Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

entretiens et videos - Page 859

  • Écrire contre la modernité (entretien avec Pierre Le Vigan)

    Plusieurs lecteurs m’ont posé des questions à propos de mon dernier livre Écrire contre la modernité, oralement ou par écrit. J’ai regroupé ces questions (ou remarques) sous  un nom collectif : les lecteurs curieux (ou L.L.C.).

     

    L.L.C. : Dans votre dernier livre, vous relativisez la continuité entre les Lumières et la Révolution française. Vous êtes ainsi au rebours d’une analyse qui, généralement située à droite, souligne la continuité entre les deux. Cela mérite quelques explications.

     

    Pierre Le Vigan : Je souligne effectivement que les hommes des Lumières qui étaient encore vivants en 1789 ont été généralement hostiles à la Révolution, à l’exception de Condorcet, qui en sera toutefois victime comme Girondin. La plupart des hommes des Lumières encore vivants ont été hostiles non seulement au moment 1793 – 94 de la Révolution mais aussi dès 1789. Dès ce moment, la violence est le moteur de la Révolution, ce qu’ils refusent, qu’il s’agisse de la « prise de la Bastille » qui fut en fait le massacre de ses défenseurs (malgré la parole donnée), ou des journées des 5 et 6 octobre 89, où le roi est ramené de force à Paris. En ce sens, la Révolution est un bloc comme le disait Clémenceau. Or, l’esprit des Lumières ne se reconnaît pas dans cette rupture avec l’ordre ancien alors qu’il aspire de son côté à un bien s’instaurant progressivement, à une sorte d’ordre naturel fondé sur la raison qui déploierait son harmonie, ce qui est incompatible avec les soubresauts sanglants qui constituent le rythme de la Révolution française.

     

    En réalité, le principal lien qui existe entre la Révolution française et les Lumières se fait à travers Rousseau. Mais on le sait : Rousseau occupe une place à part dans les Lumières. C’est l’un des sujets que j’aborde dans le livre. L’idéologie sommaire dite des Lumières n’a pas grand-chose à voir avec la réalité complexe et multiforme de penseurs trop importants pour être réductibles à un courant idéologique comme Rousseau, Diderot ou  Voltaire.

     

    S’il y a continuité entre un homme rattaché aux Lumières et la Révolution, c’est donc de Rousseau qu’il s’agit. La continuité existe dans la mesure où Rousseau ne croît pas à la possibilité d’un mouvement continu de progrès mais croît dans le constructivisme. En ce sens, sans préjuger de l’attitude qui aurait été la sienne, il est en phase avec l’esprit de la Révolution qui prétend tout reconstruire, et là, il y a continuité entre 1789 et 1794, les  principales différences entre la phase 1789 et la phase robespierriste de 1794 étant le passage d’une Terreur spontanée et « populaire » (au pire sens du terme, c’est-à-dire populacier) à une Terreur d’État, mais aussi le passage de la  souveraineté nationale au projet d’une souveraineté populaire. L’autre lien très fort entre Rousseau et la Révolution française est l’exaltation de l’esprit antique et tout particulièrement de la notion de vertu civique. La Révolution française se veut exemplaire et romaine. Ici, il y a continuité entre l’« antiquo-futurisme » de Rousseau et la Révolution française.

     

    La continuité s’établit donc pour des raisons que l’on peut trouver « sympathiques » telles l’esprit civique et le culte du citoyens et pour des raisons très contestables à savoir l’aspiration non seulement à une société bonne mais à une société totalement bonne, absolument bonne, ce qui conduit inévitablement au totalitarisme, comme tous les rêves d’absolu. En ce sens, Marcel Déat n’avait sans doute pas complètement tort de voir une continuité entre Rousseau, la Révolution française, Robespierre (qu’il admirait et approuvait), et le national-socialisme allemand (dont Déat voyait bien les aspects modernistes – la « Révolution brune » – mais sous-estimait sans doute les aspects réactionnaires, eux aussi présents). Il aurait pu ajouter le bolchevisme. Rousseau est donc l’exception qui confirme la règle : il est le seul penseur des Lumières en continuité d’idées avec la Révolution française. Mais il l’est en partie pour des raisons contestables comme la volonté d’une table rase et d’un retour artificiel  à un passé antique mythifié. À ce sujet, il faut noter qu’il serait difficile de défendre Rousseau et de voir avec sympathie les mouvements localistes et anticentralistes comme la Fronde ou la révolte vendéenne.

     

    L.L.C. : À vous lire, vous paraissez beaucoup plus proche des auteurs républicains tels Alain Finkielkraut et Éric Zemmour que des révolutionnaires-conservateurs de la « Nouvelle Droite ». Vous paraissez éloigné des communautariens et proche des assimilationnistes. En d’autres termes, vous semblez un défenseur de l’idée stato-nationale. Qu’en est-il ?

     

    P.L.V. : Dans la notion d’État-nation, c’est la nation qui doit être essentielle. L’État doit être un outil au service de la nation. Je ne crois pas que l’on puisse se passer de l’État. Attention : moins d’État, ce peut être plus de bureaucratie. C’est justement d’ailleurs ce qui se passe où nous souffrons d’une impuissance de l’État sur les grandes questions, impuissance mêlée à une omniprésence des pouvoirs publics dans nombre de domaines où ils ne devraient pas être présents tel la sécurité routière où s’impose une réglementation tatillonne attentatoire aux libertés les plus élémentaires. Dans la construction européenne d’aujourd’hui, la nation est la grande perdante car le lien entre l’État et la nation est perdu. Pseudo-régionalisme de féodalités locales d’une part, bureaucratie bruxelloise de l’autre, la nation s’affaisse au milieu de cela. L’État français n’est plus apte qu’à appliquer des réglementations européennes.

     

    Il est tout à fait exact que je suis hostile à la déconstruction des nations. Qu’il y ait des identités locales, en Catalogne, en Bretagne, ailleurs, cela ne doit pas se traduire par un monolinguisme régional, ni même par l’obligation administrative d’un bilinguisme. Le niveau national est le moyen de peser plus lourd dans la mondialisation que le niveau régional. Il faut préserver ce « niveau » (le terme n’est pas élégant mais a le mérite d’être clair) national.  En ce sens, je salue le grand travail unificateur de la République, à la fois la Ire République et la IIIe République, ou celui réalisé en Turquie par Mustapha Kemal. Ce n’est d’ailleurs pas l’école républicaine de Jules Ferry qui a fait disparaître les particularismes locaux, c’est la modernité technicienne et c’est pourquoi les particularismes n’ont vraiment disparu qu’après 1945. Il faut lire sur ce sujet Jean-Pierre Le Goff, La fin du village. Une histoire française (Gallimard, 2012). De même, dans les pays de l’Est de l’Europe, la modernité capitaliste a plus détruit les cultures locales en vingt ans que ne l’a fait le communisme, pourtant dévastateur et meurtrier, en quarante-cinq ans.

     

    Si je défends la nation, c’est aussi parce que c’est encore le cadre le mieux adapté à l’exercice de la démocratie. C’est pourquoi je rends hommage à  des figures républicaines classiques bien qu’oubliées tel Jean Prévost. Pour ses positions politiques tout comme pour ses qualités littéraires. « Il ne faut pas considérer l’auteur des Frères Bouquinquant, écrivait justement Roger Nimier, comme un écrivain mort trop jeune, qui n’a pas trouvé toute son audience, mais comme un prix Nobel en puissance et le maître d’une génération. » Je crois d’ailleurs beaucoup à la valeur d’exemplarité des esprits que l’on pourrait appeler « fermement modérés », dont Montaigne ou Jean Prévost sont  des exemples.

     

    La modernité est pernicieuse : c’est le refus des limites du réel, et c’est en même temps le rêve d’une fin de l’histoire. La modernité refuse la dialectique de l’histoire. Cela peut prendre la forme du rêve d’une société sans classes, ou d’une société sans races. Au fond, le projet du communisme et celui du libéralisme ont des points communs, à ceci près que dans l’homogénéisation du monde, le libéralisme est plus efficace que le communisme. Du reste, le communisme n’a eu qu’un temps, tandis que le libéralisme se porte bien. En outre, compte tenu de sa dimension idéologique, le communisme est (était) en effet obligé de faire des pauses, tandis que le libéralisme peut mener son projet sans obstacles, avec pragmatisme, en jouant à la fois des aspirations à l’égalité et des aspirations à cultiver les différences. Il s’agit bien entendu toujours de petites différences anecdotiques compatibles avec le grand marché mondial. Ainsi, le libéralisme est à la fois égalitaire – il n’accepte pas les reproductions de castes fermées – et communautariste – il souhaite des niches de consommateurs pourvu que celles-ci ne soient pas fondées sur des valeurs durables.

     

    Ce qui fait le caractère déraisonnable de la modernité, c’est donc la croyance au Progrès, et non simplement à des progrès. De là vient aussi l’idée qu’il n’y a pas de nature de l’homme, que l’on peut donc tout faire de l’homme et avec l’homme, que l’homme est totalement malléable. Cette idée est très dangereuse et nie tout ce que nous apprend l’éthologie humaine. L’homme n’est pas un animal, mais il reste un animal. Tout n’est pas possible avec l’homme, sauf à le rendre fou et malheureux. « Nous n’avons pas envie de légitimer des sociétés qui font n’importe quoi avec l’homme » écrit justement Chantal Delsol.

     

    L.L.C. : Y a-t-il des auteurs que vous regrettez de ne pas avoir évoqué ?

     

    P.L.V. : À chaque jour devrait suffire sa peine. Vieille sagesse que nous avons souvent du mal – moi le premier – à accepter. On rêve toujours d’un livre meilleur, plus complet, mieux équilibré, plus abouti. Les ouvrages totalement réussis sont rares. Sur le seul plan des auteurs dont je n’ai pas parlé, il y a bien entendu des manques qui – si je puis dire – me manquent. Il est ainsi bien évident que Hannah Arendt me paraît un auteur contre-moderne fondamental, qu’Heidegger est très présent dans la problématique moderne/contre-moderne sans qu’il fasse l’objet d’un de mes chapitres, que Günther Anders lui aussi me paraît important, et est en outre très attachant – il faut le dire car nous sommes tous aussi des êtres de subjectivité. J’apprends aussi toujours beaucoup à la lecture de Massimo Cacciari. Je sais bien aussi que Drieu la Rochelle, sans être philosophe, était passionné par les questions de la modernité, et que sous divers angles, il les a abordées, non sans cruauté (d’abord avec lui-même). Je ne méconnais pas que Frédéric Schiffter est à l’origine d’une critique absolument radicale des arrières-mondes – et l’idéologie du progrès en fait partie, tout comme Clément Rosset (sur lequel j’ai écrit dans Éléments) a pu démontrer – ou tout simplement rappeler – que Platon avait inventé le moyen de penser à autre chose qu’au réel. Bref, la contre-modernité est vivante et ne cesse de s’alimenter de nouvelles figures. Car au vrai elle relève de l’insurrection de la vie contre le machinal. De la chair contre l’intellect, de l’âme contre l’esprit. C’est dire aussi que la contre-modernité ne se débarrassera jamais de la modernité.

    http://www.europemaxima.com/

  • Adoption, PMA, GPA : l’hypocrisie d’Etat Trois questions à la juriste Aude Mirkovic

    Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, auteur de l’essai Mariage des personnes de même sexe. La controverse juridique (Téqui, 2013).

    Théophane Le Méné : Le projet de loi instaurant le « mariage pour tous » a été adopté par l’Assemblée nationale.

    Il est examiné depuis hier au Sénat, où il a toutes les chances d’être voté. N’est-ce pas antidémocratique de s’opposer au jugement des parlementaires ? 

