LE 14 JUILLET, verra-t-on sur la même tribune Ingrid Betancourt, l'otage la plus célèbre de ce début de millénaire, et le président syrien al-Assad, dont le père également président fut largement responsable, outre de l'attentat contre le Drakkar où furent massacrés 53 paras français, de l'enlèvement puis de l'interminable détention de nos otages du Liban dont l'un, Michel Seurat, y perdit la vie ? Ce ne serait que l'une des multiples incohérences, l'un des nombreux paradoxes dont cette affaire - au si heureux dénouement - est tellement riche, ainsi que de mystères.
❍ Il était entendu, y compris à l'Elysée, que la libération de Mme Betancourt, ex-épouse Delloye remariée au señor Lecompte, élue de gauche au Sénat colombien mais française par mariage (dissous), ne pourrait être acquise que grâce aux bons offices du président vénézuélien et national-bolchevique Hugo Chavez, seul à même de négocier avec les guérilleros des Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) dont Nicolas Sarkozy avait d'ailleurs salué le 5 décembre dernier le leader historique, « Monsieur Marulanda »... Dans le même temps où lui-même et Kouchner flétrissaient l'intransigeance du président Uribe vis-à-vis des rebelles marxistes - et mafieux. Mais "Ingrid" a été rendue à la liberté par un commando de l'armée nationale colombienne, si contestée par nos "élites" - y compris la famille Betancourt - lors d'une opération longuement pensée et rondement menée, « sans une égratignure ». À la grande joie de l'ancienne prisonnière saluant « Dieu, le président Uribe et nos soldats » d'un même souffle.
❍ Il était également entendu qu"'lngrid" était in articulo mortis et que toute semaine supplémentaire dans la jungle lui serait fatale. Mais, comme avant elle Florence Aubenas, journaliste à Libération et otage en Irak, la Colombienne est apparue dans une éblouissante forme physique et intellectuelle, restant debout des heures durant et s'exprimant longuement et avec une fluidité parfaite en français, langue qu'elle n'avait pas utilisée depuis six ans. Les examens pratiqués le 5 juillet au Val-de-Grâce ont d'ailleurs prouvé qu'elle se portait comme un charme. La photo diffusée fin novembre par ses geôliers et qui la montrait subclaquante était-elle un montage ou sa délivrance serait-elle survenue à une date antérieure, et dans des conditions bien différentes de la version officielle, de telle sorte que l'otage aurait eu le temps de se requinquer... et d'être débriefée par ses libérateurs ?
❍ Mais, justement, quelles ont été les conditions de cette libération miraculeuse ? Citant une « source proche des événements », la Radio Suisse Romande affirmait le 4 juillet que des dirigeants des FARC - en pleine crise après la mort de « Monsieur Marulanda » et les offensives colombiennes auraient touché 20 millions de dollars pour l'élargissement de quinze otages, dont trois agents du FBI bizarrement évaporés aussitôt que libérés et Ingrid Betancourt, et que l'opération de l'armée n'aurait été qu'une « mise en scène », Certes fort opportune alors qu'Alvaro Uribe, dont certains parents sont inquiétés par la justice, voudrait procéder à des élections anticipées. Mais d'où serait venu l'argent ? La France, dont « les caisses sont vides », démentait aussitôt avoir versé la moindre rançon. Il est possible que Washington, dont des agents auraient pris part à l'opération (de même que des conseillers israéliens) ait craché au bassinet et, de toute manière, Bogota - qui rejette les accusations helvétiques, émanant d'un "humanitaire" lié aux FARC n'a jamais caché utiliser une cassette pour le "retournement" des guérilleros. Reste l'étrange déclaration de l'ex-otage affirmant le même jour : « Je dois ma vie à ma douce France. Si la France n'avait pas lutté pour moi, je ne serais pas en train de faire ce voyage extraordinaire. » Faisait-elle allusion à la très imprudente proposition de l'Elysée d'accorder l'asile politique aux chefs des FARC dont la Colombie veut se débarrasser au plus vite ?
Quant au « voyage extraordinaire », c'est celui qui la conduisait à Paris à bord de l'Airbus présidentiel dans lequel avaient été dépêchés la veille à Bogota les jeunes Mélanie et Lorenzo Delloye-Bettencourt et bien sûr le ministre Kouchner, aussi fier et épanoui que s'il avait lui-même bravé les périls de la selva pour délivrer "Ingrid". Un gaspillage de kérosène qui n'a pas semblé gêner celle qui s'était présentée en 2002 à la présidentielle colombienne sous les couleurs du parti Oxygène Vert - et était alors créditée d'un maigre 1 % des voix. Il est vrai que, malgré les épreuves subies, elle « ne regrette pas » davantage la folle imprudence qui l'avait fait s'aventurer alors dans une région contrôlée par les FARC bien que l'armée eût tout mis en œuvre pour l'en dissuader. « Si c'était à refaire, je le referais », confiait-elle le 3 juillet sur France 2.
CELA suffit-il à faire une "héroïne" de cette aristocrate cosmopolite qui, par son assurance, sa classe et sa détermination, rappelle étrangement une autre « fille de », Indira Gandhi dont elle pourrait connaître désormais le fabuleux destin ? Dès à présent, ses plus frénétiques sectateurs n'hésitent pas en tout cas à la qualifier de « Jeanne d'Arc » et à exiger que lui soit décerné le prochain Nobel de la Paix.
Pendant six ans, nous avons assisté en direct à une prodigieuse opération de sidération destinée à nous convaincre de la sainteté de cette nouvelle madone des descamisados et de l'obligation de tout faire pour la délivrer. Pas seulement à Paris mais jusqu'au fin fond des provinces, ses portraits encombraient le fronton des mairies, droite et gauche se disputaient la propriété de cette version "française" du Che Guevara, dont les media répercutaient le plus léger soupir, eux qui n'avaient jamais accordé le moindre intérêt aux milliers de nos compatriotes enlevés en Algérie à l'été 1962. Femmes et adolescentes comprises telle Denise Chasteau, 15 ans, à tout jamais disparue - en même temps que son frère Alain (16 ans) et que son père Roger (48 ans), pourtant haut fonctionnaire de la République.
L'entreprise de sidération se poursuit afin que nul ne pose une question gênante, ne s'interroge sur une zone d'ombre, mais elle se double aujourd'hui d'une non moins spectaculaire entreprise de récupération. Déjà plébiscité par 82 % des Colombiens à la veille de l'opération salvatrice, Alvaro Uribe compte bien capitaliser sur le happy end du 2 juillet (encore qu'il reste encore 800 otages) pour obtenir les moyens d'un troisième mandat présidentiel. Mais il n'est pas seul à faire ce calcul. Qu'on se le dise : même si les grotesques tentatives de libération lancées par Villepin en 2003 puis par le tandem Sarkozy-Kouchner en février dernier ont lamentablement foiré, c'est à la patrie des Droits de l'homme et à elle seule qu'on doit le retour d'"lngrid" dans le monde des vivants. Ayant accusé a bon droit Sarkozy de se parer des plumes du paon colombien, Ségolène Royal s'est ainsi fait sévèrement tancer, y compris par ses "amis" du Parti socialiste. En commençant par Jack Lang et Bertrand Delanoë (qui avait fait de l'otage une citoyenne, d'honneur de la ville de Paris), bien décidés à battre du tambour dans le cirque Betancourt.
Mais c'est évidemment le chef de l'Etat qui, chahuté dans les tumultes de l'Union européenne alors qu'il en prend la présidence, en butte à l'hostilité à la fois des armées et de l'audiovisuel public cabrés devant son arrogance et son autoritarisme brouillon, et à nouveau en chute libre dans les sondages (33 % seulement d'opinions favorables, soit une perte de 4 points en un mois selon le baromètre TNS-Sofres/Figaro Magazine : on est loin du 90 % atteint par Uribe le 7 juillet), entend tirer le plus gros bénéfice de la présence en France de Mme Betancourt. Nicolas serrant dans ses bras la nouvelle « Jeanne d'Arc », laquelle exprime toute sa gratitude et toute son "admiration" à « cet homme extraordinaire qui a lutté pour moi », telle est l'image qu'un président dévalué veut absolument imposer de lui au sommet du G8 au Japon du 7 au 9 juillet, puis à Paris dimanche prochain au sommet de l'Union pour la Méditerranée (où, comble de la félicité, l'indispensable Bouteflika a finalement consenti à venir). Sidération encore, et récupération.
Le coup de com' réussira-t-il à faire oublier aux Français leur paupérisation croissante et les incessants tracas dus à ces grèves non moins incessantes mais dont, prétend Sarko, « personne ne s'aperçoit plus » ? Jusqu'à présent, le chef de l'Etat a beaucoup joué de l'« atout femme ». Sans grand succès.
✍ Rivarol du 11 juillet 2008
<galic@rivarol.com>.
- Page 48
-
Lien permanent Catégories : actualité, géopolitique, international, lobby, magouille et compagnie 0 commentaire
-
Deux géants dans le siècle : Jünger Heidegger
Jünger et Heidegger se côtoyaient. Leurs idées aussi. La correspondance qu'ils ont nouée, enfin traduite, vient éclairer ce qui les rapprochait et les éloignait.
Suivez Alain de Benoist, le meilleur des guides dans les arcanes de ces deux pensées !
Quand deux grands hommes - et quels grands hommes, en l'occurrence le plus grand philosophe et l'un des écrivains les plus importants du XXe siècle ! - s'écrivent, de quoi parlent-ils ? Pas toujours de choses grandioses : ils échangent aussi des formules de politesse, se tiennent informés de leurs publications et de leurs déplacements, évoquent les préoccupations de la vie quotidienne. Mais de temps à autre, le ton s'élève. Et cela devient parfois sublime, comme lorsque Heidegger, consulté par Jünger en 1956 à propos du sens exact d'une maxime de Rivarol, lui répond par un véritable cours de philosophie, stupéfiant de profondeur, à propos de la notion de temps et de celle de mouvement.
La correspondance échangée par Ernst Jünger et Martin Heidegger commence en 1949, à propos d'un projet de revue qui se serait appelée Pallas et aurait eu pour directeur l'essayiste Armin Mohler (qui fut de 1949 à 1953 le secrétaire particulier de Jünger). Ce projet ne verra jamais le jour - mais Jünger créera par la suite, en compagnie de l'historien des religions Mircea Eliade, une autre revue intitulée Antaios. Cette correspondance se poursuivra jusqu'à la mort de Heidegger, en mai 1976. Parue en Allemagne en 2008, en voici l'édition française, remarquablement traduite, présentée et annotée par Julien Hervier. Elle offre un plaisir de lecture d'une espèce rare.
C'est l'année précédente, à la fin de l'été 1948, que Jünger a pour la première fois rencontré Heidegger, dans sa maison forestière de Todtnauberg. Il écrira plus tard : « Dès l'abord, il y eut là quelque chose - non seulement de plus fort que le mot et la pensée, mais plus fort que la personne même » (Rivarol et autres essais).
On est alors dans l'immédiat après-guerre, période triste et pénible où les deux hommes ont le sentiment de se heurter à une chape de plomb. Jünger, le 25 juin 1949, aura cette phrase superbe : « Au cours de ces dernières années, il est devenu très clair pour moi que le silence est la plus forte des armes, à condition que se dissimule derrière quelque chose qui mérite d'être tu ».
Mais ce qui frappe le plus, en lisant ces lettres, c'est la différence de ton entre le philosophe et l'écrivain. Tous deux ont l'un pour l'autre une admiration réelle, mais intellectuellement Heidegger domine de toute évidence son interlocuteur. Jünger ne porte d'ailleurs pas la moindre critique envers Heidegger, alors que la réciproque n'est pas tout à fait vraie.
