Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

international - Page 1263

  • Contestation de l’islam : les Femen sont en émoi

    PARIS (NOVOpress) – Etats d’âme à géométrie variable chez les Femen. Plusieurs militantes gauchistes de la section française ont quitté le groupuscule suite à l’incendie du drapeau portant l’inscription de la profession de foi des musulmans. L’action s’est déroulée mercredi dernier devant la mosquée de Paris.

    Les musulmans présents ont mis un terme brutalement à l’opération visant à soutenir une militante tunisienne et dénoncer les atteintes aux droits des femmes dans les pays arabo-musulmans. Six membres ont donc choisi de quitter Femen France parce qu’elles « refusent de cautionner l’une des dernières actions en date ». En revanche, quant il s’agit d’agresser les catholiques à Notre-Dame de Paris (photo) ou dans les manifestations contre le mariage homosexuel, les Femen n’ont pas de regrets. Un exemple révélateur sur les postulats idéologiques qui régissent ce mouvement : valorisation de la mondialisation, défense de l’islamisation de l’Europe et haine de son identité chrétienne.

    http://fr.novopress.info

  • Poutine 3 - An 1: Bilan et avenir

    Poutine 3 - An 1: Bilan et avenir Beaucoup de commentateurs et analystes ont tenté de faire le bilan politique de la première année du troisième mandat de Vladimir Poutine, c'est-à-dire sa neuvième année en tant que président de la fédération de Russie et sa treizième année au sommet de la scène politique russe.

    Le premier mandat Poutine avait commencé dans le sang avec la tentative de déstabilisation orchestrée de la république Tchétchène qui avait conduit à la seconde guerre de Tchétchénie. Ce premier mandat sera également marqué par la prise d’otages du théâtre de Moscou en 2002 ainsi que par l’attentat du métro de Moscou en février 2004. Le second mandat commencera lui aussi difficilement avec le double attentat sur les avions de ligne d’août 2004, l’abominable prise d’otages de l'école de Beslan et l’attaque de 2005 à Naltchik contre le bâtiment des forces de l’ordre. 2010 et 2011 connaitront également leurs attentats, dans le métro puis à l’aéroport de Domodedovo. Pourtant dans le même temps, l’intensification de la lutte contre les structures terroristes dans le Caucase a sans doute considérablement amoindri la capacité de ces cellules à frapper ailleurs en Russie et notamment dans la capitale russe, visée en priorité pour des raisons bien évidemment politiques. Sur le plan du terrorisme la situation s’est donc améliorée en Russie et ce sur la quasi-totalité du territoire.

    La situation politique s’est elle aussi stabilisée. L’opposition parlementaire n’est pas plus qu’il y a 10 ou 12 ans en position de remporter des échéances électorales majeures puisque seul le parti communiste peut prétendre faire de l’ombre à Russie-Unie, ce parti (on doit sans doute plus parler de plateforme) centriste et conservateur. Mais le parti communiste, tout comme le parti nationaliste libéral-démocrate de Vladimir Jirinovski, souffrent d’une usure profonde due à l’ancienneté de leurs leaders respectifs, qui concourent politiquement depuis la fin de l’URSS. Curieusement du reste, cette usure politique semble frapper autant, voir plus, l’opposition que le pouvoir et ce contrairement aux prévisions de nombre d’experts.

    L’opposition minoritaire et non parlementaire qui avait quand à elle réuni quelques dizaines de milliers de manifestants durant l’automne 2011 s’est logiquement essoufflée, minée par les scandales et les dissensions internes, tout comme sans doute et surtout par l’absence d’un quelconque programme politique. Aucune surprise à cela, il y a un an j’avais tenté d’expliquer que la jeune classe moyenne supérieure (dite classe créative) n’allait pas pouvoir se résoudre bien longtemps à confier le leadership des manifestations de l'opposition à des tendances radicales par exemple d’extrême gauche, prêtes à l’action violente, voire à basculer dans le terrorisme.

    Illustration: Une de mes amies, journaliste pour une télévision publique me disait qu’elle était allée à Bolotnaia, puis lorsqu’elle a vu ce que devenaient ces rassemblements, à savoir occuper des quartiers pour jouer du tam-tam et dormir dehors (à l’époque révolue du slogan Occupy Moscow) elle m’a dit n’y avoir plus jamais mis les pieds. Ce mouvement, pâle copie d’un projet américain lui aussi sur le déclin, est rapidement mort. Mon amie a fini par voter Prokhorov aux élections, par défaut, ne sachant pas trop pour qui mettre son bulletin dans l'urne.

    Une enquête par sondages vient de démontrer que les jeunes russes, contrairement à une idée reçue, ne font en réalité pas plus confiance à l’opposition qu’au pouvoir. Si un grand nombre de jeunes soutiennent les autorités, ils ragent en même temps contre les bureaucrates et le système administratif, et ce comme la totalité des russes. Si Vladimir Poutine reste l’homme politique préféré des jeunes, celui-ci est suivi par Vladimir Jirinovski et par Michael Prokhorov, et la grande majorité des jeunes interrogés n’a pris part à aucune manifestation de l’opposition. Pour Elena Omeltchenko, chef du Centre de recherche de la jeunesse de l’École des hautes études en sciences économiques: "Les jeunes gens ont de la bouillie dans la tête. Le nationalisme coexiste avec le libéralisme".

    Ce mélange de deux tendances que l’on pourrait juger hautement contradictoires peut donner naissance a une nouvelle tendance hybride, dont l’une des formes a sans doute émergé discrètement en conséquence de l’évolution que la scène politique russe a connu ces 18 derniers mois: l’idéologie nationale-démocrate.

    Plusieurs membres de la Chambre civile russe (organe consultatif auprès du Kremlin) s'attendent du reste à l'émergence de plusieurs partis nationalistes capables de concurrencer les partis parlementaires lors des prochaines élections législatives. Cette droitisation à venir de la société civile a visiblement été anticipée par le pouvoir russe, et ceci se traduit par l’émergence de figures fortes et nationalistes dans le cercle de gouvernance, que l’on pense par exemple à Dimitri Rogozine ou encore à Serguey Glaziev, tous deux anciens du mouvement politique Rodina (La Patrie).

    On peut donc imaginer que de Bolotnaia 2011, il ne restera pas grand-chose dans le futur proche. Comme l’écrivait Dimitri Olchansky il y a de cela un peu plus d’un an: "Les gens qui ont manifesté à Bolotnaia et Sakharov sont victimes d’une illusion d’optique. (…) Ils pensent représenter le peuple russe dans son ensemble – mais sur ce point, ils se trompent. (…) Plus longtemps Poutine conservera le pouvoir, plus on aura de chances de voir la société russe évoluer de façon paisible et harmonieuse. Les nationalistes finiront de toute façon par prendre le pouvoir, c’est inévitable. Mais plus tard ce jour arrivera, plus ils seront civilisés".

    Pourrait-on imaginer dans l’avenir une scène politique russe partagée entre un bloc centriste (concentré autour de Russie-Unie et/ou du Front populaire Russe) et un bloc nationaliste? Et si la réelle opposition, après avoir été communiste de 1991 à aujourd’hui, devenait à l’avenir l’opposition nationaliste ?

    Alexandre Latsa http://www.voxnr.com

  • Mali : La guerre pour sécuriser Desertec, future source énergétique de l’Europe ?

    Depuis 2009, les allemands avec les français proposent le projet DESERTEC d’un cout de 400 milliards d’euros d’investissement sur 40 ans qui va combler jusqu’à 20% des besoins en électricité de l’Europe. Ceci va aussi permettre à l’Europe de délocaliser son CO2 de 95 % !

    Le projet Désertec, est un projet du lobby industriel chapeauté par les politiques. Il veut associer l’Europe, l’Afrique du nord et le Moyen Orient dans le domaine de l’énergie mais la plus grande partie du projet se déroule en Algérie et plus précisément dans le Sud Algérien d’où l’enjeu stratégique de sécuriser cette région loin des bandes islamiques qui ont pris refuge au Nord du Mali !

    A cause des problèmes de sécurité, beaucoup d’industriels restent sceptiques. Retrait de Siemens de la DII (Desertec Industrial Initiative), annoncé fin octobre et de Bosch en novembre à cause de la conjoncture économique. L’Espagne s’est désistée au dernier moment et le projet est toujours en questionnement !

    En février 2010, le consul des États-Unis à Munich informe Washington sur l’opportunité que l’initiative Desertec pour les industriels américains tout en focalisant sur le problème politique qui DOIT être résolu !!!

    – Révélé par Wikileaks sous la référence 10MUNICH28 –, Le réassureur

    « s’attend à ce que ce ne soient pas les questions financières ou technologiques, mais les obstacles politiques, qui demanderont dans l’immédiat le plus d’énergie et d’attention de la toute nouvelle société Desertec Industrial Initiative (DII). Bien que le concept Desertec comprenne également le photovoltaïque, l’éolien, l’hydraulique, la biomasse et le géothermique, l’accent est mis sur les centrales thermiques solaires qui devront être situées dans des régions politiquement instables…

    DII dépendra en particulier des contacts de la France en Afrique du Nord pour surmonter les obstacles politiques dans les pays d’accueil potentiels… »

    En novembre 2009, les analystes de Stratfor parle de colonisation solaire un article d’Afrol (2 novembre 2009) au sujet de Desertec ;

    « L’Europe a besoin d’alternatives à l’énergie russe et l’Afrique du Nord est un bon endroit où chercher car, contrairement à son rapport avec la Russie, le rapport de puissance qu’a l’Europe avec l’Afrique est positif. En d’autres mots, si le Mali emmerde [sic] les fermes solaires, l’Europe peut démolir le Mali.

    Cela dit, ce projet n’irait pas sans poser des problèmes de sécurité : il faudrait encore s’entendre avec toutes sortes de tribus berbères et les réfractaires d’Al-Qaïda essayant de couper les lignes électriques. Ce projet exigerait donc de l’Europe le développement d’une infrastructure de sécurité compétente pour intervenir en profondeur en Afrique du Nord.

    Les ONG hippies ont raison quand elles disent que ça mènerait à un « colonialisme solaire », sauf que, contrairement à elles, la perspective m’enthousiasme réellement

    Le lien direct entre cette guerre du Mali et le projet Désertec se trouve renforcé avec ces révélations. Ce qui est visé n’est nullement le Mali mais bien l’Algérie. Un chantage est fait à l’état algérien pour signer ces conventions pour les 40 années à venir … ou subir un printemps arabe démocratique !

    Algérie Network   http://fortune.fdesouche.com

  • Entretien exclusif avec Alexandre Latsa, directeur du site "Dissonance"

    - Bonjour M. Latsa, pourriez-vous nous raconter qui vous êtes et quelle est votre profession dans la vie quotidienne ?