    Aude Mirkovic : Antidémocratique ? Au contraire, les parlementaires ne font que représenter le peuple. Il est donc tout à fait démocratique que le peuple se fasse entendre de ses représentants, et tout à fait anormal que les représentants l’ignorent et refusent de l’écouter. Et puis, de toute façon, les parlementaires votent finalement ce qu’ils veulent. Ce qui est bel et bien anti-démocratique, en revanche, c’est la consigne de vote que subissent les députés et sénateurs socialistes, qui met sur eux une pression de nature à les priver de leur liberté, et à les empêcher de représenter le peuple pour obéir à des consignes partisanes. Quelques uns, courageux, ont annoncé qu’ils voteraient contre ce texte, ce qui est parfaitement logique car la gauche authentique ne devrait pas cautionner une vision libertaire de la famille qui sacrifie les intérêts des plus faibles, les enfants, aux désirs d’adultes qui se paient à l’étranger des enfants privés de père ou de mère, selon les cas, avant d’exiger leur fabrication ici, en France. La parenté de même sexe instrumentalise les enfants pour réaliser les désirs dont ils sont l’objet, elle est anti-écolo, c’est incompréhensible qu’elle soit promue par la gauche, et les parlementaires soucieux de protéger l’humain contre la loi du marché devraient se réveiller. [...]

    La suite sur Causeur

    http://www.actionfrancaise.net

  • Verbatim d'un entretien sur l'orthodoxie

    Verbatim d'un entretien sur l'orthodoxie Le 30 mars, l’hôte de l’émission « L’Église et le monde » sur la chaîne télévisée « Rossia 24 », dirigée par le métropolite de Volokolamsk Hilarion, président du département des relations ecclésiastiques extérieures de l’Église orthodoxe russe, était le philosophe, politologue et sociologue Alexandre Douguine. Les sujets abordés étaient le traditionalisme, le vieux-ritualisme, l’iconographie et le chant traditionnels. Nous publions ci-après la transcription de cette émission.

    Le métropolite Hilarion : Bonjour, chers frères et sœurs ! Vous regardez l’émission « L’Église et le monde ». Aujourd’hui, nous parlerons du vieux-ritualisme [ou « vieux-croyants », qui se sont séparés de l’Église orthodoxe russe en raison de la réforme liturgique du XVIIème siècle, ndt], de « l’edinoverie » [c’est-à-dire les communautés qui, tout en gardant leurs anciens rites, font partie de l’Église orthodoxe russe, ndt]. Nous aborderons également le traditionalisme et le conservatisme dans l’Église. Mon invité est le philosophe, politologue et sociologue Alexandre Douguine.

    A. Douguine : Bonjour ! Aujourd’hui, dans de nombreuses religions, et aussi dans de nombreuses couches de la société s’accroissent les dispositions conservatrices, traditionnalistes. Les gens ne veulent pas simplement revenir à la religion, à la foi, mais s’efforcent de trouver leurs racines originelles, de rétablir, dans la mesure du possible, la tradition dans toute sa plénitude. Cette tendance est présente aussi dans notre Église orthodoxe russe, bien que, peut-être, d’une façon qui n’est pas aussi frappante que dans l’islam, où le fondamentalisme, en général, est un phénomène global. À la lumière de cela, il me semble qu’il serait très important de se tourner vers l’histoire de l’Église russe ancienne, les événements du schisme [des vieux-croyants], ainsi que ceux qui l’ont précédé, c’est-à-dire vers la situation de l’orthodoxie russe ancienne. C’est dans cette direction que s’oriente aujourd’hui l’aile conservatrice des croyants orthodoxes. La question du schisme [des vieux-croyants]: quelle doit être notre attitude envers lui et envers la période de l’histoire préalable au schisme de l’Église orthodoxe russe, cela me semble d’une extrême importance.

    Le métropolite Hilarion : Tout d’abord, je voudrais distinguer le conservatisme et le traditionalisme du fondamentalisme et du radicalisme. Ce que nous observons maintenant dans l’islam est une croissance des mouvements fondamentalistes qui mènent, en fait, à la déformation de l’islam et à la violence directe à l’encontre des chrétiens et des représentants des autres confessions religieuses. Un tel radicalisme est absolument inacceptable, tant pour les chrétiens que pour les musulmans traditionnels. Lorsque nous parlons du traditionalisme et du conservatisme dans l’Église, il s’agit de tout autre chose. En général, un sain conservatisme a toujours été inhérent à l’Église orthodoxe, lequel a revêtu des formes différentes à diverses époques. Le schisme [des vieux-croyants] est une tragédie de l’Église russe, qui était due à de nombreux facteurs. Je tiens à souligner qu’elle s’est produite à un moment où les influences étrangères commençaient à pénétrer en Russie, tant occidentales que grecques. Le patriarche Nikon [auteur de la réforme liturgique du XVIIème siècle, ndt] était captivé par la Grèce et a décidé de procéder à une correction des livres liturgiques selon les modèles grecs. Dans un premier temps, cela a provoqué la méfiance, puis ensuite détaché de l’Église une partie importante de son « aile conservatrice », comme vous le dites. Il me semble qu’en soi, cette tragédie ne remet pas en question la présence et la nécessité du conservatisme dans l’Église, parce que l’Église orthodoxe est traditionnelle, elle conserve précieusement ce qui a été accumulé au cours des siècles. Nous ne devons jamais nous précipiter dans les réformes liturgiques. En effet, l’office liturgique, c’est ce que nous avons gardé, en dépit de la multitude des influences étrangères, c’est ce que nous avons emporté à travers les siècles. Tout ce qui touche l’office est perçu douloureusement par le plérôme ecclésial. Aussi, par exemple, nous continuons à célébrer en slavon, bien que beaucoup disent que cette langue n’est plus compréhensible maintenant.

    A. Douguine : Il me semble que la langue slavonne, ce n’est pas le passé, mais l’avenir. Cette langue, qui en grande partie a été créée artificiellement, calquée sur le grec, nous a apporté, à nous, slaves, la richesse immense de l’héritage, théologique, philosophique. Il me semble que nous avons encore à le comprendre. La langue elle-même, sa structure, ses formules, c’est ce qu’il nous faut étudier.
    Pour ce qui concerne le vieux-ritualisme, c’est une question de principe : nous voyons qu’à l’époque du schisme, la partie conservatrice de l’Église orthodoxe russe a refusé d’accepter les innovations, c’est-à-dire la modernisation. Dans quelle mesure était-ce une controverse qui annonçait celle qui se produira plus tard entre slavophiles et occidentalistes, conservateurs et progressistes ? Il y a actuellement dans notre Église « l’edinoverie » [c’est-à-dire les communautés qui, tout en gardant leurs anciens rites, font partie de l’Église orthodoxe russe, ndt], qui propose de ne pas opposer l’ancien et le nouveau rite, mais de les unir dans le cadre de la tradition d’avant le schisme, sans tirer de conclusions ecclésiologiques aussi rigides que les vieux-ritualistes. À mon avis, c’est une direction très prometteuse.

    Le métropolite Hilarion : Il me semble qu’aujourd’hui « l’edinoverie », c’est la voie unique de l’intégration du rite ancien dans la vie de l’Église orthodoxe, parce que, malheureusement, le schisme est devenu la cause d’un antagonisme très profond entre les vieux-ritualistes et ceux que l’on appelle les « nouveaux-ritualistes ». Au demeurant, je n’associerais aucunement notre Église avec les nouveaux-rites, ceux-ci sont anciens. Je parlerais plutôt de deux aspects du rite ancien, et, naturellement, des influences occidentales qui sont entrées dans notre Église et ont substantiellement touché sa construction liturgique.

    Si l’on parle de l’icône ancienne, de la tradition iconographique, elle est conservée chez nous. Nous ne l’avons pas plus mal gardée que les vieux-ritualistes, bien que, parallèlement aux icônes, existe dans certaines églises la peinture dite « académique » [c’est-à-dire occidentalisante, ndt], en raison des circonstances historiques. Mais il est caractéristique que lorsqu’a débuté une renaissance ecclésiale, dans les années 1990, c’est principalement l’icône traditionnelle qui a commencé à apparaître dans les églises et non pas la peinture académique. Ce qui par contre a été pratiquement perdu dans son intégralité chez nous, c’est l’ancien chant russe znamenny [à l’unisson, mélismatique, ndt]. Il a été progressivement évincé par le chant aux normes occidentales, le chant polyphonique à quatre voix. Ce processus a été lent, il s’est accompli durant tout le XIXème siècle. Maintenant, il est rare d’entendre quelque part le chant znamenny, à l’exception des paroisses relevant de « l’edinoverie ».
    Il est très important que le phénomène de « l’edinoverie » existe déjà depuis plus de deux cents ans et que l’Église orthodoxe, dans les différentes étapes de son histoire, a reconnu l’équivalence et l’égalité pour ce qui concerne le salut, de l’ancien rite pré-nikonien et du rite plus tardif. Cela a été fait déjà du temps du métropolite de Moscou Platon (Lechine) en 1800, puis à l’époque du métropolite Serge (Stragorodsky) en 1928-1929. Enfin, en 1971, le concile local pan-russe a pris une décision selon laquelle l’anathème prononcée sur les anciens rites était levée. Simultanément, l’ancien et le nouveau rites étaient proclamés tout aussi salvifiques. Tout cela a ouvert la voie au retour des anciens-ritualistes dans l’Église. Et précisément, « l’edinoverie » à laquelle, pour autant que je le sache, vous appartenez, est cette voie.

    A. Douguine : Vous avez soulevé une question très importante. De nombreux théologiens et historiens de l’Église considèrent les changements dans l’icône, par exemple l’apparition d’ombres sur les représentations iconographiques, les changements dans le chant d’Église lorsque le chant polyphonique est apparu, comme une sorte de modernisation, comme une sorte d’influence occidentale, tant sur le plan esthétique que, si vous voulez, sur le plan théologique. L’ancienne icône, peinte sans ombre et sur des critères spécifiques de perspective, constitue un appel au monde spirituel. Le chant à l’unisson, conservé dans « l’edinoverie » et dans le vieux-ritualisme, signifie, à sa façon, la même chose que l’absence d’ombre dans l’icône. C’est la concentration de tous ceux, qui chantent et qui écoutent, sur l’une et même mélode spirituelle. Il me semble que l’une des voies vers la tradition - non pas à celle des vieux-ritualistes, mais à celle qui est commune aux deux branches de la tradition moscovite – nous conduit à la dimension sacramentelle de la pratique liturgique. Le mouvement de « l’edinoverie », prudent, ne manifeste pas une stratégie offensive. Mais les églises en relevant sont pleines, parce que les gens veulent parvenir aux profondeurs, à la tradition, et découvrent ici ce qui, sans conflits, sans critiques, sans fondamentalisme ni extrémisme, nous ramène aux racines de notre foi.

    Le métropolite Hilarion : Oui, beaucoup de choses sont revenues dans l’Église, mais beaucoup de choses n’avaient pas du tout disparues. Par exemple, l’icône traditionnelle, à la fin du XIXème siècle était évincée presque partout par la peinture académique, mais, malgré tout, une présence subtile de l’iconographie traditionnelle a survécu. Ensuite, nos grands artistes, Vasnetsov, Nesterov, se sont efforcés à leur façon, par des éléments du folklore, des contes anciens, à revenir à l’icône ancienne. Et quand, au début du XXème siècle, Eugène Troubetzkoï a écrit son célèbre « Trois études sur l’icône », a commencé le véritable mouvement de retour à l’iconographie traditionnelle. A l’époque soviétique, ce mouvement a été pratiquement interrompu, mais il a connu sa renaissance dans les années 1990, et maintenant, dans la majorité des nos églises, nous voyons des icônes absolument traditionnelles, peintes selon les anciens modèles.

    Pour ce qui concerne le chant znamenny, il revient aussi dans une certaine mesure. Nous entendons de plus en plus des chants de ce type, bien que souvent ils soient disséminés dans l’office chanté à quatre voix. Le retour au chant znamenny, dans certains monastères et églises a joué un très grand rôle, car ce n’est pas simplement un style de chant, c’est une perception totalement différente de la musique : non comme un élément appelé à orner l’office liturgique, mais comme une partie intégrale de l’expérience de la prière.

    Le chant znamenny, comme vous le savez a été écrit non pas avec des notes, mais avec des signes spéciaux, les kriouki (« crochets »). Chaque kriouk contient non pas un seul, mais plusieurs sons, qui constituent une certaine intonation mélodique, une formule mélodique. Celle-ci reflète une certaine disposition à la prière, c’est-à-dire que le chant znamenny est une projection de la prière sur la notation musicale. De même qu’une mosaïque est composée de pierres qui ont été préparées, le chant znamenny a été composé de cellules mélodiques, et chaque cellule est une petite prière, qui est scellée dans les kriouki. Tout cela créée une synthèse étonnante de musique, de prière et de mots, parce que dans le chant znamenny, la parole, c’est-à-dire le texte liturgique a une importance primordiale. Le chant polyphonique peut être beau, attendrissant, mais il ne peut pas apprendre à l’homme la prière. Tandis que le chant znamenny peut devenir un véritable maître pour la prière, et dans ce sens, il a une valeur durable.