Du Travailleur à la question de la Technique
Jünger, en fait - contrairement à son frère, Friedrich Georg Jünger-, n'a pas l'esprit véritablement philosophique. Il avoue à demi-mot que l'œuvre de Heidegger, qu'il connaît mal, lui échappe en partie. En novembre 1967, il note : « Vos textes sont difficiles et à peine traduisibles : aussi suis-je toujours étonné par l'influence qu'ils exercent sur les Français intelligents ». De toute évidence, Jünger a plus été marqué par le charisme intellectuel de Heidegger que par sa pensée proprement dite. Il est aussi plus porté aux voyages, plus désireux d'entretenir des relations avec ses contemporains. Heidegger est plus réticent à bouger, plus étranger à la vie «sociale» plus préoccupé de l'essentiel. Lao-Tseu disait à propos du sage : « Il n'agit pas, mais il accomplit ».
Heidegger a d'ailleurs dit explicitement que Jünger n'est pas à ses yeux un «penseur» (Denker). Il est un homme qui théorise à partir de son expérience, à partir de ce qu'il a vu et vécu (à commencer par l'expérience des tranchées de la Première Guerre mondiale), mais non à partir de ce qui peut seulement être pensé. Jünger, en d'autres termes, a des idées plus qu'il n'a une pensée. Il est un Erkenner, un homme qui «reconnaît», plus préoccupé de dégager une « nouvelle optique » que de parvenir à de « nouvelles vérités ». C'est pourquoi, dit Heidegger, « il n'a pas la moindre idée de ce qui advient dans la "chosification" du monde et de l'homme. Le stade ultime où accède sa connaissance reste psychologique et moral [...] Il reste toujours dans la métaphysique [...] Du fait que Jünger ne voit pas ce qui est uniquement "pensable", il considère cet accomplissement de la métaphysique dans l'essence de la volonté de puissance comme l'aube d'une époque nouvelle, alors qu'il ne constitue qu'un prélude à la décrépitude rapide de toutes les dernières nouveautés, vouées à sombrer dans l'ennui d'un néant d'insignifiance où couve cet abandon de l'Être qui est propre à l'étant ». Langage difficile ? On va y revenir.
Heidegger, en tout cas, s'est intéressé de longue date à Jünger. En 1932, la lecture du grand livre théorique de l'ancien combattant du front, Le Travailleur, a retenu son attention comme l'ont fait peu d'autres ouvrages. Durant l'hiver 1939-1940, à l'Université de Fribourg, il a même consacré à ce livre tout un séminaire qui a fait date. L'ensemble des textes qu'il a écrits sur Jünger, réunis dans un volume de près de 500 pages paru en Allemagne en 2004 (c'est le volume 90 de ses œuvres complètes, toujours en cours de publication chez Vittorio Klostermann !), en témoigne éloquemment.
En Jünger, Heidegger admire celui qui a compris le monde à partir de la volonté de puissance, et a mis en lumière le rôle que joue la Technique dans cette perspective. La Figure du Travailleur est en effet présente au monde sous la forme de la puissance. C'est par là qu'elle se relie à la problématique de la « mobilisation totale » dont la Technique est le moteur et l'instrument. C'est en référence directe au Travailleur que Heidegger écrira : « Le Travail [...] accède aujourd'hui au rang métaphysique de cette objectivation inconditionnelle de toutes les choses présentes, qui déploie son être dans la volonté de volonté » (Essais et conférences).
Nietzsche, Jünger et Heidegger
Lecteur admiratif de Jünger, Heidegger est aussi un lecteur critique. Le dialogue que les deux hommes ont entretenu, souvent de façon indirecte, l'atteste sans équivoque. Sur le fond, c'est la lecture parallèle des textes qu'ils se sont mutuellement dédiés à l'occasion de leur 60e anniversaire respectif - « Passage de la ligne » (Über die Linie), texte rédigé par Jünger en 1950, et « Contribution à la question de l'Être » (Über « die Linie »), écrit cinq ans plus tard par Heidegger - qui illustre le mieux ce qui les sépare. L'un et l'autre textes portent sur l'essence de la technique moderne et le sens à accorder à la notion de nihilisme. On y constate que Nietzsche constitue le pôle central de la relation de pensée entre Heidegger et Jünger.
Dans son texte de 1950, Jünger prend en effet la pensée de Nietzsche comme point de départ d'une tentative d'évaluation du nihilisme contemporain. Il conclut, avec une sorte d'optimisme, que le pire est passé. Le monde moderne, dit-il, a passé le « point zéro », c'est-à-dire la ligne de crête du nihilisme, tandis que Heidegger affirme, au contraire, que ce monde est plus que jamais plongé dans un « oubli de l'Être » dont il n'est possible de sortir que si l'on abandonne le langage de la métaphysique ( « la ligne zéro, où l'accomplissement touchera à sa fin, n'est finalement pas encore visible le moins du monde »).
Sans trop entrer dans des détails abstraits, un rappel s'impose ici. Dans les deux volumes rassemblant ses cours sur Nietzsche (1936-1946), Heidegger estime que l'auteur d'Ainsi parlait Zarathoustra, s'il clôt le cycle de la métaphysique occidentale, y reste malgré tout enfermé lui-même. La volonté de puissance, à ses yeux, n'est que « volonté de volonté », c'est-à-dire subjectivité exacerbée (c'est une « volonté d'elle-même », une volonté qui prend appui sur elle-même en même temps qu'elle se pose comme son propre objet). L'époque moderne du déclin est celle de l'achèvement de la métaphysique sous la forme de la métaphysique de la volonté, dont Nietzsche est le dernier représentant. Pour Nietzsche, finalement, « puissance et volonté ont un sens identique ». Heidegger, lui, appelle à penser par-delà la métaphysique nietzschéenne de la volonté de puissance, cette métaphysique moderne de la subjectivité dont Jünger reste tributaire.
Heidegger n'en a pas moins la plus haute opinion de Nietzsche. Et de Jünger. Il appelle seulement à penser plus loin. Ernst Jünger, il faut aussi le souligner, est d'ailleurs l'un des très rares auteurs avec lesquels Heidegger ait accepté, après 1945, d'entretenir un dialogue suivi, ce qui n'est assurément pas rien.
Pour les 80 ans de l'auteur d'Orages d'acier, Heidegger lui envoya ce message : « Demeurez, avec le lumineux esprit de décision dont vous avez toujours fait preuve, sur la voie très particulière de votre dire ». Un genre de propos qu'on imagine mal aujourd'hui véhiculé par SMS ou par courriel !
Alain de Benoist Le Choc du Mois mai 2010
◗ Ernst Jünger et Martin Heidegger, Correspondance 1949-1975, Christian Bourgois, 171 p., 16€. -
Les écrivains rebelles Paul Morand
Paul Morand vient au monde le 13 mars 1888, à Paris. Son père, Eugène Morand, cultive, en marge d'une carrière de haut fonctionnaire des Beaux-Arts, des talents de peintre, de graveur et d'auteur dramatique estimé. Ses amis se nomment Auguste Rodin, Stéphane Mallarmé, Marcel Schwob, Henri de Régnier, Segonzac... À la question : « Que voulez-vous faire de votre fils ? », il répondit : « Un homme heureux ». Parmi ses maximes favorites, que le jeune Paul retiendra, notons : « Il est plus facile de se passer des choses que de perdre son temps à les acquérir » ou encore « Dieu a raté ce monde, pourquoi voudrait-on qu'il ait réussi l'autre ? » Enfant unique, protégé, Paul Morand n'aime ni les contraintes, ni les conformismes, et les études l'ennuient. C'est un élève distrait plus attiré par les ballades dans Paris que par la contemplation d'un tableau noir. Il se passionne pour les écrivains esthètes (Marcel Schwob) ou sulfureux (Oscar Wilde). Il acquerra au contact des pessimistes, tels Renan, Maupassant, Schopenhauer, une vision du monde sans illusions, que d'aucuns qualifieront de cynique. Pessimiste, peut-être, mais pessimiste actif...
Sa vision de la vie le rapproche davantage de Nietzsche que de Cioran, tant son désabusement s'accompagne d'une formidable fringale de vie. Après son échec à l'oral de philosophie, en 1905, il devient d'un coup un élève sérieux, avec l'aide d'un précepteur prestigieux, Jean Giraudoux, et terminera premier au concours du Quai d'Orsay. Il débute ainsi dans la Carrière. Il va beaucoup voyager, au gré de ses affectations et va écrire de nombreux livres, récits de voyage, romans, nouvelles. Il a le génie de la formule qui fait mouche, sait animer un récit et décrit avec une grande finesse les pays traversés et les personnages rencontrés. Il écrira même des articles dans Le Figaro. Son style est syncopé, rapide, ses métaphores brutales. Il porte un regard froid sur le monde et évite tout jugement moral. Il dira : « Je suis simplement un écrivain et comme le Danube je charrie impartialement des cadavres et des fleurs. » Incapable de tenir en place, il finit par se mettre en congé des Affaires étrangères afin de satisfaire son besoin d'errance. Il commentera : « Ce n'est pas par avidité que je suis pressé, mais au contraire parce que je ne tiens pas assez aux choses pour les désirer longtemps. » Il aimait citer Gassendi : « Je suis né sans savoir pourquoi, j'ai vécu sans savoir comment. Je meurs sans savoir pourquoi ni comment. »
Morand, qui s'était tenu à l'écart de tout engagement politique estime en 1943 de son devoir de s'engager. Il est nommé, après le retour de Pierre Laval au gouvernement, ambassadeur de France en Roumanie, pays de son épouse. Jean Jardin, l’éminence grise de Laval, favorise son départ de Bucarest en 1944 devant l'avancée des troupes soviétiques, et le fait nommer en Suisse. Beaucoup, dont De Gaulle, ne lui pardonneront pas cette collaboration avec le régime de Vichy. La lecture de son Journal inutile conforte l'image d'un nostalgique de Vichy, antisémite, raciste et homophobe, que révulsent la France et l'Europe contemporaines. Contraint à l'exil à Vevey, en Suisse, durant dix ans, il sera cependant autorisé à revenir en France en 1955 et sera réintégré dans son corps d'origine. Il avait écrit : « L'exil est un lourd sommeil qui ressemble à la mort. » Il deviendra, avec Jacques Chardonne, le protecteur de cette nouvelle génération d'écrivains qu'on appellera les Hussards. De Gaulle, qui avait la rancune tenace s'était opposé à son élection à l'Académie française. Morand l'appelait avec mépris, dans sa correspondance avec Chardonne, "Gaulle". Il devra attendre 1968 pour que le veto soit levé et sera élu au fauteuil de Maurice Garçon le 24 septembre 1968, mais le chef de l'État, contrairement à la tradition, ne le recevra pas. Il meurt le 23 juillet 1976 à Paris, un an et demi après son épouse. Conformément aux dispositions de son testament, leurs cendres furent mêlées et déposées à Trieste. Il avait écrit dans Venises : « Là j'irai gésir, après ce long accident que fut ma vie. Ma cendre, sous ce sol, une inscription en grec en témoignera ; je serai veillé par cette religion orthodoxe vers quoi Venise m'a conduit. » Roger Nimier l'avait prédit : « Un jour il bondira, vieux sportif dans la mort ».
