Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

plus ou moins philo - Page 32

  • Objection de conscience : le diocèse de Fréjus-Toulon s'engage

    Lu sur le site du diocèse de Frèjus-Toulon :

    "L’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon met en place un courriel  (bioethique@diocese-frejus-toulon.com) pour les professionnels de santé qui vivent dans leur pratique des limitations ou des atteintes à la liberté de conscience."

    Extrait des explications de Pierre-Olivier Arduin de la commission bioéthique de l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon :

    Poa"Les professionnels de santé chrétiens se trouvent quotidiennement face au devoir de refuser d’accomplir ou de coopérer à des actes, qui pour être légaux, n’en sont pas moins « en contradiction totale et insurmontable avec le droit inviolable à la vie » parce qu’ils conduisent à l’avortement de l’enfant à naître quel qu’en soit le moyen (IVG chirurgicale ou médicamenteuse, stérilet ou pilule du lendemain,…), portent atteinte à la dignité de la procréation humaine (contraception sous toutes ses formes, stérilisation définitive, insémination artificielle avec ou sans donneur étranger,…) ou encore blessent tout à la fois la vie humaine et l’identité de l’acte conjugal (fécondation in vitro qui dissocie la sexualité de la procréation et conduit à la destruction de nombreux embryons,…) En interprétant droitement la loi naturelle et les normes éthiques objectives conformes à la dignité humaine qui en découlent, l’Eglise ne cesse de rappeler que l’ensemble de ces pratiques sont non seulement des actions intrinsèquement mauvaises (intresece malum) qui ne peuvent jamais être justifiées moralement mais que les lois elles-mêmes qui les dépénalise, comme l’avait rappelé solennellement le bienheureux Jean-Paul II dans Evangelium vitae, « ne créent aucune obligation pour la conscience, et entraînent au contraire une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience ». Dans la même Encyclique, le grand Pape a fait de l’objection de conscience « un droit humain élémentaire ». Les soignants peuvent-ils le faire valoir sereinement, toujours et partout, pendant leurs études ou dans l’exercice de leur profession, sans craindre intimidations, pressions, voire brimades et discriminations ? (...)

    L’inquiétude est d’autant plus vive chez les soignants que le spectre d’une dépénalisation de l’euthanasie, fût-elle d’exception, se profile à l’horizon. Jusqu’à présent, les atteintes à la vie humaine débutante, malgré leur gravité morale et leur retentissement délétère sur le sens de l’agir médical, ont été circonscrites aux spécialités en lien avec le suivi de la grossesse.

    Autrement dit, certains professionnels ont pu s’estimer relativement épargnés par la « culture de mort », qui ne les a pas touchés dans l’exercice de leur métier, du moins directement. Si une loi instaurant le « droit de mourir dans la dignité » était adoptée selon le vœu du chef de l’Etat, ce sont toutes les professions, toutes les spécialités et jusqu’à la médecine générale qui seraient frappées. On réclamera l’euthanasie aussi bien dans un service de gastro-entérologie que de pneumologie, de même que l’acte létal effectué par le généraliste deviendra courant à domicile à l’instar de la Belgique ou des Pays-Bas (plus de la moitié des euthanasies sont pratiquées par le médecin de famille au domicile de la personne). Comme « le mariage pour tous » est sur le point de dénaturer le mariage et dynamiter de l’intérieur la famille, l’euthanasie atteindrait en plein cœur la médecine et signerait la destruction de son essence même. Dans ce cadre, la pression sur la liberté de conscience des soignants, notamment en secteur hospitalier, sera maximale et proprement invivable (...)

    Mgr_rey_01Sera-t-il encore possible dans quelques mois à un chrétien d’exercer les fonctions de maire, d’officier d’état civil ou d’assistante sociale (procédures d’agrément pour l’adoption au sein des conseils généraux) si la loi ouvrant le mariage et l’adoption entre personnes de même sexe devait être votée ? Devant la multiplication des entorses faites à la liberté de conscience dans le champ de la santé, l’impasse dans laquelle se trouvent certains professionnels ou la crainte de nouvelles atteintes à venir, Mgr Dominique Rey a souhaité que l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon concrétise la sollicitude que doit avoir l’Eglise envers les chrétiens confrontés à ces difficiles questions. Un courriel est désormais à la disposition des personnes désireuses de partager leurs expériences et difficultés. Chaque témoignage relaté fera l’objet d’une lecture attentive et sera porté à la connaissance de Mgr Rey et de l’équipe de l’Observatoire. A partir de là et de la réflexion déjà engagée, de la concertation avec d’autres déjà engagés sur ces sujets, nous tenterons d’élaborer des actions concrètes pour protéger la liberté de conscience de tous." 

    Philippe Carhon  http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Aristote ou Rousseau ? Les fondements philosphiques du débat sur le « mariage » pour tous (II)

    Ce remarquable article sur les questions philosophiques qui sous-tendent l’affaire du « mariage » des couples de même sexe vient d’être publié par le site australien MercatorNet. Son auteur, Robert R. Reilly, est ancien membre de l’Administration de Reagan, spécialiste des affaires internationales et de l’islam. Voici ma traduction de la deuxième partie de ce texte, dont j'ai publié la première partie le 29 avril, sous le titre : « Rousseau a pavé le chemin du “mariage” homosexuel ». C'est par ici.

    Il s’agit de comprendre, en effet, ce qui sépare fondamentalement les partisans et les adversaires du « mariage pour tous », et de préciser les notions de nature et de « contre-nature » de manière à mieux aborder les débats, les conflits et les attaques qui vont se multiplier dans les mois qui viennent.

    Après la première partie sur la philosophie classique et réaliste, cette deuxième livraison montre comment Rousseau et les « Lumières » ont subverti le sens du mot nature. – J.S.

    L’inversion d’Aristote par Rousseau

    Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a mis la notion de nature selon Aristote sens dessus dessous. Aristote disait que la nature est définie non seulement par ce qu’est l’homme, mais par ce qu’il doit être. Rousseau, au contraire, soutient que la nature n’est pas une fin (une telos) mais un commencement : la fin de l’homme est son début. Il n’a pas une nature immuable. « Nous ne savons pas ce que notre nature nous permet d’être », écrivait Rousseau dans son Emile. Ce point de vue a été décliné pour le XXe siècle par John Dewey qui affirmait : « La nature humaine est de ne pas avoir de nature. » Il n’y a pas de devenir « obligé » pour l’homme, pas d’impératif moral. Il n’y a pas de dessein, ni pour l’homme, ni dans la nature ; par conséquent, l’existence est dépourvue de tout principe rationnel. Cela signifie qu’il n’y a pas d’entéléchie, rien qui ressemble au fait « d’avoir sa propre fin en soi » comme le disait Aristote. Et même, la raison elle-même n’est pas naturelle à l’homme, selon Rousseau – alors que pour Aristote elle est l’essence même de l’homme. Pour Rousseau, les racines de la raison plongent dans ce qui est irrationnel. La raison est la servante des passions, et non de la vérité.

    A l’inverse d’Aristote, Rousseau affirmait que l’homme, par nature, n’est pas un animal social et politique doué de raison. A la différence d’Aristote, Rousseau ne part pas de la famille, mais d’un individu isolé à l’état de nature, où le pur « sentiment de sa propre existence » était tel qu’« on se suffisait à soi-même, comme Dieu ». La nature devient un substitut profane au jardin d’Eden. Mais ce dieu satisfait de lui était asocial, amoral et pré-rationnel. Ses accouplements avec des femmes se faisaient au hasard et ne formaient aucun attachement durable. La famille ne lui était pas naturelle. Comme l’écrivait Rousseau dans son Discours sur l’origine des inégalités, « La faim, d’autres appétits lui faisant éprouver tour à tour diverses manières d’exister, il y en eut une qui l’invita à perpétuer son espèce ; et ce penchant aveugle, dépourvu de tout sentiment du cœur, ne produisait qu’un acte purement animal. Le besoin satisfait, les deux sexes ne se reconnaissaient plus, et l’enfant même n’était plus rien à la mère sitôt qu’il pouvait se passer d’elle. » (Rousseau, de fait, abandonna ses cinq enfants.) Le Marquis de Sade exprima un sentiment en tous points rousseauiste dans Juliette, en écrivant que « toutes les créatures naissent isolées et sans aucun besoin les unes des autres ».