    Le retour chez nous de l’ancien rite, est un grand événement dans la vie de l’Église russe. Récemment, pour la première fois depuis 350 ans, la liturgie a été célébrée selon l’ancien rite en la cathédrale de la Dormition, au Kremlin. Cela témoigne de l’intérêt croissant envers l’ancien rite dans notre Église.

    A. Douguine : J’ai participé à l’office que vous venez d’évoquer, et dans mes modestes possibilités, je m’occupe de chant liturgique. Je voudrais mentionner encore quelques aspects importants, liés à l’ancien rite : premièrement, le baptême par triple immersion, qui n’a jamais été abrogé et a été pratiqué durant de nombreux siècles. Pour des raisons pratiques, à l’exemple de l’Occident, nous avons pratiqué aussi d’autres formes de baptême, par aspersion ou par ondoiement. Le fait que, ces derniers temps, l’Église orthodoxe russe recommande avec insistance aux prêtres de pratiquer le rite entier du baptême, de s’efforcer à baptiser les adultes également par immersion, cela témoigne du retour à la tradition.

    Il y a encore un élément de l’office qui, malheureusement, est perdu actuellement. C’est la règle concernant les métanies [les prosternations], laquelle donne de la discipline. Si l’on observe strictement l’ancien ordo, le signe de Croix, les métanies à terre où jusqu’au niveau de la ceinture, doivent être effectuées à des moments déterminés de la prière. Parfois, le prêtre se signe, tandis que les fidèles ne le font pas, parfois c’est le contraire : les fidèles se signent, tandis que le prêtre ne le fait pas. Dans le cas de l’ancien ordo, chacun se sent concerné dans l’office, il suit plus attentivement ce qui est dit. C’est une ancienne pratique russe qui, à mon avis, aide beaucoup le fidèle à entrer dans la plénitude de ce qui est accompli.

    Le métropolite Hilarion : Ce qui m’attire particulièrement dans l’office liturgique des vieux-croyants et les tenants de « l’edinoverie », ce ne sont pas tant les caftans, tuniques et écharpes avec des épingles [vêtements traditionnels des vieux-ritualistes], que le fait que la liturgie est célébrée précisément comme une œuvre commune. Le mot « liturgie » en grec signifie précisément cela. Chez nous, on la perçoit souvent comme de quelconques actions accomplies par les célébrants dans le sanctuaire. En même temps, le chœur célèbre encore en quelque sorte une autre liturgie au kliros. Et souvent ces deux éléments ne sont pas liés l’un à l’autre. Disons que le prêtre a terminé les prières, tandis que le chœur chante encore, et le prêtre attend que le chœur ait chanté « sa » liturgie. En ce qui concerne les paroissiens, l’un arrive plus tard, l’autre part avant, l’un se signe, l’autre ne se signe pas, c'est-à-dire qu’en fait la sensation d’une œuvre commune est souvent absente. Lorsque nous assistons à l’office des tenants de «l’ edinoverie », nous voyons que les gens prient ensemble, qu’ils effectuent ensemble les métanies. Ils arrivent au début et restent jusqu’à la fin. Cela donne de la discipline, bien sûr. Cela apprend aux fidèles à se sentir des participants authentiques de l’office divin.

    Je voudrais dire aussi que la tradition du chant par toute l’assistance renaît peu à peu chez nous aujourd’hui. Dans les premiers temps, il n’y avait pas de chœur à l’église, il y avait le prêtre, le diacre et le peuple qui répondait aux ecphonèses et par le chant, c’est-à-dire que c’est tout le peuple qui chantait. De nos jours, un tel chant a été conservé dans certains endroits. Par exemple, en Russie subcarpathique, j’ai entendu comment le peuple chantait intégralement la liturgie.

    Un tel chant implique les fidèles dans la liturgie, précisément comme œuvre commune. Lorsqu’ils chantent ensemble, ils ne chantent pas à quatre voix, ils chantent à l’unisson. Et ce chant à l’unisson, outre le fait qu’il enseigne la prière, permet que toute la paroisse en tant que communauté, réunie à l’office, loue Dieu « d’une seule voix et d’un seul cœur ».

    Enfin, en ce qui concerne le baptême par trois immersions, il n’est pas simplement recommandé, mais il est introduit dans notre Église comme la norme. Naturellement, en pratique, il y a des exceptions à cette règle. Mais dans tous les documents conciliaires, nous disons que le baptême doit être précisément accompli par immersion, et non par aspersion ou par ondoiement.

    En conclusion de notre émission, je voudrais exprimer l’espoir que le rite ancien trouve dans notre Église sa place légitime et digne, et que « l’edinoverie » serve de pont entre notre Église et les vieux-ritualistes. Nous n’avons pas l’intention de faire une campagne et, d’autant plus, à contraindre les gens à adhérer à notre Église, mais nous nous réjouissons lorsque se produit un rapprochement, lorsque la compréhension mutuelle va en augmentant.

    Alexandre Douguine - Hilarion de Volokolamsk http://www.voxnr.com

    Notes :

    Source: Patriarcat de Moscou, traduit du russe pour Orthodoxie.com

    Source:
    Orthodoxie.com :: lien

  • Entretien exclusif avec Alexandre Latsa, directeur du site "Dissonance"

    - Bonjour M. Latsa, pourriez-vous nous raconter qui vous êtes et quelle est votre profession dans la vie quotidienne ?

    Je suis français et réside à Moscou depuis 5 ans. J’y dirige un petit cabinet de conseils en Ressources Humaines. Je suis également blogueur et dirige le site Dissonance. Je suis aussi analyste pour l’agence de presse RIA-Novosti ainsi que pour la radio d’état Voix de la Russie et intervient régulièrement dans les médias russes ou étrangers.

    - Vous avez écrit un livre sur la Russie de Vladimir Poutine. Pourriez-vous nous faire part de votre analyse de ce remarquable personnage politique? Quel(s) aspect(s) vous attire(nt)-il(s) en sa personnalité et en sa politique? Est-ce pour vous une personnalité de rang historique ? Et comment vous jugez l'époque Poutine par rapport aux époques Gorbatchev et Eltsine ?

    Il me semble tout d’abord que Vladimir Poutine est, et de très loin, le plus grand leader politique européen actuel. C’est un grand visionnaire et quelqu’un qui a un plan politique à très long terme pour la Russie. Il me semble donc qu’il s’agit d’un leader historique de la trempe d’un De Gaulle par exemple. Ensuite le personnage en lui-même est fascinant, c’est un ancien des services secrets reconverti dans la politique, ce qui fait de lui un personnage atypique et en total décalage avec les profils des hommes politiques ouest-européens par exemple.

    La période Poutine (2000 à nos jours) est une période qui je crois restera cruciale dans l‘histoire de la Russie. L’administration Poutine a en effet réussi à reconstituer l’état (qui avait quasiment disparu durant le début des années 90) et à permettre au pays de retrouver des indicateurs économiques, sociaux, humains, moraux normaux. Enfin, et peut être surtout, la Russie est de retour comme un acteur de premier plan sur la scène régionale mais aussi sur la scène internationale.

    - Peut-on parler d'une profonde crise entre les générations en Russie ? Comment jugez-vous l'importance de l'opposition contre Vladimir Poutine ? Est-ce uniquement un instrument de l'Ouest afin d'affaiblir l'état russe, ou est-ce plutôt l'expression d'une crise plus profonde à l'intérieur de la Russie ? Que trouvez-vous du scénario de votre homonyme, l'expert allemand Alexander Rahr, pronostiquant une nouvelle révolution d'octobre en Russie dans son dernier livre, Der kalte Freund ?

    Fondamentalement les Russes sont désintéressés de la vie politique, cela à cause notamment de la chute de l’URSS et des terribles années 90 ou la politique (et donc les politiques) ont été totalement décrédibilisés. La grande majorité des citoyens est aujourd’hui simplement sans illusions sur la politique et les politiciens. Pour de nombreux russes le vote Poutine signifie simplement le vote pour un système global, fonctionnel qui permet l’amélioration de la situation économique et de leur cadre de vie. Cette majorité silencieuse est souvent la moins politisée mais c’est elle qui soutient le pouvoir en place.

    A coté, il n’y a pas une opposition mais des oppositions. Une opposition est dans le système et l’autre est hors système. La première comprend des grands partis politiques comme le parti communiste ou le parti nationaliste LDPR. Ces partis participent activement à la vie politique du pays. La seconde est l’opposition non parlementaire, dite de rue. En son sein il y a 3 grandes tendances: une tendance libérale, bruyante et concentrée dans certains milieux urbains et modernes mais qui n’a aucun soutien électoral réel, une aile nationaliste dure et enfin une aile radicale de gauche.

    Les gens qui ont manifesté dans les rues étaient sincères ou alors sincèrement anti-Poutine et en ce sens je ne crois pas que ce soit le fait d’une manipulation occidentale. Cela est peut être différent en ce qui concerne certains dirigeants politiques de cette opposition minoritaire de rue, dont les liens avec des réseaux étrangers et occidentaux sont avérés, j’ai beaucoup écrit à ce sujet sur mon blog (ici, la ou la).

    Je pense qu’il n’y a aucun choc de génération en Russie tout du moins entre la sphère politique et la jeunesse et cela pour deux raisons. Tout d’abord l’élite russe est très jeune et de nombreux acteurs de la sphère politique ou de gouvernance ont tout juste la 40aine. Ensuite, tant que le développement économique s’accroit, il me semble qu’il n’y a donc dans ses conditions aucun risque de révolution en Russie.

    Par contre le rapide développement du pays à entrainé que certaines parties du pays soient modernisées et d’autres beaucoup moins. Par conséquent la Russie reste un pays ou se côtoient tant le 19ième, le 20ième et le 21ième siècle et en ce sens il y a entre les gens de Moscou et ceux du Caucase par exemple de réels différences de mode/type de vie.

    Je n’ai pas lu le dernier livre d’Alexandre Rahr et ne sait pas de quoi il parle exactement.

    - Y-a-t'il vraiment une crise démographique, et, si oui, est-elle incontournable ?

    La crise démographique russe est quasi surmontée mais ses conséquences sont à venir.

    Le nombre de naissances s’est effondré après la chute du monde soviétique et la période libérale des années 90 (et l’effondrement économique lié) a accentué cette tendance. Dans le même temps la mortalité a explosé et par conséquent la population a diminué malgré l’immigration due au retour de nombreux russes ethniques des républiques soviétiques vers la Russie.

    Dès les années 2000 le nombre de naissances a commencé à remonter, et cette hausse des naissances s’est accélérée après 2005 avec l’instauration de mesures natalistes mais aussi le retour de la confiance envers un environnement économique national stabilisé et en amélioration permanente.

    L’immigration de résidence à elle diminuée pour se stabiliser et depuis 2009 la population russe augmente. Un historique des ratios naissances/décès est consultable ici.

    En 2012 le nombre de naissances a augmenté et a équilibré le nombre de décès. 2013 devrait sans doute voir une hausse naturelle de population pour la première fois depuis 1991.

    - Tournons vers la politique extérieure: comment ressentez-vous la récente crise financière chypriote et le rôle qu'ont joué les Russes, d'une part, et les Européens (càd surtout les Allemands), de l'autre part ? Y-a-t'il un avenir pour une forte alliance entre l'Union européenne et la Russie, ou est-ce que les Russes misent sur une "'après-UE" et un système bilatéral de relations franco-russes et/ou germano-russes ?

    En effet la Russie a de fréquents problèmes de fréquences  avec l’UE. A contrario les relations bilatérales avec les nations européennes se passent vraiment bien. Vous citez le cas de l’Allemagne mais c’est pareil avec la France, l’Italie ou la Serbie par exemple.

    L’affaire Chypriote ne devrait pas arranger la situation des relations entre Moscou et l’UE puisque les mesures totalitaires de Bruxelles et du FMI vont aboutir à ce que la Russie perde énormément d’argent dans cette affaire Chypriote. J’ajoute que la manière dont les mesures ont été imposées à Chypre sans que la partie russe ne soit informée (alors que c’est son argent qui était visé par les mesures de la Troïka) me semble relever de l’agression financière plus que de la maladresse.