R. S. RIVAROL 11 JANVIER 2013 -
Napoléon III et l’Europe (partie 2)
La politique étrangère de Napoléon III a toujours suivi trois grands objectifs : le premier, ramener la France au rang des grandes puissances par l’abolition des traités de 1815 ; le deuxième, faire coïncider autant que possible les territoires avec les nationalités (l’union italienne) ; le troisième, mettre fin aux grandes guerres en favorisant le règlement des conflits par la négociation dans le cadre de congrès qui se réuniraient régulièrement. Napoléon III a réussi le premier objectif qu’il s’était fixé, le second s’est retourné contre lui (l’union allemande), il s’est montré visionnaire pour le troisième avec la mise en place plus tard de la Société des Nations.
I. L’Europe de Napoléon III
Après la chute du Premier Empire, les Alliés avaient érigé au congrès de Vienne un nouvel équilibre européen dirigé contre la France, et maintenu par la Sainte-Alliance (Empire russe, Empire d’Autriche, royaume de Prusse). Ce nouvel ordre européen était insupportable aux Français et Napoléon III dut une grande partie de sa popularité à sa volonté de la remettre en cause. Les traités de 1815 furent effectivement abolis de fait par l’intervention de l’empereur en Italie pour y chasser l’Autriche, par le rattachement de la Savoie et de Nice.
Napoléon III voulut ainsi assurer à la France un rôle de premier plan en Europe en prenant la tête d’un mouvement général de révision des frontières de 1815. L’empereur n’oublie pas la France : il s’agit de remodeler l’Europe pour y développer l’influence française. En outre, la France pourrait obtenir en compensation justifiés par le principe des nationalités : Nice, la Savoie, la Belgique, le Luembourg et éventuellement le rive gauche du Rhin.
En l’Italie, Louis-Napoléon soutient le Piémont mais il préfère à l’unification pure et simple une confédération composée du Piémont au Nord, de Naples au Sud et du Pape eu centre, président de la Confédération. Pour l’Allemagne, l’idéal de l’empereur est une confédération à trois têtes, avec l’Autriche, les États du Sud regroupés autour de la Bavière et la Prusse au Nord. La France pourrait contrôler la confédération allemande par le biais des États du Sud francophiles et pénétrer l’Italie par le Piémont. Cavour et Bismarck ne purent évidemment pas accepter une autre idée que l’unité pure et simple.En revanche, ce que Napoléon III ne remit pas en cause dans les traités de 1815 fut le « Concert européen ». Une entente cordiale devait se former entre les nations européennes par le biais de congrès réguliers. Le Congrès de Paris en 1856 marqua le triomphe de la France : la question des nationalismes fut clairement posée, la Russie y fut mise à la marge, on discuta des Balkans (Serbie, Moldavie et Valachie reçurent la protection de l’Europe). En 1862, la Roumanie sera formée et devra en grande partie son existence à Napoléon III.
La fin du morcellement européen et l’application du principe des nationalités sont également perçues comme un moyen de pacifier l’Europe, et de faire face à la montée en puissance des États-Unis et de la Russie. « Une Europe plus fortement constituée, rendue plus homogène par des divisions territoriales plus précises est une garantie pour la paix du continent et n’est ni un péril ni un dommage pour notre nation… Tandis que les anciennes populations du continent, dans leurs territoires restreints, ne s’accroissent qu’avec une certaine lenteur, la Russie et les États-Unis d’Amérique peuvent, avant un siècle, compter chacun 100 millions d’hommes… Il est de l’intérêt prévoyant des nations du centre européen de ne point rester morcelées en tant qu’États divers sans force et sans esprit public. » (circulaire La Vallette, septembre 1866).
II. Napoléon III et la Grande-Bretagne
Victoria (1870).L’empereur connaissait bien l’Angleterre puisqu’il y passa une partie de ses années d’exil : cinq séjours entre 1831 et 1848 qui représentèrent une durée totale de quatre années et onze mois. Il y a été impressionné par le développement industriel et par son système politique (qu’il jugea cependant non importable en France). Au pouvoir, il sut qu’il ne pourrait pas abolir les clauses des traités de 1815 relatives à la France sans l’appui anglais. L’alliance avec la Grande-Bretagne va rester tout au long de son règne l’un des piliers de sa politique extérieure.
La Russie donna l’occasion à Napoléon III de se rapprocher de Londres. La grande ambition des Tsars était le démantèlement de l’Empire ottoman, « l’homme malade de l’Europe », avec une expansion jusqu’à Constantinople. Ni Paris ni Londres ne pouvaient accepter la perspective d’une mainmise du tsar sur les Balkans. Les deux pays s’allièrent dans la guerre de Crimée (1854-1856), victorieuse mais coûteuse en hommes.
Napoléon III et Eugénie vont se rendre en Grande-Bretagne en avril 1855 et Victoria et le prince Albert vont venir en France en août. Les deux voyages furent de grands succès populaires. A l’occasion du second, Victoria se rendit aux Invalides où elle s’inclina devant le tombeau de Napoléon Ier. Napoléon III et Victoria resteront de véritables amis jusqu’à la mort du premier.
Les relations avec la Grande-Bretagne se dégradèrent suite à la guerre en Italie (Victoria et Albert étaient plutôt favorables à l’Autriche) et surtout suite à l’annexion de Nice et de la Savoie. Les Anglais, se souvenant des guerres de la Révolution et de l’Empire (la Savoie devint un département français en 1792 et Nice en 1793, jusqu’à la chute de l’Empire), redoutèrent de futures annexions. Napoléon III redevenait impérialiste comme son oncle. Une bonne entente se rétablit néanmoins les années suivantes, surtout à partir de 1866, la reine Victoria devenant une farouche opposante à Bismarck. Mais la Grande-Bretagne, sa petite armée essentiellement stationnée aux Indes (révolte des Cipayes en 1857) et au Canada (menace de la guerre de Sécession), et sa marine vieillie ne purent venir en aide à l’empereur lors de la guerre franco-prussienne, d’autant que le premier ministre Gladstone (depuis 1868) était résolument isolationniste.
Lors de l’exil, les Anglais montreront leur sympathie pour l’empereur déchu. Au soir de la disparition de Napoléon III (1873), Victoria écrivit dans son Journal : « … (il était) le plus fidèle allié de l’Angleterre … »
III. Napoléon III et l’Italie
Napoléon III (Dedreux, 1858).Dans sa jeunesse, Louis-Napoléon, à défaut de pouvoir combattre pour son pays (il était frappé par la loi d’exil), fit ses armes en Italie avec son frère Napoléon-Louis aux côtés des carbonari en faveur de l’unité italienne. En 1848, la péninsule a été le théâtre d’une flambée révolutionnaire et d’une révolte contre l’Autriche, qui occupe alors le Nord-Est. Le ministre Cavour de Victor-Emmanuel II, roi du Piémont-Sardaigne, entama une politique de rapprochement avec la France, Napoléon III étant resté sensible à son engagement de jeunesse et les Français étant foncièrement austrophobes.
Napoléon III voyait dans une intervention l’occasion de restaurer le prestige de la dynastie et de la France, de se faire le champion du principe des nationalités et de se rapprocher avec l’Italie. Dans son entourage, peu de monde était contre cette idée, à part l’impératrice et surtout Charles de Morny, son demi-frère, « numéro 2 » de l’Empire, qui craignait que le mouvement d’unification italienne ne contamine l’Allemagne. L’avenir lui donnera raison.
Napoléon III demeura très hésitant, et c’est l’attentat d’Orsini (1858) qui rangea définitivement l’empereur dans le camp pro-piémontais. Le couple impérial fut victime d’un attentat devant l’Opéra, et s’en sortit miraculeusement indemne. Orsini, patriote italien, voulait renverser l’Empire, pensant qu’une République serait plus favorable à la cause italienne. Avant de passer sur l’échafaud, il cria « Vive l’Italie ! ». Cavour et l’empereur eurent une entrevue secrète à Plombières (Vosges), les 21 et 22 juillet 1858. Ils se mirent d’accord sur la création d’un royaume de Haute-Italie réunissant, outre le Piémont et la Sardaigne, la Lombardie et la Vénétie (pris à l’Autriche) et les duchés de Parme et de Modène.
Avant d’entrer en guerre, la France s’assura de la neutralité de la Prusse et de la Russie. C’est François-Joseph, pressé par son état-major, qui déclare la guerre le premier, le 27 avril 1859. L’Autriche aligna 150.000 hommes, le Piémont 60.000 et la France 100.000. Le début de la campagne commença dans l’improvisation la plus totale pour les Alliés (manque de cartouches, de tentes et de vivres). Une première victoire fut remportée difficilement à Palestro le 30 mai. C’est à Magenta, le 4 juin, qu’eut lieu la première grande bataille, longtemps indécise, qui se termina par la victoire des Franco-piémontais. Victor-Emmanuel et Napoléon III firent une entrée triomphale à Milan le 8 juin.
Napoléon III à la bataille de Solférino (Jean-Louis-Ernest Meissonier, 1863).François-Joseph décida alors de prendre le commandement de l’armée en personne, et augmenta ses effectifs (250.000 hommes). Le 24 juin, une seconde grande bataille se déroula à Solférino. Les Franco-piémontais y remportent la victoire au prix de lourdes pertes : 40.000 morts dans la bataille dont 17.500 Français. L’empereur fut choqué par la vue du champ de bataille selon le témoignage du général Bourbaki. La Prusse se fit menaçante en mobilisant sur le Rhin. Désireux aussi de ne pas trop affaiblir l’Autriche qui deviendrait alors une proie facile pour la Prusse, il signa l’armistice avec François-Joseph le 8 juillet 1859.
Mais la campagne d’Italie ne fut satisfaisante pour personne. De nouvelles insurrections patriotiques éclatèrent en Italie centrale, qui menacèrent le pouvoir temporel du pape. Les Italiens auraient aimé poursuivre la guerre (la Vénétie resta autrichienne). Pour les républicains français et les patriotes italiens, Napoléon III n’est pas allé assez loin. Pour les catholiques qui rendent l’empereur responsable des agitations dans les territoires pontificaux (aboutissant à un dépeçage), il est allé trop loin. Le royaume de Piémont-Sardaigne rétrocéda à la France ses anciennes possessions de Nice et de la Savoie, ratifiées par deux plébiscites (1860).
IV. Le responsable de la guerre de 1870 ?
Le couple impérial (1865).Depuis 1866 et la défaite de l’Autriche face à la Prusse, Bismarck voit le Second Empire comme le principal obstacle à l’unité allemande. Il fallait pourtant au chancelier une raison valable de déclarer la guerre, et endosser si possible le rôle de la victime : Bavarois et Rhénans étaient francophiles et aimaient sincèrement l’empereur des Français. Le pacte de défense entre la Confédération de l’Allemagne du Nord et les États du Sud ne jouait que dans le cas d’une agression étrangère.
L’Espagne permit à Bismarck de parvenir à ses fins. En 1868, l’Espagne chassa la reine Isabelle II et son fils Alphonse du trône, et la junte au pouvoir à Madrid se mit en quête d’un nouveau souverain. Bismarck avanca la candidature de Léopold de Hohenzollern, qui servait comme colonel dans l’armée prussienne. Napoléon III ne peut pas accepter cette candidature qui placerait la France dans un état d’encerclement mal toléré par l’opinion. Le roi de Prusse Guillaume Ier se montra réticent au souhait de Bismarck et Léopold refusa de se porter candidat.