    Ce n’est qu’au moment où, par un « accident » inexplicable, un homme dut s’associer avec un autre, que son autonomie semblable à celle d’un dieu prit fin. « L’homme est bon par nature », disait Rousseau, mais d’une façon ou d’une autre nous sommes tombés de cet état de nature. Ce que l’homme est devenu est le résultat non de la nature mais de cet « accident », qui d’une certaine manière a également déclenché son usage de la raison. Rousseau insiste sur le caractère accidentel de l’association de l’homme au sein de la société pour mettre l’accent sur son caractère non naturel et artificiel. Elle n’était pas nécessaire. Mieux : elle n’aurait jamais dû se produire. Aristote enseignait que l’on n’arrive pas seul à la perfection ; l’homme a besoin de la société et de l’ordre politique pour développer pleinement son potentiel. La polis lui est nécessaire. Rousseau assurait au contraire que l’homme commence dans un état de perfection, que la constitution de la société lui arrache.

    Voici la manière dont Rousseau posait cette thèse dans son Discours sur l’origine de l’inégalité : « Cet état [de nature] était le moins sujet aux révolutions, le meilleur à l’homme, et il n’en a dû sortir que par quelque funeste hasard qui, pour l’utilité commune, eût dû ne jamais arriver. L’exemple des sauvages qu’on a presque tous trouvés à ce point semble confirmer que le genre humain était fait pour y rester toujours, que cet état est la véritable jeunesse du monde, et que tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l’individu, et en effet vers la décrépitude de l’espèce. »

    Dans le Discours sur les sciences et les arts, Rousseau se faisait fort de montrer les influences délétères de la civilisation et du « progrès » sur l’homme, dont les « âmes ont été corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection ». Dans son Rousseau, juge de Jean-Jacques, il se décrit lui-même comme ayant affirmé le « grand principe que la nature a fait l?homme heureux et bon, mais que la société le déprave et le rend misérable. (…) Le vice et l?erreur, étrangers à sa constitution, s?y introduisent du dehors et l?altèrent insensiblement ». Rousseau écrit qu’« il nous fait voir l?espèce humaine meilleure, plus sage et plus heureuse dans sa constitution primitive, aveugle, misérable et méchante à mesure qu?elle s?en éloigne ».

    La société résultant de ce « fatal événement » du hasard a corrompu l’homme. C’est ce que Rousseau substitue au péché originel. Par son association avec autrui, l’homme a perdu le sentiment auto-suffisant « de sa propre existence ». Il a commencé à vivre par rapport à l’estime d’autrui (amour-propre) plutôt que dans l’estime de lui-même (amour de soi). De cette manière, l’homme a été « aliéné » de lui-même et est devenu esclave des autres. Voilà ce que voulait dire Rousseau en écrivant : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers. » Nous trouvons ainsi chez Rousseau l’origine de l’idée marxiste de l’exploitation, menée plus avant en des temps plus récents par l’assertion existentielle de Jean-Paul Sartre : « L’enfer, c’est les autres. » Si l’enfer, c’est les autres, alors le ciel doit être soi.

    Néanmoins, Rousseau savait que l’état pré-rationnel, asocial d’un paradisiaque isolement à l’état de nature était perdu pour toujours, à la manière du jardin de l’Eden. Mais il pensait qu’un Etat tout-puissant pouvait améliorer la situation de l’homme aliéné. Pour approcher au plus près de la rédemption profane, l’homme doit abolir ces formes d’association dépendante qui l’ont rendu esclave d’autres hommes et toujours maintenu en dehors de lui-même. Il doit couper, autant que faire se peut, ses relations avec les autres membres de la société afin de pouvoir se rendre à lui-même le sentiment de son existence. Comment faire ?

    L’Etat exige une dépendance totale

    Rousseau a décrit l’accomplissement de cette condition : « Chaque personne serait alors totalement indépendante par rapport à tous les autres hommes, et dépendrait totalement de l’Etat. » L’Etat pourrait restaurer un simulacre de ce bien-être originel en éliminant toutes les relations sociales subsidiaires de l’homme. En détruisant les attaches familiales, sociales et politiques, l’Etat pourrait rendre chaque individu dépendant de l’Etat et indépendant par rapport à autrui. L’Etat est le véhicule permettant de rapprocher les gens afin qu’ils puissent être séparés : une sorte d’individualisme radical sponsorisé par l’Etat.

    Le programme de Rousseau consistait à politiser totalement la société et sa première cible fut le fondement de la société – le premier moyen par lequel les hommes sont éloignés de cet égocentrisme où Rousseau aimerait les voir retourner : la famille. Pour détruire la famille, Rousseau proposait de lui enlever sa fonction première d’éduquer ses enfants, et que cette fonction soit dévolue à l’Etat. « L’autorité publique, en prenant la place du père et en se chargeant de cette importante fonction, devrait acquérir ses droits en le déchargeant de ses devoirs. » Le père est censé se consoler avec la pensée qu’il lui reste encore quelque autorité par rapport à ses enfants en tant que « citoyen » de l’Etat. Sa relation avec ses enfants s’est métamorphosée en relation purement politique.

    Les attaques de Rousseau contre la famille et son recours exclusif à l’Etat comme véhicule exclusif de la rédemption de l’homme constituent le prototype pour tous les révolutionnaires ultérieurs. Le programme est toujours le même : la société, responsable de tous les maux, doit être détruite. En vue de promouvoir la « fraternité » universelle, la seule source où le mot « frère » puisse trouver son sens – la famille – doit être éliminée. Une fois la société atomisée, dès lors que la famille aura cessé de s’interposer entre l’individu et l’Etat, l’Etat sera libre de transformer par la force l’individu isolé pour en faire n’importe quel type d’« homme nouveau » que les visionnaires révolutionnaires auront imaginé.

    La famille artificielle

    Nous voici donc arrivés à un moment de la plus haute signification pour notre réflexion. Si la famille est artificielle par ses origines, ainsi que l’affirmait Rousseau, alors elle peut être changée et réaménagée de n’importe quelle façon qui puisse être voulue par l’Etat, ou par autrui. Il s’agit simplement d’un glissement conventionnel, quelque chose qui change dans un artefact culturel. Nous pouvons modifier les relations humaines de n’importe quelle façon. Celui qui a suffisamment de pouvoir peut faire ces modifications à sa propre guise. Il n’y a pas de critère dans la nature auquel il faille adhérer ou à l’aune duquel on puisse le juger. S’il n’y a pas de nature, alors il ne peut d’aucune façon y avoir un problème par rapport aux actes homosexuels ou au mariage des couples de même sexe – ni avec bien d’autres choses non plus. Faire remarquer qu’il n’a jamais rien existé dans l’histoire de comparable à un mariage homosexuel est superflu, de ce point de vue, puisque la « nature » de l’homme est malléable. Elle est le produit de l’histoire. L’histoire avance et l’homme change avec elle. Ou plutôt : l’homme peut se changer lui-même selon ses désirs, aussi longtemps qu’il a les moyens de le faire. Puisque les choses n’ont pas leur fin en elles-mêmes, quiconque est assez puissant pour le faire peut la leur attribuer.

    Telle est la philosophie du sophiste Calliclès dans Gorgias, lorsqu’il dit à Socrate : « La vérité, que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant » (492c). Avec le concours de la force, la vertu devient exactement ce que vous voulez. Il ne s’agit pas de conformer son comportement aux fins rationnelles de la nature, mais de conformer les choses à ses désirs. La raison devient alors l’instrument qui permet de le faire. Pour Rousseau, l’homme est une créature de désirs et d’appétits, auxquels sa raison est subordonnée. L’hôte de Rousseau en Angleterre, David Hume, a écrit dans son Traité sur la nature humaine : « La raison est, et ne devrait être davantage que l’esclave des passions et ne doit jamais prétendre à aucun office que de les servir et de leur obéir. » La raison n’est plus, dès lors, le moyen par lequel l’homme atteint sa fin dans la connaissance et la contemplation du bien. Elle est un outil pour assouvir les passions. L’inversion d’Aristote est ainsi complète.

