauduleuses. Mais ces principes doivent être honnêtes, réalistes. Ils ne peuvent être indépendants de la morale naturelle, c'est-à-dire des principes sains, de bon sens, sans lesquels une société est menacée d'effondrement. Il est clair que les principes fondamentaux appliqués actuellement en comptabilité ne sont pas des principes sains. Dans la perspective du redressement de notre civilisation à laquelle œuvrent tous les hommes de bien, à commencer par les nationalistes, il est vital de dénoncer les pratiques comptables actuelles et de définir des règles comptables saines et sincères. Lorsque l'actuel système aura sombré, provoquant le chaos, il faudra reconstruire l'ordre sur de saines bases.
    André GANDILLON, Président des Amis de RIVAROL
    Rivarol du 1er juillet 2011

  • La Licra s'est bâtie sur un mythe

    Des antiracistes manipulés par l'URSS

    Patrick Gaubert, le président de la Licra, est furieux. En mai dernier, hommage à été rendu à l'Arc de Triomphe à Simon Petlioura, le « père de la nation ukrainienne ».
    Or celui-ci aurait été un fieffé antisémite. Ce qui est faux. Mais comme c'est sur ce mythe que s'est fondée la Licra il y a bientôt 80 ans ...


    Le jeudi 25 mai dernier, après une célébration sur la tombe de Simon Petlioura au cimetière de Montparnasse, une cinquantaine de personnes se sont retrouvées à 17 h 30 sous l'Arc de Triomphe entourées par un confortable dispositif policier alors qu'une vingtaine de militants de la Licra étaient tenus à distance. Au cours de la cérémonie, organisée par l'ambassade d'Ukraine à Paris, deux gerbes ont été déposées sur la tombe du soldat inconnu, dont une par l'ambassadeur, Yuriy Sergeyev. Etaient également présents des représentants du Comité représentatif de la communauté ukrainienne en France et de la Bibliothèque Simon Petlioura. Après la sonnerie aux morts ont retenti l'hymne ukrainien (« L'Ukraine n'est pas encore morte » ) et La Marseillaise. Le lendemain était organisé un colloque sur « La place et la personnalité de Simon Petlioura aujourd'hui » avec la participation de nombreux universitaires ukrainiens.

    Le président de la Licra hurle au « scandale mémoriel »
    Le 26 mai au soir, Le Monde publiait une tribune libre du président de la Licra, Patrick Gaubert, par ailleurs député UMP au Parlement européen, ancien chargé de mission auprès de Charles Pasqua au ministère de l'Intérieur et membre du comité consultatif de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). N'ayant pu obtenir du ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, qu'il consigne l'ambassadeur d'Ukraine à sa résidence plutôt que d'aller «profaner» la tombe du Soldat inconnu, Patrick Gaubert prenait les lecteurs du Monde à témoin de ce « scandale mémoriel » organisé pour le 80e anniversaire de la mort à Paris de Simon Petlioura, qui fut l'otaman - le commandant en chef de l'armée - et le président de la République ukrainienne indépendante (1919) jusqu'à ce que ses troupes soient, l'année suivante, battues par les forces bolcheviques :
    « Nous sommes tout simplement en train d'assister à un viol de la mémoire, à un déni d'histoire, à un second assassinat, posthume celui-là, des victimes juives [...] Tous les Français doivent savoir qu'un assassin est honoré sur le sol même de la République, dans ses lieux de mémoire et de paix. Cela, la Licra ne le tolère pas. Au nom de son histoire et de toutes celles et tous ceux qui périrent de la folie des hommes. » On passera le couplet sur les « relents nauséabonds » que Gaubert sent exhaler de l'Est de l'Europe.
    Pourquoi une telle hargne à l'égard d'un hommage rendu à un Ukrainien dont peu de Français connaissaient jusqu'alors l'existence ? Parce qu'un antisémite, fût-il obscur, n'a pas à être honoré sur la tombe du Soldat inconnu ? C'est ce que Gaubert voudrait faire croire, et c'est même ce qu'il est obligé de faire croire. Car si le mythe de l'antisémitisme de Simon Petlioura s'effondre, mythe forgé dans les années qui ont suivi la Révolution d'Octobre par la propagande soviétique, c'est la Licra elle-même qui vole en éclats et se voit obligée de reconnaître qu'elle a été créée sur une imposture.

