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entretiens et videos - Page 855

  • Entretien avec Alexandre Douguine sur l'Ukraine (commenté par Pascal Lassalle)

    Ukraine : « Unis par la haine »
    Version française corrigée d’un entretien donné par Alexandre Douguine au journaliste allemand Manuel Ochsenreiter,  (première mise en ligne,  le 29 janvier 2014).
    (http://manuelochsenreiter.com/blog/2014/1/29/united-by-hatred)
    Commentaires critiques de Pascal Lassalle rédigés le 18 février 2014 (NB: les commentaires de Pascal Lassalle apparaissent en italique). Pascal Lassalle est historien et conférencier. Il anime un Libre-Journal sur Radio Courtoisie et est animateur du Cercle Georges Sorel, affilié au MAS.
    Manuel Ochsenreiter : Professeur Douguine, les médias occidentaux mainstream et les politiciens établis décrivent l’actuelle situation en Ukraine comme un conflit entre, d’un côté, une alliance d’opposants pro-européens, démocrates et libéraux, et de l’autre, un régime autoritaire dirigé par un président-dictateur. Qu’en pensez-vous ?
    Alexandre Douguine : Je connais ces analyses et il est inutile de vous dire que je les considère comme totalement erronées. Il n’est plus possible, aujourd’hui, de diviser le monde comme à l’époque de la Guerre froide. Il n’y a pas, contrairement à ce que beaucoup de médias occidentaux affirment, un « monde démocratique » qui s’oppose à un « monde antidémocratique ».
    Tout à fait d’accord.
    Le monde qui se déploie sous nos yeux, est beaucoup plus complexe, avec des oligarchies transnationales ou non, qui se heurtent sur la vaste scène planétaire. En Ukraine, cette fois-ci, la partie la plus consciente du peuple ukrainien, son avant-garde, s’est levée face à un pouvoir oligarchique kleptocrate, prédateur et corrompu, qui a longtemps oscillé au gré de ses intérêts, entre Bruxelles et Moscou, dans une fragile logique multivectorielle, établie depuis la fin des années 90.
    La signature des accords avec Moscou mi-décembre 2013, a signifié la fin de cette politique de bascule aux yeux de nombre d’Ukrainiens.
    Si l’on en croit les médias mainstream, votre nation, la Russie, est un des principaux pays du « monde antidémocratique ». Et la Russie, avec le président Poutine, intervient dans les affaires nationales de l’Ukraine…
    C’est complètement faux. La Russie est une démocratie libérale. Lisez la constitution russe : nous avons un système électoral démocratique, un parlement qui fonctionne, la liberté du commerce. Notre constitution est basée sur des modèles occidentaux. Notre président Vladimir Poutine dirige le pays d’une manière démocratique. Nous ne sommes pas une monarchie, nous ne sommes pas une dictature, nous ne sommes pas un régime soviétique communiste.
    « Démocratie libérale ? ». Alexandre Douguine croit-il vraiment ce qu’il écrit ? Allons donc ! La « démocratie souveraine », consolidée par Vladimir Poutine au cours de ses mandats, n’est que l’ultime avatar d’une tradition bien russe, en vigueur depuis le tsar Ivan III au moins, celle d’un régime autocratique patrimonial, porté par un messianisme orthodoxe et impérial, une « korpocratura  plébiscitaire », pour reprendre la lumineuse expression de l’universitaire français Jean-Robert Raviot. Une forme de pouvoir indiscutablement (néo-)eurasiste, mais bien étrangère à la tradition politique européenne (« romano-germanique » selon la terminologie eurasiste).
    Les hommes politiques occidentaux affirment que Poutine est un dictateur.
    Ils se basent sur quoi ?
    Le terme de « dictateur » est effectivement totalement inadapté pour définir la nature du pouvoir exercé par Vladimir Vladimirovitch Poutine.
    À cause de ses lois sur l’homosexualité, de son soutien à la Syrie, des poursuites contre Mikhail Khodorkovski et les Pussy Riot…
    Ils le dénoncent comme un dictateur parce qu’ils n’aiment pas la mentalité russe. Chacun des points que vous avez mentionné est totalement légitime d’un point de vue démocratique et n’est nullement une marque d’autoritarisme.
    Il faudrait quand même admettre que la Russie, dont on peut ne pas aimer la politique, est un pays dirigé de manière libérale et démocratique. Le Président Vladimir Poutine accepte les règles démocratiques de notre système et il les respecte. Il n’a jamais violé la moindre loi. De ce fait, la Russie appartient au camp libéral démocratique et la grille de lecture de la Guerre froide n’est pas opérante pour expliquer la crise ukrainienne.
    « Manière libérale et démocratique » ?
    Nous ne discuterons pas des réalités d’un pouvoir fort, d’un état dysfonctionnel, d’une « dictature de la loi » purement formelle et à géométrie variable au gré du bon vouloir des gouvernants, du plus petit fonctionnaire au maître du Kremlin, cela nous entraînerait bien loin et dépasserait le cadre étroit de ces commentaires.
    Comment peut-on décrire ce conflit violent et sanglant ?
    Il faut en faire une analyse géopolitique et civilisationnelle. Et nous devons prendre en compte les faits historiques, même quand ils sont contraires aux idées en vogue !
    Je n’aurais pas dit mieux !
    Que voulez-vous dire ?
    Que l’Ukraine est un État qui n’a jamais existé dans l’histoire. C’est une entité qui a été créée récemment et qui se compose au moins de deux parties complètement différentes tant par leur identité que par leur culture. Il y a une Ukraine de l’Ouest qui participe de l’identité de l’Europe orientale. Les Ukrainiens occidentaux se considèrent en grande partie comme des Européens et leur identité est basée sur le rejet total du panslavisme et de la Russie. Les Russes sont considérés comme les ennemis absolus. On peut dire qu’ils haïssent les Russes, la culture russe et la politique russe. Cette haine est une composante importante de leur identité.
    Vision partielle et partiale, voire erronée, schématique et caricaturale. L’Ukraine fait partie de ces pays d’Europe, comme la Croatie ou la Slovaquie, qui ont vu leur construction étatique contrariée à cause des appétits impérialistes de puissants voisins (Pologne et Moscovie/Russie/URSS) ou de choix géopolitiques funestes. Des tentatives étatiques ukrainiennes ont donc bien existé. En décrivant d’une manière binaire, les fractures actuelles qui divisent le peuple ukrainien, Alexandre Douguine simplifie une réalité beaucoup plus complexe. Il se garde bien de préciser que cette traditionnelle division ouest/est, souvent exagérée, de l’ethnos ukrainien, ne correspond pas à une donnée civilisationnelle « naturelle », mais s’avère la conséquence d’une longue et récurrente politique de russification et de lutte contre tout ce qui pouvait incarner une identité distincte de celle porté par le pouvoir tsariste ou soviétique (à partir de Staline). Cette « haine » essentialisée et presque métaphysique que vous signalez n’est pas tombée du ciel, mais constitue la conséquences de politiques et de postures auxquelles les pouvoirs russes, quels qu’ils soient, rivés sur des schémas historiographiques et des représentations impérialistes, ont le plus grand mal à renoncer, pérennisant ainsi un contentieux qui ne peut que profiter aux forces occidentales et atlantiste.
    En tant que Russe, cela ne vous inquiète pas ?
    Pas du tout ! Il s’agit de leur identité. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils veulent nous faire la guerre, juste qu’ils ne nous aiment pas. Nous devons respecter cela. Les Américains sont haïs par de nombreux peuples et ils l’acceptent bien. Que les Ukrainien occidentaux nous haïssent n’est pas une bonne ou une mauvaise chose. C’est juste un fait qu’il faut simplement accepter. Tout le monde n’est pas obligé de nous aimer !
    Les Ukrainiens occidentaux pourraient revoir leurs sentiments à l’égard de votre pays si vous acceptiez de vous comporter différemment, dans une perspective « d’égalité et de réconciliation », en reconnaissant leur droit à bâtir une nation  unifiée au lieu de soutenir et de propager des visions séparatistes et clivantes, position qui serait inacceptable pour vous, rapportée à certaines régions de votre grand pays, multiethnique et multiculturel…
    Mais les Ukrainiens orientaux apprécient quant à eux les Russes.
    La majeure partie de ceux qui vivent dans la partie orientale de l’Ukraine partage une identité commune avec le peuple Russe – historiquement, civilisationnellement et géopolitiquement. L’Ukraine orientale est une terre russe et eurasienne. En réalité, il existe deux Ukraine. Nous voyons cela très clairement lors des élections. La population est partagée sur toutes les questions politiques importantes. Et quand elles ont trait aux relations avec la Russie, nous constatons à quel point ce problème devient dramatique : une partie de l’Ukraine est absolument pro-Russe, l’autre est rabiquement anti-Russe. Deux sociétés différentes, deux pays différents et deux identités nationales et historiques coexistent dans une seule entité.
    Il y historiquement un seul pays, l’espace géographique où s’est déployé l’ethnos ukrainien (qui dépasse d’ailleurs les frontières politiques actuelles). Une seule identité également, certes fragmentée, mise à mal par des fractures internes pesantes, mais pas insurmontables à moyen et long terme. Je ne parlerai pas des 17% de Russes ethniques, résultant de la politique de « grand remplacement » de Staline qui a remplacé les millions de victimes du génocide par la faim de 1932-33 (le « Holodomor ») par des colons russes.
    Les Ukrainiens « ethniques », de l’Est et du Sud du pays, produits d’une colonisation mentale et linguistique intense, qui les a profondément « dénationalisés » et aliénés par l’intégration de stéréotypes infériorisants, ne peuvent cependant pas être considérés comme partageant une identité civilisationnelle commune avec le peuple russe. Parler les mêmes langues, regarder les mêmes programmes télévisés ou écouter les mêmes tubes chantés par les pin-up de service ne suffit pas à faire un même peuple (dans ce cas, pourquoi ne pas faire des Irlandais, des Anglais comme les autres ?). Les effets de la russification/soviétisation ne sont pas moins désastreux et condamnables que l’occidentalisation mentale, sociologique et même linguistique que subissent nos peuples européens.
    Votre lucidité serait de le reconnaître au lieu de n’appliquer votre ethno-différentialisme qu’aux autres peuples, pour peu qu’ils ne situent pas dans votre « étranger proche ». Cette Ukraine russophone, russifiée et soviétisée est naturellement désireuse d’entretenir de bonnes relations avec sa puissante voisine (liens humains, économiques et culturels). Cela ne signifie pas pour autant qu’ils veuillent rejoindre Moscou dans un nouvel Anschluss, comme en témoignent régulièrement les études menées dans ce sens. Rappelons également que l’on ne parlait pas un mot de russe dans cette partie de l’Ukraine jusqu’au moins le début du XVIIIème siècle et que nombre de patriotes et de nationalistes ukrainiens, jusqu’au XXème siècle, sont nés dans ces régions. La translation vers l’Ouest (La Galicie sous une domination autrichienne plutôt souple) d’une Ukraine nationalement et identitairement consciente ne s’est faite qu’à cause d’une répression politique et culturelle impitoyable sous les tsars Alexandre II et III.
    Ici donc, nous avons encore affaire à des phénomènes pas vraiment « naturels », résultant  plutôt d’une politique ethnocidaire de type coloniale et jacobine menée avec une intégration/assimilation/vampirisation des élites ukrainiennes, de la petite noblesse cosaque aux cadres de l’époque soviétique).
    La question est donc, quelle société domine l’autre ?
    C’est un point fondamental de la politique ukrainienne. Nous avons deux Ukraine et nous n’avons qu’une capitale : Kiev. Mais à Kiev, nous avons les deux identités, cette ville n’est pas plus la capitale de l’Ukraine orientale que de l’Ukraine occidentale. La capitale de l’Ukraine occidentale est L'viv, celle de l’Ukraine orientale est Kharkiv. Kiev est la capitale d’une entité artificielle. Ceci est très important pour comprendre l’actuel conflit.
    Vision simpliste et erronée. Kiev et l’Ukraine centrale sont situées dans un entre-deux identitaire, ayant subi de plein fouet les distorsions évoquées ci-dessus. Cette partie de la population, en particulier ses jeunes générations, penche depuis 1991, d’une manière croissante vers l’idéal de la construction de l’état national (c’est elle qui vote pour les formations politiques nationales-démocrates, comme celle de Yulia Tymochenko). Cela est nettement perceptible au regard des événements de l’EuroMaidan, sans être pour autant nouveau. Le reste de la population d’Ukraine centrale a commencé à abandonner ses comportements traditionnels d’apathie et d’indifférence politique pour prendre son destin en main, en tant que communauté du peuple consciente.
    Les médias occidentaux ainsi que les « nationalistes » ukrainiens ne seront pas d’accord avec votre description de l’Ukraine comme un État « artificiel ».
    Les faits sont clairs. La création de l’État d’Ukraine au sein de ses frontières actuelles, n’est pas le résultat d’une évolution historique, mais d’une décision bureaucratique et administrative de l’Union soviétique. La République socialiste soviétique ukrainienne fut une des quinze républiques constituant l’URSS de sa création en 1922 à sa chute en 1991. Cependant, durant ces soixante-douze années d’histoire, les frontières de la République d’Ukraine furent modifiées à de nombreuses reprises, principalement quand une part conséquente de l’Ukraine occidentale fut annexée par l’Armée rouge en 1939 et lorsque la Crimée lui fut rattachée en 1954.
    Non, les faits ne sont aussi « clairs » que vous l’affirmez.
    L’ethnos ukrainien a préexisté à la construction difficile ou trop brève de son état national et souverain. Les frontières actuelles sont le résultat des calculs cyniques de Staline qui a utilisé les réalités ethniques (réunion des populations ukrainiennes au sein de la « grande patrie du socialisme ») pour accroître son territoire et légitimer le déplacement des frontières vers l’Ouest (Galicie, Volhynie, Ruthénie subcarpathique, Bukovine du nord). Il a opéré de facto, ce rassemblement des terres ukrainiennes, qui avait été tenté le 22 janvier 1919 avec l’union de la République Populaire Ukrainienne (UNR) et de la République populaire d’Ukraine Occidentale (ZUNR) en un seul état.
    Les Soviétiques, qui ont fait don de la Crimée sous Krouchtchev comme vous le rappelez justement, n’ont pour autant pas opéré de rectifications de frontières avec les terres ethniquement ukrainiennes des régions russes frontalières (Koursk, Rostov sur le Don, ou Krasnodar et le Kouban).
    Quant au terme d’« état artificiel », nous pourrions discuter très longuement de l’« artificialité » de très nombreux pays et pas des moindres, dont celle d’une Fédération de Russie, qui n’a pas fini de se débattre dans des problématiques identitaires loin d’être résolues, en dépit d’une doxa officielle rassurante.
    Certains hommes politiques et analystes estiment que la solution la plus simple serait la partition de l’Ukraine en deux États.
    Ce n’est pas aussi facile que cela semble à cause du problème des minorités nationales. Nombre de ceux qui vivent en Ukraine occidentale se considèrent comme des Russes. Nombre de ceux qui vivent en Ukraine orientale se considèrent comme des Ukrainiens uniquement. Une simple partition du pays ne résoudrait pas le problème mais en créerait de nouveaux. Seule la séparation de la Crimée est envisageable car elle est entièrement peuplée de Russes.
    Concernant les perspectives de partition de l’Ukraine, vous semblez vous être éloigné (réalisme ?) de positions précédentes beaucoup plus tranchées (1). Quant à ceux qui se considèrent comme Russes en Ukraine occidentale, mis à part les petits groupes de Russes ethniques résultant du brassage de l’époque soviétique (familles de fonctionnaires et de militaires notamment), je devine que vous faites allusion à la tendance extrêmement minoritaire (représentée par l’écclésiastique Dmytro Sidor) et potentiellement séparatiste de la population roussyne/ruthène de la région naguère hongroise de Transcarpatie. Celle-ci est considérée en Ukraine comme une variante régionale de l’ethnos titulaire ou comme une ethnie propre dans certains pays voisins qui en hébergent des représentants (Slovaquie et Vojvodine serbe notamment).
    L’immense majorité de la population ukrainienne (Crimée mise à part) ne souhaite pas de partition. Cette perspective menaçante est utilisée à des fins d’intimidation par des partisans du pouvoir actuel (des gouverneurs, comme celui de Kharkiv qui violent allègrement la constitution du pays) et des personnalités russes comme Serguei Glaziev. On parle d’ailleurs le terme de « fédéralisme » ou « fédéralisation », mais les mots n’étant pas les choses, on est loin dans ce cas de thématiques chères à certains de vos amis comme Alain de Benoist ou même à l’auteur de ces lignes. La praxis de cette région du monde depuis la chute de l’URSS nous renvoie plutôt à des logiques séparatistes, comme nous le rappellent les exemples caucasiens. La question de la Crimée et de Sébastopol est délicate et je conviens, sûrement avec vous, que supprimer son statut de République autonome, comme le souhaitent la plupart des nationalistes ukrainiens, pourrait déclencher un processus séparatiste aux conséquences incalculables pour la région.
    Vous oubliez, de plus, les Tatars dans la population de Crimée, traités comme des citoyens de seconde zone et qui ne semblent pas bénéficier de votre mansuétude proclamée, à l’égard du respect imprescriptible du droit des peuples (mais bon, malheur à ceux qui ont choisit à vos yeux, le mauvais camp géopolitique…).
    Terminons également par le cas de certains partis nationalistes dans les pays frontaliers de l’Ukraine qui sont tentés de profiter des troubles pour faire valoir de vieux contentieux ou des revendications territoriales inasouvies. Le Jobbik, dont vous avez rencontré le leader Gabor Vona en mai 2013 à Moscou, n’exclue pas l’intégration de son pays à l’Union eurasienne chère à Poutine. Toujours nostalgiques d’une Grande Hongrie d’avant le traité de Trianon de 1920 (perte de 28% de son territoire), ils ont fait une déclaration publiée le 4 février dernier selon laquelle ils appelaient le gouvernement hongrois à profiter de la situation incertaine en Ukraine et d’une « opportunité historique » pour « résoudre la situation des Hongrois en Transcarpathie ».
    Pourquoi l’Union européenne souhaite-t-elle tant intégrer tous ces problèmes dans sa sphère d’influence ?
    L’Union européenne n’y a aucun intérêt. Ce sont les États-Unis qui y ont intérêt. On assiste actuellement à une campagne politique contre la Russie. L’invitation faite par Bruxelles à l’Ukraine de rejoindre l’UE a immédiatement entraîné un conflit entre l’UE et Moscou et un conflit interne en Ukraine. Cela n’a rien de surprenant pour qui connaît la société ukrainienne et son histoire.
    Le conflit interne concernant l’UE a pourtant été initialement limité, dans la mesure où cette perspective initialement voulue par Ianoukovytch et les oligarques qui le soutiennent, a suscité dans l’Ukraine de l’Est et du Sud, au mieux une relative adhésion, bien que moins marquée que dans le reste du pays, au pire une certaine apathie ou indifférence comme c’est usuellement le cas sur de tels positionnements.
    C’est ensuite que le pouvoir et ses relais, soutenu par Moscou, ont lancé l’offensive, fin janvier, avec l’activation, à l’initiative de l’aile dure du Parti des régions et des communistes, d’un grotesque « Front ukrainien » pour lutter contre « l’envahisseur fasciste » (sic), reprenant l’imagerie de la Grande Guerre patriotique, y compris le fameux ruban de Saint-Georges, au cours d’un congrès réunissant 6000 délégués dans un gymnase de Kharkiv.
    Une démarche qui a peu d’assise populaire dans des régions qui constituent pourtant le bastion électoral traditionnel de l’actuel président.

