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  • Alain de Benoist : Identité et souveraineté - deux notions indissociables

    Dans certains milieux, on a tendance à opposer entre elles deux notions dont tout le monde parle aujourd’hui : l’identité et la souveraineté. Au Front national, Marion Maréchal-Le Pen aurait représenté la première, par opposition à Florian Philippot, qui défend avant tout la seconde. Une telle opposition vous paraît-elle légitime ?

    Interrogée il y a quelques mois dans le magazine Causeur, Marine Le Pen déclarait : « Mon projet est intrinsèquement patriote parce qu’il défend dans un même mouvement la souveraineté et l’identité de la France. Quand on oublie l’un des deux, on triche. » Alors, ne trichons pas. Pourquoi faudrait-il voir dans l’identité et la souveraineté des idées opposées, alors qu’elles sont complémentaires ? La souveraineté sans l’identité n’est qu’une coquille vide, l’identité sans souveraineté a toutes chances de se transformer en ectoplasme. Il ne faut donc pas les séparer. L’une et l’autre, au demeurant, sont transcendées dans la liberté. Être souverain, c’est être libre de déterminer par soi-même sa politique. Conserver son identité implique, pour un peuple, de pouvoir décider librement des conditions de sa reproduction sociale.

    Alors que l’identité est un concept nécessairement flou, la souveraineté n’est-elle pas plus facile à définir ?

    Moins qu’il n’y paraît. La souveraineté « une et indivisible » dont se réclame Jean Bodin dans Les Six Livres de la République (1576) n’a pas grand-chose à voir avec la souveraineté répartie, fondée sur la subsidiarité et le principe de compétence suffisante, dont parle Althusius en 1603 dans sa Politica methodice digesta. La démarche de Bodin est éminemment moderne. Elle implique l’État-nation et la disparition de la distinction que l’on faisait auparavant entre le pouvoir (potestas) et l’autorité ou la dignité du pouvoir (auctoritas).

    La souveraineté bodinienne a ceci de dangereux qu’en faisant du souverain un être qui ne saurait dépendre d’un autre que de lui-même (principe individualiste), elle rend aveugle aux communautés naturelles et supprime toute limite au despotisme : tout ce qui fait entrave à la décision du prince est considéré comme une atteinte à son indépendance et à sa souveraineté absolue. On perd ainsi de vue la finalité du politique, qui est le bien commun.

    La souveraineté populaire est, en outre, différente de la souveraineté nationale ou de la souveraineté étatique. La première fonde la légitimité du pouvoir politique, tandis que les secondes se rapportent au champ d’action et aux modalités d’action de ce pouvoir. Jacques Sapir, de son côté, distinguait récemment le souverainisme social, le souverainisme identitaire et le souverainisme de liberté, « qui voit dans la souveraineté de la nation la garantie de la liberté politique du peuple ». Le souverainisme identitaire, observait-il, n’est nullement incompatible avec l’ordre des choses néolibéral, alors que le souverainisme national et social en rejette tout naturellement la tutelle.

    Il ne faut pas oublier, non plus, qu’il pourrait très bien exister une souveraineté européenne, même si celle-ci n’est aujourd’hui qu’un rêve. Le drame, de ce point de vue, n’est pas que les États-nations aient vu disparaître des pans entiers de leur souveraineté (politique, économique, budgétaire, financière et militaire), mais que celle-ci soit allée se perdre dans le trou noir des institutions bruxelloises sans avoir jamais été reportée à un niveau supérieur.

    Que dire, alors, de l’identité, aujourd’hui devenue une revendication et un slogan, mais dont on peut donner les définitions les plus différentes ?

    Qu’elle soit individuelle ou collective, l’identité n’est jamais unidimensionnelle. Lorsque nous nous définissons au moyen de l’une ou l’autre de ses facettes, nous disons seulement quelle est la dimension ou le trait distinctif de notre identité que nous estimons être le plus important pour exprimer ce que nous sommes. Une telle démarche contient toujours une part d’arbitraire, même quand elle s’appuie sur des données qui peuvent être empiriquement vérifiées.

    Un individu doit-il attacher plus d’importance à son identité nationale, linguistique, culturelle, religieuse, sexuelle, professionnelle ? Il n’y a pas de réponse qui s’impose. Pour un peuple, l’identité est indissociable d’une histoire qui a façonné la sociabilité qui lui est propre. La revendication ou la protestation identitaire apparaît lorsque cette sociabilité semble menacée de dissolution ou de disparition. Il s’agit, alors, de lutter pour que se perpétuent des modes de vie et des valeurs partagés. Mais il ne faut pas se faire d’illusion : l’identité se prouve plus encore qu’elle ne s’éprouve, faute de quoi on risque de tomber dans le fétichisme ou la nécrose. Pour les individus comme pour les peuples, c’est la capacité de création qui exprime le mieux la perpétuation de la personnalité. Comme l’écrit Philippe Forget, « un peuple n’exprime pas son génie parce qu’il est doté d’une identité, mais il manifeste une identité parce que son génie l’active ».

