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  • Ils ont livré la France au Qatar

    Sous Sarkozy comme avec Hollande, le richissime émirat dispose des mêmes facilités pour racheter des pans entiers de notre économie. Que signifie l’appétit d’ogre de ce petit pays ? Pourquoi Paris lui ouvre-t-il ses portes ?

    La dépêche, stupéfiante, est tombée le 6 novembre dernier : l’ambassadeur du Qatar, Mohamed Jaham al-Kuwari, annonçait à l’Agence France-Presse que son pays avait l’intention d’investir 10 milliards d’euros dans des sociétés du CAC 40. Répondant au journaliste qui évoquait quelques rares déclarations de personnalités qui, comme Bernard-Henri Lévy, Jean-Luc Mélenchon ou Julien Dray, ont manifesté leur inquiétude sur l’influence du Qatar en France, l’ambassadeur a conclu l’interview par une formule aussi ironique qu’arrogante : «C’est quoi, le problème ?»

    En effet, il n’y a, apparemment, aucun problème. Apprendre que le fonds souverain qatari va presque doubler le montant de ses participations dans le CAC 40 ne pose aucun problème au gouvernement ni à l’opposition. Organiser la Coupe du monde de football dans un pays où ce sport n’intéresse personne et va nécessiter la construction de stades munis de sols réfrigérants pour pouvoir supporter des températures à 45° C (bonjour Kyoto !), ça n’interpelle personne dans le monde du sport – pas même Michel Platini -, ni dans celui de l’écologie, surtout pas Yann Arthus-Bertrand. Coïncidence : son dernier film a été financé par des Qataris…

    Savoir que des Qataris pourraient sélectionner des entrepreneurs de banlieue sur une base communautariste n’inquiète pas grand monde. Installer une annexe de Normale Sup à Doha, ville où l’on est payé 400 dollars ou 12 000 selon la couleur de sa peau, ne dérange personne, et surtout pas Monique Canto-Sperber, présidente du pôle interuniversitaire Paris Sciences et Lettres et Philosophe spécialiste de «l’éthique».

    Qu’enfin la France impose à tous ses partenaires l’admission directe du Qatar au sein de la francophonie, sans passer par la case «observateur», comme l’exigeaient les usages jusqu’alors, cela n’ennuie pas grand monde non plus.

    A Doha, on appelle ça le «français sonnant et trébuchant». Mais, à Paris, le silence est de rigueur. Depuis des années. On peut même dater l’origine de l’amitié franco-qatarie : le premier voyage de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, à Doha, en décembre 2005. Sarkozy s’est lié d’amitié avec le Premier ministre qatari, Hamad ben Jassem al-Thani, «HBJ» pour les intimes, au risque de mélanger les genres.

    Lorsqu’il arrive à l’Elysée, Sarkozy prend l’habitude de recevoir tous les mois «HBJ». Au menu des discussions, les emplettes en France du fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA). Selon un patron du CAC 40, «Guéant avait une liste de courses pour les Qataris. On avait l’impression que l’Elysée leur donnait à racheter la France».

     

    C’est durant le quinquennat Sarkozy que le Qatar est entré dans le capital de plusieurs groupes du CAC 40. Le président a même donné de sa personne, en faisant pression sur le président du PSG, Sébastien Bazin, gérant du fonds Colony Capital, pour lui demander de vendre le PSG selon les conditions du Qatar. Bazin proposait aux Qataris 30 % du club de foot parisien pour 30 millions d’euros. Après l’intervention présidentielle, ils en ont récupéré 70 % pour 40 millions (ils en sont désormais propriétaires à 100 %).

    Convention fiscale

    Mais le sport n’est qu’une conséquence d’une orientation stratégique prise à l’Elysée. C’est sous l’ère Sarkozy que le Qatar s’est imposé – sans provoquer un quelconque débat, même au sein du gouvernement Fillon – comme un médiateur de la diplomatie française au Proche et au Moyen-Orient : intervention financière pour libérer les infirmières Bulgares en Libye (juillet 2007), aide au rapprochement entre Nicolas Sarkozy et Bachar al-Assad, puisque, avant d’aider les combattants, le Qatar était un allié solide du régime baasiste.

    Et, bien sûr, plus récemment, le Qatar, seul pays arabe à le faire, a participé – financement de l’armement, formation des combattants libyens et même présence de 5 000 hommes des forces spéciales – à l’intervention militaire occidentale contre Kadhafi.

    La puissance grandissante du Qatar en France semble stimulée par la faiblesse de nos responsables politiques, déboussolés par la crise mondiale et appâtés, parfois, par les largesses supposées de ce petit pays. Ami personnel de la famille de l’émir, Dominique de Villepin, aujourd’hui avocat d’affaires, a pour principal client le Qatar Luxury Group, fonds d’investissement personnel de la cheikha Mozah bint Nasser al-Missned. A droite, parmi les habitués de Doha, on trouve aussi Philippe Douste-Blazy, Rachida Dati ou Hervé Morin.

    Dans les milieux diplomatiques français, cette politique du «tout-Qatar» agaçait certains, qui espéraient que François Hollande, réputé partisan d’un resserrement des liens avec l’Algérie, allait en quelque sorte «rééquilibrer» la politique française dans la région.

    Certes, François Hollande s’est rendu en Algérie le 19 décembre. Mais il avait vu le Premier ministre de l’émirat, Hamad ben Jassem al-Thani, dans un palace parisien dès le début de 2012. Les deux hommes s’étaient d’ailleurs déjà rencontrés une première fois en 2006, François Hollande le recevant en tant que premier secrétaire du PS. Depuis son élection, il l’a revu à deux reprises, et a accueilli l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani à l’Elysée, le 22 août 2012. Un traitement privilégié.

    Autre signe de continuité, l’entrée d’investisseurs qataris au capital de France Télécom en juin 2012…

    «Les gouvernements passent, mais les intérêts demeurent. Les accords financiers entre la France et le Qatar n’ont pas été interrompus, remarque le chercheur Nabil Ennasri, Hollande a seulement mis un terme à l’affichage publicitaire façon Sarkozy.»

    Incroyable : la convention fiscale entre les deux pays – une sacrée niche fiscale qui dispense un investisseur qatari de tout impôt sur les plus-values réalisées sur la revente de biens immobiliers en France -, qui avait été tant décriée par le PS (du temps de l’opposition), n’a pas été abrogée…

    Il faut dire que, même sous Sarkozy, les Qataris ont eu la prudence de créer ou de maintenir des liens solides avec la gauche française. L’ambassadeur du Qatar en France, Mohamed Jaham al-Kuwari, a préparé la transition politique de longue date en multipliant les contacts avec plusieurs dirigeants socialistes : Ségolène Royal, Laurent Fabius, Elisabeth Guigou, Jack Lang, Bertrand Delanoë, Martine Aubry, mais aussi Pierre Moscovici, Arnaud Montebourg, qui a séjourné à Doha en pleine campagne de la primaire socialiste, ou encore Manuel Valls, seul émissaire du candidat à avoir rencontré l’émir en décembre 2011.

    Sous nos latitudes tempérées, le Qatar est un sujet de consensus. Jusque dans les médias, où il est devenu le pays des Bisounours. Comme dans l’émission «Un œil sur la planète», diffusée sur France 2 l’automne dernier, le présentant comme un nouvel eldorado, terre d’accueil de tous les ambitieux et les entrepreneurs.

    Ou encore dans une interview de l’ambassadeur de France au Qatar publiée dans la revue Géoéconomie (1). Le diplomate s’enthousiasme d’abord sur les perspectives de coopération entre les deux pays, faisant miroiter aux groupes français la perspective des 120 milliards mobilisés en vue de la Coupe du monde de football en 2022. Autant de beaux contrats pour Bouygues, Vinci, Carrefour et quelques autres.

    Mais l’ambassadeur y ajoute le supplément d’âme indispensable aux esprits délicats que nous sommes supposés demeurer : le printemps arabe aurait ainsi révélé – comme l’a reconnu lui-même François Hollande – d’importantes convergences entre les deux pays. L’honneur est sauf.

    Feuilletons le dossier de presse «Qatar en France». Il s’y dessine peu à peu un véritable storytelling qatari, que l’on pourrait résumer comme suit : le Qatar est un «nanopays» richissime – 78 260 dollars de revenu par Qatari en 2009, ça fait rêver – mais coincé entre deux géants, l’Iran, avec lequel il doit partager le gisement de gaz North Dome, l’un des plus grands du monde, et l’Arabie saoudite, 14 fois plus peuplée et disposant d’avoirs neuf fois supérieurs.

    Cette fragilité obligerait les Qataris à se montrer à la fois plus intelligents et plus diplomates que leurs voisins. Ils chercheraient ainsi une «assurance vie» - l’expression revient chez tous nos interlocuteurs – et seraient prêts à signer des chèques XXL à ceux qui sont susceptibles de lui garantir une protection. La France, avec son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, constitue son meilleur allié.