    À suivre

  • Le Totalitarisme économique ou la crise perpétuelle

    Entretien avec Christophe Poitou*, auteur du Totalitarisme économique (éditions de L’Æncre) (Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
       « Dernière combine en date (avril 2013) évoquée pour refinancer les agents en difficulté sans toucher à la dette publique centrale : la mise à contribution forcée de l’assurance vie des particuliers pour soutenir les entreprises en difficulté.
       On parle là d’un détournement de près de 100 milliards »
    Dans votre livre, vous prophétisez une sorte d’Apocalypse froide : ce qui nous menacerait serait non pas une crise financière cataclysmique, mais au contraire la fin des crises financières…
    L’oligarchie est mauvaise perdante. Elle ne laissera pas ce qu’on appel le système, qui est un « tout subtil et maléfique », se faire balayer par une crise économique, ce qui pourtant serait logique. Elle s’est laissé surprendre en 2008 par Lehman, mais ne se fera probablement pas avoir ainsi deux fois, elle prendra toutes les mesures nécessaires. À commencer par le refinancement ad libitum des agents financiers en difficulté présentant un risque systémique. Il s’agit d’éviter une crise trop monstrueuse qui se transformerait en crise politique majeure avec éventuellement l’arrivée au pouvoir de partis de sensibilité nationale ou l’avènement de telle ou telle situation qui la dérangerait trop. En fait, si on prend les choses avec du recul on peut dire que d’une certaine manière l’oligarchie se refinance elle-même dès qu’elle est en difficulté. Dans les faits, ce à quoi nous assistons depuis quelques temps.
    Elle ne peut donc en quelques sorte jamais être en difficulté ni être en passe être renversée ?
    Un krach obligataire dantesque aurait déjà du éclater en 2009/2010. Cela n’a pas été le cas. Certes, Sarkozy, Papandréou, Berlusconi ou Monti ont sauté, mais ça ne change pas grand-chose. Le système lui-même, lui, est toujours là. L’oligarchie a pris les mesures nécessaires sans la moindre légitimité ou consultation démocratique pour se maintenir et empêcher toute crise grave.
    Quelles sont ces mesures ?
    Ce sont ces mesures – en fait, ces sales méthodes – que j’examine une par une dans mon livre : la création monétaire dans ces diverses variantes, l’allongement de la maturité des titres, le partage forcé de la valeur ajoutée, l’extorsion fiscale, l’exportation de l’inflation, les manipulations des taux de change, ainsi que la manipulation à mon avis la plus satanique de toutes : les taux d’intérêt inversés ou négatifs. J’examine aussi les diverses formes de répression financière dont le cas de Chypre fournit actuellement un exemple incroyable. La méga-gaffe récente du commissaire européen Jeroen Dijsselbloem sur le fait que la répression financière à Chypre pourrait être éventuellement transposé chez nous fait froid dans le dos !
    Le masque tombe…
    À vrai dire, c’est déjà en partie le cas. On s’apprête en France à puiser de force dans l’épargne de M. et Mme Dupont pour financer les HLM faute de pouvoir faire de la création monétaire et de la dette comme avant ! Dernière combine en date (avril 2013) évoquée pour refinancer les agents en difficulté sans toucher à la dette publique centrale : la mise à contribution forcée de l’assurance vie des particuliers pour soutenir les entreprises en difficulté. On parle là d’un détournement de près de 100 milliards. Rapport à attendre entre la notation financière du titre et la santé de l’entreprise : probablement très faible !… Soit du mensonge pur et simple !
    Une crise majeure n’est donc pas envisageable ?
    Si, peut-être qu’en dépit de toutes ces mesures oligarchiques, une crise éclatera quand même… Ça ne me dérangerait pas d’ailleurs. Je dirais même que j’espère me tromper ! Vivement un monstrueux ouragan obligataire qui fasse valdinguer les puissants et emporte tout sur son passage de son souffle puissant et vengeur. Mais je n’y crois pas trop, hélas… Le rôle des apatrides cosmopolites est d’ailleurs significatif dans cette stabilisation totalitaire que nous voyons actuellement : ils sont massivement pour la création monétaire en occident car elle préserve le système tel qu’il est et dans lequel ils ont de bonnes places…
    Ils ne vont donc pas se tirer une balle dans le pied et se limoger eux-mêmes ?
    Évidemment… En revanche, lorsque qu’ils n’ont pas de places assez bonnes à leur goût ou n’arrivent pas à se saisir d’actif réels, c’est l’inverse, ils essaient de renverser le système et non de le maintenir. Logique ! Ils utilisent alors la déflation et non la création monétaire, à savoir la fuite des capitaux ou alors des phénomènes déstabilisants : sortie de capitaux, par exemple… Ils font régulièrement le coup en Russie… C’était le cas avant 1917 et c’est le cas actuellement sous Poutine… Chez nous, c’est le contraire, ils essaient de stabiliser de force le système.
    Qu’en concluez-vous ?
    Certes, techniquement nous pouvons vivre sur l’héritage de nos ancêtres encore un peu. L’économie peut continuer quelques temps toute seule comme un poulet sans tête, sans son noyau spirituel, car elle est très mécanisée et rodée dans ces process. Hop ! vous appuyez sur le bouton d’une machine à laver et ça marche tout seul pendant une heure… Mais l’économie ne survivra pas éternellement à l’affaiblissement de sa cause, c’est-à-dire à l’affaiblissement de la population française de souche qui l’a créée.
    Bonne question, ça : qui a créé l’économie française ?
    Les banquiers qui sont souvent des gros mégalomanes vous diront parfois qu’ils ont à eux tous seuls financé et créé la sidérurgie ou les chemins de fer. La vérité, c’est plutôt que c’est le dur labeur des paysans au cours des siècles qui a fondamentalement accru les rendements et dégagé une main-d’œuvre qui a permis l’essor de l’industrie.  Voyez aussi ce qui se passe en Afrique du Sud. En dépit des taux de croissance nominaux flatteurs qui ne veulent pas dire grand-chose, le pays entre dans une phase de délabrement grave car les Sud-Africains d’origine européenne qui ont créé cette économie s’en vont. Un article est paru d’ailleurs sur ce thème dans le pourtant très politiquement correct The Economist : South Africa cry the beloved country.
     *L'auteur, après des études d'économie a travaillé dans le secteur du commerce et dans des administrations. Il est également l'auteur de nombreux articles parus dans la presse hebdomadaire nationale et sur Internet, mettant en garde dès 2007 contre les danger de l'inflation et le contrôle de l'économie par les minorités agissantes. Ce livre écrit en 2011/début 2012 a été publié brièvement pendant l'été 2012 avant d'être retiré d'Internet.
    Le totalitarisme économique de Christophe Poitou, éditions de L’Æncre, collection « À nouveau siècle, nouveaux enjeux », dirigée par Philippe Randa, 250 pages, 25 euros.
    http://www.esprit-europeen.fr/lectures_ldv_Totalitarismeeconomiquel.html

  • Ces temps-ci, on sent le pouvoir remplaciste nerveux…

    Entretien avec Renaud Camus

    Selon un baromètre TNS-SOFRES publié il y a quelques jours, 34 % des Français approuvent les idées du FN. Le temps de la diabolisation est terminé ?

    Non. Dans l’électorat populaire, peut-être. Ailleurs, on rencontre encore beaucoup de gens qui, sur l’essentiel, pensent exactement comme le FN nouvelle manière, mais en parlent comme si c’était la Milice ou la LVF, ce qui bien sûr est absurde. On a l’impression qu’ils s’accrochent à cette dernière prise au-dessus de l’abîme, l’horreur emphatique du FN, avant de s’abandonner tout à fait à la sincérité de leurs opinions.

    Bien entendu, il entre beaucoup d’hystérie dans ce rejet devenu mécanique, un peu surjoué, monté en épingle comme une ultime précaution contre soi-même, et que presque plus rien ne justifie. La diabolisation n’a plus de raison d’être, à mon avis, surtout face à l’urgence de la situation, le changement de peuple et de civilisation.

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  • Le cercle Dextra Versailles reçoit Aymeric Chauprade

    La section versaillaise de Dextra (pour plus d’information sur ce cercle de formation politique, voir l’article de nos camarades de Nouvel Arbitre) recevait mercredi dernier le géopolitologue Aymeric Chauprade.
    Venu présenter la dernière édition de sa Chronique du Choc des civilisations, celui qui fut professeur de géopolitique à l’Ecole de Guerre pendant près de dix ans reçut un accueil nombreux et chaleureux au bar le « Franco-Belge ».
    Les relations internationales ? Il les explique par le conflit saisissant surtout deux grilles de lecture du monde : la volonté américaine d’un monde unipolaire face aux réalités et velléités d’autres puissances d’entériner un monde multipolaire. Pendant près d’1h30, Aymeric Chauprade offre à son auditoire son analyse de l’actualité politique (conflit ukrainien, OTAN, place de la France…) et métapolitique : autonomie et identité semblent être les deux maîtres mots de la « pensée » chaupradienne pour comprendre les relations internationales. Deux notions qui s’inscrivent parfaitement dans la doctrine politique de Dextra.
    Rencontre avec Pierre-Louis, responsable de la section versaillaise de Dextra 
    1/ Pierre-Louis, cette conférence d’Aymeric Chauprade a attiré beaucoup de monde… Pourquoi choisir de faire venir Aymeric Chauprade ?
    Oui, c’est une réussite, merci surtout à Aymeric Chauprade. C’est un géopolitologue très renommé donc il a forcément des choses intéressantes à nous dire. Il a une vision assez originale, avec une grille de lecture qui s’appuie particulièrement sur l’identité des peuples et sur l’indépendance des nations donc cela rentre tout à fait dans notre ligne. Nous sommes là pour défendre la nation française donc évidemment l’identité française.
    2/ Que retenez-vous de cette conférence ? 
    Je relèverai deux points. Tout d’abord, le constat fait sur l’état du monde entre unipolarité (prôné par les USA et dont l’UE fait partie) et la multipolarité qu’on observe dans les faits. Ensuite, un aspect plus prospectif et assez encourageant du rôle prépondérant de la nation, que la nation devra jouer. L’avenir est clairement à la souveraineté nationale. Si la nation est aujourd’hui endormie, elle est appelée à prendre une place de plus en plus importante
    3/ Comment êtes-vous entré en contact avec Aymeric Chauprade ? Pourquoi ne pas avoir évoqué avec lui son engagement au sein du RBM dans le cadre des prochaines élections européennes ?
    C’est lui qui nous a contactés. Notre ligne l’a intéressé et il voulait venir parler chez nous. Ceci dit, c’est le géopolitologue que nous avons invité. Nous n’avons pas dissimulé son engagement politique, mais ce n’était pas le thème de la conférence d’aujourd’hui.
    4/ Parlons de Dextra, particulièrement de la section versaillaise qui est assez récente. Pourquoi une section à Versailles et pourquoi maintenant ?
    La section de Versailles a été montée l’année dernière pour répondre à une demande et s’adresser à toutes les personnes qui habitent à Versailles et dans les Yvelines qui n’ont pas forcément la possibilité de se déplacer sur Paris pour les conférences hebdomadaires de la section parisienne (tous les vendredis ndlr). On a donc une conférence par mois. Le but, c’est de continuer la formation politique, faire en sorte que ceux qui assistent à nos conférences en sortent mieux avertis de la situation de la France et de celle du monde et arrivent à réfléchir, au-delà de ce que nous servent les media de masse.
    5/ Quelle est votre ligne politique ? Qu’est-ce qui vous différencie d’autres mouvements de la « galaxie identitaire » comme Génération identitaire par exemple ?
    Les deux grands axes de notre doctrine sont autonomie et enracinement : autonomie, d’abord de la nation et également de tous les corps intermédiaires. Ce terme exprime notre volonté de promouvoir le principe de subsidiarité et la liberté des corps intermédiaires. Pour ce qui est de l’enracinement, on ne peut aller de l’avant que si l’on sait d’où on vient et qui on est. Nous sommes français mais nous faisons aussi partie d’une province ou d’une région.
    Je pense que la spécificité de Dextra vient d’abord de l’insistance sur la formation intellectuelle. On a un mode d’action atypique puisqu’on cherche d’abord à former les gens, à leur offrir des connaissances et aiguiser leur esprit critique.
    Moi-même, je me suis engagé à Dextra pour avoir les armes qui permettent de penser le monde et d’agir en politique, pour faire ma part du travail dans le relèvement de la France.
    6/ Dextra existe depuis quelques années maintenant. Comment expliquez-vous que ce mouvement ne dispose que d’une visibilité relativement faible aux yeux du grand public ?
    Dextra c’est d’abord un cercle de formation politique, on n’a pas forcément vocation à s’afficher ou « sortir dans la rue avec des banderoles ». On a aussi une action de terrain mais on sait qu’elle sera plus efficace politiquement sans nécessairement afficher la bannière « Dextra ». 
    Plus d’informations sur Dextra sur leur site officiel. Retrouvez également la page facebook de la section versaillaise