    La relation Russie / UE doit cependant a ce jour être envisagée de façon pragmatique,  la Russie a presque la moitie de ses réserves de change en euros et l’Europe reste son principal client énergétique a ce jour.

    - Comment évaluez-vous la politique russe vis-à-vis de "l'étranger proche": peut-on parler d'un succès et d'un build-up de pouvoir politique, économique et militaire, ou est-il plutôt un échec ? Quels sont les atouts de la Russie pour les Européens ?

    Il me semble que la Russie est en voie de normalisation de ses relations avec les voisins, encore une fois ces processus ne se font pas instantanément et ne peuvent être mis en place que par un état souverain, or la reconstruction de l’état russe est récente.

    Ensuite la Russie a 20.622 km de frontières terrestres avec 14 pays ce qui rend la gestion de l’étranger proche autant complexe qu’essentielle, le tout au cœur de ressentis postsoviétiques  qui n’ont sans doute pas tendance à permettre de régler sereinement des situations complexes.

    Il me semble que cependant les choses sont en bonne voie et notamment via l’union douanière au sein de l’Eurasie et de l’ancien espace soviétique.

    En ce qui concerne l’Europe il me semble que la Russie est le réservoir énergétique nécessaire à l’Europe mais la Russie en outre a un formidable potentiel militaire. Enfin, a mon avis, la Russie représente surtout un réservoir de valeurs pour une Europe en manque d’idées et visiblement de ressources pour affronter ce siècle. A ce titre le modèle de société (conservatisme – Religion- souveraineté) qui se dessine en Russie pourrait être un modèle pour les pays d’Europe de l’ouest, qui drivent l’Europe et l’UE.

    - Comment évaluez-vous l'OCS ?

    L’OCS me semble être un mécanisme de coopération régional ayant sans doute vocation à étendre sa sphère d’influence, tant géographique que sur le plan des domaines d’intervention. En outre cette structure fonctionne sur un binôme Russo-chinois qui me semble dynamique et prometteur. La visite du nouveau président chinois en Russie confirme que la coopération entre ces deux pays va s’accentuer dans tous les domaines et tous les territoires, notamment en Arctique. Il me semble que cela confirme les pires scénarios géopolitiques américains mais il faudrait sans doute envisager à terme un axe européen à cette structure, pourquoi pas au sein d’un mécanisme continental et européen à bâtir, mais dont les russes ont déjà proposé le squelette via le projet de Traité sur la sécurité Européenne

    - En Russie, il y une tradition métapolitique importante, dite "eurasiste": que pensez-vous d'elle et de ses protagonistes? Ont-ils un vrai projet pour la Russie et le monde ?

    Oui cette tradition eurasiste existe et est très importante. Elle augmente sans doute au fur et à mesure que la Russie est déçue par l’Ouest et que celui-ci n’apporte plus de modèle jugé adéquat ou fonctionnel. Cet horizon eurasien est interprété et interprétable de différents manières, mais il me semble qu’il se développe en réaction à l’inévitable destin occidental que certains ont presque fatalement envisagé pour la Russie.

    Il me semble que la Russie est une puissance eurasiatique car son territoire est majoritairement en Asie, car sa sphère d’influence et une partie de son étranger proche est en Asie centrale, car elle souhaite augmenter la part de ses échanges économiques avec l’Asie et enfin surtout car de l’objectif déclaré de ses élites est le développement de son territoire a l’est: en Sibérie et en Extrême orient.

    Je crois donc que c’est la que se situe la clef de l’avenir de la Russie et aussi la réalisation de cette Eurasianité: dans le développement d’une nouvelle Russie tournée vers l’Est de son territoire, plus que peut être simplement tournée vers l’Asie en tant que tel.

    - Dernière question: vous habitez en Russie: peut-on la décrire comme un pays européen ou un pays asiatique? Certains Russes nous disent l'un, d'autres, souvent jeunes, nous disent l'autre.

    Il me semble que la Russie est plus européenne qu’asiatique en ce sens que l’héritage spirituel et religieux russe est majoritairement le christianisme Byzantin  et que la population dominante en Russie est majoritairement de souche slave. La Russie est donc évidemment plus proche de la Bulgarie ou de la Serbie que de la Chine.

    Maintenant je crois que la Russie n’est ni complètement l’Europe ou l’Asie, elle est avant tout une civilisation à part entière dont le modèle n’est pas établi mais en cours de définition. En ce sens, il me semble que l’histoire de ce pays est passionnante car ouverte, tout y est encore possible, le pire comme le meilleur.

    - Merci beaucoup pour l’interview, M. Latsa !

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • « En Indo, à Alger, à Paris, le même nihilisme falsifie l'Histoire. » (archive 1997)

    Le 9 novembre, à la Mutualité, les comités Chrétienté-Solidarité organisent un procès moral du communisme et de ses crimes. En présence d'une impressionnante brochette de personnalités. Dans le même temps se déroule a Bordeaux un procès - pénal, celui-là - qui, à travers un homme, prétend juger une époque, un régime, un peuple. A la clé de tout cela, on débat de l'histoire contemporaine, du jugement que l'on peut porter sur elle, et des conséquences que ce jugement comporte sur la politique d'aujourd'hui. C'est l'occasion de remettre l'histoire à l'endroit, de rappeler aux jeunes ce que l'on doit penser de l'histoire de France récente. B A, député européen du Front national, s'y emploie pour National Hebdo.

    National Hebdo - Le procès Papon a été conçu par ceux qui l'ont promu comme une « pédagogie de l'histoire ». D'abord, peut-on donner à un procès un rôle pédagogique et, deuxième question, quelle pédagogie pouvons-nous, nous, en tirer ?
    B A - Ce qui est extraordinaire, c'est que, en matière de justice, la pédagogie ne peut être qu'incitative et donc cela laisserait supposer que le procès Papon est incitatif de procès. C'est-à-dire que, cinquante-quatre ans après, il faudrait donc encore en faire d'autres. Contre qui ? Les, fils de Papon, les petits-neveux de Papon, et puis peut-être la soixante-dix-septième génération de Papon. Donc cette histoire de pédagogie ne tient absolument pas la route. Elle est contraire à tout le progrès de la civilisation en matière de droit qui veut que, lorsque la justice est passée dans les premières années, ensuite il y ait l'oubli, le pardon, la réconciliation.

    - Alors, justement, sans faire de procès pénal, ça nous donne une idée: sur le plan seulement moral et historique, on pourrait envisager des procès ou des pédagogies sur d'autres affaires historiques, par exemple l'Indochine, l'Algérie ou tout autre moment de l'histoire.
    - Nous y voilà et c'est pour cela que, le 9 novembre, sera constitué pour la première fois dans l'histoire, le jour même du quatre-vingtième anniversaire de la Révolution d'Octobre qui, dans le calendrier russe, le calendrier orthodoxe, équivaut au mois de novembre dans notre calendrier grégorien, nous avons organisé la première audience sur les crimes du communisme. Mais, nuance, par une fausse analogie, certains ont cru que je voulais organiser l'équivalent du Nuremberg du communisme.

    - La formule ne vous convient pas, pourquoi ?
    - Non la formule ne me convient pas du tout. Ça ne peut être encore une fois qu'une analogie avec tout ce qu'une analogie peut avoir d'imprécis. Je ne suis nullement admiratif de Nuremberg. Nuremberg a été - je parle sous le contrôle de mes amis avocats un recul du droit. Nuremberg, c'est, en effet, le vainqueur qui juge le vaincu. Nuremberg, c'est Staline qui juge Hitler. Je n'ai aucune admiration pour Hitler, aucune nostalgie nazie et je trouve que les journalistes qui disent qu'à vouloir organiser le procès du communisme je banaliserais le nazisme sont des spadassins de la pensée, des petites frappes du journalisme. Mais Nuremberg, c'est Staline qui est juge d'Hitler, c'est-à-dire Jack l'Eventreur qui juge est de Landru.

    - Donc le procès que vous allez faire est un procès moral ?
    - Le procès que nous allons faire est un procès moral devant l'opinion. Car la prescription est je crois l'effet de la sagesse de l'humanité. Et ce n'est pas mon maître et ami, Jean-Baptiste Biaggi, qui me contredirait La prescription est un progrès. Mais prescription pénale ne veut pas dire prescription morale. Surtout quand il n'y a pas eu procès pénal. Or le communisme existe toujours. Donc je suis pour le procès moral de ceux qui ont tué, torturé, il y a cinquante ans, ce qui n'exclut pas le procès pénal aujourd'hui au Vietnam, en Chine, dans tous les pays qui ont souffert du communisme ou qui en souffrent encore. Mais, pour nous, nous voulons juger d'un cas particulier, qui est celui de l'extermination, car c'est de cela qu'il faut parler, à partir du moment où il y a à peine 30 % de survivants dé l'extermination de nos soldats français en Indochine. Et donc nous allons juger le 9 novembre, à la Mutualité, du cas particulier des camps de la mort d'Indochine, du cas particulier du camp 113.

    - Pourquoi ce camp 113. Vous dites camps de la mort. C'étaient des camps d'internement et de rééducation. Pourquoi camps de la mort ?
    - Oui, c'est ça, parce que tout est sémantique, parce qu'on mourait au camp 113 exactement comme on mourait à Dachau, à Auschwitz ...

    - Il y a des statistiques là-dessus ?
    - les statistiques sont très exactement les mêmes qu'à Auschwitz. Je ne vais pas faire des comparaisons morbides, mais 70 % de morts dans les trois mois, on ne peut guère faire pire. On est là dans les statistiques qui sont celles des camps d'extermination du nazisme. 

    - Vous dites Boudarel, puisqu'il s'agit de lui, c'est un camp particulier. Il répond : moi, je n'ai torturé personne, moi je n'ai tué personne.
    - Oui, mais d'ailleurs les SS qui montaient la garde à l'extérieur des camps ne tuaient personne ni ne torturaient personne. C'était la même réponse. On mourait à l'intérieur des camps de concentration allemands où il n'y avait que les kapos de Marcel Paul, comme le dit Marcel Dassault dans Le petit talisman illustré, numéro spécial de Jours de France : lorsque je me retrouve à Buchenvald, on mourait beaucoup à l'intérieur des camps de Buchenvald mais les SS ne rentraient jamais à l'intérieur des camps. Tout était confié à la direction de Marcel Paul et de ses kapos.

    Ne parlons pas de Buchenvald, parlons de Boudarel. Lui, sur quoi va porter l'accusation ?
    - Je ne veux pas dire que c'est le procès de Boudarel...

    - Le procès que vous allez faire, c'est celui des camps, le procès des méthodes communistes contre les prisonniers français en Indochine ?
    - C'est ça, avec probablement le cas particulier de kapos d'origine française, de commissaires politiques d'origine française, qui certainement ont été amnistiés par la loi française, comprenne qui pourra ... Cela désormais appartient à l'histoire.

    - Donc, c'est un procès historique. 
    - C'est le procès historique du camp 113. Parce que c'est un camp d'extermination dans la pratique. Alors on dira : mais ils ne mouraient pas fusillés, torturés, ils mouraient comme on mourait à Auschwitz. Ils mouraient comme l'on mourait dans d'autres camps du goulag ou ailleurs. Ils mouraient de faim, de privations, de dysenterie, dans les conditions les plus atroces qui soient, c'est-à-dire attachés à des pieux, dans ce qu'on a appelé la cage aux buffles.

    - La cage aux buffles, c'était quoi ? Une punition ?
    - Une punition pour ceux qui ont fait une tentative d'évasion. Ils sont attachés, pieds et mains liés, dans la fange des buffles, dans leurs propres déjections, dans l'horreur des moustiques qui les piquent sans cesse. Les insectes qui les dévorent et, lorsqu'ils ne peuvent plus remuer, des rats qui terminent le travail. II n'y a peut-être pas ce qu'on a appelé une extermination scientifique d'Auschwitz par le biais de procédés tels que la chambre à gaz. Mais c'est un mode d'extermination, selon le colonel Weinberger - colonel juif rescapé, qui a connu à la fois Auschwitz et les camps d'Indochine, il y a des gens comme ça qui ont toutes les chances dans la vie. Au moins, dit-il, dans les camps de concentration du nazisme, on ne m'obligeait pas à chanter dehors le Horst. Wessel Lied et à crier «Vive Hitler». Tandis que dans les camps du Viêt-minh on m'obligeait à chanter l'Internationale et proclamer la gloire de Staline et de l'oncle Ho.