    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier

    Intellectuel, philosophe et politologue

    Revue Eléments

    http://www.bvoltaire.fr/identite-souverainete-deux-notions-indissociables/

  • Meeting de Civitas à Saint-Martin d’Hères, choses vues et entendues

    civitas2-300x225.jpgLe samedi 20 mai, Civitas organisait une conférence de presse suivie d’une réunion publique sous la présidence d’Alain Escada pour présenter ses candidats isérois aux élections législatives de juin.  Dans la 2e circonscription (Echirolles), détenue actuellement par le PS,  Alexandre Gabriac se présente avec comme suppléante Christiane Canestrari, conseillère municipale d’Echirolles et dans la 9ecirconscription (Saint-Marcellin), détenue actuellement par les Verts, le candidat est Thibault Barge et le suppléant François Sabatier.

    La réunion avait lieu à l’espace Elsa Triolet dans la ville communiste de Saint-Martin d’Hères. Même si le gros des crasseux antifas était de sortie à Grenoble pour recevoir « le prince consort » (Louis Alliot), ils ont pris soin de dégrader les murs de la maison communale, illustrant les habituelles querelles de chapelles gauchistes, portant cette fois sur l’orthographe correcte du mot « fascisme ». Une pensée au personnel municipal chargé de nettoyer leurs « exploits », ce qui ne va pas contribuer à l’amélioration des relations entre stal’ et trotskos…

    Alain Escada a rappelé lors de la conférence de presse, les points et enjeux essentiels de cette élection législative. Le cartel électoral regroupant Civitas, les Comités Jeanne, le Parti de la France et la Ligue du Sud, va présenter 200 candidats aux élections, 250 candidats en ajourant ceux du SIEL qui font parti du cartel technique, Civitas en présentant 24. Civitas va faire entendre une voix intégralement et authentiquement patriote et catholique, précisant que ne sommes pas républicains. Pour Alain Escada :

    « Le programme que nous proposons sera salutaire aux Français. Macron n’est pas en rupture avec le système, il a organisé un lifting. Il n’y a pas de rupture antisystème au FN, tout s’est réajusté vers le centre. Nos thèses authentiquement en rupture contre le système : interdire la franc-maçonnerie (qui est le mal car elle lutte contre les racines chrétiennes, pour l’internationalisme, et l’entretien du secret),  supprimer les avantages fiscaux aux  partis politiques mais aussi à la presse et aux syndicats ».

    civitas3-300x225.jpgSur le plan économique, Civitas propose de mettre fin au racket des banksters, de rétablir les corporations pour rompre avec la lutte des classes et d’abolir la loi Pompidou 1973. Sur le plan éducatif, Civitas propose de mettre fin au lobbying dans les écoles, qui constitue une forme de totalitarisme. L’instauration d’un chèque scolaire permettra une véritable liberté d’enseigner, notamment en favorisant les écoles hors-contrat. Sur le plan sociétal, comme tout parti catholique devrait faire, Civitas demande la suppression de l’avortement, celle du mariage inverti avec effet rétroactif, la dissolution du Syndicat de la magistrature et en politique étrangère, la fin de l’axe Washington-Tel Aviv-Qatar-Arabie Saoudite. Le FN est devenu un parti comme les autres. Supprimer la loi de 1905 ne signifie pas l’imposition du catholicisme, mais seulement que la vie de la France serait guidée par les valeurs morales et spirituelles. Si demain, la France redevenait catholique, on aurait le souci que chacune des lois serait éthique et respectueuse de morale et droit commun. Un non-catholique peut y souscrire. Quand Dieu n’est plus au centre d’une société, c’est Mammon, l’argent, qui le remplace.

    Après cette conférence de presse, la réunion commença, bien protégée par une maréchaussée aussi vigilante que disponible. Devant une trentaine de personnes et le soutien de l’ancien conseiller régional de l’Ain maître Olivier Wyssa, Alexandre Gabriac et Thibault Barge rappelèrent que l’engagement, c’est le seul moyen de s’exprimer qui nous reste, notre seule possibilité d’exister. Pour le candidat de la 2e : « nous ne nous prostituons pas pour des votes ». Le  projet est de monter des sections dans chaque département de ce qui fut la région Rhône-Alpes. Concrètement, cela se caractérise par une campagne de terrain : restaurer les calvaires et les clochers de nos villages,  faire des actions sur les « communes d’Europe » mais aussi des opérations ponctuelles selon l’actualité (comme à Lyon contre le spectacle blasphématoire ou l’hommage à Jeanne d’Arc) et bien entendu l la participation aux manifestations traditionnelles de Civitas (Jeanne d’Arc et Fête du Pays réel, celle de mars 2017 ayant été un franc succès). La campagne sera principalement axée sur les colons (abusivement appelés « migrants »), avec le scandale de leur implantation dans des hôtels Formule 1 et sur le Campus de Grenoble.

    Thibault Barge prit la parole ensuite pour se présenter. Charpentier, père de 7 enfants, il était jadis membre du FN, proche de l’universitaire Bruno Gollnisch. Expliquant à juste titre que la France n’était pas éloignée du point de non-retour, il définit le Président Macron comme l’exact contraire de nos principes, notamment par sa collaboration au « Grand remplacement » via son discours sur la « route de la liberté » de l’Afrique. Avant de conclure que « la vérité est notre drapeau »  et que « pour les catholiques l’engagement en politique était la première des charités ».

