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entretiens et videos - Page 858

  • Bilan des manifestations anti-mariage homosexuel du week-end

    Bilan des manifestations anti-mariage homosexuel du week-end

    PARIS (NOVOpress/Bulletin de réinformation) – Vous étiez envoyé spécial du bulletin de réinformation à la manifestation d’hier dimanche contre le mariage homosexuel à Paris

    Nous étions 240.000 selon les organisateurs, seulement 35.000 selon la police. On notera cependant un comptage très précis de la manifestation par les organisateurs qui ont tâché de compter chaque manifestant, grâce à une forte équipe de volontaires.

    Aux Invalides la foule était compacte, sûrement comparable à la messe de Benoît XVI en 2008.

    Cette manifestation était donc très importante (photo en Une) et ce d’autant plus qu’elle a été improvisée à la dernière minute avec seulement trois jours de préparatifs.

    A titre de comparaison, le mouvement homosexualiste qui avait appelé à manifester à Paris le même jour, n’est parvenu à réunir que quelques centaines de personnes place de la Bastille pour soutenir le mariage contre nature.

    Dans quel esprit s’est déroulée cette manifestation ?

    La manifestation était très contrôlée, très encadrée ; Frigide Barjot voulait à tout prix éviter des débordements. Les slogans lancés du haut des chars ne visaient que la loi ou le garde des Sceaux. Mais pas de « Hollande démission » désormais banni par le collectif. Cette manifestation était ferme, bruyante, mais plus détendue que la manifestation du 24 mars.

    A 19 h, l’ordre de dispersion a été donné.

    Quelles personnalités se sont mêlées à la foule des citoyens ?

    On aura noté, évidemment, la présence de personnalités de l’UMP avec Henri Guaino, mais aussi du rassemblement Bleu Marine avec Gilbert Collard.

    Les manifestants ont entrevu une lueur d’espoir, grâce à l’intervention au podium du professeur Pierre Delvolvé. Membre de l’Institut et agrégé de droit public, il a évoqué l’inconstitutionnalité de la loi, notamment quant aux atteintes au principe d’égalité.

    Pour information, La Manif pour tous a fixé aux Parisiens un prochain rendez-vous, mardi soir, 19 h, au métro Sèvres‑Babylone.

    Egalement manifestations en province

    De nombreuses manifestations contre le “Mariage pour tous” ont également eu lieu en province pendant ce week-end.

    Par exemple à Bordeaux où “La Manif pour tous” a réuni samedi entre 850 et 2.000 personnes, selon le décompte de la police ou des organisateurs, pour défiler samedi dans les rues du centre-ville de Bordeaux (première photo ci-dessous), pendant que plusieurs dizaines de jeunes gens se réclamant du “Printemps français” manifestaient sur le pont de Pierre (deuxième photo ci-dessous).

    Bordeaux-11.jpg

    Bilan des manifestations anti-mariage homosexuel du week-end

    Crédit photo en Une : La Manif pour tous, DR. Crédit photos dans le texte : Infos Bordeaux, DR.

    http://fr.novopress.info

  • Interview du Printemps français bordelais !

     

    Après la démonstration de force du Printemps français samedi dernier à Bordeaux, la section locale de l’Action française vous offre une petite interview !
     
    AF : Bonjour, peux-tu te présenter rapidement s’il-te-plaît et nous expliquer pourquoi tu as participé au rassemblement du Printemps français place Pey-Berland ?
     PF : Bonjour à vous tous, amis roycos, et bonjour à vous tous amis lecteurs. Et bien c’est très simple en fait. Je suis étudiant à Bordeaux 3 en histoire, j’ai 23 ans. Je suis un manifestant de la première heure, et même de la première seconde (rires) ! Je ne pense pas qu’il faille encore expliquer pourquoi nous sommes contre ce projet de loi, mais j’ai tout de suite voulu défendre le mariage et la famille, aussi bien pour la société que pour les enfants. Première manif à Paris : j’étais super heureux, ambiance chaleureuse, bon enfant, le gouvernement et les médias ont eu du mal à nous diaboliser et je pensais sincèrement qu’ils allaient nous entendre. Puis j’ai participé à toutes les manifestations. Et de plus en plus, mon entrain retombait… J’avais comme l’impression d’un ostinato, sans cesse on refaisait la même chose et puis rien, on nous enferme sur une rue, une avenue, une place, on s’auto-félicite et rien. Le 24, lors de la grosse manif, j’ai naturellement voulu « déborder » et rester non-violent, et j’ai remarqué que des centaines et des milliers de personnes étaient de mon avis, et avaient ce ressenti, cette frustration, en gros d’être pris pour un *** ! Donc le Printemps français est tout à fait pertinent pour moi, d’autant plus pertinent qu’il est un mouvement spontané auquel quelques personnes assurent maintenant une cohésion obligatoire que ce soit la communication ou autre. Je n’ai aucun autre contact avec les dirigeants du PF que Facebook, et je n’ai ni leur nom, ni leur tête et eux non-plus ! C’est ça qui est extraordinaire, tout se fait par réseau ! Donc oui j’ai participé au rassemblement du Printemps français parce que je pense sincèrement que si la manif pour tous a su mobiliser le pays réel et doit continuer à le faire, cela doit s’accompagner d’un processus de blocage et de rabâchage incessant. Si on ne veut nous entendre, si on ne veut nous voir, la seule solution reste de nous subir.
     
    AF : Très bien, et donc comment cela s’est organisé ? On dit que tout est parti de textos ?
    PF : En effet, vendredi, quelqu’un s’est dit « et pourquoi pas ? » ! Un texto motivant a tourné, je l’ai reçu et en à peine 24h voilà ce qui s’est produit ! 500 personnes dans la rue ! Circulation bloquée, trafic des tramways perturbés, buzz sur la réunion devant chez Delaunay, 2h30 d’un cortège qui devait être au début un rassemblement ! Là encore, tout est spontané ! La banderole a été faîte au dernier moment, un ami nous dit qu’il a de vieilles toiles cirées dans sa cave ou grenier je ne sais plus, on passe acheter un rouleau de toile adhésive et voilà ! Chacun peut être fier d’avoir participé.
     
    AF : On peut dire que c’est un succès ?
    PF : Evidemment que c’est un succès ! Tout le monde était content d’avoir enfin à Bordeaux un mouvement qui pouvait montrer que, sur ce sujet, on ne se laisserait pas marcher sur les pieds ! Je demande aux gens de regarder le nombre de personnes présentes du jour au lendemain, sans organisation, sans listing, sans cadres dirigeants ! Il n’y a que notre frustration, notre colère et nos convictions ! J’invite tout le monde à lire la page Facebook où tous les articles ont été référencés ! Une bonne dizaine de médias ont relayé l’action !
     
    AF : Selon toi, le gouvernement doit-il se méfier ?
    PF : On se méfie de l’eau qui dort, on se méfie d’autant plus du fleuve qui déborde, surtout quand, comme aujourd’hui, d’autre facteurs extérieurs peuvent accélérer la montée des eaux : le vent, la pluie etc… Nous, nous avons le chômage, la crise et des élus sourds ! Donc oui, il doit se méfier, relire son Histoire et constater qu’il ne faut pas énerver un peuple !
     
    AF : Politiquement, comment te décrirais-tu ?
    PF : Je suis évidement un patriote ! Mais un patriote lassé, je n’ai aucun parti de référence et je ne vote pas, je suis vraiment exaspéré. Mais là je dois reconnaître que c’est la cerise sur le gâteau ! Mais nous ne voulons justement aucune récupération politique, nous devons rester focaliser sur la société et la civilisation, la vraie politique donc ! Les partis ont quelque chose de mal sain, de batailles vaines et sans cesse redondantes, laissant le pays et son peuple de côté.
     
    AF : Tu prêches à un converti ! En tout cas merci d’avoir bien voulu répondre à ces quelques questions ; qui éclaireront sans doute beaucoup de personnes s’interrogeant encore !
    PF : Merci à vous surtout pour votre aide pour la manif et à bientôt pour de nouveaux rassemblements !
  • Pour un résultat politique il faut une action politique !

     

    Interview de Catherine Rouvier, docteur d’État en Droit public et en Sciences politiques de l’Université Paris II (Panthéon-Assas), par Bago.  Source : Le Rouge & le Noir – le 16 février 2013

     

    Bago : Bonjour Madame, qu’a pensé la spécialiste de la psychologie des foules que vous êtes des manifestations contre le « mariage pour tous » ?

     

    Catherine Rouvier : Le déroulement de la manifestation ; la nature même des mots d’ordre et des chants ; la couleur rose apaisante et inoffensive des panneaux, des tee-shirts, des écharpes ; la scission des cortèges, venus de trois endroits différents, ce qui diluait l’effet de masse ; le caractère très lent de la marche, souvent stoppée par de longues minutes passées dans le froid, ce qui minimisait l’échauffement des corps mais aussi des esprits ; tout était fait pour que ne se produise pas de phénomène de foule, c’est-à-dire la fusion des individualités en un « moi collectif » animé d’une pensée commune, et parcouru de sentiments contagieux comme la colère ou l’enthousiasme. Or, seule la puissance invincible d’une véritable "foule" au sens psychosociologique du terme peut faire peur à un gouvernement jusqu’à le faire plier, comme ce fut le cas en 1984.

     

    Bago : Que faudrait-il, le 24 mars, pour que les gentils manifestants se changent en foule ?

     

    Catherine Rouvier : En priorité, il faut deux choses : des mots d’ordres et un chef.

     

    Bago : Les mots d’ordres ne convenaient-ils pas ?

     

    Catherine Rouvier : Le message, pour générer l’action, doit être simple, clair, univoque. On ne peut pas faire dire à une foule qu’on souhaite mobiliser vraiment deux choses à la fois, surtout si elles sont presque exclusives l’une de l’autre. Sinon le message est brouillé, donc inefficace. Ainsi, en l’espèce, on ne pouvait pas, d’un côté, refuser d’appeler « mariage » la légalisation de la vie commune de deux hommes ou de deux femmes et refuser que cette union ait les mêmes conséquences que celle d’un homme et d’une femme ; et, d’un autre coté, reprendre à son compte le terme même qui justifie ces revendications : la lutte contre l’homophobie. Donc mettre sur les tracts appelant à manifester, sous le mot d’ordre principal, « manif’ pour tous » (qui était déjà un clin d’œil amical à l’appellation fallacieuse de « mariage pour tous » des adversaires - ce qui n’est pas très bon), un second mot d’ordre : « lutter contre l’homophobie », lequel brouillait le message.

     

    Bago : Qu’en est-il du chef ?

     

    Un chef doit être « auréolé de prestige » , ce que la dérision exclut de facto. Il n’est pas là pour plaire, et il ne doit pas craindre d’être accusé de ne pas être « gentil ».

     

    Catherine Rouvier : Virginie Telenne, alias Frigide Barjot, s’est attirée à juste titre la sympathie et la reconnaissance des catholiques en soutenant le pape Benoît XVI dans les médias à une époque où ceux-ci ne faisaient que relayer les critiques de toutes sortes et les attaques les plus violentes contre le « pape allemand ». Mais elle l’a fait en utilisant le personnage de parodiste, forgé pour elle par son mari Basile de Koch alias Bruno Telenne (qui, lui, reste dans la dérision dans sa manifestation « le mariage pour personne » en marge de la manifestation officielle). Or, ce surnom a une connotation positive, puisqu’il évoque Brigitte Bardot, gloire nationale, très belle actrice, femme attachante, passionnée de la cause animale. Mais dans le même temps, il a la connotation péjorative à cause de deux adjectifs peu valorisants : « frigide » et « barjot ». Or le sujet est grave et comme le notait déjà La Bruyère : « Le caractère des Français demande du sérieux dans le souverain ». Un chef doit être « auréolé de prestige » , ce que la dérision exclut de facto. Il n’est pas là pour plaire, et il ne doit pas craindre d’être accusé de ne pas être « gentil ».

     

    Bago : Pensez-vous à quelqu’un en particulier ?

     

    Dans les rangs du l’UMP, on nuance, on finasse. Jean-François Copé a manifesté, mais interviewé par les journalistes pendant la manifestation, il a dit que ce qui le gênait surtout, c’était la GPA et la PMA, plus que le texte lui-même : message non clair, là encore.