    La table ronde

    http://www.oragesdacier.info/2014/02/le-cercle-dextra-versailles-recoit.html

  • GMT : comment les USA vont continuer de dépecer l’Europe…

    Entretien avec Alain de Benoist
    Alors que François Hollande vient tout juste d’annoncer, depuis les États-Unis, une accélération des négociations concernant le Grand marché transatlantique (GMT), Alain de Benoist revient pour Boulevard Voltaire sur les conséquences dramatiques d’un tel Traité…
    Le GMT, gigantesque zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, est le grand projet du moment. Mais les médias n’en parlent que fort peu. Pourquoi ?
    Parce que l’opinion est tenue à l’écart, et que les négociations se déroulent à huis-clos. C’est pourtant une affaire énorme. Il s’agit en effet de mettre en place, en procédant à une déréglementation généralisée, une immense zone de libre-échange, correspondant à un marché de plus de 800 millions de consommateurs, à la moitié du PIB mondial et à 40 % des échanges mondiaux. Le projet porte le nom de « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements ». S’ajoutant au « Partenariat transpacifique » également lancé en 2011 par les États-Unis, il vise à créer la plus grande zone de libre-échange du monde grâce à une vaste union économique et commerciale préludant à une « nouvelle gouvernance » commune aux deux continents.
    En créant une sorte d’OTAN économique, l’objectif des Américains est d’enlever aux autres nations la maîtrise de leurs échanges commerciaux au bénéfice de multinationales largement contrôlées par leurs élites financières. Parallèlement, ils veulent contenir la montée en puissance de la Chine, aujourd’hui devenue la première puissance exportatrice mondiale. La création d’un grand marché transatlantique leur offrirait un partenaire stratégique susceptible de faire tomber les dernières places fortes industrielles européennes. Elle permettrait de démanteler l’Union européenne au profit d’une union économique intercontinentale, c’est-à-dire d’arrimer définitivement l’Europe à un grand ensemble « océanique » la coupant de sa partie orientale et de tout lien avec la Russie.
    Ces négociations se font à haut niveau, sans que les gouvernements concernés aient leur mot à dire. Nouvelle défaite du personnel politique ?
    La « libéralisation » totale des échanges commerciaux est un vieil objectif des milieux financiers et libéraux. Le projet de grand marché transatlantique a discrètement mûri pendant plus de vingt ans dans les coulisses du pouvoir, tant à Washington qu’à Bruxelles. Les premières négociations officielles se sont ouvertes le 8 juillet 2013. Les deuxième et troisième rounds de discussion ont eu lieu en novembre et décembre derniers. Une nouvelle réunion est prévue à Bruxelles en mars prochain. Les partenaires espèrent parvenir à un accord d’ici 2015. Les gouvernements européens ne sont pas partie prenante aux discussions, qui sont exclusivement menées par les institutions européennes. Les multinationales y sont en revanche étroitement associées.
    Sachant qu’à l’heure actuelle, quelque 2,7 milliards de biens et de services s’échangent déjà tous les jours entre l’Europe et les États-Unis, la suppression des derniers droits de douane va-t-elle vraiment changer quelque chose ?
    La suppression des droits de douane n’aura pas d’effets macro-économiques sérieux, sauf dans le domaine du textile et le secteur agricole. Beaucoup plus importante est l’élimination programmée de ce qu’on appelle les « barrières non tarifaires » (BNT), c’est-à-dire l’ensemble des règles que les négociateurs veulent faire disparaître parce qu’elles constituent autant« d’entraves à la liberté du commerce » : normes de production sociales, salariales, environnementales, sanitaires, financières, économiques, politiques, etc. L’objectif étant de s’aligner sur le « plus haut niveau de libéralisation existant », « l’harmonisation » se fera par l’alignement des normes européennes sur les normes américaines.
    Dans le domaine agricole, par exemple, la suppression des BNT devrait entraîner l’arrivée massive sur le marché européen des produits à bas coûts de l’agrobusiness américain : bœuf aux hormones, carcasses de viande aspergées à l’acide lactique, volailles lavées à la chlorine, OGM (organismes génétiquement modifiés), animaux nourris avec des farines animales, produits comportant des pesticides dont l’utilisation est aujourd’hui interdite, additifs toxiques, etc. En matière environnementale, la réglementation encadrant l’industrie agro-alimentaire serait démantelée. En matière sociale, ce sont toutes les protections liées au droit du travail qui pourraient être remises en cause. Les marchés publics seront ouverts « à tous les niveaux », etc.
    Il y a plus grave encore. L’un des dossiers les plus explosifs de la négociation concerne la mise en place d’un mécanisme d’« arbitrage des différends » entre États et investisseurs privés. Ce mécanisme dit de« protection des investissements » doit permettre aux entreprises multinationales et aux sociétés privées de traîner devant un tribunal ad hoc les États ou les collectivités territoriales qui feraient évoluer leur législation dans un sens jugé nuisible à leurs intérêts ou de nature à restreindre leurs bénéfices, c’est-à-dire chaque fois que leurs politiques d’investissement seraient mises en causes par les politiques publiques, afin d’obtenir des dommages et intérêts. Le différend serait arbitré de façon discrétionnaire par des juges ou des experts privés, en dehors des juridictions publiques nationales ou régionales. Le montant des dommages et intérêts serait potentiellement illimité, et le jugement rendu ne serait susceptible d’aucun appel. Un mécanisme de ce type a déjà été intégré à l’accord commercial que l’Europe a récemment négocié avec le Canada.
    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier., Le 13 février 2014
    Source : Boulevard Voltaire
    http://www.polemia.com/gmt-comment-les-usa-vont-continuer-de-depecer-leurope/

  • Les Grands Entretiens de Novopress – Nikola Mirkovic “Mourir debout plutôt que vivre à genoux”1/3

    Français d’origine serbe, Nikola Mirkovic est l’un des fondateurs de l’ONG Solidarité Kosovo qui vient en aide depuis 2004 aux populations serbes des enclaves du Kosovo. Dans Le Martyre du Kosovo (Editions Jean Picollec), il rappelle l’histoire de cette antique province, cœur culturel et spirituel de la Serbie. Il fait également la démonstration implacable de la substitution de population dont ont été victimes les Serbes du fait des Ottomans, des communistes de Tito puis de l’empire du Bien américain. Il répond aux questions de Novopress.

    Propos recueillis par Pierre Saint-Servant

    Le premier intérêt de votre livre est de briser un lieu-commun solidement établi qui voudrait que le Kosovo ne soit nullement une terre serbe mais le pays de « kosovars »…

    Toute une partie de la rhétorique guerrière de l’OTAN, relayée par les grands médias, consiste en effet à essayer de nous faire croire que le Kosovo est habité de gentils Kosovars martyrisés pas de méchants Serbes venus coloniser le pays. On ne peut être plus éloigné de la réalité. Le Kosovo, à l’origine, n’est même pas une province mais une plaine à qui les Serbes ont donné le nom de Kosovo Polje (ce qui signifie, en serbe, le champ des merles). La grande majorité des noms des villages, des villes, des montagnes, des rivières, etc .ont tous des noms d’origine serbe. La plupart des anciens monuments, qui sont le trésor du Kosovo et de la Métochie, sont serbes. Il n’y a pas de peuple kosovar, cela n’existe pas ; ceux qu’on appelle communément kosovars aujourd’hui sont en fait des Albanais. Quant aux frontières du Kosovo actuel, elles ont été dessinées par Tito à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. C’est vous dire si les racines «kosovardes » sont lointaines…

    Il n’y a pas de peuple kosovar, cela n’existe pas ; ceux qu’on appelle communément kosovars aujourd’hui sont en fait des Albanais.

    La bataille du Champ des Merles est un évènement fondateur de l’identité serbe, pouvez-vous y revenir ?

    Cet événement est historique par la grandeur de l’armée serbe qui a osé affronter, seule, l’immense empire ottoman avec une armée deux fois plus importante sur le champ de bataille. Cet événement est également historique par sa profondeur spirituelle, le roi serbe et ses chevaliers sont tous partis à la guerre pour se battre pour leur foi chrétienne. Ils ont préféré mourir debout plutôt que vivre à genoux. Pendant les siècles d’occupation ottomane, le courage, la bravoure et la foi de ces guerriers ont nourri l’espérance serbe et donné les modèles à suivre pour devenir des hommes libres.

    Le prince Lazare est comparé à certains à saint Louis. Quels éléments permettent de rapprocher les deux souverains ?

    Saint Lazare comme saint Louis ont été des rois hors du commun, des chefs que très peu de pays ont eu l’honneur d’avoir. Tout d’abord les deux sont très pieux et très chrétiens. C’est leur foi dans le Christ qui les guide dans leurs choix quotidiens que ça soit pour guider le royaume, rendre la justice, partager avec les plus pauvres ou gérer les affaires quotidiennes. Les deux rois prient et savent que leur passage sur terre est éphémère et que c’est le Royaume éternel qui est l’objectif suprême. Aussi, ces deux rois n’ont pas peur de mettre leurs épées et leurs vies derrière leur foi. Ce sont des guerriers qui sont tous les deux descendus dans l’arène pour affronter l’islam conquérant qui convoitait les terres chrétiennes. C’est aussi à la guerre que les deux vont trouver la mort et devenir des héros, des saints qu’on respecte et qu’on vénère encore de nos jours.