    Je suis français et réside à Moscou depuis 5 ans. J’y dirige un petit cabinet de conseils en Ressources Humaines. Je suis également blogueur et dirige le site Dissonance. Je suis aussi analyste pour l’agence de presse RIA-Novosti ainsi que pour la radio d’état Voix de la Russie et intervient régulièrement dans les médias russes ou étrangers.

    - Vous avez écrit un livre sur la Russie de Vladimir Poutine. Pourriez-vous nous faire part de votre analyse de ce remarquable personnage politique? Quel(s) aspect(s) vous attire(nt)-il(s) en sa personnalité et en sa politique? Est-ce pour vous une personnalité de rang historique ? Et comment vous jugez l'époque Poutine par rapport aux époques Gorbatchev et Eltsine ?

    Il me semble tout d’abord que Vladimir Poutine est, et de très loin, le plus grand leader politique européen actuel. C’est un grand visionnaire et quelqu’un qui a un plan politique à très long terme pour la Russie. Il me semble donc qu’il s’agit d’un leader historique de la trempe d’un De Gaulle par exemple. Ensuite le personnage en lui-même est fascinant, c’est un ancien des services secrets reconverti dans la politique, ce qui fait de lui un personnage atypique et en total décalage avec les profils des hommes politiques ouest-européens par exemple.

    La période Poutine (2000 à nos jours) est une période qui je crois restera cruciale dans l‘histoire de la Russie. L’administration Poutine a en effet réussi à reconstituer l’état (qui avait quasiment disparu durant le début des années 90) et à permettre au pays de retrouver des indicateurs économiques, sociaux, humains, moraux normaux. Enfin, et peut être surtout, la Russie est de retour comme un acteur de premier plan sur la scène régionale mais aussi sur la scène internationale.

    - Peut-on parler d'une profonde crise entre les générations en Russie ? Comment jugez-vous l'importance de l'opposition contre Vladimir Poutine ? Est-ce uniquement un instrument de l'Ouest afin d'affaiblir l'état russe, ou est-ce plutôt l'expression d'une crise plus profonde à l'intérieur de la Russie ? Que trouvez-vous du scénario de votre homonyme, l'expert allemand Alexander Rahr, pronostiquant une nouvelle révolution d'octobre en Russie dans son dernier livre, Der kalte Freund ?

    Fondamentalement les Russes sont désintéressés de la vie politique, cela à cause notamment de la chute de l’URSS et des terribles années 90 ou la politique (et donc les politiques) ont été totalement décrédibilisés. La grande majorité des citoyens est aujourd’hui simplement sans illusions sur la politique et les politiciens. Pour de nombreux russes le vote Poutine signifie simplement le vote pour un système global, fonctionnel qui permet l’amélioration de la situation économique et de leur cadre de vie. Cette majorité silencieuse est souvent la moins politisée mais c’est elle qui soutient le pouvoir en place.

    A coté, il n’y a pas une opposition mais des oppositions. Une opposition est dans le système et l’autre est hors système. La première comprend des grands partis politiques comme le parti communiste ou le parti nationaliste LDPR. Ces partis participent activement à la vie politique du pays. La seconde est l’opposition non parlementaire, dite de rue. En son sein il y a 3 grandes tendances: une tendance libérale, bruyante et concentrée dans certains milieux urbains et modernes mais qui n’a aucun soutien électoral réel, une aile nationaliste dure et enfin une aile radicale de gauche.

    Les gens qui ont manifesté dans les rues étaient sincères ou alors sincèrement anti-Poutine et en ce sens je ne crois pas que ce soit le fait d’une manipulation occidentale. Cela est peut être différent en ce qui concerne certains dirigeants politiques de cette opposition minoritaire de rue, dont les liens avec des réseaux étrangers et occidentaux sont avérés, j’ai beaucoup écrit à ce sujet sur mon blog (ici, la ou la).

    Je pense qu’il n’y a aucun choc de génération en Russie tout du moins entre la sphère politique et la jeunesse et cela pour deux raisons. Tout d’abord l’élite russe est très jeune et de nombreux acteurs de la sphère politique ou de gouvernance ont tout juste la 40aine. Ensuite, tant que le développement économique s’accroit, il me semble qu’il n’y a donc dans ses conditions aucun risque de révolution en Russie.

    Par contre le rapide développement du pays à entrainé que certaines parties du pays soient modernisées et d’autres beaucoup moins. Par conséquent la Russie reste un pays ou se côtoient tant le 19ième, le 20ième et le 21ième siècle et en ce sens il y a entre les gens de Moscou et ceux du Caucase par exemple de réels différences de mode/type de vie.

    Je n’ai pas lu le dernier livre d’Alexandre Rahr et ne sait pas de quoi il parle exactement.

    - Y-a-t'il vraiment une crise démographique, et, si oui, est-elle incontournable ?

    La crise démographique russe est quasi surmontée mais ses conséquences sont à venir.

    Le nombre de naissances s’est effondré après la chute du monde soviétique et la période libérale des années 90 (et l’effondrement économique lié) a accentué cette tendance. Dans le même temps la mortalité a explosé et par conséquent la population a diminué malgré l’immigration due au retour de nombreux russes ethniques des républiques soviétiques vers la Russie.

    Dès les années 2000 le nombre de naissances a commencé à remonter, et cette hausse des naissances s’est accélérée après 2005 avec l’instauration de mesures natalistes mais aussi le retour de la confiance envers un environnement économique national stabilisé et en amélioration permanente.

    L’immigration de résidence à elle diminuée pour se stabiliser et depuis 2009 la population russe augmente. Un historique des ratios naissances/décès est consultable ici.

    En 2012 le nombre de naissances a augmenté et a équilibré le nombre de décès. 2013 devrait sans doute voir une hausse naturelle de population pour la première fois depuis 1991.

    - Tournons vers la politique extérieure: comment ressentez-vous la récente crise financière chypriote et le rôle qu'ont joué les Russes, d'une part, et les Européens (càd surtout les Allemands), de l'autre part ? Y-a-t'il un avenir pour une forte alliance entre l'Union européenne et la Russie, ou est-ce que les Russes misent sur une "'après-UE" et un système bilatéral de relations franco-russes et/ou germano-russes ?

    En effet la Russie a de fréquents problèmes de fréquences  avec l’UE. A contrario les relations bilatérales avec les nations européennes se passent vraiment bien. Vous citez le cas de l’Allemagne mais c’est pareil avec la France, l’Italie ou la Serbie par exemple.

    L’affaire Chypriote ne devrait pas arranger la situation des relations entre Moscou et l’UE puisque les mesures totalitaires de Bruxelles et du FMI vont aboutir à ce que la Russie perde énormément d’argent dans cette affaire Chypriote. J’ajoute que la manière dont les mesures ont été imposées à Chypre sans que la partie russe ne soit informée (alors que c’est son argent qui était visé par les mesures de la Troïka) me semble relever de l’agression financière plus que de la maladresse.

    La relation Russie / UE doit cependant a ce jour être envisagée de façon pragmatique,  la Russie a presque la moitie de ses réserves de change en euros et l’Europe reste son principal client énergétique a ce jour.

    - Comment évaluez-vous la politique russe vis-à-vis de "l'étranger proche": peut-on parler d'un succès et d'un build-up de pouvoir politique, économique et militaire, ou est-il plutôt un échec ? Quels sont les atouts de la Russie pour les Européens ?

    Il me semble que la Russie est en voie de normalisation de ses relations avec les voisins, encore une fois ces processus ne se font pas instantanément et ne peuvent être mis en place que par un état souverain, or la reconstruction de l’état russe est récente.

    Ensuite la Russie a 20.622 km de frontières terrestres avec 14 pays ce qui rend la gestion de l’étranger proche autant complexe qu’essentielle, le tout au cœur de ressentis postsoviétiques  qui n’ont sans doute pas tendance à permettre de régler sereinement des situations complexes.

    Il me semble que cependant les choses sont en bonne voie et notamment via l’union douanière au sein de l’Eurasie et de l’ancien espace soviétique.

    En ce qui concerne l’Europe il me semble que la Russie est le réservoir énergétique nécessaire à l’Europe mais la Russie en outre a un formidable potentiel militaire. Enfin, a mon avis, la Russie représente surtout un réservoir de valeurs pour une Europe en manque d’idées et visiblement de ressources pour affronter ce siècle. A ce titre le modèle de société (conservatisme – Religion- souveraineté) qui se dessine en Russie pourrait être un modèle pour les pays d’Europe de l’ouest, qui drivent l’Europe et l’UE.

    - Comment évaluez-vous l'OCS ?

    L’OCS me semble être un mécanisme de coopération régional ayant sans doute vocation à étendre sa sphère d’influence, tant géographique que sur le plan des domaines d’intervention. En outre cette structure fonctionne sur un binôme Russo-chinois qui me semble dynamique et prometteur. La visite du nouveau président chinois en Russie confirme que la coopération entre ces deux pays va s’accentuer dans tous les domaines et tous les territoires, notamment en Arctique. Il me semble que cela confirme les pires scénarios géopolitiques américains mais il faudrait sans doute envisager à terme un axe européen à cette structure, pourquoi pas au sein d’un mécanisme continental et européen à bâtir, mais dont les russes ont déjà proposé le squelette via le projet de Traité sur la sécurité Européenne

    - En Russie, il y une tradition métapolitique importante, dite "eurasiste": que pensez-vous d'elle et de ses protagonistes? Ont-ils un vrai projet pour la Russie et le monde ?

    Oui cette tradition eurasiste existe et est très importante. Elle augmente sans doute au fur et à mesure que la Russie est déçue par l’Ouest et que celui-ci n’apporte plus de modèle jugé adéquat ou fonctionnel. Cet horizon eurasien est interprété et interprétable de différents manières, mais il me semble qu’il se développe en réaction à l’inévitable destin occidental que certains ont presque fatalement envisagé pour la Russie.

    Il me semble que la Russie est une puissance eurasiatique car son territoire est majoritairement en Asie, car sa sphère d’influence et une partie de son étranger proche est en Asie centrale, car elle souhaite augmenter la part de ses échanges économiques avec l’Asie et enfin surtout car de l’objectif déclaré de ses élites est le développement de son territoire a l’est: en Sibérie et en Extrême orient.

    Je crois donc que c’est la que se situe la clef de l’avenir de la Russie et aussi la réalisation de cette Eurasianité: dans le développement d’une nouvelle Russie tournée vers l’Est de son territoire, plus que peut être simplement tournée vers l’Asie en tant que tel.

    - Dernière question: vous habitez en Russie: peut-on la décrire comme un pays européen ou un pays asiatique? Certains Russes nous disent l'un, d'autres, souvent jeunes, nous disent l'autre.