    - C'est donc le lavage de cerveau et l'humiliation systématique sous la contrainte.
    - Voilà. Celui qui répondait favorablement aux interrogations de Boudarel était placé sur une liste de libérables.

    - C'est donc l'incitation à la trahison systématique
    - Et à la délation. Toutes formes de persécution morale. Le général de Lattre a dit: « Non seulement ils voulaient nous exterminer mais ils voulaient nous voler notre âme. » Les soldats français, emprisonnés dans les camps nazis, on ne leur lavait pas le cerveau et on ne leur promettait pas la liberté ou des punitions selon qu'ils adoptaient ou non les thèses nazies, Tandis que dans les camps du Vietnam, avec des commissaires politiques français, si vous avez votre cerveau bien lavé vous n'avez pas de punitions et vous êtes libérable. Si vous nous résistez, on vous punit et on vous met aux buffles.

    - B A, nous allons quitter un peu l'Indochine puisque le problème finalement, c'est la pédagogie de l'histoire. Dans le procès Papon, on parle aussi de la guerre d'Algérie en présentant notamment un épisode secondaire qui est la manifestation du 17 octobre 1961 comme une répression policière épouvantable au détriment des pauvres manifestants pacifiques du FLN. Alors je voudrais que vous fassiez un peu d'histoire de la guerre d'Algérie puisqu'il s'agit de faire de la pédagogie.
    - Ce qui est extraordinaire, c'est que la France ne vit plus que sur le passé, ce qui est le propre des pays en déclin. L'actualité, c'est le passé, et ça c'est tout de même grave. Et voilà pourquoi d'ailleurs je me bats aussi sur le passé. Certains de mes amis me disent :
    « Mais ne parle pas de tout ça, c'est fini ». Non, ce n'est pas fini ! L'adversaire nous impose de ne parler que sur ce qui est apparemment révolu. Allons-y. L'actualité aujourd'hui, c'est l'ignominie des massacres en Algérie, des enfants coupés en morceaux, décapités, les femmes éventrées avec leurs enfants dans le ventre, les jeunes filles emmenées pour servir à des mariages qualifiés d'islamistes, etc. C'est une horreur quotidienne en Algérie qui nous renvoie à Mélouza, à la pratique du FLN ...

    - Mélouza, tous les lecteurs ne savent pas, il faut nous le dire ...
    - Mélouza, effroyable massacre parmi d'autres commis par le FLN contre un village qui était suspect de n'être pas sensible à sa propagande et où furent en une seule nuit exterminés plus de quatre cents femmes et enfants, violés, décapités et coupés en morceaux. Exactement ce que nous avons tous les jours. Quand aujourd'hui les Vidal-Naquet et consorts osent nous ressortir la répression de la police française en 1961, il faut rappeler que c'était une répression contre une manifestation encadrée par les tueurs, par les tortionnaires du FLN qui torturaient dans les pires conditions, car faut-il aujourd'hui, il le faudrait probablement, réactualiser les photos de nos soldats que l'on découpait vivants, que l'on empalait. Toutes les horreurs qui sont celles, il faut bien le dire - est-ce du racisme que de dire cela? - d'une atroce culture tout de même.

    - On dit qu'en octobre 1961, c'était à Paris, que ce n'étaient pas les mêmes, que c'étaient de braves gens.
    Ce qui sous-entendrait que les Algériens qui viennent en France deviennent radicalement différents de ce qu'ils sont en Algérie? Je constate, moi, qu'il y a une réalité de règlements de comptes parfaitement terrifiante dans ...

    - Il y avait du racket, il y avait des assassinats en France ?
    - En France, racket, assassinats, tortures, comme il y en avait en Algérie. Et aujourd'hui on peut craindre, car la population est tout de même la même avec les mêmes clivages, que ce qui se passe en Algérie ne soit transporté en France. Parce que quatre millions, ou deux millions pardon, d'Algériens de France sont différents de dix millions d'Algériens en Algérie.

    - En particulier, on dit aujourd'hui que les Algériens qui viennent se réfugier en France sont des progressistes du FLN ...
    - En France, je peux vous signaler le cas de Danielle Minne qui est venue se réfugier en France. On l'a même reçue à l'Université de Toulouse-Mirail. Danielle Minne, ce n'est pas une Algérienne d'origine, mais une Française qui a épousé un chef de villaya. Danielle Minne est l'auteur de l'attentat de l'Automatic à Alger qui, en 1957, entraîna la mort de sept personnes dont quatre enfants et soixante-sept blessés amputés à vie. Danielle Minne est accueillie aujourd'hui à l'Université de Toulouse-Mirail. Je pose la question : est-ce qu'on accueillerait, dans n'importe quelle université française, un terroriste palestinien, auteur d'un attentat qui, à Tel-Aviv, aurait coûté la mort de sept personnes dont quatre enfants, et de soixante-sept blessés ? Je pose la question : cela est-il possible, imaginable un seul instant ? Alors, pourquoi est-ce qu'on accueille Danielle Minne à l'université de Toulouse ?

    - D'autres disent : c'est vrai, il y a de graves exactions, mais le FNL, c'est le moindre mal, parce que, quand même, ça peut représenter le progrès contre les islamistes. Que répondez-vous à cela ?
    - Cela est parfaitement dérisoire parce que la différence entre islam et islamisme c'est un truc d'intellectuel occidental, parce que la réalité c'est que nul ne sait en Algérie qui assassine qui, nul ne sait en Algérie qui commet les massacres, en tous cas ces massacres sont exécutés, sont ordonnés par des gens qui travaillent à quelques centaines de mètres des postes de l'armée algérienne, nous savons bien là qu'il s'agit d'une atroce affaire de règlements de comptes.

    - Dès le départ, les islamistes et le FLN sont ensemble depuis les accords de la Souma ?
    - Bien entendu. Dès 1954, islamistes, extrémistes et terroristes extrémistes se conjuguent dans le FLN.

    - Qui a intérêt, qui est derrière cette entreprise, aussi bien dans le procès Papon, concernant les années dites les plus sombres etc, que sur l'Indochine ou que sur l'Algérie ? Quelle est la vérité sur les menteurs, en quelque sorte ?
    - En réalité, je crois que nous nous heurtons à une pulsion masochiste puissante de haine anti-française. Nous sommes à cette fin du XXe siècle dans un combat entre une vision réaliste saine et l'adversaire antinational. La Providence fait que l'humanité est ordonnée en nations dont on peut espérer de l'harmonie, de la complémentarité. Et puis une vision de haine contre cet édifice national et on peut dire qu'aujourd'hui on tient à essayer dans notre pays particulièrement, parce que c'est la nation par excellence, à éradiquer tout ce qui tendrait à conserver cette nation.

    - Donc, en clair, c'est le mondialisme. Dans ce mondialisme, est-ce qu'on peut dire ou est-ce que je me trompe, qu'il y a une convergence d'intérêts entre un communisme qui n'est pas mort et un appareil américain qui a ses propres vues.
    - Cela est ancien et c'est une invite au travail car cela fait longtemps que la ténébreuse alliance existe entre le capitalisme apatride et le socialisme international. Je pense que, dès le départ de la hideuse révolution d'octobre, un certain nombre de forces ont penché pour, non pas peut-être une alliance, non pas peut-être pour un soutien, mais en tout cas pour une recherche de communauté d'intérêts avec elle. Ce qu'il faut voir, c'est qu'il y a eu dans l'histoire du communisme, une rupture avec Staline. Avec Staline, c'est l'opposition entre la IVe et la IIIe internationale. Staline à Trotsky. Mais aujourd'hui nous en sommes revenus au communisme léniniste, c'est-à-dire anti-stalinien. C'est cela qu'il faut bien comprendre. Et sous le couvert du soi-disant antiracisme, qui établit une dialectique de substitution à la dialectique de la lutte des classes, on établit en réalité une dialectique de haine entre les partisans de la vieille révolution bolchevique et ceux qui demeurent attachés aux réalités des légitimes préférences, culturelles, familiales, patriotiques. Ce que l'on appelle l'antiracisme aujourd'hui, c'est la haine du réel. Bernard-Henri Lévy nous aide à comprendre cela qui, dans son livre L'idéologie française, jette un grand cri de haine, nihiliste, contre le réel. Il n'aime rien de ce que nous aimons. Donc il faut bien comprendre que, sous le vocable d'antiracisme se cache un formidable cri de haine contre l'être. C'est là que la politique débouche sur la métapolitique, débouche finalement sur un au-delà qui est philosophique, qui est religieux, qui est mystique.

    Propos recueillis par M P National Hebdo du 30 octobre au 5 novembre 1997

  • Alain Toulza : « Le nouvel ordre mondial sexuel exerce un véritable terrorisme »