    Autre argument en faveur des Qataris, leurs investissements sont jugés «très professionnels». Leur charte, «Vision nationale pour le Qatar 2030», adoptée en 2008, prévoit que les revenus des placements des fonds souverains qataris se substitueront à ceux du gaz.

    Il faudrait donc se réjouir, s’enthousiasme Patrick Arnoux, du Nouvel Economiste, de leur intérêt pour nos grands groupes : «L’entreprise Qatar, dirigée d’une main ferme par le cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, investit certes par milliards sur des actifs qui ont trois points communs : ils sont unitairement importants, prometteurs pour l’avenir et à forte rentabilité.» Et de vanter les financiers qataris, «issus des meilleures banques américaines comme Lehman Brothers» (curieux, cet éloge d’une banque qui a fait faillite en 2008, déclenchant la crise dans laquelle nous pataugeons encore !).

    Et puis, nous assurent tous ces amis français des Qataris, ces derniers ne sont ni gourmands ni exhibitionnistes ; excepté chez Lagardère, ils n’exigent pas de siéger dans les conseils d’administration des sociétés dont ils deviennent actionnaires.

    Une alternative aux Saoudiens

    Riches en capitaux disponibles, respectueux de l’indépendance de leurs partenaires, les Qataris sont aussi, nous dit-on, modernes. Leur nouvelle constitution donne aux 200 000 Qataris le droit d’élire des représentants locaux qui pourront même être des femmes (au sein d’une chambre cependant strictement consultative).

    La chaîne Al-Jazira, qu’ils ont créée en 1996, présentée comme une sorte de CNN arabe, aurait révolutionné l’information au Proche-Orient. La femme de l’émir, la cheikha Mozah bint Nasser al-Missned, a contribué à une véritable cité du savoir à la périphérie de Doha, ouverte aux musées et aux universités occidentales.

    Enfin, le sentiment de fragilité des Qataris les pousserait à devenir une tête de pont entre le monde arabo-musulman et l’Occident. Songez que la plus grosse base militaire américaine, autrefois à Bahreïn, a déménagé à Doha et que les Qataris maintiennent des liens avec Israël. Ils constituent ainsi une alternative plus présentable que les Saoudiens, qui soutiennent les salafistes dans la région. Et si le Qatar représentait cet islam modéré dont tant d’Occidentaux espèrent l’avènement depuis des années ?

    Bien sûr, comme tout storytelling, celui portant sur le Qatar reflète une partie de la réalité. L’émir, qui a chassé son père du pouvoir en 1995, s’est révélé un fin stratège. «Le Qatar est le premier à avoir acheté des méthaniers, analyse l’économiste Hakim el-Karoui, et à garder ainsi la maîtrise du transport du gaz.» Résultat : le pays frôle les 20 % de croissance en 2012, après 16 % en 2010 et 12 % en 2009.

    Ensuite, il semble bien que la stratégie qatarie soit la plus subtile des pays du Golfe. «Les Qataris ne sont pas que des payeurs, observe l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, ils sont astucieux et mènent une stratégie d’équilibre, entre Al-Jazira d’un côté, le phare du printemps arabe, la base américaine sur leur territoire et leurs relations assez bonnes avec Israël.»

    Enfin, il est patent que les Qataris ne mélangent pas forcément leur politique diplomatique, pas facile à décrypter, et leurs investissements pour lesquels ils recherchent, c’est un banquier qatari qui parle, un «absolute return», autrement dit une garantie de retour sur investissement.

    Mais ces indéniables atouts – prospérité économique, stratégie au long cours, subtilité diplomatique – ne doivent pas occulter la face moins reluisante du petit Etat. La condamnation à perpétuité, le 28 novembre, du poète Mohammed al-Ajami, coupable… d’un court texte critique sur l’émir, jette une lumière blafarde sur la modernité qatarie.

    Et il y a surtout la relation très particulière que le Qatar entretient avec l’islamisme politique. L’émirat a été, depuis quinze ans, le refuge de bien des activistes radicaux, tel Abassi Madani, l’ex-patron du FIS algérien. Le Hamas a déménagé ses bureaux de Damas à Doha, et la récente visite de l’émir à Gaza n’est pas passée inaperçue.

    La chaîne de télé Al-Jazira s’est fait connaître en devenant le diffuseur exclusif des communiqués d’Al-Qaida, et certains ne manquent pas de souligner que Doha a été exempt de tout attentat terroriste. Exilé au Qatar depuis quarante ans, le plus célèbre prédicateur islamiste, Youssef al-Qardaoui, officie chaque semaine sur Al-Jazira.

    L’homme a déclaré que «les opérations martyres sont l’arme que Dieu a donnée aux pauvres pour combattre les forts», et que, «tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux juifs des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. [...] C’était un châtiment divin. Si Allah le veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans».

    Cet activisme n’étonne pas Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité de la DGSE (services secrets français) : «Comme la famille régnante veut ravir à la famille Al-Saoud d’Arabie saoudite son rôle moteur dans le contrôle de l’islam sunnite à l’échelle mondiale, elle héberge volontiers les imams et prêcheurs de tout poil, à condition qu’ils soient plus extrémistes que les oulémas saoudiens, de façon à leur rendre des points. Et le Qatar finance partout et généreusement tous les acteurs politico-militaires salafistes, dont la branche la plus enragée des Frères musulmans, hostiles à la famille Al-Saoud et bien sûr au chiisme, mais aussi aux régimes “laïcs” et nationalistes arabes susceptibles de porter ombrage aux pétromonarchies.»

    Enfin, le Canard enchaîné affirme que les services français ont repéré une présence qatarie dans le nord du Mali, où sévissent des groupes jihadistes. «On pense, explique Roland Marchal, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri), qu’un certain nombre d’éléments des forces spéciales qataries sont aujourd’hui dans le nord du Mali pour assurer l’entraînement des recrues qui occupent le terrain, surtout d’Ansar Dine.» Ansar Dine, un groupe jihadiste non lié à Al-Qaida.

    Bref, la famille régnante au Qatar n’a sans doute pas de doctrine bien établie, mais son jeu diplomatique, fondé sur une double exigence – concurrencer les Saoudiens dans le monde musulman et diaboliser l’Iran – peut l’amener à des positions fort lointaines de «l’islam des Lumières».

    Y compris en France. «Si quelqu’un, affirme un bon connaisseur du dossier, avait la curiosité de se poster en face de l’ambassade du Qatar, il pourrait y prendre en photo d’éminents animateurs de la mouvance islamiste radicale.»

    Premier instrument de l’influence du Qatar dans le monde arabe, la chaîne Al-Jazira s’est révélée être «le DRH du printemps arabe», selon l’expression de Naoufel Brahimi el-Mili, professeur de science politique et auteur du livre le Printemps arabe, une manipulation ?

    Ce dernier a passé des mois à décrypter les émissions de la chaîne qui fut la première à mettre en scène le martyre du vendeur de légumes tunisien Mohamed Bouazizi, dont le suicide, le 4 janvier 2011, a embrasé la Tunisie, avant que la révolte ne se propage en Libye ou en Egypte. A chaque fois, Al-Jazira accompagne et «feuilletone» les mouvements et les combats.

    Il apparaît que, partout, les Qataris soutiennent les Frères musulmans, qui constituent la principale force politique du printemps arabe. Et qu’Al-Jazira est leur bras armé. Brahimi note ainsi que le nouveau ministre des Affaires étrangères libyen, Mohamed Abdelaziz, était un journaliste de la chaîne, de même que Safwat Hijazi, devenu une sorte de «conseiller spécial» du gouvernement égyptien. Pour Brahimi, le projet du Qatar est limpide : «Imposer la révolution “démocratique” par le bas, puisque les révolutions par le haut, façon néoconservateur bushiste, ont échoué.»

    Autre sujet d’inquiétude, l’activisme sportif des Qataris – Grand Prix de l’Arc de triomphe, achat du PSG, Mondial de handball (2015) et Coupe du monde de football (2022) – ne relève pas forcément d’un amour désintéressé du sport mais bien d’une stratégie délibérée de soft power.

    C’est d’ailleurs Nicolas Sarkozy lui-même, cumulant le rôle de superconsultant des Qataris avec celui de président de la République, qui aurait conseillé à l’émir de «passer par le sport» pour implanter Al-Jazira en France. D’où la création de la chaîne BeIN Sport, au risque de déstabiliser le système audiovisuel français, et notamment le financement du cinéma.

    Enfin, et ce n’est pas le moins inquiétant, les Qataris manifestent un intérêt particulier pour les secteurs industriels sensibles et stratégiques. Cette inclination est d’abord apparue dans le dossier EADS. A la fin des années 90, l’émir sympathise avec Jean-Luc Lagardère, avec lequel il partage une passion des chevaux.

