Intervention de Robert Steuckers lors du 1er Colloque de l'Atelier régional d'Ile-de-France de Synergies Européennes, le 8 mars 1997
On ne peut évaluer la place et l'importance de la Russie dans la tradition diplomatique européenne que sur base des textes existants. Les premiers textes valables pour juger l'émergence de la Russie dans la réalité politique européenne datent de l'époque de Pierre le Grand. Ce Tsar a manifesté durant son règne la volonté de faire de la Russie un Etat organisé à l'européenne, participant pleinement au concert des Etats européens. Cette volonté peut se concrétiser dès l'effondrement de la puissance polono-lithuanienne qui conduira aux partages successifs de la Pologne, achevés tout à la fin du XVIIIième siècle.
Cependant, en dépit de la volonté de Pierre le Grand, la Russie ne se laissera jamais appréhender par les mêmes concepts politiques et géographiques que le reste de l'Europe. Cette différence est due à la qualité, aux dimensions et à l'immensité de son territoire, qui fait charnière entre l'Europe et l'Asie. Dès le départ, dès les premiers textes rédigés en Europe sur la Russie et destinés aux chancelleries, on perçoit la dimension eurasienne de la Russie, malgré la volonté de Pierre le Grand de s'aligner exclusivement sur l'Europe.
Aujourd'hui, les cercles politiques et culturels européens, toutes tendances confondues, font désormais face à une Russie complexe, immense, tout à la fois européenne et asiatique, échappant aux règles des idéologies occidentales. Ils ne font plus face à une URSS à l'idéologie monolithique, parfois plus aisée à comprendre, encore que les arcanes peu déchiffrables de la soviétologie ont souvent induit en erreur des soviétologues patentés comme Alain Besançon ou Hélène Carrère d'Encausse... Récemment, pendant l'été 1993, la presse à sensation de Paris a parlé d'une alliance entre “rouges” et “bruns”, de l'émergence inquiétante d'un bloc “national-communiste”, en embrayant sur des phénomènes somme toute superficiels et sans tenir nullement compte de la longue histoire des rapprochements et des ruptures entre la Russie, d'une part, et les autres puissances européennes, d'autre part. La phobie du complot “rouge-brun” a fait long feu car les connaissances historiques lacunaires des quelques journalistes fort prétentieux et très braillards qui ont déclenché le scandale étaient bien maigres. Leur bricolage n'était qu'un jeu médiatique. Quant à ceux qui se sont déclarés “rouges-bruns” dans la foulée, pour entrer dans le jeu des hystéries médiatiques et faire parler de leurs personnes, on décèle aisément chez eux une volonté d'apparaître comme de “grands scandaleux”, de “grands méchants loups”, additionnant toutes les rigueurs des totalitarismes stalinien et hitlérien de ce XXième siècle.
Pour éviter la répétition malheureuse de telles sensations médiatiques, pour échapper aux hyper-simplifications de la presse parisienne, il m'apparaît nécessaire de retourner à l'histoire de la diplomatie européenne et de voir comment le rapport Europe/Russie est perçu dans les chancelleries et comment il transcende et chevauche les étiquettes de “gauche” et de “droite”. Il convient d'examiner comment les concepts de la géopolitique sont nés il y a près de 300 ans, au départ de réflexions sur l'immensité du territoire russe, ensuite de voir comment ils ont été articulés dès l'époque napoléonienne. Il convient de déceler quelles polarités ont été mises en exergue dans le contexte tourmenté des guerres de la Révolution et de l'Empire, de voir comment les conflits ont été explicités.
Accusé d'avoir fait partie de ce complot “rouge-brun” pour avoir participé à un débat avec Ziouganov, président du PCFR, et Volodine, son ajoint et conseiller, à Moscou en avril 1992, débat portant sur une alternative éthique au néo-libéralisme (!), sur l'œuvre de François Perroux, sur l'anti-utilitarisme, débat retransmis ensuite dans la presse russe (Dyeïnn) et serbe (Duga), j'étais redevable d'une explication, non pas aux ignares de la presse parisienne mais à mes lecteurs et à mes abonnés. Je m'étais déjà expliqué par bribes dans un interview (cf. NdSE n°2; versions portugaise et néerlandaise également disponibles). J'entends, dans cette allocution qui deviendra très prochainement texte, être plus exhaustif. J'avais le devoir d'approfondir la question pour confondre les piteux, médiocres et minables journalistes parisiens du Monde et d'autres gazettes de bas étage qui se sont donnés en spectacle pendant l'été 1993. J'avais le devoir intellectuel de retourner au réel pour réduire à néant les simplifications esthétisantes des néo-droitistes et nationaux-révolutionnaires parisiens, relevant de la même engeance journalistique que leurs adversaires, qui n'ont pas de projets cohérents ni de discours étayés, mais qui aiment à répéter “je suis un grand méchant” ou un “grand-pervers-qui-pense-tout-ce-qui-est-interdit-de-penser”. Afin, bien sûr, de ne plus jamais se laisser embarquer dans un jeu médiatique aussi stérile que celui de l'été 1993.
Les spéculations sur la nature politique et géographique de la Russie commencent dans l'œuvre de Leibniz, qui a cumulé les positions de philosophe, de mathématicien, de conseiller du Prince et de diplomate. Pour la première fois, Leibniz livre à ses lecteurs européens une réflexion politique profonde sur la Russie. Leibniz a forgé des concepts instrumentalisables pour faire face à la nouvelle réalité géographique et politique qui se présentait aux portes de l'Europe. Pierre le Grand venait en effet d'annoncer qu'il ferait de la Russie un Etat européen, participant au concert des nations européennes. En 1669, Leibniz réagit face à la question polonaise. La Pologne, voisine de la Russie, était, avant l'émergence de celle-ci, la puissance la plus “orientale” de l'Europe. Cette Pologne était une “république aristocratique”, tolérante sur le plan religieux, fantaisiste sur le plan culturel et littéraire, brillante dans les arts, fébrile et mobile sur le plan militaire, avec sa cavalerie portée par un “mythe sarmatique”, où l'aristocratie polonaise se décrivait comme la descendante de cavaliers sarmates venus d'Iran, du Caucase et des régions pontiques. La monarchie de cette Pologne était élective. Avant l'élection du nouveau monarque, l'Allemand Leibniz donne son avis: il est alors “russophobe”, se méfie de cet immense pays dont on connaît finalement peu de choses, et espère la défaite du candidat qui a les faveurs de la Moscovie. Sinon, dit-il, le “rempart polonais” qui protège l'Europe va tomber, ce qui amènera les “barbares asiatiques” au centre de notre sous-continent et aux frontières du Reich. Ceci est la première position de Leibniz et elle est anti-russe.
Mais très vite, cette position se juxtaposera à une deuxième: il faut inclure la Russie dans une grande alliance européenne anti-turque («Quid si ergo posset Moscus quoque in anti-turcicum foedus pellici»). En effet, avant sa longue désagrégation, la Pologne était forte. Rappelons l'intervention des troupes de Jan Sobiesky et du Hongrois Janos Hunyadi lors des Croisades anti-ottomanes dans les Balkans et lors de la défense de Vienne aux XVième et XVIième siècles. La Russie de Pierre le Grand devra reprendre à son compte la fonction de cette puissante Pologne de Sobiesky. Telle est la seconde position de Leibniz.
Dans la troisième position qu'il adopte face à la Russie montante, Leibniz jette les bases de ce qu'il est convenu d'appeler l'“eurasisme”. Dans son texte de 1697, Novissima Sinica, Leibniz écrit que la masse continentale euro-asiatique compte deux anciennes civilisations: 1. Rome/Europe (le Reich); 2: La Chine. La Russie, poursuit-il, doit faire le lien entre ces deux civilisations en organisant son propre territoire. L'Europe acquerra un avantage si c'est elle qui communique à la Russie les recettes de la “bonne” organisation politique, territoriale, administrative, etc.
Dans sa quatrième position, Leibniz parle de la Russie comme d'une tabula rasa, comme d'un espace vierge, où l'on pourra tester toutes sortes d'expériences. La Russie est un pays qui offre des milliers de possibilités (comme on le dira plus tard des Etats-Unis). Il permettra d'absorber une immigration paysanne allemande.
Dans sa cinquième position, prise en 1712 lors de la guerre entre la Suède et la Russie pour la maîtrise de l'axe fluvial “gothique”, joignant la Baltique à la Mer Noire, afin d'assurer la translation de l'héritage polono-lithuanien. Leibniz, Allemand, s'oppose à toute expansion de la Russie vers le Nord, mais favorise toute expansion vers le Sud. Cette position allemande est une constante: on l'a vu se manifester lors de l'indépendance des Pays Baltes (en 1919 comme en 1991), de la Finlande, dans les intentions lisibles en filigrane dans les clauses du Pacte germano-soviétique de 1939, dans les concessions accordées en théorie par Jirinovski aux Suédois et aux Allemands dans son projet de “grande avancée vers le Sud”. Symptomatique est le fait que Jirinovski insiste si fortement en Allemagne et en Suède sur l'orientation méridionale des hypothétiques efforts de “sa” future Russie.
Dans sa sixième position, Leibniz approfondit sa réflexion sur la qualité de tabula rasa du territoire russe. La Russie est vierge, dit-il, on peut y importer tant les vices que les vertus de l'Europe. Mais Leibniz est pessimiste, conservateur. Pour lui, l'Europe décadente est travaillée et minée par ses vices. Il raisonne binairement en opposant une Europe décadente à une Russie pure. Adepte de l'idéologie des Lumières à ses débuts, Leibniz poursuit un objectif pédagogique: si la Russie est pure, vierge et “mineure”, elle peut devenir l'objet d'une pédagogie vertueuse et éviter ainsi d'entrer directement en décadence à cause de ses nouveaux contacts avec l'Europe malade.