    Lois naturelles ou droits naturels ?

    Calliclès, en version contemporaine, ne s’exprimerait pas avec autant de franchise qu’il le fait devant Socrate. Il envelopperait son inversion de la loi naturelle du langage du « droit naturel », de manière à ce que cela puisse paraître la même chose, tout en étant l’exact contraire – ainsi que le fit Rousseau. Si vous êtes un homosexuel actif, vous revendiquez un « droit » aux actes sodomites et au mariage homosexuel. Alors que « droit naturel » sonne comme « loi naturelle » ce n’est, comme l’a expliqué le P. James Schall, pas du tout la même chose.

    « La théorie moderne du droit naturel », écrit-il, « est une théorie de la volonté, une volonté qui n’a pas d’autre présupposé qu’elle-même. Dans sa version politisée, elle aura été l’alternative la plus durable et la plus dangereuse à une loi naturelle basée sur la réalité ontologique de ce qu’est l’homme.

    « Dès lors que le droit naturel devient le fondement accepté de la vie politique, l’Etat est libre d’y placer n’importe quel contenu, comme il le désire, y compris la réécriture ou l’élimination de la loi naturelle. La tradition constitutionnelle de jadis pensait que l’Etat était, en lui-même, à la fois le résultat naturel de la nature de l’homme et, et tant que tel, un frein pour l’Etat. Mais si l’homme n’a pas de “nature”, il est libéré de cette contrainte. Le droit naturel moderne signifie que rien ne limite l’homme ou l’Etat, si ce n’est ce que l’homme veut. Il peut vouloir toute chose qu’il est capable de faire arriver, qu’elle soit tenue ou non pour contraire à la loi naturelle. »

    Ce qui se joue actuellement dans la bataille du mariage des couples de même sexe n’est rien de moins que cela.

    Sans parler directement de Calliclès ou de Rousseau, celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger a dit dans Le sel de la terre quelque chose qui caractérise cette école de pensée : « L’idée que la “nature” a quelque chose à dire n’est plus admissible ; l’homme doit disposer de la liberté de se remodeler à volonté. Il doit être libéré de toutes les données antérieures de son essence. Il fait de lui-même ce qu’il veut, et c’est seulement de cette manière qu’il est véritablement “libre” et libéré. Derrière cette approche se trouve une rébellion de la part de l’homme contre les limites qui sont les siennes en tant qu’être biologique. A la fin, c’est une révolte contre notre état de créatures – une édition moderne, nouvelle, des tentatives immémoriales d’être Dieu, d’être comme Dieu. »

    Voilà la perspective anthropologique et métaphysique au sein de laquelle le mouvement en faveur du mariage des couples de même sexe argumente son cas. Accepter le mariage des couples de même sexe revient à accepter l’ensemble de la perspective d’où elle émane, y compris l’assertion selon laquelle « la nature humaine est de ne pas avoir de nature ». Mais la nature humaine n’est rien d’autre que ce qui fait que l’on est un être humain. Rejeter cela, c’est nier l’humanité, nier ce qui est.

    Robert Reilly

    Source : http://www.mercatornet.com/articles/view/the_road_to_same_sex_marriage_was_paved_by_rousseau

    © leblogdejeannesmits pour la traduction.

  • Plus aucun acte d’état civil à effet de la date de promulgation de la loi

    Polémia publie l'exemple d'une lettre qu'un maire pourra adresser au Préfet si la loi Taubira venait à être promulguée :

    "En qualité de maire, j’exerce à la fois des attributions au nom de la commune, par délégation du conseil municipal, et au nom de l’Etat, par l’effet de la loi. Parmi ces dernières, celles d’officier d’état civil, prévues par l’article L 2122-32 du Code général des collectivités territoriales.

    Le vote de la loi autorisant le mariage entre personnes de même sexe dénature cette institution et emporte de graves conséquences sur la filiation et l’adoption. Elle impose à l’officier d’état civil que je suis un acte contraire à toutes mes convictions.

    Le président de la République, François Hollande, lors du Congrès des maires de France du 20 novembre 2012, déclarait à l’époque au sujet de ce projet :

    « Je connais les débats qu’il suscite, ils sont légitimes dans une société comme la nôtre. Les maires sont des représentants de l’Etat. Ils auront, si la loi est votée, à la faire appliquer. Mais je le dis aussi, vous entendant : des possibilités de délégation existent. Elles peuvent être élargies et il y a toujours la liberté de conscience. La conception de la République vaut pour tous les domaines et, d’une certaine façon, c’est la laïcité, c’est l’égalité : c’est-à-dire que la loi s’applique pour tous, dans le respect, néanmoins, de la liberté de conscience. »

    J’entends me prévaloir de cette liberté de conscience, mais je ne ferai pas supporter à l’un ou l’autre de mes adjoints une obligation que je refuse d’assumer moi-même. Il appartient à l’Etat et à ses fonctionnaires de remplir ce rôle.

    Aussi, je vous prie de prendre acte que je n’accomplirai plus aucun acte d’état civil à effet de la date de promulgation de la loi. [...]"

    Michel Janva

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • La PMA et la GPA pour Tous c'est maintenant. En France

     De Pierre-Olivier Arduin dans La Nef :

    N"Le 1er janvier 2013 à minuit et une poignée de secondes, le premier bébé né en France était celui d’un « couple » d’homosexuelles domiciliées à Moulins dans l’Allier. Si celle qui s’est faite inséminer en Belgique et qui a accouché en France a été reconnue civilement comme la mère, sa « compagne » sera déclarée à son tour parent légal de l’enfant lorsque la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux « couples » de même sexe entrera en vigueur.

    Cette histoire illustre les non-dits du chef de l’État s’évertuant, lors de son intervention télévisée du 28 mars, à nous faire croire que le texte sur « le mariage pour tous » n’incluait ni de près ni de loin la question de la procréation médicalement assistée (PMA). Le chef de l’État ne peut ignorer que le marché des procréations artificielles en France et à l’étranger est organisé de telle façon que la loi Taubira, même sans prévoir de volet spécifique sur la « PMA homosexuelle », va accélérer le recours à ce genre de pratiques tout en validant juridiquement le fait délictueux commis à l’étranger. Les médias se sont fait l’écho ces dernières semaines du caractère opérationnel des filières de don de sperme pour les lesbiennes avec la complicité d’une partie des spécialistes français de l’assistance médicale à la procréation. [...]

    Destinations phares de ces délocalisations procréatives, l’Espagne et la Belgique qui autorisent toutes les femmes, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur configuration parentale, à recourir à des cellules sexuelles de qualité, objet de toutes les convoitises. Ces réseaux fonctionnent d’autant mieux qu’en vertu de la loi communautaire sur l’égalité de l’accès aux soins dans les pays de l’Union européenne, la Sécurité sociale prend en charge une partie des frais à l’étranger et couvre de toute façon l’ensemble des traitements tant avant qu’après l’insémination artificielle (traitement de stimulation, surveillance des ovaires, dosages hormonaux, échographies, et bien sûr la durée intégrale de la gestation). Depuis l’entrée en vigueur de cette directive européenne, les homosexuelles françaises sont de plus en plus nombreuses à se faire fabriquer illégalement des enfants sans père avec la collaboration de la médecine et de l’assurance-maladie françaises. Pour que le crime soit parfait, il manquait seulement la reconnaissance civile du statut parental en faveur de la compagne de celle qui mène la grossesse. Ce sera chose faite avec la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe qui va inéluctablement démultiplier ce tourisme reproductif transfrontalier puisque la « conjointe mariée » de celle qui aura accouché sera régularisée comme second « parent » de l’enfant après adoption plénière.