     

    Catherine Rouvier : Le chef peut être ressenti comme prestigieux à cause d’un titre, d’une fonction, ou d’un exploit passé qui l’a fait connaître et admirer. Mais aussi parce qu’il se sera déjà exprimé fermement sur le sujet. Par exemple, le Rabbin Berheim, ou un évêque, comme ceux de Toulon, de Bayonne, ou de Vannes. Cela pourrait aussi être Marine Le Pen. Elle a refusé de se prêter au « jeu » des précédentes manifestations, comprenant l’intérêt d’être dans le registre sérieux qui la caractérise, mais s’est exprimée fermement, aussi bien contre la récente exhibition des Femen à Notre Dame que contre le « mariage homo », déclarant clairement qu’elle abrogerait le texte sitôt arrivée au pouvoir. Dans les rangs du l’UMP, on nuance, on finasse. Jean-François Copé a manifesté, mais interviewé par les journalistes pendant la manifestation, il a dit que ce qui le gênait surtout, c’était la GPA et la PMA, plus que le texte lui-même : message non clair, là encore. Monsieur Guaino a fait un beau témoignage, émouvant, sur sa propre difficulté à avoir vécu une enfance sans père. Mais il a atténué considérablement l’effet produit en protestant lui aussi longuement contre l’« homophobie » comme s’il était accusé et non accusant. François Fillon a été le plus clair, parlant lui aussi d’abrogation, mais brièvement, dans une intervention liminaire au vote à l’Assemblée, non médiatisée. Quand aux centristes, entre ceux qui « se sont trompés de bouton » et « ceux qui étaient sortis au moment du vote » (zut, pas de chance, c’est déjà voté !), on ne les voit pas en leaders sur ce sujet !

     

    Bago : Quelles sont les autres conditions du succès ?

     

    Ce choix du festif et du non-politique n’est pas mobilisateur, car il maintient les manifestants dans le bien-être des retrouvailles de ceux-qui-pensent-comme-eux, et les bercent de la certitude fallacieuse d’une opinion largement répandue.

     

    Catherine Rouvier : Changer de style. Le souci de satisfaire une mode « festive » et son métier, le spectacle, ont conduit Frigide à organiser une sorte de parodie de gay pride avec chars, chants, musique disco et techno, « tubes » de l’été… La scène dressée sur le Champ-de-Mars évoquait un théâtre, une émission de télé-divertissement, pas un meeting politique. Seul le jeune Xavier Bongibault a eu un mot politique. Il a comparé Hollande à Hitler parce qu’il veut « enfermer les homos dans une définition dictée par leurs choix sexuels ». Mais pour cette remarque, à l’efficacité médiatique immédiate, il s’est fait tancer par Frigide, et s’est tout de suite excusé. Ce choix du festif et du non-politique n’est pas mobilisateur, car il maintient les manifestants dans le bien-être des retrouvailles de ceux-qui-pensent-comme-eux, et les bercent de la certitude fallacieuse d’une opinion largement répandue. Se réunir devient alors le but de la réunion. Par ailleurs, à cette foule qui attendait des mots d’ordre parce qu’elle avait reçu un choc - celui d’un projet de loi ouvrant le mariage à deux hommes entre eux ou à deux femmes entre elles - la réponse apportée par Frigide Barjot a été de dire que c’était pas vrai, qu’à un enfant il faut un papa et une maman, que les enfants naissent d’un homme et d’une femme. Et la foule a récité ou chanté cela un peu comme une litanie ou une comptine apaisante et auto-convaincante. Mais on ne lui a pas demandé (et on le lui a même interdit - les mots d’ordre et chants étant limités et imposés) de dire que ce n’est pas bien. Pour obtenir un résultat politique, il faut mener la foule vers une action politique.

     

    Bago : Pensez-vous qu’il serait alors possible de transformer l’essai ?

     

    Catherine Rouvier : Oui, mais à certaines conditions. La foule est « expectante », dit le Bon. Son attente dure-t-elle après cette marche impuissante à modifier le cours des choses ? Là est la vraie question. Le vote mardi dernier [12 février 2013, ndlr] de l’article 1 disposant : « le mariage est ouvert aux personnes de même sexe » a sans doute été un deuxième choc, d’autant plus que l’annonce en a été faite alors que des manifestations avaient lieu en même temps en province devant les préfectures. Alors oui, on peut en effet imaginer qu’une foule immense réunie à nouveau le 24 Mars, sans flons flons, en un immense ruban compact comme en 1984 - et non divisée en trois cortèges, avec des slogans, banderoles et chants non pas imposés par le rose bonbon mais décidés par des chefs d’établissements scolaires, des religieux, des paroissiens, des chefs de syndicats et de partis, qui défileront suivis de leurs adhérents ou ouailles, dans une gravité et une colère véritable contre la dénaturation de notre modèle sociétal. Ceux qui l’imposent pourraient faire changer le cours des choses.

     

    Mais la « réactivation mémorielle » étant une condition de la mobilisation des foules, il faudra que les organisateurs produisent des témoignages, non comme ils l’ont fait jusqu’ici d’enfants heureux d’avoir été adoptés par des parents de sexe opposé (encore une fois là, on n’attaque pas, on oppose une affirmation à une autre) mais des témoignages poignants, révoltants, ceux de ces enfants malheureux parce qu’ignorant leurs origines après PMA et qui ont écrit leur douleur dans des livres, ceux de ces adultes élevés par deux femmes ou deux hommes et qui ont été dans l’incapacité de construire une vie affective et l’ont avoué récemment dans la presse, celui de l’effarant procès de cette femme aux Pays-Bas ayant vendu à trois couples l’enfant qu’elle portait, et des conséquences terribles pour le bébé « ballotté » d’un foyer à l’autre au rythme des décisions de justice. L’empathie est l’autre source du phénomène de foule.

     

    Pour que la foule agisse, qu’elle remporte le combat qu’elle livre, il faut que la rue puisse la rejoindre, la suivre, s’y agréger, il faut que la rue réagisse.

     

    Autre modification nécessaire : il ne faudra pas isoler par un « cordon sanitaire » les manifestants du reste de la rue comme cela a été fait le 13 janvier. Pour que la foule agisse, qu’elle remporte le combat qu’elle livre, il faut que la rue puisse la rejoindre, la suivre, s’y agréger, il faut que la rue réagisse. Pour et contre, pourquoi pas ? La manifestation de Civitas du 18 novembre a été portée à la connaissance du monde entier en moins de 2 heures par les médias à cause de l’attaque des Femen. Il ne s’agit pas de provoquer les incidents, mais il faut laisser les adversaires montrer ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent. La présence de la police doit suffire à éviter les débordements.

     

    Enfin, la présence à cette manifestation du plus grand nombre d’étrangers présents en France, de croyants français non chrétiens - musulmans, voire confucéens - ainsi que des Français d’outre-mer résidant en métropole qui, comme Bruno Nestor Azerot, sont scandalisés par cette loi, est indispensable au succès de ce combat. Comme une majorité écrasante d’entre eux ont voté socialiste et que certains d’entre eux, les étrangers, seront appelés à voter très bientôt par le pouvoir en place, leur présence dans la manifestation interpellera plus sûrement les dirigeants que les gentilles mères de famille versaillaises qui - ils le savent bien - n’ont jamais voté et ne voteront jamais pour eux. Les contrarier, en effet, ne change rien à leurs chances de réélection !

     

    Bago : Quel résultat peut-on attendre ?

     

    Catherine Rouvier : Dans l’Histoire, les foules ont fait des révolutions, des coups d’Etat, mais aussi des obstructions au bon fonctionnement des institutions. Dans le cas présent, des milliers d’officiers municipaux sont opposés à ce projet. Devront-ils se démettre de leurs fonctions, renoncer à leur mandat parce qu’ils se seront mis en infraction en refusant d’appliquer cette loi et donc de « marier » des hommes entre eux ou des femmes entre elles ? Un joli but politique serait alors atteint pour l’actuelle majorité : démission garantie de tous les maires catholiques de droite, et des élus « réfractaires » de gauche ! Ne vaudrait-il pas mieux prendre les devants, et que les maires disent comme Mirabeau qu’ils sont dans leur mairie « par la volonté du peuple et qu’ils n’en sortiront que par la force des baïonnettes », mais qu’on ne les forcera pas à faire cet acte contraire à leur conscience ? Ce sont les communes, ne l’oublions pas, qui se sont insurgées contre le pouvoir excessif du roi et ont obtenu une « chambre » à elles en Angleterre dès le XIIIe siècle. De même, les associations familiales catholiques devront-elles changer de nom et d’objet social parce que la « famille », après le vote de la loi, devra obligatoirement comprendre les unions d’homosexuels et leurs désirs d’enfants ?

     

    Des milliers de prêtres et de religieuses devront-ils tomber sous le coup de la loi, astreints à des amendes conséquentes pour avoir simplement dit ce que la religion qui est leur vocation et leur vie leur enjoint de dire sur ce sujet ? L’Eglise va-t-elle demain être mise hors-la-loi ? Aujourd’hui, elle n’a plus de chef, mais c’est justement cette situation - qui va attirer sur elle tous les projecteurs d’ici à fin mars - qui rendra d’autant plus visibles et d’autant plus efficaces les prises de positions et les actes posés par les évêques résolument opposés a ce projet.

  • Sur la territorialité (entretien avec Georges Feltin-Tracol)

     

    Il y a quelques mois, le Comité directeur du Carrefour des Acteurs Sociaux (C.A.S.) animé par Joël Broquet, en particulier son pôle « Territoires »,  proposait à un questionnaire d’enquête consacré à la question territoriale dans l’Hexagone. Georges Feltin-Tracol, rédacteur en chef d’Europe Maxima, a bien voulu y participer. Les réponses mises en ligne ci-dessous ont été largement développées par rapport à la version initiale envoyée au C.A.S.

     

    Cet entretien paraît approprié au lendemain du « non » alsacien qui ne résout rien et qui aggrave au contraire les problèmes territoriaux issus d’une décentralisation trop technocratique dès le départ. L’échec du référendum régional alsacien témoigne aussi de la nécessité pour les prochaines consultations locales d’affronter frontalement notables et élus locaux.

     

    Carrefour des Acteurs Sociaux : Selon vous, quelle organisation territoriale serait à préconiser pour optimiser les actions publiques ?

     

    Georges Feltin-Tracol : À mes yeux, le territoire administratif le plus optimal en matière d’actions publiques demeure la région. Toutefois, il est primordial de réviser en profondeur et d’une manière complète la carte administrative territoriale en s’appuyant sur des régions rectifiées (fusion des deux demi-régions normandes, rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, création d’une région « Pays-Bas français » sur les régions Picardie et Nord – Pas-de-Calais, fusion de départements en Alsace, en Corse, en Savoie) et réduites en nombre (22, c’est trop).

     

    C.A.S. : Quel échelon actuel est-il, selon vous, pertinent aujourd’hui ?

     

    G.F.-T. : Outre la région, l’autre échelon pertinent me paraît être l’arrondissement rectifié. Mais attention ! La notion d’arrondissement est à modifier complètement. En effet, l’essor des modes de transport (voiture, train), l’implantation des centres commerciaux en périphérie des villes et l’étalement urbain sur les zones rurales proches (ce qui est un grave problème en soi) entraînent une véritable révolution territoriale administrative silencieuse. Face à l’effacement de la distinction rural / urbain, la région et l’arrondissement rectifié afin qu’il corresponde à un bassin de vie autour d’une ville-centre paraissent des échelons pertinents.

     

    C.A.S. : « L’abrogation » de la démarche Pays vous semble-t-elle justifiée ?

     

    G.F.-T. : Oui, dans le cadre actuel. En revanche, dans le cadre de l’arrondissement – bassin de vie, le « pays » pourrait renaître à la fois en tant que successeur de l’arrondissement actuel et qu’en espace optimal de proximité à la condition que ce nouvel arrondissement ou pays fusionne avec le canton, l’intercommunalité et l’actuel « pays ».

     

    C.A.S. : Comment la gouvernance territoriale devrait-elle être organisée ?

     

    G.F.-T. : D’abord, il faut sortir de la novlangue officielle en place. « Gouvernance » relève du jargon bureaucratique d’essence libérale-mondialiste. Le gouvernement idoine des territoires serait un recours massif et permanent à la démocratie directe.

     

    Il est important d’abandonner le régime d’assemblée en vigueur dans les collectivités municipales, départementales et régionales et l’omnipotence de l’exécutif territorial en appliquant une large démocratie directe. Outre le contrôle civique des élus par les droits populaires de surveillance, de veto et de proposition, les responsables territoriaux devraient être tirés au sort, ne cumuler aucun mandat, être révocables et détenir un mandat impératif. Une autre réforme de taille serait d’instaurer la responsabilité sur leurs biens propres de la gestion de la collectivité. En corollaire, le droit de vote serait obligatoire sous peine de lourdes sanctions. L’idéal serait aussi une réelle impartialité, c’est-à-dire une absence de partis politiques…

     

    C.A.S. : Les solidarités urbain/rural ont-elles un sens aujourd’hui ? Si oui, lesquelles  ?