    Alain Escada conclut la réunion en expliquant que « les élections sont une supercherie qui avantages les démagogues et les puissances d’argent, qui proposent du pain et des jeux. Nous voulons faire de la politique au sens noble du terme. Mammon remplace Dieu et si Dieu n’est plus au-dessus de la société, alors il n’y a plus de morale. Les Républicains, le PS éclatent, le FN y est presque. Le FN a totalement muté… » Pour Civitas, Macron, c’est plus d’immigration, plus de préférence étrangère, plus de lois liberticides et plus de concentration des médias alors que l’ONU estime que dans les 30 ans, grâce au grand remplacement, 75% de la population ne sera plus européenne.

    Le combat, c’est celui de la vérité :

    « il y a la place pour un discours de vérité, fusse-t-il inaudible ne change rien : la vérité doit être révélée, et celle-ci doit être révélée même si elle est inaudible. La franchise est le courage de la vérité, car seule la vérité rend libre. On laisse le reste aux autres qui veulent se servir et non servir. Il faut faire connaitre par tracts, réseaux sociaux, affriches et professions de foi. Si on dit la vérité, ce sera la première étape vers des lendemains porteurs d’espérances. ».

    A la sortie de la salle, plusieurs personnes  s’étaient rassemblées, encadré par la police. Aucune insulte de leur part, ni geste hostile. Plutôt que des antifas, probablement des habitants du quartier se demandant qui étaient ces gens dont la présence nécessitait un tel déploiement… bleu marine.  Le 11 juin, votez pour le seul parti catholique français, votez CIVITAS.

    Hristo XIEP

    http://www.medias-presse.info/meeting-de-civitas-a-saint-martin-dheres-choses-vues-et-entendues/74524/

  • 28 mai : journée nationale pour la vie

    6a00d83451619c69e201bb099ea7dd970d-250wi.pngDepuis l’an 2000, la journée de la fête des mères est aussi devenue la Journée nationale pour la vie. Cette journée est le pendant de la Marche pour la vie, plus médiatique et destinée à remobiliser les forces vives. Patricia de Poncins est responsable de cette Journée nationale pour la vie pour l’association Choisir la Vie. Elle répond à Anne Isabeth dans Présent :

    "Que se passe-t-il de particulier pour cette Journée nationale pour la vie ?

    Des actions sont proposées par différentes paroisses, comme des veillées de prières. Des quêtes sont aussi organisées par les AFC pour aider les mères en difficulté. Nous proposons également sur notre site des affiches que l’on peut déposer chez les commerçants. La Journée pour la vie se veut plus grand public, dans le sens où elle est moins militante que la Marche pour la vie. Le but premier est de célébrer la beauté de la vie, et les affiches que l’on dépose chez les commerçants – et qui sont très bien acceptées – ont pour but de sensibiliser le grand public à cette beauté.

    Depuis que la journée existe, avez-vous une évolution dans la mobilisation ?

    Le sujet demeure tabou. Malgré tout, beaucoup de petites initiatives se mettent en place. Il serait bon, il est vrai, que nous soyons plus relayés. Nous avons cependant remarqué que la mobilisation est plus importante de la part de l’Eglise de France, et notamment de la part des évêques, qui étaient auparavant beaucoup plus silencieux à ce sujet. Avec les lois qui sont passées comme le délit d’entrave numérique, les attaques se font plus fortes. Cela oblige les personnes à se mobiliser davantage. [...]

    Michel Janva

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • Les plus célèbres dissidents de l’Action française sont des hommes de plume

    dissidents_af.jpg

    Olivier Dard est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Sorbonne. Connu pour ses travaux consacrés à l’entre-deux-guerres et aux mouvements de droite, il a dernièrement préfacé la réédition chez Pierre-Guillaume de Roux du livre de Paul Sérant Les dissidents de l’Action française. Nous revenons avec lui sur l’histoire de ce mouvement et ses tumultes, ainsi que son rôle dans l’agitation intellectuelle des années 1930.

    PHILITT : Vous constatez dans votre préface du livre de Paul Sérant, Les dissidents de l’Action française, que ceux-ci ont eu plus de succès et de notoriété que les « fidèles » du mouvement. Est-ce dû à la personnalité écrasante de Charles Maurras ?

    Olivier Dard : Votre question me permet une mise au point. Les « dissidents » dont il est question dans le livre de Sérant, dissidents auxquels il faudrait rajouter Lucien Rebatet (dont il n’a pas voulu traiter du cas estimant l’avoir fait dans son essai intitulé Le romantisme fasciste), sont principalement des hommes de plume même s’ils ont, pour une bonne partie d’entre eux, milité et combattu dans les organisations de l’Action française, qu’il s’agisse de la ligue, des étudiants ou des Camelots du roi. N’oublions cependant pas qu’il a existé d’autres dissidents et d’autres dissidences, notamment collectives. On en compte deux dans l’entre-deux-guerres, celle de Georges Valois au milieu des années 1920 (il ne part pas seul pour fonder le Faisceau) ou encore « la grande dissidence » de 1930 qui affecte très gravement la Fédération de Paris.