    On retrouve le même schéma pervers avec les « couples » d’hommes qui eux ont besoin d’un don d’ovules et d’une location d’utérus pour mener à bien leur « projet parental ». Alors que, dans la même émission, le président de la République jurait la main sur le cœur être absolument opposé aux mères porteuses, son gouvernement a déjà légitimé le contournement de la loi française prohibant la gestation pour autrui (GPA). En demandant aux juridictions, par la circulaire du 25 janvier, de faciliter l’acquisition de la naturalisation d’enfants nés à l’étranger d’une mère porteuse, Christiane Taubira vient d’accorder aux « couples » de gays une prime à l’impunité en leur offrant sur un plateau l’assurance qu’ils pourront continuer à recourir à la GPA en dehors de nos frontières sans être inquiétés pas les consulats lorsqu’ils rentreront avec l’enfant abandonné par celle qui l’aura porté pendant neuf mois. Après la circulaire Taubira, la boucle sera bouclée avec la loi Taubira puisque celle-ci, là encore, permettra au « conjoint » du géniteur (celui qui a donné son sperme à l’origine de l’embryon conçu par fécondation in vitro et réimplanté dans la mère porteuse) d’engager une procédure d’adoption plénière vis-à-vis de l’enfant, laquelle lui sera accordée automatiquement par l’État français. Contrairement aux dires de François Hollande, la fabrication artificielle d’enfants privés intentionnellement de père ou de mère est donc inhérente à la loi Taubira. Non contente de décupler les trafics procréatifs en tous genres, la nouvelle législation va par-dessus le marché ratifier les fraudes commises à l’étranger en infraction avec le droit français par nos ressortissants homosexuels en mal d’enfants. On entend déjà la majorité nous dire que cette situation hypocrite ne peut durer et nécessite que la France inscrive à son tour la PMA et la GPA pour tous dans son arsenal législatif."

    Michel Janva  http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Vincent Peillon nous fait la morale !

    par Stéphane Blanchonnet *

    Le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, a annoncé qu’un cours de "morale laïque" serait dispensé dans l’ensemble du système scolaire, de la maternelle au baccalauréat, dès la rentrée 2015.

    Dans la foulée du vote de son projet de loi sur la « refondation de l’école » et à l’occasion de la remise du rapport qu’il avait commandé à Alain Bergounioux, Laurence Loeffel et Rémy Schwartz, Vincent Peillon a donné de nouvelles précisions sur sa "marotte", l’instauration d’un cours de morale laïque dans l’ensemble du système scolaire, de la maternelle au baccalauréat. Ce nouvel enseignement, qui ne sera pas une nouvelle discipline et fera donc appel aux professeurs des matières existantes, aura toutefois des horaires dédiés (il ne sera pas simplement ajouté aux contenus des programmes des différentes matières) et fera son apparition à la rentrée 2015. C’est du moins ce qu’affirme M. Peillon dans un con-texte où il paraît peu probable que lui-même ou le gouvernement auquel il appartient puisse seulement passer l’année !

    Un machin de plus

    Avant de passer à une critique de fond de l’intérêt de cette morale laïque, on peut faire remarquer que ce nouvel objet pédagogique non identifié (OPNI ?) vient s’ajouter à une longue liste de "machins" (ECJS, aide individualisée, TPE...) qui viennent alourdir un temps scolaire que l’on veut par ailleurs raccourcir, et réduire la part réservée aux enseignements disciplinaires, donc au véritable savoir. On peut aussi s’amuser de voir un nouveau ministre pressé comme tous ses prédécesseurs de "laisser sa trace" dans les programmes ou encore de voir un socialiste surfer assez démagogiquement sur la vague du retour à un certain ordre moral (extérieur et superficiel) qui avait porté au pouvoir Nicolas Sarkozy en 2007 et qui traverse incontestablement l’opinion comme le montrent toutes les enquêtes. Sur le fond, la morale laïque est une impasse : dans le moins pire des cas (on n’ose dire le meilleur !), elle se résumera à une sorte de plus petit dénominateur commun ("la civilité" mais pas la belle, la grande politesse française, dont la galanterie est la fine fleur et qui repose sur des distinctions que l’idéologie dominante assimile à autant de discriminations) ; dans le pire des cas, elle redeviendra l’arme de guerre civile anti-religieuse qu’elle était au début du XXe siècle.

    À la différence qu’hier, en attaquant le catholicisme et non l’islam, elle était aussi un crime contre les fondements de la civilisation française. Maurras décrivait ainsi la mise en œuvre de ce crime dans un remarquable texte de 1928 (paru dans l’Almanach de l’Action française et disponible sur maurras.net) : « Oui, nous payons des prêtres, et de véritables congrégations de prêtres et de docteurs, dans les écoles normales primaires, pour entretenir cette religion d’État contre l’État.  » La différence étant que les prêtres et les docteurs laïcs d’aujourd’hui ne véhiculent plus ce que le Martégal appelait joliment « ce stoïcisme germanique de Rousseau et de Kant », une morale abstraite, déracinée mais une morale tout de même ! On lui a substitué une moraline libérale-libertaire, sorte de hideuse tambouille dont les ingrédients sont des résidus de pensée soixante-huitarde mêlés au politiquement correct importé d’Amérique, le tout assaisonné d’une pincée de féminisme du genre...

    Embrigadement

    Maurras dans son texte de l’almanach soulève d’autres aspects de la question : l’obligation faite à tous les Français de financer cet embrigadement des esprits et l’inégalité entre les enfants du peuple, contraints d’ingurgiter la propagande laïciste, et les "fils de famille" qui peuvent y échapper en payant : « Du point de vue de la justice, il suffit pour con-damner cette école que, enseignant la doctrine de quelques-uns, elle soit payée par tous et obligatoire pour tous, en particulier pour ceux qui n’ont aucun moyen de se défendre contre ses inventions, ses conjectures, ses frénésies et ses fanatismes. » En attendant le retour d’un État légitime qui aura pour finalité la perpétuation de notre civilisation française et non son éradication, il convient d’insister sur ce dernier point en militant, par exemple, pour l’amélioration de la situation des écoles hors contrat, voire pour l’instauration du chèque scolaire.

    Stéphane Blanchonnet - L’Action Française n°2862 - www.a-rebours.fr

    * Stéphane Blanchonnet, président du comité directeur de l’Action française, est spécialiste des questions de société.