    Il me semble que la Russie est plus européenne qu’asiatique en ce sens que l’héritage spirituel et religieux russe est majoritairement le christianisme Byzantin  et que la population dominante en Russie est majoritairement de souche slave. La Russie est donc évidemment plus proche de la Bulgarie ou de la Serbie que de la Chine.

    Maintenant je crois que la Russie n’est ni complètement l’Europe ou l’Asie, elle est avant tout une civilisation à part entière dont le modèle n’est pas établi mais en cours de définition. En ce sens, il me semble que l’histoire de ce pays est passionnante car ouverte, tout y est encore possible, le pire comme le meilleur.

    - Merci beaucoup pour l’interview, M. Latsa !

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • Irak : déjà, Bruno Gollnisch avait raison…

    Il y a dix ans, Bruno Gollnisch prenait la parole pour mettre en garde contre les terribles conséquences de la guerre d’agression, lancée par les États-Unis et ses supplétifs afin de renverser le régime laïc de Saddam Hussein en Irak. Les faits ont donné raison à Bruno Gollnisch. Superbe discours, jusqu’à la fin ! Il est bon de s’en souvenir à l’heure ou l’histoire se répète…

    http://www.contre-info.com

  • Alain Toulza : « Le nouvel ordre mondial sexuel exerce un véritable terrorisme »

    RIVAROL: Alain Toulza, diplômé de Sciences Politiques, vous avez été conseiller technique auprès du ministre sénégalais de l'Enseignement supérieur puis, en France, du président du Comité national d'évaluation de la recherche. Père de famille nombreuse, vous avez fondé en 1995 le Comité d'initiatives pour la Dignité humaine, l'une des associations appelant à la Marche pour la Vie du 11 octobre, et vous présidez depuis 2004 le collectif « Oui à la famille, non à l'homofolie ». Le livre majeur que vous venez de publier, Le meilleur des mondes sexuels (1) dénonce le « nouvel ordre mondial de la sexualité » sur lequel vous avez travaillé trois ans durant. Comment vous est venue l'idée de cette étude exhaustive ?
    Alain Toulza : De nombreux ouvrages ont été consacrés, depuis quelques années, à tel ou tel autre aspect de l'évolution des mœurs dans le monde occidental. Hormis L'histoire de la volonté de perversion des mœurs et de l'intelligence, de François-Marie Algoud, volumineux inventaire chronologique des faits et propos concourant à une tentative multiséculaire de destruction de la foi et de la moralité chrétiennes, ces études, dont le mérite est indéniable, offrent cependant l'inconvénient de présenter cette évolution comme une série fragmentée de faits de sociétés plus ou moins indépendants les uns des autres.
    Or, il m'est apparu que, loin d'être des épiphénomènes circonstanciels d'une mutation incontrôlable de la société, les dérives que nous connaissons en matière de vie sexuelle et de normes propres à la construction de l'amour procréateur s'ordonnent autour d'un schéma destructeur de ce que nous qualifions de « culture de vie ». En ce sens, elles constituent ce que je dénomme un « nouvel ordre mondial de la sexualité ». Mon ouvrage, structuré en deux tomes, répond à la nécessité de mettre en évidence les liens organiques entre les différentes formes de ces bouleversements moraux, sociaux et biotechnologiques, et leur fil conducteur d'ordre idéologique.
    R : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la façon dont ce courant dévastateur a imprégné le monde occidental ?
    A. T. : Il est difficile de résumer en quelques lignes ce qui fait l'objet de trois des quatre chapitres du premier tome, intitulé Le meilleur des mondes sexuels. Pour faire court, je dirai que le fil conducteur peut être repéré à partir du milieu du XIXe siècle et suivi à travers les étapes du combat féministe dans le monde occidental. L' évolution du statut de la femme est à l'origine de la révolution sexuelle, qui détermine elle-même les transgressions révolutionnaires en matière de structure familiale et de procréation. Même le phénomène de l'homosexualité est hérité de cette sorte de transformisme de l'idéologie féministe initiale, ainsi qu'il est démontré dans ce premier livre. Mais le mouvement féministe n'aurait jamais connu l'ampleur qui en a fait le fer de lance d'une révolution mondiale en cours s'il n'avait été alimenté et soutenu par des philosophies et quelques doctrines anthropologiques telles que le darwinisme, le malthusianisme, le « nouvel âge » et la franc-maçonnerie entre autres. L'intérêt de cette enquête est de montrer les convergences et les articulations entre ces divers courants, ainsi que les complicités politiques, nationales et internationales, et les outils scientifiques dont disposent les artificiers de la révolution mondiale de la sexualité.
    R. : De plus en plus, les philosophies mortifères que vous dénoncez deviennent des modes, que les peuples du monde entier suivent aveuglément. Pouvez-vous nous expliquer cet alignement ?
    A. T. ; Il est vrai que les modes sexuelles occidentales tendent à se répandre dans les autres continents, du moins au niveau de la jeunesse urbaine, surtout "dorée", des peuples qui composent le tiers-monde. Mais à un degré encore très modéré. Comment expliquer ce phénomène sinon, pour une large part (Afrique, Japon, par exemple), par la déperdition de la foi ancestrale et des valeurs qu'elle véhiculait, comme dans l'Occident chrétien ? Ajoutons-y, au plan de la contraception et de l'avortement, les campagnes massives et totalitaires du Planning familial international orchestrées par les séides des organismes internationaux. Cela sera rappelé dans le second livre à paraître. Le grand affrontement, lequel montrera également le rôle majeur joué en ce sens par la pornographie, dont le principal outil, aujourd'hui, est l'internet.
    R : Du noyautage du courant féministe originel par des intellectuelles lesbiennes nord-américaines à la structuration du mouvement homosexuel en une communauté internationale suractive et faiseuse de lois, un pas de géant a été accompli en trois décennies. Comment cela a-t-il pu se produire sans que le monde politique ait tenté de réagir et sans ruptures internes au sein de cette mouvance communautariste ? Le sida a-t-il joué un rôle fédérateur à cet égard ?
    A. T. : C'est qu'au contraire de certaines sociétés anciennes dans lesquelles l'homosexualité a été, quoi qu'on en prétende, largement contenue, à un moment de leur histoire, par une incapacité à se justifier, le mouvement homosexuel des temps modernes s'est taillé une dimension sociale spectaculaire à partir d'une théorisation de sa prétendue légitimité.
    Dans un chapitre que j'ai voulu fortement argumenté, j'ai tenté d'exposer de façon accessible la doctrine "queer" (mot anglais signifiant à l'origine bizarre), fondement idéologique du concept d'orientations sexuelles, dans ses méandres parfois contradictoires, et la théorie du "gender" qu'elle a conçue. Il faut bien voir que cette doctrine a été servie par des intellectuels de rang universitaire occupant parfois des chaires de prestige, en France comme en Amérique du Nord, et qu'elle a, aujourd'hui, rang de cité dans les structures de l'enseignement supérieur et de la recherche du monde occidental. D'où le terrorisme mental qu'elle exerce sur nombre de politiciens et le crédit dont elle bénéficie dans les media appointés. Ce qui interdit la divulgation des débats internes à la communauté homosexuelle. Ajoutons que le sida a joué, et joue encore, une mission de dictature de la compassion qui prive le public réticent de toute capacité de réaction.
    R. : Vous démontrez que l'homosexualité n'était pas la règle en Grèce et dans la Rome antique (le prétexte de la guerre de Troie fut l'amour de Pâris non pour un éphèbe mais pour la belle Hélène) et qu'elle n'était guère pratiquée que dans les hautes classes, ce qui a d'ailleurs conduit à la décadence de Rome. Quel est, à l'époque présente, le rôle des massmedia et/ou d'internet d'une part et de l'Education nationale d'autre part, dans sa diffusion actuelle à travers toute la société, y compris l'armée puisque l'on a appris à l'occasion de sa mort que l'un des sous-officiers paras servant en Afghanistan était pacsé avec un camarade ?
    A. T. : Je ne démontre pas, je ne fais que rappeler ce que d'éminents universitaires, qui sont des références internationales en matière de culture et de civilisation hellénique ou romaine, ont largement prouvé documents irréfutables à l'appui - et que les auteurs les plus cités (du monde romain notamment) confirment : l'homosexualité était très limitée et méprisée dans ces deux civilisations, c'était la pédophilie qui régnait, mais au niveau de certaines castes dominantes. L'amour était massivement hétérosexuel (v. Ovide, par exemple).
    Cependant et selon le précepte « le poisson pourrit par la tête », la dégradation des mœurs dans ces hautes sphères a précipité le déclin de leur empire.
    Vous avez raison de souligner, comparativement, que parmi les facteurs nouveaux d'expansion de l'homosexualité, les media et le monde de la pseudo-éducation dite nationale occupent une place d'importance. Il y a, dans le premier tome, des sections majeures sur ce sujet, mais le second tome développera leur rôle néfaste en matière d'incitation à la perversion des mœurs au sens le plus large du terme.
    R. : Vous avez esquissé, dans Le meilleur des mondes sexuels, quelques conséquences qu'entraîne déjà cette libéralisation des mœurs mais vous laissez entendre qu'à terme, ce qui constitue aujourd'hui une véritable tentative de subversion révolutionnaire risque de produire des effets encore plus désastreux que la domination marxiste il y a peu. Pouvez-vous nous en dire plus ?
    A. T. : J'ai déjà, dans ce premier tome, montré les dégâts résultant de l'emprise du modèle des « familles recomposées » qui ne sont jamais que l'illustration de l'amour décomposé. Et j'y ai longuement traité de la perspective effrayante qu'ouvre l'utilisation démoniaque (n'ayons pas peur des mots) des techniques de manipulation biologique au profit, à la fois, des ambitions folles des chercheurs et des exigences de la libération sexuelle déconnectée de la dimension naturelle de l'amour et de la procréation. Le grand affrontement montrera comment s'opère l'anesthésie des mentalités et l'inversion des valeurs au moyen des technologies de destruction mentale (pornographie, pédophilie, prostitution, drogue, internet, medias) des structures et appareils politiques, et des courants idéologiques venant d'horizons parfois surprenants. S'il n'y a évidemment pas de chef d'orchestre (sinon le Malin, bien entendu), l'évidence s'impose d'une volonté convergente de nombre d'acteurs d'instaurer un monde nouveau construit non seulement hors de Dieu comme le marxisme, mais en outre sur les décombres des lois naturelles qu'Il a posées.
    R. : Voilà un constat bien inquiétant; il pourrait démoraliser plus d'un de nos amis et susciter parmi eux une tendance à la démobilisation. N'y a-t-il pas, dans votre ouvrage, un message d'espoir ? Que pouvons-nous opposer à cette monumentale entreprise de déstructuration morale et sociale ?
    A. T. : Nous avons pour nous l'Espérance. Le chapitre final du deuxième tome (Le grand affrontement) est entièrement consacré à l'organisation de la résistance et de la contre-offensive. Gardons-nous de sous-évaluer, dans notre subconscient, les armes spirituelles mises à notre portée.
    Cette lutte est celle des deux étendards et nous savons, depuis saint Ignace, comment conduire pareil combat. Mais nous disposons aussi de pas mal d'armes temporelles : politiques, associatives, juridiques, éducatives, médiatiques (sachons, à notre tour, utiliser l'internet mais pour la bonne cause). Tout cela est largement exposé dans ce chapitre, dont la note ultime est en référence à cette parole du Christ : « mais, n'ayez pas peur, j'ai vaincu le monde ».
    Propos recueillis par Jacques LANGLOIS. Rivarol 19 SEPTEMBRE 2008
    (1) On peut se procurer l'ouvrage de M. Toulza (348 pages avec annexes et préface de Denis Sureau). 25 euros + frais de port) soit auprès de Duquesne Diffusion, soit aux éditions de Chiré, soit auprès de l'association PMN, 20 rue Louis Blanc, 75010 Paris.