Bismarck ne s’en tint pourtant pas là. Il relança la candidature de Léopold sans en avertir le roi de Prusse. Cette nouvelle fut délivrée le 2 juillet 1870 par un communiqué de l’agence France-Presse. Les jours qui suivent, la presse – tant bonapartiste que d’opposition – se déchaîna, réclamant la guerre pour sauver l’honneur de la France. Pourtant, le 12 juillet, la candidature de Léopold fut retirée. « Je suis heureux que tout se termine ainsi. Une guerre est toujours une grosse aventure » dit l’empereur. A Berlin, le même jour, convaincu par Moltke, Roon et le ministre de l’Intérieur Eulenbourg, Bismarck décida une guerre d’agression ! Moltke et Roon voulaient déclarer la guerre immédiatement, le chancelier jugea encore prudent d’attendre un peu avant de la déclarer, au cas où…
Il est donc important de savoir que la guerre fut décidée à Berlin, avant même d’être décidée à Paris !
Précisons que l’empereur était alors très affaibli physiquement et mentalement : atteint d’un calcul de vessie, il souffrait de syncopes, de crises de fièvre, de pertes de sang dans les urines. Les traitements contre la douleur le faisaient somnoler des journées entières…A Paris, l’empereur fut vivement impressionné par les manifestations de rues, plus ou moins spontanées, hostiles à la Prusse et la ferveur patriotique de Paris. Paris qui n’est pas la province, cette dernière voulant profondément la paix, mais les préfets n’expédiaient leurs rapports que tous les 15 jours. 36 ans plus tard, Eugénie affirmera : « Reculer, transiger, nous ne le pouvions pas, nous aurions soulevé contre nous le pays tout entier !… On accusait déjà notre faiblesse ; un mot terrible arrivait jusqu’à nous : « La candidature Hohenzollern, c’est un second Sadowa qui se prépare ! » ». Puis, poussé à la guerre par les bellicistes (le ministre des Affaires étrangères Gramont, le maréchal Leboeuf, le général Bourbaki, et Eugénie), il l’accepta. L’impératrice en particulier, par son influence, tint un grand rôle dans le déclenchement du conflit : « Cette victoire qui n’a coûté ni une larme ni une goutte de sang sera pour nous la pire des humiliations ! Si la Prusse refuse de se battre, nous la contraindrons, à coups de crosse dans le dos, à repasser le Rhin, et à évacuer la rive gauche ! C’est une paix sinistre que celle dont on parle depuis vingt-quatre heures. »
Le général Bourbaki, réputé être un bon connaisseur de la Prusse, affirma que « Sur dix chances, nous en avons huit ! ». Leboeuf déclara de même : « La guerre avec la Prusse est inévitable, dans un avenir plus ou moins proche. Nous sommes prêts, notre ennemi ne l’est pas [!]. Nous avons une armée superbe, admirablement bien disciplinée ; nous ne retrouverons jamais pareille occasion. De Paris à Berlin, ce sera une promenade, la canne à la main. » Napoléon III et Gramont rédigèrent une garantie à expédier par télégraphe à Ems. Bismarck tint alors enfin ce qu’il souhaitait : si le roi de Prusse confirma à la réception du courrier la renonciation de Léopold au trône d’Espagne, Bismarck put rédiger sa célèbre dépêche, œuvre de désinformation diffusée dans toute l’Europe, qui sonna comme une insulte à la France.
La fausse dépêche arriva le 15 juillet 1870 à Paris, et le Corps législatif vota la guerre à la quasi-unanimité (245 voix – dont celles de tous les républicains – contre 10 ; parmi les dix, celle d’Adolphe Thiers), décision que Napoléon III ne fit qu’entériner. Les républicains avaient pourtant repoussé en 1867 un projet de réforme militaire allongeant la durée du service militaire, et donc permettant d’augmenter les effectifs. Même Gambetta, qui entendait dans sa profession de foi aux élections de 1869 dissoudre l’armée de métier, vota la guerre… Le 19 juillet, la guerre fut officiellement déclarée. Napoléon III déclara le 22 : « Il y a dans la vie des peuples, des moments solennels où l’honneur national, violemment excité, s’impose comme une force irrésistible […] C’est la nation tout entière qui, dans son irrésistible élan, a dicté nos résolutions. »
Napoléon III et Bismarck après la bataille de Sedan.Bibliographie :
ANCEAU, Eric. Napoléon III. Tallandier, 2008.
Collectif. Napoléon III. L’homme, le politique. Actes du colloque de la Fondation Napoléon, 19-20 mai 2008. Éditions Napoléon III, 2008.
DARGENT, Raphaël. Napoléon III : l’Empereur du peuple. Ed. Grancher, 2009. -
Napoléon III et la modernisation de la France (partie 1)
Ennemi personnel de Victor Hugo, dénigré par les républicains de la fin du XIXe siècle, éclipsé par la légende dorée de son oncle, Napoléon III reste perçu comme un empereur faible, hésitant et rêveur, portrait que lui ont brossé ses adversaires. Pourtant, son règne coïncide avec un essor économique sans précédent et marque une amélioration significative de la condition des classes laborieuses. Et au contraire de son illustre oncle, il laissa la France plus puissante qu’il ne l’a trouvé.
Louis-Napoléon Bonaparte fut élu premier président de la République en 1848 (à 74,1 % des suffrages) mais ce n’est qu’à partir de 1851 qu’il put réellement exercer le pouvoir comme il l’entendait, étant auparavant « prisonnier » de son gouvernement, lequel, dominé par les monarchistes, continuait à gérer les affaires comme sous Louis-Philippe. En 1852, il restaura l’Empire le 2 décembre suite à un plébiscite (91 % de « Oui ») dont même Jules Ferry ne remettra pas en doute le bon déroulement et l’authenticité du résultat.
L’Empire dura 18 ans, et l’on y distingue traditionnellement la phase « autoritaire » (1852-1860) et la phase « libérale » (1860-1870). Le Corps législatif, composé de 270 élus au suffrage universel, ne posséda que peu de pouvoirs durant la phase autoritaire (essentiellement un rôle consultatif). A partir de 1860, l’empereur libéralisa son régime, assouplissant la censure et octroyant davantage de droits au Corps législatif (droit d’adresse, droit d’amendement élargi). Napoléon III voulut montrer que l’Empire était compatible avec la liberté. En 1867-1868, l’Empire prend un tournant encore plus libéral avec la suppression de la censure et l’octroi du droit d’interpellation au Corps législatif.
I. Le bonapartisme de Napoléon III
Photographie de 1860.Napoléon III ne se considérait pas comme un idéologue, se voulant résolument réaliste et adapté à son époque. « Aujourd’hui la France m’entoure de ses sympathies, parce que je ne suis pas de la famille des idéologues. » affirma-t-il deux mois avant la restauration impériale (discours de Bordeaux, 9 octobre 1852). En 1849 il disait déjà à l’Assemblée : « Je ne bercerai pas le peuple d’illusions et d’utopies qui n’exaltent les imaginations que pour aboutir à la déception et à la misère. »
Le bonapartisme selon Napoléon III est avant tout un pragmatisme : « Non seulement un même système ne peut pas convenir à tous les peuples, mais les lois doivent se modifier avec les générations, avec les circonstances plus ou moins difficiles » (Considérations politiques et militaires sur la Suisse). Quelques grands principes intangibles fondent cependant le bonapartisme : la souveraineté populaire, l’ordre et la liberté.
Napoléon III entendit réunir tous les Français et défendre la souveraineté populaire. En cela, il s’appuya sur le modèle de son oncle : « Napoléon eut ses torts et ses passions, mais ce qui le distinguera éternellement de tous les souverains, c’est qu’il fut le roi du peuple, tandis que les autres furent les rois des nobles et des privilégiés. » (Réponse à Lamartine, 1843) ; « Ne lui reprochez pas sa dictature : elle nous menait à la liberté, comme le soc de fer qui creuse les sillons prépare la fertilité des campagnes. [...] Le malheur du règne de l’empereur Napoléon, c’est de n’avoir pu recueillir tout ce qu’il avait semé, c’est d’avoir délivré la France sans avoir pu la rendre libre » (Rêveries politiques, 1832).
« Malheur aux souverains dont les intérêts ne sont pas liés à ceux de la nation ! ». « Chaque jour me le prouve, mes amis les plus sincères, les plus dévoués ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume ; ils ne sont pas sous les lambris dorés, ils sont dans les ateliers, dans les campagnes. » (Creil, juin 1850). Conclusion de ses Rêveries politiques : « Au-dessus des convictions partielles, il y a un juge suprême qui est le peuple ». Il reprit l’idée lors de sa proclamation du 14 janvier 1852 : « le Peuple reste toujours maître de sa destinée. Rien de fondamental ne se fait en dehors de sa volonté. »
Après avoir été triomphalement porté au pouvoir, il tenta de gouverner durant la première décennie avec le peuple, sans véritables intermédiaires, ce qui lui vaut de la part de certains historiens le qualificatif de « populiste » (Pierre Milza). Une note de la main de l’empereur retrouvée aux Tuileries dit : « Qu’est-ce que le Peuple ? Est-ce par hasard les cinq à six mille personnes qui se réunissent dans Paris au club ou à la Redoute et qui croient parler au nom de la France entière ? Est-ce les salons, les ateliers ? Est-ce le [illisible] ? Est-ce la jeunesse ivre d’enthousiasme ? Est-ce la vieillesse regrettant le passé ? Est-ce l’armée ? Est-ce le Corps législatif ? Non, le peuple, c’est la masse entière de la nation, celle qui exerce le suffrage universel. Voilà notre maître à tous ; et ces cotteries qui s’appellent le peuple commettent un blasphème. »
Napoléon III restera populaire jusqu’à la chute de l’Empire. Les paysans en particulier restèrent ses plus sûrs soutiens. Le parti bonapartiste resta puissant durant la première décennie de la Troisième République : en 1877, les élections législatives aboutirent à l’élection de 104 députés bonapartistes ! (contre 313 républicains et 55 monarchistes). Le parti bonapartiste disparut progressivement après la mort du fils héritier de Napoléon III en 1879.
II. L’Empereur entrepreneur
Chemin de fer du Nord, 1867.Napoléon III mena une politique économique active en lançant un programme de grands travaux : « Nous avons d’immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemins de fer à compléter. [...] Nous avons tous nos grands ports de l’Ouest à rapprocher du continent américain par la rapidité de ces communications qui nous manquent encore. » (Discours de Bordeaux, 1852). L’empereur pensait relancer la croissance par la consommation en donnant du travail aux inactifs, d’autre part, il était certain que les retours de ces investissements compenseraient largement le coût des travaux.
De fait, le Second Empire connut une période de croissance soutenue : de 1850 à 1870, le PIB passe de 11 milliards à 22 (les évaluations des historiens de l’économie divergent en 1870 au sein d’une fourchette allant de 20 à 24 milliards), soit une croissance annuelle de +2,5 % (en moyenne). Pour comparaison, le PIB était à 9 milliards en 1830 et sera à 23 milliards en 1890 (là encore les évaluations des historiens de l’économie peuvent diverger de quelques milliards).
Evolution simplifiée du PIB de la France en milliards de francs/or de 1820 à 1900.Le chemin de fer reçoit une impulsion décisive : en 1851, la France compte 3500 kilomètres de voies ferrées (10.000 en Grande-Bretagne), ce chiffre passe à 17.000 en 1870 (2000 km de plus qu’en Grande-Bretagne). Les lois de 1859 et 1863 donnent naissance à six grands réseaux : Nord, Est, Orléans, Paris-Lyon-Marseille, Midi et Ouest. L’Empire ne néglige pas non plus les routes, dont la progression en kilomètres est supérieure de +43 % en moyenne par rapport aux deux régimes précédents (le kilométrage des voies carrossables triple).
L’Empire favorise la mise en place d’un système moderne de crédit : naissances du Crédit Foncier et du Crédit Mobilier en 1852, du Crédit Industriel et Commercial (1859), du Crédit Lyonnais (1863), de la Société Générale (1864) et de la Banque de Paris (1869). Une loi de 1865 autorise l’usage des chèques. La loi du 23 mars 1863 créé les sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL), la loi du 24 juillet 1867 les sociétés anonymes (SA).