    Les deux couples sympathisent, Bethy Lagardère initiant la cheikha Mozah aux joies de la vie parisienne, tandis que les équipes Lagardère apportent à l’émir leurs conseils avisés dans l’audiovisuel lors de la création d’Al-Jazira. Avant même la mort de Jean-Luc Lagardère, en 2003, l’émir avait émis le vœu d’entrer au capital d’EADS.

    Mais Jean-Paul Gut, alors haut dirigeant d’Airbus, avait habilement orienté les Qataris vers une prise de participation dans le groupe Lagardère lui-même, ce qui était moins intéressant pour le Qatar mais répondait à l’inquiétude de l’héritier, Arnaud Lagardère, qui souhaitait s’assurer des alliés solides dans sa société holding. Mais, quand le groupe allemand Daimler a voulu vendre ses parts dans EADS, le Qatar s’est porté acquéreur, ce qui entraîna une vive réaction d’Angela Merkel aboutissant à un engagement de l’Etat allemand à la place de Daimler.

    Si les Qataris se sont senti l’audace d’avancer sur des dossiers aussi sensibles, c’est que les liens entre la France et le Qatar sont anciens : 80 % de l’équipement militaire qatari est français et, pour l’anecdote, les 15 ha que la Direction générale de l’armement loue à Bagneux (Hauts-de-Seine) appartiennent à une banque qatarie…

    Poker menteur

    Autre indice de l’intérêt des Qataris pour les secteurs stratégiques, l’affaire Altis, une société de semi-conducteurs en difficulté que les Qataris voulaient acheter en 2009 pour créer une industrie similaire au Qatar. Mais Augustin de Romanet, alors patron de la Caisse des dépôts, a jugé le projet suspect, et le Fonds stratégique industriel s’est finalement substitué à l’émirat.

    Encore plus inquiétant, le jeu de poker menteur autour d’Areva : il s’en est fallu de peu que l’émirat mette la main sur les mines d’uranium du groupe nucléaire ! A la manœuvre, l’ancien secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant, l’intermédiaire de choc Alexandre Djouhri, Henri Proglio, le PDG d’EDF, et François Roussely, du Crédit suisse – une des banques conseil en France des Qataris avec la banque Rothschild.

    L’alternance est, apparemment, un concept qui ne s’applique pas à cet aréopage. C’est d’ailleurs peut-être ce qui a conduit l’ambassadeur du Qatar à annoncer de nouveaux investissements dans les groupes français.

    A ce rythme-là, la France va finir par avoir plus besoin du Qatar que l’inverse.

    IMMOBILIER : 4 MILLIARDS NET D’IMPÔTS

    Les avoirs immobiliers en France des Qataris se partagent entre différents membres de la famille régnante. Ils comprennent des immeubles de luxe et de nombreux hôtels. Au total, l’immobilier détenu par l’émirat dans notre pays atteindrait ainsi 4 milliards d’euros. Début 2008, les Qataris ont obtenu le vote au Parlement français d’un statut fiscal qui les exonère d’impôt sur leurs plus-values immobilières en France. Et ils en profitent : ces dernières années, ils ont racheté des hôtels de luxe comme le Martinez et le Carlton, à Cannes, le Royal Monceau, le Concorde Lafayette, l’hôtel du Louvre, à Paris, le Palais de la Méditerranée, à Nice. Mais ils ont également fait main basse sur le somptueux hôtel Lambert sur l’île Saint-Louis, à Paris, le splendide hôtel d’Evreux de la place Vendôme, à Paris, l’immeuble Virgin des Champs-Elysées, le siège de Vivendi, avenue de Friedland, à deux pas des Champs-Elysées, le siège d’Areva près de l’Opéra, et la tour Pacific à la Défense, ainsi que sur le centre de conférences Kléber, lieu chargé d’histoire – le haut commandement militaire allemand s’y était installé sous l’Occupation et c’est là qu’ont été signés les accords de Paris mettant fin à la guerre du Vietnam. Le destin du centre Kléber est de devenir un palace pour milliardaires…

    Au total, les avoirs qataris en France – immobilier et CAC 40 – dépasseraient donc les 10 milliards d’euros selon nos calculs. Une somme qui rejoint les statistiques de la Banque des règlements internationaux (9,79 milliards), ce qui représente trois fois moins que les investissements du Qatar en Grande-Bretagne, mais deux fois plus que ceux de l’Allemagne.

    (1) «Qatar, l’offensive stratégique», no 62, été 2012.

    Marianne.net  http://fortune.fdesouche.com

  • Définir la subsidiarité

    Université d'été de la F.A.C.E. (Lourmarin, Provence)
    Samedi 29 juillet 1995 (matinée)
     
    Définir la subsidiarité
     (intervention de Robert Steuckers)
    Lors de notre visite au Professeur Gianfranco Miglio, fin avril 1995, celui-ci nous a confié qu'il considérait le terme “subsidiarité” comme un mot ambigu, qui désignait une délégation de pouvoir pouvant conduire à une confiscation des pouvoirs par l'instance centrale (en l'occurence appelée “fédérale”). Pour Gianfran­co Miglio, mieux vaut parler de fédéralisme, lequel, selon Châteaubriand, est la forme étatique des peu­ples germaniques.
    On reparle beaucoup de subsidiarité dans le processus d'unification européenne. Lors de la rédaction du Traité de Maastricht, les juristes allemands ont insisté pour que soit inscrit en toutes lettres le terme de “subsidiarité”. Mais dans le texte de ce traité, le terme est ambigu sur cinq points au moins, nous signa­lent bon nombre d'observateurs :
    1. a) Il peut être interprété comme une arme contre les tendances trop accentuées vers le centralisme (reproche adressé surtout à la Commission) ou b) comme un instrument pour retourner à l'Etat-Nation conventionnel (Thatcher).
    2. Signifie-t-il une (re)distribution ou une répartition des compétences en exercice ?
    3. S'agit-il d'un transfert de compétences strictement réglementé ou d'une auto-limitation volontaire de la part des pouvoirs publics nationaux ? Ou encore d'un principe vague qui veut avertir le citoyen des risques d'empiètement émanant des instances centrales ?
    4. Comment mesurer la qualité ou l'intensité du transfert des compétences ?
    5. Où se trouve aujourd'hui le principe de subsidiarité dans le discours politique, dans les textes constitu­tionnels, dans la pratique quotidienne du droit ?
     
    Origine du terme “subsidiarité”
    Le terme “subsidiarité”, expliquent les historiens du droit, fait partie d'une “triade catholique” (personnalité, solidarité, subsidiarité). Mais les théoriciens majeurs de la subsidiarité, les pères fonda­teurs du concept, sont protestants :
    1. Johann Althusius (longtemps oublié dans les manuels d'histoire des idées politiques et juridiques).
    2. Otto von Gierke (un sociologue et juriste allemand du XIXième siècle qui redécouvrira Althusius en 1880, juste avant le sociologue Tönnies, théoricien de la “communauté”).
     
    Johann Althusius (1557-1638)
    Ce fondateur de la science politique organique allemande écrit et est lu au début du XVIIième siècle. Ses doctrines constituent l'antithèse de la dominante idéologique de l'époque, soit l'absolutisme théorisé par Bodin. La notion cardinale dans l'œuvre d'Althusius est celle de Gemeinwille (“volonté commune”), ancrée dans le peuple, perçu et défini comme “organisierter Volkskörper” (corporéité populaire organisée).
     
    Otto von Gierke
    Ce sera Otto von Gierke qui redécouvrira Althusius dans les années 1880. Qui est Otto von Gierke? Un théoricien allemand du “Droit des Genossenschaften” (compagnonnages). Pour Althusius au XVIIième et Otto von Gierke au XIXième, la politique est Konsoziation et Konkordanz (concorde, ou “sympathie”, unisson des cœurs). Le fédéralisme et la subsidiarité d'Althusius et d'Otto von Gierke sont un ancrage profond dans le tissu social concret. Cet ancrage permet d'échapper à l'hyper-simplification de l'absolutisme, propre des monarchies déclinantes, et du centralisme (de Philippe II à Richelieu et de Louis XIV à la Révolution). L'accent mis sur les “compagnonnages” et la “communauté” implique un refus de la stricte séparation de la politique et du marché, césure imposée par le libéralisme. Le fédéralisme actuel (USA, Australie, Canada et même la RFA) n'est qu'une variante du centralisme: il s'agit d'un compromis qui s'oriente toujours vers une consolidation du niveau central. Aux Etats-Unis, les “états” reçoivent la permission du niveau fédéral d'exercer des compétences (des phénomènes analogues s'observent en RFA voire en Suisse). L'objectif de toute centralisation est: que tous doivent finir par vivre selon le même modèle économique; que les communautés villageoises, claniques ou familiales doivent s'adapter à des règles édictées d'“en-haut”; que les entreprises doivent se conformer à des modèles venus également du “sommet”. Le haut ne délègue au bas que ce qui n'est pas jugé important. La compétence n'est jamais qu'octroyée.
     