  • La nouvelle politique étrangère étasunienne

    La nouvelle politique étrangère étasunienne Lors d’une récente conférence en Pologne, le stratège étatsunien Zbigniew Brzezinski a déclaré ceci : « Le déplacement actuel du centre de gravité du pouvoir politique mondial de l’Ouest vers l’Est, accentué par l’émergence de la Chine et de l’Asie plus généralement, annonce le début d’une distribution nouvelle et plus complexe du pouvoir mondial. »

    Zbigniew Brzezinski n’est pas n’importe quel analyste. De 1977 à 1981, il a été conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter. Il est connu pour avoir recruté Ben Laden et planifié la guerre d’Afghanistan contre l’URSS. Zbigniew Brzezinski est surtout connu pour avoir créé, en 1973 avec David Rockefeller, le très puissante think tank la Trilatérale qui s’est fixé comme objectif la construction d’une coopération politique et économique entre les trois zones clés du monde : l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Asie pacifique. L’ancien conseiller de Jimmy Carter a également été le conseiller de Barack Obama lors de la campagne présidentielle de 2008. Notons qu’après son élection, Barack Obama a nommé une dizaine de hauts fonctionnaires issus de la Trilatérale.

    LES PRINCIPES DE LA POLITIQUE ETRANGERE ÉTASUNIENNE

    Il y a une quinzaine d’années, Zbigniew Brzezinski parlait sur un autre ton. Dans son livre Le Grand Échiquier (1997), le cofondateur de la Trilatérale écrivait : « Il est impératif qu’aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l’Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l’Amérique (...) Deux étapes fondamentales sont donc nécessaires. Premièrement, identifier les États géopolitiquement dynamiques qui ont le potentiel de créer un basculement important en terme de distribution internationale du pouvoir, et de décrypter les objectifs poursuivis par leurs élites politiques, et les conséquences éventuelles. Deuxièmement, mettre en œuvre des politiques US pour les compenser, coopter, et/ou contrôler. » Pourquoi Zbigniew Brzezinski a-t-il changé de ton dernièrement ?

    En réalité, beaucoup de choses ont changé sur l’échiquier politique mondial. Les échanges économiques et militaires entre la Russie et la Chine ne cessent de se multiplier. En 2012, le groupe des BRICS, qui réunit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, a annoncé son projet de banque Sud-Sud. Si les pays du Brics n’utilisent plus le dollar américain, ce sera la fin du système monétaire international actuel. Il faut savoir que les pays du BRICS représentent 40 % de la population mondiale et réalisent un quart du PIB planétaire. Par ailleurs, Moscou et Pékin renforcent de plus en plus leur coopération en matière de sécurité. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) créée en 2001, regroupant six pays membres (Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan Ouzbékistan) et quatre pays observateurs (Iran, Inde, Pakistan, Mongolie), reste une force politico-militaire non négligeable. Les pays membres de l’OCS effectuent des manœuvres militaires conjointes de manière régulière.

    Mais la montée en puissance de la Russie et de la Chine a-t-elle vraiment poussé Zbigniew Brzezinski et ses congénères à faire des concessions ? Les États Unis ont-ils changé de politique étrangère ?

    En fait, la politique étrangère étasunienne a des principes immuables. Elle repose sur le principe de l’explorateur britannique Walter Raleigh (1552-1618) : « Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce du monde tient la richesse du monde ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même. » En 1919, l’un des adeptes de l’école de la maîtrise des mers, le géographe anglais John Mackinder a établi une théorie selon laquelle le monde peut être partagé en trois espaces : 1) Le « Heartland », une zone qui comprend l’Europe de l’Est et la Russie, considérée comme le centre du monde. 2) Le « Rimland » (croissant intérieur), région composée de l’Europe de l’Ouest, du Proche et Moyen-Orient, et de l’Extrême-Orient. 3) « The Off-Shore Continents » (croissant extérieur) ou reste du monde, composé de la Grande-Bretagne, Japon, Australie, Amériques du Sud et du Nord, Afrique. (Voir l’encyclopédie Wikipedia).

    Selon John Mackinder, la domination du monde passe obligatoirement par la domination la zone pivot, le Heartland. Le géographe anglais voulait empêcher la Russie, qui possédait des ressources naturelles importantes et des infrastructures développées, de dominer le continent eurasien et d’accéder à l’ensemble des mers et des terres de la planète.

    La théorie de John Mackinder a été développée par son disciple l’Américain Nicholas Spykman. Ce dernier considère que la zone pivot est le Rimland (région intermédiaire entre le Heartland et les mers riveraines). Les rapports de force entre la puissance continentale et la puissance maritime se jouent donc dans cette zone du Rimland. Il faut, par conséquent, à tout prix éviter l’union du Rimland et du Heartland. Pour Nicholas Spykman : « Celui qui domine le Rimland domine l’Eurasie ; celui qui domine l’Eurasie tient le destin du monde entre ses mains. » (Voir Les Cahiers du RMES « Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques », volume IV, numéro 1, 2007).

    Afin de garantir l’hégémonie des États-Unis sur Eurasie, les Américains ont établie une stratégie à plusieurs axes. L’éclatement de l’Union soviétique a été provoqué afin d’affaiblir de manière irrémédiable la Russie. Après avoir divisé la Yougoslavie, envahi l’Afghanistan et détruit l’Irak, une opposition sunnite-chiite a été montée en toute pièce pour isoler l’Iran. Ensuite, le printemps arabe a été déclenché. La jeunesse arabe, révoltée contre les tyrans, a été exploitée. L’Empire espérait engendrer un effet domino afin de neutraliser la Syrie et l’Algérie, les derniers pays méditerranéens qui réfutaient le système mondial unipolaire. Sans aucun répit, l’empire américain continue de faire main basse sur les ressources naturelles dont la Chine a tellement besoin. Toutefois, l’axe anti-USA Russie-Iran-Chine est devenu très fort. Les États-Unis en sont tout à fait conscients. C’est pourquoi ils ont décidé une nouvelle politique étrangère. Pour l’administration américaine, il s’agit d’une part de maintenir l’Union européenne dans son état d’inféodation et d’autre part de neutraliser la Russie et la Chine en adoptant le soft power qui consiste à faire recours aux guerres par pays interposés, aux services secrets, aux ONG et aux multinationales. L’administration étatsunienne renonce pour le moment à la domination totale du continent eurasiatique et se concentre sur l’Europe occidentale.

    LE BLOC TRANSATLANTIQUE

    Les États-Unis s’apprêtent à construire un bloc transatlantique qui réunit les pays de l’Amérique du Nord et l’Union européenne. Le projet d’un vaste bloc transatlantique dominé par les États-Unis ne date pas d’aujourd’hui.

    En 1997, Zbigniew Brzezinski écrivait : « Pour l’Amérique, les enjeux géostratégiques sur le continent eurasien sont énormes. Plus précieuse encore que la relation avec l’archipel japonais, l’Alliance atlantique lui permet d’exercer une influence politique et d’avoir un poids militaire directement sur le continent. Au point où nous en sommes des relations américano-européennes, les nations européennes alliées dépendent des États-Unis pour leur sécurité. Si l’Europe s’élargissait, cela accroîtrait automatiquement l’influence directe des États-Unis. A l’inverse, si les liens transatlantiques se distendaient, c’en serait finit de la primauté de l’Amérique en Eurasie. »

    La plupart des macroéconomistes estiment que le bloc transatlantique représente environ un tiers du volume des échanges commerciaux internationaux. L’émergence de ce bloc de 800 millions de consommateurs permettra aux Étatsiniens de contrer la concurrence chinoise et russe, mais aussi d’établir un nouveau système monétaire international en leur faveur. D’après le professeur le Pierre Hillard, auteur du livre La marche irrésistible du nouvel ordre mondial (2007), l’instauration d’un marché transatlantique sans entraves est en train de s’accélérer. Elle pourrait devenir une réalité dès la mi-2014.

    Les États-Unis sont donc à deux doigts de devenir la plus grande puissance de l’histoire. Apparemment, ils sont prêts à tout pour atteindre leurs objectifs. Mais l’axe Russie-Iran-Chine n’a pas encore dit son dernier mot. L’histoire est loin d’être terminée.

    Belhaouari Benkhedda http://www.voxnr.com

  • Chypre : les épargnants paient à la place des spéculateurs

    Une des choses les plus mal comprises, dans la crise chypriote, est sans doute l’essentiel : à savoir sa cause principale, qui n’est autre que la spéculation contre la zone euro.

    Ce phénomène est si mal identifié, qu’on arrive aujourd’hui à faire passer l’idée qu’il serait légitime d’aller chercher dans les poches des épargnants ce qui a été pris aux banques par la spéculation massive contre la dette souveraine de la zone euro. Or les épargnants locaux n’ont aucune responsabilité dans cette affaire, et un transfert de richesses s’opère des populations vers l’élite sophistiquée, non régulée et non sanctionnée de la finance, en dehors de tout contrôle démocratique.

    Les épargnants chypriotes, dont les comptes de plus de 100.000 euros seront potentiellement taxés jusqu’à 50% ou 80%, vont en réalité payer pour compenser ce que des hedge funds ont pillé à la zone euro, trois ans durant. La crise trouve ses origines fin 2009, dans les attaques spéculatives anglo-saxonnes qui ont ciblé de manière concertée la zone euro, et qui ont coulé le pays voisin de Chypre, la Grèce, alors que les banques chypriotes détenaient de grandes quantités de dette grecque, comme l’explique clairement l’agence Standard & Poor’s.

    L’effondrement de valeur des obligations grecques détenues au bilan des banques de Chypre est bien la cause principale de la crise de solvabilité de ces banques. Ces obligations grecques s’étaient effondrées suite aux paris baissiers virulents des hedge funds, paris directement responsables de la hausse des taux d’intérêt grecs qui a provoqué la strangulation financière d’Athènes. En 2010, sur les 300 milliards de dollars que représentait la dette grecque, on recensait un volume disproportionné de 85 milliards de paris baissiers de hedge funds utilisant des Credit Default Swaps (CDS).