     

    G.F.-T. : Il est clair, aujourd’hui, que les solidarités urbain / rural se distendent du fait de la disparition voulue de la paysannerie, de l’étalement urbain anarchique et de l’alignement des campagnes sur le mode de vie, les codes culturels et les goûts des citadins. La France est en train de se scinder en trois ensembles disparates : les métropoles, créatrices de richesses, leurs banlieues sur-subventionnées et les territoires péri-urbains (ou ruraux profonds) délaissés (fermeture au nom de la R.G.P.P. – réduction générale des politiques publiques – du bureau de poste, de l’école primaire, de la gare, non-desserte des transports en commun, etc.). Fuyant des zones urbaines en chaos ethnique et les fortes hausses d’impôts, les catégories populaires et intermédiaires qui s’installent « à la campagne » se sentent pénaliser : elles n’ont droit à rien et doivent payer pour des services inexistants.

     

    C.A.S. : Quel constat de la décentralisation faites-vous ?

     

    G.F.-T. : D’un point de vue fédéraliste, identitaire et régionaliste français et européen, la décentralisation est un fiasco total du fait de l’incompétence de son personnel politicien. L’État central a eu tort de faire confiance à la partitocratie, d’où l’explosion des effectifs de la fonction publique territoriale, du clientélisme et de la corruption, de conserver ses attributions ou de les déléguer sans accompagnement financier réel et d’empêcher l’autonomie réelle des collectivités en leur assurant une fiscalité propre.

     

    Plutôt que de relancer la décentralisation, l’heure est venue pour la régionalisation et la réduction draconienne des strates administratives et du nombre d’élus.

     

    C.A.S. : Selon vous, quelles orientations devraient prendre la politique européenne de cohésion territoriale (organisation spatiale du territoire européen) ?

     

    G.F.-T. : L’idéal serait un État fédéral européen dégagé de l’O.T.A.N. et de l’O.M.C. à vocation impériale grande-continentale. Plus concrètement, une vaste politique coordonnée de relance et de relocalisation de l’industrie, de l’agriculture (dans un sens bio et non productiviste) et des transports collectifs (avec le retour de l’aéro-train) donnerait enfin une véritable cohérence territoriale au continent sans omettre bien sûr une ambitieuse politique culturelle et scolaire authentiquement européenne et identitaire.

     

    C.A.S. : Quelle devrait être la place de « Paris » dans l’architecture urbaine mondiale et européenne ?

     

    G.F.-T. : L’anti-Parisien que je suis estime que ce n’est qu’une agglomération française parmi d’autres. Malheureusement, soyons réalistes. Paris et ses environs demeurent la première région de France en population et en production économique. La déconcentration de la Capitale prendra beaucoup de temps. En attendant, il importe de valoriser les autres villes et agglomérations afin de contrebalancer l’influence de plus en plus délétère de Paris.

     

    C.A.S. :  Quel périmètre devrait avoir « Paris », en tant que ville et en tant qu’agglomération ?

     

    G.F.-T. : Dans l’idéal toujours, il serait bien d’arrêter la croissance parisienne et de favoriser l’attrait de la « Province ». En pratique et dans la perspective voulue d’en faire une métropole mondiale, Paris doit franchir le Périphérique et étendre sa superficie à la « Petite Couronne ». En clair, il est nécessaire d’abolir le 75 et les départements périphériques et de tirer un trait définitif sur les conséquences de la Commune de 1871.

     

    C.A.S. : La structure de l’agglomération parisienne serait selon vous ?

     

    G.F.-T. : Une collectivité territoriale intégrant les compétences communales, départementales et régionales.

     

    C.A.S. : Selon votre réponse, quel devrait en être le périmètre ?

     

    G.F.-T. : Si Paris devient une collectivité territoriale, sa superficie devrait correspondre, nonobstant l’obstacle des départements à faire disparaître, à son aire urbaine, soit les « Petite » et « Grande Couronne » réunies. Un autre facteur entre en ligne de compte : les migrations tant internes qu’externes. Il faut arrêter les flux migratoires vers l’Île-de-France qui est devenue l’«Île-du-Monde ».

     

    C.A.S. : Quelles devraient être les compétences pour la structure de l’agglomération parisienne serait selon vous ?

     

    G.F.-T. : Le « Grand Paris » devrait détenir toutes les compétences ! À savoir la planification territoriale et l’urbanisme, l’emploi et la formation professionnelle, le développement économique, les transports, la préservation du patrimoine et l’essor culturel enraciné, l’écologie véritable et non le fumeux développement durable, ou les services sociaux à la population.

     

    C.A.S. : Quelle appellation souhaiteriez-vous pour l’entité de la structure de l’agglomération parisienne ?

     

    G.F.-T. : Cette collectivité territoriale avec une population moindre du fait d’un retour (imposé ? forcé ?) dans les provinces de nombreux résidents pourrait très bien s’appeler « Paris – Île-de-France ». Et puis, imaginons un changement de capitale en promouvant Lyon ou Clermont-Ferrand, voire en créant ex-nihilo une nouvelle sur les exemples de Brasilia ou d’Astana.

     

    • Propos recueillis par le pôle « Territoires » du C.A.S.

    http://www.europemaxima.com/

  • Frigide Barjot a fait avorter le mouvement !

    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier.

    Si on ne vous a guère entendu sur la question du Mariage pour tous, votre revue, Éléments, a publié un copieux dossier qui réduisait à néant les théories du genre. Faut-il découpler ces deux questions ou sont-elles consubstantielles ?

    Le Mariage pour tous est réclamé par une minorité de minorité, qui représente au total moins de 1 % de la population. En Espagne, où le mariage gay a été légalisé en 2005, le mariage entre individus de même sexe ne représente que 0,6 % de l’ensemble des mariages. L’idéologie du genre (« gender »), elle, concerne tout le monde. Dans la mesure où elle prétend que les enfants sont à la naissance « neutres » du point de vue sexuel, où elle affirme que le sexe biologique ne potentialise en rien les préférences sexuelles de la majorité des individus, et que le sexe (il n’y en a que deux) doit être remplacé par le « genre » (il y en aurait une multitude, constituant autant de « normes » que les pouvoirs publics auraient le devoir d’institutionnaliser), elle aboutit en fait à nier l’altérité sexuelle, ce qui témoigne d’un confusionnisme total. L’idéologie du genre s’inscrit dans un fantasme de liberté inconditionnée, de création de soi-même à partir de rien. Avec elle, il ne s’agit plus de libérer le sexe, mais de se libérer du sexe. N’y voir, comme on le fait au Vatican, qu’un moyen détourné de « légitimer l’homosexualité » est pour le moins réducteur.
    J’ajoute que, dans un pays où deux enfants sur trois naissent désormais hors mariage, on ne peut pas dire que les hétérosexuels apparaissent aujourd’hui comme de très crédibles champions du « mariage traditionnel » (qui n’est en fait rien d’autre que le mariage républicain). Aujourd’hui, d’ailleurs, il n’y a plus guère que les prêtres et les homos (ce sont parfois les mêmes) pour vouloir se marier. Quant à ma position personnelle, elle se résume en une formule : je suis pour le mariage homosexuel et contre le mariage des homosexuels. En clair, je pense que le mariage classique, dans la mesure où il est une institution fondée en vue d’une présomption de procréation, ainsi que le montre son étymologie (du latin matrimonium, dérivé de mater, « mère »), doit être réservé aux couples hétérosexuels, mais je ne suis nullement hostile à un contrat d’union civile permettant à des personnes de même sexe de pérenniser leur union. Je suis favorable, par ailleurs, à l’adoption pour tous, mais hostile à l’adoption plénière dans le cas des couples homosexuels. En fait, concernant le mariage, tout est affaire de définition : soit on y voit un contrat entre deux individus, soit on y voit une alliance entre deux lignées. Ce n’est pas la même chose.

    Que vous a inspiré la mobilisation des trois manifestations organisées par Frigide Barjot, à laquelle certains ont reproché la dimension « attrape-tout », quand ils ne la traitaient tout simplement pas de « conne », tel un hebdomadaire d’extrême droite bien connu ?

    Frigide Barjot a eu parfaitement raison de ne pas donner une coloration confessionnelle ou homophobe à ces manifestations. Mais je voudrais quand même faire une remarque. Les adversaires du Mariage pour tous n’ont pas hésité à présenter le mariage gay comme un « bouleversement anthropologique » ou un « changement de civilisation » (ce qui est un peu exagéré). Question : quand on allègue un enjeu aussi apocalyptique, est-il raisonnable de se rassembler autour de quelqu’un dont le nom est synonyme de dérision ? C’est un peu comme si l’on lançait un mouvement pour le respect des victimes d’un génocide sous le nom de Prosper yop la boum !
    Ce que je reprocherai à Frigide Barjot, c’est d’avoir fait preuve de légalisme excessif et de n’avoir pas compris qu’une manifestation a d’autant moins à respecter la légalité qu’elle entend lui opposer une légitimité. N’ayons pas peur des mots : une manifestation est un acte de guerre politique. On y est appelé à prendre et à donner des coups. En bref, c’est une épreuve de force. Vouloir éviter cette épreuve de force est une faute grave. Avec des défilés familiaux bon enfant, rose bonbon Bisounours, on montre qu’on existe, mais rien de plus. On n’est pas en position d’exiger quoi que ce soit. La plus grande erreur a été d’obtempérer à l’interdiction de défiler sur les Champs-Élysées. Il fallait, au contraire, maintenir le mot d’ordre, surtout quand on se flatte de mobiliser plus d’un million de personnes. Aucune force de police ne peut barrer l’accès d’une artère quelconque à un million de manifestants ! En désavouant ceux de ses partisans qui tentaient de déborder les forces de l’ordre, Frigide Barjot a fait avorter le mouvement qu’elle avait elle-même déclenché, alors que celui-ci était en train de se transformer en vague de fond contre le régime.
    Vous faites allusion à l’extrême droite. Laissez-moi vous dire que vous avez tort de lui prêter attention. Cela fait un siècle au moins qu’elle n’a plus rien à dire. Aujourd’hui, elle en est encore à croire que la France est dirigée par des socialistes, ce qui montre qu’elle n’a vraiment pas les yeux en face des trous (et subsidiairement, qu’elle n’a pas la moindre idée de ce qu’est le socialisme).

    D’autres encore prétendent que les actuels enjeux politiques et sociaux seraient prioritaires vis-à-vis de leurs actuels homologues sociétaux. Ont-ils raison ?

    Tous les sondages montrent que la situation économique et sociale constitue le principal sujet de préoccupation des Français. Par comparaison, les réformes « sociétales » apparaissent comme autant de procédés de diversion, alors que les plans de licenciement se multiplient et que l’emprise du capital se resserre un peu plus tous les jours. Il faut être conscient, cependant, que le libéralisme forme un tout. Le libéralisme sociétal de la gauche et le libéralisme économique de la droite reposent sur les mêmes postulats fondamentaux, à savoir la primauté du droit naturel des individus à « s’autodéterminer » comme seule instance normative de la vie en société. L’un et l’autre relèvent d’une même libéralisation de l’économie générale des échanges humains. Il est évident que c’est en régime capitaliste que l’individualisme hédoniste trouve le mieux à s’épanouir : ni morale, ni frontières. C’est ce qui explique le ralliement de tant de « repentis» de Mai 68 au modèle du marché.

    Alain de Benoist, le 13 avril 2013 http://www.voxnr.com

    Source :

    http://www.bvoltaire.fr/alaindebenoist/frigide-barjot-a-fait-avorter-le-mouvement,

  • L’OTAN n’amène que la destruction, l’insécurité et la misère. Elle doit être abolie

    Apprécié pour la rigueur et la justesse de ses analyses le sociologue canadien Mahdi Darius Nazemroaya (*), 30 ans, s’est imposé comme un des meilleurs connaisseurs de l’OTAN. Ses investigations, traduites en de nombreuses langues, ont acquis une audience internationale et son ouvrage « The globalisation of NATO » [« La mondialisation de l’OTAN »] fait aujourd’hui référence.

    En 400 pages denses, fascinantes, préoccupantes, il nous fait prendre la mesure de la menace que l’OTAN fait peser sur la paix du monde et l’avenir de nombreux peuples. Il nous fait également prendre conscience de l’urgence qu’il y aurait à obtenir la dissolution de cette dangereuse organisation.

    Silvia Cattori : Dans votre remarquable ouvrage vous mettez en lumière les stratégies mises en place par l’OTAN pour étendre son emprise militaire dans le monde. J’aimerais vous demander ce qui vous a motivé à consacrer tant d’énergie à un sujet aussi ardu et exigeant. Comment en êtes-vous venu à considérer que l’analyse du rôle de l’OTAN et des stratégies qu’elle a mises en place était une tâche absolument essentielle ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Les graines de ce livre ont été semées en 2007. J’avais alors rédigé un petit manuscrit mettant en relation les guerres en Afghanistan et en Irak (qui avaient fait suite aux tragiques évènements du 11 septembre 2001) avec l’expansion de l’OTAN, le projet de bouclier antimissiles états-unien - que je décrivais comme s’étant finalement couvert du manteau d’un projet de l’OTAN, - et le concept de ce que les néoconservateurs et leurs alliés sionistes appellent « destruction créative » pour redessiner la restructuration des pays du Moyen-Orient, et l’encerclement aussi bien de la Chine que de la Russie.