Pour obliger l’industrie à se moderniser (au niveau des méthodes de production), la France s’ouvre au libre-échange à partir de 1860 avec la Grande-Bretagne. Les droits de douane sur les matières premières et la plupart des produits alimentaires sont abolis. D’autres accords commerciaux sont conclus avec le Piémont-Sardaigne, la Belgique ou l’Autriche.
Les retombées économiques profitent aux plus fortunés mais aussi aux classes laborieuses. En 1848, Louis-Napoléon fit part de sa volonté « d’introduire dans nos lois industrielles les améliorations qui tendent, non à ruiner le riche au profit du pauvre, mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous ».
La paysannerie connaît un « petit âge d’or » (Matthieu Brejon de Lavergnée) : le chemin de fer permet d’ouvrir de nouveaux débouchés, la spécialisation des cultures, l’essor du fourrage artificiel et de l’assolement triennal. Si l’exode rural s’accélère dans les années 1850, il se ralentit l’année suivante, car il touche essentiellement les marginaux des campagnes (journaliers, artisans ruraux). L’empereur fait mener de grands travaux de drainage et d’irrigation (Provence) entraînant une hausse de la productivité. La paysannerie restera le principal soutien de l’Empire jusqu’à sa chute.
La hausse du salaire ouvrier s’accélère pendant l’Empire : +6,7 % de 1850 à 1860, +9,5 % de 1860 à 1870 ; tandis que les prix (notamment des matières agricoles) baissent. Les classes populaires voient leur alimentation se diversifier : progression de la consommation de viande (+22 %), de lait (+22%), de graisse animale (+27 %), de sucre et de chocolat (+250 %).
Le commerce se transforme, avec l’essor du grand magasin au détriment des petits commerces de détail. Le Bon Marché (rachat de Boucicaut en 1863), premier grand magasin, amène un certain nombre de nouveautés : étiquettes mentionnant systématiquement le prix sur les produits, prix fixes, décor architectural, éclairages, vitrines. A partir de 1865, le Printemps concurrence Le Bon Marché.
III. La « fibre sociale »
Louis-Napoléon Bonaparte s’intéressa très tôt aux questions sociales sous l’influence de son précepteur Philippe le Bas – un jacobin – et de sa mère Hortense. Le personnage est décrit par ses contemporains comme sensible et généreux. Victor Duruy, ministre pendant six ans de Napoléon III, témoigne :
« Que de fois l’ai-je vu arriver au Conseil avec des projets d’assistance pour les faibles et les dépourvus ! Sa main était ouverte : elle s’ouvrait même trop, car il ne savait pas répondre par un refus à ceux qui imploraient sa générosité. »
Au fort de Ham, il écrivit un petit traité nommé L’extinction du paupérisme (1843). L’empereur y livra sa vision de l’industrie : « L’industrie, cette source de richesse, n’a aujourd’hui ni règle, ni organisation, ni but. C’est une machine qui fonctionne sans régulateur ; peu lui importe la force motrice qu’elle emploie. Broyant également dans ses rouages les hommes comme la matière, elle dépeuple les campagnes, agglomère la population dans des espaces sans air, affaiblit l’esprit comme le corps, et jette ensuite sur le pavé, quand elle n’en sait plus que faire, les hommes qui ont sacrifié, pour l’enrichir, leur force, leur jeunesse, leur existence. Véritable Saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort. »
● Des lois progressistes
L’empereur créa une Caisse nationale des retraites pour la vieillesse (1850), une assistance judiciaire gratuite pour les travailleurs pauvres (1851), interdit le travail le dimanche et les jours fériés (loi de 1851, abrogée en 1880 par la IIIe République avant d’être revotée en 1906 seulement). Le 26 mars 1852, il permit aux sociétés de secours mutuels de se constituer librement (caisse commune où chaque ouvrier verse une petite partie de son salaire, qui sert d’aide financière pour tout ouvrier malade, invalide ou trop âgé). La même année, une partie des biens confisqués aux princes d’Orléans fut attribuée au logement ouvrier. En 1854, il interdit aux patrons de confisquer et d’annoter l’impopulaire livret ouvrier (le posséder était nécessaire pour pouvoir retrouver un travail). En 1862, il autorisa une délégation de 200 ouvriers à partir en Angleterre pour y étudier l’organisation des syndicats anglais ; en 1864, il autorisa les coalitions (c’est-à-dire le droit de grève) ; en 1868, il permit les réunions publiques à condition de ne pas parler de politique ou de religion. Cela peut paraître encore peu, mais aucun des régimes précédents n’en a fait autant !
● La charité impériale
La « fibre sociale » de l’empereur s’exprima aussi par des actes charitables. Président, il reversait la moitié de son traitement aux œuvres de charité. Il visita des usines, récompensant les patrons paternalistes et les ouvriers méritants. Il réconforta les victimes des inondations (en 1856) et les malades de l’Hôtel-Dieu. Il multiplia les dons en argent tout au long de son règne (500.000 francs pour la caisse de retraite des travailleurs en 1856, 100.000 francs pour les logements ouvriers de Lille en 1859, 32.000 francs à Lyon en 1860 pour les œuvres de bienfaisance, etc.).
En 1855, il créa avec l’impératrice Eugénie les Fourneaux économiques, qui servirent plus d’un million de repas chauds chaque année, réservés aux indigents et aux plus malheureux (ancêtres des soupes populaires).
Plus symboliquement, lors des grands travaux de Paris, la construction d’un Opéra avait commencé en 1861, chantier dirigé par Charles Garnier. Ce bâtiment devait être grandiose et devenir, pour l’architecte lui-même, un des symboles du Second Empire. Dans le même temps, l’empereur avait décidé la reconstruction de l’Hôtel-Dieu sur l’île de la Cité. Le 31 juillet 1864, il déclara que ce dernier bâtiment était prioritaire sur l’Opéra : « J’attache un grand prix à ce que le monument consacré au plaisir ne s’élève pas avant l’asile de la souffrance. »● Des efforts dans le domaine de l’éducation
Napoléon III voulut rendre l’école gratuite et obligatoire. Dans son discours du trône du 15 février 1865, il affirma que « Dans le pays de suffrage universel tout citoyen doit savoir lire et écrire. » Il revint sur le projet les dernières années du règne mais se heurta à chaque reprise à l’hostilité du Corps législatif, lequel considérait l’empereur comme un utopiste. La loi Duruy de 1867 obligea néanmoins toutes les communes de plus de 500 habitants à ouvrir et entretenir une école primaire pour filles. L’empereur multiplia les écoles élémentaires et facilita les cours du soir pour les adultes. La première femme reçue au baccalauréat le fut en 1861 (Julie-Victoire Daubié) et l’année suivante, la première femme fut autorisée à s’inscrire en faculté de médecine.
Napoléon III confiera en 1869 à Darimon : « J’aurais fait pour les classes ouvrières bien plus que je n’ai fait, si j’avais rencontré dans le Conseil d’État un puissant auxiliaire. »
IV. L’Empereur bâtisseur
L’achèvement du Louvre. L’empereur approuvant les plans présentés par M. Visconti (Tissier, 1865).La IIIe République, dans son souci de dénigrer l’ancien souverain, a attribué les transformations de Paris au baron Haussmann, alors que Napoléon III en fut le véritable maître d’œuvre.
Pour Éric Anceau, il s’agit de « l’une des plus grandes injustices touchant Napoléon III. [...] le concepteur d’ensemble, l’arbitre des possibles et même l’examinateur des détails fut l’empereur en personne. Du reste, le préfet de la Seine le reconnaissait lui-même, malgré son immodestie. En ce domaine comme dans tant d’autres, Napoléon III mûrit longuement ses projets et les réalisa avec une volonté inébranlable. » (Napoléon III. L’homme, le politique).
Le Paris d’alors était composé de rues étroites, malpropres et mal éclairées, terreau propice au banditisme et aux insurrections (les Trois Glorieuses, la révolution de 1848). Un rapide passage de Louis-Napoléon à Paris en 1831 le marqua profondément. En 1832, suite à l’épidémie de choléra, il fut sensible aux solutions proposées par les saint-simoniens : destruction des îlots insalubres et création de grandes artères pour diffuser l’air et la lumière. A Ham, il eut tout le loisir de réfléchir à ses projets. Lorsqu’il arriva à Paris en 1848, il transportait dans ses bagages un grand plan de Paris.
Élu président, il indiqua les aménagements qu’il voulait effectuer : percer de longues avenues, construire de nouveaux immeubles, créer des parcs et espaces verts. En 1853, il fit appel au préfet Haussmann auquel il présenta lors de la première entrevue un plan de Paris parcouru de lignes de différentes couleurs, en fonction des priorités.
Un an avant la nomination d’Haussmann, l’empereur expropria des milliers de Parisiens (décret du 26 mars 1852) qu’il relogea. Les travaux furent décrits par les contemporains comme colossaux : « Ce n’était plus des bandes d’insurgés qui parcouraient la ville, mais des escouades de maçons, de charpentiers, d’ouvriers de toutes sortes allant à leurs travaux. » (Merruau).
Napoléon III parlait souvent des travaux en conseil des ministres, consultait plusieurs fois par semaine Haussmann, se rendait sur place voir l’avancement. De grands immeubles d’aspect bourgeois et uniforme remplacèrent les maisons insalubres. Églises, hôpitaux, casernes, écoles et parcs virent le jour. L’empereur prit à cœur l’aménagement du bois de Boulogne ; n’hésitant pas à venir tôt le matin pour prendre la direction des opérations, se saisissant d’un marteau et d’un piquet pour montrer la ligne que devaient prendre les allées.
L’éclairage au gaz se répandit, un système d’égout fut mis en place, le système d’adduction d’eau fit des progrès. En vingt ans, Napoléon III fit plus pour Paris que ce qui avait été fait en un siècle.
Bibliographie :
ANCEAU Eric, Napoléon III, Paris, Tallandier, 2008.
Collectif, Napoléon III. L’homme, le politique. Actes du colloque de la Fondation Napoléon, 19-20 mai 2008, Paris, Éditions Napoléon III, 2008.
DARGENT Raphaël, Napoléon III : l’Empereur du peuple, Paris, Ed. Grancher, 2009. -
Angers : du passé faisons table rase…
« Les découvertes archéologiques peuvent être passionnantes, mais elles contrarient les grands projets, c’est agaçant ». Ces propos sont de Jean-Claude Antonini, président socialiste de la communauté d’agglomération Angers Loire Métropole. Voilà comment les édiles mondialisées et sans racines considèrent avec dédain les traces de la mémoire de notre peuple…
Déjà en 2010, la ville d’Angers avait mis à jour un temple de Mithra, en très bon état de conservation. Découverte exceptionnelle puisque seulement une vingtaine de sites semblables ont été mis à jour en Europe. Il n’empêche : l’ancien sanctuaire fut impitoyablement livré aux pelles des bulldozers pour laisser la place à des parkings, sans que la moindre réflexion soit engagée pour envisager la conservation de l’édifice antique…
Toujours à Angers, c’est aujourd’hui un nouveau pan de notre passé qui doit succomber prochainement sous les coups combinés des promoteurs immobiliers et des projets mégalomaniaques des élus locaux. À proximité de la gare SNCF, une immense nécropole antique a été mise à jour. Le caractère exceptionnel du site, qui réunit une nécropole antique et un cimetière du XIXème siècle, ne fait aucun doute. Au total, ce sont plus de 20 000 tombes qui seraient enfouies sur quatre à cinq niveaux et un hectare et demi de terrain. Une portion du site, fouillée au tournant des années 2000 lors des travaux du premier parking Saint-Laud avait permis des découvertes inédites, riches d’enseignements : « le plus grand groupe de Germains orientaux, vulgairement appelés Goths, originaires de l’actuelle Crimée, et de précieux artefacts datant du IVème siècle » détaille l’archéologue Jean Brodeur. Notamment des céramiques caractéristiques et de très rares fibules : « On a treize au niveau national, dont huit trouvées sur le seul site d’Angers. »
Sur cette portion de terre peuplée de morts, doit s’élever le site « Quatuor » le programme phare de la ZAC « Gare+ », le futur éco-quartier d’affaire de l’agglomération angevine qui ambitionne de regrouper un hôtel, des parkings ainsi que 65 000 m2 de bureaux et 20 000 m2 de logements autour de la gare d’Angers. Un projet surdimensionné en pleine crise économique, une architecture démesurée et destructurée qui cassera l’identité de ce quartier, à proximité immédiate du centre historique de la ville.