En résumé: l'Europe, par la voix de Leibniz, est favorable à la Russie quand elle avance ses pions vers le Sud contre les Turcs, vers la Mer Noire, mais pas encore vers les Balkans, territoire réservé à l'époque aux Hongrois et aux Autrichiens, protecteurs des Serbes, après la libération de Belgrade en 1717/18. En revanche, l'Europe se montre hostile à la Russie quand elle avance ses pions vers le Nord. Comme Leibniz, elle se montre pro-suédoise, pro-polonaise (puis pro-ukrainienne), car, pour elle, l'axe gothique est un espace intermédiaire entre la Russie et l'Europe, qui a une logique propre qu'il convient de conserver, tandis que l'espace balte est un indispensable espace de transition entre Russes, Suédois et Allemands
Herder précisera cette vision d'un espace balte d'échange culturel. Herder est le père des nationalismes germaniques et slaves, le théoricien de la relativité culturelle, des différences, de la valorisation des origines de toute culture au détriment des époques plus tardives, jugées déclinantes. En 1769, dans le journal qu'il a écrit au cours de son voyage de la Livonie (en Lettonie actuelle) à Nantes, Herder écrit que l'Europe est vieillie, décadente, qu'elle a épuisé ses potentialités. Face à elle, la Russie possède encore des atouts, des potentialités. Il faut travailler la Russie, dit Herder, pour en faire un modèle pour le reste de l'humanité. La pensée de Herder est à la fois liée aux Lumières car elle est pédagogique, elle veut étendre au monde entier des idées européennes qui ne sont ni le rationalisme occidental ni le césaro-papisme catholique. Mais si cette pensée de Herder est liée aux Lumières, elle est en même temps critique à leur égard. La critique de Herder s'articule surtout autour de l'optimisme et de la prétendue unicité du modèle des Lumières. Pour Herder, théologien protestant, toute culture est une manifestation voulue par Dieu et celui-ci se manifeste de multiples façons, donc seule la pluralité des cultures est légitime, est œuvre de Dieu. L'histoire d'un peuple particulier est simultanément l'histoire d'un possible humain, universellement valable.
Sur base de ces principes, Herder énonce des projets pour l'Europe orientale et la Russie. Il privilégie les Pays Baltes, dont il est issu, comme espace d'échanges entre l'Europe germanique et la Russie. Mais il concocte également des projets séduisants pour l'Ukraine, la Crimée et la rive septentrionale de la Mer Noire. La mission de la Russie, à ses yeux, est de recréer un nouvel hellénisme sur le pourtour de la Mer Noire et de faire de la Crimée sa capitale. En énonçant ce grand projet, il reprend l'idée allemande d'un “Drang nach Süden” russe et souligne l'importance capitale de la Crimée sur le plan géopolitique (pendant la guerre civile entre Blancs et Rouges, la Crimée, sous le Général Wrangel, a été un enjeu majeur du conflit; le IIIième Reich concoctait également des plans germanisants/hellénisants pour la Crimée et le conflit russo-ukrainien d'aujourd'hui rappelle l'importance géopolitique de cette presqu'île). Le “Projet grec” de Herder sera repris par Catherine II et instrumentalisé contre l'Empire ottoman que la fougueuse Tsarine chassera des rives septentrionales de la Mer Noire.
Le jugement que porte Herder sur l'œuvre de Pierre le Grand est également fort intéressant. Herder reproche au Tsar Pierre d'avoir négligé la culture “naturelle” de la Russie, de ne pas avoir tablé sur ses atouts nationaux et surtout d'avoir fait de la Russie une “pyramide inversée” qui risque de s'effondrer tôt ou tard dans la catastrophe. Herder prédit ainsi pour la première fois la révolution russe de 1917.
De 1789 à 1820, c'est-à-dire de la Révolution française à l'avènement de la Monarchie de Juillet, la réflexion sur la Russie va s'articuler autour de trois oppositions:
1. L'opposition entre liberté et despotisme, où l'Ouest est la liberté et la Russie, le despotisme (Marx reprendra cette dichotomie russophobe, et, dans le marxisme, on parlera parfois de “despotisme oriental”).
2. L'opposition entre légitimité et révolution, où la Russie est le bastion de la contre-révolution. Nous avons là ante litteram une dialectique Est-Ouest, où la droite légitimiste est pro-orientale et anti-occidentale, contrairement à ce que nous avons connu pendant la guerre froide. Dans l'Allemagne de la “révolution conservatrice”, Moeller van den Bruck, traducteur de Dostoïevski, réfléchit sur l'itinéraire de ce dernier: révolutionnaire dékabriste, il deviendra légitimiste, en percevant l'insuffisance des idées occidentales. Moeller et, à sa suite, les diplomates allemands conserveront l'espoir légitimiste-conservateur en la Russie, en dépit de la révolution bolchevique.
3. L'opposition Terre/Mer ou Russie/Angleterre. Ces réflexions ont annoncé la géopolitique de McKinder et de Haushofer, ainsi que l'œuvre de Carl Schmitt. Face à cette dualité Terre/Mer, notons la position intermédiaire prise par la France. La France est une “civilisation équilibrée” entre Terre et Mer, elle s'oppose également au “navalisme anglais” et au “despotisme exclusivement tellurique” de la Russie. Quand, sous Napoléon, la France s'identifie à l'Europe, comme l'Allemagne s'y identifiera pendant les deux guerres mondiales, les Continentaux percevront l'Europe comme le centre du monde et de l'histoire mondiale.
La période qui s'étend de 1789 à 1830 est une période de grande effervescence. Pour reprendre la terminologie de Carl Schmitt, c'est la fin du jus publicum europæum. L'idée révolutionnaire veut se planétariser, ne connaît ni repos ni mesure. Au cours de cette période, les diplomates écrivent une quantité impressionnante de rapports dont la teneur est proprement géopolitique. Nous allons examiner ceux qui concernent notre propos d'aujourd'hui: la Russie.
En 1791, un rapport anglais anonyme, intitulé Russian Armament, jette les bases de l'hostilité anglo-saxonne à l'encontre de la Russie. La Russie est désignée clairement comme l'ennemi car elle vise l'élimination de la présence ottomane en Mer Noire et dans les Balkans. Nous avons là le premier indice de l'alliance réelle et tacite entre Londres et la Turquie, entre la thalassocratie anglo-saxonne et la Sublime Porte. Le rapport poursuit: l'avancée de la Russie vers Constantinople menace 1) l'Egypte (on prévoit déjà en Angleterre le percement du Canal de Suez) et 2) le commerce du Levant. Donc, pour les diplomates anglais, l'existence de l'Empire Ottoman, y compris sa présence dans les Balkans, garantit l'équilibre européen (l'argument sera repris lors de la Guerre de Crimée); l'Empire Ottoman est un barrage contre la Russie qu'on soupçonne vouloir s'emparer des Indes (en 1800-1801, effectivement, le Tsar Paul I, allié de Napoléon, projette l'invasion des Indes). Dans d'autres manifestes anonymes parus entre 1792 et 1793, des observateurs anglais envisagent une alliance entre la France, l'Angleterre et la Turquie, pôle de la liberté, contre l'Autriche, la Prusse et la Russie, pôle du despotisme.
Cette tentative de rapprochement, en pleine guerre, de l'Angleterre avec la France révolutionnaire peut s'expliquer clairement si l'on a lu le livre de l'historien français Olivier Blanc, Les hommes de Londres. Histoire secrète de la Terreur (Albin Michel, 1989). Blanc nous y démontre les mécanismes d'organisation de la guerre civile en France, mis en œuvre depuis Londres, afin de venger la bataille de Yorktown (1781) qui avait donné la victoire aux insurgés américains avec l'appui de troupes et de vaisseaux français. Par ailleurs, l'Angleterre visait à détruire les ressorts de la politique navale de Louis XVI, qui avait connu quelques succès militaires. Les manifestes anonymes réclamant une alliance avec la France demandent implicitement l'arrêt de cette politique secrète d'organisation de la guerre civile en France, d'autant plus que les troupes autrichiennes et prussiennes avancent dans le Nord et en Lorraine, risquant d'affaiblir définitivement la France et de souder au Nord et au centre de l'Europe un bloc germanique et impérial solide. L'Angleterre, au nom de l'équilibre continental, cherche à changer d'alliés et à se ranger du côté du plus faible. Mais, coup de théâtre, la France est victorieuse à la bataille de Fleurus en 1793: elle devient la plus forte puissance européenne, s'installe en Brabant et à Anvers, ce qui, pour Londres, est intolérable. L'Angleterre, pour respecter sa politique d'équilibre, doit lui faire la guerre, de concert avec les Prussiens et les Autrichiens. Quand l'Allemagne, après Bismarck, sous Guillaume II et avec la politique navale de von Tirpitz, deviendra la plus forte des puissances européennes, l'Angleterre fera la guerre contre elle, en utilisant les ressources humaines de la France.
C'est sur cet arrière-plan que Wilhelm von Byern en 1794 propose une alliance germano-russe contre la France révolutionnaire et E. von Zimmermann une alliance germano-franco-anglo-russe contre le challengeur qui pointe à l'horizon, l'Amérique. Mais le théoricien le plus pointu qui a esquissé les grandes lignes d'une politique générale pour vertébrer l'Europe, pendant cette époque de troubles et de désorientements, reste le Français Bertrand Barère de Vieuzac. En 1798, il rédige un manifeste intitulé La liberté des mers ou le gouvernement anglais dévoilé; ce texte fondamental annonce et anticipe véritablement le noyau central des doctrines géopolitiques allemandes de ce siècle (Haushofer) et les positions telluriques et anti-thalassacratiques de Carl Schmitt. Pour Barère de Vieuzac, le véritable principe dissolvant n'est pas tant la révolution que le “principe industriel”, générateur de flux incontrôlables. L'industrie anglaise, dit Barère de Vieuzac, découle de la navigation, dès lors les flots générés par la production de marchandises correspondent aux flots océaniques, sur lesquelles rien ne peut se construire. L'industrie induit une démonie de la technique, qui abolit toutes les barrières, frontières, etc. Elle abolit le principe traditionnel de la famille avec son ancrage dans la Terre. C'est au départ de ce texte de Barère de Vieuzac que le poète Rudolf Pannwitz (cf. NdSE n°19) chantera son apologie de la Terre et de l'Imperium Europæum et que le Carl Schmitt d'après 1945 élaborera son anti-thalassocratisme fondamental (cf. Terre et Mer & Glossarium). Pour Barère de Vieuzac, l'Europe est une terre de civilisation et d'enracinement qui s'oppose tout naturellement à l'Angleterre, qui domine l'espace fluide de la mer sur lequel aucune civilisation ne peut éclore, et à la Russie, qui domine un espace mouvant de terres non travaillées. Son disciple Eschasserieux propose dès lors une alliance franco-prussienne contre l'Angleterre et la Russie. C'est dans les travaux de Barère de Vieuzac et d'Eschasserieux qu'on trouve l'origine des rapprochements franco-allemands, depuis le napoléo-gaullisme de Pannwitz jusqu'à la réconcialisation préconisée par Adenauer et De Gaulle en 1963 et à la présence d'un Ernst Jünger lors de la visite de Kohl et Mitterand à Verdun.