  • L'Opinion

    L'opinion, la doxa en grec, s'oppose aux deux autres façons de penser à celle de la science (epistemé) et celle de la philosophie. Elle est considérée comme un savoir malpropre donc méprisée. Elle peut passer pour être l'expression d'une subjectivité alors qu'elle ne fait souvent que répéter ce que dit un groupe social, la collectivité....L'opinion a pourtant son mode de fonctionnement venant de la tradition, des mythes, de la religion, d'une mentalité collective.
    Elle est sociologiquement celle de la masse ou du peuple par opposition à « ceux qui savent », les experts, les diplômés, ceux qui ont fait des études. Elle exprime un rapport social.
    Les élites ont donc le plus grand mépris pour ceux qui ne savent pas et ne font que répéter l'opinion du peuple, c'est à dire celle du café du commerce.
    Dans les sondages ont met souvent en exergue la catégorie des diplômés et celle des non diplômés.
    L « opinion » des non diplômés étant présentée de façon plus ou moins sournoise comme celle de la bêtise, des incultes. On trouve souvent l'expression « plus les personnes sont diplômées, plus elles pensent ceci », ce qui sous-entend que la pensée contraire (ou différente) est celle des imbéciles. Bref l'opinion serait à l'opposé d'un savoir « vrai ».
    La destruction de l'opinion par la philosophie
    La philosophie s'est construite contre l'opinion. Dans la République Platon s'attaque à l'homme de l'opinion qui est un aveugle, un prisonnier, un malade. Toute l'histoire de la philosophie est liée à une dévalorisation de l'opinion. Si pour certains toutes les opinions se valent Platon rétorque que si toute opinion est vraie alors on a aussi l'opinion que l'opinion est fausse.
    On retrouvera cette condamnation chez Bachelard dans la formation de l'esprit scientifique : « la science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter ». On a là de façon presque caricaturale le point de vue de la Science qui rejoint celui de la philosophie avec Descartes dans le discours de la méthode lorsqu'il énonce les quatre principes de la méthode : « le premier étant de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connaisse évidemment être telle... ». Ce principe s'oppose bien sur à l'opinion comme à la tradition et l'autorité.
    Husserl où la doxa réhabilitée
    Face à la science, la doxa était honteuse. La doxa n'était qu'une somme de lieux communs (qui dort dîne...) ou de préjugés. Avec Socrate et son questionnement et l'élève Platon, la raison s'est construite jusqu'au système cartésien. L'opinion était fondée sur le quotidien de l'existence. Husserl a vu dans la doxa le monde de la vie premier. La doxa est donc réhabilité comme ce qui nous donne les premières explications de notre vécu. Le monde de la quotidienneté n'a en général que faire de la version scientifique du monde. Quand j'ai chaud je n'ai pas besoin de connaître la thermodynamique.
    La doxa pour Husserl a fondé les constructions postérieures de la Science. Mais la science n'a fait que désenchanter le monde premier de la quotidienneté. Elle a substitué des constructions logiques faites d'idéalités au monde de la vie. On peut dire que la phénoménologie à la différence de la Science a redonné sa place à la doxa.
    Heidegger
    Pour le philosophe I' « être-jeté » est l'affectivité du Dasein (être-là). Le Dasein est dans la quotidienneté c'est à dire qu'il se trouve dans un contexte historico-social. L'être-là est un « être-avec » donc il comprend le monde selon l'opinion de tous ce que Heidegger appelle le « on » anonyme. « On » se scandalise comme tout le monde. L'opinion du Dasein ne fait que partager l'opinion commune.
    Le philosophe parlera de dictature du « on ». L'existence est à l'origine inauthentique. L'être-là ne peut jamais se soustraire à cette interprétation quotidienne dans laquelle il a d'abord grandi. C'est en elle, à partir d'elle et contre elle que s'accomplit toute compréhension authentique. Heidegger comme Husserl réhabilite la doxa comme compréhension originaire.
    L'authenticité consiste à sortir de l'opinion commune. Le monde du « on » est une pré-compréhension.
    L'opinion chez Heidegger s'appelle aussi bavardage qui parle de tout. Le Dasein pour être authentique doit se détacher du « on ».
    À partir de l'opinion on retrouve la problématique de la vérité et de sa construction, L'homme a souvent la fatuité de croire que « son » opinion vient de lui alors qu'elle n'est que le produit de son milieu social, de l'école, de la société, des médias, des faiseurs d'opinion...
    Notre société est ambivalente car elle se veut technico-scientifique donc ne donnant de valeur qu'à la science et dans le même temps par ses sondages incessants elle donne une valeur immense à l'opinion publique où toutes les opinions se valent de l'imbécile ou « savant », ce terme maintenant comprenant par exemple des prix Nobel ou autres.
    Si l'opinion en mathématiques n'a guère de sens elle refait son apparition même dans des domaines comme la Science, la physique où il existe différentes interprétations et la biologie.
    L'opinion politique étant une conviction elle paraît donc hors du vrai ou du faux. Cette « opinion » politique se retrouve pourtant dans ce qu'on appelle les « sciences humaines ».
    L'opinion comme toute connaissance â sa part de métaphysique.
    PATRICE GROS-SUAUDEAU

  • Moralisation générale ! Tous suspects ?

    Pour évoquer le thème de la «moralisation de la vie publique», Frédéric Taddeï reçoit notamment Percy Kemp, auteur du livre «Le Prince : conseils adressés à nos gouvernants…» (Seuil), Dominique Jamet, auteur du «Mal du pays» (La Différence), Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, membre du Bureau national du PS, Monique Pinçon-Charlot, qui a publié «L’Argent sans foi ni loi» (Textuel), et Charles Gave, auteur de «L’État est mort, vive l’État !» (Bourin).

    http://fortune.fdesouche.com/

  • Chronique de livre: Jean-Claude Michéa, La double pensée, Champs, Paris, 2008

    Jean-Claude Michéa, La double pensée, Champs, Paris, 2008

    couv la dbl pensée.gifJean-Claude Michéa est agrégé de philosophie et contributeur au sein du MAUSS depuis de nombreuses années. De sensibilité  anarchiste, Jean-Claude Michéa n’a pourtant rien à voir avec l’anarchisme subventionné du système comme nous pouvons le croiser dans nos facs ou à travers les différentes initiatives ayant pour objet la destruction de nos sociétés européennes. L’anarchisme de Michéa se situe dans la lignée de la pensée de Georges Orwell, que l’on présente trop peu comme un écrivain socialiste et qu’on résume bien trop à une pensée « anti-totalitaire » systémo-compatible alors même qu’il fut un pourfendeur des effets dévastateurs du libéralisme et du colonialisme au sein même du monde britannique qu’il ne perçut jamais comme une alternative crédible aux « totalitarismes » officiels. A la suite d’Orwell, Jean-Claude Michéa défend la « décence commune », c'est-à-dire l’attitude traditionnelle et universalisable de « donner, recevoir et rendre » qui s‘accompagne du « bon sens » que nous pouvons connaître dans nos sociétés rurales traditionnelles. Cette anthropologie mise en lumière par Marcel Mauss est pour Michéa le synonyme d’une société socialiste.

    Dans le présent ouvrage, qui prolonge L’Empire du moindre mal, Jean-Claude Michéa défend deux thèses essentielles : d’une part le libéralisme économique et le libéralisme « sociétal » ne font qu’un, et d’autre part les libéraux sont capables de prôner tout et son contraire. Ainsi le fait de réclamer un état pour des peuples du « tiers-monde » alors que dans le même temps on s’échine en France à vouloir démanteler l’état et à ouvrir les frontières… La construction de l’ouvrage (compilation d’articles, de réflexions et d’entrevues) n’en fait pas un ouvrage de philosophie « classique » où la pensée se déroule sur un fil mais plutôt un ensemble de considérations autour de ces deux grands thèmes. L’échange avec « Radio libertaire », qui constitue le tronc du livre, est d’ailleurs plutôt vivifiant, non seulement parce qu’il est dynamique, mais parce qu’on ne décèle jamais, autant chez Michéa que chez le journaliste de RL, de langue de bois lorsqu’il s‘agit de mettre la nouvelle gauche (et donc la nouvelle extrême-gauche) face à ses contradictions et ses préjugés.

    Pour Michéa la société  libérale se caractérise par plusieurs phénomènes : la coexistence du Marché, du Droit procédural et la neutralité axiologique. Tout cela conduit à refuser d’aborder les questions sous un angle philosophique, pour éviter les « conflits idéologiques » qui rappellent l’époque sanglante des Guerres de religion. Seules la « main invisible du Marché » et l’extension indéfinie du Droit procédural peuvent conduire à une régulation sociale. Il résulte de la systématisation de ces mécanismes une incompréhension par exemple de la part des libéraux du fait que des associations puissent se questionner de façon philosophique sur le droit à l’avortement ou le mariage homosexuel, alors même que selon la pensée libérale « chacun fait ce qu’il veut » et que le Droit est la seule façon de définir la norme (ou la nouvelle norme). Pour autant Michéa met en garde contre « l’idéologie du Bien » (ou idéologie morale) sur ce type de questions. Dans le cas des homosexuels, il présente différentes « visions » qu’il intègre dans ce qu’il considère comme des écueils : « l’homosexualité représente un « péché » contre la volonté divine (variante islamo-chrétienne), un symptôme de « décadence » et « d’ épuisement vital » (variante fasciste) ou encore une « déviation petite-bourgeoise » (variante stalinienne). » Pour l’auteur, cette « métaphysique du bourreau » (Nietzsche) apparaît comme une contradiction avec la « décence commune ». En revanche il considère qu’une société décente devrait permettre le débat philosophique sur ce type de questions. A travers cet exemple, qui revient à différentes reprises, Michéa n’hésite pas à critiquer les déviances de la gauche qui a délaissé la défense des classes populaires au profit du multiculturalisme (« droit des minorités », « lutte contre toutes les discriminations »), du lumpenprolétariat (terminologie marxiste désignant les éléments déclassés, comprenant les voyous et escrocs divers, les marginaux, qui n’ont aucune conscience de classe et servent les intérêts de la bourgeoisie) et de « l’évolution des mœurs ».