Comme les fouilles du site auraient considérablement retardé les travaux et auraient coûté fort cher, une solution bâtarde a été choisie : plutôt que de s’appuyer sur des fondations classiques, qui auraient abrité un parking souterrain, l’établissement 3 étoiles sera monté sur des pieux de 50 cm de diamètre cachés sous un socle engazonné. Il s’agit d’une fausse bonne solution permettant à des promoteurs de réaliser leur projet tout en les autorisant à détruire une partie des sites archéologiques. À Angers, les pieux prévus doivent avoir un diamètre de 50 centimètres ; autant dire que l’impact sur un site archéologique aussi dense et riche sera catastrophique. Non seulement une partie du patrimoine historique d’Angers sera irrémédiablement détruit, mais les générations futures seront privées des connaissances que pourraient nous apporter la fouille d’un tel site miraculeusement préservé lors des travaux urbains du XIXème siècle…
-
Les indignations à géométrie variable de Laurence Parisot
PARIS (NOVOpress Breizh) – On connait la devise des libéraux : « Nationalisons les pertes et privatisons les profits ». Ce principe semble tellement ancré dans les cerveaux de la classe dominante qu’il mériterait de figurer dans le préambule de la Constitution. Evidemment, le discours et l’action de Laurence Parisot, la patronne du Medef, s’inscrivent dans cette ligne à géométrie variable.
Recevant des journalistes, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, leur indique qu’il travaille sur un projet de « nationalisation transitoire » de Florange. Il aggrave son cas en ajoutant que « le problème des hauts-fourneaux de Florange, c’est Mittal ». Ensuite, en ces temps de disparition des frontières, affirmer que « nous ne voulons plus de Mittal en France parce qu’ils n’ont pas respecté la France » relève du crime de lèse-majesté. Enfin le ministre estime que « les mensonges de Mittal depuis 2006 sont accablants » et qu’« il n’a jamais tenu ses engagement » vis-à-vis de l’Etat français. Aussi sort-il l’argument massue de la nationalisation (Les Echos, 26/11/12).
Evidemment, aux yeux des commanditaires de la présidente du Medef, l’interventionnisme présumé d’Arnaud Montebourg constitue le péché suprême. Evoquer la « nationalisation » mérite l’enfer. Mme Parisot monte donc sans tarder au filet : la déclaration du ministre du Redressement productif au sujet d’une « nationalisation transitoire » de l’aciérie de Florange est « tout simplement et purement scandaleuse ». Parlant de « pression » et même de « chantage », la porte-parole du grand patronat rappelle un principe qui lui semble frappé au coin du bon sens : ce n’est pas à l’Etat « de commencer à dire à chaque entreprise de France : voilà votre stratégie » (RTL, 29/11/12).
Donc Laurence Parisot n’a pas sa langue dans sa poche lorsqu’il s’agit de critiquer les velléités de nationalisation du Gouvernement. Mais il est d’autres circonstances où le silence de la présidente du Medef est carrément assourdissant. C’est le cas lorsque la société de conseil aux investisseurs Proxinvest publie son rapport annuel consacré à « la rémunération des dirigeants des sociétés françaises » (11 décembre 1212). Des montants déconnectés des performances de l’entreprise et insuffisamment conditionnés sur le long terme : telles sont les grandes tares du système de rémunération des patrons du CAC 40, décortiqué par Proxinvest.
La rémunération totale d’un grand patron du CAC 40 s’est élevée à 4,24 millions d’euros en moyenne en 2011 (+4% par rapport à 2010). Toutefois, si l’on ne tient pas compte des indemnités de départ versées à certains dirigeants, dont le bonus différé de 16 millions d’euros attribué à Maurice Lévy, le président de Publicis, la rémunération de ces patrons a baissé de 3% en moyenne en 2011.
« La baisse aurait pu être plus significative, car le CAC 40 a perdu 17% en 2011 et les bénéfices nets cumulés ont reculé de 10% », note Loïc Dessaint, directeur associé chez Proxinvest. Au hit-parade des patrons les mieux payés en 2011, Maurice Lévy arrive largement en tête avec 19,6 millions. Il est suivi par Carlos Ghosn (Renault) avec 13,3 millions d’euros, Bernard Charlès (Dassault Systèmes) avec 10,9 millions et Bernard Arnault (LVMH) avec 10,8 millions d’euros. Jean-Paul Agon (L’Oréal) avec 7,7 millions d’euros arrive en cinquième position (Le Figaro Economie, 12/12/12).
Si l’on considère qu’en 2011 l’indice boursier a baissé de 17 %, on peut considérer, comme le fait Loïc Dessaint, qu’ « en France, les rémunérations sont tranquilles, les conditions de performances ne sont pas hyper exigeantes » (Le Monde, 12/12/12). Silence radio de Laurence Parisot quant à cette anomalie. Il est vrai que les PDG du CAC 40 sont les vrais patrons du Medef…et on voit mal leur employée critiquer ceux qui l’ont fait reine.
Autre occasion ratée de se lamenter pour Madame Parisot : PSA. La situation financière de ce groupe apparait tellement dégradée que, fin octobre, le gouvernement se décide à lui apporter son soutien ; il y a urgence. Cette aide prend la forme d’une garantie de 7 milliards d’euros accordée à « Banque PSA Finances », la filiale crédit du groupe, qui reste entièrement privée. Cette garantie permettra d’emprunter sur les marchés à des taux raisonnables. Mais l’Etat exige l’entrée au conseil de surveillance d’un administrateur indépendant qui le représentera. C’est ainsi que Louis Gallois, réputé « patron de gauche » a été coopté par le conseil de surveillance ; il sera également membre du comité stratégique (mardi 18 décembre 2012).
Avec l’arrivée de Louis Gallois, le gouvernement compte peser d’avantage sur la stratégie de PSA. En effet, Arnaud Montebourg se montre critique sur les choix passés de l’entreprise et s’interroge sur la pertinence de son plan de rebond – qui inclut 8.000 suppressions d’emplois – et de son alliance avec General Motors (Le Figaro Economie, 19/12/12). Etrangement, Laurence Parisot ne trouve rien à redire à l’entrée de l’Etat dans la chasse gardée de la famille Peugeot. Elle en vient même à oublier ce qu’elle affirmait sur RTL quelque temps auparavant à propos de ArcelorMittal : ce n’est pas à l’Etat « de commencer à dire à chaque entreprise de France : voilà votre stratégie ».
A la vérité, depuis quelques années, PSA s’est habitué à bénéficier des aides de l’Etat. Lorsque Nicolas Sarkozy, président de la République, avait présenté un plan de sauvetage de l’automobile (lundi 09 février 2009), PSA avait bénéficié d’un prêt de 3 milliards d’euros de la part de l’Etat, auquel il fallait ajouter un second de 500 millions pour sa filiale bancaire. Bien entendu Renault avait bénéficié des mêmes avantages. Là encore, Laurence Parisot n’avait vu aucun inconvénient à l’intervention de l’Etat. Bien sûr, elle pourra toujours objecter qu’aux Etats-Unis, l’Etat fédéral avait engagé 81 milliards de dollars de fonds publics pour sauver General Motors et Chrysler, les deux entreprises se trouvant de fait nationalisées.
Bref, vouloir nationaliser Florange relève d’une intention « scandaleuse », tandis que fournir des ballons d’oxygène à PSA ressemblerait à un acte tellement normal qu’il n’y a pas lieu d’en parler. Telle semble être la philosophie de Laurence Parisot qui proteste quand ça arrange les intérêts de ses patrons. Et qui se tait dans le cas contraire.
Paul Le Guern http://fr.novopress.info
Lien permanent Catégories : actualité, anti-national, France et politique française, l'emploi, lobby, social 0 commentaire -
Manif pour tous : une victoire à la Pyrrhus ?
Le dimanche 13 janvier, on va compter les troupes qui ont défilé, dans les rues de Paris, contre le mariage homo. Notre époque aime les chiffres, même quand ils sont faux. Cela rassure. Entre 800 000 selon les organisateurs, et 340 000, selon la police, on se fera une idée en trouvant un juste milieu. La foule était toutefois énorme, il faut s'en féliciter.
Mais qu’importe au fond. Même s’il y avait eu les 850 000 manifestants qui ont fait reculer Mitterrand, en 1984, en conspuant la réforme Savary, la nature ambiguë de ce mouvement en aurait-il été changé ?
Il faut avouer que Marine Le Pen a montré, pour le coup, un doigté politique digne d’un véritable chef de parti. Elle a fait la preuve, à cette occasion, qu’elle savait mesurer un mouvement d’ampleur selon ce qu’il vaut, et qu’elle a eu le courage d’aller contre ce qui paraissait évident pour beaucoup de militants et de sympathisants du Front national. En prenant des distances, sans désavouer une protestation légitime, elle a manifesté sa maturité et son sens politique.
Il n’est bien sûr pas question de contester le bienfondé d’un mouvement qui répond de façon véhémente à une entreprise de destruction de la société, à l’offensive agressive d’une secte utopiste et fanatique qui prend son inspiration dans ce que l’Amérique exporte de plus nocif et de plus inquiétant.
Encore faudrait-il que ce caractère éminemment américain de l’idéologie gay (dont l’un des signes est l’usage immodéré, dans ses slogans, de la langue anglaise) soit nettement souligné. La présence ostentatoire de l’UMP, avec Jean-François Copé, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez, n’engage pas à supposer que l’on aille dans cette voie. Celle, non moins voyante, de personnalités telles que la désastreuse Boutin, qui prend directement ses ordres outre Atlantique, ou d’organisations impliquées dans le combat occidentaliste inspiré de la théorie du choc des civilisations, n’inspire pas davantage de sympathie. Au moins auront-elles eu l’occasion de s’interroger avec profit sur l’engagement, à leurs côtés, de mouvements musulmans hostiles au « mariage pour tous ».
A priori, donc, la mobilisation de citoyens de tous horizons, des gens de droite, certes, mais aussi, dans une moindre mesure, de gauche, des hétérosexuels, mais aussi des homosexuels effarés par l’absurdité d’une loi commanditée par une minorité agissante, des personnes qui appartiennent à ce que l’on nomme la « majorité silencieuse », celle qui ne s’agite pas devant les caméras en faisant croire qu’elle représentent quelque chose, ce grand sursaut d’indignation contre le diktat d’une secte intolérante, cette insurrection des consciences, font chaud au cœur. Cela faisait bien longtemps qu’il n’y avait eu une telle réaction, revendiquant clairement la tradition. Nous avions l’habitude des terrains abandonnés les uns après les autres, des combats perdus, parfois sans lutte, des quolibets de cette caste vaniteuse, hautaine, qui prétend incarner l’intelligence, quand elle n’a pour missel que son petit bagage de bobos en baskets.