Chez les nationalistes allemands de la première génération, nous trouvons d'autres approches, qui, elles aussi, ont connu une postérité. Pour Ernst Moritz Arndt, auteur de Deutsche Volkswerdung, l'analyse est plus subtile: l'opposition fondamentale, pour Arndt, n'est pas tant la révolution ouest-européenne contre la contre-révolution russe, ou la civilisation française, allemande et européenne contre la barbarie russe (comme le voulaient les russophobes napoléoniens), mais l'opposition entre pays fermés non organisés et pays ouverts à la mer (sans pour autant être thalassocratiques). Arndt préfigure là la géopolitique de Ratzel.
Quant au poète Jean-Paul en 1810, il se moque de la russophobie qui décrit les Russes comme des “barbares”, mais reste attaché à l'idée pédagogique de l'Aufklärung (que l'on a repérée de Leibniz à Herder). Selon cette idée laïque et missionnaire, la Russie est certes encore “barbare” mais elle se civilisera sous l'influence européenne. Remarquons que la russophilie de Jean-Paul n'est pas encore celle des narodniki russes: il ne rejette pas l'intellectualisme de l'Aufklärung mais ne parie pas sur les ressorts naturels du peuple russe, qu'il juge encore “inférieurs” et “mineurs”.
Heinrich von Kleist, dans son essai Über das Marionettentheater (1810) décrit un monde futur totalement technicisé et rationalisé, mais, dans ce monde figé, tout à coup, un ours déboule sur la scène; il est le symbole de l'Est, de la Russie; il représente la force de l'instinct qui domine toute technique. Contre l'instinct, inutile de se battre, il ne faut attendre aucune victoire. L'Ouest, c'est Napoléon, l'ours, c'est la Russie. Cette argumentation sera reprise par Niekisch dans ses articles “nationaux-bolcheviques” de la revue Widerstand.
En France, c'est le traditionalisme anti-révolutionnaire qui développera des réflexions intéressantes sur la Russie. Pour Louis de Bonald (1754-1840), dans ses Discours politiques sur l'état actuel de l'Europe (1802), la Russie est, depuis la chute de l'Empire romain, la plus grande force d'expansion à l'œuvre en Europe. Mais, ajoute-t-il, son christianisme est “byzantin”, donc, du point de vue catholique de Bonald, il est un mélange de “superstitions” d'“idolâtrie” et de “morceaux de christianisme”. Dans les droites catholiques et françaises, Bonald introduit un ferment russophobe d'anti-byzantinisme, contre lequel s'insurgera le Russe Leontiev (cf. Vouloir n°6/1996). A cet anti-byzantinisme, Bonald ajoute un jugement sur l'œuvre de Pierre le Grand: il estime qu'avoir voulu l'européanisation de la Russie est une bonne initiative, mais, déplore Bonald, “il a introduit la corruption avant de former la raison”. Bonald veut dire par là que Pierre le Grand a d'abord favorisé le commerce et l'industrie avant d'établir des lois. Il aurait dû favoriser les classes rurales, puis assurer le primat de la chose militaire, de la souveraineté et de la paysannerie sur les fonctions de négoce. Bonald développe une critique conservatrice de l'idéologie marchande, vectrice de corruption, mais souhaite la conversion de la Russie au catholicisme. Il introduit ainsi un motif de russophobie récurrent dans la pensée politique conservatrice en France.
Joseph de Maistre (1753-1821) critique à son tour l'œuvre de Pierre le Grand, qui s'est laissé entraîner par “l'esprit de fabrication”. Comme cet esprit de “fabrication” (on dirait aujourd'hui: ce “constructivisme”) s'est insinué dans la vie politique russe dès l'origine de son européanisation, il est appelé à s'accentuer en dépit des barrières traditionnelles et provoquera une révolution (avec la critique de Herder qui voit dans la Russie de Pierre le Grand une “pyramide inversée” prête à basculer, la critique de J. de Maistre est la seconde prédiction de la révolution russe, un siècle avant les faits).
La fin de l'aventure napoléonienne se déroule sous le règne du Tsar Alexandre I. Celui-ci fournit le gros des troupes de la coalition anti-napoléonienne, si bien qu'il acquiert le titre de “Libérateur de l'Europe”. Il est forcément peu perçu comme tel en France mais bien en Allemagne ou en Belgique (où le souvenir de “Pietje le Cosaque”, à Gand, au moment des premières manifestations flamingantes, reste dans les mémoires). L'idée motrice d'Alexandre I était de constituer une “Sainte-Alliance” en Europe. La mission de la Russie est de donner corps à cette initiative, visant à terme la “monarchie universelle”, que ses adversaires déclareront bien vite “despotique”. Cette idée du Tsar Alexandre I provient de deux sources:
1) La “pansophie” de Louis-Claude de Saint-Martin, qui visait à transcender les clivages religieux en Europe entre orthodoxes, protestants et catholiques.
2) Le “Mouvement du Réveil” de l'Allemand Jung-Stilling.
Jung-Stilling (1740-1817) veut fusionner le piétisme et la mystique protestante. Il élabore le concept de “nostalgie” (Heimweh, également titre d'un roman). La nostalgie est toujours nostalgie de la patrie céleste, de l'Empire de Dieu à construire. Pour Jung-Stilling, cet empire commencera à l'Est. Le christianisme s'est développé d'Est en Ouest et a décliné. Il faut faire le chemin inverse. Son disciple Johann Albrecht Bengel voit dans la Russie l'instrument de Dieu pour punir les nations : Napoléon est l'Antéchrist, Alexandre I, l'Ange de l'Apocalypse. En 1817, quand une famine éclate en Allemagne du Sud, les paysans adeptes du “Mouvement du Réveil” (catholiques et protestants confondus) émigrent vers la Russie, afin de s'installer dans l'antichambre du futur paradis et de fuir l'Europe qui allait subir une punition méritée.
Franz von Baader (1765-1841) recueille l'héritage de la mystique allemande de Jakob Boehme, de Louis-Claude de Saint-Martin, de Jung-Stilling et de Görres. Son objectif se confond avec celui d'Alexandre I: réconcilier catholiques et protestants dans l'orthodoxie, raviver la dimension religieuse eschatologique et mystique, faire de la Russie le site de la synthèse de ce renouveau religieux et de son armée l'instrument destiné à sauver l'Europe de la dissolution révolutionnaire.
Les idées traditionalistes, la coalition anti-napoléonienne, le “Mouvement du Réveil” poursuivaient un même objectif. D'où la théocratie chrétienne et pansophique, l'utopie tirée du “Mouvement du Réveil”, l'“entremission organique” (organische Vermittlung) participent du “Principe d'Etat” qui s'oppose à l'Etat mécanique des révolutionnaires (procédant de l'“esprit de fabrication”) et au “Dieu mécanique” des philosophes. Mais la grande différence entre, d'une part, Baader et les catholiques pansophiques et pro-orthodoxes et, d'autre part, et Bonald, de Maistre et les catholiques stricto sensu, c'est que Baader est moniste (il veut façonner le futur et affirme que la bonne politique organique adviendra) tandis que Bonald et de Maistre sont dualistes et prétendent que la bonne politique est une chose définitivement passée. Face à la position pro-orthodoxe de Baader, de Maistre avance que l'orthodoxie est figée. Baader lui répond que cela la rend imperméable aux idées révolutionnaires. Pour Baader en revanche, c'est le “papisme” qui est figé car il jette le soupçon sur l'intelligence et le savoir (selon l'adage: “point trop de science”). Le protestantisme selon Baader laisse libre cours au savoir et l'accumulation de “science” désoriente les hommes, incapables de maîtriser les flux de la connaissance. Pour Baader, science et foi ne doivent pas être distinctes: telle est la mission d'Alexandre I, de la Sainte-Alliance, du “Mouvement du Réveil”, de la Russie et de l'orthodoxie, face à l'“Ouest pourri” (gniloï zapad). Mais les forces les plus conservatrices de l'Eglise orthodoxe russe refusent la démarche d'Alexandre, jugé trop ouvert aux Catholiques et aux Protestants, les “Réveillés” sont expulsés de Russie, de même que Baader, qui ne peut plus s'y rendre et tire les conclusions de sa tentative avortée: «Le retour à une politique ecclésiale conservatrice va provoquer l'expansion du matérialisme en Russie et, sous le manteau d'une Eglise d'Etat, les tendances anti-chrétiennes pourront agir plus secrètement, donc plus destructivement». Troisième prévision de la révolution bolchevique...
Autre figure-clef de l'époque, l'Abbé Dufour de Pradt (1759-1837), archevêque et confesseur de Napoléon. Pour Dufour de Pradt, le monde contient “deux zones de principes et de langage”, la zone de l'“ordre absolu” et la zone de l'“ordre constitutionnel à des degrés divers”. Ces deux zones se livreront une lutte à mort. Dufour de Pradt annonce au fond la bipolarité de la guerre froide... L'Europe n'a plus le choix qu'entre devenir un protectorat anglais et devenir un protectorat russe. En 1819, Dufour de Pradt prévoit que l'Amérique remplacera l'Angleterre sur mer, avant même que le Président Monroe ne proclame sa célèbre “doctrine” en 1823. Pourquoi? Parce que tant la Russie que l'Amérique disposent d'espace. Dufour du Pradt écrit: «La Russie jouit de tous les avantages dont sont privés les anciens Etats de l'Europe, dans lesquels les espaces sont occupés par la population et par les cultures destinées à la subsistance. On a calculé l'époque à laquelle les Etats-Unis d'Amérique possèderaient une population de cent vingt millions d'habitants, la progression a même dépassé les prévisions. Pourquoi, dans un temps donné, la Russie ne s'élèverait-elle pas au même degré, car elle possède des éléments parfaitement semblables et égaux à ceux qui promettent aux Etats-Unis ce rapide accroissement? La faculté de nourrir sa famille est la limite de la population; c'est elle qui, dans les Etats peuplés, réduit les mariages à un si petit nombre. Mais il faut un long cours de siècles pour que cette limite sera atteinte en Russie, comme en Amérique; elle se peuplera donc à l'infini...».