    Ces dissidents de 1930 (on compte parmi eux le célèbre docteur Henri Martin) sont moins connus et moins étudiés que les hommes du Faisceau ou les intellectuels de l’Action française mais leur cas est cependant intéressant. En effet, s’ils ont laissé beaucoup moins de traces écrites, en particulier de récits de souvenirs, leur expérience peut être rapprochée de celle de certains des dissidents étudiés par Paul Sérant. Les uns et les autres pointent en effet ce qu’ils considèrent comme un dysfonctionnement grave de l’Action française, à savoir l’accent mis sur la propagande par le journal quotidien au détriment d’un travail militant de terrain qui leur paraît beaucoup trop négligé. Pour le dire plus abruptement, ils posent la question de la relation à l’Action française, entre la virulence des ses discours et l’action. Louis Dimier s’en est expliqué dans Vingt ans d’Action française et on connaît la formule de Rebatet sur « l’inaction française ». Sur cette question, et pour ces dissidents, c’est bien la responsabilité de Maurras qui est engagée, même si après le 6 février 1934, des militants vont mettre aussi en cause les responsables de la ligue. Maurras n’en est pas moins, pour tous, le véritable chef du mouvement.

    Là réside sans doute son problème majeur : si Maurras est un homme de plume réputé et redouté par ses contemporains, il n’a pas les qualités d’un dirigeant politique. Je me contenterai de citer la formule d’Albert Thibaudet décrivant l’Action française comme un « gros journal admirablement fait » mais dans l’incapacité de faire élire un conseiller général. Si on ajoute, que malgré qu’il a cosigné avant le premier conflit mondial un petit ouvrage Si le coup de force est possible, Maurras ne le prépare nullement, il est loisible d’imaginer les frustrations accumulées par des militants qui entendent en finir avec la « gueuse » autrement que par des mots. Le « maître » est donc logiquement mis en cause.

    La pensée des dissidents et détracteurs de l’Action française semble toujours bâtie par rapport, sinon contre Maurras. Sa figure et son oeuvre concentrent-elles à elles seules la quintessence du mouvement ?

    À l’origine, l’Action française n’a pas été créée par Maurras. Mais c’est bien lui qui en a fait ce qu’elle est devenue, à savoir une école de formation politique fondée sur la doctrine du « nationalisme intégral ». L’Action française n’est cependant pas seulement un foyer doctrinal. C’est au milieu des années 1900 un dispositif articulé autour de trois volets. En premier lieu, un Institut d’Action française aspirant à se poser en « contre-Sorbonne » où Maurras et les ténors d’alors du mouvement enseignent. Mais le « nationalisme intégral » est surtout relayé par deux autres entités : une ligue créée en 1905 et qui se développe au plan national avant le premier conflit mondial et un journal quotidien lancé en 1908 et qui a pris la suite de la « petite revue grise ». Ce journal couronne une ambition déjà ancienne de Maurras (dont la surdité interdit d’être un orateur) et qui entend par conséquent gagner des soutiens à sa cause par l’imprimé en profitant de la vogue remarquable que connaît alors la presse. Il en est une figure incontournable à la fois comme éditorialiste, polémiste ; sans oublier qu’il a introduit et développé un exercice aujourd’hui devenu classique, la « revue de la presse ».

    Maurras est donc l’homme orchestre du dispositif, ce qui permet d’expliquer l’importance des termes maurrassisme et maurrassien pour désigner la doctrine et les militants qui la propagent. Maurras ne saurait donc être détaché de l’Action française qui est sa vie, dans tous les sens du terme puisqu’il passe ses soirées et ses nuits au journal. En même temps, si c’est bien vers Maurras que les militants se tournent et si ce dernier n’a jamais dû affronter la moindre remise en cause sérieuse de son hégémonie, le maurrassisme n’est pas uniquement l’affaire de Maurras soi-même. On notera par exemple, sur la question, fondamentale, de l’Allemagne, la contribution de Jacques Bainville ou, au plan économique et social, domaine où Maurras est nettement moins en pointe, la place de choix de Georges Valois durant ses vingt ans de présence à l’AF. Dans le regard que portent les étrangers maurrassiens sur l’AF, Maurras n’est pas seul à être considéré mais il arrive nettement en première position. Il n’en demeure pas moins, et c’est là sans doute l’essentiel, que le lien des figures les plus en vue de l’Action française n’a jamais été construit sur leur rapport à l’organisation mais d’abord fondé sur leur relation au « maître de Martigues » ce qui donne à l’histoire des « dissidents » une tonalité personnelle et passionnelle. C’est bien un lien d’homme à homme qui est en cause et il n’est qu’à lire ce que les uns et les autres ont écrit de leur rupture (de Valois à Rebatet en passant par Bernanos) pour le comprendre : chacun des récits s’accompagne d’un portait de Maurras.

    Paul Sérant reconnaît qu’au sein de l’Action Française, si la doctrine politique était le monopole de Maurras, la littérature y était tout aussi importante. Les « dissidents » l’ont-ils été par un faible appétit politique ou par des ambitions littéraires et intellectuelles incompatibles avec le mouvement ?