    Les porteurs d’obligations grecques, observant ce signal alarmant du marché des CDS, ont à leur tour vendu massivement, provoquant l’effondrement que l’on sait. La détérioration des dettes attaquées des petits pays a ensuite fragilisé les bilans des banques de la zone euro, y compris celles de Chypre.

    Entre 2009 et début 2012, des fonds comme Brevan Howard, Caxton Associates et GLG Partners ont gagné des sommes colossales sur ces paris contre la dette en euros. Fin 2011, trois de ces fonds ont généré 3 milliards de dollars en 2 mois seulement, en coulant par exemple la dette portugaise, et leurs gains représentaient la moitié de l’austérité que devra consentir le Portugal en 2013, ou de la somme que doit à présent trouver Chypre pour accéder à l’aide de l’UE.

    Pour avoir une idée de tout le pillage qui a eu lieu, il faudrait additionner tout ce qu’ont gagné, en pariant contre l’Europe, les fonds de Paul Tudor Jones, Soros Fund Management, Brigade Capital, Greenlight Capital et SAC Capital Management, mais aussi John Paulson, ainsi que les principales banques intermédiaires sur ces stratégies que sont Goldman Sachs, Bank of America et Barclays. Mais seuls quelques-uns de ces fonds dévoilent leurs stratégies et les profits qu’ils en tirent.

    En lisant la presse spécialisée financière, on comprenait tout de suite que les mêmes 5 milliards d’euros que le Portugal demandait aux Portugais d’économiser en 2013 étaient ceux que les fonds spéculatifs avaient raflés en 2011 en dégradant la dette du Portugal et de ses voisins. La totalité des gains arrachés sur le dos des Etats de la zone euro par ces raids baissiers dépasse l’entendement.

    Privés de dizaines de milliards par la spéculation qui a fait rage jusqu’à mi-2012 (quand la BCE l’a stoppée par sa politique « bazooka »), les gouvernements ruinés ne peuvent aujourd’hui que se tourner vers leurs populations, non coupables mais captives : les contribuables, les salariés, les retraités et à présent, les épargnants. Et l’ignorance au sujet du mécanisme (certes complexes) d’aspiration des richesses de la zone euro fait le reste…

    Bilan  http://fortune.fdesouche.com

  • Afghanistan : l’insurrection qui vient (2ème partie) – Par Gilles-Emmanuel Jacquet

    Le retrait des troupes de l’ISAF [en français, Force internationale d'assistance et de sécurité, FIAS] et ses conséquences telles que le transfert complet des responsabilités en matière de sécurité aux forces afghanes, la situation sécuritaire, politique et sociale du pays, la corruption endémique ainsi qu’une présence sans cesse réaffirmée des Talibans laissent entrevoir un avenir sombre pour l’Afghanistan.

    Sentiments populaires : espoirs déçus, lassitude et résignation

    Si ces abus ont pu renforcer un fort sentiment de lassitude au sein de la populations afghane, cette dernière ne perçoit pas nécessairement le conflit et les enjeux en présence de manière binaire ou simple. Des facteurs comme l’appartenance ethnique, le parcours de vie (guerre, exil, origine urbaine ou rurale, niveau d’éducation, etc…), le statut social, l’expérience au contact d’étrangers et des réalités économiques ou politiques du nouvel Afghanistan entrent en jeu de manière complexe. L’incertitude de la population quant à son avenir est forte et celle-ci se sent souvent prise en otage par un gouvernement corrompu et une présence militaire étrangère devenus aliénants ainsi que par les anciens seigneurs de guerre et les Talibans, responsables des tragédies et malheurs des trois décennies passées. Cet apparent désespoir et l’aspect militaire ou sécuritaire du conflit (qui bénéficie d’une grande couverture médiatique) ne doivent pas masquer ses causes ou aspects historiques, politiques, identitaires, sociaux et économiques ainsi que les réalités humaines [120]. Le conflit en Afghanistan ne se résume pas à une approche binaire ou manichéenne et l’ensemble de ces éléments interagissent de manière complexe, donnant souvent l’impression d’être un cercle vicieux dont il est peu aisé de sortir. La reconstruction et le développement du pays sont cruciaux et ne peuvent s’inscrire dans une perspective de court terme : la fermeture des équipes provinciales de reconstruction de l’ISAF a été une mauvaise nouvelle mais on ne doit pas oublier qu’avant et après 2014, les efforts les plus soutenus ont été et resteront ceux fournis par les différentes agences ou programmes de l’ONU, certains États étrangers et de nombreuses ONG afghanes ou étrangères [121].

    La perception de la population à l’égard de la présence étrangère est à l’image de son bilan, complexe et parfois paradoxal. On peut reconnaître certains bienfaits du changement de régime et de la présence étrangère tout en étant lassé, désespéré ou hostile face à certains de ses aspects et face aux réalités du nouvel Afghanistan. De nombreux Afghans sont révoltés contre des abus ayant été commis par des soldats étrangers ou le gouvernement mais aussi contre les attentats, actes terroristes ou attaques menés par les Talibans : de janvier à octobre 2012, 2300 civils afghans ont perdu la vie et dans la plupart des cas les responsables sont les insurgés [122]. La population afghane est la première victime du conflit et l’année 2012 ne l’a pas épargné. Le 6 juin 20 civils furent tués par des attaques kamikazes dans la province de Kandahar [123]. Le 14 août des attentats similaires coûtèrent la vie à 48 personnes et en blessèrent 130 dans les provinces de Nimroz et Kunduz [124]. Le 26 octobre, 41 personnes furent tuées et 56 autres blessées par un kamikaze devant la mosquée de Maimana (province de Faryab) [125]. Le 23 novembre la capitale provinciale du Wardak fut touchée par une attaque suicide des Talibans ôtant la vie à deux civils et en blessant 90 autres [126].

    Durant le « surge » initié par Barack Obama et au cours des trois dernières années le Helmand a vu le déploiement de plusieurs dizaines de milliers de Marines et a connu de terribles combats. La reconquête de certaines régions comme les districts de Marja et Nad Ali – d’anciens bastions talibans – a permis d’améliorer le contexte sécuritaire local (routes mieux entretenues et plus sûres qu’auparavant) et en apparence la vie des populations locales mais ces dernières sont pourtant peu optimistes [127]. De nombreux anciens, paysans, instituteurs et fonctionnaires locaux restent mécontents à l’encontre du gouvernement afghan et sont convaincus qu’après le retrait des troupes étrangères, les Talibans reviendront car les forces de sécurité afghanes ne pourront pas sécuriser la région [128]. Les 6500 Marines déployés dans le Helmand (21000 l’année dernière dans cette province et celle de Nimroz) feraient face à des Talibans affaiblis: ces derniers en seraient réduits pour le moment à menacer certains habitants et à envoyer des mollahs radicaux prêcher le Djihad dans certaines mosquées afin de recruter de nouveaux combattants [129].

    Le mécontentement des populations locales à l’encontre du gouvernement de Kaboul est fort: ce dernier est vu comme hypocrite et étant à l’origine de la corruption qui gangrène le pays [130]. La politique anti-drogue et à géométrie variable de Hamid Karzaï est particulièrement critiquée par les paysans du Helmand (qui fournit environ 40% de l’opium dans le monde): la production et le trafic d’opium continuent alors que les fermiers qui y renoncent se plaignent de ne recevoir aucun soutien de la part des autorités locales [131]. Ces dernières sont aussi fréquemment accusées de profiter de la production et du trafic d’opium [132]. Haji Atiqullah, chef de la puissante tribu pachtoune des Barakzaï, a expliqué que suite au « surge » des forces américaines le contrôle du gouvernement central s’est étendu à un nombre croissant de districts du Helmand (aucun avant le « surge ») mais a jouté que « les forces afghanes ne pourront pas tenir cette région, à moins que les étrangers n’arrivent à se débarrasser de la corruption au sein du gouvernement afghan, ainsi qu’au niveau des districts et des provinces » [133].

    La paupérisation des paysans du Helmand pourrait les pousser à cultiver de nouveau le pavot et à chercher la protection de groupes insurgés ou criminels : Marja pourrait ainsi rapidement retrouver son statut de centre du trafic d’opium qu’elle avait perdu suite au « surge » [134]. Un ancien dénommé Ahmad Shah a ainsi expliqué à Alissa Rubin que « Des millions et des millions de Roupies pakistanaises étaient échangées chaque jour au bazar. Les gens étaient si riches qu’en quelques années un paysan pouvait se permettre d’acheter une voiture. (…) Nous avons fait partie des efforts d’éradication menés par le gouvernement mais s’ils avaient pu fournir au fermier une compensation, nous aurions pu justifier notre acte. Mais le gouvernement a échoué à nous fournir une compensation et à moins qu’il le fasse, les gens se retourneront contre nous ou rejoindront l’insurrection, et seront contre le développement, comme ils le furent sous les Talibans » [135]. En dépit des programmes financés par des pays étrangers, de nombreux paysans n’arrivent pas à subvenir aux besoins de leurs familles et se remettent à cultiver le pavot. Les efforts déployés afin de lutter contre ce trafic et de saper le financement des Talibans semblent être vains: les champs de pavot ont été déplacé dans des zones semi-désertiques et les fermiers s’adonnant à leur culture sont désormais protégés par les insurgés [136].

    Le « surge » a cependant permis d’améliorer les routes ainsi que la sécurité des transports, ce qui a eu pour effet de redonner un certain souffle aux activité économiques et marchés locaux [137]. A Marja, le « surge » avait aussi permis l’embauche de 1400 villageois chargés par les Marines d’assurer une fonction sécuritaire mais ce fut temporaire et un millier d’hommes sont désormais au chômage : poussés par la pauvreté, ces derniers pourraient se rapprocher de groupes criminels ou talibans [138]. Ce problème s’est trouvé accru par la fermeture de 21 postes avancés et le renvoi par le Ministère de l’Intérieur afghan de la centaine de policiers qui les occupaient [139].
    Dans le Helmand, les Talibans ont pu être affaiblis par le « surge » mais ils continuent de contrôler la grande zone désertique de l’ouest et le gouvernement peine à s’affirmer dans certains districts du nord [140]. Dans les faits, si le nombre d’actes de violence a décliné d’un peu plus de 50% de 2011 à 2012 dans les districts de Marja, Garmsir et Sangin; celui-ci était en 2012 dans les provinces du nord à un niveau au moins égal à celui de 2011 [141].

