Le premier facteur, du moins dans le cas de la France, est celui de l’affaiblissement de l’Etat. En France, on le sait, l’Etat a jusqu’ici toujours joué un rôle déterminant, et ce depuis le Moyen-âge : la France s’est construite autour de son Etat et grâce à lui. En apparence la place de l’Etat est toujours essentielle : les impôts et taxes n’ont jamais été aussi élevés, les fonctionnaires jamais aussi nombreux, les organismes et agences étatiques jamais aussi pléthoriques, les présidents et les ministres jamais aussi arrogants. Mais tout cela n’est qu’apparence : l’Etat en France aujourd’hui est obèse, boursouflé et adipeux mais il est devenu un Etat faible (voir cette chronique, celle-ci et celle-ci).
Cet affaiblissement résulte d’abord de la place majeure prise aujourd’hui par les contre-pouvoirs. Au 19e siècle Tocqueville avait souligné que la démocratie pouvait conduire à ce que se mette en place une tyrannie de la majorité : c’est pourquoi il considérait que devaient être installés, face au pouvoir de l’Etat, des contre-pouvoirs suffisamment nombreux et puissants, tels que la décentralisation, les juges, la presse ou encore les associations. Il se trouve que la situation s’est aujourd’hui inversée : les différents contre-pouvoirs, à commencer par les médias, ont pris une place de plus en plus importante, réduisant d’autant les marges de manœuvre étatique. L’Etat a été affaibli également par la mise en place de pouvoirs supranationaux, comme celui de l’UE. Dans les domaines de compétence de l’UE, la liberté d’action de l’Etat est désormais soit étroitement encadrée soit même supprimée, comme c’est le cas dans les domaines monétaire, des frontières économiques et de la concurrence. L’affaiblissement de l’Etat est enfin lié à l’installation en France de la logique anglo-saxonne du contrat et du primat du judiciaire : cette évolution vient là encore affaiblir le pouvoir d’un Etat qui doit le plus souvent adopter une posture contractuelle et renoncer à tout comportement régalien. Encore faut-il préciser, nous y reviendrons plus loin, que ces différents mécanismes conduisant à l’abandon ou à la réduction des prérogatives de l’Etat ont été voulus par les élites mêmes qui se trouvent à sa tête.