    Fin de la première partie, deuxième partie jeudi 20 février.

    http://fr.novopress.info/156768/les-grands-entretiens-de-novopress-nikola-mirkovic-mourir-debout-plutot-que-vivre-a-genoux/#more-156768

  • Fracture sociale et division raciale : les deux grandes réussites de la république

    « Petits Blancs » contre bobos, la nouvelle lutte des classes ?

    DÉBAT : A l’occasion de la sortie de La République bobo, un essai original et enlevé de Thomas Legrand, nous avons confronté sa vision à celle d’Aymeric Patricot, auteur il y a quelques semaines d’un livre qui a fait mouche, Les petits Blancs.

    Thomas Legrand est éditorialiste politique à France Inter. Il habite dans une surface atypique au coeur d’un quartier mixte aux portes de Paris

    Aymeric Patricot est un écrivain français. Il nourrit son oeuvre de son expérience de professeur en banlieue difficile. A priori, il ne brunche pas rue Montorgueil…

    Vos deux livres, «la République bobo» et les «petits Blancs» qui sortent à quelques semaines d’intervalle, décrivent deux visages de la France très différents et semblent se répondre. Mais qui sont vraiment «ces petits Blancs» et «ces bobos» que vous dépeignez? Comment les définiriez-vous?

    Aymeric Patricot: «Les petit Blancs» sont des Blancs pauvres qui prennent conscience de leur couleur dans un contexte de métissage. Il y a 10 ou 20 ans, ils ne se posaient pas la question de leur appartenance ethnique car ils habitaient dans des quartiers où ils étaient majoritaires. Ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui.

    Certains votent à l’extrême gauche, d’autres basculent à l’extrême droite. Mais ce qui définit les petits Blancs politiquement, c’est souvent l’abstention. La plupart d’entre eux ne se sentent plus appartenir au «système» et expriment parfois de la rancœur à l’égard des minorités ethniques, par lesquelles ils se sentent menacés. Cependant, leur principale source de ressentiment reste dirigée contre les bobos qu’ils accusent d’exprimer du mépris de classe à leur égard. A tort ou à raison, les petits Blancs ont le sentiment qu’ils sont regardés comme des «beaufs» par les bobos. Il y a aussi une fracture d’ordre raciale: le petit Blanc est celui qui n’a pas les moyens de quitter les quartiers très métissés et qui souffre du métissage alors que le bobo peut vivre dans des quartiers populaires, mais a des stratégies d’évitement face aux situations les plus critiques.

    Thomas Legrand: Les bobos constituent une partie de la population pour qui le capital culturel à plus d’importance que le capital économique. Le premier est souvent très élevé, tandis que le second est très variable. Le bobo peut être aussi bien un travailleur social doté d’une maîtrise de sociologie, qu’un webmaster qui gagne 10 000 euros par mois. La principale force du bobo est d’être en phase avec la mondialisation, avec la société, et aussi, contrairement au petit Blanc, avec la représentation du monde qu’il voit à la télévision.

    La différence entre le bobo et le petit Blanc, c’est aussi effectivement le fait que le bobo peut choisir où il habite. S’il n’a pas beaucoup d’argent, il peut aller habiter dans des quartiers où il y a une importante mixité, mais il n’ira jamais habiter dans une cité du 9.3.! Et ce faisant, il va créer une mixité qui est selon moi bénéfique pour la société. D’ailleurs dans les quartiers où les bobos sont implantés, le Front national est très peu représenté. Les gens se connaissent et s’apprécient. Tout n’est pas rose, mais le bobo essaie d’inventer une nouvelle manière de vivre ensemble. Il est vrai que pour lui, le petit blanc qui vit dans la France périurbaine est un peu «un beauf». C’est l’un des aspects négatifs du bobo qui est assez content de lui, il faut bien le dire!

    Libéral sur le plan économique aussi bien que sur les questions de société, les bobos, qui habitent les centres-villes apparaissent comme l’exact opposés des «petits Blancs», souvent conservateurs sur le plan sociétal, relégués à la périphérie, et souffrant des conséquences de la mondialisation. Est-ce vraiment le cas? Est-il opportun de les opposer?

    Thomas Legrand: Lorsqu’on lit les témoignages qui sont rapportés dans le livre d’Aymeric Patricot, on s’aperçoit qu’il y a effectivement deux mondes. Lorsque le bobo s’intéresse aux circuits courts et à l’environnement, le petit Blanc prend ça comme une trahison et une violence. Il ne peut pas le comprendre. Néanmoins, la dernière enquête du CEVIPOF sur les fractures françaises, qui a intégré les travaux de Christophe Guilluy, nous permet de nuancer. Plus qu’entre bobos et petits Blancs, les vraies différences se situent entre riches et pauvres. L’appartenance culturelle ou ethnique compte moins que l’appartenance sociale.

    Aymeric Patricot: D’un point de vue économique, le petit Blanc n’est effectivement pas très libéral car il a le sentiment de perdre son travail à cause de la concurrence mondialisée. Si le bobo aime la mondialisation, le petit blanc en souffre et s’en sent exclu. Il y a aussi la question des études qui peuvent coûter cher. J’ai de plus en plus d’élèves qui sont obligés de travailler pour financer leurs études. Le petit Blanc aimerait lui aussi être connecté, mais ne le peut pas toujours et en conçoit du ressentiment. D’autant plus que contrairement aux immigrés, on ne lui reconnaît pas d’excuse pour ses échecs. Sur le plan sociétal, j’ignore s’il est réellement conservateur. Je crois que le mariage gay n’est pas son problème. Pour lui, c’est un débat de riches. Il veut du travail et s’agace que la gauche ne paraisse s’intéresser qu’aux homosexuels et aux minorités ethniques.

    La question du style est également importante. Je suis prof de banlieue et j’ai des élèves qui se considèrent comme petits Blancs. Ce sont de bons élèves qui ont un capital culturel important, mais ils portent des t-shirts larges, boivent de la Kronenbourg et sont agacés par le snobisme des bobos. Il y a une esthétique «White trash» qui n’est pas celle du bobo. Renaud, ancien petit Blanc qui se moque des bobos, incarne à son corps défendant l’archétype du petit Blanc précisément récupéré par les bobos

    Dans votre livre Thomas Legrand, vous expliquez que les bobos ont également contribué à «redynamiser le vivre ensemble». En quoi ont-ils pu créer du lien social?

    Thomas Legrand: Le bobo représente une catégorie de la population qui veut bien aller habiter dans des endroits où il n’est pas forcément majoritaire. Il aime bien la culture populaire, l’altérité et les mélanges. Les bobos ont inventé le covoiturage, les jardins partagés et poussé les maires de grandes villes à aménager celles-ci autrement, y compris les villes de droite comme à Bordeaux avec Alain Juppé. Ils sont favorables à la construction de logements sociaux dans les quartiers chics, très actifs dans la vie de la commune, et très attentifs à tout ce qui est social. Les bobos sont paradoxalement à la fois hédonistes et altruistes. Un quartier de bobos se reconnaît au fait qu’il y a beaucoup de boucherie et de fromagers. Le bobo permet ainsi à de nombreux artisans de s’enrichir autour de lui. Enfin, contrairement à une idée reçue, les bobos ne sont pas toujours opposés à la mixité scolaire. Doninique Voynet explique que des bobos à Montreuil se sont réunis à 20 dans une école difficile pour y inscrire leurs enfants. Cela a permis de sauver des classes… Il faut parfois qu’y ait une dose de bobos blancs pour que la mixité soit respectée. En revanche, il est vrai que le bobo, très à l’aise dans la mondialisation ou à l’échelle locale, comprend moins bien l’échelon national envers lequel il a une méfiance politique

    Les classes populaires semblent pourtant disparaître des grandes villes. Dans son livre, «Paris sans le peuple», la sociologue Anne Clerval refuse d’employer le terme bobo qu’elle considère comme un «mot piège» préférant celui de bourgeoisie ou de gentrificateurs. «La mixité sociale souvent lue comme un mélange culturel, est très valorisée par les gentrificateurs même s’ils la pratiquent peu dans les faits» explique-t-elle. Derrière l’apparence de l’ouverture, la boboitude n’est-elle pas en fait le nouveau visage de la classe dominante?

    Thomas Legrand: La classe bobo est dominante dans le sens où elle est active et où elle est aux manettes de tout ce qui montre le monde. En revanche, elle n’est pas forcément dominante sur le plan économique. Anne Clerval, qui a une vision très marxiste, considère que la mixité n’existe pas. Et lorsqu’elle la constate, elle considère que ce n’est pas une bonne chose. Les sociologues marxistes parlent du retrait résidentiel des bobos et leur reprochent de mettre des digicodes. Mais les bobos ont tout de même le droit de ne pas se faire cambrioler! Et s’ils ne mettaient pas de digicode, la droite les traiterait d’angélistes!

    Aymeric Patricot: N’y a-t-il pas malgré tout une forme d’hypocrisie avec le digicode? Les bobos aiment la diversité sans reconnaître que celle-ci pose parfois problème! Les petits Blancs reprochent d’ailleurs aux bobos de leur faire la morale et de ne pas s’appliquer les principes qu’ils prônent. Enfin, il n’est pas toujours vrai que plus il y a de mélange, moins il y a de tension. Je pense par exemple à une société comme le Brésil qui est à la fois très hétérogène et très violente.

    En poussant les classes populaires dans les zones périphériques et en employant des sans-papiers par solidarité intéressée, les bobos participent tout de même à l’organisation d’une société inégalitaire qui les arrange… Peut-on aller jusqu’à parler de nouvelle lutte des classes?

    Thomas Legrand: C’est la critique des bobos qui est portée par la gauche de la gauche avec l’idée sous-jacente que lorsqu’on défend la mixité c’est qu’on accepte les inégalités. Lorsqu’on refuse l’idée d’inégalité, comme la gauche radicale, on ne défend pas la mixité sociale, mais la lutte des classes. La gauche marxiste considère ainsi les bobos comme une nouvelle bourgeoisie qui prend les atours du progressisme. Il est vrai que dans bobo, il y a bien «bourgeois».

    Aymeric Patricot: L’extrême droite fait exactement le même reproche au bobo, mais en terme d’inégalité raciale.

    Aymeric Patricot, pourquoi préférez-vous le terme de «petits blancs» à celui de classes populaires. Est-on en train d’assister à une ethnicisation des rapports sociaux?