    RIVAROL: Alain Toulza, diplômé de Sciences Politiques, vous avez été conseiller technique auprès du ministre sénégalais de l'Enseignement supérieur puis, en France, du président du Comité national d'évaluation de la recherche. Père de famille nombreuse, vous avez fondé en 1995 le Comité d'initiatives pour la Dignité humaine, l'une des associations appelant à la Marche pour la Vie du 11 octobre, et vous présidez depuis 2004 le collectif « Oui à la famille, non à l'homofolie ». Le livre majeur que vous venez de publier, Le meilleur des mondes sexuels (1) dénonce le « nouvel ordre mondial de la sexualité » sur lequel vous avez travaillé trois ans durant. Comment vous est venue l'idée de cette étude exhaustive ?
    Alain Toulza : De nombreux ouvrages ont été consacrés, depuis quelques années, à tel ou tel autre aspect de l'évolution des mœurs dans le monde occidental. Hormis L'histoire de la volonté de perversion des mœurs et de l'intelligence, de François-Marie Algoud, volumineux inventaire chronologique des faits et propos concourant à une tentative multiséculaire de destruction de la foi et de la moralité chrétiennes, ces études, dont le mérite est indéniable, offrent cependant l'inconvénient de présenter cette évolution comme une série fragmentée de faits de sociétés plus ou moins indépendants les uns des autres.
    Or, il m'est apparu que, loin d'être des épiphénomènes circonstanciels d'une mutation incontrôlable de la société, les dérives que nous connaissons en matière de vie sexuelle et de normes propres à la construction de l'amour procréateur s'ordonnent autour d'un schéma destructeur de ce que nous qualifions de « culture de vie ». En ce sens, elles constituent ce que je dénomme un « nouvel ordre mondial de la sexualité ». Mon ouvrage, structuré en deux tomes, répond à la nécessité de mettre en évidence les liens organiques entre les différentes formes de ces bouleversements moraux, sociaux et biotechnologiques, et leur fil conducteur d'ordre idéologique.
    R : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la façon dont ce courant dévastateur a imprégné le monde occidental ?
    A. T. : Il est difficile de résumer en quelques lignes ce qui fait l'objet de trois des quatre chapitres du premier tome, intitulé Le meilleur des mondes sexuels. Pour faire court, je dirai que le fil conducteur peut être repéré à partir du milieu du XIXe siècle et suivi à travers les étapes du combat féministe dans le monde occidental. L' évolution du statut de la femme est à l'origine de la révolution sexuelle, qui détermine elle-même les transgressions révolutionnaires en matière de structure familiale et de procréation. Même le phénomène de l'homosexualité est hérité de cette sorte de transformisme de l'idéologie féministe initiale, ainsi qu'il est démontré dans ce premier livre. Mais le mouvement féministe n'aurait jamais connu l'ampleur qui en a fait le fer de lance d'une révolution mondiale en cours s'il n'avait été alimenté et soutenu par des philosophies et quelques doctrines anthropologiques telles que le darwinisme, le malthusianisme, le « nouvel âge » et la franc-maçonnerie entre autres. L'intérêt de cette enquête est de montrer les convergences et les articulations entre ces divers courants, ainsi que les complicités politiques, nationales et internationales, et les outils scientifiques dont disposent les artificiers de la révolution mondiale de la sexualité.
    R. : De plus en plus, les philosophies mortifères que vous dénoncez deviennent des modes, que les peuples du monde entier suivent aveuglément. Pouvez-vous nous expliquer cet alignement ?
    A. T. ; Il est vrai que les modes sexuelles occidentales tendent à se répandre dans les autres continents, du moins au niveau de la jeunesse urbaine, surtout "dorée", des peuples qui composent le tiers-monde. Mais à un degré encore très modéré. Comment expliquer ce phénomène sinon, pour une large part (Afrique, Japon, par exemple), par la déperdition de la foi ancestrale et des valeurs qu'elle véhiculait, comme dans l'Occident chrétien ? Ajoutons-y, au plan de la contraception et de l'avortement, les campagnes massives et totalitaires du Planning familial international orchestrées par les séides des organismes internationaux. Cela sera rappelé dans le second livre à paraître. Le grand affrontement, lequel montrera également le rôle majeur joué en ce sens par la pornographie, dont le principal outil, aujourd'hui, est l'internet.
    R : Du noyautage du courant féministe originel par des intellectuelles lesbiennes nord-américaines à la structuration du mouvement homosexuel en une communauté internationale suractive et faiseuse de lois, un pas de géant a été accompli en trois décennies. Comment cela a-t-il pu se produire sans que le monde politique ait tenté de réagir et sans ruptures internes au sein de cette mouvance communautariste ? Le sida a-t-il joué un rôle fédérateur à cet égard ?
    A. T. : C'est qu'au contraire de certaines sociétés anciennes dans lesquelles l'homosexualité a été, quoi qu'on en prétende, largement contenue, à un moment de leur histoire, par une incapacité à se justifier, le mouvement homosexuel des temps modernes s'est taillé une dimension sociale spectaculaire à partir d'une théorisation de sa prétendue légitimité.
    Dans un chapitre que j'ai voulu fortement argumenté, j'ai tenté d'exposer de façon accessible la doctrine "queer" (mot anglais signifiant à l'origine bizarre), fondement idéologique du concept d'orientations sexuelles, dans ses méandres parfois contradictoires, et la théorie du "gender" qu'elle a conçue. Il faut bien voir que cette doctrine a été servie par des intellectuels de rang universitaire occupant parfois des chaires de prestige, en France comme en Amérique du Nord, et qu'elle a, aujourd'hui, rang de cité dans les structures de l'enseignement supérieur et de la recherche du monde occidental. D'où le terrorisme mental qu'elle exerce sur nombre de politiciens et le crédit dont elle bénéficie dans les media appointés. Ce qui interdit la divulgation des débats internes à la communauté homosexuelle. Ajoutons que le sida a joué, et joue encore, une mission de dictature de la compassion qui prive le public réticent de toute capacité de réaction.
    R. : Vous démontrez que l'homosexualité n'était pas la règle en Grèce et dans la Rome antique (le prétexte de la guerre de Troie fut l'amour de Pâris non pour un éphèbe mais pour la belle Hélène) et qu'elle n'était guère pratiquée que dans les hautes classes, ce qui a d'ailleurs conduit à la décadence de Rome. Quel est, à l'époque présente, le rôle des massmedia et/ou d'internet d'une part et de l'Education nationale d'autre part, dans sa diffusion actuelle à travers toute la société, y compris l'armée puisque l'on a appris à l'occasion de sa mort que l'un des sous-officiers paras servant en Afghanistan était pacsé avec un camarade ?
    A. T. : Je ne démontre pas, je ne fais que rappeler ce que d'éminents universitaires, qui sont des références internationales en matière de culture et de civilisation hellénique ou romaine, ont largement prouvé documents irréfutables à l'appui - et que les auteurs les plus cités (du monde romain notamment) confirment : l'homosexualité était très limitée et méprisée dans ces deux civilisations, c'était la pédophilie qui régnait, mais au niveau de certaines castes dominantes. L'amour était massivement hétérosexuel (v. Ovide, par exemple).
    Cependant et selon le précepte « le poisson pourrit par la tête », la dégradation des mœurs dans ces hautes sphères a précipité le déclin de leur empire.
    Vous avez raison de souligner, comparativement, que parmi les facteurs nouveaux d'expansion de l'homosexualité, les media et le monde de la pseudo-éducation dite nationale occupent une place d'importance. Il y a, dans le premier tome, des sections majeures sur ce sujet, mais le second tome développera leur rôle néfaste en matière d'incitation à la perversion des mœurs au sens le plus large du terme.
    R. : Vous avez esquissé, dans Le meilleur des mondes sexuels, quelques conséquences qu'entraîne déjà cette libéralisation des mœurs mais vous laissez entendre qu'à terme, ce qui constitue aujourd'hui une véritable tentative de subversion révolutionnaire risque de produire des effets encore plus désastreux que la domination marxiste il y a peu. Pouvez-vous nous en dire plus ?
    A. T. : J'ai déjà, dans ce premier tome, montré les dégâts résultant de l'emprise du modèle des « familles recomposées » qui ne sont jamais que l'illustration de l'amour décomposé. Et j'y ai longuement traité de la perspective effrayante qu'ouvre l'utilisation démoniaque (n'ayons pas peur des mots) des techniques de manipulation biologique au profit, à la fois, des ambitions folles des chercheurs et des exigences de la libération sexuelle déconnectée de la dimension naturelle de l'amour et de la procréation. Le grand affrontement montrera comment s'opère l'anesthésie des mentalités et l'inversion des valeurs au moyen des technologies de destruction mentale (pornographie, pédophilie, prostitution, drogue, internet, medias) des structures et appareils politiques, et des courants idéologiques venant d'horizons parfois surprenants. S'il n'y a évidemment pas de chef d'orchestre (sinon le Malin, bien entendu), l'évidence s'impose d'une volonté convergente de nombre d'acteurs d'instaurer un monde nouveau construit non seulement hors de Dieu comme le marxisme, mais en outre sur les décombres des lois naturelles qu'Il a posées.
    R. : Voilà un constat bien inquiétant; il pourrait démoraliser plus d'un de nos amis et susciter parmi eux une tendance à la démobilisation. N'y a-t-il pas, dans votre ouvrage, un message d'espoir ? Que pouvons-nous opposer à cette monumentale entreprise de déstructuration morale et sociale ?
    A. T. : Nous avons pour nous l'Espérance. Le chapitre final du deuxième tome (Le grand affrontement) est entièrement consacré à l'organisation de la résistance et de la contre-offensive. Gardons-nous de sous-évaluer, dans notre subconscient, les armes spirituelles mises à notre portée.
    Cette lutte est celle des deux étendards et nous savons, depuis saint Ignace, comment conduire pareil combat. Mais nous disposons aussi de pas mal d'armes temporelles : politiques, associatives, juridiques, éducatives, médiatiques (sachons, à notre tour, utiliser l'internet mais pour la bonne cause). Tout cela est largement exposé dans ce chapitre, dont la note ultime est en référence à cette parole du Christ : « mais, n'ayez pas peur, j'ai vaincu le monde ».
    Propos recueillis par Jacques LANGLOIS. Rivarol 19 SEPTEMBRE 2008
    (1) On peut se procurer l'ouvrage de M. Toulza (348 pages avec annexes et préface de Denis Sureau). 25 euros + frais de port) soit auprès de Duquesne Diffusion, soit aux éditions de Chiré, soit auprès de l'association PMN, 20 rue Louis Blanc, 75010 Paris.

  • Retour sur le congrès de la Licra : entretien avec Gérald Pichon

    PARIS (NOVOpress) – La plus vieille association antiraciste, la Licra, avait décidé de mettre au cœur de son dernier congrès le racisme anti-blancs. Nous avons demandé à Gérald Pichon, l’auteur de Sale Blanc (dont la vidéo promotion a dépassé les 30.000 vues) de nous livrer son analyse sur ce congrès.

    Gérald Pichon, le congrès de la Licra vient d’avoir lieu. Au programme une nouvelle donne, notamment quant au combat de cet organisme antiraciste contre le racisme anti-blancs ? Pour Novopress, vous aviez analysé les raisons de l’apparition de cette réalité au cœur du combat de la Licra. Au vu du congrès, votre analyse s’est-elle confirmée ?
    Mon analyse a été confirmée car la Licra s’est emparé de ce thème afin de mieux le minorer. Son président, Alain Jakubowicz, a évoqué dans son discours l’existence du « phénomène » du racisme anti-blancs avant de s’empresser d’ajouter « qu’il n’a pas la même ampleur et ne relève pas des mêmes mécanismes que le racisme au sens où nous l’entendons habituellement. » Le thème de mon livre Sale Blanc ! Chronique d’une haine qui n’existe pas est que pendant une trentaine d’années l’Etat et les associations subventionnées pour lutter contre le racisme n’ont pas entendu ou n’ont pas voulu entendre le cri des victimes de la haine antiblanche. La chape de plomb autour de ce tabou ayant cédé et devant le caractère massif des violences à l’égard des Français de souche, la Licra fait un timide pas en avant en évoquant « une nouvelle donne » du combat antiraciste. Mais rien dans son programme ne laisse supposer que les choses vont changer. A mon avis, la Licra pense qu’en évoquant ce sujet le soufflet va retomber.

    Vous dites qu’après avoir surfé sur la vague médiatique du racisme anti-blancs, le président de la Licra  semble la minorer, e st-ce là encore une discrimination à l’égard de ceux qui sont les premières victimes des haines raciales en France, les Français de souche ?
    Selon moi, ils pensent sincèrement que les premières victimes de la haine raciale en France sont les extra-Européens. Ce n’est donc pas une discrimination à l’égard des Français de souche mais une prise de conscience partielle de la réalité de la France en 2013. Il faut analyser la composition de la direction des associations antiracistes et de leurs membres. Pour simplifier, on voit le plus souvent des personnes âgées et des professeurs à la retraite dont le logiciel idéologique est hérité du combat pour la décolonisation et ayant milité toute leur vie pour lutter contre le Raciste, c’est à dire l’affreux mâle blanc. J’ai assisté, il y a quelques semaines, à une réunion du MRAP sur le racisme antiblancs et j’ai écouté attentivement les différents intervenants. J’ai appris une chose : le Blanc est forcément le Dominant, même s’il est plus pauvre qu’un extra-Européen, et forcément le Raciste, même s’il est victime de coups ou d’insultes à caractère racial. La deuxième chose que j’ai retenue, c’est que le conflit israélo-palestinien crée une véritable ligne de cassure au sein des associations antiracistes. Chaque communauté essayait à mot couvert de ramener la couverture de l’antiracisme à soi. Il n’est donc pas étonnant que la Licra essaie de faire de même avec le racisme antiblancs.

    Tout compte fait, La Licra n’est-elle pas toujours fidèle à sa ligne, en réduisant ce racisme à l’antisémitisme ?
    Je crois surtout que la Licra a pris conscience de la montée des tensions communautaires en France et qu’elle s’évertue à trouver des alliés. J’ai l’impression qu’on assiste à une veillée d’arme, du tous contre tous, « minorités visibles » contre « feujs », « minorités visibles » contre « majorité visible »… La vanne de gaz est percée et il suffit d’une étincelle pour que la déflagration souffle des quartiers entiers comme en 2005.

    http://fr.novopress.info

  • Jacques Sapir : « L’Italie se prépare à des semaines très difficiles »

    Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’économiste Jacques Sapir est un partisan déclaré d’une « dissolution concertée » de la zone euro.

    Quel est le risque majeur qui pèse sur l’économie italienne ?

    On voit très bien qu’on assiste désormais à une contraction du crédit (un « credit crunch ») qui menace pratiquement un tiers des PME italiennes de cessation d’activité. La Confindustria (NDLR : l’organisation patronale italienne) le dit depuis plusieurs semaines et ce n’est pas une exagération.


    L’Italie se retrouve coincée par l’effet conjugué de l’effondrement de sa compétitivité, la chute de sa demande intérieure et l’absence de ressources pour faire de l’investissement. Avec une contraction du crédit de l’ordre de 4,5 % sur douze mois, cela veut dire que l’augmentation du nombre des mauvais payeurs va se traduire par une explosion des créances douteuses dans les bilans bancaires.

    En quoi la décision du gouvernement Monti de rembourser 40 milliards d’euros d’arriérés de dettes de l’administration peut améliorer la situation ?