    Michéa défend dans son ouvrage un socialisme communautaire, enraciné, hostile à la hiérarchie et à l’autorité, reprenant ici les apports de Orwell dans 1984, mais aussi de Christopher Lasch, Debord ou encore Rousseau  dont il cite la célèbre maxime suivante : « Méfiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin de leur pays des devoirs qu'ils dédaignent accomplir chez eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d'aimer ses voisins. ». Pour lui, le socialisme réel (la décence commune) se vit dans la proximité de l’individu (famille, quartier, village) et seul un individu capable d’aider ceux qui lui sont proches (comme cela se fait encore dans certaines sociétés indigènes d’Amazonie) peut par la suite se projeter vers l’universel. La plus parfaite manifestation de l’esprit bourgeois étant sûrement cette propension des « stars » du show-bizz à s’acheter une bonne conscience en aidant les populations lointaines alors qu’ils n’ont que mépris pour leurs « compatriotes ». Michéa rappelle d’ailleurs que les paysans sont souvent considérés comme des « ploucs » et des « péquenauds » par nos élites bohêmes parisiennes. Il cherche aussi à distinguer dans Mai 68, le mouvement populaire ouvrier ou paysan (le Larzac), de la rébellion libérale-libertaire estudiantine qui a été parfaitement récupérée par le système et dont Cohn-Bendit est une parfaite icône. La gauche a totalement enterrée le mai 68 populaire, ouvrier ou paysan, comme la trahison mitterrandienne n’a fait que le confirmer après 1981 au profit d’une pensée bourgeoise compatible avec le libéralisme de défense des « exclus », des « sans-papiers » et des « gays ». Bien sûr il note que les libéraux, de droite comme de gauche, s’accordent pour réclamer l’ouverture des frontières, alors même que toute pensée socialiste authentique ne peut pas soutenir un tel projet…

    Le philosophe montpelliérain aggrave son cas lorsqu’il rappelle par exemple qu’il existe une critique socialiste des droits de l’homme et qu’il se risque à quelques commentaires sur les fondements des Droits de l’homme. Il débute en citant Marx dans La Question Juive : « Aucun des prétendus droits de l’homme ne dépasse donc l’homme égoïste, l’homme tel qu’il est, membre de la société civile, c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé. ». Voila en une phrase le résumé de ce que sont les Droits de l’Homme. L’auteur poursuit dans la scolie associée par une remarque qui complète notre paragraphe précédent sur l’étouffement calculé du mai 68 populaire : « Le travail de falsification médiatique et universitaire a été poussé si loin, de nos jours, qu’on trouverait difficilement des étudiants (voire des « doctorants ») capables d’imaginer que la critique des droits de l’homme se situait il y’a quelques décennies encore au cœur même de la théorie marxiste et donc, de la plupart des combats révolutionnaires. » Il adjoint à ces considérations des citations d’Engels à propos du mouvement des Lumières, dont celle-ci : « Nous savons aujourd’hui que ce règne de la Raison n’était rien d’autre que le règne idéalisé de la bourgeoisie. ». Le droit des individus conduit nécessairement à une atomisation juridique au sein de la société qui est très différente de l’autonomie souhaitée par les mouvements socialistes originels. Il considère même que les Droits de l’homme sont le signe d’une « anthropologie négative » qui estime que le droit doit empêcher les Hommes de se nuire mutuellement. Cette idée d’une anthropologie libérale, pessimiste et négative, revient régulièrement dans l’ouvrage avec la convocation de Hobbes bien évidemment (« L’homme est un loup pour l’homme») mais aussi par une explication d’ordre plus « psychologique », les libéraux réagissant souvent face à des « chocs historiques » qui conduisent à avoir une image pessimiste de l’Homme et à chercher en conséquence à ce que le Droit empêche de nuire à autrui, la seule limite à la liberté d’un individu étant la liberté d’un autre individu. Par ailleurs, la liberté devient surtout la liberté de consommer et de se créer un « style de vie », d’avoir le choix entre la marque Y et la marque X. Cette critique socialiste des Droits de l’Homme, qui emprunte une nouvelle fois à Christopher Lasch, s’accompagne d’une critique de l’aliénation et de l’utilitarisme. Le socialisme, c'est-à-dire la « décence commune » et non d‘obscures mécanismes de régulation socio-économiques, promeut un homme libéré donc autonome, mais pas un homme égoïste, aliéné et qui agit par vanité et intérêt.

    Sur ce point, les mouvements radicaux ont aussi droit à leur critique en bonne et due forme. Pour Michéa, les mouvements radicaux se meurent par la faute des différents arrivistes et dirigeants qui détournent la contestation révolutionnaire pour leur gloire personnelle. C’est le sens qu’il donne à la Ferme des Animaux d’Orwell, où suite à la révolution des animaux contre les fermiers, les cochons prennent le pouvoir car « tout le monde est égal, mais certains plus que d’autres ». Il voit ici une critique du stalinisme et du fait que les révolutions socialistes ont toutes fini par servir les intérêts d’une caste de « révolutionnaires professionnels ». Ainsi pour lui, il faut envisager un moyen d’empêcher ces révolutionnaires professionnels et les militants dont le dévouement deviendrait trop suspect de détourner la révolution à leur profit. Cela le conduit naturellement à critiquer la « volonté de puissance » de certains militants qui cherchent toujours à imposer leurs vues et peuvent même devenir des « donneurs de leçon ». Il les affuble du nom de Robert Macaire, personnage sans scrupule et prêt à tout pour arriver à ses fins dans le vocabulaire du monde artistique. On ne peut pas lui donner tort, tant les mouvements radicaux ressemblent souvent à des fan-clubs ou des PME au service d’un individu. A ce titre, la médiatisation des mouvements dans cette « société du spectacle » tant décriée par Debord et l’Internationale Situationniste, participe de ces écueils dans lesquels se fourvoient les mouvements radicaux. Il cite un exemple amusant, celui du soutien de TF1 à Réseau Education Sans Frontière via une célèbre émission pour gagner de l’argent, attestant de la tartufferie de ce mouvement… La recherche de la médiatisation revient à jouer la partition du système médiatique : Michéa rappelle que certains mouvements, pourtant fort de plusieurs milliers d’adhérents (comme des mouvements écologistes ou localistes) ne bénéficient d’aucune tribune médiatique, alors que des mouvements de quelques centaines de membres parviennent à obtenir une exposition qui lui paraît suspecte.

    La pensée de Jean-Claude Michéa dans cette ouvrage est extrêmement féconde et il aborde assez largement d’autres sujets comme son parcours personnel, son rapport à l’écriture et à la technologie (il s’inspire en particulier de Jacques Ellul), la pensée des néo-libéraux (Hayek, Friedman, l’école de Chicago), la critique de la notion de néo-conservatisme, la dictature libérale provisoire (Pinochet) ou encore le monde enseignant. Il n’hésite pas à non plus à tancer les incontournables Attali et BHL… c’est donc un ouvrage essentiel, qui se lit très vite et qui prépare à la lecture des deux ouvrages suivants, Le complexe d’Orphée (2011) et Les mystères de la gauche 2013) qui sont des compléments à celui-ci sur deux thèmes bien précis, le refus pour les libéraux et autres « progressistes » de regarder vers le passé et le constat amer que la gauche est devenue le camp du libéralisme le plus abouti (économique et sociétal).