    La littérature joue un rôle essentiel à l’Action française, à commencer par Maurras lui-même qui a souligné dans Quand les Français ne s’aimaient pas qu’il avait été conduit à la politique par les lettres. Ajoutons que Maurras avait en tête un projet littéraire bien précis, celui de la création d’une « École romane » qu’il a tenue à bout de bras mais qui n’a pas donné les résultats attendus. On ajoutera enfin tout l’intérêt que Maurras porte au classicisme et son rejet du romantisme. Ce dernier est très partagé à l’Action française mais au sein de cette dernière les idées littéraires et plus largement esthétiques de Maurras ne sont pas exclusives d’autres sensibilités. Si la politique est à l’origine des dissidences, ce n’est pas le cas de la littérature. Pour illustrer cette cohabitation, curieuse j’en conviens mais indiscutable, deux exemples suffiront. Le premier est celui de Léon Daudet, fidèle parmi les fidèles au plan politique mais qui affiche des goûts littéraires bien éloignés de ceux de son compatriote provençal puisqu’il se fait le défenseur de Marcel Proust et de Louis-Ferdinand Céline, n’hésitant pas à rembarrer brutalement sur ces sujets Henri Massis, rédacteur en chef de La Revue universelle et beaucoup plus proche du classicisme du « Martégal ». Les chroniques littéraires de Brasillach sont également très éclairantes sur ce point, en particulier pour ce qui concerne le « théâtre littéraire » dont il se fait, en 1935, le défenseur dans La Revue universelle.

    Dans votre ouvrage Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, vous opposez la relève « réaliste » à celle plus spiritualiste des « non-conformistes ». Peut-on classer l’Action française d’alors dans l’une de ces catégories ?

    L’Action française ne peut pas être rangée dans ces catégories pour la bonne et simple raison que ses origines sont bien antérieures : Maurras est né en 1868 et a donc 62 ans en 1930. Il n’est plus un homme de la relève même s’il suit ce processus avec attention. Il a toujours été intéressé par la jeunesse en qui il voit le vivier d’une future élite à même de refaire la France et son dernier livre s’intitule Pour un Jeune Français. Si l’Action française ès qualité ne compte pas parmi les relèves des années trente, nombreux sont les jeunes maurrassiens qui animent ce qu’il est convenu d’appeler la « Jeune Droite » et qui est un des piliers du pôle spiritualiste avec l’Ordre nouveau (Robert Aron, Arnaud Dandieu) ou Esprit (Emmanuel Mounier). Esprit, avec lequel la Jeune Droite ferraille.

    Sans vouloir égrener une liste de noms, certains doivent être rappelés : Jean de Fabrègues (éphémère secrétaire de Maurras et dissident du tournant des années trente), les normaliens Robert Brasillach ou Thierry Maulnier, mais aussi la future relève des Hussards (Jacques Laurent) ou de La Nation française d’après guerre (l’historien Philippe Ariès). N’oublions pas non plus un homme qui n’a jamais été un maurrassien affiché mais qui a souligné l’empreinte qu’a eue Maurras sur toute cette mouvance, je veux parler de Jean-Pierre Maxence dont il faut relire l’Histoire de dix ans (1927-1937).

    Les dissidents de l’Action française l’ont-ils desservie, notamment quant à la réalisation de ses objectifs politiques, ou bien plutôt confortée ?

    Je ne pense pas que le problème se pose uniquement en ces termes. Desservie, sans doute, oui, sur le court terme puisque les dissidences collectives ont provoqué un départ de militants qu’il a fallu combler. Peut-on conjecturer que ceux qui sont restés en sont d’autant affermis. En réalité, les choses ne se posent pas ainsi. Le problème majeur de l’Action française n’a pas été forcément d’attirer des militants que de les garder, notamment à l’âge adulte. Maurras et l’Action française, de l’avant 1914 aux années trente ont largement attiré des jeunes gens, séduits par la rigueur de sa doctrine et sa radicalité affichée.

    Le renouvellement existe mais les mêmes causes reproduisent les mêmes effets et on ignore ce qui se serait passé si la ligue n’avait pas été dissoute en 1936. Mais cette dissolution est instructive : les dirigeants, Maurras en tête, craignent d’abord pour l’avenir du journal. C’est leur principale préoccupation, beaucoup plus que l’organisation militante qui s’éteint alors. Une dernière remarque enfin. On constate, à observer l’histoire des dissidences dans la durée, que derrière les caractéristiques particulières liées aux individus elles présentent des similitudes. J’en retiendrai trois : départs conflictuels et polémiques (avec dans certains cas des procès judiciaires), mise en cause par les dissidents de la stratégie suivie et donc du « maître » ; mais aussi, et peut-être surtout, absence de remise en cause de la politique suivie par la direction. Des dissidences et de leur succession, aucune leçon n’est tirée, ce qui explique la récurrence des crises.

    Le « rendez-vous manqué » que vous évoquez l’a-t-il été, aussi, à cause de l’importance de ce mouvement, ou à l’inverse à cause de ses nombreux et influents dissidents ?