Aux Etats-Unis, le diplomate Alexander H. Everett (1790-1847) constate que tous les mouvements politiques de son époque sont les conséquences de la Révolution, cherchent à poursuivre la Révolution. L'Europe, dit-il, doit s'unir sinon elle subira le sort des cités grecques, face à la puissante machine militaire et administrative romaine. Mais pour que cette unification ait lieu dans l'équilibre des forces, il faut en exclure la Russie, parce qu'elle a beaucoup d'espace et rompt cet équilibre. Néanmoins, elle va sauver l'Europe en l'unifiant de force: c'est alors que prendra fin l'ère révolutionnaire.
En Allemagne le Baron von Haxthausen (1792-1866) écrit que l'atout slave/russe majeur dans le concert politique européen de l'époque est le sens intact de la communauté (mir/obchtchina). Haxthausen influencera directement la pensée populiste russe, tant dans l'expression qu'elle s'est donnée chez Alexander Hertzen que dans celle des narodniki (les slavophiles) ou des marxistes russes. Entre les uns et les autres, face à cette revendication de la “communauté”, il y tout de même des différences d'approche: les “progressistes” voient dans le mir une condition sociale favorisant l'avènement du socialisme, tandis que les narodniki y voient une suprématie morale. Pour Haxthausen, les “communautés” russes sont le fondement de l'ordre social car elles empêchent l'émergence d'un prolétariat. Haxthausen était conscient de la différence entre démocrarie organique et démocratie atomisée.
Vu d'Europe, voici donc un vaste éventail de réflexions sur la Russie qui inspirent toujours les chanceleries. Elles apparaissent limpides dans leur simplicité et continuent à structurer toute la pensée géopolitique, même si les noms de leurs auteurs sont aujourd'hui tombés dans un oubli non mérité.
Il nous reste à dire quelques mots sur l'Eurasisme. Les Anglais ont un mot pour désigner la lutte planétaire pour le contrôle de l'Asie Centrale et himalayenne: “The Great Game”, “le Grand Jeu”. ce “Grand Jeu” consiste à contrôler les espaces vides entre les grands pôles civilisationnels de l'Inde, de la Chine et de l'Europe. Car la maîtrise de ces espaces assure la domination de la planète. Leibniz s'en était déjà confusément aperçu en rédigeant sa Novissima Sinica en 1697. Dès la fin du XVIIIième siècle, en 1796-97, les Anglais devinent que l'Europe (allemande ou française) et la Russie vont un jour ou l'autre contester ses positions en Inde. Pour les Anglais, il y avait des signes avant-coureurs, comme la conquête de Sébastopol par les troupes de Catherine II en 1783, qui devient port russe en 1784, prélude à l'annexion complète de la côte pontique entre le Dniester et le Boug à la suite de la Paix de Jassy en 1792. La Mer Noire devient un lac russe, tandis que les Pays-Bas méridionaux tombent aux mains des hordes révolutionnaires.
Napoléon, lui, se rend compte du désastre que constitue pour la France la perte de ses comptoirs indiens. D'où son plan de couper la route des Indes en s'installant en Egypte. Avant de se lancer dans cette entreprise, il dévore tous les livres sur l'Egypte: «J'étais plein de rêves. Je me voyais fondateur d'une nouvelle religion, marchant à l'intérieur de l'Asie monté sur un éléphant, avec un turban sur la tête et à la main le nouveau Coran que j'aurais écrit pour répondre à mes besoins». Le 19 mai 1798 une armada française, avec 40.000 hommes, quitte Toulon et Marseille pour se diriger vers l'Egypte. Aussitôt les Anglais envoient tous leurs navires du Cap et de Calcutta pour bloquer la Mer Rouge. Nelson détruit la flotte française en mouillage à Aboukir (1 août 1798).
En 1801, le Tsar Paul I suggère à Napoléon d'envahir l'Inde par la terre et met 35.000 cosaques à la disposition de ce projet. Pour les appuyer, il demande à Napoléon de lui envoyer une armée française par le Danube, la Mer Noire et la Caspienne. Napoléon juge le projet irréalisable. Le 24 janvier 1801, 22.000 cosaques et 44.000 chevaux quittent le sud de la Russie pour se diriger vers l'Asie centrale. Mais le 23 mars 1801, Paul I est assassiné et Alexandre I monte sur le trône. Les Anglais réagissent en envoyant au Moyen-Orient le jeune John Malcolm, un orientaliste, spécialiste de la Perse, nommé officier dès l'âge de 13 ans. Malcolm a pour mission de forger une alliance avec l'Iran, pour bloquer sur le “rimland” toute avancée française (ou russe ou européenne ou, plus tard, allemande) dans la zone s'étendant de la Syrie au Béloutchistan. La réaction russe est immédiate: le Tsar annexe la Géorgie en septembre 1801. En juin 1804, les Russes sont en Arménie, mettent le siège devant Erivan et engagent la guerre contre la Perse pour forcer le passage vers les Indes.
En 1804, les Perses appellent les Anglais au secours. Mais 1804 est également l'année où Napoléon devient “empereur”, provoquant un renversement des alliances et un rapprochement entre Russes et Anglais. Les Anglais ne font plus pression sur le Tsar pour qu'il rende à la Perse la Géorgie et l'Arménie. Le Shah n'a plus d'autre alternative que de se tourner vers la France. De 1804 à 1807, les tractations entre le Shah et Napoléon sont ininterrompues, la Perse devant servir de tremplin pour une reconquête française des Indes. L'armée persane est entraînée par des instructeurs français. En 1807, à Friedland, Alexandre se rapproche à nouveau de Napoléon et participe au blocus continental; Français et Russes sont à nouveau alliés contre les Anglais. A Tilsit, la France et la Russie envisagent de bouter les Ottomans hors d'Europe, de s'allier avec la Perse pour marcher de concert sur les Indes, mais la France ne peut plus demander aux Russes de rendre la Géorgie et l'Arménie, poussant les Perses dans une nouvelle alliance anglaise!
Tels ont été les préludes du “Grand Jeu”. L'affrontement Terre/Mer entre la Russie et l'Angleterre se poursuivra pendant tout le XIXième siècle, véritable épopée avec, de part et d'autre, des héros sublimes et des aventuriers extraordinaires. Parmi les autres facettes du “Grand Jeu”, il y a eu la volonté de contrôler le Tibet (et surtout les sources des grands fleuves chinois, indochinois et birmans), de maîtriser la “Route de la Soie” et surtout le Turkestan chinois (ou Sinkiang). Des missions allemandes tenteront de forger une “alliance diagonale” entre le Reich, l'Empire Ottoman, la Perse, l'Inde et l'Indonésie. Le pantouranisme sera instrumentalisé par les Allemands en 1914, par les Britanniques après 1918. Pendant la guerre civile russe, les Anglais ont tenté de détacher le Caucase de la Russie, en incitant au massacre des commissaires communistes arméniens. Le Japon y participera en soutenant Koltchak et Unger-Sternberg en Asie. Aujourd'hui, avec la tentative de souder à la Turquie, alliée des Etats-Unis, toutes les républiques musulmanes de l'ex-Union Soviétique, le “Grand Jeu” est loin d'être terminé. Pour nous, il s'agit d'en étudier tous les mécanismes, d'en connaître l'histoire jusqu'en ses moindres détails.
Robert STEUCKERS. http://robertsteuckers.blogspot.fr
Europe et Union européenne - Page 1032
-
La place de la Russie dans l'histoire de la diplomatie européenne
-
L’hommage d’un Italien à un samouraï d’Occident par Gabriele ADINOLFI
Lorsque Mishima Yukio s’est donné la mort le 25 novembre 1970, nous n’avons pas entendu les mêmes horreurs que ces derniers jours, peut-être parce qu’il n’y avait alors pas d’Internet pour encourager la diarrhée des opinions, ou peut-être, parce que les gens étaient plus instruits.
Habitués aux divers forums de discussion, érigés en juges autoproclamés de tout et de tous, les incontinents du clavier ne manqueront pas une occasion de délirer et de salir des gens qui, pourtant, leur sont mille fois supérieurs.
À cela s’ajoutent les ennemis idéologiques, les détracteurs, les bourgeois bien-pensants, qui cherchent, sciemment cette fois, à priver de crédibilité et de respect quiconque devient une figure exemplaire.
Le hara kiri de Notre Dame
Même dans ce contexte, malgré les tirs croisés des salauds et des imbéciles, l’acte du samouraï stoïque que fut Dominique Venner, n’appelle que le respect, l’admiration et l’étonnement.
Sentiments qui prévalent, à juste titre, sur la mesquinerie humaine et les trivialités du rationalisme.
Il ne sert à rien de comprendre ou d’être d’accord avec le geste, ni d’avoir toujours été d’accord avec Venner, pour en comprendre la portée.
Permettez-moi de préciser que moi-même, je n’ai pas toujours partagé les opinions de cet homme.
Celui-ci pensait que la civilisation européenne n’avait cessé d’être l’objet d’attaques, surtout de l’intérieur, et il a cru qu’il fallait avoir recours aux forces de la Tradition pour lutter contre la subversion. Tradition qui, comme il l’a explicité dans sa dernière lettre, ne doit pas être confondue avec une forme traditionnelle ou religieuse. Je pense que la réponse tient plus du défi de briser des cycles, c’est-à-dire que la lutte contre cette subversion réside plus dans la révolution que dans la conservation. On parle ici d’une différence d’orientation, la sienne plus « junkerienne », la mienne plus nationale-révolutionnaire.
Comme au temps de Dreyfus
Je dis cela afin de clarifier des équivoques, afin de contribuer ainsi à dissiper certains doutes, évoqués ou tacites. La question principale qui pourrait poindre serait de savoir si cela valait vraiment le coup de se tuer pour s’opposer au mariage homosexuel ?
Je pense que nous devons comprendre que ce qui se passe en France, est quelque chose qui n’a rien à voir avec les catégories sexuelles et encore moins avec l’homophobie. De nombreux militants nationalistes français, catholiques comme païens, sont homosexuels, mais s’engagent eux-mêmes contre le « mariage pour tous ». Ils ont probablement compris que, derrière cette loi pour les droits de certaines minorités, se cache en réalité un projet de destruction définitive de la société.
Ils sont peut-être conscients que la sphère privé n’a pas toujours besoin de vitrine. Peut-être se sont-ils habitués depuis des temps immémoriaux à une société qui n’est pas homophobe, ce qui fait qu’ils ne se sentent pas le besoin de se déclarer soudainement homophiles ou homocrates. Le fait est qu’en France, des événements d’une grande portée se sont produits ces derniers mois, sans que l’on ne sache vraiment pourquoi.