    Quand les Talibans s’en prennent aux écolières

    Depuis quelques années le nord de l’Afghanistan n’est plus épargné par les attaques talibanes. Les insurgés entendent montrer qu’ils sont partout chez eux et aptes à frapper toutes les cibles qui représentent de près ou de loin l’autorité du gouvernement de Kaboul. Les Talibans ont diversifié leur mode opératoire et n’ont pas hésité à s’en prendre à plusieurs reprises à des enseignants ainsi qu’à des écolières. Ces actes qui ont choqué une partie de la population afghane et ont sérieusement écorné l’image des Talibans ne sont pas marginaux. Le 22 juin 2012, 100 étudiantes de l’école Hazrat Imam Zada Yahya (province de Sar-i-Pul) sont tombées malades suite à un possible empoisonnement et le 23 juin, le même incident frappait 94 élèves féminines de l’école Sorkhak à Sar-i-Pul [142]. Une « substance ou un gaz toxique » a été dispersé dans les salles de classe de cette école et a causé de nombreuses nausées, maux de tête, fièvres, éruptions et vertiges parmi les jeunes filles [143].

    Cet incident est le dixième de ce type depuis avril 2012 et des actes similaires se sont produits dans les provinces du Takhar, de Khost, Bamyan, Kaboul et du Nangarhar [144]. Le 17 avril 2012 une douzaine d’étudiantes de l’école Dabiristan de Rustaq (Takhar) sont tombées malades après avoir bu de l’eau mais les analyses menées suite à cet incident ne purent prouver que cette eau avait été empoisonnée [145]. Le 23 mai, 8 jeunes filles du collège Bibi Hajera de Taloqan (Takhar) ainsi que trois de leurs professeurs et un membre du personnel étaient hospitalisés suite à ce qui semblait être un empoisonnement [146]. Quatre jours plus tard ce bilan s’élevait à 40 étudiantes empoisonnées et au cours de la même semaine, entre 74 et 120 fillettes de l’école Aahan Draaw subirent le même sort [147]. Le 2 juin, deux douzaines d’écolières et de collégiennes de l’école Bashir Abad de Taloqan furent à leur tour empoisonnées et hospitalisées [148]. Le jour suivant, dans le district de Farkhar (Takhar), l’intoxication de 65 jeunes filles du collège Nahid Shahid mena à l’arrestation de quatre suspects dont une femme d’origine pakistanaise [149]. Le 5 juin, 60 écolières du district de Rustaq (Takhar) furent également empoisonnées et les forces de sécurité afghanes procédèrent à l’arrestation de 11 suspects dont un chef de groupe en raison de leur possible implication dans cette vague d’attaques sournoises [150].

    Une guerre civile imminente ?

    La guerre civile est un des scénarios possibles. Il suffit de se souvenir du retrait de l’Armée Rouge en 1989 et de la manière dont les Moudjahidines se sont combattus afin d’entrevoir comment une nouvelle guerre civile pourrait éclater. Celle-ci pourrait dans un premier temps opposer les forces gouvernementales et des milices à des forces talibanes élargies. L’intégration des Talibans au processus politique, loin d’apaiser ce possible conflit, pourrait au contraire l’aggraver en accélérant l’apparition de groupes armés anti-talibans ou opposés au nouveau pouvoir mis en place. Les factions afghanes susceptibles de combattre reposeront sur les lignes de fracture religieuse, ethnique et clanique : ainsi pourront apparaître des factions pachtounes rivales (ce qui est déjà le cas au sein du mouvement taliban ou des milieux pachtounes loyalistes), des factions ouzbèkes, turkmènes, tadjikes et hazaras. Comme par le passé chacun de ces groupes recevra un soutien étranger que ce soit de pays voisins (Pakistan, Iran, Inde, anciennes républiques soviétiques d’Asie Centrale, Chine) ou plus lointains (Qatar, Arabie Saoudite, États Unis, Russie) et ceci contribuera à une intensification ainsi que complexification du conflit : l’Iran pourra soutenir les persanophones comme les Tadjiks ou les Hazaras chiites, le Pakistan continuera de soutenir les Pachtounes, l’Inde se rangera aux côtés des groupes non-pachtounes ou hostiles au Pakistan alors que la Russie, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan se poseront en protecteurs des Tadjiks, Ouzbeks et Turkmènes. Il ne faut pas oublier que ces lignes de fracture n’ont pas toujours été nettes dans le passé et qu’il pourrait en aller de même à l’avenir : durant les années 90 et plus particulièrement après l’instauration de leur régime, les Talibans n’ont pas été uniquement soutenus par de nombreux Pachtounes mais aussi, pour raisons religieuses, par certains Aymaqs et Tadjiks [151].

    Le clivage ethnique et religieux reste cependant un facteur de conflit important et chaque communauté se souvient des atrocités commises à son encontre durant la guerre civile des années 90 ou sous le régime des Talibans. Les Hazaras n’ont pas oublié le massacre des leurs dans le quartier d’Afchar-Mina à Kaboul par les miliciens wahhabites de Sayyaf et celui de 400 de leurs semblables par les Talibans à Yakaolang ainsi que les longues humiliations passées. Les Pachtounes ont encore à l’esprit la manière dont le général ouzbek Abdul Rashid Dostom dynamitait des fagots humains et écrasait avec ses blindés les prisonniers pachtounes dans la forteresse de Shebergan. Le clivage religieux s’est aussi exprimé durant les années 90 par les attaques visant les Hazaras, les combats opposant le Hezb-e Wahdat chiite au Ittihad-e Islami sunnite de Sayyaf ou aux combats opposant divers groupes sunnites entre elles (ex. : Dostom à Hekmatyar, Massoud à Hekmatyar) [152].

    En 2007 le contentieux opposant les nomades Kuchis aux Hazaras et portant sur l’utilisation de pâturages (des éléments ethniques et religieux sont aussi à prendre en compte) dégénéra en un conflit armé persistant de nos jours. Le 26 mai 2012 des Kuchis attaquèrent et brûlèrent des maisons et écoles du district de Behsud où les Hazaras sont majoritaires (province du Nangarhar) [153]. Le 3 juin 2000 Kuchis équipés d’armes automatiques et de RPG s’en prirent à la vallée de Kajab (province du Wardak) qui est principalement peuplée de Hazaras [154]. L’armée afghane dut intervenir et ces affrontements causèrent entre 3 et 11 victimes, la destruction d’une mosquée, de 4 magasins et de 19 habitations ainsi que la fuite massive des villageois hazaras [155]. En mai Karzaï avait rencontré des représentants hazaras et à la mi-juin, l’envoyé spécial adjoint de l’ONU Nicholas Haysom rencontrait à son tour le gouverneur du Wardak ainsi que des délégués kuchis et hazaras afin de tenir des pourparlers de paix dans la ville de Maidan Shar [156].

    L’histoire de l’Afghanistan a aussi montré qu’il existe de manière profonde un clivage entre un monde rural traditionnel et un monde urbain un peu plus sensible aux influences modernes ou étrangères (mais aussi entre les zones montagnardes tribales des Pachtounes et le pouvoir central de Kaboul). Il faut noter que le sentiment religieux s’est renforcé au sein de la population et est devenu plus fort que par le passé, notamment en milieu urbain et à plus forte raison si on prend comme référence les années 60, 70 et 80 qui virent l’existence d’une certaine classe moyenne éduquée et même d’une élite laïque [157]. Le poids des traditions et du religieux s’est accru en milieu urbain pour des raisons liées à l’évolution générale du contexte politique afghan mais aussi suite à un exode rural important (la population de Kaboul a longtemps été de quelques centaines de milliers d’âmes et les infrastructures de la ville ainsi que la topographie pouvaient accueillir idéalement 1 million d’habitants ; Kaboul compte désormais dans les 5 millions d’habitants).

    De nombreux Afghans ne veulent pas revivre les horreurs du passé, notamment la jeunesse éduquée, et beaucoup pensent que l’aggravation de ces divisions pourraient mener au démembrement de leur pays, ce qui serait perçu comme une catastrophe (au cours des siècles récents, aucun empire n’a jamais pu démembrer l’Afghanistan mais il est vrai que l’Empire britannique a pu cependant annexer les territoires tribaux de Peshawar – le Pachtounistan – suite aux traités de Gandamak en 1879 et établir la fameuse « ligne Durand » suite au traité conclu avec le monarque afghan Abd-ur-Rahman en 1893). Face à ces risques de division on peut opposer l’existence d’un fort patriotisme voire nationalisme parmi les Afghans s’exprimant par un respect profond du drapeau, de l’histoire du pays mais aussi par la foi islamique. Le problème ici est plutôt de savoir comment chaque communauté définit elle-même ces éléments, une possible identité afghane et surtout le rôle et poids politiques qu’elle souhaite exercer ou que d’autres groupes voudront bien lui laisser exercer.

    Conscients de leur force, du contexte afghan, de la perception de ce conflit en Occident et du retrait imminent des forces de l’ISAF, les Talibans ne sont pas pressés de négocier et ont décidé de mener une guerre d’usure. Celle-ci repose en partie sur l’infiltration des forces de sécurité et des institutions afghanes afin de saboter et décrédibiliser le projet politique porté par Hamid Karzaï et ses alliés étrangers [158]. Après le retrait des troupes de l’ISAF « les Talibans renforceront leur emprise sur le sud du pays et utiliseront les revenus tirés de l’opium afin de financer une potentielle guerre civile contre les villes où le pouvoir du gouvernement vacille » [159]. Le Secrétaire à la Défense Leon Panetta avait récemment affirmé que les attentats et les actes de félonie commis récemment par les Talibans étaient des actes désespérés mais Ismaïl Khan et d’autres anciens chefs de l’Alliance du Nord pensent au contraire que le « surge » initié par Washington n’a pas permis d’améliorer la situation sécuritaire en Afghanistan [160].

    Les attaques du 15 avril 2012 à Kaboul imputées à des Talibans soutenus par le réseau Haqqani et visant le parlement, le quartier général de l’ISAF et plusieurs ambassades (notamment celles de Grande Bretagne, Allemagne et Russie) [161], celles de l’automne 2012 contre le quartier diplomatique de Kaboul ou de l’hiver 2012 contre le quartier général de la Police des Frontières à Kaboul (quartiers de Wazir Akbar Khan et Darul-Aman) ne sont pas un baroud d’honneur mais des actes qui, au-delà de leur but symbolique, ont montré la capacité des insurgés à frapper le coeur du pouvoir de manière très organisée et coordonnée. Des attaques furent simultanément lancées par les Talibans dans les provinces du Logar, de la Paktya et de Nangarhar [162]. Le 21 juin ce fut au tour d’un hôtel de Qarga (environs de Kaboul) et de ses clients d’être la cible des insurgés: l’affrontement dura 20 heures et coûta la vie à au moins 22 personnes [163]. La veille une attaque kamikaze contre un convoi de l’ISAF à Khost avait coûté la vie à 25 personnes (dont 3 soldats de l’ISAF) et et en avait blessé 30 [164].