    Le rendez-vous manqué des relèves des années trente doit son titre à l’effort de pesée que j’ai entrepris entre le bouillonnement né à la fin des années 1920 et l’aptitude de ces relèves à transformer la société de leur temps. Je concluais ce livre en insistant sur le crépuscule des « non-conformistes » et « l’aurore des technocrates » qui ont été, et dans la durée, les relèves sans doute les plus efficaces pour faire valoir leur importance, leur nouveauté et leur légitimité et ce, de l’avant-guerre à l’Occupation et à la Libération-reconstruction. Les raisons de ce succès sont nombreuses et j’en citerai trois. Ces relèves technocratiques ont su rendre légitime un statut d’expert susceptible de remettre en cause certaines élites en place (les ingénieurs économistes d’X-Crise planistes contre les professeurs d’économie libéraux) pour faire face à la crise économique. Ces relèves se caractérisent aussi par une appétence pour l’exercice des responsabilités qui leur a permis de répondre positivement aux appels des responsables gouvernementaux, et ce nonobstant leur couleur politique. Enfin, si les relèves spiritualistes se sont d’abord construites sur des refus (à commencer par celui de la modernité technocratique émergente) les relèves technocratiques, marquées par « l’opérationnalisme », sont arrivées auprès des décideurs avec un projet dominé par le souci de rationalisation et de modernisation et un catalogue de mesures à mettre en œuvre.

    Source

    http://www.voxnr.com/9112/les-plus-celebres-dissidents-de-laction-francaise-sont-des-hommes-de-plume

  • Le Chant des alouettes : le grand poème identitaire européen

    Chant-des-alouettes-Couv.jpgÀ l’occasion du colloque de l’Institut Iliade « Européens : transmettre ou disparaître », Thibaud Cassel a réuni une anthologie poétique, Le Chant des alouettes,publiée par les éditions Pierre-Guillaume de Roux. Un condensé de la civilisation européenne. Voici la recension qu’en a faite François Bousquet dans le n° 166 d’Eléments, daté de juin-juillet 2017.

    Comment définir une civilisation d’un trait, et d’un trait qui n’ait ni l’approximation d’une formule alchimique ni l’aridité d’une équation mathématique ? Rien de tel que la poésie. Et quel continent a tout jeté dans ses vers, dans sa littérature – son âme, son élan vital, sa physionomie ? L’Europe. Depuis Homère. Les livres en sont le dépôt vivant.

    Le grand John Cowper Powys disait d’eux qu’ils renferment « la parole de l’homme opposée au silence de la nature et au mutisme cosmique ; ils représentent la vie de l’homme face à la mort planétaire, la révélation faite à l’homme par le dieu qui l’habite, et la réponse de l’homme au dieu extérieur. Quiconque touche un livre, ne touche pas seulement “un homme”, mais touche l’Homme avec une majuscule. L’homme est l’animal qui pleure, qui rit, et qui écrit. Si le premier Prométhée a volé le feu du ciel dans une tige de fenouil, le dernier l’y rapportera dans un livre ». C’est plus vrai encore de l’homme européen. Thibaut Cassel s’en est souvenu. Il a enfermé l’Europe dans un écrin de papier : une anthologie poétique, une soixantaine de textes reliés les uns aux autres par un même patrimoine, historique ou génétique, qu’importe, pour l’essentiel français. Pari audacieux, pari tenu.

    Ils tracent le limes culturel de l’Europe. Un « vaste poème identitaire », résume l’auteur dans une introduction limpide dont il faudrait tout citer :

    « L’Europe, c’est l’expression de nos peuples à la clarté des astres parents et successifs de la Grèce, de Rome, de la chrétienté puis des nations. »

    Elle doit ce qu’elle est au génie grec, à la romanitas et à la Respublica christiana qui, à travers les Universités médiévales, diffusa sur le continent une langue et une philosophie communes, le latin et l’aristotélisme. Les cités, l’empire, les nations, longue chaîne ininterrompue. […]

    Le Chant des alouettes, par Thibaud Cassel, préface de Christopher Gérard, édition Institut Iliade/Pierre-Guillaume de Roux, 2017, 176 p.

  • Selon que vous serez enseignante franc-maçonne ou enseignante catholique…

    Le mercredi 31 mai, dans les locaux du Grand Orient de France rue Cadet, la franc-maçonnerie organise la 4ème journée de la jeunesse et de l’école sur le thème « Pour une culture humaniste, une école républicaine ». Sont notamment prévues des interventions de Florence SAUTEREAU, Professeure des écoles, École élémentaire, rue de Marseille, Paris 10e ; Sébastien CLERC, Professeur, Lycée professionnel Hélène Boucher Tremblay-en-France (93) ; Christiane FERRER, Principale, Collège Édouard Vaillant (REP) Gennevilliers (92) ; Sophie MAZET, Professeure au Lycée Auguste Blanqui Saint-Ouen (93), et Alain SEKSIG, Inspecteur de l’Éducation Nationale Académie de Paris.

    Après cette brochette de l’éducation nationale, les conclusions seront prononcées par Philippe FOUSSIER, Grand Maître Adjoint du Grand Orient de France.

    Que ces enseignants et cet inspecteur de l’éducation nationale interviennent au titre de leur activité professionnelle lors d’un colloque organisé par la secte maçonnique, voilà qui n’émeut aucun média du système.

    Par contre, voilà déjà quinze jours que le canard boîteux Nord Littoral et l’extrême gauche locale se déchaînent quasi quotidiennement contre une enseignante nommée Marie-Jeanne VINCENT parce qu’elle est, à titre privé, candidate Civitas à Calais pour les élections législatives. Des ayatollahs de la laïcité ont même saisi – sans succès – le rectorat pour tenter de faire virer cette enseignante sous prétexte qu’elle serait candidate d’un parti « catho-intégriste ». Raté car elle est considérée comme une « enseignante exemplaire » s’abstenant de faire part de ses opinions politiques et religieuses devant ses élèves.

    http://www.medias-presse.info/selon-que-vous-serez-enseignante-franc-maconne-ou-enseignante-catholique/74355/

  • Quand les catholiques n'étaient pas libéraux...