    L’administration italienne l’a déjà fait par le passé. Cela a permis d’améliorer fictivement les comptes de l’Italie. Mais ce n’est pas la même chose de rembourser de 5 à 10 milliards d’euros d’arriérés de dettes et 40 milliards. Il va falloir laisser filer le déficit qui sera sans doute à 3,3 % du PIB en 2013. A Bruxelles, on conçoit bien que le pire serait un effondrement de l’économie italienne. Le problème est que lorsque l’Etat devient mauvais payeur, les acteurs économiques le deviennent aussi vis-à-vis de l’Etat. Le problème va se poser maintenant pour le successeur de Mario Monti. L’Italie se prépare à des semaines très difficiles. Elle n’est pas près de sortir de la récession, avec un recul probable du PIB de – 1,5 % à – 2 % pour 2013.

    Quelle a été l’erreur majeure du gouvernement Monti ?

    Le problème est que l’on ne peut pas s’attaquer à la fraude fiscale sans redonner de la liquidité aux entreprises. Il faut redonner aux entreprises ce qui a été prélevé, soit par une politique du crédit très laxiste, soit par un choc de compétitivité. Si on veut lutter contre l’économie souterraine, il faut en même temps redonner de la liquidité aux petites entreprises pour leur permettre de revenir dans la légalité. Or Mario Monti a fermé tous les robinets. Son erreur a été de penser que l’on peut prélever de 40 à 50 milliards d’euros par an sur une économie sans effets pervers au niveau de l’activité économique. Or on ne peut à la fois appuyer sur le frein, utiliser le frein moteur et le frein à main.

    Les Echos   http://fortune.fdesouche.com

  • Yves-Marie Laulan : « Nous vivons sur un volcan démographique qui va faire éruption »

    Démographe, économiste et géopoliticien, Yves-Marie Laulan met en garde contre les risques d'une substitution de population, conséquence de l'immigration massive que subit la France depuis 30 ans.
    Monde et Vie : Une étude récente de Didier Raoult, corroborant le discours politiquement correct qui veut que la France soit traditionnellement une terre d'immigration, prétend montrer que les « Français de souche » n'existent pas. En réalité, de quand datent les grandes vagues d'immigration en France ?
    Yves-Marie Laulan : La population française est restée relativement homogène au cours des dix derniers siècles,. Il existait, certes, des populations régionales diverses, mais elles restaient homogènes, car les communications étaient plus difficiles : on épousait un conjoint issu de la même région, voire du même village.
    Au lendemain de la Première Guerre mondiale arriva une vague d'immigrants polonais et italiens qui venaient travailler dans les mines, mais ces apports restèrent encore marginaux. Une immigration espagnole s'installa à son tour en France après la Deuxième Guerre mondiale, mais il s'agissait encore d'un saupoudrage plutôt que d'une inondation.
    Tout a changé voilà 30 ans, avec l'entrée massive sur le territoire français de populations en provenance du Maghreb, de Turquie (le nombre d'immigrants issus de ce pays n'est cependant pas énorme) et d'Afrique noire, cette dernière immigration représentant environ 2,5 millions de personnes.
    Faute de statistiques, puisqu'elles ne sont pas autorisées, on peut estimer aujourd'hui l'importance de la population issue de cette immigration massive entre 7 et 8 millions de personnes, mais elle grossit à vue d'œil en raison d'une fécondité naturelle deux à trois fois plus élevée que celle des Françaises « de souche ». Quand ces dernières ont 1,6 ou 1,7 enfant par femme (chiffre très proche de celle des Britanniques), les maghrébines en ont en moyenne 2,7 et les Africaines, 4,2 enfants. (Leur fécondité est supérieure à celle de leurs sœurs restées au pays, ce qui s'explique notamment par la générosité de notre système d'allocations familiales.)
    Le bon taux de natalité de la France, dont nos politiques se félicitent volontiers, est donc gonflé par l'immigration...
    Sans doute. Selon l'Insee, sur 5 enfants naissant en France, 1,5 à 2 sont d'origine immigrée. En 2008, sur 810 000 naissances recensées en France métropolitaine, 165 000 concernaient des enfants d'origine immigrée et cette proportion a sans doute augmenté depuis. Les statistiques scolaires confirment cet impact : les enfants issus de l'immigration représentaient 12 % des effectifs voilà dix ans, 16 % voici quelques années et 18 % aujourd'hui. Par conséquent, 20 % de la population est, ou sera bientôt, d'origine immigrée. Nous assistons à un véritable phénomène de substitution de population, qui engendrera un fantastique changement, dans tous les domaines, sociaux, religieux, et politique puisque cette population voudra bien sûr être représentée. C'est un tsunami démographique, que la France ne fait rien pour endiguer. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le nombre des entrées a été compris entre 200 000 et 250 000 personnes par an. Sur 10 ans, cela représente une augmentation de la population immigrée de 2,5 millions d'individus, sans compter le croît naturel par les naissances, qui se situe autour de 170 000 par an! Nous vivons sur un volcan démographique qui va faire éruption.
    Comment expliquer la passivité des Français face à cette situation ?
    Les médias opposent un véritable mur invisible à ce genre d'informations et l'Insee, aux mains d'idéologues de l’immigrationisme, fournit aussi aux Français des informations fausses. Une fantastique entreprise de désinformation s'est ainsi mise en route. Par ailleurs, l'allongement de la durée de vie et le vieillissement de la population masquent encore, pour l'instant, ce phénomène de substitution de population. Les Français de souche âgés font encore nombre, mais ce nombre est naturellement appelé à se réduire...
    Seul le Front national a tiré la sonnette d'alarme, mais son message, parfois maladroit, passe mal. Les dirigeants des autres partis politiques, comme Chirac, puis Sarkozy et aujourd'hui Hollande, se contentent d'encourager le métissage. Le problème qui va rapidement se poser ne tient cependant pas à la couleur de peau, mais au niveau culturel des immigrés et à leur nombre. On trouve évidemment des gens très bien parmi les immigrés, mais c'est le nombre qui pose problème, pas les individus.
    Existe-t-il une solution ?
    Elle exigerait de limiter drastiquement l'immigration par l'instauration de quotas ajustés aux besoins de la France (50 000 à 100 000 entrées annuelles) et à faire un réel effort d'intégration des populations d'origine immigrée présentes sur notre sol.
    Ce sera d'autant plus difficile que la France entre dans une période de vaches maigres ; or l'intégration a un coût... Où les gouvernants trouveront-ils l'argent, sinon dans les poches des Français de souche? Mais chaque année, 150 000 de ces derniers s'exilent déjà...
    Ces solutions ne suffiront d'ailleurs pas à changer la donne si l'on ne parvient pas à doper la natalité des jeunes françaises de souche, notamment en réformant en profondeur notre politique familiale, qui, aujourd'hui, profite essentiellement aux Africaines ; et si, parallèlement, on ne modifie pas les conditions d'acquisition de la nationalité française par le mariage.
    Faut-il redouter, à terme, un éclatement de la France ?
    Je crois plutôt à une forme de guerre civile larvée, dont nous avons vu les prodromes en 2005 et qui se dessine aujourd'hui à Marseille, où une élue socialiste a conseillé de faire appel à l'Armée contre les trafiquants des cités. Nous risquons d'entrer ainsi dans une période de turbulences internes qui se traduiront par des assassinats, des rackets, des injustices et des passe-droits.
    Ce scénario est valable si l'on tarit le courant migratoire ; sinon, les perspectives risquent d'être encore plus sombres.
    Propos recueillis par Jean-Pierre Nomen monde & vie 8 septembre 2012

  • « S'il n'y a pas de souveraineté politique, il n'y a pas de nation »

    Mai 68 vient d'avoir lieu. Michel Pinton, polytechnicien, rencontre Valéry Giscard d'Estaing. Le trentenaire voit en l'ancien ministre des Finances une « forme rajeunie du gaullisme » (1). En 1974, il sera de ceux qui le porteront à l'Elysée. A la création de l'UDF, en 1978, il en devient le secrétaire général. Michel Pinton, qui a aussi été député européen, est aujourd'hui maire de Felletin (Creuse). Ce conservateur souverainiste et catholique, qui n'est pas sans rappeler Jean Jaurès, se bat contre les effets de la mondialisation et contre « l'idéologie européiste » (2).

    ☟Le Choc du mois: A la suite de quels désaccords vous êtes-vous séparé de Valéry Giscard d'Estaing ?
    ☝ Michel Pinton : Ce qui a provoqué la rupture entre nous, c'est la différence croissante de nos visions du monde après la chute du mur de Berlin et la signature du traité de Maastricht. Pour vite résumer les choses, je dirais que Giscard a tiré de l'effondrement du communisme et de la marche vers la monnaie unique une idée principale, à savoir qu'il fallait que l'Europe s'unisse, et même, plus encore, qu'elle « s'approfondisse », comme on disait à l'époque. Il mettait toute sa foi dans une sorte de fusion entre la France et l'Allemagne et la création d'une fédération supranationale entre ces deux pays, ce qui me semblait une mauvaise analyse de la situation mondiale et européenne. Je pensais que la chute du mur de Berlin démontrait au contraire que cet élargissement de l'Europe devait aller de pair avec la diversité des choix, et que si l'on cherchait à mettre de force tous les peuples dans le même carcan, cela ne marcherait pas.
    Notre rupture pratique est donc venue au moment du traité de Maastricht et de nos divergences sur ce que devait être le devenir de l'Europe : il était naturellement un chaud partisan de l'euro, dans lequel il voyait un instrument essentiel pour faire de l'Europe une unité solide et prospère ; moi j'en avais une vision exactement inverse : celle d'un moule monétaire. Nous nous sommes donc séparés à ce moment-là, et en dépit d'une amitié qui demeure, sans aucun doute, vivace entre nous, nos avis sont désormais trop éloignés pour que nous puissions à nouveau travailler ensemble. L'âge qu'il a aujourd'hui, de toute façon, fait que cela n'a plus grande importance.

    « Le pouvoir est ailleurs que dans la volonté du peuple français »

    ☟ Pour quelles raisons êtes-vous si attaché à la souveraineté nationale ?
    ☝ La souveraineté nationale, pour moi, c'est une évidence : s'il n'y a pas de souveraineté politique, il n'y a pas de nation. La souveraineté a été le fondement de la politique française depuis plus de mille ans. Par conséquent, si elle disparaît, il n'y a plus de France, tout simplement. Or, on essaie précisément aujourd'hui de nous mener vers cette voie, consistant à partager notre souveraineté avec d'autres pays voisins. En réalité, on ne partage rien : on ne fait que donner le pouvoir à une technocratie irresponsable. Il ne faut pas s'étonner que cela ne soit pas populaire. Le peuple français voit bien, depuis quinze ans, que ses votes ne servent plus à grand-chose et que le pouvoir est ailleurs que dans sa propre volonté.

    ☟ Vous avez intimement connu Jacques Chirac. Quelles impressions vous a-t-il laissées ?
    ☝ Je l'ai connu en 1968, en même temps que Giscard. Nos rapports personnels ont été bons jusqu'à ce que, comme secrétaire général de l'UDF, je sois conduit à prendre parfois position contre le RPR, ce qui bien sûr ne lui a pas plu. C'est un homme qui a adopté avec l'âge des positions idéologiques qu'il n'avait pas quand il était plus jeune. Il était très sensible, à l'époque, à une certaine forme de réalisme politique, même si par ailleurs son opportunisme n'avait rien de méchant ou d'agressif. Il faisait avant tout ce qu'il fallait pour plaire à l'opinion et être élu. Je ne l'ai jamais connu animé par les préoccupations ultérieures de ses deux mandats présidentiels, lorsque, une fois président, il s'est fait le champion des droits de l'homme, des minorités et de la repentance anti-vichyste. Dans les années 70-80, ces questions ne l'intéressaient même pas.

    ☟ Peut-on considérer que vous êtes un dissident à l'intérieur de la droite française ?
    ☝ Sur certains points, oui, mais il faut savoir exactement ce que l'on entend par la droite. Il y a une droite avec laquelle je ne me suis jamais senti à l'aise, celle qui est européiste, atlantiste, mondialiste, et qui, à mon avis, a renié ses propres racines. Cette droite-là n'a jamais été la mienne. Car c'est aussi une droite qui n'aime pas regarder en face ses propres carences et ses erreurs, et je pense qu'il faut toujours avoir le courage de regarder ses erreurs en face. Par contre, je me sens proche d'une droite qui est avant tout une fibre populaire et une manière de sentir la France.