    Le Traité de Maastricht et le cas français
    Althusius se place résolument en porte-à-faux, vis-à-vis de cette mentalité absolutiste et centraliste. Dans son esprit, la subsidiarité sert à façonner le concorde, à souder les communautés, à consolider le tissu social. Elle doit dès lors atteindre trois objectifs, si on la (re)place dans le contexte actuel de l'Union Européenne :
    1. Susciter chez tous la promptitude à l'aide mutuelle, dans les limites imposées par les budgets respec­tifs des communautés locales ou professionnelles. Donc la subsidiarité ne saurait être un prétexte à l'isolationnisme comme l'imaginait Madame Thatcher.
    2. Comme il y a ancrage de toute souveraineté dans le Volkskörper (la “corporéité folcique”), les Etats de l'Union Européenne (c'est-à-dire les Etats qui ont la qualité de membre) ne peuvent agir - ou leur action n'est valide dans l'esprit d'un droit qui serait entièrement déterminé par la subsidiarité - que s'ils repré­sentent réellement les multiples éléments de ce Volkskörper. Il faut donc qu'il y ait représentation des provinces, communes et associations diverses (les Verbände). Les représentants des divers États ne pourraient exercer leurs fonctions que s'ils ont l'aval des éléments divers du Volkskörper (“corporéité fol­cique”).
    3. Il faut prévoir la représentation de toutes les communautés au sein même des Etats. Aujourd'hui, la RFA, la Belgique et l'Espagne sont en règle, du moins sur le plan de l'organisation et de la représentation de leurs minorités. Celles-ci y sont protégées et représentées au sein d'assemblées qui leur sont propres. Les langues minoritaires sont pleinement reconnues comme langues nationales ou comme langues admi­nistratives locales. Ce n'est pas tout-à-fait le cas en Italie où l'allemand, le slovène, l'albanais et le grec ne sont pas reconnus ni leurs locuteurs représentés dans des assemblées autonomes et homogènes. Ce n'est certainement pas le cas de la France  - qui est le cas le plus scandaleux et le plus inadmissible pour les ressortissants des communautés flamande ou germanophone de Belgique - où l'allemand, le néer­landais, le basque, le corse ou le breton n'ont pas droit de cité et où la communauté germanophone d'Alsace et de Lorraine thioise ainsi que la communauté neérlandaise du Westhoek ne disposent pas d'un parlement autonome à l'instar des communautés germanophone de Belgique ou danoise et sorabe d'Allemagne.
    À Bruxelles et à Berlin, bon nombre de juristes et de constitutionnalistes estiment dès lors que la France n'est pas un Etat de droit démocratique, puisqu'elle n'accorde pas la réciprocité à ses ressortissants de souche flamande ou allemande et, par le truchement de ses préfets (non élus!!!!), fait interdire des initiatives culturelles flamandes en Flandre, telles des radios libres ou des messes chantées en dialecte (et expulse manu militari les prêtres de nationalité belge qui ont chanté dans un idiome qui avait l'heur de ne pas plaire au préfet!). En théorie, au fur et à mesure que l'Union Européenne prendra corps, et à condition que les juristes et les ministères belges sortent de leur torpeur et se décident à faire vivre réellement les principes d'autonomie à tous niveaux qui ont toujours été revendiqués par nos populations et leurs élites, les tribunaux belges et alle­mands pourraient parfaitement s'octroyer un jour le droit de juger tout fonctionnaire français qui écornerait les droits naturels et inaliénables des germanophones ou des néerlandophones vivant sur le territoire français, dans des pays qui sont histori­quement leurs. Le non respect du Traité de Maastricht et des accords de Schengen laisse augurer le pire pour ces minorités: il est temps que soit organisée en Europe, à l'échelle européenne, leur défense contre toutes les formes d'arbitraire qu'ils subis­sent et qui sont contraires aux conventions des droits de l'homme signées par tous les Etats européens. Et tant pis pour les Etats parjures !
     
    Monistes, dualistes, pluralistes
    Mais revenons à l'histoire du principe de subsidiarité. Althusius a mis en forme le débat intitutionnel qui a suivi la Nuit de la Saint-Barthélémy (1572). Celui prend forme, chez les adversaires de la subsidiarité et de la subsistance des “corps intermédiaires”, dans un ouvrage capital de Jean Bodin, publié en 1576 et inti­tulé Six livres de la République. Le titre de cet ouvrage est déjà très révélateur en soi: le terme “république” est utilisé au singulier, alors qu'au départ, en langue latine, on parlait toujours des res publi­cae au pluriel, des choses publiques, soulignant par là même qu'elles étaient diverses et assez souvent contradictoires. Bodin voulait concentrer la souveraineté dans les seules mains du monarque, comme la République, après avoir fait décapiter le roi, a voulu tout centraliser à outrance. Il y a donc une parfaite continuité entre l'Ancien Régime et la République en France.
    Pour Jean Bodin, la crise des guerres de religions réclame une solution moniste, c'est-à-dire une concen­tration du pouvoir dans une instance centrale, en l'occurrence le monarque. Dans la pratique, ce “mo­nis­me” implique la suppression de tous les “pouvoirs intermédiaires”, ce qui transforme les Etats en simples relais administratifs. Et quand Bodin parle de “tolérance”, alors qu'il rédige des manuels d'inquisition (!!), il envisage simplement de séparer la religion des affaires de l'Etat.
    Face au “monisme” de Bodin, nous trouvons les partisans de la “solution dualiste” ou “monarchomaques”, qui considèrent que le monarque ET le peuple sont également responsables du bon fonctionnement de l'appareil étatique et des bonnes mœurs. Devant Dieu, le peuple, dépositaire de ses droits ancestraux, les délègue au monarque, tout en conservant un droit de résistance face aux abus éventuels du roi. Le monarque, lui, doit simplement promettre de ne pas abuser. Dans cette perspective dualiste, seul le mo­narque dispose d'un droit originel. Le peuple, lui, n'a qu'un droit de résistance, tout théorique puisqu'il ne dispose pas de forces armées autonomes.
    Face aux monistes et aux dualistes, nous avons la solution pluraliste et fédéraliste, proposée par Alt­hu­sius. Celui-ci élabore son système dans le contexte d'un Reich allemand affaibli, mais qui a toujours été régi par des logiques du pluriel (pluralité institutionnelle, pluralité ethnique, pluralité linguistique, etc.). Althusius perçoit différemment la dualité peuple/monarque. Pour Althusius, le peuple peut reprendre ses droits et le monarque y renoncer. Entre les différentes composantes du peuple s'instaure une multitude de pactes sociaux, permettant un contrôle effectif. Le pacte social, pour Althusius, est un contrat de gouvernement, comme chez Hobbes, mais, chez ce dernier, le contrat n'implique nullement une commu­nication sociale. Hobbes introduit la domination (la coercition) pour échapper à la guerre civile. Le peuple, chez lui, délègue ses droits naturels une fois pour toutes. Hobbes n'envisage pas à proprement parler une rupture définitive du dialogue entre le monarque et le peuple, mais, dans ses réflexions, il met l'accent sur l'autorité absolue qui forme un barrage nécessaire à l'anarchie de la guerre civile ou du dissensus perma­nent, provoquant l'impossibilité de gouverner.
     