    Léo Imbert vient de publier une fresque monumentale sur le catholicisme social. Une occasion de nous souvenir que le catholicisme, profondément social, n'a jamais été libéral que sur ses marges...

    Qu'est-ce qui vous a amené, si jeune, à entreprendre un travail qui s'étend sur quelque 700 pages, alors que votre sujet semble déserte par la critique ?

    Le politique connaît de nos jours une période de trouble systémique, où l'ancienne dichotomie Gauche/Droite semble arrivée à ses derniers instants. Mais au XIXe siècle, l’affrontement politique ne se résumait nullement au choc binaire entre une gauche radicale et socialiste et une droite libérale et traditionaliste. La réalité était plus dialectique nous étions en présence de trois grandes entités politiques le libéralisme, le catholicisme et le socialisme, chacune garante d'une éthique propre. Aujourd'hui, à l'opposé de cette complexité, le spectre politique est entièrement entré dans le cadre normatif de la pensée libérale, cadre parfois teinté de catholicisme ou de socialisme par certains.

    L'histoire de la défaite intellectuelle du socialisme face à la gauche libérale a déjà été écrite. J'ai tenté de faire de même pour le catholicisme social qui tenta d'opposer à l'individualisme libéral un rapport au monde authentiquement chrétien.

    Vous montrez que la fracture de la société française, à laquelle le catholicisme social tente de remédier, est antérieure à la Révolution française...

    Si la Révolution française de 1789 marque une rupture évidente - et spectaculaire - avec le monde qui prévalait jusqu'alors, elle est la conclusion logique d'un mouvement de fond qui a vraiment débuté sous le règne de Louis XV Au nom d'une "rationalisation" sociale, alors qu'autour de lui on invoque la lutte nécessaire contre l'obscurantisme, le roi abandonne son rôle social de protection du peuple. Signe de ce qu'il ne veut plus être en réalité le père du peuple, les législations protégeant l'alimentation de la population en pain sont abrogées, on démantèle les corporations. Même si ces mesures, aux conséquences désastreuses, seront rapidement abandonnées-, le mal est fait. Comme l'écrivait Charles Péguy, « quand un régime d'organique est devenu logique, et de vivant historique, c'est un régime qui est par terre ». De là date la mort de l'Ancien monde et de son économie morale. Par quoi sera remplacée cette économie morale, c'est toute la question que se posent les catholiques sociaux.

    Dans cette fresque historique, vous évoquez des personnages contrastés, Chateaubriand par exemple...

    Chateaubriand ne peut pas être classé stricto sensu au sein de l'école du catholicisme social, toutefois il prépare le terrain, réveille les consciences. À l'Église meurtrie par le sanglant épisode révolutionnaire, il rappelle son grand rôle dans le siècle dix-neuvième qui s'ouvre « le christianisme est la pensée de l’avenir et de la liberté humaine ».

    Face au monde moderne issu de la Révolution qui a semblé un moment lui avoir dénié jusqu'au droit d'exister, le catholicisme devra défendre son ethos autrement. Pas question de se contenter d'être seulement « en réaction contre ». Si l'on peut a posteriori parler d'un catholicisme social, c'est parce qu'il constitue d'abord un mouvement positif et une force d'avenir, proclame l'écrivain breton. À travers cette vision de l'avenir du christianisme, Chateaubriand sera donc une source d'inspiration pour une part non négligeable des catholiques sociaux.

    Puisque l’on en est aux grands écrivains, selon vous Victor Hugo lui-même joue un rôle dans l'expansion du catholicisme social ?

    Hugo, aussi étonnant que cela puisse paraître, se trouve en effet à un carrefour crucial du mouvement, lors des débuts de la IIe République, il est député conservateur, avec une forte connotation sociale. Soutenant un projet de loi d'Armand de Melun, député qui est aussi l'un des grands catholiques sociaux du début du XIXe siècle, il est indigné par la réaction des conservateurs. Par peur du socialisme, ceux-ci souhaitaient vider la loi d'Armand de Melun de son contenu. C'est à ce moment que Victor Hugo quitte les bancs de la droite. Admirateur de Lamennais, il est le marqueur d'une tendance propre au catholicisme social, cette lutte contre la sujétion de l'Église aux partis de l'Ordre et du profit.

    Que dites-vous aujourd'hui, alors que les polémiques se calment, du trio formé par Lamennais, Ozanam et Montalembert ? Sont-ils des catholiques sociaux ou des catholiques libéraux ?

    Ces trois figures sont bien différentes. Lamennais, quoi qu'on en pense, ne peut être classé au sein de l'école catholique sociale, ne s'étant que peu intéressé à la question sociale. Ce qui le passionne, c'est la liberté de l'Église. Il finira d'ailleurs par camper à ce sujet sur des positions que l’on qualifiera pour le moins d'hétérodoxes.