    « On enferme les peuples européens dans un carcan »

    ☟ Quelles ont été pour vous les fautes politiques principales de Giscard et de Chirac ?
    ☝ La principale faute de Giscard, c'est de ne pas avoir compris - ou plutôt de ne pas avoir voulu comprendre, car il était assez intelligent pour le faire - qu'ayant été élu en 1974 contre Jacques Chaban-Delmas par un électorat populaire de droite, il ne pouvait ensuite passer une bonne partie de son temps à essayer de séduire des partis de gauche en prenant des mesures que son électorat ne demandait absolument pas. Son européisme, notamment, qui était très fort, ne correspondait pas du tout aux attentes de ceux qui l'avaient élu. Sa défaite a été pour lui une grande surprise, car il était persuadé que ce qu'il faisait répondait aux désirs des Français, ce qui n'était pas vrai.
    En ce qui concerne Chirac, c'est un peu la même aventure : il a été élu lui aussi par des votes populaires, qui manifestaient une grande méfiance envers l'Union européenne. Il a été élu en 1995, à l'époque de la préparation de l'euro, et il avait promis lors de sa campagne qu'il y aurait un nouveau référendum après celui de 1992 pour l'application de la monnaie unique ; du reste, sa promesse centrale de réduire la fracture sociale impliquait forcément que l'on ne fît pas l'euro. Or, à peine élu, Chirac s'est dépêché de trahir cet électorat et de mener une politique favorable aux intérêts de Bruxelles, ce qu'il a payé très cher, en décembre 1995. en 1997 et en 2005.
    Les deux hommes, en fait, ont commis l'erreur de vouloir s'affranchir de leur électorat. de ne pas tenir les promesses implicites qu'ils lui avaient faites, et de se laisser ainsi attirer par le mirage du centre ou du centre-gauche, qui n'est jamais qu'un faux consensus exalté par une presse en trompe-l'œil.

    ☟ Y a-t-il un centre politique en France, et quel sens donniez-vous à ce mot lorsque vous dirigiez l'UDF ?
    ☝ L'UDF, pour moi, c'était le centre-droit. Le RPR, à mes yeux, devait occuper une place tout à fait à droite : je voyais la vocation de Chirac comme étant en fait proche de ce qui serait ensuite celle de Le Pen. Or, Chirac a déplacé le RPR vers le centre et donc a fait surgir, par contrecoup, le Front national. Mais cette évolution n'était pas écrite à l'avance, loin de là, et la bataille entre le RPR et l'UDF, telle que je la voyais dans les années 80, était une bataille pour la possession de la droite populaire. Je ne pensais, pas non plus que l'UDF pût s'élargir depuis le centre-droit vers le centre-gauche. Cela a du reste été impossible : Giscard s'est heurté à l'union de la gauche. Il y a bien un électorat centriste en France, mais il est minoritaire : vous le retrouvez aujourd'hui dans les 7 % de François Bayrou en 2002 et au premier tour des dernières législatives.

    ☟ Pour quelles raisons êtes-vous devenu, vous le fondateur d'un parti qui se veut européiste, un adversaire déterminé de la construction européenne ?
    ☝ Je précise que je ne me suis jamais considéré comme un adversaire de l'Europe, mais je suis devenu effectivement un adversaire de l'idéologie européiste à partir du moment où elle a commencé à devenir ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire à partir de 1986 et l'arrivée de Jacques Delors à la tête de la Commission.
    Ma vraie hostilité toutefois ne s'est manifestée qu'avec le traité de Maastricht, en 1992. Le projet d'arrimage du franc au mark qui a abouti à l'euro m'a semblé et me semble toujours néfaste, parce que c'est une contrainte qu'on impose aux peuples de l'Europe. On les enferme clans ce que j'ai appelé un carcan, à partir duquel tout découle : on fait de la monnaie unique le point d'ancrage des politiques économiques. Cela me paraît à la fois une hérésie sur le plan de la doctrine économique et une contrainte très forte appliquée à la vie des peuples.
    Désormais, à cause de cette politique, il n'y a plus d'ajustement possible que par la pression sur les salaires et sur l'emploi.
    C'est une manière de faire que je trouve inhumaine, et qui n'est absolument pas indispensable. Je sais bien qu'elle fait partie des modes actuelles, qui viennent pour l'essentiel des Etats-Unis, mais elle est appliquée avec une rigueur implacable par Bruxelles et par ceux qui nous gouvernent, sans que cela soit justifié par rien de sérieux.

    La nécessité d'un « dialogue fécond entre le temporel et le religieux »

    ☟Vous êtes également très attaché à une certaine forme de collaboration entre l'Etat national et l'Eglise catholique romaine. Pour quelles raisons ?
    ☝ J'ai surtout réfléchi à la signification profonde de la laïcité. Elle existe dans toutes les nations occidentales, en Europe et aux États-Unis : partout, il y a séparation entre l'Eglise et l'Etat. Mais il ne faut pas s'illusionner sur le sens de cette séparation : aujourd'hui, beaucoup veulent faire croire qu'elle signifie coupure. On pense couramment que les convictions religieuses sont seulement une affaire de choix personnel, qui n'ont rien à voir avec la vie publique, laquelle est censée être avant tout dans l'État.
    J'ai essayé de montrer que c'est faux : en réalité, la séparation entre l'Église et l'État signifie qu'il doit y avoir un dialogue permanent entre deux puissances qui ont besoin l'une de l'autre, même si leurs domaines d'activité respectifs sont tout à fait différents. Renvoyer les références religieuses au seul domaine privé est une idée dangereuse parce qu'elle nous conduit à des malentendus voire à des crises. D'autant que la voie vers laquelle nous entraînent la mondialisation et le libéralisme économique est quelque chose qui rend la vie des hommes de plus en plus insupportable : on étouffe dans ce système inhumain et mécanique. il bouscule les hommes, détruit les emplois, met de plus en plus de gens au chômage ou les contraint à une vie trépidante.
    Nous avons ainsi toute une partie de nous-même qui est atrophiée à l'intérieur de ce système ; dès lors le seul moyen que nous avons de vivre comme des êtres humains, c'est d'avoir une ouverture spiritualiste vers autre chose. Les doctrines purement matérialistes du libéralisme ou du communisme ne peuvent pas suffire à diriger un peuple. Cela aboutit à des phénomènes qui nous troublent, et qui sont en effet troublants, parce qu'indices de déséquilibre.
    Je crois donc qu'on ne peut pas comprendre ce qu'est l'homme moderne si l'on ne comprend pas le danger de cette césure entre la vie politico-économique et la vie religieuse. Les deux sont nécessaires. Il ne s'agit pas bien sûr de revenir à une alliance entre l'Église et l'État, qui doivent restés séparés ; mais il faut parvenir à trouver un équilibre qui corresponde au besoin de liberté de l'époque actuelle par un dialogue constructif entre les deux puissances. L'histoire de France d'ailleurs nous apprend que les périodes durant lesquelles la nation est à la fois la plus rayonnante et la plus ordonnée sont celles où il y a ce dialogue fécond entre le temporel et le religieux. À l'inverse, quand les deux puissances se tournent le dos ou se combattent, progressivement, la nation se déchire et entre en déclin.

    « La centralisation administrative est allée beaucoup trop loin »

    ☟ Est-ce au nom de ces convictions que vous avez pris la tête du mouvement qui s'est opposé à l'adoption du Pacs ?
    ☝ Au moment du débat sur le Pacs, j'ai pris la tête d'un mouvement des maires, qui a d'ailleurs été une réussite puisque le gouvernement Jospin a dû renoncer à l'enregistrement des Pacs en mairie. Je l'ai fait au nom de convictions personnelles et républicaines. Mais je me sentais d'autant plus fort que j'avais aussi pour moi à la fois la raison et l'appui des différentes religions qui existent en France, dans la mesure où précisément le dialogue dont je vous parle sur ces matières était clair et aboutissait à une conclusion irréfutable.
    Je pense de même que la perspective du mariage homosexuel vise à introduire un conflit grave entre les deux puissances, dont nous aurons du mal à sortir. La conscience française sera déchirée, ce qui se traduit toujours chez nous par des oppositions politiques, des troubles sociaux, des conflits de toute sorte.
    Le malaise, d'ailleurs, est déjà là et croît de façon perceptible.

    ☟ Vous avez été successivement consultant privé à l'étranger et maire de votre ville natale dans le Limousin, Felletin. Ces deux expériences à l'opposé l'une de l'autre vous ont-elles enseigné des vérités différentes ?
    ☝ Elles m'ont surtout montré les deux faces apparemment contradictoires de notre époque. La carrière privée de consultant que j'ai menée en Europe et aux États-Unis m'a montré la face heureuse de la mondialisation, dont j'ai profité : celle des vastes sujets d'envergure internationale, de l'argent gagné facilement, des contacts multiples avec des gens de tous les pays. Mais, j'en ai vu aussi les limites : les échanges entre personnes s'y bornent à des rapports superficiels.
    Mon expérience publique dans le limousin, elle, m'a montré l'autre face de la mondialisation : celle des tout petits qui sont écrasés par le système, qui subissent la précarité, les bas salaires, la chute des petites entreprises traditionnelles. À Felletin, j'ai dû agir avec les pouvoirs limités du maire, qui n'ont rien à voir avec ceux d'un législateur ou d'un chef d'État, mais j'y ai appris qu'il était faux de croire que le meilleur barrage protecteur aux excès de la mondialisation soit l'État. Cette croyance est une erreur grave, dont témoigne par exemple l'évolution du Royaume-Uni, où Margaret Thatcher a ouvert le pays aux grands vents de la mondialisation avant que Tony Blair poursuive cette politique en tentant de l'équilibrer par un usage beaucoup plus important du rôle de l'État. Or, toutes les statistiques montrent que son succès est très limité. Si en France nous faisons la même chose et continuons à mettre tout notre espoir dans l'Etat, comme le fait notre classe dirigeante depuis vingt ans, nous subirons les mêmes déconvenues parce que cela ne fonctionne pas.
    En réalité, l'État et la mondialisation marchent main dans la main, au détriment de l'homme et de sa liberté. L'État place les individus détruits par le système sous sa tutelle, au moyen d'innombrables subventions qui les privent de toute responsabilité et donc de leur vraie dignité.
    Mon expérience limousine locale m'a prouvé au contraire que la solution se trouve dans la reconstitution de ce que j'appellerais des sociétés intermédiaires, bien compromises aujourd'hui. La commune et la région sont deux d'entre elles, et j'ai essayé de voir comment, même avec des moyens très faibles comme ceux dont dispose ma ville de Felletin, on pouvait très concrètement, sur le plan économique, écologique et social, résister au laminoir de la mondialisation. Et après douze ans d'exercice et de combats quotidiens, je peux dire que la réponse est positive,
    Encore faut-il que l'on puisse quelque peu se dégager de cet engrenage terrible dans lequel nous broie la puissance conjuguée de l'État et de la mondialisation. C'est d'abord une question de volonté de la part de nos dirigeants. Or, nos gouvernements sont très velléitaires, et les moindres ébauches de décentralisation sont toujours compensées par des mesures allant en sens inverse.

    ☟ La plupart des fédéralistes sont européistes et la plupart des souverainistes partisans de la centralisation. Y aurait-il donc un paradoxe Pinton ?
    ☝ Je crois qu'il s'agit d'un faux paradoxe, dans la mesure où la centralisation politique me paraît pour un pays comme la France, quelque chose de nécessaire : c'est la raison pour laquelle je suis un partisan farouche des institutions de la Ve République, et je suis sévère pour notre classe politique qui les a déviées et polluées. Mais la centralisation administrative, elle, est allée beaucoup trop loin et a abouti à cette double dictature de l'État et du marché qui n'est pas une bonne chose pour la société française.
    On a trop tendance à les confondre toutes les deux, ce qui rend le débat politique en France impossible.
     Philippe Marsay le Choc du Mois Juillet 2007
    1. « Je voyais sans doute à l'époque le giscardisme avec une certaine naïveté », nous confie-t-il aujourd'hui, ajoutant : « Les faits ont démontré qu'il y avait là une part d'illusion. »
    2. Michel Pinton vient de publier Le Maire et la Mondialisation, éditions François-Xavier de Guibert, 224 pages, 19 euros.