    Aymeric Patricot: Je ne renie bien sûr pas le terme de «classes populaires». Cependant j’utilise le terme de «petit Blanc» car je n’évoque pas seulement les pauvres, mais aussi la question raciale qui est réapparu depuis les années 2000 avec les émeutes de 2005, le débat autour de la discrimination positive ou encore le fait que les minorités s’organisent en associations. Certains politiques ne raisonnent qu’en termes sociaux, d’autres qu’en termes raciaux. Je crois, au contraire, que les deux questions sont désormais mêlées. Les petits Blancs sont situés dans ce qu’on pourrait appeler «l’angle mort de la sociologie politique. Ils intéressent moyennement la gauche parce qu’ils sont blancs et moyennement la droite parce qu’ils sont pauvres.

    Thomas Legrand: Notre République ne reconnaît pas les races, ni les ethnies, mais reconnaît paradoxalement le racisme. La République laïque et non raciale est un bien commun, mais il ne faut pas être hypocrite lorsqu’on aborde ces questions.

    Par leur fascination pour le métissage et leur refus de voir les conséquences parfois néfastes de l’immigration, les bobos sont-ils en partie responsable du sentiment d’insécurité culturelle qui taraude les classes populaires?

    Aymeric Patricot: Je répondrais par une anecdote, j’ai rencontré une jeune fille qui était la seule blanche de sa classe en seconde et qui m’a dit être tombée en dépression. Tous les profs demandaient en début d’année à chaque élève d’où ils venaient. La jeune fille avait le sentiment d’être nulle et s’est inventée des origines pour ne pas se sentir exclue. Cela traduit bien l’angoisse du petit Blanc qui se sent menacé et qui n’arrive pas à vivre les bouleversements ethniques récents de manière apaisée.

    Le petit blanc ne se sent pas aimé des autres blancs plus aisés. Il se dit: «En face de moi, il y a des minorités soudées, tandis que moi je ne suis pas aidé par le bourgeois ou le bobo.» Il n’y a pas de solidarité ethnique entre Blancs puisque le bobo considère qu’il ne faut pas parler de race.

    Thomas Legrand: Le bobo a du mal à comprendre la question du racisme anti-blanc qui est une réalité dans certaines banlieues. Mais en ce moment, il y a une véritable tempête sous son crâne. Pour le bobo, le réac, le méchant n’est plus tellement le bourgeois traditionnel avec lequel il ne vit plus, bien qu’il n’aime pas tellement le voir manifester sous ses fenêtres contre le mariage gay, mais plutôt le barbu, le petit caïd qui traite sa femme et ses enfants en bon macho. Le bobo a du mal à le reconnaître et se demande s’il n’est pas en train de devenir raciste. La laïcité et la République lui permettent heureusement de se sauver lui-même et de gueuler contre le barbu sans avoir trop mauvaise conscience!

    Malgré leurs différences, la «République bobo» et la «France périphérique» peuvent-elles se réconcilier ou une partie du peuple est-elle en train de faire sécession?

    Thomas Legrand: A partir du moment où le bobo est une population en phase avec la mondialisation et en phase avec le mélange, il peut très bien vivre avec des gens venant de tous les horizons du moment qu’ il ne se sent pas trop minoritaire. Ce sont des équilibres très difficiles à trouver et les politiques d’aménagements publics, de transport et de logement, auront une importance de plus en plus capitale à l’avenir.

    Aymeric Patricot: On peut éviter la fracture définitive, mais à condition qu’il y ait une parole libre autour de ces sujets. La notion de «white flag» est peu évoquée en France. Il s’agit du fait que dans les quartiers qui se métissent fortement, les blancs qui sentent qu’ils vont devenir minoritaires partent. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis à Detroit lorsque la ville a chancelé économiquement et c’est un phénomène qui pourrait se développer en France.

    Source : Le Figaro

    http://koltchak91120.wordpress.com/

  • L’action de Christiane Taubira est demeurée somptueusement verbale !

    Entretien avec Philippe Bilger

    L’indépendance de la justice est un terme devenu mantra. Jusqu’à quel point cette même justice peut-elle être indépendante vis-à-vis du pouvoir politique ?

     

    Vaste question. Je crois néanmoins qu’il est possible d’avoir des magistrats indépendants du pouvoir politique. Et la plus élémentaire des honnêtetés intellectuelles me conduit à affirmer que cette situation s’est considérablement améliorée depuis l’élection de François Hollande. En tant que magistrat honoraire et citoyen que j’espère éclairé, je confirme que le suivi des affaires politico-judiciaires se fait de manière plus indépendante que sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Les magistrats ont une plus grande liberté pour instruire les affaires sensibles. La magistrature est traitée également avec plus de courtoisie et de respect. C’est à mettre au crédit de Christiane Taubira. Après, reste l’éternel dilemme : faire la synthèse entre la loi de Créon et celle d’Antigone… Pour finir, je rappellerai juste que les juges ont à éviter ces deux écueils que sont la solitude arrogante et la soumission déplorable.

     

    Christiane Taubira exige que toutes les « affaires sensibles » remontent à la Chancellerie. Simple mesure administrative ou mise au pas des procureurs ?

    Cela signifie seulement que le garde des Sceaux s’intéresse aux affaires sensibles et tient à être informé des procédures en cours. Rien de neuf sous le soleil et rien qui n’ait été la règle sous les précédents gouvernements, de gauche comme de droite.

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  • Entretien avec Jean Bricmont: « La République des censeurs ».

    Dans « La République des censeurs », qui vient de paraître*, l’intellectuel belge, Jean Bricmont, se livre à un vigoureux plaidoyer pour la liberté d’expression. Il fait une analyse extrêmement instructive des lois qui, en France, ont limité cette liberté au cours des 40 dernières années, des procès auxquels ces lois ont conduit, et de leurs effets pervers.
    M. Bricmont démontre que la « loi Pleven » de 1972 réprimant l’incitation à la haine raciale, ainsi que la « loi Gayssot » de 1990 punissant ceux qui contestent l’existence d’un quelconque « crime contre l’humanité » jugé à Nuremberg, ont introduit le délit d’opinion, ouvert la porte à des appréciations arbitraires, au deux poids deux mesures, confié aux juges la charge de dire la vérité en histoire ; en fin de compte, attisé des sentiments d’injustice et alimenté ce contre quoi elles prétendaient lutter.