    Abattu de sept balles devant la librairie Gibert
    Le 25 mai 1926, Simon Petlioura, en exil à Paris, déjeune chez Chartier puis se dirige vers le boulevard Saint-Michel. A la hauteur de la librairie Gibert, un homme l'apostrophe. Il se retourne et n'a que le temps d'apercevoir un homme pâle d'une quarantaine d'années qui braque un pistolet en sa direction. Sept balles l'atteignent dont une au cœur, mortelle.
    L'assassin, aussitôt arrêté, s'appelle Samuel Schwartzbard. Il est horloger, est né à Smolensk (Biélorussie), dit avoir vécu en Ukraine où sa famille, israélite, aurait été décimée par un pogrom, ce qui justifie son acte. Il ne dit pas, mais la police va bientôt le découvrir, que son idéalisme doit être tempéré par une condamnation à quatre mois de prison pour cambriolage en Autriche. Il a aussi été expulsé de Hongrie pour « raisons administratives ». Il est arrivé en France en 1911 à l'âge de 25 ans et s'y est marié.
    Son procès s'ouvre le 18 octobre 1927 devant les assises de la Seine. Me Henry Torrès le défend, militant socialiste, celui-ci a rejoint de Parti communiste français au congrès de Tours (1920) puis l'a quitté pour fonder une organisation dissidente. Quatre ans plus tôt, il a déjà obtenu l'acquittement de l'anarchiste Germaine Breton, jugée pour l'assassinat, qu'elle avait reconnu, du responsable monarchiste de l'Action française, Marius Plateau. L'année suivante, il a aussi sauvé la tête de l'anarchiste italien Ernesto Bonomini, meurtrier de Nicola Bonservizi, représentant à Paris du régime fasciste de Benito Mussolini. Me Torrès va encore faire des miracles.

    L'assassin acquitté sous une salve d'applaudissements !
    Il peut cette fois encore s'appuyer sur une importante campagne de presse. Elle est animée par Bernard Lecache. Celui-ci, qui avait également rallié le PCF en 1920 avant de revenir dans le giron du Parti socialiste et est réputé pour ses diatribes antimilitaristes, mobilise ses réseaux. Quelques jours avant le procès, le ton est donné par L'Humanité qui titre : « La tragédie juive d'Ukraine » et prend la défense du « meurtrier du brigand Petlioura ». Lecache crée aussi pour l'occasion une nouvelle organisation, la Ligue contre les pogroms, à laquelle adhèrent aussitôt nombre de personnalités parmi lesquelles Albert Einstein, Léon Blum, Maxime Gorki ou Victor Hasch.
    Me Torrès a convoqué quatre-vingts témoins, tous plus illustres les uns que les autres. Aucun n'a assisté à un pogrom, mais la plupart savent, de source sûre, qu'ils ont eu lieu et que Petlioura les a ordonnés. Samuel Schwartzbard lui-même s'emmêle dans ses récits historiques, confondant lieux, dates et protagonistes. Le 26 octobre 1927, le verdict tombe pourtant sous une salve d'applaudissements : acquitté ! La partie civile, qui n'en croit pas ses oreilles, doit se contenter de deux francs de dommages intérêts ! Même pas de quoi payer les obsèques !
    « Dans les jours qui suivent, rappelle la Licra, la Ligue contre les pogroms se transforme en Ligue internationale contre l'antisémitisme (Lica) », qui deviendra la Licra, avec un « r » pour racisme, en 1979. Les statuts de l'association seront déposés en février 1928 et Bernard Lecache en prendra la présidence jusqu'à sa mort en 1968.
    Dans le comité d'honneur de la Lica nouvellement créée figurent alors, outre Blum et Einstein qui poursuivent la lutte, les écrivains Romain Rolland et André Malraux, l'ancien président du Conseil et futur président de l'Assemblée nationale, Edouard Herriot, le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, qui recevra en 1951 le prix Nobel de la paix, etc. Sigmund Freud, Tristan Bernard et beaucoup d'autres la rejoindront plus tard.