Après des dizaines d’année d’attaque contre la langue, la culture, la démographie, une bonne moitié des Français s’est dressée contre ce mariage gay avec le sentiment qu’un des dernier ciments de la société, l’institution de la famille, est menacé. Aurait-il fallu réagir plus tôt ou sur d’autres thèmes ?
Laissons là ces questions rhétoriques.
Ce sont d’irrésistibles pulsions psychologiques et mobilisatrices qui déterminent, avec une force irrationnelle, les grands tournants historiques.
Deux France s’affrontent aujourd’hui comme au temps de l’affaire Dreyfus et c’est sur l’autel de cette bataille que Venner a décidé d’accomplir son geste sacrificiel, prenant bien garde aussi de mettre l’accent sur des éléments bien plus larges que ce mariage, parlant de génocide, de mort culturelle, d’abandon métaphysique, de remplacement des populations.
Guerre et guerrier
Je crois qu’il est clair que je ne cache pas mes opinions, que je ne cherche pas à être approuvé par de quelconques intellectuels, ni à être politiquement correct. Si j’étais homophobe, je ne me gênerais pas pour le dire. Si c’était l’homophobie qui faisait bouger la France en ce moment, je ne le cacherais pas. Je me montrerais fidèle au principe fasciste, malheureusement un peu désuet, du « me ne frego ».
De fait, c’est à une véritable guerre pour la survie à laquelle on assiste. Cette même guerre que certaines minorités sont prêtes à déclarer aussi en Italie. Dans cette guerre luttait un guerrier, qui avait atteint un âge où l’on peut se donner la mort, au lieu de se laisser aller à la décrépitude physique. Ce guerrier a décidé d’accomplir un acte sacré, un geste violent pour produire un électrochoc.
Nous et les Français
Reparlons de cet homme, un guerrier transalpin pour nous Italiens, de cette France dont parfois nous nous moquons stupidement. Le fascisme, ils l’ont mis en incubation, nous l’avons réalisé. Ils sont restés en marge et nous avons pris le pouvoir et fait une révolution. Nous nous vantons de notre créativité latine et de notre plasticité, mais nous devrions scruter un peu plus en profondeur.
Nous devrions comprendre ce qui, dans la nature, ralentit l’improvisation et freine les bonds en avant. Nous découvririons que ce furent des Français qui ont empêché Staline de prendre Berlin un 1er mai. Nous découvririons que plus de 10 % des Français continuent de voter depuis trente ans pour un parti que le Système a écarté du Parlement, mais qui ne renoncent pas en disant que « cela ne sert à rien ».
Nous pourrions réaliser aussi qu’outre Dominique Venner, d’illustres Français comme Pierre Drieu La Rochelle ou Alain Escoffier ont déjà pratiqué ce suicide rituel.
Nous, Italiens, plus proches de la mamma et du confessionnal, ne nous tuons pas pour donner l’exemple. Nous nous contentons de juger le suicide d’un autre.
Alors que la France s’apprête à mener peut-être la dernière bataille, nous nous faisons démembrer par le haut, sans même nous en rendre compte.
Il y a des moments où il faut avoir recours à l’impétuosité et la légèreté italienne, d’autres qui nécessitent les qualités du caractère gaulois.
Être Europe. C’est ce que demandait Venner !
Gabriele Adinolfi http://www.europemaxima.com/
• Hommage écrit le 23 mai 2013.
N.D.L.R. : Il importe de lire le testament politique de Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, Pierre-Guillaume de Roux, 2013, 317 p., 23 €. Europe Maxima y reviendra bientôt.
-
La pêche ou les paysans de la mer :
Comment ne pas voir une volonté de destruction de la pêcherie Française lorsque l’on voit l’abandon des iles des Minquier-Ecrehous aux anglais en 1953…L’Intérêt géopolitique semble avoir été oublié !!! Alors que cette zone alimentait quelques 600 familles entre Cherbourg et Pimpol…Comment ne pas comprendre le désespoir du capitaine de pêche, voyant sa cargaison de poisson partir à 3,50 euros le kilo et revendu à l’étal autour de 15 euros…
Pour les Marins-pêcheurs, paysans de la mer, où chaque sortie demeure une aventure pouvant être mortelle, il faut aller plus loin, toujours plus loin, pour trouver de quoi gagner son pain. Comment tolérer que la pêche Française soit soumise aux diktats européens ?
Comment continuer d’accepter que les produits de la mer Français soient concurrencés sur les étals par des produits pêchés je ne sais où ?
Comment accepter, que dans l’indifférence générale, des usines flottantes, venues d’Asie, raclent imperturbablement les fonds marins, pillant et détruisant toute la faune avec les conséquences catastrophiques qui en découlent ?
Comment accepter le désespoir de ces hommes qui affrontent la mort pour gagner leur vie, regarder diminuer leur salaire d’un tiers depuis quelques temps…
Comment accepter qu’au large des côtes d’Afrique, des pêcheurs coupent les ailerons des requins vivants et les rejettent à la mer pour le plus grand profit culinaire des asiatiques ?Quand cela cessera-t-il ?
Alors que la République ferme l’histoire en devenant la fossoyeuse des spécificités Françaises. Après une décentralisation d’opérette, les métiers deviendront des attractions touristiques dans une France devenue un immense Disneyland… Aujourd’hui, on interdit la pêche au Cabillaud, demain un autre…
On condamne le saumon sauvage, résistant difficilement à l’injection de saumons d’élevages…
Comme pour l’agriculture, dont on arrache des vignes et demain on tue les vaches… Tout cela, sous le contrôle de la police et des agents du fisc avides de subsides pour engraisser les politiques qui nous gouvernent ou plutôt qui nous exploitent... -
JM Le Pen prédit l’arrivée de 50 000 Roms à Nice en 2014
Le président d'honneur du FN, Jean-Marie Le Pen, venu présenter jeudi à Nice la candidate nouvellement investie pour les municipales, Marie-Christine Arnautu, a qualifié la présence de Roms dans la ville d'"urticante" et "odorante" et prédit que "50.000 Roms" allaient venir s'y installer en 2014."Nous sommes dans un contexte national extrêmement dangereux et Nice ne sera pas une oasis dans le désert français, son sort sera lié au sort de la France", a indiqué JM. Le Pen lors d'une conférence de presse dans la cinquième ville de France, qui compte 345.000 habitants.
"Je vais vous faire un pronostic: vous avez quelques soucis, paraît-il, avec quelques centaines de Roms qui ont dans la ville une présence urticante et disons... odorante. Ceci n'est que le petit morceau de l'iceberg", a estimé le député européen du Sud-Est."Je vous annonce que dans le courant de l'année 2014, il viendra à Nice 50.000 Roms au moins puisqu'à partir du 1er janvier, les 12 millions de Roms qui sont situés en Roumanie, en Bulgarie et en Hongrie auront la possibilité de s'établir dans tous les pays d'Europe", a-t-il poursuivi, estimant que la politique gouvernementale vis-à-vis de cette minorité avait "un effet de recrutement fantastique"."Tout le monde est dans les starting-blocks, exactement comme dans les films du Far-West" retraçant la conquête de l'Ouest américain, "c'est à cela que nous allons assister", a-t-il encore prédit."Je suis sûre que Nice a besoin d'une liste de salut public" car c'est une "ville extrêmement menacée", a elle aussi estimé Marie-Christine Arnautu, présentée par JM. Le Pen comme la "Mme Préférence nationale" du FN.Avec AFP http://www.francepresseinfos.com/ -
Apparition des Celtes
Un petit rappel :
Âge de pierre récent :
4000 à 2000 avant J.C (Néolithique)
Âge du bronze ancien :2000 à 1200 avant J.C
Âge du bronze récent :1200 à 700 avant J.C (final)
Âge du fer :700 à 500 avant J.C (ère celtique)Période d'Hallstatt (du nom d'un village d'Autriche, premier âge du fer) : vers -800
Période de la Tène (du nom d'un village de Suisse au bord du lac de Neuchâtel) : 500 à 400 avant J.C.
Vers 3000 avant J.C, les agriculteurs et chasseurs de l'Âge de pierre furent menacés par une série de tribus de guerriers. Connus sous le nom de proto-celtes, ces guerriers indo-européens les dominèrent puis s'assimilèrent aux indigènes les moins agressifs qu'ils rencontrèrent. Durant le millénaire qui suivit vers 1800 avant J.C, les proto-celtes migrèrent vers l'ouest de l'Europe où ils se fondirent dans la population locale.
Angus Konstam : Atlas historique du monde celte
On peut admettre que dès le cinquième millénaire avant notre ère, une importante partie de l'Europe tempérée du sud de l'Allemagne à l'ouest de la France, ait été peuplée de communautés d'agriculteurs parlant une langue qui à la suite de processus historiques, donna naissance aux différents idiomes celtiques attestés au premier millénaire.
Patrick Galliou : Le monde celtique
Selon un point de vue extrême, les principaux groupes parlant des langues celtiques auraient occupé, dès 3000 ans avant J.C, les territoires où les placent les sources les plus tardives, alors que l'hypothèse la plus répandue veut que le celtique et l'italique se soient séparés puis développés entre 1300 et 800 avant J.C.
Barry Cunliffe : Les Celtes, traduit de l'anglais par Patrick Galliou
Contrairement à ce que beaucoup écrivent par ignorance ou facilité, les Celtes ne sont pas arrivés en Gaule aux alentours de 800 à 500 avant J.C ce qui leur laisse à peine le temps d'atteindre les Pyrénées et la Méditerranée, voire la Bretagne ou l'Irlande avant le IIIe siècle. Par contre les datations linguistiques laisseraient à penser que les Celtes étaient déjà présents en Europe à la fin du troisième millénaire avant notre ère.