    Silvia Cattori : Votre essai « La République des censeurs » ouvre le débat. Vos arguments paraissent convaincants ; et pourtant on vous a vu dernièrement très seul à les défendre à propos de l’affaire Dieudonné [1]. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce un biais propre aux médias ? Ou serait-ce qu’une majorité des Français s’est aujourd’hui laissé convaincre que la censure se justifie pour préserver la paix civile ?
    Jean Bricmont : Je ne sais pas ce que pense la majorité des Français ; sans doute a-t-elle d’autres chats à fouetter, vu que ce genre de censure touche certains intellectuels, ou tout au plus les « fans » de Dieudonné, mais pas le gros de la population. Cependant, je doute fort que, si l’on expliquait aux Français la situation réelle de la censure dans leur pays, ils l’approuveraient, vu que la plupart d’entre eux sont « républicains » et considèrent que la liberté d’expression fait partie des fondements de la République.
    Mais le problème n’est pas non plus simplement restreint aux médias. Il y a, comme l’explique Diana Johnstone [2], une sorte de religion de la Shoah en France. Mais il faut être précis ; utiliser le mot « religion » dans ce cas ne veut pas dire nier l’événement, mais caractériser la façon dont on en parle. Le simple fait qu’il existe une loi interdisant, sous peine de sanctions pénales, de le nier et que ce soit le seul événement historique qui « bénéficie » d’une telle loi est déjà une façon de le sacraliser. Il suffit par ailleurs de voir ce qui se dit ou s’écrit sur une série de sujets qui n’ont rien à voir directement avec la Shoah, comme la sécurité d’Israël, le nucléaire iranien, les guerres humanitaires, la construction européenne et d’autres sujets encore, pour voir que la Shoah joue un rôle central dans l’imaginaire contemporain de nos « élites ».
    Contrairement au christianisme ou à l’islam, cette « religion » n’a pas grande influence sur les masses, elle est essentiellement une religion d’intellectuels et n’a pas d’implications concernant la vie personnelle des gens ; elle en a néanmoins sur leur possibilité de s’exprimer et, indirectement, de penser. Il y a d’autres « religions » dans notre culture, la psychanalyse ou le postmodernisme, par exemple, et tout cela fait penser aux cultes du déclin de l’Empire romain ; notre époque, caractérisée par le déclin de la domination occidentale sur le reste du monde peut d’ailleurs être comparée, à certains égards, à celle du déclin de l’Empire romain.
    Mais la religion de la Shoah, contrairement à celles que je viens de mentionner, a des conséquences politiques sérieuses et, à mon sens, très néfastes. Tout d’abord, la politique occidentale par rapport à la Palestine est sans arrêt « contrôlée » par le rappel de la Shoah, à laquelle les Palestiniens n’ont évidemment pas pris part, mais, et cela on ne le souligne jamais, les Européens vivant actuellement non plus - à de très rares exceptions près. Je trouve toujours très curieux que, dans une culture soi-disant dominée par l’antiracisme, on accepte implicitement l’idée d’une responsabilité collective, celle des Européens pendant la guerre -en assimilant par ailleurs occupants et occupés-, qui en plus est transmissible aux descendants.
    Mais la même chose est vraie pour les guerres humanitaires et la politique d’ingérence en général. Lors de chaque guerre, on nous présente de nouvelles « victimes innocentes », comparées aux juifs pendant la guerre, menacées de génocide par un nouvel Hitler et tous ceux qui s’opposent à ces guerres sont immédiatement traités de « Munichois » ; si l’on cherche à mettre en question, ne serait-ce que faiblement, la propagande de guerre, on est assimilés aux « négationnistes ». Pourtant, avec le temps, on s’aperçoit que cette propagande s’avère presque toujours être mensongère, le dernier exemple en date étant l’attaque chimique en août 2013 près de Damas, dont une étude scientifique démontre qu’elle ne pouvait pas être le fait du gouvernement syrien [3].
    Mais, ne serait-ce que suggérer cela au moment où on était sur le point de déclencher une nouvelle guerre, dont les conséquences étaient imprévisibles, vu l’engagement de la Russie dans le conflit, vous mettait immédiatement, aux yeux du discours dominant, dans le camp des « négationnistes ».
    Finalement, il y a la question de la liberté d’expression. Quoiqu’on pense de Dieudonné, de son humour et de ses « dérapages », il est hallucinant de voir la campagne déclenchée contre lui par tout l’appareil d’Etat, appuyée par presque tous les médias, alors qu’il n’est après tout qu’un simple individu se produisant sur scène, sans aucun parti ou mouvement derrière lui : on peut tranquillement se réjouir sur une chaîne de radio publique en imaginant qu’il soit publiquement exécuté [4], des adolescents peuvent être renvoyés de leur école et accusés d’apologie de crimes contre l’humanité pour avoir fait le geste de la quenelle, on arrive à faire licencier des gens ayant fait ce geste, entre autres exemples d’hystérie.
    Une personne raisonnable ne peut-elle pas dire, au minimum : tout ce qui est excessif est insignifiant ? Mais que font la gauche, les démocrates, les gens qui « combattent le fascisme » ? Rien ou presque ; quand ils défendent timidement la liberté d’expression, ils commencent par se mettre à l’abri en condamnant Dieudonné ou en se plaignant que les poursuites engagées contre Dieudonné lui font de la publicité. Aucune attitude de principe, du genre de celles qu’ils prennent presque automatiquement lorsqu’il s’agit des violations des droits de l’homme dans des pays ennemis de l’Occident ou lorsqu’il s’agit d’entraves à leurs opinions ou à celles de leurs amis.
    A partir du moment où bon nombre de gens, qui se pensent souvent comme étant « de gauche », ont adhéré plus ou moins inconsciemment à la religion de la Shoah, ils voient le « combat » contre les mécréants, les antisémites et négationnistes, mais aussi, par extension, les racistes, sexistes et homophobes, comme une sorte de cause sacrée. Et une fois qu’une cause acquiert un caractère sacré plus aucune règle n’est respectée ; c’est la guerre sainte ! En particulier, la liberté d’expression passe à la trappe, mais aussi l’équité dans les débats ou le simple respect des droits de la défense des personnes accusées d’avoir de mauvaises pensées.
    C’est ainsi qu’on en est arrivé à une situation absurde, où la simple défense des principes les plus élémentaires de la démocratie devient « suspecte » et « extrémiste », ce qui explique le relatif isolement médiatique auquel vous faites allusion.
    Silvia Cattori : Ne pensez-vous pas que le racisme et l’antisémitisme sont des fléaux et qu’il faut les combattre ?
    Jean Bricmont : Avant de répondre, je voudrais qu’on précise ce qu’on appelle « racisme » et « combattre ». On peut penser, pour ce qui est du racisme, à des lois discriminatoires, fondées sur le sexe, le groupe ethnique ou la religion. Pour autant que je sache, ce genre de lois n’existent pas en France, même si elles ont existé dans le passé et existent ailleurs dans le monde. On peut aussi penser aux discriminations de fait dans l’accès à l’emploi et au logement. Je ne parle pas de cela dans le livre parce que ces discriminations de fait ne sont pas couvertes par la liberté d’expression et que je ne demanderais pas mieux que de les supprimer ; mais je n’ai rien d’original à dire à ce sujet. Finalement, il y a tout ce qu’on appelle les « préjugés », c’est-à-dire les opinions que les êtres humains ont à propos des groupes auxquels ils pensent appartenir par rapport aux autres. La plupart des gens voient « leur » groupe - ethnique, religieux, sexuel - comme ayant des qualités que les autres groupes n’ont pas.
    Et, bien sûr, ces « préjugés », combinés aux relations de pouvoir existant dans une société donnée, ont des effets sur les discriminations. A partir de ce constat, il est tentant de penser que la lutte contre les discriminations passe par la répression légale de l’expression, verbale ou écrite, des « préjugés ».
    C’est cette idée qui est à la base de la « lutte contre la haine » par des voies légales. Je comprends cette tentation, mais je pense aussi qu’il faut lui résister. Le problème est qu’en s’attaquant à l’expression d’idées, on rencontre au moins trois problèmes fondamentaux :
    - La pensée humaine étant très flexible, et vu qu’on ne peut pas tout censurer, on tombe inévitablement dans le « deux poids deux mesures » et toutes les personnes censurées trouveront aisément d’autres propos aussi scandaleux que les leurs et elles se considéreront donc victimes d’injustices.
    - On rencontre aussi le problème de la pente glissante : pour que la censure soit efficace, il faut non seulement interdire les propos jugés illégaux mais aussi ceux qui s’en rapprochent, ou qui les citent, ou qui les défendent indirectement etc. Je donne de nombreux exemples de telles dérives dans mon livre.
    - Finalement, et c’est sans doute le plus important, en empêchant d’exprimer des opinions racistes, sexistes etc., on s’empêche de les réfuter. Bien sûr, je ne suis pas opposé à la « lutte » contre le racisme si celle-ci consistait à donner des arguments, de préférence en débattant de façon contradictoire avec les gens supposés être racistes. J’insiste simplement sur le fait que la censure empêche de le faire et, en rendant toute confrontation impossible, affaiblit la pensée antiraciste.
    Le soutien à la censure est d’ailleurs souvent lié à l’irrationalisme généralisé qui caractérise notre culture : presque tout le monde est convaincu que les arguments rationnels n’ont aucun effet. C’est en tout cas ce que j’entends très souvent dire quand je critique les religions ; mais quelle est l’alternative à la discussion rationnelle ? Le terrorisme intellectuel ? L’enfermement des dissidents ?
    Quoi que l’on pense d’Obama, c’est un fait que son père était Africain et qu’il a été élu deux fois président des Etats-Unis. Comment les Américains ont-il fait pour l’élire, alors qu’ils ne « bénéficient » pas de ces magnifiques lois « réprimant la haine » et qu’effectivement toutes sortes d’horreurs peuvent être dites librement dans ce pays ?
    Finalement, je remarque que l’antiracisme consiste souvent à célébrer les « autres cultures », sur le plan artistique par exemple. Mais lorsqu’il s’agit des aspirations politiques des parties non occidentales du monde qui sont presque unanimement opposées à nos politiques d’ingérence et de guerres humanitaires, presque personne n’est prêt à les écouter. Et lorsque des Iraniens, des Cubains ou des Irakiens souffrent d’embargos dont les conséquences sont bien pires que de simples discriminations, je n’entends pas beaucoup de voix antiracistes protester.