    Pour être tout à fait juste et honnête on ne peut pas considérer le « surge » ou les opérations anti-talibanes comme des coups d’épée dans l’eau dans la mesure où l’action militaire de l’ISAF ou de l’ANA a affaibli de manière sérieuse mais non-décisive les insurgés. L’offensive de la mi-mai 2012 visant 300 Talibans dans le Farah permit d’en éliminer 20 (6 soldats périrent) et le 2 juin les troupes de l’ISAF et de l’ANA en éliminèrent 26 autres [165]. Une dizaine de jours plus tard des combats et une frappe aérienne de l’ISAF permirent la suppression de 20 autres insurgés dans le district de Sangin (province du Helmand) [166].

    Le 28 juin deux villages du district de Kamdish (Nouristan) furent attaqués par quelques centaines d’insurgés et provoqua l’intervention des forces de sécurité afghanes : un des villages fut entièrement brûlé et l’affrontement coûta la vie à 8 civils, 6 policiers mais aussi 25 Talibans (parmi lesquels quelques ressortissants pakistanais) [167]. Les frappes aériennes menées en août par l’ISAF dans le Kunar ont eu un impact certain sur les forces talibanes locales : le 3 août 18 Talibans étaient neutralisés dans le district de Watapur, le 7 ce fut au tour de 12 autres terroristes (dont la moitié d’origine pakistanaise) dans le district de Marwara puis le 18, à celui de 52 insurgés dans le district de Chapa Dara [168].

    Le 28 septembre une opération anti-talibans de 6 jours fut lancée dans le Wardak et permit l’élimination de 30 Talibans, parmi lesquels 5 de leurs commandants [169]. Le 15 octobre une attaque aérienne de l’OTAN tua 17 insurgés (dont 15 étaient vraisemblablement originaires du Pakistan) dans la province de Ghazni [170]. En décembre 2012 le Logar fut le théâtre d’une imposante traque menée par plus de 1000 soldats et débouchant sur l’élimination et la capture de nombreux combattants talibans [171]. Sur le court terme l’importance de ces opérations et leur impact sur la guerrilla talibane ne doivent pas être sous-estimés mais dans le long terme et en prenant en compte le retrait de 2014 ainsi que ses conséquences politiques, on peut clairement douter de leur caractère ou effet décisif.

    L’hypothèse d’une guerre civile et le scénario catastrophe qui l’accompagne sont devenus extrêmement plausibles dans la mesure où un rapport militaire confidentiel adressé l’année dernière aux commandants des troupes de l’ISAF a confirmé ces sombres perspectives. Compilant les résultats de 27 000 interrogatoires menés en 2011 sur 4000 prisonniers talibans par des militaires américains sur la base de Bagram, ce document intitulé « State of the Taliban » évoque le fait que des membres des forces de sécurité afghanes ont vendu leurs armes et véhicules aux insurgés, ont échangé des renseignements avec ces derniers et auraient même conclu des accords de cessez-le-feu ponctuels ainsi qu’en prévision de l’après-2014 [172]. Le gouvernement pakistanais et l’ISI seraient toujours autant liés aux Talibans dont ils connaissent le moindre chef et les moindres activités [173].
    Le degré d’infiltration des forces de sécurité afghanes est tel que le rapport signale de nombreux cas de « coordination ponctuelle, de partage d’informations ou même occasionnellement d’intégration des forces de sécurité afghanes aux opérations des Talibans » [174]. Les cessez-le-feu informels conclus avec les soldats ou policiers afghans ainsi que les promesses de soutien de long terme faites par ces derniers ont fait que « Les Talibans sont absolument confiants dans leur capacité à vaincre les forces de sécurité afghanes » [175]. La stratégie cruciale, les efforts et les fonds mis en œuvre par l’OTAN en vue de son retrait en 2014 seraient ainsi progressivement sapés: des détenus talibans ont affirmé que des membres de l’ANA et de l’ANP auraient même vendu du matériel militaire provenant de pays occidentaux [176]. Le rapport indique que le bazar de Miranshah (capitale du nord-Waziristan, dans les zones tribales pakistanaises) avait été »inondé de manière croissante par des fusils, pistolets et armes lourdes vendus par les forces de sécurité afghanes »: « Les véhicules et armements étaient à l’origine acquis seulement sur le champ de bataille. Ils sont désormais régulièrement vendus ou donnés par les forces de sécurité afghanes [177].

    Enfin, ce document confidentiel a montré que les Talibans sont très confiants. Ces derniers affirment avoir surmonté le « surge » d’Obama, pouvoir défaire les forces de sécurité gouvernementales afghanes après 2014 et considèrent leur retour au pouvoir comme inévitable: « Contrairement aux années précédentes les détenus sont devenus plus confiants non seulement dans leur potentiel, mais aussi dans la justesse de leur cause » [178]. Les Talibans ne croient pas en une issue au conflit qui serait négociée et sont intimement convaincus que Hamid Karzaï ainsi que ses alliés du nord « ont délibérément prolongé le conflit afin de récolter l’aide étrangère et de soumettre les tribus pachtounes du sud » [179].

    Les Talibans savent que le temps et le pourrissement du système jouent pour eux. En dépit de leur refus officiel de discuter avec Washington et le gouvernement de Karzaï, certains chefs Talibans ont accepté de rencontrer des officiels américains à Doha (Qatar) à la fin du mois de janvier 2012 et un autre processus de négociations s’est en parallèle tenu en Arabie Saoudite [180]. Les Talibans ont ouvert une représentation à Doha [181] mais sont peu empressés de faire avancer ces négociations avant le retrait total des forces étrangères d’Afghanistan [182]. Les Talibans avaient ainsi déclaré en Janvier 2012 qu’aucun processus de paix ou négociation n’avaient été mis en place, particulièrement avec les États Unis : les représentants des insurgés mirent en revanche l’accent sur l’établissement de mesures de confiance et demandèrent à Washington de relâcher 5 détenus talibans [183]. Ces négociations échouèrent en mars et en novembre les Nations Unies imposèrent des sanctions à l’encontre du réseau Haqqani qui fut aussi inscrit sur une liste noire [184]. Un porte-parole du gouvernement afghan ajouta que le réseau Haqqani ne remplissait pas les conditions ou critères suffisants afin de participer au processus de négociations [185].

    La méfiance et le scepticisme quant à ces négociations sont généralisés, plus particulièrement au sein des Tadjiks et Hazaras [186]. Les Hazaras se souviennent encore amèrement du régime taliban et des persécutions qu’ils subirent en raison de leur foi chiite et de leur appartenance ethnique. Les discussions entamées avec les Talibans par Washington et en parallèle par Kaboul ont été âprement critiquées par les Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras qui ont décidé de former une sorte de front commun [187]. Moins sceptique ou pessimiste que le leader hazara Mohammed Mohaqiq, le tadjik Ahmad Zia Massoud (dirigeant du Front National Afghan et frère de feu le Commandant Ahmad Shah Massoud) ne croit pas qu’un accord puisse être trouvé avec les Talibans mais pense cependant qu’une plus grande participation doit accompagner les négociations en vue d’une paix [188].

    Ces négociations n’ont mené à rien de significatif (si ce n’est l’implication croissante du Qatar et de l’Arabie Saoudite) et à la fin du mois de décembre 2012, le Pakistan relançait son propre processus de négociation en libérant 8 Talibans dont le Mollah Turabi, l’ancien bras droit et ministre de la justice du Mollah Omar (18 autres Talibans avaient été relâché plus tôt au cours du même mois [189]. Au cours d’une rencontre tenue à Islamad en novembre 2012, des officiels afghans et pakistanais ont adopté une nouvelle stratégie visant à ce que « d’anciens officiels talibans libérés avec la stature de Turabi servent d’émissaires, ouvrant la voie à des pourparlers de paix entre le gouvernement de Hamid Karzaï et la direction talibane actuelle » [190]. Ce processus initié par le chef des forces armées pakistanaises Ashfaq Kayani a permis un rapprochement entre les autorités afghanes et pakistanaises mais a aussi fait des émules en Europe: une rencontre semi-secrète organisée par un »think tank” français s’est tenue dans les environs de Paris en décembre 2012 [191]. Cet événement a réuni des représentants du gouvernement afghan et plus particulièrement du Haut Conseil pour la Paix ainsi que des membres de l’opposition, comme les Talibans ou des cadres du Hezb-e Islami mais là encore, aucune avancée n’a été faite [192]. La seule surprise est venue récemment de Gulbuddin Hekmatyar qui, dans une entrevue accordée au Daily Telegraph, a proposé un plan de paix en dix points et appelé tous les acteurs présents ainsi que les Afghans à s’unir et mettre fin à leurs disputes afin de trouver une solution viable au conflit [193].

    L’autre élément préoccupant dans la perspective d’une guerre civile imminente est constitué par les milices entretenues par certains officiels et le réarmement de certains seigneurs de guerre : Ismaïl Khan, l’homme fort de Herat, et le Conseil des Moudjahidin local ont soutenu la formation et le réarmement de milices anti-talibanes composées d’anciens moudjahidin chargés de prendre le relais des troupes de l’ISAF après 2014 [194]. Ce fait traduit la difficulté voire l’incapacité des forces afghanes à mener de manière autonome et avec succès leur mission anti-insurrectionnelle. De telles milices villageoises (les « arbaki ») ont une grande utilité tactique voire stratégique mais elles perpétuent aussi la problématique des groupes armés, de leur contrôle et de leur financement. Ces milices d’autodéfense peuvent sécuriser certains villages et certaines zones mais l’absence d’encadrement peut les mener à certaines dérives (trafics, exactions) et leur faire jouer un rôle de facteur aggravant dans la perspective d’une guerre civile imminente. Les efforts qui ont été consacré par l’ISAF et l’État afghan à la récupération d’armes et au désarmement des milices auront été ainsi plus ou moins vains.

    Les autorités de Kaboul ont souhaité réaffirmer leur autorité face à l’Émir de l’Ouest qui occupe aussi le poste de Ministre de l’Eau et de l’Energie. L’État afghan est juridiquement le seul habilité à procéder à la vente, à l’achat et à la distribution d’armes ainsi qu’au recrutement de soldats (la création de compagnies privées locales de sécurité est cependant un moyen de contourner ces dispositions légales et de se doter de milices ayant une apparence de légalité): les services de renseignement afghans ont arrêté certains suspects et les autorités de Herat se sont empressées de condamner officiellement les activités du Conseil des Moudjahidin [195]. Ismaïl Khan a ajouté que d’autres seigneurs de guerre étaient en train de procéder au réarmement de leurs milices [196] : au-delà de la lutte contre les Talibans, ces groupes armés joueront aussi un rôle dans la lutte pour le pouvoir et leur apparition traduit l’accroissement des rivalités existant au plus sommet de l’État (l’ancien seigneur de guerre ouzbek et général de l’Alliance du Nord, Abdul Rashid Dostom s’est ainsi fait récemment l’avocat d’une refonte totale du système et l’établissement d’un vrai multipartisme) [197].