Christian-J Guyovarch et Françoise Le Roux : La civilisation celtique
-
Un “Stonehenge” celtique découvert en Allemagne
Plan général de la sépulture par rapport aux constellations et à la Lune (crédits : Image courtesy of Römisch-Germanisches Zentralmuseum)***Des chercheurs allemands ont découvert récemment, dans la Forêt Noire, en Allemagne, un site funéraire celte datant du 7e siècle avant J.-C. Celui-ci aurait été disposé en fonction de la position de la Lune et des constellations de l’hémisphère nord : un calendrier lunaire, en quelque sorte.Des archéologues du Römisch-Germanisches Zentralmuseum de Mayence ont découvert à Magdalenenberg, dans la Forêt Noire (Allemagne), un tertre funéraire celte de plus de 100 mètres de longueur. Mais sa grande particularité est que les tombes qu’ils contient sont disposées autour d’une sépulture royale de façon à reproduire la position des constellations célestes visibles de l’hémisphère nord entre le solstice d’hiver et le solstice d’été.Ainsi, contrairement au site anglais de Stonehenge, orienté vers le Soleil, celui de Magdalenenberg est orienté vers la Lune, lorsqu’elle occupe une certaine position : une configuration qui se reproduit tous les 18,6 années, et qui constitue la ‘pierre angulaire’ du calendrier celtique.Grâce à un programme informatique spécial, le Dr. Allard Mees, du Römisch-Germanischen Zentralmuseum, a pu reconstruire les constellations observables durant l’ancienne période celtique, et en déduire que ce calendrier représentait le ciel du solstice d’été de l’année 618 avant J.-C., ce qui fait de ce site l’exemple le plus ancien et le plus complet de calendrier celtique orienté vers la Lune.source :http://religionsdelaterre.wordpress.com/ -
Encore deux ans, monsieur le Président !, par François Reloujac*
(La suite économique de François Reloujac)
Compte tenu de la conjoncture, la Commission européenne a donné deux ans de plus à la France pour revenir au respect des critères de Maastricht. Deux ans pendant lesquels la France ne sombrera pas dans l’austérité mais continuera de suivre une simple politique de rigueur. Mais qu’est-ce que l’austérité ? Qu’est-ce qu’une politique de rigueur ? Dans le langage politique d’aujourd’hui, « austérité » signifie baisse du train de vie de l’état tandis que « rigueur » veut simplement dire baisse du train de vie des citoyens.
Les dernières statistiques publiées par Eurostat montrent à quel point cette politique du gouvernement français est peu originale. Si les déficits publics baissent dans pratiquement tous les pays européens, c’est parce que les impôts y augmentent partout plus vite que les dépenses publiques. De 2008 à 2011, les dépenses publiques ont continué à croître de plus de 6 % en moyenne, tandis que les impôts ont grimpé de près de 13 %. Si l’on ajoute à cette observation la constatation que, dans les dépenses publiques, ce sont les dépenses de fonctionnement qui ont augmenté alors que celles d’investissement ont à l’inverse ralenti, on comprend que la crise n’est pas près de finir. Pourtant, François Hollande n’en démord pas : à la fin de l’année la courbe du chômage aura été inversée.
Donnons acte au Président du fait qu’il n’a pas prophétisé une baisse du nombre de chômeurs, mais simplement que la courbe se serait inversée. Il compte sans doute sur une purge miraculeuse des suppressions d’emplois d’ici à la fin de l’année... Il croit même à la reprise. Les statistiques antérieures montrent qu’un cycle économique ne dure jamais indéfiniment, une dizaine d’années environ, et que celui-ci se renouvelle six mois après avoir atteint son point le plus bas, selon des lois plus ou moins mécaniques. La crise actuelle ayant – officiellement – commencé en 2008, la reprise reviendra au plus tard au bout de cinq ans… en 2013 ! Il n’y a rien d’autre à faire qu’à attendre.
Ces cycles ont été étudiés dans un contexte très différent de celui d’aujourd’hui. Les mécanismes de relance, qui jouent sur la baisse des taux d’intérêt, ne peuvent plus être efficaces lorsque ceux-ci tournent autour de 0,5 %. Mais le mal le plus important n’est pas celui-là, n’en déplaise aux économistes à la mode. Maurice Allais, voici quelques années, avait corrélé les fluctuations économiques avec ce qu’il avait appelé le « cycle de l’oubli ». La relance dépendait essentiellement de la psychologie des agents économiques qui, ayant oublié les causes de la crise (endettement excessif, taux d’intérêts trop bas, stocks trop importants…), reprenaient confiance. Nous n’en sommes pas là...
A quand une politique cohérente ?
Relancer l’économie passe par la mise en œuvre d’une politique cohérente, approuvée par tous les agents, d’accord pour s’entraider. Partager la même monnaie implique d’être solidaires en tout, d’avoir les mêmes lois sociales, de respecter les mêmes règles économiques. Toute divergence de politique entre la région la plus riche et la région la plus pauvre d’un marché intégré usant d’une seule et même monnaie conduit inéluctablement à plus ou moins long terme à de très graves difficultés. La région la plus riche ne pouvant alors que continuer à s’enrichir au détriment de la plus pauvre. Il n’est pas plus raisonnable pour le préfet de Corrèze de vouloir imposer à Paris sa politique financière que d’ignorer les spécificités de la Corrèze pour les ministres parisiens. A plus grande échelle, la France et l’Allemagne partagent la même monnaie au sein d’un marché intégré. Il est inutile que l’une jette des anathèmes contre l’autre : elles n’ont d’autre choix que de s’entendre ou de se séparer.
Dans ce contexte agité, les hommes politiques ont trouvé ces pelés, ces galeux, par qui vient tout le mal : les champions de l’évasion fiscale ! Ceux qui, usant de la libre circulation des capitaux prônée par l’OMC, placent discrètement leurs avoirs dans les pays où les impôts sont les moins élevés. En les désignant à la vindicte populaire, peut-on vraiment détourner l’attention des électeurs des vraies responsabilités ? Par ailleurs, cette lutte contre les fraudeurs ne concerne que les particuliers, non les entreprises multinationales devenues expertes en « optimisation fiscale ». Le dernier sommet européen sur le sujet a été très symptomatique de cette différence de traitement. En outre, comment obliger les états tiers à renoncer aux capitaux qui viennent soutenir l’économie locale en fuyant l’enfer fiscal des pays qui les virent se créer ? Indépendamment du fait que ces capitaux ne seraient pas forcément plus utiles dans les pays développés où ils sont devenus disponibles que dans les pays où ils sont employés. Toute l’attention des hommes politiques devrait vraiment porter sur la localisation de ces capitaux, qu’elle ne soit pas simplement artificielle et qu’elle ne dissimule pas la réalité. Mais pour cela, il faudrait que la comptabilité des multinationales n’obéisse pas à des lois que l’on a voulu complaisantes. N’ont-elles pas été adoptées pour pousser les « champions nationaux » à se faire une place sur les marchés internationaux ?
Un sursis de deux ans
Quoi qu’il en soit, la France a obtenu deux ans de sursis. Cela permet d’espérer que, malgré tout, le miracle se produira et que l’économie française repartira suffisamment d’ici là pour que, sans rien changer aux habitudes des pouvoirs publics et des administrations, les ratios imposés par le traité de Maastricht se rétablissent d’eux-mêmes. Ce sursis valait bien une petite contrepartie : le démantèlement du marché français de l’électricité. EDF devait déjà mettre à la disposition de ses concurrents, à un prix préférentiel, l’électricité qu’elle produit et que ceux-ci peuvent désormais vendre moins cher aux consommateurs. Ce n’était pas suffisant. Le gouvernement va aussi devoir céder à des sociétés étrangères plusieurs concessions de barrages hydroélectriques construits en France. Quant à la réglementation des prix, elle devra être démantelée. La soumission de ce marché à la concurrence se traduira quasi immédiatement par une augmentation des prix payés par les consommateurs, personnes physiques, et une baisse de ceux supportés par les entreprises multinationales qui délocalisent leurs résultats dans les pays où la fiscalité est la plus avantageuse.
Gageons que ce ne sont pas ces mesures qui permettront à la France de sortir de la récession actuelle. Encore deux ans, Monsieur le Président, pour présenter un bilan aux censeurs européens qui exigeront le respect de la « règle d’or » que vous avez imposée. Il est temps d’opter pour une politique économique cohérente et à laquelle tout le peuple puisse se rallier. Bientôt il sera trop tard.
* Analyse économique parue dans le n° 119 de Politique magazine, Juin 2013.
-
Ce coup d'Etat dont on ne parle pas...
Un coup d’Etat peut en cacher un autre ou, du moins, en amoindrir la perception : ainsi en a-t-il été, ce mercredi 3 juin, alors que tous les regards médiatiques étaient tournés vers la place Tahrir du Caire, en Egypte. Au même moment, Bruxelles et Berlin décidaient, contre l’avis premier –à peine écouté…- de M. Hollande encore une fois isolé et impuissant, d’entamer dès lundi prochain les négociations pour la création d’une vaste zone de libre-échange transatlantique, tandis que, dans la foulée et quelques heures après, la France refusait l’asile politique à celui qui avait révélé (mais est-ce vraiment une révélation ?) l’importance de l’espionnage des institutions, entreprises, ambassades des pays européens par les Etats-Unis !
Ainsi, lundi 8 juillet, sera lancé officiellement un processus qui, en définitive, en finira avec le rêve (l’illusion ? Sans doute pas si simple…) d’une Union européenne indépendante, puisqu’elle « raccordera » (pas seulement économiquement mais aussi réglementairement et sans doute « socialement ») purement et simplement les pays de l’UE aux Etats-Unis, dans une relation qui risque bien de souligner un peu plus la vassalisation du Vieux continent à l’hyperpuissance américaine, ce que de Gaulle avait tenté, par son projet d’une Europe confédérale des Etats, d’éviter à tout prix. Bien sûr, dans ce processus, il y aura des gagnants en Europe, en particulier l’Allemagne qui a su s’imposer ces dernières années au détriment de son partenaire (son égal ou son concurrent, pouvait-elle penser en d’autres temps…), un certain nombre de multinationales (désormais baptisées plus justement « transnationales ») et la Commission européenne, à la manœuvre, qui est la seule habilitée à négocier au nom de l’Union et à pouvoir mener les négociations, ce qui n’est guère rassurant quand on sait ses penchants d’un extrême libéralisme. La France a beau avoir obtenu l’assurance que son « exception culturelle » serait préservée, dans la réalité rien n’est moins sûr ! M. Barroso, sinistre président de la Commission européenne, a rappelé haut et fort que les négociations étaient bien du seul ressort de celle-ci et qu’elle avait reçu mandat par les Etats pour ce faire ; un commissaire européen n’a pas hésité à affirmer que, de toute façon, l’avis de la France pourrait être négligée, si besoin est (selon les négociateurs…), y compris sur ce que notre pays croit avoir protégé ! La menace d’un veto français apparaît, à ce propos, de plus en plus improbable…
Le renoncement du mercredi 3 juillet de M. Hollande, car c’en est bien un, qu’on le veuille ou non, montre aussi que les dirigeants de la République n’ont guère d’égards pour le peuple français, qu’il soit électoral ou plus vaste : cet abandon entre les mains d’une Commission qui va jouer son rôle et même, sans doute, profiter de l’occasion pour le redéfinir et le renforcer, n’est qu’un aspect, le plus triste peut-être, de ce véritable coup d’Etat politique européen qui va engager le continent tout entier, au nom de l’économie et des principes de libre-échange et de libéralisme économique, dans une situation que les nations et les peuples n’ont pas souhaité et ne souhaitent sans doute pas.