    Assez semblable finalement est le cas de Montalembert catholique sincère, grand défenseur de l'Église face à l'État, ce partisan de « l'Église libre dans l'État libre » s'est vraiment identifié à ce catholicisme libéral qui imprima si profondément sa marque sur le catholicisme européen. Il ne fait pas partie de ceux que l'on appelle les catholiques sociaux.

    Ozanam, le bienheureux Ozanam, a, en revanche, pleinement sa place au sein du catholicisme social, si, a priori, il est proche de Lamennais et de Montalembert sur certaines questions, il sut concilier le monde de la tradition et le monde postrévolutionnaire, défendant déjà l'idée d'une démocratie chrétienne, qui soit compatible avec le dogme chrétien. Pour lui, si le pouvoir (potestas) s'obtient au sein d'une assemblée élue, l'autorité (auctoritas), elle, est proprement divine. En outre, répondant à l'égalité par la fraternité, il s'oppose à la lutte des classes pour promouvoir l'indispensable charité associée à une législation sociale. Le catholicisme social est bien présent chez Ozanam.

    Pouvez-vous évoquer la belle figure de Mgr von Ketteler ?

    Si nous devions retenir une seule personnalité de cette grande épopée du catholicisme social, peut-être évoquerions-nous de préférence la mémoire de Mgr von Ketteler. Alors qu'en France le mouvement social chrétien connaît une période de déclin durant le second Empire après le ralliement de l'Église à l'Ordre, incarné par Napoléon III, c'est en Allemagne que le catholicisme social va voir pour la première fois son plein développement doctrinal sous l'autorité de l'évêque de Mayence.

    Favorable à la « réforme du cœur », il soutient en même temps que la charité, si nécessaire soit-elle, n'est pas suffisante. Pour lui, l'intervention de l'État en faveur des démunis doit être reconnue par les catholiques comme une obligation morale. Membre important du Zentrum, le Parti catholique allemand, il se fait connaître par des sermons teintés de théorisation économiques et sociologiques. On retrouvera ce mixte si moderne dans ses écrits, en particulier dans La question ouvrière et le christianisme, un texte qui sera largement lu et commenté. Défenseur du système corporatif, de la limitation du temps de travail, de la lutte contre le travail des enfants et du juste salaire, il réhabilite la philosophie de saint Thomas d'Aquin dans laquelle il voit un instrument de lutte tant contre le libéralisme que contre le socialisme.

    Au final Ketteler irradia de son autorité l'ensemble de la tendance catholique sociale. C'est en particulier par son intermédiaire, on l'oublie trop souvent, qu'Albert de Mun et René de la Tour du Pin s'ouvrirent à la question sociale pour ensuite venir refonder le courant en France. Ce sera le début de la grande période du catholicisme social, s'étalant de 1871 à 1891. Avouons-le le catholicisme doit beaucoup à ce grand homme, pourtant bien oublié de nos jours.

    Quelle est l'œuvre du pape Léon XIII ?

    Comme souvent avec Léon XII la réponse est complexe, subtile, paradoxale jusqu'à paraître parfois contradictoire. Grand lecteur de Ketteler, ce pape va largement engager l'autorité de sa fonction auprès des catholiques sociaux, à travers entre autres, la bénédiction des oeuvres, la participation à des pèlerinages ouvriers mais aussi par l'impulsion qu'il a donnée à des recherches théoriques. En 1891 il va "couronner" le mouvement en publiant la grande encyclique Rerum novarum dans laquelle il donne la définition du Catholicisme social « Que les gouvernants utilisent l'autorité protectrice des lois et des institutions, que les riches et les patrons se rappellent leurs devoirs, que les ouvriers dont le sort est en jeu poursuivent leurs intérêts par des voies légitimes. Puisque la religion seule (...) est capable de détruire le mal dans sa racine, que tous se rappellent que la première condition à réaliser, c'est la restauration des mœurs chrétiennes. »

    Si l'encyclique souligne l'apogée du mouvement, elle marque le début de son déclin. Jusqu'alors entraînée par une multitude d'initiatives dynamiques, le catholicisme social est désormais intégré au roc de la doctrine social de l'Église, dès lors il est directement impacté par les décisions pontificales ainsi, le Ralliement à la République (1892) demandé aux catholiques monarchistes français va être une première étape sur un chemin qui mène à l'oubli de la radicalité constituant la démarche originelle du catholicisme social. Se divisant, pour céder à des compromissions doctrinales, les catholiques sociaux français vont voir progressivement la contamination de leur logiciel intellectuel par le libéralisme, désormais triomphant.

    Si le catholicisme social ne meurt pas à cet instant et connaît encore de grands moments - pensons ici par exemple à l'Action Libérale Populaire d'Albert de Mun, au pontificat de Saint Pie X, et plus tard à la J.O.C. - ce qui faisait son originalité pour formuler un non radical et motivé face à la modernité libérale semble s'évanouir. Le monde laïc catholique va à son tour s'autonomiser et proposer, non plus le projet d'une société authentiquement chrétienne, mais une adaptation de la modernité à certains principes catholiques, ou d'inspiration catholique. L'authenticité de l'élan est perdue.

    Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn monde&vie  27 avril 2017

    Léo Imbert, Le catholicisme social de la Restauration à la Première guerre mondiale, éd. Perspectives libres, 678 p., 28 €.