    Pour ma part, si je ne partage pas forcément l’optimisme anthropologique de Michéa à l’heure actuelle tant la société paraît rongée par les maux du libéralisme (individualisme, guerre de tous contre tous, difficulté à pouvoir accorder sa confiance à autrui, etc…) et son rejet de certaines formes de hiérarchie (je ne considère pas que la hiérarchie est nuisible par principe, mais qu’elle devient nuisible si la hiérarchie se considère comme étant distincte du peuple), il n’en demeure pas moins que l’auteur ouvre la voie à une forme de société socialiste communautaire et enracinée basée sur la décence commune et le bon sens populaire, qui cadre plutôt avec nos aspirations et ne fait que confirmer que ce qui nous sépare des authentiques socialistes historiques n’est pas aussi important que certains le pensent. A bon entendeur…

     Jean http://cerclenonconforme.hautetfort.com/

  • L'homme nouveau est un être atomisé

    La société contemporaine veut accoucher d'un « Homme nouveau », standardisé et déraciné.
    L'un des points commun aux différents totalitarismes du XXe siècle, que l'on retrouve aussi bien dans la société communiste que dans la barbarie nazie, est de vouloir construire un homme nouveau, de parvenir à un changement radical de l'humanité classique telle que nous la connaissons depuis l'Antiquité. Cet homme nouveau est un être profondément déraciné, comme l'on bien perçu les philosophes Simone Weil (auteur de L'enracinement) et Gustave Thibon, pour qui « seules les fleurs artificielles n'ont pas de racines ».
    Notre société contemporaine, mondialisée et atomisée rêve également de bâtir un homme nouveau. Si elle n'est pas à proprement parler encore totalitaire, elle tend à le devenir. Le règne de l'individualisme est également celui de l’homo economicus qui a remplacé le zoon politikon, l'animal politique d'Aristote. En effet, le marché mondial a besoin d'un consommateur standardisé pour maximiser les profits. Ainsi s'explique en partie l'expansion de la langue anglaise comme idiome unique des affaires ou la diffusion massive d'une sous-culture américanisée (films, musique...). Ainsi, à l'aide de cette grille de lecture, s'appréhende mieux le rôle central de la publicité (bien éloignée des « réclames » d'antan) et la tyrannie des marques et des logos : MacDonald, Nike, Apple... Ainsi s'explique parfaitement la mise en avant par les médias et beaucoup d'hommes politiques d'une société mondiale, culturellement métissée et du concept absurde de « citoyen du monde » bien illustré par le slogan d'une célèbre marque de vêtements : « United colors of Benetton ». Comment, pourtant, envisager un citoyen en dehors d'une « Cité », d'un « État », borné et distinct des autres par sa langue, son histoire, ses coutumes, sauf à croire une seconde en la réalisation de paroles de la chanson de John Lennon Imagine ? Nous serions alors dans une société sortie du Politique dont l'existence suppose une pluralité, un pluriversum d'entités (nations, empires...). L'homme moderne tend chaque jour un peu plus à n'être plus qu'un consommateur atomisé aux goûts standardisés. Ce consommateur type combine plusieurs caractéristiques. Le pouvoir d'achat, tout d'abord, par la régulation des naissances (contraception et avortement) et le malthusianisme qui récusent la phrase prononcée par l'économiste français Jean Bodin au XVIe siècle : « Il n'est de richesse que d'homme. » L'autonomie ensuite, source de productivité économique régulée par l'euthanasie des personnes âgées et des handicapés, c'est-à-dire des plus faibles, maquillée en « droit à mourir dans la dignité » : seul le travail rendrait libre... La standardisation des goûts, enfin, voire de la taille et des mensurations, en rêvant d'un consommateur androgyne de produit unisexe, façonné par la théorie du Genre, venue des Amériques, qui envahit désormais notre enseignement public. Ainsi, le mariage homosexuel s'inscrit évidemment dans cette déshumanisation à finalité consumériste.
    Déshumaniser
    Pour faire passer la pilule auprès des individus, il est nécessaire de déshumaniser l'homme, de rabaisser la gloire de son humanité: la tâche est notamment confiée aux revendications radicales de certains groupuscules, relatives aux droits des animaux : si l'homme est un animal comme les autres, il n'y a plus de raison d'en faire un être sacré aux yeux de Dieu et des autres hommes. Les débats autour de la chasse ou de la tauromachie sont donc loin d'être anodins.
    Déshumaniser l'homme, c'est aussi le couper de toute charité envers ses semblables et de tout amour. La vraie solidarité, parce qu'elle échappe largement à la marchandisation, est une cible pour les tenants du nouvel ordre mondial. Au mieux la conçoivent-ils comme un effet pervers du nomadisme dont ils sont les chantres (aide aux immigrés) ou comme une façade du spectacle télévisuel (le concert des Restos du cœur). De même, certains homosexuels revendiquent explicitement le droit au mariage, non pas au nom d'un mimétisme des couples hétérosexuels, mais comme moyen de réduire à néant l'institution mariage, expression sociale de l'amour entre deux personnes de sexe opposé.
    Peut-on penser échapper à cette « société spectaculaire intégré » (la formule est de Guy Debord) en se retranchant dans un espace communautaire, une contre-société catholique par exemple, ou en optant pour un « recours aux forêts » individualiste, tel celui prôné en son temps par Ernst Jünger ? Rien n'est moins sûr, car comme disait Georges Orwell en dissertant sur les totalitarismes : « La grande erreur est de croire que l'être humain soit un individu autonome. »
    Nous sommes tributaires de la société dans laquelle nous vivons, celle où nous sommes nés. Elle nous influence, modifie nos comportements, souvent malgré nous, quelle que soit la force de nos réticences. On pourrait utilement relire à ce sujet un roman de Pierre Boutang, Le Secret de René Dorlinde, réflexion sur la société communiste, afin de s'interroger pour savoir si l'homme atomisé est encore capable d'écrire de la poésie. La seule réponse humaine possible est une réponse politique, rompant avec l'utopie d'une société monde régulée par les seuls Droits de l'homme et le seul marché. C'est une insurrection politique contre la société contemporaine qui permettra le retour à une commun decency, une décence commune, qu'appelait de ses vœux George Orwell. Ne croyons pas que nous mènerions pour autant un combat dénué de toute aspiration spirituelle. Ne perdons pas en effet de vue que, comme l'écrivait Georges Bernanos en 1946 : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on n'admet pas d'abord qu 'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »
    Jacques Cognerais monde & vie 19 mars 2013