Le futur drapeau de la zone transatlantique de libre-échange ?La mise à l’écart des peuples et des Etats par les institutions européennes, prouve à l’envi que cette « Europe légale », de plus en plus, se coupe de ce que l’on pourrait nommer « l’Europe réelle » : il n’est pas sûr que les conséquences d’une telle attitude de la Commission européenne (le terme « trahison » est-il trop fort ?) mais aussi des gouvernements (de moins en moins souverains et politiques) et des parlementaires européens soient heureuses…
-
Soumis et imprévoyants
Nous l’avons souvent dit ici, les Etats-Unis défendent farouchement leurs intérêts et on ne saurait le leur reprocher. Mais ce n’est certainement pas une raison pour que nos gouvernements successifs acceptent sans broncher que notre pays soit traité comme une République bananière, trahissant ainsi de nouveau le mandat que leur a confié le peuple souverain. Nouvelle illustration de l’attitude de dhimmitude qui est celle de la gauche atlantiste devant l’hyperpuissante américaine, l’ahurissante affaire du refus de la France, comme d’autres pays de l’UE, de survol de l’avion du président bolivien Evo Morales. Au motif que son appareil était soupçonné d’abriter l’ex agent de la NSA Edward Snowden, à la recherche d’un asile politique, celui-ci a été contraint d’atterrir à Vienne (Autriche).
L’Equateur le Venezuela, l’Argentine, le Chili, le Brésil ont exprimé par la voie diplomatique leur mécontentement et leur solidarité avec leur homologue bolivien. L‘Union des nations sud-américaines (Unasur, qui regroupe 12 pays), a fait part de sa « solidarité » et de son « indignation » , indique un communiqué du ministère des Affaires étrangères du Pérou qui exerce la présidence tournante de l’organisation. Depuis Caracas, l’Alba (Alliance bolivarienne pour les peuples, qui compte huit membres autour du Venezuela) a critiqué « une situation grave due à l’impérialisme nord-américain et ses alliés européens ».
Les partisans du président Evo Morales, nationaliste indigéniste campant sur des positions plutôt altermondialistes, partisan de la décroissance et lié aux régimes vénézuélien et cubain par une même opposition aux Etats-Unis, ont organisé hier une manifestation devant ambassade de France à La Paz. Des drapeaux français ont été brûlés, des pierres ont été jetées sur fond de slogans hostiles à notre pays.
Le quotidien Le Monde l’a relevé, « l’autorisation d’accès au territoire national fait partie des droits régaliens des Etats. Mais une interdiction après décollage d’un avion transportant un président et qui a fait approuver son plan de vol au préalable semble sans précédent. »
Avec une hypocrisie toute socialiste, Laurent Fabius « a téléphoné à son homologue bolivien pour lui faire part des regrets de la France suite au contretemps occasionné pour le président Morales par les retards dans la confirmation de l’autorisation de survol du territoire par l’avion du président », a indiqué le porte-parole du ministère, Philippe Lalliot.
Car depuis Berlin, François Hollande a vendu la mèche. Il a confirmé qu’il était suspendu au feu vert de Washington interdisant tout départ de Edward Snowden. Il a ainsi avoué avoir « immédiatement donné l’autorisation de survol de la France à l’avion transportant le président bolivien, Evo Morales », uniquement quand il a appris que ce dernier était à bord de l’appareil sans l’ancien agent américain, car « Il y avait des infos contradictoires sur les passagers qui étaient à bord ».
Bref, M. Hollande joue aussi bien le rôle de féal de Washington que ne le fit en son temps M. Sarkozy, accusé en septembre 2006 par un Laurent Fabius alors dans l’opposition d’être « le futur caniche du président des Etats-Unis »…Le changement c’est pas maintenant.
La dernière réaction un peu digne et virile face aux activités d’espionnages récurrentes des Américains à notre endroit fut celle de Charles Pasqua en 1995, alors ministre de l’Intérieur . Considérant que les Etats-Unis avaient eu un «comportement inamical, venant de services alliés», cinq Américains (notamment quatre diplomates, dont le chef de poste de la CIA à Paris) qui «se livraient à des activités incompatibles avec le statut sous lequel ils résidaient en France» avaient été expulsés. Ils étaient accusés d’espionnage militaro-économique, notamment dans le domaine des télécommunications.
A contrario, en mai 2012, quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle, le piratage des réseaux informatique de l’Elysée par les Etats-Unis n’avait entrainé aucune réactions, alors même que des notes secrètes des plans stratégiques avaient été récupérés sur des disques durs, que des ordinateurs de proches conseillers de Nicolas Sarkozy avaient été fouillés rapportait l’Express…
Sur cette question plus générale de l’espionnage électronique dont la France fait l’objet, il s’agit de rappeler quelques vérités. Car si l’espionnage militaro-économique entre « bons alliés » a toujours été de mise, il existe toute de même des méthodes pour s’en prémunir, malgré les moyens colossaux dont disposent les services de renseignements américains comparés aux nôtres.
D’abord cette évidence : Il ne faut pas s’étonner que les agences yankees piochent, analysent et fouillent dans les données sensibles électroniques émanant de nos pays…quand elles sont hébergées stockées par les grands groupes américains qui sont en position ultra dominante et quasi hégémonique. Elles n’ont qu’à demander pour se servir.
Il s’agirait aussi d’avoir une production de composants logiciels/électroniques franco-françaises… afin de ne pas devoir les acheter à l’étranger !
Autre constat, la nécessité de la mise sur pied d’un chantier national consistant à sécuriser les WAN/MAN Français. Il est impératif de de dresser une digue solide capable de résister aux attaques informatiques internationalisées auxquelles ce livrent régulièrement la Chine, les États-Unis mais aussi d’autres Etats.
Bref, là encore constate Bruno Gollnisch, tout est question d’autorité, de souveraineté, de volonté politique ; toutes choses dont sont singulièrement dépourvues les politiciens de l’UMPS. Les enseignements de l’Histoire sont impitoyables : malheur aux peuples dont les chefs ont la main molle et qui comptent sur les autres pour assurer la sécurité des nations dont ils ont la charge.
-
Que reste-t-il de la démocratie et de l'Etat de droit dans le régime de l'Union européenne ?
Notre régime politique ne présente plus ni hiérarchie des normes claire, ni vraie séparation des pouvoirs, ni stabilité institutionnelle, ni égale représentation des citoyens, ni vraie responsabilité politique, ni intelligibilité du pouvoir, ni neutralité constitutionnelle. On ne rendra service ni à la démocratie, ni à l’Etat de droit, ni à la construction européenne, en refusant, au prétexte que les intentions et promesses de l'Europe sont merveilleuses, de procéder à l'indispensable "examen critique" auquel nous invitait Hannah Arendt face à la menace totalitaire que porte la dégénerescence des démocraties en technocraties.
par Christophe Beaudouin, docteur en droit public
S’exprimant devant le Président de la République à l’Elysée à l’occasion des vœux des corps constitués le 8 janvier 2013, le vice-président du Conseil d’Etat, Jean-Marc Sauvé, ne mâcha pas ses mots : « Matrice de la Nation, à laquelle, de la monarchie à la République, il est consubstantiellement lié, l’Etat répond de son héritage, il défend ses intérêts et ses valeurs, il porte ses espoirs. Par-delà les péripéties de notre histoire, aussi douloureuses fussent-elles, l’Etat est aussi le garant de la continuité de la vie de la Nation et de l’expression démocratique de la souveraineté » Ce préalable posé, le vice-président de la haute juridiction administrative s'inquiète alors : «Mais l’Etat, comme l’administration qui le sert, sont aujourd’hui remis en cause par des mutations profondes : la globalisation ; l’intégration européenne ; la dévolution interne des pouvoirs (…) Alors même qu'il est limité, encadré, contourné, exposé à toutes sortes d'injonctions, le besoin d'Etat n'a jamais été aussi pressant.»
L’Europe est en effet désormais le cadre économique, juridique, politique et culturel dans lequel nous devons vivre. Ainsi sommes nous réputés en avoir décidé souverainement, à travers nos représentants successifs et un référendum, depuis une trentaine d’années. Dont acte.
Ce cadre nouveau n’est pas né dans la brutalité sanglante d’une guerre, d’une révolution ou d’un coup d’Etat militaire, mais de différents traités consentis, librement et à l’unanimité par des Etats initialement démocratiques. Cependant, ce constat épuise-t-il la question de savoir si, dans cet ensemble politique nouveau qu’ils constituent, les Etats membres ont effectivement conservé les qualités qu’ils avaient atteintes distinctement au niveau national ? Bien sûr que non.
Que l’Europe intégrée soit la fille légitime des nations démocratiques qui la composent ne suffit pas à présumer le consentement des peuples souverains aux quelques 38.000 règlements, directives, décisions et arrêts aujourd’hui en vigueur, et plus généralement aux politiques européennes menées en leur nom.
Derrière la question du caractère démocratique du régime européen se pose rien de moins que celle, éternelle, de savoir « par qui ou par quoi sommes-nous aujourd’hui gouvernés, de quelle manière et à quelles fins ? »
« Supprimez le droit et alors, qu’est-ce-qui distinguera l’Etat d’une vaste bande de brigands ? » Lorsque Saint-Augustin pose cette question, il annonce ni plus ni moins ce qui se produit lorsque le pouvoir se sépare du droit. Lorsque le pouvoir n’est plus commandé, à travers la règle de droit, par la raison humaine. L’Europe ne le sait que trop bien. Lorsque le pouvoir n’est pas ou plus reconnu, il ne peut s’exercer durablement et s’épuise vite dans la violence. Et se transforme en tyrannie. Il n’est pas d’allégeance durable sans reconnaissance. On n’obéit pas longtemps à un pouvoir que l’on ne reconnait pas. C’est cette leçon simple qu’entend l’étudiant de première année de droit : seule la règle perçue comme légitime mérite obéissance. Sans sentiment de légitimité, pas de sentiment de justice et sans justice point d’obéissance. Et il n’est pas de règle perçue comme légitime par les gouvernés, qui ne soit émise par une autorité elle-même perçue comme légitime : légitime par son origine, légitime sa sagesse, légitime par les buts d’intérêt général qu’elle poursuit.