    Une optique symbiotique
    Althusius se place dans une optique “symbiotique”. Il évoque un “partenariat horizontal” entre les commu­nautés et les corps (risque: permanence des conflits d'intérêt; incapacité à discerner l'essentiel). Le mo­narque n'exerce que des pouvoirs qui lui ont été explicitement reconnus. La stabilité consiste donc à déléguer le moins de pouvoirs possibles au monarque. Aucune force locale ne peut être étouffée: elles doivent toutes rester disponibles pour construire la “socialité”. Chez Althusius, il n'y a pas juxtaposition du pouvoir et du peuple. Le pouvoir ne sert qu'à promouvoir les énergies du peuple. Le principe, c'est que le peuple, leg de l'histoire et de la culture, a toujours la priorité dans ses variances et ses évolutions, par rapport à la machine étatique et à l'administration. L’État n'est, ne peut être, qu'un instrument au service du peuple.
    Dans la pensée d'Althusius, les communautés sont de trois ordres :
    1. Elles sont publiques et territorialisées, comme les provinces et les villes.
    2. Elles sont privées, nécessaires, volontaires, comme les états (les Stände) ou les guildes (les corpora­tions, les associations professionnelles).
    3. Elles sont privées et naturelles, comme les familles.
    En tenant compte des ressorts qui animent toutes ces formes de communauté, Althusius procède à un élargissement maximal du politique, où il n'y a plus de séparation entre l'individu et l'Etat, ni de séparation entre le public et le privé. Si la politique est exclusivement déterminée d'en haut, comme dans le système de Bodin qui élimine les “corps intermédiaires”, nous n'avons plus, dans la société, que des individus complètement atomisés et des instances collectives, figées et coercitives. En revanche, si la politique est déterminée par le bas, c'est-à-dire par la pluralité que constitue la “corporéité folcique”, comme dans le système symbiotique suggéré par Althusius, il n'y a pas d'individus non imbriqués dans une structure de participation. Il y a dès lors “communautarisation permanente”, interaction constante entre groupes.
    En conclusion, les solutions monistes et dualistes sont rigides. Elles refusent de tenir compte des varia­tions incessantes à l'œuvre dans la société ou la “corporéité folcique”. Il arrive toujours un moment où elles entrent en “déphasage”. Dans la solution pluraliste, les communautés du Volkskörper  sont en inte­raction constante. Voilà pourquoi elle est un modèle aujourd'hui, comme le laisse sous-entendre Edouard Goldsmith, dans sa vision à la fois contestatrice, écologique et conservatrice, ou Joël de Rosnay dans son ouvrage L'homme symbiotique (Seuil, 1995). Si les systèmes monistes avancent l'aequalitas, où tous sont sommés de devenir identiques, pareils, sans déterminations originales ou circonstances différen­ciantes, les systèmes pluralistes avancent l'aequabilitas, où tous ont droit à un traitement égal, à de l'aide, à de la sollicitude de la part de la communauté, pour ce qu'ils sont, dans toutes les différences qu'ils incarnent, recèlent, réellement ou virtuellement.
    La subsidiarité est donc un projet social qui permet de sortir :
    - de la logique totalitaire (Bodin/Hobbes);
    - de la logique des contrats hypersimplifiés;
    - de la logique individualiste.
    Mais dans le Traité de Maastricht, rien de bien précis n'est dit quant au passage à un droit subsidiaire. Les textes du Traité ne sont pas clairs quant au rôle des régions et du Conseil Consultatif des Régions. Rien n'est dit quant à la responsabilité des Etats et nous assistons à un accroissement constant des compé­tences de la Commission. Dans ce contexte, le lobbying s'exerce en faveur des grands consortiums et non pas en faveur des petites communautés.
    D'où, au-delà des siècles, Althusius nous lègue une pensée instrumentalisable, dont la fonction est à la fois critique et constructive. Mais le contexte actuel est peu favorable à ce corpus doctrinal pluraliste. La tradition communautaire a été refoulée en Occident au profit de l'individualisme libéral, considéré comme le “seul scientifique”. Mais les problèmes s'accumulent, notamment au niveau écologique. Locke et Rousseau ont épuisé leurs potentialités. Mais non pas Althusius, von Gierke, Tönnies et Perroux. Le vé­hicule pour repropulser cet idéal communautaire dans le débat intellectuel et politique aurait pu être les partis verts. Hélas, ils se sont laissés complètement oblitérés par des gauches finalement fidèles aux lo­giques coercitives de Bodin et des Jacobins, sous prétexte que ces logiques étaient révolutionnaires et donc “progressistes”. Les écologistes indépendants en Allemagne, autour de Strelow, les biorégiona­listes américains, autour de Kirpatrick Sale, ont perçu cette dérive des Verts belges et français, qui res­tent prisonniers d'une vieille alternative, désormais dépourvue de toute pertinence: Locke (qu'ils rejet­tent) ou Rousseau (dont ils épousent sans nuance toutes les contradictions).
    Nous sommes effectivement dans l'impasse. Raison pour laquelle notre organisation réagit et compte agir par le biais d'associations représentant le tissu social réel, le tissu social de base.
    Robert STEUCKERS http://robertsteuckers.blogspot.com/
    Sources :
    - Helmut LECHELER, Das Subsidiaritätsprinzip. Strukturprinzip einer europäischen Union, Duncker & Humblot, Berlin, 1993.
    - Alois RIKLIN, Gerard BATLINER (Hrsg.), Subsidiarität. Ein interdisziplinäres Symposium, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1994.
    - Matthias SCHULZ, Regionalismus und die Gestaltung Europas, Kraemer, Hamburg, 1993.

  • Délocalisations, tous responsables (ou presque !)