Mais, hélas, ce n’est qu’une réaction. Sans lendemains ? Taubira et Hollande ont déjà assuré que le gouvernement ne reculerait pas devant « la rue », sûrs qu’ils sont d’œuvrer pour le « progrès » et l’ « avenir ». La leçon a des antécédents. Fillon n’avait pas cédé lorsqu’il avait entrepris, en 83 et 2010, ses réformes des retraites. Sarkozy avait, en 2007, insulté la décision du peuple français de voter non, en 2005, au référendum sur le traité de constitution européenne. Pourquoi les socialistes agiraient-il différemment ? Cela fait maintenant longtemps que la France d’en bas est méprisée par les héritiers des philosophes de Lumières, qu’ils soient de gauche ou de droite.
Il serait ainsi nécessaire de s’interroger sur l’ambivalence d’une droite de gouvernement, qui fait mine (comme Raminagrobis) d’aller dans un sens pour agir de l’autre. Quelle est la véritable finalité de son compagnonnage avec une protestation qui va à l’encontre de la logique libérale, laquelle nie radicalement l’existence de nécessités « naturelles » ? Sarkozy lui-même a exprimé, plus ou moins discrètement, sa préférence pour le mariage gay. Combien sont-ils, parmi les cadres de l’UMP, à partager secrètement, ou non, cette idée ? Il est permis de se rappeler que c’est Chatel (partisan du mariage gay) qui a introduit dans l’enseignement des classes de seconde l’enseignement de la théorie du gender.
Mais nous aurons compris que, pour ces goupils, il s’agit de tactique. Non seulement parce que, contre toute évidence, et malgré un endoctrinement massif néo-soixantuitard de dizaines d’années, il existe encore, comme le fameux village gaulois, un môle de résistance au délire moderniste. Le plus réjouissant est que beaucoup de jeunes y participent. Mais ces Tartuffes libéraux visent à construire une « union des droites », déplaçant légèrement l’axe politique du libéralisme mou au libéralisme dur, néocon, que Sarkozy a tenté d’exprimer, sans trop y parvenir parfois, mais qu’un type comme Copé, encore plus roublard et sans complexe, semble annoncer.
Cela nous porte directement aux mouvements libertariens américains, au Tea party et autres allumés de la liberté sans limites. Or, Ron Paul a ouvertement appuyé le mariage gay. La liberté ne se réduisant pas selon des catégories issues d’un passé haïssable, parce que passé, chacun est libre de disposer de son corps comme il l’entend, dans la logique utilitariste la plus pure du libéralisme. On voit la conjonction entre les revendications libertaires et le point de vue libéral. Il n’est nullement certain qu’une vision semblable ne soit pas la ligne réelle de l’UMP. Néanmoins, dans l’optique de l’alternance, qui permet à la partie adverse de légiférer dans des domaines qu’on accepterait comme siens, mais qu’on fait semblant, de façon théâtrale, de combattre, l’innocuité de l’engagement présent ne porte pas à conséquence. Comme le dit Marine Le Pen, c’est de l’enfumage, aussi bien du côté de la gauche, qui cherche à faire oublier les problèmes économiques et sociaux du pays, que de la part de la droite, qui se refait à bon compte une virginité, comme ces prostituées qui placent leurs enfants dans les écoles de curés.
Cependant si l’on cherche encore plus de raisons d’être, malgré tout, malgré ce réjouissant sursaut de révolte, circonspect, voilà ce qu’on peut dire :
Il n’est pas tout à fait assuré que la décision du gouvernement Hollande soit entièrement de l’ « enfumage ». Car elle vient de loin, est contenue dans les gènes du libéralisme, depuis sa naissance il y a maintenant près de cinq cents ans. Le mythe du progrès implique l’arrachement aux contraintes de la nature, même si, comme dans toute utopie, ce projet amènera des lendemains cauchemardesques. Il faut mettre sur le même plan le mariage gay, la dislocation actuelle du code du travail, l’ouverture tous azimuts des frontières, la destruction des nations, c’est-à-dire des liens avec la terre qui nous vit naître, la dissolution des repères, de l’Ecole, de l’éducation etc. C’est un mouvement de fond.
Pire : tout y devient relatif. La Tradition en tant que telle, pour peu qu’on puisse encore la comprendre, ce qui ne va pas de soi pour une civilisation qui en a oublié la discipline austère et les principes qui passeraient aisément pour des atteintes aux droits de l’homme, n’était pas vraiment perçue, dans les temps anciens, comme « tradition ». Elle était comme l’air qu’on respire. On l’incorporait, elle faisait corps avec notre être. Dès lors qu’on la nomme « tradition », elle perd de son évidence naturelle, elle tend à devenir une option, un point de vue, une « opinion », un choix de vie.
Le libéralisme progressiste peut bien tout admettre : les mouvements extrémistes, les mouvements anti-avortement, les baba cools, les homosexuels, les sectes évangélistes puritaines, les partouzes, l’abstinence, la malbouffe, la gastronomie, la messe etc. Tout se vaut. Les communautés sont des groupements d’êtres qui cohabitent. Du moment qu’on mesure les choix, qu’on publie des sondages, qu’on vote, qu’il y a une majorité, une minorité, l’affaire est conclue. En revanche, le monde de la Tradition est profondément intolérant, parce que son optique est la seule possible. L’atomisation du monde libéral, sa désagrégation en monades soi-disant libres, qui ont la prétention d’accéder à une vérité vite invalidée par la concurrence de milliers d’autres, ne laisse aucune chance à ce qui était sanctionné par les millénaires pour perdurer. Une fois le mouvement lancé, il est pratiquement impossible de l’inverser. La question de savoir si l’on aurait pu l’arrêter, et quand, est vain. En tout cas, nous sommes, pour ainsi dire, dans son stade terminal.Claude Bourrinet http://www.voxnr.com -
Angela Merkel impératrice
Nous avons reçu les vœux du 31 décembre tardivement. Pas ceux du président de la République, qu'en bon patriote, nous avons observés en direct au soir du réveillon de la Saint-Sylvestre, mais ceux d'Angela Merkel.
Ce fut comme une apparition. La chancelière était impériale. Angela Merkel a réussi un exercice parfait, que nous conseillons à Claude Sérillon, nouveau conseiller en communication de François Hollande, d'étudier. La chronique a retenu les prévisions pessimistes de la chancelière : « La crise est encore loin d'être surmontée. »Hommage à Charles De Gaulle et Konrad Adenauer
Ce n'est pas ce que nous avons vu. Nous avons vu une chancelière régner sur une Allemagne apaisée, à neuf mois des élections générales.
Elle était rayonnante, vêtue de satin gris, toisant de sa chancellerie le bâtiment du Reichstag, incarnation de la démocratie parlementaire allemande. Le ton posé, avec un très léger sourire.
D'aucuns reprochent à cette physicienne, fille de pasteur élevée en Allemagne de l'Est, de préférer les sciences dures aux sciences humaines, de manquer de conscience historique, à l'heure où la question européenne est posée.
Angela Merkel travaille dur pour s'inscrire dans la tradition des pères de la République fédérale. Lors de ses vœux, elle s'est donc projetée cinquante ans en arrière : elle a cité Walter Bruch, l'inventeur allemand du téléviseur couleur Pal, qui ferrailla avec notre système Secam national ; elle s'est souvenue de Kennedy proclamant devant le mur de Berlin « Ich bin ein Berliner » ; elle a rendu hommage à Charles De Gaulle et Konrad Adenauer, qui scellèrent la réconciliation franco-allemande.
Avant de briguer un troisième mandat, Angela Merkel veut se tailler une stature digne de ses grands prédécesseurs. Lors d'une rencontre en novembre 2012, avant d'aller recueillir le prix Nobel de la paix décerné à l'Union européenne, le « président normal » François Hollande avait fait la moue, expliquant qu'ils allaient recueillir un prix mérité par les héros d'hier, les Schuman, Monnet, Adenauer
Angela Merkel exige toujours de la sueur et des larmes
« Mais nous devons nous aussi être des héros », avait rétorqué Angela Merkel, qui géra pourtant très mal la crise de l'euro à ses débuts, refusant d'exclure une faillite des pays membres de l'union monétaire.
Un bon héros doit souffrir, et Angela Merkel exige toujours de la sueur et des larmes. Dans ses vœux, elle n'a pas cité les efforts des Grecs et autres peuples latins d'Europe éprouvés par la crise de l'euro.
Mais, avant de souhaiter à ses compatriotes « la bénédiction de Dieu », elle en a appelé au philosophe grec Démocrite (460-370 avant Jésus-Christ) : « Le courage est au début de l'action, le bonheur à la fin. »
Pourtant, les Allemands, à écouter leur chancelière, sont près du bonheur. Pendant que la France se déchire, hier avec Nicolas Sarkozy, aujourd'hui entre partisans du 75 % et fuyards fiscaux, entre défenseurs du mariage gay et opposants catholiques, la chancelière incarne une nation unie.
En Allemagne, le succès individuel est collectif
Ce 31 décembre, Angela Merkel a dit un conte. Elle a expliqué comment un gamin d'Heidelberg avait été convaincu par les camarades de son équipe de football de ne pas décrocher de l'école : en Allemagne, le succès individuel est collectif.
Et quel succès ! Le chômage est à son plus bas niveau depuis la réunification, il a été divisé par deux sous le mandat d'Angela Merkel et le pays a encore créé 416.000 emplois en 2012. Jamais autant d'Allemands n'ont eu un emploi.
Le même soir, François Hollande tentait de convaincre ses concitoyens que le chômage, qui a augmenté dix-neuf mois de suite, refluerait enfin à la fin de l'année. Mais le bonheur d'Angela Merkel, cela se mérite.
Pour le conserver, il faut persévérer dans l'effort. Sans attendre l'épiphanie, qui marque la rentrée politique allemande, le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, a annoncé de nouvelles mesures d'économies.
Rude partenaire pour François Hollande, qui espérait ne pas passer trop de temps en compagnie d'Angela Merkel. Dans la foulée de son élection, le président avait joué la carte du Parti social-démocrate (SPD), recevant en grande pompe à l'Elysée les trois dirigeants du parti, Sigmar Gabriel, Frank-Walter Steinmeier et Peer Steinbrück.
Tous rêvaient alors de remplacer Angela Merkel. Les deux premiers ont jeté l'éponge : trop à gauche pour Gabriel, pas assez charismatique pour Steinmeier, qui a aussi renoncé pour des raisons privées.
Plus populaire que jamais, aimée par sept Allemands sur dix
À l'automne, l'ex-ministre des finances Peer Steinbrück fut désigné par défaut candidat à la chancellerie. Il fait depuis les délices de la presse, multipliant les faux pas : Angela Merkel a « un bonus féminin » dans la campagne électorale et le salaire du chancelier est trop faible, s'est plaint Peer Steinbrück, qui a gagné 1,25 million d'euros en discours et colloques divers depuis novembre 2009.
La cote de Peer Steinbrück s'est ainsi tassée de dix points depuis qu'il a été intronisé candidat à la chancellerie. Angela Merkel est plus populaire que jamais, aimée par sept Allemands sur dix.
En ce début d'année électorale, même au SPD, nul ne croit vraiment à la possibilité de déloger Angela Merkel de la chancellerie. Le pari SPD de François Hollande a déplu à Angela Merkel. Fortement. Et est perdant, du moins pour l'instant.