    La leçon d'histoire de l'ambassadeur d'Ukraine
    Or tous ont été abusés, à l'exception bien sûr de quelques-uns qui savaient mais qui n'ont rien dit en raison de la nécessité qu'il y avait alors, pour le clan pro-soviétique, d'accréditer la thèse de l'antisémitisme de Simon Petlioura. Patrick Gaubert sait-il sur quelle mystification l'organisation qu'il dirige s'est créée ?
    Yuriy Sergeyev, l'ambassadeur d'Ukraine, a écrit au président de la Licra. Il ne doute pas de son honnêteté. Il pense qu'il manque d'informations comme lui-même en a été privé jusqu'aux années 1990, lorsqu'il a découvert que les « stéréotypes négatifs sur la personnalité de Simon Petlioura ont été imposés par l'URSS en France par l'entremise du Komintern », où « elles restent vivaces ». Car l'ouverture des archives du KGB, le travail mené par les organisations indépendantes de défense des droits de l'homme, les recherches historiques menées par les Ukrainiens dans le but de retrouver leur mémoire identitaire vont toutes dans le même sens : « Le procès de [Schwartzbard] a été instrumentalisé par les autorités soviétiques, par l'intermédiaire du Komintern, pour compromettre l'idée de l'indépendance ukrainienne en remettant sur l'un de ses artisans la responsabilité des persécutions des Juifs, tandis qu'elles avaient pour seule cause la politique officielle d'antisémitisme, partie intégrante de l'idéologie de l'Empire Russe. » « Dans les années 1920, ajoute-t-il, d'aucuns en ont profité pour contrecarrer la renaissance de l'Ukraine indépendante et semblent en user aujourd'hui pour empêcher le retour de l'Ukraine à la démocratie et à l'Europe. »
    Il y a donc le mythe, auquel Simone Signoret n'a pas peu contribué avec son roman Adieu Volodia, et la réalité, très différente, établie désormais par de nombreux travaux dont ceux de Leon Poliakov ou de l'écrivain Issak Babel, qui, tué par le KGB, a témoigné que les pogroms, s'ils eurent effectivement lieu et furent effroyables - peut-être 100 000 morts - furent essentiellement dus aux troupes bolcheviques et, dans une mesure infiniment moindre, aux anarchistes de Nestor Makhno et aux forces monarchistes (les Russes blancs).
    De plus, comme le rappelle le député ukrainien Andryï Shkil, l'éphémère gouvernement de Simon Petlioura (treize mois,) comprenait plusieurs juifs, dont Salomon Goldelman, en charge des Affaires nationales pour les minorités, ou Abraham Revoutsky, en charge des Affaires juives, poste n'ayant évidemment rien à voir avec le Commissariat aux Affaires juives de sinistre mémoire mais s'étant révélé nécessaire au bon gouvernement d'une nation aux peuples composites.
    Mieux encore : lorsqu'il apparaît que certain, éléments de l'armée ukrainienne, échappait à son contrôle dans la situation pour le moins confuse qui était celle de l'Ukraine à l'époque, se livraient à des exactions à caractère antisémite, Simon Petlioura ordonna que les coupables soient retrouvés et châtiés. « Le Directoire [dirigé par Petlioura], écrit O. Kochtchouk dans Ukraine Europe, se livra à une intense propagande « anti-pogromiste » destinée à ses propres troupes et à toute la population de l'Ukraine. Le 30 juillet 1919, le Directoire offrit une forte somme à la communauté juive pour les victimes des pogroms. le 18 août 1919, l'otaman en chef confirma l'application de la peine de mort pour acte de pogrom », tous faits établis et recoupés par de nombreuses sources, dont les archives diplomatiques enfin soustraites des caves où les services soviétiques les avaient entreposée.
    C'est donc sur une imposture, ou à tout le moins sur un malentendu, que la Licra a été fondée, occultant jusqu'au fait que, depuis Paris où il essaya encore, jusqu'en 1924, d'organiser la Résistance, Simon Petlioura n'eut de cesse d'en appeler à l'arrêt des persécutions contre les juifs. Puisque Gaubert est un adepte de la repentance, le temps est peut-être venu pour l'organisation qu'il préside de faire son mea culpa.
    Gabriel Glauque Le Choc du Mois Juillet/Août 2006