    J’ai toujours considéré que tous les évènements négatifs auxquels le monde est confronté étaient les éléments d’un ensemble ; ou de ce que le savant et révolutionnaire hongrois György Lukács a appelé « totalité fragmentée ». Les guerres en « série », l’accroissement des lois de sécurité, la guerre contre le terrorisme, les réformes économiques néolibérales, les « révolutions colorées » dans l’espace post-soviétique, la diabolisation de différentes sociétés par les médias, l’élargissement de l’OTAN et de l’Union Européenne, et les fausses accusations au sujet d’un programme d’armement nucléaire iranien font partie d’un tout. Un de mes articles publié en 2007 [1], posait également les principales bases de cette feuille de route et reliait tous les éléments de la guerre perpétuelle à laquelle nous assistons.

    J’ai écrit ce livre parce que je pensais que c’était un sujet très important. J’ai lu la plupart des textes de l’abondante littérature concernant l’OTAN et aucun n’examine l’OTAN dans la perspective critique où je me place. De même qu’aucun ne relie l’OTAN de manière pertinente à une « vue d’ensemble » des relations internationales. Un chercheur de l’Université Carleton m’a dit que mon livre était comme une Bible des relations internationales et de tous ses sujets importants. Je vois moi aussi mon livre sur l’OTAN de cette manière.

    Ma principale motivation pour écrire ce livre était d’amener les lecteurs à prendre conscience de la nature impérialiste des conflits internationaux modernes et de les aider à en voir la « totalité » au lieu de ses éléments « fragmentés ». Quand vous voyez l’ensemble, vous êtes en mesure de prendre de meilleures décisions. Je pense avoir donné de l’OTAN une évaluation correcte. Dans sa bibliothèque à Bruxelles il y a un exemplaire de mon livre. C’est l’OTAN elle-même qui a annoncé son acquisition comme l’une des ressources de sa bibliothèque, en novembre 2012. Ce livre est ma contribution, en tant que chercheur, pour essayer de permettre aux lecteurs de prendre des décisions en connaissance de cause en voyant au-delà des effets de miroirs et des éléments fragmentés du tableau.

    Aujourd’hui dans le monde, les gens sont de façon générale plus instruits. Mais malheureusement l’ignorance se répand en ce qui concerne les relations de pouvoir et ce qui se passe dans ce domaine au niveau mondial. Nous entrons dans une ère trompeuse de l’histoire où beaucoup de gens à travers le monde sentent de plus en plus qu’ils ne peuvent rien faire d’autre que d’être des spectateurs impuissants, réduits à n’être que des particules, des rouages, ou des extensions d’une immense machine invisible sur laquelle ils n’ont aucun contrôle.

    Les scénarios du livre de George Orwell « 1984 » se sont pour l’essentiel réalisés. Les gens sont devenus étrangers à leur monde et gouvernés de plus en plus par cette machine capitaliste invisible qui travaille à détruire toutes sortes de façons alternatives de vivre ou de penser ; l’ordre qui s’impose aujourd’hui à nous est comme un resserrement de la « cage d’acier » de Max Weber [2] qui réduit de plus en plus notre indépendance et nos mouvements.

    La plupart des gens regardent maintenant les nouvelles et la télévision passivement. Ils essaient de se distraire de la réalité ; ils tentent d’engourdir leur conscience et de vivre dans un faux état de bonheur qui leur permet d’ignorer la réalité et les misères du monde. Collectivement, nos esprits ont été colonisés, on leur a fait croire à un faux ordre des choses. L’humanité est en train d’être de plus en plus déshumanisée. Peut-être que j’ai l’air hégélien, mais les gens deviennent étrangers à eux-mêmes. Ils deviennent aussi étrangers aux capacités de leur propre esprit et aux talents dont ils ont été dotés. Mais la vérité est que nous ne sommes pas séparés des évènements et des processus qui façonnent ce monde. Nous ne devrions pas devenir les esclaves des objets ou des structures de notre propre fabrication, que ce soit le capitalisme ou les structures politiques. Nous ne devons pas devenir de simples spectateurs de notre parcours de vie.

    L’hégémonie est un processus continu de leadership, de contrôle, et d’influence qui implique à la fois la contrainte et le consentement. Mais son emprise n’est jamais totale et elle peut toujours être combattue. Nous voyons des défis à l’hégémonie dans la construction de blocs historiques qui affrontent les centres de pouvoir impérialistes et capitalistes. Le Mouvement bolivarien d’Hugo Chávez et l’ALBA sont des exemples réussis d’une contestation de l’hégémonie traditionnelle des élites compradores qui gouvernent la région au bénéfice de forces extérieures.

    Silvia Cattori : Un grand chapitre passionnant et troublant de votre livre est consacré à l’Afrique. L’entrée en guerre de la France au Mali n’a pas dû être une surprise pour vous. La déstabilisation de ce pays affaibli, engendrée par l’intervention de la France en Libye, n’ouvre-t-elle pas une grave crise dans tous les pays du Sahel, de l’Atlantique à la Mer rouge ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Dès le début j’ai soutenu que la division du Soudan, l’intervention française en Côte d’Ivoire soutenue par les États-Unis, et la guerre de l’OTAN en Libye, faisaient partie d’une deuxième « ruée vers l’Afrique ». J’ai expliqué que la guerre en Libye visait à déstabiliser d’autres parties de l’Afrique et aurait un effet d’entraînement sur une large partie de ce continent incluant des pays comme le Niger et le Mali.

    Dans mon livre, j’ai examiné le Sahel qui est constitué par les terres intérieures de l’Algérie, du Niger, de la Libye, et du Mali. La guerre de l’OTAN contre la Libye a déclenché une réaction en chaîne, comme une démolition contrôlée, que les États-Unis et leurs alliés utilisent pour contrôler une vaste portion de l’Afrique et de ses ressources. Comme la première « ruée vers l’Afrique » qui a été déclenchée par une crise économique dans les pays industrialisés de l’Europe occidentale, ces évènements concernent en fait le contrôle des ressources. Alors que les États-Unis s’impliquaient davantage en Afrique, son gouvernement et le Pentagone se sont mis à parler de plus en plus de l’expansion des facilités dont disposait Al-Qaïda en Afrique et de la manière dont l’armée américaine et ses alliés devaient combattre cette organisation en augmentant leur présence sur le continent africain. En fait, les États-Unis ont constitué en 2011 un budget pour l’actuelle guerre au Mali sous le couvert de la lutte contre Al-Qaïda en Afrique de l’Ouest. Des intérêts stratégiques comme l’obsession grandissante des États-Unis pour le Golfe de Guinée et l’approvisionnement en pétrole en Afrique de l’Ouest sont occultés dans un récit qui nous parle de la lutte contre les groupes terroristes rangés sous le label d’Al-Qaïda. Nous savons d’expérience que l’Empire américain a en fait travaillé avec ces groupes, aussi bien en Libye qu’en Syrie. Et que l’on cherche à pousser hors d’Afrique la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, et d’autres rivaux économiques du bloc occidental, mais on n’en parle pratiquement pas. En lieu et place, on déguise les intérêts des États-Unis et des ses alliés de l’OTAN comme la France, en objectifs altruistes visant à aider des États faibles.

    Pour en revenir au Mali. Je n’ai pas été surpris quand le Président François Hollande et son gouvernement ont ordonné aux soldats français d’envahir ce pays. Aussi bien la France que les États-Unis sont très au fait des réserves de gaz et de pétrole au Mali, au Niger, et dans l’ensemble du Sahel. Mon livre traite de ces points et de la création par le gouvernement français, en 1945, d’un Bureau de recherches pétrolières dans le but d’extraire le pétrole et le gaz de cette région. Quelques années plus tard, en 1953, Paris a délivré des licences d’exploitation à quatre compagnies françaises en Afrique. En raison de ses craintes, à la fois des empiétements américains et des demandes africaines d’indépendance, Paris a créé l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) pour maintenir son contrôle sur les parties riches en ressources de ses territoires africains qui possèdent du pétrole, du gaz, et de l’uranium. L’uranium a été important pour garantir l’indépendance de la France vis-à-vis de Washington par la création d’une force de dissuasion nucléaire stratégique, en riposte au monopole anglo-américain.

    Ce n’est donc pas un hasard si les zones du Sahel que les États-Unis et ses alliés ont désignées comme faisant partie de la zone où Al-Qaïda et les terroristes sont situés correspondent à peu près aux frontières de l’OCRS, riche en énergie et en uranium. En 2002, le Pentagone a commencé d’importantes opérations visant à contrôler l’Afrique de l’Ouest. Cela a eu lieu sous la forme de l’Initiative Pan-Sahel, qui a été lancée par l’US European Command (EUCOM) et l’US Central Command (CENTCOM). Sous la bannière de ce projet de l’armée américaine, le Pentagone a formé des troupes du Mali, du Tchad, de la Mauritanie, et du Niger. Les plans visant à établir l’Initiative Pan-Sahel remontent toutefois à 2001, lorsque l’Initiative pour l’Afrique a été lancée à la suite des attentats du 11 septembre. Sur la base de l’Initiative Pan-Sahel, la Trans-Saharan Counter-terrorism Initiative (TSCTI) a été lancée en 2005 par le Pentagone sous le commandement du CENTCOM. Le Mali, le Tchad, la Mauritanie, et le Niger ont été rejoints par l’Algérie, le Maroc, le Sénégal, le Nigeria, et la Tunisie. La TSCTI a été transférée en 2008 au commandement de l’AFRICOM récemment activé. Il faut relever que le capitaine Amadou Sanogo, le leader du coup d’État militaire qui a eu lieu au Mali le 21 mars 2012, est l’un des officiers maliens qui ont été formés dans le cadre de ces programmes américains en Afrique de l’Ouest.

    L’analyse du coup d’État de 2012 au Mali montre qu’il s’agit d’un acte criminel. Le coup d’État militaire a renversé le Président Amadou Toumani Touré sous prétexte qu’il ne pouvait pas restaurer l’autorité malienne sur le nord du pays. Le Président Amadou était sur le point de quitter son poste et n’avait pas l’intention de rester dans la vie politique, et les élections allaient avoir lieu dans moins de deux mois. Ce coup d’État a essentiellement empêché une élection démocratique d’avoir lieu et l’action du capitaine Sanogo a mis fin au processus démocratique au Mali et a déstabilisé le pays. Sa nouvelle dictature militaire a été reconnue par l’OTAN et par le gouvernement installé en Côte d’Ivoire par les Français. Les États-Unis ont continué à financer le gouvernement militaire du Mali et des délégations militaires et civiles des États-Unis et d’Europe occidentale ont rencontré le régime militaire de Sanogo. Peu après, la France a déclaré qu’elle avait le droit d’intervenir en Afrique partout où ses citoyens et ses intérêts étaient menacés. C’était autant de préliminaires.

    Les armes qui sont utilisées au Mali et au Niger aussi bien par les groupes terroristes que par les tribus touaregs sont liées aux actions de l’OTAN en Libye. Plus précisément ces armes viennent des arsenaux libyens pillés, et des armes envoyées en Libye par les Français, les Anglais et les Qataris. L’OTAN a eu un rôle direct dans ce domaine et l’on sait que les Français ont soudoyé les groupes touaregs et ont contribué à les armer et à les financer durant la guerre contre la Libye. Du reste, en Afrique, les Français ont toujours manipulé les Touaregs et les Berbères contre d’autres groupes ethniques à des fins coloniales.

    Par ailleurs, les tensions entre le Soudan et le Sud-Soudan sont attisées. La région soudanaise du Darfour et la Somalie sont toujours des points chauds. Tout cela fait partie d’un arc africain de crise qui est utilisé pour restructurer l’Afrique et l’englober dans les frontières du bloc occidental.

    Silvia Cattori : Quand sous l’impulsion du président Sarkozy, après 33 ans de retrait, la France est revenue dans le commandement militaire de l’OTAN, il n’y a eu aucune protestation. N’est-ce pas le signe que les citoyens ignorent, que cette organisation menace l’humanité et que l’appartenance de leur pays à l’OTAN implique sa subordination à la politique étrangère belliciste de Washington et la perte de sa souveraineté ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Je pense que ce que le Président Sarkozy a fait en réintégrant la France dans le commandement militaire de l’OTAN est largement le reflet d’un consensus au sein de la classe politique française. Je sais qu’à Paris de nombreuses voix politiques l’ont critiqué, mais si au sein de la classe politique française l’opposition avait été intransigeante, elle aurait pu faire beaucoup plus que parler. Aujourd’hui, les membres de l’establishment politique français, aussi bien à « gauche » qu’à « droite », se battent entre eux pour savoir qui va le mieux servir les centres impérialistes et capitalistes à Washington et à New York. L’establishment politique français ne fait pas cela parce qu’il est particulièrement pro-américain, mais parce qu’il est au service du système mondial corrompu qui sert lui-même le capitalisme global dont le centre en voie d’affaiblissement est aux États-Unis. Ainsi, nous avons aussi besoin de réévaluer ce qu’est l’anti-américanisme, ou d’où proviennent et ce que représentent en fait les sentiments anti-américains.