    Délocalisation, développement des pays pauvres, intérêt des citoyens et des consommateurs sont des sujets galvaudés. Qu’est-ce qu’une délocalisation ? Dans quels cas une délocalisation est-elle acceptable ? Que faire lorsqu’elle ne l’est pas ? Nous avons en fait le choix, du moins si on nous aide un peu.
    Qu’est-ce qu’une délocalisation ?
    Délocaliser c’est déplacer une activité industrielle, artisanale ou de service local vers un autre pays en remplacement partiel ou complet de cette activité.
    Les neuf évidences des délocalisations
    Première évidence : les délocalisations ne concernent pas que l’industrie mais également les services. Ainsi nous avons vu la majorité des centres d’appels basculer progressivement vers des pays étrangers. Evolution possible grâce aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) et à leurs coûts de plus en plus bas. Avant la délocalisation des centres d’appels, quelques initiatives de secrétariat à distance ont été menées.
    Deuxième évidence : Les délocalisations ne concernent pas uniquement les activités à faible valeur ajoutée mais tout type d’activités. Ainsi la Recherche et Développement, la médecine, la chirurgie esthétique, etc. sont maintenant concernées. Ce qui veut dire que presque tous les métiers sont aujourd’hui concernés. Une usine qui disparaît, c’est des ouvriers, des chefs d’équipes, des secrétaires, des comptables, des logisticiens, des acheteurs, des qualiticiens, des personnes des services généraux, de l’environnement, de la recherche et développement, des cadres, des dirigeants, etc. qui disparaissent. Si le mouvement continue, même les sièges sociaux disparaîtrons car ils n’auront plus de raison de rester en France si plus aucune n’activité ne se fait localement… Les managers qui favorisent ces délocalisations scient la branche sur laquelle ils sont assis à très court terme.
    Troisième évidence : si au commencement des délocalisations les produits ou services voyageaient du producteur vers le consommateur, aujourd’hui il peut arriver que le consommateur se déplace pour obtenir un service moins cher ou avec un meilleur rapport qualité/prix. Il est possible maintenant de se déplacer pour obtenir des services de santé, de chirurgie esthétique vers des pays proches mais moins chers.
    Quatrième évidence : Se développer à l’étranger n’est pas forcément délocaliser. Une entreprise Française qui crée une usine ou un centre R&D étranger est-elle forcément une entreprise qui délocalise ? Ce n’est évidemment pas le cas. Une entreprise doit « idéalement » produire là ou le produit est consommé. Ceci à plein d’avantages aussi bien économiques qu’écologique. Savoir que la fabrication d’un blue-jean nécessite de faire plusieurs fois le tour du monde avant d’arriver en temps que produit finit dans nos magasins est une hérésie. Certaines entreprises l’on bien comprit comme Toyota qui produit également ses voitures en France, ou comme Décathlon qui finalement à décidé de produire ses vélos en France (relocalisation) car le surcoût d’une dizaine d’euros n’était pas significatif en regard des avantages. Citons également le cas d’une entreprise fabriquant du mobilier de bureau : après avoir délocalisé en Chine, la production a été relocalisé en France car les délais d’acheminement de 3 mois par bateau lui faisaient perdre des clients (le client avaient le choix entre attendre 3 mois pour recevoir leur commande ou de choisir parmi un nombre très limité de modèles ou couleurs en stock). Se rapprocher de ses clients est un choix justifié et naturel pour une entreprise, que cela nous arrange ou non.
    Cinquième évidence : Dans l’intérêt d’un pays, il faut produire le plus possible localement et vendre le plus possible à l’étranger. Ceci entre en contradiction avec le point précédent. Si pour l’écologie il vaut mieux ne pas acheter de produits fabriqués loin, pour un pays il vaut mieux exporter le plus possible (et donc fabriquer localement). Cette contradiction transparaît dans les avis divergents que l’on entend aujourd’hui concernant les délocalisations. Si les délocalisations sont légitimes parfois pour l’entreprise elles sont contraires à l’intérêt local et à l’écologie (à l’exception des services intellectuels, encore que cela consomme de l’électricité en serveurs, téléphone et transmissions d’informations). Ainsi chacun défend ses intérêts et tout le monde à « égoïstement » raison.
    Sixième évidence : Les délocalisations semblent profiter aux pays pauvres mais la réalité est plus complexe. Nous entendons parfois que les délocalisations sont nécessaires et utiles aux pays pauvres. Cet argument très altruiste (lorsqu’il émane des habitants des pays à hauts-coûts) est portant discutable. Les pays pauvres se développant trop vite agrandissent souvent leurs inégalités locales. Ainsi, entre les paysans Chinois qui ont conservés leur métier et ceux qui ont intégrés les usines, il y a maintenant un écart de pouvoir d’achat très grand. Le développement économique rapide d’un grand pays comme la Chine et l’Inde ne concerne et ne concernera pas toute sa vaste population. Pire, il fait monter les prix locaux, rendant plus pauvres encore les laissés pour compte de l’industrialisation. Etre paysan est de plus en plus dévalorisé dans ces pays et pourtant il est nécessaire de nourrir cette population citadine sans cesse grandissante qui ne produit pas sa propre nourriture. Ceci implique des importations massives de denrées alimentaires en provenance de l’étranger. D’un point de vue écologique, ces développements rapides sont une catastrophe, l’eau en Chine n’est pas buvable et ne le sera pas avant très longtemps. Les usines utilisent parfois des produits interdits et/ou dangereux ; Difficile de contrôler de si nombreuses entreprises alors que ces pays n’ont pas encore la culture nécessaire ni les moyens. Une croissance économique rapide attise les appétits des plus corrompus, développant mafias et abus en tous genres (scandale du lait frelaté en Chine et corruption). Les délocalisations massives et non contrôlées vers ces pays tout en leur apportant croissance à deux chiffres, leurs posent de nombreux problèmes sociaux, énergétiques, écologiques, politiques et même économiques.
    Septième évidence : Il est à noter que les délocalisations rapides auxquelles l’Europe procède ne sont pas facilement réversibles et ne sont pas pérennes pour l’Europe et pour les pays en voie de développement. Ces derniers ont parfois une masse de population si importante (se comptant en milliards d’individus) qu’elle est difficilement épuisable. Le nombre de pays potentiellement en voie de développement est également assez important. Si les délocalisations continuent à ce rythme nous n’aurons bientôt plus rien à délocaliser ce qui n’est pas pérenne pour nous et pour ces pays. Les grand pays comme la Chine et l’Inde en sont conscients et parient sur une croissance de la consommation locale forte pour prendre le relais lorsque l’occident cessera d’être leur principal donneur d’ordre. C’est un pari et une course contre la montre qui n’est pas gagnée au premier abord. La paupérisation de l’occident est en revanche programmée.
    Huitième évidence : Les délocalisations ne sont pas toujours rentables et relèvent parfois de l’idéologie. Aussi incroyable que cela puisse paraître, une « mode » des délocalisations s’est répandue et un dirigeant qui ne délocalise pas est mal vu par ses actionnaires. Si décider une délocalisation est une action simple et facile, réussir une délocalisation afin qu’elle soit profitable à l’entreprise demande de nombreuses compétences. Ce qui est ridicule avec ces délocalisations ratées est que ceux qui les ont mises en place (de manière coûteuse) ne veulent pas supporter le poids de leurs erreurs, ils font tout pour masquer, au sein de l’entreprise, cet échec. Le manque de rentabilité d’une délocalisation peut tenir à beaucoup de sujets : manque de main d’œuvre qualifiée, forte concurrence entre entreprises qui délocalisent (turn-over important et salaires croissants), sous-estimation des écarts culturels, sous-estimation des frais de management, gestion de projet, voyages, formation, de la qualité des infrastructures du pays (route, réseau, téléphone, Internet…), productivité de la main-d’œuvre locale, temps de mise en place d’un centre qui fonctionne de manière optimale, éloignement des clients finaux, corruption locale, loi locale mal connue, etc. Dans cette liste, le choix du pays est primordial mais le pays idéal n’existe pas. Dans la course à la recherche du profit immédiat, une délocalisation est souvent éphémère. Les délocalisations en cascade (d’un pays pauvre vers un pays encore plus pauvre) d’une activité qui vient à peine d’atteindre ses performances maximales, diminuent encore la rentabilité de ces opérations !
    Neuvième évidence : Ainsi, les délocalisations ne concernent pas que les pays occidentaux, mais également les pays en voie de développement. La Chine délocalise elle-même certaines de ses usines au profit de l’Afrique par exemple. Les victimes des délocalisations sont beaucoup plus nombreuses et variées qu’on peut l’imaginer.
    Que faire ?
    Laisser le marché se réguler lui-même ne donnera rien car ceux qui décident de délocaliser n’ont souvent aucun intérêt commun avec le reste des personnes concernées par ce phénomène. L’intérêt des actionnaires est axé sur le profit immédiat sans vision du long terme. Délocaliser appauvrit le pays et donc diminue le marché local ? Qu’importe, les pays en voie de développement sont de nouvelles cibles de consommation encore plus grandes et alléchantes ! Pourtant ces pays en pleine expansion ne comptent pas rester uniquement des cibles commerciales et leurs entreprises comptent bien profiter en priorité de cette croissance. Le protectionnisme que l’on s’interdit pour des raisons idéologiques en Europe ne pose en revanche aucun problème à ces pays. Nous allons donc « dans le mur ».
    Que faire si le marché ne va pas dans la bonne direction ? Il faut que nous, consommateurs, prenions nos responsabilités rapidement tant qu’il en ait encore temps. Il faut également que nous ayons les moyens d’assumer nos responsabilités. Tout le monde peut remarquer que le prix d’un objet n’a plus aucun lien avec sa qualité ni même son lieu de fabrication. Cela fait bien longtemps (plus de 20 ans) que les marques de luxe ont commencé à délocaliser très discrètement. Le consommateur ne peut plus, comme autrefois, faire confiance au prix afin de désapprouver les délocalisations qui finalement lui sont néfastes. C’est donc une vraie question, comment faire valoir ses intérêts en temps que consommateur ? Il faut être clair ce n’est actuellement pas possible. Le système ne permet pas au client de choisir. Il faut donc réguler un peu, juste assez pour que les consommateurs aient le choix.
    Propositions
    Il pourrait par exemple être rendu obligatoire un marquage règlementaire sur chaque produit indiquant : ou le produit est conçu (R&D), ou il est assemblé, ou il est emballé. Pour chacune des trois catégories un pourcentage serait rendu obligatoire. Bien sûr cela ne va pas dans le sens de l’intérêt des multinationales qui délocalisent mais dans le sens de la démocratie et de l’information du consommateur. Ainsi je suis sur que certain nous expliquerons tout le mal qu’ils pensent de cette proposition qui va contre leur intérêt purement financier et/ou idéologique.
    PS : Remarquons également que le bas prix des produits qui voyagent beaucoup tout au long de leur cycle de fabrication et de vente est en fait un hold-up sur la planète car si l’on payait au juste prix le CO2 dégagé par ce cycle ils couteraient chers. Le marquage concernant le CO2 dégagé par la fabrication de chaque produit est un premier pas vers l’information du consommateur et vers un choix possible de société.
    Mise à jour : Réponse aux lecteurs de ce billet :
    Réponses aux différents commentaires des lecteurs:
    1. “Calamity jane” demande ou partent les impôts des travailleurs des autres pays suite aux délocalisations françaises. Réponse: dans leur pays bien sûr, les délocalisations n'apporte rien à la France, peut-être enrichissent-elles les actionnaires français de ces entreprises, mais l'on sait que cela ne dure pas et que les plus riches actionnaires ne dépensent pas plus en gagnant plus, c'est donc de l'argent qui est réinvestit dans d'autres délocalisations potentiellement.
    2. “Conglomérat” dit qu'il est évident qu'il faille interdire les délocalisations. Réponse : ca c'est vraiment illusoire et penser que c'est possible dans un monde globalisé est très naïf. Il faut donc agir autrement.
    3. “S1LV3RSNAK3” pense que ce n’est pas possible d'acheter français avec un petit salaire. Réponse : c'est bien entendu faux. Certains produits français sont aussi peu chers que des produits importé et de meilleure qualité ! Comme l'indique le commentaire de "4 aout". Le tout est de savoir ou c'est réellement fabriqué, d'ou la proposition que je fais.
    4. “Mosca7” pense qu'il faut taxer aux frontières les produits importés. Réponse : Encore une utopie impossible dans un monde globalisé. Il faudrait sortir d'Europe et quand bien même la réaction des pays taxés serait de taxer nos produits en retours...
    5. “La lumière” pense que la solution est un gouvernement mondial. Réponse : cela ne résoudrait pas les inégalités mondiales (les délocalisations persisteraient mais s'appelleraient autrement puisqu'il n'y aurait qu'un seul pays) et aggraverait surement la corruption.
    6. “Sergio” se demande en quoi il est coupable de privilégier le made in France ? Réponse : en rien chaque consommateur fait se qu'il veut qu'on se le dise !
    7. “Patron heureux” aimerait bien installer des bureaux en Chine car cela voudrait dire que sont entreprise est forte. Réponse : Vous avez raison, c'est l'objet de l'évidence N°4.
    8. “paysan” trouve que je dénonce des évidences. Réponse : Bien entendu que nous savons tous cela depuis longtemps. Mais si vous êtes perspicaces, vous voyez bien que rien de sérieux n'a été fait, que la situation empire chaque jour et qu'il faut réagir à notre niveau déjà. Concernant le "ou délocaliser ensuite ?" que paysan demande, la réponse sera dans le prochain article à paraître le we prochain sur la désindustrialisation française.
    9. “Icare” demande que l'on ferme le marché Français et Européen aux entreprises qui délocalisent. Réponse : voir points 2 et 4
    10. “Valou” pense que lorsqu'il n'y aura plus de pouvoir d'achat pour les produits étrangers on pourra reconstruire. Réponse : Cela signifiera que la France sera devenu le plus pauvre de tous les pays, vu le nombre de pays pauvres, on a des centaines d'année à attendre... Ce n’est pas envisageable...
    11. “Ancelle” pense qu'il est juste de partager avec les pays pauvres. Réponse : je pense que ce lecteur n'a pas lu l'article en totalité, voir 6ième évidence.
    12. “Astrocon” pense l'étiquetage compliqué et espère beaucoup de l'augmentation des coûts de transports. Réponse : Ce n'est pas compliqué comme vous le dites puisque c'est en cours déjà pour les bilans carbones. Comme ce dernier en revanche, cela ajoute un surcoût. Oui les coûts de transport sont un espoir mais peu fiables : quand vont-il augmenter ? De combien ? Ne trouvera-t-on pas une énergie alternative pas chère ?
    13. “Richy” pense qu'on n'a pas le choix avec les centres d'appels. Réponse : Ils ne sont pas tous délocalisés, il est possible de donner son avis : j'ai eu affaire a une pannes ADSL et la hotline était manifestement délocalisée et inefficace (bien que payante !). J'ai fait une évaluation catastrophique de la prestation juste après, si les clients se plaignent tous, ca avancera un peu. Pour les produit ou on n'a plus le choix c'est en effet trop tard mais rien n'empêche, si le mouvement se développe, de recréer des usine en France de toute pièce, s'il y a des acheteurs, il y aura des vendeurs !
    14. “Raoul Blier” pense qu'il faut créer un site pour lister les produits français. Réponse : Tout a fait, ca existe déjà, une interview sur mon blog bientôt a ce sujet. Restez connectés.
    15. “Louise” pense que le boycott accélère les délocalisations. Réponse : bien sûr que c'est vrai mais n'oublions pas que si l'on achète plus un produit fabriqué a l'étranger c'est pour en acheter un en France (forcément). Donc on sauvegarde l'emploi français même si ce n’est pas les mêmes personnes...
    15. “Jdif” parle d'un porc "né au Canada, élevé en Australie, tué en Belgique et vendu en France". Réponse : je propose que les étiquettes indiquent les pourcentages pour cette raison. Avec un code de couleur en fonction des pourcentages. Dans le cas que vous citez, pour moi c'est clair : ce porc n'a rien de Français, 0% ! A éviter donc. Si l'étiquette était plus grise les pourcentages permettraient de choisir les moins français des produits.
    16. “Franz” pense que les gens ne se mobiliseront pas. Réponse : C'est en disant cela que durant des années NOUS avons laissé faire, tenté par des lecteurs de DVD à 19 Euros qui ne durent qu'un an et que l'on rachète chaque année donc. N'est-ce pas de l'achat à crédit qui tue l'emploi finalement ? Bougez vous au lieu de vos plaindre.
    17. “Franz” dénonce également les pratiques anticoncurrentielles consistant à refuser la reprise d'une entreprise délocalisée. Réponse : Très juste, cela manque à mon analyse et ne peut être réglé que par la voie politique. Les sites qui listent les produits français devraient lister les entreprises déloyales également. Quant à la TVA sociale proposée je pense qu'aujourd'hui ce n'est pas possible voir points 2 et 4.
    18. “Dan51” indique que “c’est n’importe quoi” que d’obliger les français à n’acheter que les produits français. Il indique que la politique du “Made In England” de 1887 s’était finalement transformée en achats massifs de produits Allemands de grande qualité. Réponse : Dan51 n’a pas bien lu l’article, s’il l’avait fait, il aurait vu que ce que je conseille est un affichage qui informe le consommateur, rien de plus. Je n’oblige personne à acheter quoi que ce soit, chacun réagit en son âme et conscience. Quant à l’histoire du “Made In England”, il n’est pas comparable car cela fait longtemps que l’on connait la qualité des produits Allemands et que ces derniers ne se privent pas aujourd’hui de marquer “Made in Germany”, il faut donc que nous fassions de même.
    19. “Alocer” dit que, étant au RMI il n’a pas le choix, le produits made in France étant bien trop chers. Réponse : Relisez bien l’évidence 4. Mais vous avez raison ce n’est pas aussi clair que cela, en fait. J’ai déjà vu de nombreux produits Français au même prix que des produits importés et pourtant de meilleure qualité. Pourquoi ? Car le but d’acheter à l’étranger, pour un distributeur, est d’augmenter sa marge. Pour ce faire il faut donc rester à un prix raisonnable car si l’on baisse le prix de vente d’autant que le prix d’achat a baissé, le bénéfice ne change pas (sauf si les ventes explosent, mais c’est assez aléatoire). C’est ainsi que même les marques de luxe fabriquent à l’étranger (parfois? souvent?), pour gagner plus avec un prix de vente élevé. Ainsi les prix, de nos jours, n’ont rien à voir avec la qualité du produit acheté (qui n’est pas liée à l’origine du produit)… Le seul problème est que nous ne le savons tout simplement pas, vu que l’étiquetage n’est pas obligatoire, changeons ca !