C’est donc peu dire que le maintien des qualités démocratiques et de l’Etat de droit dans cette Europe unifiée est la condition première de la paix dans les sociétés européennes.
L’Europe c’est la paix oui mais si et seulement si le pouvoir y est demeuré démocratique, donc légitime, reconnu et auquel les gouvernés consentiront à obéir.
Tel est l’enjeu et donc également la problématique, vaste et passionnante, que pose notre régime européen d’intégration : le nouveau corps institutionnel constitué d’un réseau d’organes supranationaux à Bruxelles, Francfort et Luxembourg, prolongé sur tout le continent par vingt-sept, bientôt vingt-huit, démembrements étatiques, peut-il être qualifié de « démocratique » ?
Crise économique, crise de légitimité, crise d’identité : il ne faut pas être grand devin pour voir que nous ne nous trouvons pas devant un simple « déficit » démocratique, qu’une énième révision des traités contribuerait à combler.
Pour reprendre l’expression de la Cour constitutionnelle de Karlsrhue dans son arrêt "Lisbonne" du 30 juin 2009 : nous sommes devant un « déficit structurel » de démocratie, autrement un vice de conception, un abysse : le vide de demos européen, c’est-à-dire de peuple continental suffisamment homogène pour y puiser un consentement à gouverner.
Le grand déni européen de la France
Combien de temps allons-nous ainsi contourner l’obstacle en nous contentant de concepts ambigus ou étrangers au droit constitutionnel : l’Europe serait un « objet politique non identifié », une « union sui generis », une « fédération d’Etats nations »… L’intégration européenne inflige à nos concepts juridiques et représentations classiques des démentis, et il faut nous demander pourquoi. Et ce n’est pas faire injure à l’Europe, berceau de la démocratie, que de se soucier de la légitimité démocratique de ce régime de l’Europe unie.
Après quelques années passées à Bruxelles au sein d’une institution européenne, je crois mesurer un peu mieux ce qu’il faut bien appeler le grand déni français sur l’affaire européenne.
Il suffit de porter le regard sur les élites européennes, d’écouter ce qu’elles disent, d'observer la façon dont elles avancent leur projet d'intégration :
Entendre, par exemple, la virulence des réactions au sein de la « commission des affaires constitutionnelles » – oui c’est bien son titre - du Parlement européen, dans les deux ans qui ont suivi les « non » massifs français et néerlandais au traité constitutionnel en 2005.
Relire Jean Monnet qui avait prévenu les avocats de la souveraineté nationale : « Nous ne coalisons pas des Etats nous unissons des Hommes »
Relire Walter Hallstein, le premier président de la Commission européenne qui annonça en 1962 la « suppression de la frontière sémantique entre Economie et Politique »
Relire les grands Présidents de la Cour de Luxembourg que furent Robert Lecourt et Pierre Pescatore évoquant ouvertement la charge explosive de leur jurisprudence au service d’un « nouvel ordre européen ».
Relire avec le recul les Attendus des arrêts de 63-64 Van Gend en Loos et Costa, pour comprendre comment, une fois encore dans l’Histoire, un coup de bluff cachait un coup de force juridique, annonçant une révolution politique.
Réécouter Jacques Delors parlant d’une : « construction à l’allure technocratique et progressant sous l’égide d’une sorte de despotisme doux et éclairé ».
Entendre encore le Président Barroso rangeant pertinemment l’Union dans la catégorie des « empires ».
Si un doute subsistait quant à la pertinence de la question posée, ce rapide inventaire eût suffit à le lever.
Au terme de la thèse* que je viens d'achever, les traits du régime européen d'intégration peuvent être présentés de la manière suivante :
1) Le passage du gouvernement représentatif à la gouvernance supranationale, que traduisent les transferts de souveraineté des États vers l'Union, réduit la souveraineté effective du peuple et du citoyen. L’intégration européenne n’a été rendue possible qu’au prix d’une asphyxie certaine des démocraties nationales, proportionnelle aux abandons de souveraineté consentis traités après traités ou arrachés par les institutions de Bruxelles et Luxembourg, sans que cette perte de démocratie ne soit compensée, d’une façon ou d’une autre, au niveau européen.
2) Cette « technocratie de marché », qui semble se substituer peu à peu à la République se caractérise par l’abandon de la démocratie au sens politique du « gouvernement de soi », le « peuple en corps » exerçant sa souveraineté, au profit d’une oligarchie technicienne – équivalent public du « Manager » qui prolifère dans la sphère privée – laquelle tire sa légitimité non du suffrage universel mais de sa compétence, mise au service de la déréglementation de l’économie et du droit prescrites par les traités.
Ces autorités de gouvernance mettent en œuvre, en l’adaptant à peine, le droit de la mondialisation dans son versant économique pur – avec les quatre libertés de circulation - et dans son versant culturel avec les multiples droits à la non-discrimination distribués aux individus et minorités.
3) Dans cet ensemble, l’Etat membre et à travers lui le Politique, n’a pas complètement disparu. Il lui prête le bras séculier et la légitimité qui lui font défaut.
Son bras d’abord, en mettant ses moyens administratifs, budgétaires, humains et son expérience de puissance publique au service de la transposition, l’exécution des normes, du prélèvement des recettes et de l’application des politiques de l’Union.
Mais l’Etat membre a un autre rôle qu’on oublie souvent : il recouvre ces normes et ces politiques européennes du manteau de sa propre légitimité, sans quoi elles serait ressenties comme une pure violence.
4) La révolution européenne provoque deux ruptures inédites : entre l’autorité et le pouvoir d'une part, entre la politique et le droit d'autre part. Elle dissocie d'abord l’autorité (qui décide) et pouvoir (de l'action), contribuant à une dilution de la responsabilité politique et permettant au passage aux gouvernements de faire souvent de l’Europe le bouc émissaire bien commode de leurs renoncements. Elle contribue aussi à rompre le lien entre la volonté majoritaire et la loi : pour la première fois dans l’Histoire le droit n’est plus formulé par le Politique.
5) Notre régime politique ne présente plus ni hiérarchie des normes claire, ni vraie séparation des pouvoirs, ni stabilité institutionnelle, ni égale représentation des citoyens, ni vraie responsabilité politique, ni intelligibilité du pouvoir, ni neutralité constitutionnelle. Les Etats réaffirment pourtant à travers les traités européens, la Charte des Nations Unies et imposent aux pays candidats à l’UE, ces principes auxquels l’Union et ses Etats membres tournent aujourd’hui le dos et qui sont pourtant le minimum constitutionnel pour toute démocratie.
6) L’Union apparaît comme un laboratoire régional de la gouvernance globale. L’Union peut être en effet sans réserve classée parmi les nouvelles autorités de l’ordre global en gestation – sans doute l’une des plus importantes, avec le FMI, la Banque Mondiale ou l’OMC, parmi les 2000 organisations administratives de niveau mondial produisant de la norme transnationale. Elle fait même figure de prototype quant aux formes futures d’administration recherchée au niveau mondial.
En définitive, le passage à l’Europe intégrée ne traduit-il pas l’achèvement du cycle démocratique – achèvement au double sens d’accomplissement et de terminaison – annoncé depuis les Grecs ?
On ne peut ignorer davantage les préventions émises par plusieurs juristes ou acteurs européens, les cours constitutionnelles allemande et italienne ou la Chambre des Lords britannique.
Pourquoi la méthode choisie pour « faire l’Europe » menacerait-elle la démocratie en Italie, en Allemagne, au Danemark, en Irlande ou au Royaume-Uni, mais jamais en France ?
Pourquoi par exemple s’interdire de bâtir un bloc supra-constitutionnel absolument inviolable et suprême, protégeant du pouvoir de révision les dispositions inhérentes à la souveraineté, à la démocratie, à la « forme républicaine du gouvernement » interdite de révision par l’article 89 alinéa 5 de la Constitution ?
Et puisqu’on aime à vanter le « modèle allemand » en économie, pourquoi ne pas s’inspirer du modèle constitutionnel démocratique développé à Karlsrhue ? Car s’il est une langue qu’Allemands et Français pourraient parler ensemble, et avec leurs partenaires européens, c’est peut-être justement la langue constitutionnelle…
Pourquoi aussi ne pas instaurer, comme au Danemark, un mandat de négociation pour les ministres allant à Bruxelles ? Un droit d’opposition ou de non-participation à telle législation européenne, voté par le Parlement national ?
Être eurocritique : un devoir démocratique, un sursaut de l’intelligence
Au milieu des années 1970, la philosophe du totalitarisme Hannah Arendt, nous mit en garde contre « l’effrayante mutation en bureaucraties » qui guettent toutes les démocraties : après le « règne des Hommes et du droit », celui de « bureaux anonymes et d’ordinateurs qui menacent de dépérissement et d’extinction toutes les formes de gouvernement. » ; « Une fois de plus, expliquait-elle, tout commencerait par un rêve et un projet nourri des meilleures intentions, mais dont les conséquences cauchemardesques ne seraient décelables qu’au prix d’un examen critique. »
On ne rendra service ni à la démocratie, ni à l’Etat de droit, ni à la construction européenne, en refusant, au prétexte que les intentions et promesses de l'Europe étaient merveilleuses, de procéder à un tel examen critique. La mort de l’esprit critique, c’est la mort de la raison humaine, la mort de l’intelligence, la mort de l’esprit tout court.
Camus écrivait : « La logique du révolté est ... de s'efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel » ("L'Homme révolté"). Puissions-nous par tous les canaux qui nous sont offerts – académiques, médiatiques, politiques - contribuer un peu à mieux nommer les choses, et aider au renouvellement de la pensée critique européenne.
ChB http://www.observatoiredeleurope.com
* Christophe Beaudouin : « La démocratie à l’épreuve de l’intégration européenne. Redistribution des lieux de pouvoirs, nouvelles manières de dire le droit et légitimité démocratique dans l’Union européenne », Thèse de doctorat en droit public de l’Université Paris V (dir : Recteur Armel Pécheul), mai 2013, à paraître.