    De larges segments de l’élite de l’Europe occidentale sont au service de ce système mondial parce que leurs propres intérêts y sont investis et y sont liés. Comme les États-Unis sont en voie d’affaiblissement et en lutte pour maintenir leur primauté mondiale en tant que centre du capitalisme, de la régulation et de l’accumulation capitaliste, ils vont de plus en plus déléguer leurs missions impériales à des pays comme la France. On verra également davantage de compromis entre les États-Unis et des pays alliés comme la France et l’Allemagne. Il s’agit là d’une décentralisation dialectique du pouvoir des États-Unis visant à renforcer l’hégémonie du système mondial et à maintenir l’Empire américain par délégation. Il faut noter que ce système capitaliste mondial est fragmenté en blocs, raison pour laquelle nous voyons des rivalités entre les États-Unis, la Chine et la Russie.

    De façon générale, la majorité des citoyens dans de nombreuses sociétés sont de plus en plus passifs vis-à-vis des décisions de leurs gouvernements et de leurs dirigeants. C’est le reflet d’un sentiment croissant d’aliénation, de détachement et d’impuissance qui a transformé les êtres humains en marchandises et en objets. Cela fait partie du resserrement de la « cage d’acier » dont je parlais plus haut, en termes weberiens.

    Silvia Cattori : La France a été au commencement, avec le Qatar, le principal « parrain » de la déstabilisation de la Syrie [3]. La Chine et la Russie ont empêché par leurs vétos l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité qui aurait autorisé une intervention militaire de l’OTAN comme cela a été le cas en Libye. Mais on peut se demander si les pays de l’OTAN et leurs alliés arabes ne sont pas en train de réaliser leur plan de déstabilisation de la Syrie par d’autres voies ? Et pensez-vous que la Chine et la Russie pourront durablement contenir l’OTAN tant que les pays émergents n’auront pas leur mot à dire et les moyens d’imposer un véritable multilatéralisme au Conseil de sécurité ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : En premier lieu, il faut voir que les évènements en Syrie font partie d’une guerre par procuration menée par les États-Unis, l’OTAN, Israël et les dictatures arabes (comme l’Arabie Saoudite), contre la Chine, la Russie, l’Iran et leurs alliés. Deuxièmement, quand on considère les évènements en Syrie d’un point de vue international, on devrait penser à la Guerre civile espagnole qui a éclaté avant la Deuxième guerre mondiale. De même, on peut considérer les évènements en Libye et en Afrique, et peut-être les invasions antérieures de l’Afghanistan et de l’Irak, en pensant à l’invasion de la Chine par le Japon ou l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne avant la Deuxième guerre mondiale. Cela ne signifie pas que la Syrie ou ces évènements soient nécessairement le prélude à une Troisième guerre mondiale, mais ils ont le potentiel d’allumer un vaste incendie au niveau mondial — à moins que l’on ne pense que tous ces évènements font déjà partie de la Troisième guerre mondiale.

    Les thèses de Giovanni Arrighi sur les cycles systématiques d’accumulation dans le « système-monde » peuvent nous aider à trouver une base de réflexion. Son travail est important parce que nous pouvons l’utiliser pour lier entre eux, de la Syrie à l’Afrique, les éléments dont nous parlions en termes de « totalité fragmentée » constituant le système mondial. Les cycles d’accumulation étudiés par Arrighi se rapportent à des périodes de temps qui s’étendent sur une centaine d’année ou plus, durant lesquelles le centre du capitalisme dans le système mondial se situe dans un lieu géographique ou un pays donné. Ses thèses sont fortement influencées par les travaux du savant français Fernand Braudel sur l’expansion du capitalisme. Pour Arrighi ces centres d’accumulation ont été les pouvoirs hégémoniques du système mondial en expansion. À la dernière étape de chaque cycle, les capitalistes déplacent leurs capitaux de ces centres dans d’autres endroits et finalement dans le nouveau centre capitaliste qui a émergé. Ainsi, chronologiquement, le pouvoir hégémonique du système mondial a été transféré de la ville-État italienne de Gênes aux Pays-Bas, puis en Grande Bretagne et, finalement, aux États-Unis. Le déplacement géographique du centre du système mondial se produit au cours d’une période de crise, au moins pour les anciens centre capitalistes, et dans un court laps de temps. Nous en arrivons aujourd’hui à la Chine. Ce qui se passe est que le centre du capital est sur le point de sortir des États-Unis. Si l’on suit la tendance soulignée par Arrighi, alors le prochain centre d’accumulation capitaliste du système mondial sera la Chine. Toutefois d’autres scénarios ne sont pas à écarter, comme une direction globale de toutes les principales puissances capitalistes. En me référant aux travaux d’Arighi, je veux dire ici que nous avons affaire à un système capitaliste mondial qui inclut la Chine et la Russie. Ni les États-Unis ni la Chine ni la Russie ne veulent perturber ce système. Ils sont en compétition pour en devenir le centre d’accumulation capitaliste. C’est pourquoi aucune des parties ne veut une guerre directe. C’est pourquoi les Chinois n’ont pas utilisé la dette étrangère américaine pour dévaster l’économie des États-Unis ; la Chine souhaite voir un transfert ordonné du centre d’accumulation depuis les États-Unis.

    La Chine et la Russie ne changeront pas leurs politiques et leurs positions sur la Syrie ou l’Iran, mais elles veulent éviter une guerre qui perturbe le système capitaliste mondial. Bien sûr, les États-Unis essaient de maintenir leur position en tant que centre du système mondial, par la force brute, ou en impliquant leurs alliés et vassaux dans leurs opérations impérialistes, comme au Mali et en Libye.

    Silvia Cattori : Vous consacrez un long chapitre (p 67 à 113) à l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie. Pouvez-vous résumer pour nos lecteurs ce à quoi cette guerre, qui a démembré un pays et généré tant de souffrances, devait aboutir ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Le démantèlement de la République fédérative socialiste de Yougoslavie a été une étape importante pour ouvrir les portes d’une expansion vers l’Est de l’OTAN et de l’Union Européenne. Il a ouvert la route pour la marche vers les frontières de la Russie et de l’ex-Union soviétique. L’ex-Yougoslavie était aussi un obstacle majeur vis-à-vis du projet euro-atlantique de l’OTAN et de l’UE en Europe. En outre, la guerre de l’OTAN en Yougoslavie a permis de préparer la logistique des guerres en Afghanistan et en Irak.

    Silvia Cattori : Denis J.Halliday [4] écrit dans la préface de votre ouvrage : « L’OTAN n’amène que la destruction, la pauvreté, l’insécurité et la misère. Elle doit être abolie ». Quand on sait qu’il n’y a aucun mouvement qui s’oppose à la guerre, que des ONG comme Amnesty, HRW, MSF, MDM, prennent le parti de l’ingérence militaire des grandes puissances, comme on l’a vu en ex-Yougoslavie, au Soudan, en Libye, en Syrie, que peut-on suggérer à toute une jeunesse en quête de justice et désireuse d’agir pour un monde meilleur ? Que peuvent faire concrètement les peuples européens contre la machine destructrice de l’OTAN ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Comme je l’ai dit, nous en sommes arrivés à la situation décrite par George Orwell dans son roman “1984”. Amnesty International, Human Rights Watch, et une grande partie des ONG de l’industrie humanitaire sont des outils de l’impérialisme pratiquant les deux poids deux mesures. Les organisations d’aide étrangère sont profondément politiques et politisées. Cela ne signifie pas que tous leurs employés soient de mauvaises gens qui ne veulent pas aider le monde. Bon nombre de leurs employés et des bénévoles sont des gens estimables ; ils ne comprennent pas tous les faits et ils ont de bonnes intentions. Ces gens ont été trompés ou aveuglés par la pensée de groupe institutionnelle. Leurs esprits devraient être débarrassés de tous les préjugés et de la désinformation dont ils ont été nourris ; une véritable tâche de dévouement.

    Les citoyens des pays de l’OTAN doivent travailler à se positionner eux-mêmes pour informer leurs sociétés respectives sur l’OTAN et finalement les influencer pour qu’elles se retirent de cette organisation. Cela peut être fait de diverses manières. Mais cela commence par une compréhension de ce qu’est l’OTAN et une connaissance non censurée de son histoire.

    Je ne suis pas une autorité morale ou un stratège. Se maintenir soi-même sur la bonne voie est déjà un défi assez difficile, je pense. Je n’ai aucun droit à pontifier sur la façon dont les gens devraient vivre. Je vais toutefois vous dire ce que je pense personnellement. À mon avis, le plus gros problème pour beaucoup de gens est qu’ils veulent changer le monde à une beaucoup trop grande échelle sans s’attaquer aux problèmes immédiats dans leurs propres vies. Je trouve que la meilleure manière de changer le monde est de commencer par de petits pas dans notre vie de tous les jours. Je parle ici d’ « échelle » et pas de « changement graduel » ou de « rythme ». Faire un monde meilleur commence par votre environnement immédiat. Le changement commence avec vous-même et ceux qui vous entourent, tout comme le devrait la charité. Imaginez si la plupart des gens faisaient cela ; le monde serait changé par petites étapes qui aboutiraient collectivement à un changement monumental. Rien de tout cela ne peut non plus se faire sans patience et détermination, et je souligne encore une fois qu’action et connaissance ne devraient pas être séparées. Je ne sais que dire de plus.

    Silvia Cattori : En mettant ensemble les pièces du puzzle vous démontrez magistralement dans votre livre comment ces guerres en série, menées sous des prétextes humanitaires, s’inscrivent dans une stratégie de « destruction créative » conçue par « les néoconservateurs et leurs alliés sionistes », et comment – de la Yougoslavie, à l’Afghanistan, à l’Irak et à la Libye – elles sont toutes liées. Des personnalités de premier plan, comme l’ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU Denis J. Halliday qui a préfacé votre ouvrage, vous donnent entièrement raison : l’OTAN est bel et bien le principal danger pour la paix du monde. Mais vous savez qu’en Europe, notamment dans les pays où, comme en France, les organisations juives ont une forte emprise sur les politiques et les médias, dénoncer la stratégie des néoconservateurs et de leur allié Israël [5], ou dénoncer les révolutions colorées suffit à vous faire cataloguer comme « théoricien du complot » et à vous écarter du débat. Que peut-on faire à votre avis pour modifier cette désespérante situation ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Mon expérience (au Canada) est différente. On ne m’a jamais qualifié de théoricien du complot. Je pense que la censure des médias et le mépris systématique sont des tactiques clés utilisées contre ceux qui remettent en question le récit dominant ou les opinions énoncées par les forces hégémoniques qui dominent la société. L’objectif visé en diabolisant des personnes ou des groupes sous le qualificatif de « théoriciens du complot » est de les discréditer et de les neutraliser. Cela se produit généralement quand ils ont beaucoup attiré l’attention et quand ils ont aussi quelques idées fausses qui peuvent être ridiculisées et liées à leurs positions. Néanmoins, ceux qui se voient qualifiés de théoriciens du complot ne devraient pas laisser cette accusation les dissuader de maintenir leurs positions et de continuer à s’adresser aux gens. Car la démoralisation fait partie de la tactique utilisée pour réprimer les points de vue et réflexions « dérangeantes ».

    Les groupes et les lobbies sionistes ont une présence forte et disproportionnée dans le domaine politique et dans les médias de plusieurs pays, mais il faut reconnaître qu’ils ne sont pas homogènes et qu’ils ne sont pas les seuls facteurs influents ; ils font partie d’un bloc d’intérêts pour qui il est important d’empêcher qu’un discours critique n’ébranle les forces hégémoniques qui dominent aujourd’hui la société. Et les lobbies sionistes ne sont pas tous liés à Israël. Il arrive qu’un groupe sioniste travaille à introduire et à imposer à Israël des projets externes. Les motivations de ces groupes ne sont pas toutes les mêmes, mais elles font partie du programme dominant qui s’est développé en ce que les renommés sociologues Giovanni Arrighi et Immanuel Wallerstein ont appelé « système-monde » [ou « économie-monde »].