  • Soral dévoile l'arnaque de la dette publique

  • Comment manipuler les chiffres de la guerre ?

     

    Invité(s) :
    Henri Bentégeat, général (2s), ancien CEMA (2002-2006)
    Rony Brauman, essayiste, professeur à Sciences Po et ancien président de Médecins sans frontières
    Laurent Henninger, historien

    A lire, l'article du LIBYA HERALD du 7 janvier 2013 "Casualty figures exaggerated, says Ministry" 

    http://www.theatrum-belli.com

  • Le silence sur les travaux du Docteur Gernez La preuve du Complot Mondial contre la Sante

  • Essor de la « superclasse globale » (ou hyperclasse) et crise des classes moyennes.

    « La mondialisation heureuse » : la formule est de Dominique Strauss-Kahn ; elle est constamment rebattue dans les médias qui dénoncent les « dangers du protectionnisme ». Pourtant la réalité est plus complexe. S’il y a des gagnants dans la mondialisation, il y a aussi des perdants. Et derrière la loi des marchés, il y a de puissants réseaux de pouvoirs. Pour mieux cerner cette réalité complexe, le professeur Gérard Dussouy vient de publier un ouvrage magistral : Les théories de la mondialité . Polémia en fera une critique approfondie. Dans l’immédiat, nos lecteurs trouveront ci-dessous une analyse pertinente du conflit entre classes moyennes et superclasse mondiale.
    Polémia