    L’Émir de Herat a déclaré en novembre 2012 que les moudjahidin devraient recevoir plus de poids et de responsabilités car après avoir sauvé le pays de l’URSS, ils pourraient le sauver à nouveau des « conspirations étrangères » : « Ils [les étrangers] ont récolté toutes nos armes, notre artillerie et nos tanks, et les ont mis au rebut. A la place, ils ont amené des filles néerlandaises, des filles françaises, des filles de Hollande (sic), ils ont amené des soldats occidentaux à la peau blanche, ainsi que des soldats américains à la peau noire, et ils ont pensé qu’en faisant tout cela ils nous amèneraient la sécurité mais ils ont échoué » [198]. La radicalisation ou l’hostilité d’une partie des élites afghanes n’est pas un phénomène nouveau. Avant de tenir ces propos et d’appeler les moudjahidin à expulser par la force les étrangers d’Afghanistan, Ismaïl Khan avait déjà déclaré en 2009 que « Le destin des Américains en Afghanistan sera pire que celui des Russes » [199]. L’homme fort de Herat a souvent affirmé qu’il combattrait à nouveau les Talibans si ces derniers reprenaient le pouvoir mais son propre gendre a rejoint dernièrement les insurgés [200].

    Si l’Afghanistan arrive à échapper à une guerre civile généralisée, il n’en restera pas moins affecté par un conflit de moyenne intensité et sera toujours confronté à plusieurs problématiques critiques comme le développement socioéconomique du pays, une corruption endémique, les clivages ethniques et religieux, le besoin d’une indépendance et unité nationales fortes, le poids du passé et l’influence des pays voisins (Iran, Pakistan, Inde, ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale, Russie, Chine mais aussi la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et dans une moindre mesure les Émirats Arabes Unis) ou occidentaux. Quelle que soit l’issue du conflit ou du processus de négociations, il semble peu probable qu’un régime totalement semblable à celui mis place en par les Talibans durant la seconde moitié des années 90 soit instauré. Il est tout autant improbable qu’un régime démocratique et libéral de type occidental voit le jour en Afghanistan dans les prochaines décennies. L’implication du Pakistan, de l’Arabie Saoudite et du Qatar en Afghanistan, la situation sécuritaire et politique du pays ainsi que l’intégration progressive de certains groupes talibans au processus de négociations pourrait mener à moyen terme à l’apparition d’une sorte de régime non plus traditionnel ou conservateur mais clairement fondamentaliste. L’Afghanistan ne reviendrait pas nécessairement à sa situation des années 90 (guerre civile généralisée, misère galopante, sous-développement, prohibition de la musique ou du chant, des images, etc.) mais pourrait au contraire conserver un certain niveau d’activité économique et des apparences de « modernité » coexistant avec une société restée traditionnelle et des institutions devenant très conservatrices voire fondamentalistes (pour ne pas dire néo-talibanes).

    Dans le meilleur des cas l’Afghanistan pourrait ressembler à l’Iran d’aujourd’hui (si on ne prend pas en compte la distinction chiite-sunnite et leurs différences religieuses) mais il est plus probable qu’il se réfère au modèle pakistanais ou à celui représenté par les monarchies pétrolières du Golfe (la prospérité et la stabilité en moins bien que le pays regorge de ressources). La diversité de l’Islam afghan et l’indépendance du pays est menacée à la fois par les radicaux Déobandis du Pakistan et les Wahhabites du Golfe Arabo-Persique (l’influence iranienne ne s’exerce quant à elle que sur les Hazaras chiites voire les Qyzylbashis dans le domaine religieux, sur les Tadjiks au niveau culturel et sur l’ouest du pays): il est très peu probable que le pays connaisse à nouveau un système et une société semblables à ce qu’il a connu de Zaher Shah à Mohammed Najibullah. Pour l’Afghanistan le sens de l’Histoire semble désormais aller dans la direction empruntée par la Tunisie, l’Égypte ou la Libye après le Printemps Arabe. Ainsi au printemps 2012 des affiches ont fleuri dans différents quartiers de Kaboul (certaines étaient visibles dans les environs de Bagh-e Bala et de l’hôtel Intercontinental) et celles-ci invitaient les Afghans à soutenir la lutte des rebelles syriens (ce qui est assez préoccupant compte tenu du fait que les quelques Afghans combattant en Syrie sont engagés du côté des groupes armés fondamentalistes). Ces affiches ne provenaient pas d’une association démocrate ou d’une ONG défendant les Droits de l’Homme dans la mesure où elles comportaient une forte connotation religieuse. Enfin, à côté du drapeau afghan et de celui des insurgés syriens on pouvait voir ceux de la Turquie, du Qatar, de l’Arabie Saoudite.

    Gilles-Emmanuel Jacquet http://fr.novopress.info

    À propos de l’auteur
    Titulaire d’un Master en Science Politique de l’Université de Genève et d’un Master en Études Européennes de l’Institut Européen de l’Université de Genève, Gilles-Emmanuel Jacquet s’intéresse à l’Histoire et aux Relations Internationales. Ses champs d’intérêt et de spécialisation sont liés aux conflits armés et aux processus de résolution de ces derniers, aux minorités religieuses ou ethnolinguistiques, aux questions de sécurité, de terrorisme et d’extrémisme religieux ou politique. Les zones géographiques concernées par ses recherches sont l’Europe Centrale et Orientale, l’espace post-soviétique ainsi que l’Asie Centrale et le Moyen Orient.

    Source : Realpolitik.tv.

    Notes
    [120] Pour une excellente analyse et mise en perspective de toutes ces problématiques, voir Pierre Micheletti, Afghanistan, Gagner les cœurs et les esprits, Presses Universitaires de Grenoble / RFI, 2011
    [121] Pour un témoignage très intéressant sur l’action humanitaire en Afghanistan et les réalités humaines voir Catherine Dufour, Amitiés Afghanes, Fayard, 2011 ; sur les réalités humaines voir Asne Seierstad, Le libraire de Kaboul, JC Lattès, 2002 et Anne Nivat, Les brouillards de la guerre, Dernière mission en Afghanistan, Fayard, 2011
    [122] Conflict Barometer 2012, Heidelberg Institute for International Research Conflict (HIIK), 2012, p.103
    [123] Ibid.
    [124] Ibid.
    [125] Ibid.
    [126] Ibid.
    [127] Alissa J. Rubin, « In Old Taliban Strongholds, Qualms About What Lies Ahead », The New York Times, 08/01/2013
    [128] Ibid.
    [129] Ibid.
    [130] Ibid.
    [131] Ibid.
    [132] Ibid.
    [133] Ibid.
    [134] Ibid.
    [135] Ibid.
    [136] Ibid.
    [137] Ibid.
    [138] Ibid.
    [139] Ibid.
    [140] Ibid.
    [141] Ibid.
    [142] « 94 more Afghan schoolgirls reportedly poisoned in Sar-i-Pul », The Long War Journal, 24/06/2012
    [143] Ibid.
    [144] Ibid.
    [145] Ibid.
    [146] Ibid.
    [147] Ibid.
    [148] Ibid.
    [149] Ibid.
    [150] Ibid.
    [151] Voir Rory Stewart, En Afghanistan, Albin Michel, 2009.
    [152] Voir Jean Christophe Notin, La guerre de l’ombre des Français en Afghanistan (1979-2011), Paris : Fayard, 2011, pp 436-448
    [153] Conflict Barometer 2012, Heidelberg Institute for International Research Conflict (HIIK), 2012, p.103
    [154] Ibid.
    [155] Ibid.
    [156] Ibid.
    [157] Voir l’excellent ouvrage de Michael Barry, Le Royaume de l’Insolence, L’Afghanistan (1504-2001), Flammarion, 2002
    [158] Stuart Ramsay, « Afghanistan: Green On Blue Attacks Rising », 08/01/2013
    [159] Ibid.
    [160] Bill Roggio, « Afghan minister says warlords are rearming militias as NATO forces leave », The Long War Journal, 01/11/2012
    [161] Conflict Barometer 2012, Heidelberg Institute for International Research Conflict (HIIK), 2012, p.103
    [162] Ibid.
    [163] Ibid.
    [164] Ibid.
    [165] Ibid.
    [166] Ibid.
    [167] Ibid.
    [168] Ibid.
    [169] Ibid.
    [170] Ibid.
    [171] Ibid.
    [172] Ben Farmer, « Afghan soldiers ‘co-operating with the Taliban and signing ceasefire deals », The Telegraph, 01/02/2012
    [173] Ibid.
    [174] Ibid.
    [175] Ibid.
    [176] Ibid.
    [177] Ibid.
    [178] Ibid.
    [179] Ibid.
    [180] Nick Paton Walsh, « Afghan officials, Taliban may hold talks in Saudi Arabia », CNN, 30/01/2012
    [181] Angus McDowall, « Saudi Arabia cautious on possible Afghan talks », Reuters, 31/01/2012
    [182] « No truce, says Afghan Taliban » UPI, 30/01/2012
    [183] Ben Farmer, « Afghan soldiers ‘co-operating with the Taliban and signing ceasefire deals », The Telegraph, 01/02/2012
    [184] Conflict Barometer 2012, Heidelberg Institute for International Research Conflict (HIIK), 2012, p.103
    [185] Ibid.
    [186] Rob Taylor et Mirwais Harouni, « Afghan Hazara leader skeptical of Taliban peace », Reuters, 30/01/2012
    [187] Ibid.
    [188] Ibid.
    [189] Jim Maceda, « Is peace really in the air in Afghanistan? », NBC News, 02/01/2013
    [190] Ibid.
    [191] Ibid.
    [192] Ibid. et Conflict Barometer 2012, Heidelberg Institute for International Research Conflict (HIIK), 2012, p.103
    [193] Jim Maceda, « Is peace really in the air in Afghanistan? », NBC News, 02/01/2013
    [194] Sajad, « Ismail Khan distribute illegal weapon in Herat province », Khaama, 08/11/2012
    [195] Ibid.
    [196] Bill Roggio, « Afghan minister says warlords are rearming militias as NATO forces leave », The Long War Journal, 01/11/2012
    [197] Rob Taylor et Mirwaïs Harouni, « Afghan Hazara leader skeptical of Taliban peace », Reuters, 30/01/2012
    [198] Bill Roggio, « Afghan minister says warlords are rearming militias as NATO forces leave », The Long War Journal, 01/11/2012
    [199] Paul Sperry, « Afghan Allies, Now even top officials in the Kabul government vow to kill Americans », The New York Post, 29/12/2012
    [200] Ibid.