    À mon humble avis, être entendu est la chose la plus importante. Internet et les réseaux sociaux ont contribué à ce processus. Je pense que, pour être entendu, il est également important de proposer des analyses rigoureuses et bien articulées. C’est une tâche difficile qui doit être accomplie, et qui fait partie d’un processus culturel plus large incluant l’éducation et la rééducation. Modifier les forces hégémoniques dominant la société ne peut se faire qu’en établissant de nouveaux courants de pensée pouvant contester leur hégémonie. La critique ne suffit pas non plus, une alternative et un meilleur programme doit être articulé et proposé. La critique en elle-même est inutile si l’on n’offre pas parallèlement un programme alternatif. Pensée et action doivent également être liées dans un processus pratique.

    Silvia Cattori : Votre livre va-t-il être traduit en français ? A-t-il eu la couverture médiatique lui permettant de toucher un large public ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Mon livre devait être traduit en français en trois volumes par un éditeur en France, mais malheureusement l’accord a fait long feu. En notre temps où la durée d’attention s’amenuise, peu de gens sont intéressés à lire un livre de plus de 400 pages. Très peu d’attention lui a été accordée de la part des grands médias. Il y a plusieurs mois, Le Monde Diplomatique à Paris a contacté mon éditeur aux États-Unis, ainsi que la maison qui le diffuse en Grande Bretagne, pour leur demander l’envoi d’un exemplaire. Je ne sais pas si Le Monde Diplomatique a réellement l’intention de faire une recension d’un livre aussi critique et, très honnêtement, je ne m’en soucie pas vraiment.

    Mon ouvrage a eu de bonnes critiques disant que c’est un livre à lire absolument. Il est diffusé dans les universités et les collèges. On en trouve des exemplaires dans les bibliothèques de diverses institutions comme l’Université de Harvard et l’Université de Chicago. Il est référencé à la Haye et dans la prestigieuse collection de la Bibliothèque du Palais de la Paix aux Pays-Bas qui tient à jour les livres relatifs aux lois internationales. Sur Amazon au Royaume Uni, il est classé comme l’un des meilleurs livres sur l’OTAN et je crois qu’il est en train de prendre un bon départ.

    Mahdi Darius Nazemroaya/Silvia Cattori http://www.voxnr.com

    notes :

    (*) Mahdi Darius Nazemroaya est un sociologue interdisciplinaire, auteur primé, et analyste politique connu. Il est chercheur au Centre de recherche sur la mondialisation à Montréal, collaborateur expert de la Strategic Culture Foundation à Moscou, et membre du Comité scientifique de la revue de géopolitique Geopolitica, en Italie.

    [1] Publié d’abord sous le titre « La mondialisation de l’OTAN » puis sous le titre modifié « La mondialisation de la puissance militaire : l’expansion de l’OTAN » . Cet article a été traduit en de nombreuses langues, y compris en arabe par la chaîne qatari d’information Al-Jazeera.

    [2] La « cage d’acier » (ou « cage de fer ») est un concept sociologique introduit par Max Weber qui se réfère à la rationalisation accrue de la vie sociale, en particulier dans les sociétés capitalistes occidentales. Ainsi la « cage d’acier » enferme les individus dans des systèmes fondés uniquement sur l’efficacité, le calcul rationnel et le contrôle.

    [3] Voir :
    - « Gérard Chaliand dit quelques vérités sur la Syrie » :
    http://www.silviacattori.net/article3350.html
    - « Syrie : Les victimes de l’opposition armée ignorées » :
    http://www.silviacattori.net/article3416.html

    [4] L’Irlandais Denis J. Halliday a passé une bonne partie de sa carrière auprès des Nations Unies, impliqué dans des actions d’aide humanitaire. En 1997, il fut nommé Sécrétaire général adjoint et directeur du programme humanitaire en Irak. Un an plus tard, après 34 ans de service au sein des Nations Unies, Halliday a annoncé sa démission en raison des sanctions économiques imposées à l’Irak, qu`il a qualifiées de « génocide ». En 2003, il a reçu Le Gandhi International Peace Award. Depuis son départ des Nations Unies, Denis Halliday a participé de manière active dans plusieurs actions contre la guerre et les crimes contre l’humanité. Il est présentement membre de l’Initiative de Kuala Lumpur en vue de « criminaliser la guerre ».

    [5] Par exemple, en France l’écrivain Israël Shamir a été accusé en 2003 d’antisémitisme par Olivia Zemor, Nicolas Shahshahani et Dominique Vidal parce qu’il disait qu’Israël et le « lobby juif » aux Etats-Unis avaient joué un rôle prépondérant dans l’entrée en guerre contre l’Irak ; ce qui devait aboutir au renversement du régime de Saddam Hussein (l’un des derniers leaders arabe qui refusait de reconnaitre l’Etat juif d’Israël), à démembrer l’Irak pour assurer la « sécurité d’Israël ».

  • La Russie est devenue un modèle alternatif fondé sur les valeurs traditionnelles

    Entretien d’Alexandre Latsa avec Xavier Moreau

    Il est souvent difficile de bien comprendre les bouleversements qu’a connus la Russie, depuis la chute de l’URSS jusqu’à nos jours. Vu de l’extérieur et notamment d’Europe, l’histoire de ce jeune pays européen qu’est la Russie ressemble à un puzzle chaotique et dénué de toute logique.

    Pourtant, l’auteur de “La Nouvelle Grande Russie”, qui dirige également l’antenne russe du Think-tank français Realpolitik TV, a choisi de présenter l’histoire russe en fonction de dates clefs, démontrant ainsi que les événements importants qui ont fait l’histoire récente de la Russie sont en réalité des maillons constitutifs d’un seul et même processus. Un processus ayant abouti au redressement spectaculaire que le pays continue de connaître aujourd’hui.

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    Xavier Moreau bonjour ! Pourriez-vous vous présenter ?

    Je suis un ancien officier saint-cyrien, j’ai servi dans les parachutistes. J’ai suivi également un cursus universitaire puisque je suis doctorant spécialisé sur les relations soviéto-yougoslaves pendant la guerre froide, sous la direction de Georges-Henri Soutou. J’ai travaillé sur les archives soviétiques et yougoslaves.

    J’appartiens à ce que j’appelle “l’Ecole historique française” dont le fondateur est Jacques Bainville et qui met en évidence les tendances lourdes ainsi que l’enchainement logique des évènements. L’Histoire y est décrite comme le laboratoire de la Politique. C’est une analyse au sein de laquelle les considérations morales n’interviennent pas et qui place l’intérêt suprême de la Nation au centre de la réflexion. Cette Ecole a été “modernisée” par Aymeric Chauprade, qui a donné ses lettres de noblesses à la “Géopolitique française”. Il a fait de cette pseudo-science anglo-saxonne et germanique, qui visait avant tout à justifier l’impérialisme et le racisme inhérents à ces deux civilisations, une science rigoureuse et logique.

    J’essaie donc de m’inscrire dans cet héritage intellectuel.

    Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur la Russie de 1991 à aujourd’hui ?

    La Russie est devenue un modèle alternatif fondé sur les valeurs traditionnelles

    La nouvelle grande Russie

    Aymeric Chauprade m’avait toujours encouragé à écrire sur la Russie contemporaine, j’ai donc sauté sur l’occasion lorsque les éditions Ellipses m’ont proposé de participer à leur collection “Dates clés”.

    Pourquoi avoir choisi d’analyser la Russie selon des dates clefs? Selon des événements clefs ?

    En fait la collection fonctionne selon ce principe, que je trouve excellent, car il oblige à être synthétique et à identifier les évènements réellement fondateurs, tout en en cherchant les causes profondes.

    Vous affirmez que le redressement russe, “le miracle russe” comme vous dites, est en grande partie due aux décisions de l’élite politique du pays plus qu’à un heureux concours de circonstances, à savoir un prix des matières premières en hausse et une demande extérieure et européenne notamment, croissante. Pourriez-vous développer ?

    Les matières premières ont souvent été en hausse en Russie, ça n’a pas empêché le pays entier de basculer dans la banqueroute à plusieurs reprises. La grande différence depuis 2000, c’est que l’État russe à commencer à épargner et à gérer ses ressources en prévision des moments difficiles. La crise de 2008, sous un gouvernement Eltsine, aurait mis la Russie à genoux. Au lieu de cela la Russie a été un des premiers pays à en sortir et sa position en a été renforcée.

    Les ressources ne suffisent pas sans la volonté politique de bien les utiliser. La France a des ressources humaines et industrielles colossales, qui sont gaspillés depuis 40 ans.

    Vous citez le bombardement de la Serbie en 1999 comme un élément décisif et une date clef de l’histoire russe, pourquoi cet événement de politique extérieure entre t-il en compte d’après vous ?

    A la chute de l’URSS, les Russes ont été fascinés et bienveillants vis-à-vis du modèle américain. Ils sortaient du monde du mensonge et croyait sincèrement que la vérité était occidentale. Au fur et à mesure des années 90, ils ont découvert que les États-Unis avaient pris la relève comme “Empire du mensonge”.

    En 1999, le masque est tombé définitivement, les États-Unis sont apparus comme ce qu’ils étaient, c’est-à-dire les ennemis de la civilisation européenne, capables de s’allier avec des mafias, des mouvements terroristes et/ou islamistes, pour parvenir à leur fin.

    Vous analysez un autre événement extérieur, la guerre des 5 jours contre l’armée Georgienne, comme, je vous cite: “l’événement qui marque la fin de l’expansion américaine dans l’étranger proche de la Russie” ?

    Comme prise de conscience de la duplicité mais également de la faiblesse américaine. La “guerre des cinq jours” vient comme la suite logique du bombardement de la Serbie. La différence est qu’en face de l’impérialisme américain, se dresse cette fois la Russie de Poutine, qui humilie l’administration américaine impuissante. En l’espace de deux mois, les États-Unis ont montré au monde, qu’ils étaient incapables de protéger ni leurs alliés, ni leurs banques.

    [...]

    Source et suite de l’article sur Blogs RIA Novosti.

    http://fr.novopress.info/

  • La Syrie est le théâtre d’une guerre économique mondiale

    La Syrie est le théâtre d’une guerre économique mondiale
    Le journaliste, écrivain et politologue suisso-tunisien Riadh Sidaoui est le fondateur et directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales basé à Genève. Il est également rédacteur en chef de la revue Progressiste. Dans cet entretien, il décortique la crise en Syrie, théâtre de la guerre économique mondiale entre les puissances économiques occidentale et les économies émergentes et explique l’appui américain aux islamistes dans ce qu’on appelle le printemps arabe.

    Le Temps d’Algérie : La Ligue arabe vient d’octroyer un siège permanent à l’opposition syrienne. Comment interprétez-vous ce geste ?

    Riadh Sidaoui : Sur le plan interne, nous constatons aujourd’hui que la Ligue arabe est l’otage de certains pays qui se sont octroyés la mission de propager la démocratie dans les pays arabes, alors qu’ils se trouvent être les pires dictatures. Les deux pays à la tête de la Ligue arabe que sont le Qatar et l’Arabie saoudite sont dépourvus de toute vie démocratique et sont en rupture totale avec les principes de démocratie, à savoir une tradition électorale, une vie syndicale, l’exercice des libertés d’expression et de pensée…

    C’est ce qu’on appelle en sciences politiques des dictatures absolues. Sur le plan externe, la politique de la ligue arabe répond parfaitement aux intérêts des Etats-Unis. Le Qatar et l’Arabie saoudite sont les principaux alliés des Américains dans la région et ont, de tout temps, aidé les Américains à appliquer leur agenda. L’Arabie saoudite a financé les Contras [correction du Grand Soir] (les éléments de la contre-révolution) en Amérique latine pour le compte de la CIA.

    Cette dernière a besoin d’un budget énorme pour financer tous ses projets et a pu compter sur l’aide de son allié saoudien. C’est une situation surréaliste que de voir un tel acharnement de dictatures absolues en soutien à une opposition. Un acharnement qui a abouti, puisque les voix de l’Algérie et de l’Irak, qui ont émis des réserves, ou du Liban qui s’est abstenu sur la question ont été très minoritaires et sans impact.

    Comment expliquer la position algérienne ?

    La position algérienne est le résultat de l’héritage de la révolution algérienne. L’Algérie a adopté, depuis son indépendance, des positions en faveur du « fraternisme » arabe et sa politique insiste beaucoup sur la souveraineté des Etats et s’oppose donc à l’ingérence et aux interventions étrangères.

    Cette position traduit-elle une prise de conscience par les autorités algériennes des réalités du « printemps arabe » ?

    Beaucoup la disent elle-même menacée par cette vague de déstabilisation. C’est surtout le résultat de la culture de la révolution et une tradition issue du boumediénisme qui était très proche des mouvements nassérien et baâthiste. L’on s’est rendu compte que l’on était en face d’un mouvement mondial pour l’hégémonie américaine. Ce mouvement déploie tous les moyens possibles et se sert de tous ses outils, notamment de la Ligue arabe.