    A la crise en gestation des classes moyennes fait face l’insolente réussite de cette « superclasse globale » que décrit David Rothkopf, et qu’il évalue à 6000 personnes pour six milliards d’humains (1). Hyperclasse vaudrait-il mieux écrire, en ce sens où dans son esprit, elle répond moins à la catégorie marxiste (caractérisée par une forte homogénéité et une relative solidarité) qu’à un réseau transnational d’élites aux origines multiples. Parce que mélange d’hommes d’affaires et des medias, banquiers, financiers, chefs d’entreprise, écrivains, journalistes, vedettes du show-business, Rothkopf pense en effet qu’elle est la juste transcription de ce que Vilfredo Pareto, et plus tard Wright Mills, caractérisait comme une « élite de pouvoir » (2).Il n’empêche que son dénominateur commun est l’argent puisque selon le rapport de l’ONU de 2006 qu’il cite, 10% de la population mondiale contrôlait 85% des richesses, 2% en possédaient la moitié et 1% en détenaient 40%. Son essor est donc directement lié au marché mondial parce que « la globalisation n’a pas seulement produit un marché sans frontières, mais aussi le système de classe qui va avec lui », écrit Jeff Faux (3). L’économie mondiale est en train de créer une élite globale, que celui-ci appelle le «  parti de Davos », et qui a fait depuis longtemps du cosmopolitisme un style de vie comme le montre bien Rothkopf dans son livre. Son vecteur est l’usage de plus en plus répandu de l’Anglais en liaison avec des pratiques professionnelles standardisées. A quoi s’ajoutent la référence commune aux mêmes sources d’information et la fréquentation des mêmes lieux de passage et de loisirs. Toutefois, cette culture commune n’est pas exempte des rapports de force et à l’abri d’un choc culturel interne ou d’un renversement d’influence. En effet, il serait naïf, et quelque peu condescendant, que de croire que la participation de plus en plus nombreuse d’Asiatiques à l’élite mondiale implique leur occidentalisation systématique (4). La montée en puissance des milliardaires issus d’Asie et d’autres régions du monde ne peut qu’engendrer un changement de valeurs, dans le sens par exemple d’une plus grande tolérance envers la corruption, et un repli des conceptions occidentales du monde, de la société, de la condition humaine. De ces constats dérivent deux conséquences majeures. D’abord, que les individus qui participent à la nouvelle élite mondiale ont plus d’intérêts en commun qu’ils n’en ont avec les classes moyennes ou pauvres dont ils partagent la nationalité. Le fossé se creuse parce que si dans le passé, en dépit des conflits interclasses, le travail et le capital allaient de pair, il n’en va plus du tout ainsi. C’est la notion même de société que la mondialisation rend caduque. Avec la dégradation des conditions de vie des peuples, une opposition de plus en plus nette se dessine entre ceux que Rothkopf appelle les « globalistes et nationalistes », c’est à dire l’oligarchie mondialiste, d’une part, et les multiples mouvements populistes à venir, d’autre part (5). Cette « ligne de faille politique du nouveau siècle » va traverser tous les Etats. A l’occasion de la grande crise qui s’annonce, elle pourrait susciter des changements politiques inattendus dans leur composition. Ensuite, l’hétérogénéité axiologique (celle des valeurs) de l’hyperclasse, qui n’existe que par et que pour l’argent, et, nous l’examinerons plus loin, la généralisation du communautarisme et des phénomènes d’ethnicisation à l’échelle globale, rendent inepte l’idée d’une société mondiale en devenir.

    Au centre de l’hyperclasse se tient l’élite financière. Elle contient les immenses fortunes privées et institutionnelles. Autour gravitent les élites de différents ordres qui sont autant de relais d’influence. Rothkopf décrit leurs liens, montre comment le pouvoir de l’argent, le pouvoir institutionnel, le pouvoir médiatique et le pouvoir politiques sont mobilisés et interconnectés pour que le monde aille dans la direction voulue. Il ajoute que si « aujourd’hui, les compagnies dominent la superclasse et que les Américains dominent parmi les leaders de ces compagnies », les choses sont en train de changer(6). Cela s’explique par la percée de nouveaux leaders issus des pays émergents. C’est que l’accès à l’hyperclasse est relativement ouvert, en tout cas plus qu’il ne l’était aux anciennes élites (7). La rapidité des fortunes est stupéfiante. Néanmoins, la porte reste étroite et l’auteur se demande si le conflit entre les partisans de la mondialisation et les peuples n’est pas inévitable, si les marchés se montrent toujours aussi injustes dans la distribution de la richesse, si sous l’apparence de la libre concurrence il n’existe toujours pas de véritable égalité des chances (8). D’autant plus qu’avec la crise les exaspérations vont grossir. Elles vont le faire, dans les pays développés, si la « dégringolade des classes moyennes » se poursuit (9), et si les allocations de retraite fondent avec les hedge funds comme cela est déjà le cas pour nombre de Britanniques (10) et dans les pays émergents, si l’arrêt de la croissance ruine les espérances et se double d’une crise alimentaire. Il y a fort à parier que la classe moyenne, dont Robert Rochefort explique qu’elle n’existe plus tellement elle s’est émiettée (11), rejoigne dans l’avenir les mouvements populistes. Maintenant qu’elle n’a plus rien à attendre de la mondialisation en termes de pouvoir d’achat comme le déplore le directeur du Credoc, parce que la faible progression des salaires en France et en Europe n’est plus compensée par la baisse spectaculaire des prix grâce aux importations de produits fabriqués en Chine(12). La poursuite du libre-échange ne fera qu’accentuer le sentiment de « déclassement » des classes moyennes constaté par Louis Chauvel (13), en raison de son dysfonctionnement reconnu par ses propres théoriciens.

    Gérard Dussouy Correspondance Polémia, 17/07/2009

    Extraits des pages 83 à 85 de l’ouvrage : Les théories de la mondialité : Traité de Relations internationales, (Tome 3), L’Harmattan, mai 2009.
    Gérard Dussouy est professeur de géopolitique à l’Université Montesquieu de Bordeaux.
    Notes:

    1 David Rothkopf, Superclass. The Global Power Elite And The World They Are Making, Londres, Little Brown, 2008, Preface, p.XIV et p. 29-33.
    2 Ibid., p. 37-39.
    3 Jeff Faux, The Global Class War, New York, John Wiley, 2006.
    4 David Rothkopf, op.cit. p.313
    5 Ibid., p.145-189.
    6 Ibid., p. 143.
    7 Ibid, « How to become a member of the Superclass », p.254-295.
    8 Ibid., p. 322.
    9 « Classes moyennes, la dégringolade », Le Point, 26 Juin 2008, p.74-82.
    10 Virginie Malingre « La crise boursière fragilise les régimes de retraite des Britanniques », Le Monde, 30.11.08.
    11 Le Point, op.cit., p.75.
    12 Ibid., p.75 et p. 81. « La société de consommation et les classes moyennes ont marché main dans la main jusqu’à la fin des années 90. Le divorce s’est produit lorsque le pouvoir d’achat s’est mis à stagner, tandis que l’innovation, elle, continuait » écrit Robert Rochefort qui distingue entre des « classes moyennes supérieures » et des « classes moyennes inférieures ».
    13 Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Paris, Seuil, 2007.

  • L’intervention militaire française au Mali vise-t-elle à assurer les intérêts d’Areva ?

    Les soldats français vont-ils risquer leur vie au Mali pour « la France » ? Pour empêcher « l’islamisation » de la région ? Pour défendre la « conditions des femmes et de la liberté d’expression », comme l’indiquait Bernard Kouchner sur BFMTV ce samedi, ou pour qu’Areva puisse obtenir les droits d’exploitation d’une mine d’uranium de 5’000 tonnes dans le sud-ouest du pays qu’elle convoite depuis de nombreuses années ?

    L’intervention française, baptisée « Opération Serval », du nom d’un félin africain, a été décidée après que les islamistes d’Ansar Edine ait pris plusieurs positions dans le sud du pays, notamment la région de Komma, et menaçaient de prendre la capitale Bamako, et donc d’avoir un contrôle total du pays.

    Une situation qui posait un problème à la France, non pas pour les raisons « humanitaire » si chères à Bernard Kouchner et autres BHL, mais plus vraisemblablement parce que la société Areva, groupe industriel français spécialisé dans les métiers du nucléaire, en particulier l’extraction de minerai d’uranium, bataille depuis plusieurs années pour obtenir l’exploitation de quelques 5’000 tonnes de minerai qui se trouvent à Faléa, une commune de 21 villages et 17’000 habitants, située dans une région isolée à 350 kilomètres de Bamako.

    L’histoire de l’exploration du sous-sol de la région de Faléa ne date pas d’hier : dans les années 1970, déjà, la Cogema (l’ancien nom d’Areva) et le Bureau de Recherche Géologique Minière en collaboration avec la société d’Etat malienne (SONAREM) avaient effectué travaux de prospection. L’exploitation n’avait pas semblé rentable à l’époque, notamment du fait de l’enclavement de la zone, des problèmes d’accès à l’eau et de l’énergie nécessaire au fonctionnement de la mine. Depuis, le contexte mondial a changé et c’est désormais une véritable « colonisation minière » qui se joue au Mali.

    Depuis 2005, la société canadienne Rockgate a été mandatée par le gouvernement malien afin d’effectuer des forages et recherches à Faléa. Rockgate a produit en 2010 un rapport préliminaire, qui a ensuite été complété par Golder Associates, une société internationale de « conseils dans les domaines connexes de l’énergie » qui indique « que le Mali offre un environnement de classe mondiale pour l’exploitation d’uranium ».

    Depuis 2011, Rockgate a mandaté l’entreprise française Foraco, basée à Marseille et cotée en bourse à Toronto, pour l’aider dans l’expansion des explorations et forages à Faléa.

    La France semble donc bien engagée sur le dossier de l’uranium malien. D’ailleurs, son ambassadeur, Christian Rouyer, déclarait il y a quelques mois « qu’Areva sera le futur exploitant de la mine d’uranium à Faléa. »

    De là à penser que l’intervention militaire française au Mali vise principalement à protéger les intérêts d’Areva, il n’y a qu’un pas.

    Spencer Delane, pour Mecanopolis