    Silvia Cattori : Que diriez-vous aux personnes dont la famille a souffert des persécutions raciales au cours de la guerre et qui trouvent insupportables que l’on nie leurs souffrances ? Le souvenir de ces souffrances n’est-il pas plus important que le principe abstrait de la liberté d’expression ?
    Jean Bricmont : Tout d’abord, la loi Gayssot ne réprime pas la négation de souffrances passées en général, mais d’un cas particulier, à savoir certains crimes commis lors de la Seconde Guerre mondiale et jugés lors du procès de Nuremberg ; en pratique, la plupart des poursuites portent sur la négation de l’existence des chambres à gaz dans les camps allemands.
    La question ici n’est pas de savoir si l’on juge, à titre individuel, les persécutions nazies contre les juifs comme particulièrement monstrueuses, mais si l’on estime que c’est à l’Etat d’imposer à tous, non seulement une vérité historique, mais aussi le fait de considérer ces persécutions comme exceptionnelles - puisqu’elles seules « bénéficient » de ce genre de lois.
    Je ne pense pas que singulariser ainsi un type de souffrance rend service à ceux qui veulent en préserver la mémoire. En effet, cela provoque un ressentiment qui, en fait, attise l’animosité contre eux, en faisant croire que « les juifs » sont plus puissants que les autres communautés.
    Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est que, dès qu’on interdit une certaine pensée, on attire l’attention sur elle et on encourage le scepticisme par rapport à la thèse défendue par la censure.
    Pour illustrer cela, il suffit de comparer Faurisson -et ses disciples- et Arthur Butz, qui est américain et auteur d’un ouvrage, « La mystification du 20è siècle » qui nie l’existence des chambres à gaz et dont l’édition originale en anglais date de 1976, c’est-à-dire avant les premiers écrits de Faurisson.
    Qui connait Butz ? Pratiquement personne (en dehors des cercles négationnistes) ; en effet, il n’est pas poursuivi et, donc, est presque totalement inconnu. Faurisson est constamment poursuivi et est internationalement connu. La même chose est encore plus vraie pour Garaudy ; philosophe ex-communiste, il s’était converti à l’islam et a été condamné pour négationnisme à cause de son livre sur les « mythes fondateurs » d’Israël [5] Quelle meilleure publicité pouvait-on faire à ses thèses que de le condamner ? Et cela particulièrement dans le monde musulman, où l’idée que la France est dominée par le « lobby sioniste » est assez répandue, pour ne pas dire plus.
    Sans la loi Gayssot, le négationnisme n’existerait que dans des cercles très restreints et ceux qui disent souffrir de son existence n’en auraient jamais entendu parler. C’est en substance, une des choses que Chomsky a dites lors des premières poursuites contre Faurisson, en 1981-1983. Le seul résultat en a été que Chomsky est devenu impubliable pendant plus de quinze ans en France. Ceux qui n’ont pas voulu l’écouter à l’époque font face, à travers les affaires Dieudonné, au résultat de leur dogmatisme.
    Silvia Cattori : L’évolution que vous décrivez dans le troisième chapitre de La République des censeurs [6], est-elle spécifique à la France, et si oui, pourquoi à votre avis ? Ou bien retrouve-t-on des phénomènes analogues dans les autres démocraties occidentales ?
    Jean Bricmont : Je ne peux pas répondre pour tous les pays, que je connais moins bien que la France ou la Belgique. Mais déjà en Belgique, surtout du côté néerlandophone, la situation est très différente. Bien sûr, sur le plan socio-économique, la situation est similaire, et il y a les débats habituels autour de l’immigration et du « multiculturalisme », mais il n’y a pas l’espèce de fanatisme qu’on rencontre en France, lié à l’idée qu’on « lutte » contre le mal absolu, à savoir le fascisme. Dans votre pays, la Suisse, pour autant que je puisse voir, les débats sont aussi plus apaisés qu’en France et Dieudonné n’y est pas interdit. Je n’ai néanmoins pas l’impression que cela soit dû au fait que la Suisse est dirigée par des antisémites ou qu’elle va verser bientôt dans le fascisme...
    En fait, malgré l’idée qu’elle se fait d’elle-même, la France n’est pas un pays très libéral en matière de débat d’idées et cela ne date pas d’hier : Descartes et Voltaire ont choisi de séjourner à l’étranger, où ils étaient souvent plus libres qu’en France. Beaucoup d’écrits de Diderot furent publiés après sa mort. Marx et Hugo sont venus en Belgique. Rimbaud et Verlaine ont aussi fui la France. Bref, contrairement à ce que certains croient peut-être, la censure en France n’est pas une invention sioniste.
    Mais il y a un autre facteur spécifique à la France, à savoir la « destruction de la raison » opérée par la pensée des années 1960. Je veux dire par là qu’une partie de l’intelligentsia a accepté l’idée que la vérité n’est jamais qu’un effet du pouvoir ou que les discours sont « socialement construits », sans aucune contrainte venant du monde extérieur. La formulation donnée ici est plus radicale que ce que pensaient la plupart des gens à cette époque, mais l’idéologie des années 1960 allait dans cette direction. A partir du moment où des notions comme vérité ou objectivité sont dévalorisées, il est assez tentant de faire reposer l’entièreté des discours sur des « valeurs », coupées de toute analyse du réel, et c’est ce qu’on entend sans cesse à gauche : « nous » sommes les défenseurs de « valeurs » antiracistes, féministes, de tolérance etc.
    Mais une étude même superficielle de l’histoire des religions montre qu’il est plus facile et donc plus fréquent de bomber le torse en prétendant adhérer à certaines valeurs que de faire les sacrifices nécessaires pour les mettre en application.
    Ce qui est plus grave, c’est que la mise en avant de valeurs et l’abandon de la notion d’objectivité a un impact catastrophique sur le droit. En effet, celui-ci, même s’il est fondé sur une certaine conception du bien commun, ne doit pas être confondu avec la morale. En particulier, il cherche avant tout à limiter les abus de pouvoir, dont sont trop souvent coupables ceux qui croient faire partie du camp du Bien. Dans les débats auxquels j’ai pris part sur la liberté d’expression, j’ai été frappé par l’absence totale de respect pour celle-ci précisément chez ceux qui se drapent dans leurs « valeurs », que « nous » sommes tous sommés de partager. C’est oublier que l’ordre social repose sur des règles, relativement bien définies, et non sur des valeurs dont la signification précise, quand elle existe, dépend du bon vouloir de ceux qui s’en réclament.
    Ce qui paraît a priori curieux, c’est que ce remplacement des faits et des règles par les valeurs est typique de la pensée totalitaire, alors que notre époque ne jure que par son opposition au totalitarisme. Mais si on pense à l’histoire des religions et à l’hypocrisie qui les accompagne en général, ce n’est peut-être pas si étonnant que cela.
    Silvia Cattori : La « loi Gayssot » a été adoptée en 1990 malgré l’opposition de nombreuses personnalités politiques de droite. Mais, revenue aux affaires, la droite s’est gardée de l’abolir. On ne voit pas s’esquisser d’évolution à gauche. Dès lors, d’où pourrait venir la remise en cause de ce genre de loi ? Quelles conditions devrait-on réunir ? Quel espoir peut-on entretenir à ce sujet ?
    Jean Bricmont : Je n’imagine pas, grâce à un modeste livre, changer une situation qui est le résultat de décennies d’endoctrinement à la « lutte » -par la censure ou la diabolisation- contre le fascisme, le racisme etc. J’espère, sans trop y croire, ouvrir le débat. Mais il me semble que dans l’avenir proche, les associations antiracistes vont continuer leurs poursuites et que les conflits entre « communautés », qui ont bien sûr des causes multiples, vont s’aggraver, chaque communauté considérant que “son” sacré, “sa” mémoire ou “ses” souffrances ne sont pas suffisamment respectés ou que les outrages qu’elle subit ne sont pas assez réprimés.
    Comme j’essaie de l’expliquer, la mentalité dominante à gauche, qui consiste à se voir à la fois comme représentant du Bien sur Terre et comme étant, par là même, autorisé à faire taire ses adversaires, mène à un appauvrissement considérable de la pensée. Face à toutes les contestations populaires qui se développent, bonnets rouges, manifs pour tous, jour de colère, retraits de l’école contre la théorie du genre, succès de Dieudonné, la réponse de la gauche, même « radicale », est toujours « extrême droite, extrême droite ! ». Ils ne pensent jamais à se remettre en question ou à se demander si ce n’est pas leur façon de procéder qui provoque en partie ces réactions.
    De nouveau, comparons avec la Belgique : c’est un pays qui était encore très catholique il y a quelques décennies et où le mariage homosexuel existe depuis plus longtemps qu’en France (sans mener à l’effondrement de la civilisation...), où le Premier Ministre est homosexuel et où l’euthanasie est légale ; rien de cela ne provoque les réactions furieuses auxquelles on assiste en France, où aujourd’hui l’hystérie « de droite » répond à l’hystérie « de gauche ».
    Bien sûr, je souhaite défendre les acquis des années 1960 en matière de droits des femmes, des homosexuels ou des minorités. Mais je ne crois pas qu’on y arrivera tant qu’on continuera à faire comme si l’analyse rationnelle était une sorte d’étrange passe-temps, comme le dit ironiquement Chomsky à propos de la vie intellectuelle française.
    Mon seul espoir réside chez les jeunes, où je perçois un changement de mentalité et une ouverture au débat que je n’imaginerais pas parmi les gens de ma génération, celle de 1968, qui a complété le slogan « il est interdit d’interdire » par « sauf les opinions qui ne nous plaisent pas ». Ma génération était marquée par le souvenir de la guerre et, d’une certaine façon, a voulu revivre la guerre, mais dans le fantasme plutôt que dans le réel. Il y avait aussi, dans cette génération, une sorte de révolte contre la génération précédente dont une bonne partie avait soutenu ou avait été passive à l’époque du fascisme - tout en oubliant que « combattre le fascisme » après son effondrement était considérablement plus facile qu’entre 1940 et 1945.
    Mais les jeunes d’aujourd’hui sont nés longtemps après la fin de la guerre, font face à une économie ruinée et à un enseignement à la dérive, n’ont pratiquement aucune perspective d’avenir et n’ont pas le goût de s’amuser à combattre des fantômes ou de vivre dans des fantasmes.