    Il y a eu des tentatives de déstabilisation de l’Algérie par ces mêmes pays qui sont aujourd’hui à la tête de la Ligue. Outre un financement des groupes terroristes du GIA, ces pays ont procédé à un matraquage médiatique en faveur des groupes terroristes, notamment grâce aux grands titres de la presse comme Al Hayat et Charq El Awsat. Mais le rôle de l’armée algérienne a été déterminant dans cette tentative de déstabilisation du pouvoir algérien et de l’installation des islamistes au pouvoir.

    Pourquoi cette propulsion des islamistes au pouvoir dans les pays arabes ?

    Les clivages « progressiste » – à savoir la gauche arabe représentée par le boumediénisme (Algérie), le nassérisme (Egypte) et le baâthisme (Irak et Syrie) – et le clivage réactionnaire des monarchies du Golfe ne peuvent pas cohabiter.

    Après le rayonnement du clivage progressiste, malgré ce qu’on peut lui reprocher, on assiste aujourd’hui à la revanche des réactionnaires arabes sur tout ce qui est progressiste ou qui peut être démocratique, grâce notamment à une hégémonie sur le champ médiatique arabe.

    La crise syrienne, comme ce qu’on appelle le « printemps arabe », est donc un retour en force de la réaction arabe

    Il y a un dynamisme interne au sein du peuple syrien en faveur de l’établissement d’un modèle démocratique solide, loin du modèle qatari ou saoudien. On ne peut pas le nier. Cependant, ce n’est nullement la transition démocratique qui est le but de l’acharnement diplomatique des têtes de la Ligue en faveur de l’actuelle opposition syrienne. Les forces étrangères, à leur tête le Qatar et l’Arabie saoudite, ont accordé pas moins de 20 milliards de dollars d’aide à l’opposition. Si on avait voulu aider le peuple syrien, cette somme aurait pu être investie dans la création de l’emploi et l’aide à la population.

    Mais l’on vise la destruction de l’Etat syrien. C’est le baâthisme syrien qui est visé, comme l’a été le baâthisme irakien et le nassérisme égyptien. Ce sont ces modèles, malgré tout ce qu’on peut leur reprocher, qui sont visés afin de les détruire. On assiste cependant à une résistance interne et même externe face aux attaques étrangères émanant notamment de Turquie et du Liban malgré sa position officielle plus neutre. Les intérêts des puissances économiques mondiales se confondent et elles essaient, toutes, à travers leurs alliés, de défendre leurs intérêts.

    La Syrie est-elle le théâtre d’une guerre économique mondiale ? Quels sont les enjeux économiques derrière cette crise ?

    Absolument. On assiste à une guerre mondiale entre les différentes grandes puissances économiques. Il y a d’un côté les Etats-Unis, avec l’aide de leurs alliés qui veulent imposer leur hégémonie sur les énergies et les ressources naturelles mondiales, et de l’autre la Russie et la Chine qui résistent, avec à leur côté les économies émergentes, l’Iran, l’Inde, le Brésil et l’Afriques du sud qui ont refusé une intervention étrangère en Syrie et évité ainsi un scénario à la libyenne.

    La Russie a utilisé son veto, et pour la première fois, la Chine a recouru à son droit de veto elle aussi. Elle a voulu par ce geste passer un message aux Etats-Unis. On a désormais compris que l’on était dans une guerre économique mondiale ; les économies émergentes, la Russie et la Chine, ont fait savoir qu’elles n’allaient pas se laisser faire. Quant aux enjeux économiques, ils concernent en premier lieu le pétrole et le gaz.

    Quand on regarde bien la carte, on constate que l’Irak et l’Afghanistan, qui ont déjà été envahis, la Syrie, en proie à une crise, et probablement l’Iran après, forment un cordon autour de la Chine et de la Russie. La Syrie, même si elle ne dispose pas de ressources énergétiques importantes, relie la mer méditerranée et l’Asie. C’est une jonction entre les continents européen et africain d’un côté et le continent asiatique de l’autre, par laquelle passent de nombreux pipelines. C’est une crise motivée d’abord par les intérêts économiques des uns et des autres.

    C’est pour cela qu’on ne peut pas parler d’un « printemps arabe ». Si l’on nous parle d’une volonté d’aider des peuples à instaurer la démocratie, on ne peut que constater le deux poids, deux mesures des Etats-Unis qui soutiennent militairement des « oppositions » à renverser le pouvoir en place et aident en même temps le régime bahreïni à mâter une révolte populaire.

    Sur le terrain, les Etats-Unis ne sont pas très visibles. Ce sont plutôt la Grande-Bretagne et surtout la France, accusée de mener des guerres pour les Américains. comment expliquer la position de la France ?

    La position de la France concernant l’invasion de l’Irak était radicalement anti-américaine. L’ancien président, Jacques Chirac, avait menacé d’utiliser son droit de veto. Il avait opté pour une politique « pro-arabe » et s’est même montré correct avec les Palestiniens, s’attirant les foudres du lobby sioniste en France. Il tentait ainsi d’avoir la sympathie des pays arabes pour se procurer de nouveaux marchés, notamment un marché d’armes juteux.

    Mais il avait fait de mauvais calculs, les pays du Golfe sont des clients des Etats-Unis et de la Grande- Bretagne. Finalement, la politique de Chirac n’avait pas été fructueuse. Son successeur, Sarkozy, est ouvertement pro-américain et pro-israélien, il s’est rangé au côté de l’axe américano-sioniste et a même été plus royaliste que le roi en s’embarquant dans les guerres du printemps arabe, qui profitent pleinement aux Américains.

    Avec l’arrivée du socialiste Hollande, certains ont espéré un changement, mais on a constaté qu’il avait continué dans la même lignée. La France était déjà très impliquée dans la crise syrienne. Elle se retrouve, elle, le pays laïque, à soutenir des islamistes ! La position de la Grande-Bretagne est plus attendue. C’est l’alliée fidèle des Etats-Unis. D’ailleurs, ces derniers ont établi des liens avec les islamistes sous l’influence de la Grande-Bretagne.

    Ce sont donc les Etats-Unis qui ont le plus à gagner avec l’arrivée des islamistes au pouvoir ?

    Le lien entre les Etats-Unis et les islamistes est établi. Il y a d’abord les différents câbles diplomatiques divulgués par Wikileaks qui en attestent. Ensuite, la mort de Ben Laden qui, après une cavale de plus de dix ans, disparaît brutalement en plein « printemps arabe » ! De plus, les interventions militaires en Libye et Irak, qui visaient à détruire les courants de la gauche arabe, ont mené à la montée d’islamistes au pouvoir.

    Il y a aussi les déclarations fortes du directeur de la police de Dubaï lors d’une réunion en présence de l’ambassadeur américain, accusant directement les Américains de vouloir renverser des régimes arabes et de favoriser l’accès des islamistes au pouvoir.

    Comment expliquer cette sortie fracassante alors que les Emirats arabes unis sont considérés comme les alliés des USA ?

    Il faut savoir que les Emirats ne sont pas le Qatar ou l’Arabie saoudite. Ils s’en démarquent. Ils refusent le wahhabisme promu par ces deux pays et tentent vraiment de se développer et de progresser. Ils ne cachent plus leur grand malaise face au wahhabisme qatari et avaient d’ailleurs osé s’opposer à l’Arabie saoudite en l’appelant à s’occuper de ses cinq millions d’habitants vivant sous le seuil de la pauvreté.

    Quels sont les scénarios envisageables maintenant en Syrie ?

    Le premier scénario voudrait que la guerre perdure. Certaines crises en Amérique latine, comme en Colombie, ont duré des décennies, car dans cette guerre, il y a ce qu’on appelle « une mobilisation totale des ressources », qu’elles soient humaines, financières ou médiatiques, de toutes les parties impliquées. On assiste également à des divisions au sein de l’opposition. Le deuxième scénario prévoit, lui, une victoire du pouvoir syrien. N’oublions pas qu’il vient de reconquérir des espaces qui étaient aux mains de l’opposition armée.

    Il est vrai que la crise dure, et elle risque de durer encore ; l’armée étant de formation soviétique, elle n’est pas préparée à la guérilla ; les guerres des villes sont les plus dures, d’autant que l’armée syrienne ne s’y était pas préparée. Ceci dit, c’est une armée qui est en train de gagner des batailles, si l’on en croit les vraies sources d’information. Car à en croire Al Jazeera par exemple, le régime syrien aurait dû tomber depuis longtemps. Il devra cependant faire des concessions et aller vers des réformes. Ce n’est pas perdu pour lui.

    Le siège de la Syrie à l’ONU ne serait-il pas menacé ?

    Non, il ne l’est pas. L’Onu n’est pas la Ligue arabe. Cette dernière n’a plus aucun poids. Son rôle a pris fin en 1973 quand l’organisation a décidé l’embargo pétrolier. C’est bien la dernière décision de la Ligue qui, depuis, n’est qu’une marionnette aux mains des dictatures absolues du Golfe ; elles-mêmes sont des marionnettes aux mains des Etats-Unis.
    Riadh Sidaoui http://www.voxnr.com
    notes :
    Riadh Sidaoui est le directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales.

    Entretien réalisé par Mehdia Belkadi

  • Vers la fin de l'Institution matrimoniale ?

    Alors que Civitas organise ce qui sera la grande manifestation contre le mariage homosexuel le 18 novembre prochain à Paris, il importe de réfléchir à l'argumentaire que développent les catholiques pour expliquer leur prise de position. Dans chaque diocèse, les évêques ont eu à cœur de prendre position sur une question à propos de laquelle tout le monde sent instinctivement que c'est notre civilisation qui est en jeu. Pierre Carvin, analyste politique, nous propose une réflexion différente sur cette question apparemment si simple.
    Claire Thomas : Pierre Carvin, que vous inspirent les très nombreuses prises de position contre le mariage homosexuel qui proviennent souvent du milieu catholique ?
    Pierre Carvin : Cette mobilisation impressionnante est de bon augure dans l'immédiat. Ce qui me gêne, c'est qu'à propos de cette question, on invoque de manière un peu rapide et sans analyse le droit naturel, la nature. Le mariage monogame est de droit naturel certes, mais la polygamie l'est aussi... Puisque c'est le mariage monogame qui semble attaqué aujourd'hui, avec des éloges qui se multiplient à propos de la forme moderne de la polygamie que l'on appelle le polyamour, il faut bien peser les raisons de le défendre. Ce n'est pas un hasard si, au moment de la réforme grégorienne au XIe siècle, l’Église a pesé de tout son poids en faveur d'une institutionnalisation obligatoire du mariage. Il y a des raisons théologiques très importantes, à propos desquelles je ne suis pas compétent, mais il y a aussi de profondes raisons socio politiques qui jouent en faveur de la monogamie. On a perdu de vue les raisons de l'institution de la famille monogame... La nature n'explique pas tout. Il y a aussi un calcul rationnel, qui est d'ordre politique. Au Xe et XIe siècle, lorsque la réforme grégorienne a imposé le modèle chrétien à l'Occident barbare, la question qui se posait était celle de la dispersion des ressources et des patrimoines. Avec l'obligation légale du mariage monogame, on passe d'une structure tribale, où tout est plus ou moins collectif, à une société plus complexe où la constitution de patrimoines familiaux permet l'émergence d'une coopération sociale élargie. Dans une situation de rareté, le problème est de rassembler les informations (la culture, les mœurs, les coutumes) et de rassembler les ressources. C'est ainsi que peut se constituer un patrimoine pour une lignée. Le mariage monogame apparaît comme un moyen de concentrer les biens : c'est le premier stade d'un développement économique, social et donc spirituel.
    C. T. : Ce qui était vrai au XIe siècle ne l'est plus aujourd'hui...
    P. C. : L'institution familiale a émergé la première dans l'Occident médiéval. Quant à l’État, c'est une création de la modernité. Mais son émergence a profondément changé le paysage. Parce qu'il y a un Etat fort et redistributeur des biens aux individus, on n'a plus besoin aujourd'hui de communautés familiales protectrices. L'Etat revendique d'être le seul protecteur des individus, auxquels il donne toute liberté de vivre à leur guise. En tant qu'acteur rationnel, dans le jeu social, il a tout intérêt à concasser les réalités sociales autonomes et à s'imposer comme le seul arbitre du vivre ensemble, en prise directe avec chaque individu. Le risque ? Une montée inexorable vers le totalitarisme, les individus payant au prix fort de leur liberté spirituelle cette assistance, cette « assurance tout risque étatique », qui fait d'eux des adolescent perpétuels, incapables de gérer leur vie, de penser leur existence, de vivre autrement qu'au jour le jour.
    C. T. : Et l'Eglise dans tout ça ?
    P. C. : N'oublions pas, si nous nous intéressons à l'histoire, que l'Etat s'est toujours posé en rival de l'Eglise, contestant sa légitimité et son pouvoir direct sur les âmes comme sur les corps. Le théologien William Cavanaugh a écrit là-dessus des choses très importantes. A partir du XVP siècle, soit l'Eglise fait des concessions et Rome signe des concordats avec les Etats, soit, à travers la réforme protestante, l'Etat obtient que soient coupés les ponts entre Rome et l’Église locale...
    C. T. : Comment situez-vous le mariage homosexuel dans cette longue histoire du mariage ? Est-ce le signe de la fin d'une institution ?
    P. C. : L'idée du mariage homosexuel provient
    de l'oubli de cette fonction rationnelle (à la fois économique, sociale, culturelle, civilisationnelle) du mariage. La société est devenue une société d'individus. Ce que les individus demandent à l'Etat aujourd'hui, ce qu'ils cherchent dans ce qui reste d'une institution matrimoniale étatisée, c'est uniquement une reconnaissance de leur état de vie. Dans cette perspective nouvelle effectivement, toute morale mise à part, les homosexuels ont autant de droit que les hétérosexuels... C'est la logique démocratique, c'est la politique démocratique qui, comme l'explique l'Américain Charles Taylor, vise à donner un « droit égal à la dignité » (en l'occurrence au mariage). Dans cette logique individualiste, peu importe ce que l'on fait. La citoyenneté établit une égalité stricte de tous les comportements (sauf grave désordre) et donc le... droit égal à la dignité qui aboutit à cette invention, à haute portée symbolique, du mariage homosexuel. Le mariage homosexuel est avant tout le signe d'un nouveau progrès ( qui pourrait être irréversible dans notre civilisation) de l'esprit démocratique. Si nous ne faisons rien, viendra un temps - il n'est pas éloigné - où nier la possibilité pour les homosexuels de se marier et d'avoir des enfants sera réputé comme contraire à l'Egalité fondamentale et donc comme « antidémocratique ».
    C. T. : C'est ce « progrès démocratique » selon vous qui a poussé le pouvoir socialiste à faire de cette idée du mariage homosexuel un projet de loi ?
    P. C. : Non ! De façon beaucoup plus prosaïque, le Pouvoir socialiste, ici et maintenant, vise à récompenser une clientèle en lui accordant cet avantage particulier, qui signifie une reconnaissance pleine et entière par l’État de comportements réputés naguère comme déviants. C'est un marchandage politique, qui utilisera l'esprit démocratique pour s'imposer dans les mentalités. On touche à l'origine même de la civilisation ; et on veut faire en sorte que ce nouveau processus soit celui d'une véritable « politisation du mariage », d'un mariage dont l’État seul fixe les règles et les conditions. Le mariage ne sera plus ce mélange de nature et de convention, de raison sociale et de passions humaines qui en faisait une Institution unique. Ce sera une gratification sociale accordée à deux individus (ou plus, pourquoi pas ?) pour reconnaître l'authenticité d'un état affectif quelconque.    
    Propos recueillis par Claire Thomas  monde & vie . 20 octobre 2012