  • La Métaphysique

    Qu'est-ce que la métaphysique ? Le mot a été utilisé pour désigner une partie de l'œuvre d'Aristote. La métaphysique est la « science » de la réalité la plus haute de l'Être en tant qu’Être. On appelle aussi métaphysique toute connaissance au delà du sensible. « Il y a une science qui étudie l'Être en tant qu'Être et les attributs qui lui appartiennent essentiellement. Elle ne se confond avec aucune des sciences dites particulières » (Aristote, Métaphysique).
    Tous les grands philosophes du passé de Platon à Spinoza ont voulu donner une explication métaphysique du monde. En général le monde sensible est mensonger et nous trompe. Pour Platon le vrai monde est celui des idées. Il existe des idées éternelles. Au XVIIIème siècle avec Kant, la métaphysique a pris une connotation négative. L'esprit anti-métaphysique s'est développé de pair avec les sciences expérimentales. Kant a pris acte de l'impuissance métaphysique. Nous avons des intuitions sensibles à partir des formes a priori de ma perception espace et temps. On ne peut connaître l'âme ou Dieu : concepts métaphysiques. Il n'existe que des phénomènes et non des noumènes. La métaphysique qui veut sortir de la sphère phénoménale est une illusion. « La colombe légère, qui dans son libre vol, fend l'air dont elle sent la résistance, pourrait s'imaginer qu'elle volerait bien mieux encore dans le vide. C'est ainsi que Platon, quittant le monde sensible, se hasarda sur les ailes des idées, dans les espaces vides de l'entendement pur. Il ne s'apercevait pas que, malgré tous ses efforts il ne faisait aucun chemin parce qu'il n'avait pas de point d'appui » (Kant, Critique de la raison pure). Malgré toutes les critiques et attaques contre la métaphysique depuis Kant jusqu'au positivisme de Comte, le néopositivisme de Wiener Kreis, la philosophie analytique et l'École de Francfort... cela n'a pas empêché de nombreux philosophes comme Hegel, Bergson, Sartre, Heidegger... d'avoir des écrits métaphysiques. Car l'homme est fondamentalement un animal métaphysique qui s'interroge sans cesse sur le sens de la vie, l'être (pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?), le bien, le mal, l'angoisse, qu'est-ce que connaître ? (il n'y a d'objet connu que pour un sujet connaissant)
    Les éradicateurs de la métaphysique
    Le positivisme scientifique de Comte énonce que seul l'analyse des faits vérifiés par l'expérience peut expliquer le monde.
    Auguste Comte définit 3 états : l'état théologique, l'état métaphysique et celui scientifique. Il faut remplacer les croyances religieuses ou métaphysiques par la Science. Il faut renoncer au concept des causes premières. On ne cherche qu'à expliquer le comment par l'utilisation du langage mathématique. Auguste Comte était polytechnicien. Le positivisme correspond à une idéologie de la Science qui s'est considérablement développée au XIXème siècle. On n'est pas loin du « scientisme ».
    Le cercle ce Vienne ou Wiener Kreis a été le prolongement du positivisme de Comte qu'on a appelé néopositivisme. Son chef de file Moritz Schlick fut assassiné par un étudiant. La seule explication du monde est la conception scientifique du monde.
        1.    On utilise les mathématiques et la logique comme langage.
        2.    La métaphysique est dépourvue de sens.
    La Science vient soit de l'expérience (sensation) soit de la pensée mise sous une forme logique ou mathématique. Parmi les membres du Cercle de Vienne, Carnap est particulièrement virulent contre toute métaphysique. Il prend comme cible le livre « Was ist Metaphysik ? » de Heidegger. Il cherche à montrer que les énoncés de Heidegger sont des pseudo-énoncés et n'ont aucun sens.
    Le tractatus loqico-philosophicus de Wittqenstein
    D'après Ludwig Wittgenstein pour qu'une proposition ait du sens il faut qu'elle puisse être dite vraie ou fausse. Il faut qu'on puisse la comparer à un état de choses. Les propositions éthiques ou métaphysiques n'ont pas de sens (ni vraies ni fausses). L'éthique et la métaphysique donnent de la valeur aux choses. On n'a donc pas une description du monde. Wittgenstein arrive à sa sentence célèbre « ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». Citons aussi « la méthode correcte en philosophie consisterait proprement en ceci : ne rien dire que ce qui se laisse dire, à savoir les propositions des sciences de la nature - quelque chose qui par conséquent n'a rien à voir avec la philosophie - puis quand quelqu'un voudrait dire quelque chose de métaphysique, lui démontrer toujours qu'il a omis de donner dans ses propositions, une signification à certains signes. Cette méthode serait insatisfaisante pour l'autre - qui n'aurait pas le sentiment que nous lui avons enseigné la philosophie - mais ce serait la seule strictement correcte » (Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 6.53) Seule la « science » peut décrire le monde.
    Schopenhauer
    Ce philosophe considère que la métaphysique n'a plus de soubassement mais que tout repose sur une base métaphysique. Les concepts métaphysiques pour Schopenhauer sont : « l'essence, le fini, l'infini, l'être, la nécessité, la substance... »
    Pour le philosophe, toute philosophie est métaphysique. Schopenhauer a une vision originale sur la métaphysique : il considère les concepts passés de la métaphysique comme vides ce qui ne l'empêchera pas de fonder une philosophie « métaphysique ». La métaphysique selon lui fait la différence entre l'homme et l'animal.
    Nietzsche
    De façon toute guerrière, Nietzche veut mettre à bas la métaphysique. Cette dernière s'oppose à la philosophie du penseur de Leipzig puisqu'elle nie le devenir et veut des vérités éternelles. La métaphysique refuse la jonction des contraires. Elle est aussi une recherche de la transcendance et non une explication généalogique. La métaphysique tue la vie. Nietzsche s'attaque au Platonisme. Nous n'avons aucune connaissance en dehors de ce que nous percevons. Ce que nous percevons change ; donc est du devenir. « Il n'y a pas plus de données éternelles qu'il n'y a de vérités absolues » (FN, humain trop humain).
    S'il n'y a pas de vérité absolue, on peut que rejeter la métaphysique.
    Le philosophe va encore plus loin dans sa critique de la métaphysique qui n'est selon lui qu'un dénigrement de notre monde donné par nos sens. « Dans ce cas, nous nous vengeons de la vie en lui opposant la fantasmagorie d'une vie « autre » et « meilleure » (FN).
    Le monde de nos sens serait faux pour la métaphysique. La haine des sens qui va de Platon au christianisme fait imaginer un autre monde.
    Heidegger
    Pour Heidegger la métaphysique est histoire de l'être. Dans son livre « Was ist Metaphysik ? » le philosophe considère que la métaphysique tout en posant la question de l'être l'oublie aussitôt et se limite à l'étant. On a la reprise de la question « Pourquoi d'une manière générale, l'étant plutôt que le néant ? ».
    Si la métaphysique est histoire de l'être, le livre de Heidegger Sein und Zeit (Être et Temps) ne fait qu'approfondir par l'analytique existentiale son Histoire. « En quelle manière, l'essence de l'homme appartient à la vérité de l'être ».
L'homme est le seul à posséder une conscience de l'être ». Le « Dasein » (être-là) est ouverture sur l'être.
Heidegger préférera le terme ontologie à métaphysique. Il rappellera la distinction entre la métaphysica generalis (portant sur l'être, qu'on appelle aussi ontologie) et la métaphysica specialis portant sur des états spécifiques : Dieu, l'âme, le monde…)
    Habermas
    On a une fois de plus une attaque contre la métaphysique dans Nachmetaphysisches Denken ; Habermas veut être le « nouveau » fossoyeur de la métaphysique. Elle est inapte à la pensée contemporaine. La métaphysique est une somme d'erreurs du passé. La compréhension de la totalité est une illusion. Habermas s'est surtout attaqué aux métaphysiques modernes (Descartes, Spinoza, Leibniz, Schelling, Hegel....)
    Il faut passer à une pensée post-métaphysique. En tout cas on pourrait se poser la question de l'existence d'un reliquat métaphysique dans ses écrits sur l'éthique.
    Il y aura toujours un « nouveau » philosophe pour annoncer la mort de la métaphysique. Ce qui prouve qu'elle n'a pas disparu. Freud n'y voyait qu'une illusion proche de la religion. Il croyait sa pensée « scientifique » alors que la psychanalyse n'est qu'une métaphysique de la sexualité, cette dernière étant une cause première de l'agir humain. La Science s'est toujours considérée comme discours anti-métaphysique alors que comme l'a vu le philosophe des sciences Ernst Mach, la physique elle-même souvent considérée comme un modèle pour la Science est infectée de concepts métaphysiques comme la masse, l'énergie, la force, le champ, l'espace, le temps...
    Lorsque Galilée déclare : « la langue de la nature est celle des mathématiques » on a là une déclaration toute métaphysique. Il y a eu sur la relativité un désaccord entre Mach et Einstein. Pour ce dernier il existe une « réalité » qu'on peut exprimer en langage mathématique. Mach pour qui l'idée de réalité n'a aucun sens ne pouvait accepter cette vision. Il était un phénoménaliste pour qui toute connaissance provient de notre perception des phénomènes. Si même la « Science » est une métaphysique, quelle philosophie ne l'est pas ? Même le grand Kant en séparant le sujet et l'objet, le noumène (chose en soi) et le phénomène n'a-t-il fait que créer une nouvelle métaphysique ce qui fera dire à Nietzsche : « la chose en soi ne mérite qu'un rire homérique »
    PATRICE GROS-SUAUDEAU