    Propos recueillis par Silvia Cattori

    http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EFAEZuFAkuterluKoj.shtml

    Source: URL : http://www.silviacattori.net/article5390.html

    (*) La République des censeurs. Editions de l’Herne, 2014.

    Professeur de physique théorique et mathématique, Université de Louvain, Belgique. Auteur de plusieurs articles sur Chomsky, co-directeur du Cahier de L’Herne n° 88 consacré à Noam Chomsky. Il a publié notamment avec Alan Sokal Impostures intellectuelles (1997), À l’ombre des Lumières avec Régis Debray (2003) et Impérialisme humanitaire (2005)
    [1] Voir :
    - Dieudonné, Taddeï, la LICRA : le jour où la liberté de pensée vacilla (17 janvier 2014)
    http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/dieudonne-taddei-la-licra-le-jour-146344
    - Jean Bricmont sur Dieudonné, Caroline Fourest et Taddéi (Vidéo) (18 JANVIER 2014)
    http://www.silviacattori.net/article5308.html
    - Quand Jean Bricmont parle de Dieudonné sans se faire couper la parole http://www.youtube.com/watch ?v=2lbpqdiTq3s
    [2] La Shoah : Religion d’Etat ? par Diana Johnstone (28 JANVIER 2014)
    http://www.silviacattori.net/article5366.html
    [3] Possible Implications of Faulty US Technical Intelligence in the Damascus Nerve Agent Attack of August 21, 2013
    https://www.documentcloud.org/documents/1006045-possible-implications-of-bad-intelligence.html
    [4] Le journaliste Philippe Tesson s’exclama sur Radio Classique : « Ce type, sa mort par un peloton de soldat me réjouirait profondément ! », avant d’ajouter que « c’est une bête immonde, donc on le supprime. C’est tout ! »
    [5] « Les Mythes fondateurs de la politique israélienne ». Publié en 1995 par les éditions La Vieille Taupe, réédité en 1996 à compte d’auteur « Samizdat Roger Garaudy » lui a valu d’être condamné, en 1998, pour « contestation de crimes contre l’humanité, diffamation raciale et provocation à la haine raciale ».
    [6] Jean Bricmont écrit page 125-126 : « Pendant longtemps, la censure a été « de droite », en ce sens qu’elle était exercée par l’Église, l’armée ou des chefs d’États plus ou moins autoritaires. […] Ce n’est qu’à partir des années 1980, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, la naissance de la « lutte contre le racisme » et les procès contre les négationnistes, que la censure a changé de camp et est devenue « de gauche », tout en étant acceptée, même si c’est sans enthousiasme, par la droite « démocratique ». À partir du moment où ce basculement a eu lieu, la défense de la liberté d’expression est devenue « suspecte » de sympathies pour l’extrême droite. » M. Bricmont attribue ce basculement à l’abandon par la gauche de son ambition de transformation du capitalisme, de sa défense de la souveraineté nationale, et sur le plan international de sa lutte pour la paix et contre l’impérialisme. Pour justifier ces abandons, la gauche, a dit-il « inventé la gauche morale », et s’est lancée dans un combat imaginaire en prétendant se mettre à « lutter contre le fascisme » plusieurs décennies après la fin de la guerre.

  • Le dogme islamique est difficilement compatible avec l’État de droit

    Entretien avec Oskar Freysinger

    Dimanche 9 février, les Suisses devront se prononcer « contre l’immigration de masse ». Votre parti, l’UDC, demande que la Suisse limite l’immigration en revenant au système des contingents et renégocie la libre circulation des personnes avec l’Union européenne. Le scrutin s’annonce serré… Pourquoi cette volonté de limiter l’immigration ?

    Parce que le déplacement en masse de nomades du travail met en concurrence les plus faibles d’un pays contre plus faible qu’eux. Les classe moyennes fondent, les prix explosent et le pouvoir d’achat diminue. Un pays souverain doit pouvoir disposer d’un moyen de régulation des flux migratoires.

    Une plainte a été déposée contre l’affiche que vous avez réalisée en vue des votations. « Bientôt 1 million de musulmans ? Par conséquent : stop à l’immigration de masse », peut-on y lire. Le texte est illustré par une courbe en hausse exponentielle et une silhouette en burqa. Pour Matthias Bertschinger (Vert), « cette affiche dépasse non seulement les limites du bon goût, mais constitue aussi une discrimination raciale. On suggère dans cette affiche que les musulmans sont un danger pour la Suisse. Ceux-ci sont donc stigmatisés et blessés dans leur dignité », a-t-il estimé.

    Le dogme islamique est difficilement compatible avec l’État de droit en bien des points. Il faut donc éviter le communautarisme et l’établissement de sociétés parallèles. En régulant l’immigration, on peut augmenter la qualité de l’intégration. C’est une question de survie pour notre culture occidentale.

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