  • Jean-Luc Mordoh à L'AF : "Oui, il y a un matraquage pour rester dans l’UE."

    Le théâtre sera-t-il la planche de salut du souverainisme ? Se définissant comme « pro-français », Jean-Luc Mordoh espère contribuer, par ce biais, à faire vaciller l’édifice européen, dont il réprouve la construction avec la plus grande vigueur.

    L’AF 2860 Pourquoi ce livre et surtout sous cette forme, celle d’une pièce de théâtre ?

    Jean-Luc Mordoh : Pourquoi ce livre ?

    J’ai été un europhile convaincu jusqu’au jour où j’ai décidé d’y voir un peu plus clair. Ce que l’on me promettait, cette utopie d’union des peuples, ce pari fou d’effacer 1500 ans et plus de conflit avec nos voisins surtout après le summum de la barbarie de 14/18 suivi de 39/45, j’y ai fermement cru. Mais au fil des années, ce discours européen n’apportait que son lot de pessimisme. A chaque déboire, à chaque délocalisation, à chaque injonction de Bruxelles, c’est la même bouée de sauvetage, le même remède préconisé, le même discours convenu répété inlassablement par nos politiciens comme un mantra sanskrit, l’Europe : une autre Europe, une nouvelle Europe, une Europe sociale, plus d’Europe. Une litanie de slogans sensée nous transcender et nous convaincre que demain sera le jour de la Réalisation. Cela fait 30 que cela dure mais demain n’existe pas.

    Dans un moment de lucidité, j’ai décidé de comprendre la définition de l’Europe politique, de sortir de l’idéologie pour me pencher sur du solide, du factuel, le contrat qui nous lie à l’UE, le TFUE (traité du fonctionnement de l’union européenne). Et là, ce fut la douche froide.

    Pourquoi une pièce de théâtre ? Ecrire un livre sur le Traité du Fonctionnement l’Union Européenne (TFUE) dans un style académique n’aurait eu aucun impact sur les gens. Pour deux raisons : 1/ Il y a plein de livres sur ce sujet et admirablement bien écrit. 2/ Je n’ai pas les compétences pour rédiger et expliquer comme un politique.

    Le meilleur moyen de capter l’attention, d’y apporter du nouveau, un regard neuf, c’est de caricaturer la situation tout en faisant rire les lecteurs. Quand vous faites rire, le message passe beaucoup mieux. L’autodérision est le meilleur outil pour comprendre sa geôle. Pour y mettre un peu plus d’entrain et de vie, l’explication par un couple des articles du TFUE incriminés s’opère à travers un dialogue, un peu décalé mais toujours pédagogique. Les discussions politiques autour d’un bon repas dominical, on a tous vécu cela.

    Quels sont à vos yeux les principaux dangers de l’Union européenne ?

    Le premier, le plus important, la pierre angulaire de toutes les déclinaisons décisionnelles, c’est l’abandon de notre pouvoir, de notre démocratie. Je l’explique par les articles 3, 4, 5, 6 du TFUE et les GOPE, les Grandes Orientations de Politique Economiques. Notre vote n’a plus aucun sens. Aucun.

    Tout est déjà pensé, décidé et planifié dans tous les domaines : justice, transport, social, marché, acquis sociaux, santé, défense, etc. Il ne nous reste plus que le pouvoir de décider si nous transformons cette rue en voie piétonne ou si cette nouvelle crèche portera le nom de Pablo Picasso. Pas plus.

    L’UE a changé la définition du mot démocratie. Il y a peu, c’était le peuple qui votait et son vote décidait d’une voie à suivre. Aujourd’hui, un pays est démocratique quand il valide les directions stratégiques de Bruxelles. Nous avons fait un saut quantique avec le même mot. Ce mot démocratie est une césure entre le peuple qui croit, plus ou moins, décider, et les politiciens, qui eux, connaissent la nouvelle définition. La démocratie d’aujourd’hui est dictée par une armée de commissaires bruxellois jamais élus et qui n’ont aucun besoin de l’aval d’élections.

    Cela explique, entre autre, les taux d’abstention de plus en plus élevés lors des élections, de toutes les élections. A quoi bon voter si celui que j’élis ne fait qu’appliquer bêtement les directives de Bruxelles ?

    Pensez-vous qu’un retrait pur et simple soit possible ? Marine Le Pen a demandé récemment à François Hollande d’organiser un référendum sur un éventuel retrait de la France de l’Union européenne : ne pensez-vous pas que les Français sont aujourd’hui tout simplement incapables de l’envisager en raison du matraquage qu’ils subissent depuis des décennies sur l’Europe ? Ce serait à leurs yeux de l’aventurisme...

    Un retrait est techniquement possible mais totalement improbable. Je m’explique puisque vous avez cité un nom.

    1/ Sur MLP. Contrairement aux apparences, elle ne veut pas sortir de l’Europe. La raison est simple. Si vous désirez sortir et que vous l’annoncez devant vos militants et autres, vous donnez la marche à suivre. Et la marche à suivre est claire, c’est l’article 50 du TFUE.

    Cet article 50 a été conçu pour qu’un Etat puisse sortir d’une façon unilatérale, sans l’accord des autres pays. Il a été pensé et prévu donc en parler n’est pas une gageure. Le processus de sortie dure au maximum 2 ans. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais entendu MLP citer cet article. J’ai des doutes sur sa volonté de sortir de l’UE.

    2/ Toujours sur MLP. Elle demande un référendum, soit. Mais vous connaissez les français, 70% d’entre eux sont prêt à se couper la main au lieu de voter FN ou aller dans son sens. Les partis UMP et PS le savent et rameneront ce référendum à un vote contre la peur “des chemises brunes”. L’équation sera simple :

    1/ Le FN veut un référendum pour sortir de l’Europe. 2/ Le FN est un parti fasciste (évidemment non mais il est toujours représenté comme cela). 3/ Donc sortir de l’Europe est une démarche fasciste. 4/ Vous désirez revivre les années 41 en France ? 5/ Non, et bien vous savez ce qu’il vous reste à faire. 6/ Les jeux sont faits et l’on connait déjà le gagnant.

    Mon analyse personnelle et le paradoxe de tout cela, c’est que MLP le sait. Alors pourquoi part-elle au feu pour une défaite assurée ? La politique est un jeu de rôle pas toujours très clair pour les électeurs. MLP part perdante mais son ambition première est d’être incontournable à droite et de faire vivre son entreprise familiale. Pas de sortir de l’Europe. MLP est le ciment du statu quo actuel. L’UMP et au PS le savent très bien et en jouent merveilleusement bien en actionnant dès que possible, les qualificatifs de racistes, fascistes et autres synonymes de nécroses à faire fuir le premier venu. A croire qu’il y a une pièce de théâtre jouée entre eux trois. Deux gentils et un méchant, un trio qui s’entendent comme larons en foire.

    3/ Pour conclure, l’article 50 est une clé que la France n’a pas les moyens d’utiliser. Pour actionner l’article 50, il faut une majorité à l’assemblée Nationale, une majorité sur 575 députés. Tout est dit l’article 50 est inaccessible.

    4/ Notre seule chance de sortir de l’Europe viendront d’évènements extérieurs. La Grèce sortira un jour car je vois mal les Allemands payer tous les 6 mois ad vitam aeternam. Si la Grèce sort, c’est l’effet domino. Le Portugal, l’Espagne puis l’Italie suivent. Tout l’axiome même de l’Europe, un conglomérat de nations, sera partiellement détruit. Bruxelles n’aura plus aucun sens et tout s’écroulera. Même scénario avec l’Angleterre. A titre indicatif, la France verse chaque année 21 milliards à l’UE et elle en reçoit 14. Une sortie, contrairement aux délires pessimistes d’européistes, c’est un gain net de 7 milliards. Quand au retour du franc, je vous invite à lire et écouter les propos de Jacques Sapir ou de Philippe Murer (Forum Démocratique) qui démontrent techniquement qu’une sortie n’aurait aucun impact négatif sur notre économie. Bien au contraire.

    5/ Oui, il y a un matraquage pour rester dans l’UE et il n’y a aucun débat sensé digne de ce nom sur ce sujet. Les journalistes ont choisi leur camp et leurs interlocuteurs. Le seul interlocuteur invité est MLP. Mais en l’invitant, on joue sur des peurs irraisonnées et les partis classiques sortent systématiquement vainqueur de cette invitation. je vous ai démontré qu’elle ne voulait pas sortir de l’UE. Invitez Jacques Sapir, Philippe Murer, Etienne Chouard ou François Asselineau, le débat risque d’être ardu pour les tenants de l’Europe face à ces pointures. Mais ils ne sont jamais invités.

    Vous définiriez-vous comme un souverainiste ?

    Oui, car je défends la souveraineté de mon pays. Non, car ce terme est altéré depuis de nombreuses années, il a une sonorité négative. Pour faire vite, à travers ce mot, beaucoup de gens entendent : extrême-droite, repli sur soi-même, rejet de l’immigration sans nuance, idéologie nationaliste donc réveil des années noires de la France de 39, alors qu’il porte en son coeur, un joli mot, souverain.

    J’aime mieux le qualificatif de français, voire patriote ou quitte à inventer un mot, un pro-France. Et si l’européiste convaincu me réplique que lui aussi il l’est, je lui mets sous le nez toutes les soumissions réglementaires auxquelles il doit souscrire obligatoirement pour valider son attachement à l’Europe. Moi, c’est la Constitution française, lui, c’est le TFUE. Un monde nous sépare.

    Entendez-vous donner une suite politique à ce livre ?

    J’ai un essai sur l’immigration en cours, que je le veuille ou non, c’est politique. Le domaine étant aussi sensible qu’une fiole de nitroglycérine, il sera abordé sous le même angle : l’auto-dérision de l’existant.

    Propos recueillis par François Marcilhac - L’AF 2860

    Comment Sortir de l’Europe Sans Sortir de Table aux Editions la Bourdonnaye. Disponible en numérique sur APPLE STORE, AMAZON et FNAC Disponible en format papier sur LULU. COM

    http://www.actionfrancaise.net