Il va donc falloir faire semblant de s'aimer avec la chancelière. Les ministères des affaires étrangères français et allemand préparent un superbe bal des hypocrites à Berlin, les 21 et 22 janvier, pour le cinquantenaire du traité de l'Elysée.
Une envie de franco-allemand
Les populations auront droit aux flonflons habituels : conseil des ministres franco-allemand, discours d'Angela Merkel et de François Hollande au Reichstag. Le clou des festivités sera un concert à la Philharmonie de Berlin. Et c'est tout.
L'écho médiatique de l'événement va révéler une envie de franco-allemand, mais les deux dirigeants n'ont prévu aucune initiative politique majeure.
Au contraire, on ronge son frein des deux côtés du Rhin : les Allemands méprisent ces Français qui décrochent économiquement, les Français crient à la volonté de puissance germanique.
Les Allemands sont accusés de vouloir tuer Peugeot, de ne pas reconnaître la supériorité française dans les industries spatiales, météorologiques, etc.
Angela Merkel est impériale, l'Allemagne un brin impérialiste, et la France sur le sentier inquiétant de la germanophobie.
Arnaud Leparmentier
lemonde.fr
09.01.2013Correspondance Polémia – 13/01/2013
-
“Oswald Spengler”, Stur, 1937
Il y a aujourd’hui plus d’un an, mourait à Munich l’un des hommes qui ont le plus fait, dans la crise profonde de la défaite allemande, pour maintenir intact le moral du pays et rendre possible un redressement : celui que nous voyons se développer sous nos yeux. Cet homme est en outre un cerveau de premier ordre, un de ces savants gigantesques, — comme il en apparaît quelques-uns au cours de l’histoire de l’Europe, depuis Roger Bacon jusqu’à Vinci, Descartes, Newton… — sorte de Titan spirituel, sur les découvertes duquel repose, avouée ou non, presque toute l’orientation de la pensée contemporaine.
Ce philosophe — puisque les travaux historiques d’Oswald SPENGLER sont en quelque sorte « enveloppés » dans une philosophie — a été cependant assez peu remarqué en France, dans la période qui a suivi immédiatement la dernière guerre . En Allemagne, son Déclin de l’Occident (Untergang des Abendlandes) a connu un succès sans précédent pour un ouvrage aussi sévère, puisqu’il dépasse aujourd’hui le 15e mille — succès d’actualité, mais également succès de profondeur. Le livre venait « à son heure », au moment où la défaite semblait contredire les aspirations de la grande majorité des Allemands et les livrer au désespoir ; il leur démontrait, par l’alliance d’une immense érudition et d’une pensée rigoureuse, l’inanité de la philosophie du progrès généralement admise et les voies qu’ils devaient adopter désormais, s’ils voulaient se relever. Aujourd’hui, les idées de Spengler ont disparu au second plan, dépassées qu’elles sont par la poussée plus apparente des sentiments de race, des mystiques de l’ordre, voire même de la pure apologie de la force. Elles n’en subsistent pas moins dans le domaine intellectuel — face à l’expansion véritablement angoissante du raisonnement matérialiste dans la masse des peuples blancs — comme l’expression profonde et authentique de tous les jeunes mouvements révolutionnaires, de ceux qui ne veulent pas subir la « mécanisation » envahissante, et qui ne la subiront pas.
Il serait temps qu’en Bretagne, cet ensemble de découvertes de l’ordre psychologique soit pris à sa juste valeur, que l’âme celtique soit mise désormais, et maintenue irrémédiablement, en face d’un système qui lui est si intimement apparenté, et qui, convenablement appliqué, peut faire jaillir son renouveau.
Oswald Spengler est né en 1880, dans la petite ville de Blankenburg-en-Harz. De confession luthérienne, comme un grand nombre de ces compatriotes, il fit des études littéraires et scientifiques très complètes aux grandes Universités de Halle, Munich, Berlin, et il fut reçu docteur en philosophie en 1904 avec une thèse sur l’ancien penseur grec Héraclite d’Ephèse.Il nous raconte lui-même, dans l’Introduction de son grand ouvrage (parag. XVI), comment il fut amené dans les années qui précèdent la guerre de 1914, à concevoir toute l’étendue de son système de l’histoire :
Les approches d’un grand conflit européen ne lui ont pas échappé, cette marche fatale des événements l’inquiète : « …En 1911, étudiant certains événements politiques du « temps présent, et les conséquences qu’on en pouvait « tirer pour l’avenir, je m’étais proposé de rassembler « quelques éléments tirés d’un horizon plus large. » En historien, il tente de comprendre sans parti-pris, de s’expliquer les tendances actuelles à l’aide de son expérience des faits anciens : « …Au cours de ce travail, d’abord restreint, la conviction s’était faite en moi que, pour comprendre réellement notre époque, il fallait une documentation beaucoup plus vaste… Je vis clairement qu’un problème politique ne pouvait pas se comprendre par la politique même et que des éléments essentiels, qui y jouent un rôle très profond, ne se manifestent souvent d’une manière concrète que dans le domaine de l’art, souvent même uniquement dans la forme des idées… Ainsi, le thème primitif prit des proportions considérables. »
L’histoire de l’Europe lui apparaît dès lors sous un jour tout nouveau : « …Je compris qu’un fragment d’histoire ne pouvait être réellement éclairci avant que le mystère de l’histoire universelle en général ne fût lui-même tiré au clair…; Je vis le présent (la guerre mondiale imminente) sous un jour tout différent. Ce n’était plus une figure exceptionnelle, qui n’a lieu qu’une fois…, mais le type d’un tournant de l’histoire qui avait depuis des siècles sa place prédéterminée. »
Un système s’est fait en son esprit, qui ne lui laisse plus de doutes sur la marche générale de l’histoire — et point seulement celle de notre civilisation européenne : « …Plus de doute… : l’identité d’abord bizarre, puis évidente, entre la perspective de la peinture à l’huile, l’imprimerie, le système de crédit, les armes à feu, la musique contrepointique et, d’autre part, la statue nue, la polis, la monnaie grecque d’argent, en tant qu’expressions diverses d’un seul et même principe psychique. » Chaque civilisation suit un cours qui lui est propre, avec une rigueur entière et véritablement impressionnante.
Du même coup, il a saisi le sens profond de l’inquiétude de l’homme moderne et il en ressent comme une assurance, délivré qu’il est de ses manifestations multiples et contradictoires : « …Une foule de questions et de réponses très passionnées, paraissant aujourd’hui dans des milliers de livres et de brochures, mais éparpillées, isolées, ne dépassant pas l’horizon d’une spécialité, et qui par conséquent enthousiasment, oppressent, embrouillent, mais sans libérer, marquent cette grande crise… Citons la décadence de l’art, le doute croissant sur la valeur de la science ; les problèmes ardus nés de la victoire de la ville mondiale sur la campagne : dénatalité, exode rural, rang social du prolétariat en fluctuation ; la crise du matérialisme, du socialisme, du parlementarisme, l’attitude de l’individu envers l’Etat ; le problème de la propriété et celui du mariage, qui en dépend ; …Chacun y avait deviné quelque chose, personne n’a prouvé, de son point de vue étroit, la solution unique générale qui planait dans l’air depuis Nietzsche… »
« …La solution se présenta nettement à mes yeux, en traits gigantesques, avec une entière nécessité intérieure, reposant sur un principe unique qui restait à trouver, qui m’avait hanté et passionné depuis ma jeunesse et qui m’affligeait parce que j’en sentais l’existence sans pouvoir l’embrasser. C’est ainsi que naquit, d’une occasion quelque peu fortuite, ce livre… Le thème restreint est donc une analyse du déclin de la culture européenne d’Occident, répandue aujourd’hui sur toute la surface du globe. »
Tout l’essentiel de la théorie spenglérienne de l’histoire est exposé en trois tableaux synoptiques, au début du premier tome de son « Déclin de l’Occident » : On y suit une comparaison systématique du développement, sur 1000 années environ, des deux civilisations gréco-romain (Antiquité) et européenne (Occident), du triple point de vue de la pensée abstraite, de l’art et des formes du gouvernement. Il en ressort la notion de l’âge des civilisations : une phase de jeunesse, notre Gothique (Moyen Age), à laquelle succède la maturité, notre Baroque (Epoque Moderne), puis la vieillesse au milieu de laquelle nous vivons (Epoque Contemporaine). C’est la même succession des formes doriennes, puis ioniennes, puis « romaines » dans le monde méditerranéen depuis les temps homériques jusqu’à l’avènement d’Auguste ? Des parallèles avec ce que nous savons des philosophie hindoues, de l’art égyptien ou des révolutions de l’ancienne Chine confirment cette impression du « cyclisme » de l’histoire humaine.
Le corps même de l’ouvrage n’est qu’une longue et savante justification de ce qui vient d’être avancé : justification métaphysique, en un premier tome, de divers problèmes logiques soulevés par un pareil système; en particulier celui de la continuité de la notion de Nombre à travers les diverses civilisations ; d’autre part, la définition de l’idée historique du Destin face à la Causalité scientifique… Un second tome renferme la justification érudite de plusieurs des assertions historiques du système : en particulier, l’existence d’une civilisation « arabe » durant le premier millénaire de notre Ere qui est en effet l’époque de floraison des grandes religions universelles de souche « sémitique » (christianisme, manichéisme, islam, judaïsme talmudique) . Spengler ne distingue pas moins de huit grandes civilisations qui se sont succédées en divers points du globe jusqu’à nos jours: civilisations égyptienne, mésopotamienne, chinoise, hindoue, gréco-romaine, orientale-arabe, mexicaine et occidentale-européenne, celle que nous vivons encore. Il tend à réserver le nom de «culture» à la période première de ces civilisations, pleine encore de sève et d’invention, pour laisser plus spécialement le nom de « civilisation » a leur phase de dissolution, quand disparait, dans l’impuissance, tout ce que des ancêtres vigoureux ont créé.
Il ne convient pas de surestimer l’originalité du système : pareil sentiment du cycle, de la fatalité, se retrouve à travers toute la spéculation germanique voire même européenne, depuis la foi calviniste en la Prédestination jusqu’au moyen nietzschéen du « retour éternel ». Et l’ancienne littérature des Celtes d’Irlande n’est-elle pas l’expression la plus absolue de ce sens du destin, héroïquement accepté ? C’est Spengler lui-même qui nous avertit de ce qu’il doit à Nietzsche dont il a seulement, dit-il, « changé les échappées en aperçus ». De façon plus générale, cette pensée d’historien se rattache à tout le mouvement de spéculation sur le temps, sur la durée, aux diverses « philosophies de la vie » fort en honneur depuis le début du siècle et dont H. Bergson serait en France le plus illustre représentant («L’Evolution créatrice»). W. Dilthey, en Allemagne, s’était engagé dans des voies similaires dès 1883, par sa curieuse «Introduction aux sciences morales». Nombreux ont été les historiens, les ethnologues allemands qui, dans le même temps, se sont efforcés de rechercher les lois de l’histoire universelle d’accord avec les résultats les plus poussés des sciences d’érudition : notons le grand explorateur africain Léo Frobenius, auteur d’un ouvrage fort remarqué . A Spengler était réservé, semble-t-il, de les trouver et de les exprimer, pour la première fois, avec une netteté irréfutable .
Là, réside la nouveauté absolue de l’œuvre, comme sa valeur immense dans le domaine de la pensée non moins que de la pratique. Avant lui bien des penseurs, depuis Montesquieu, Herder… jusqu’à Hegel et Auguste Comte plus près de nous, s’étaient bien hasardés à esquisser une « philosophie de l’histoire », très littéraire encore. Karl Marx s’était approché le plus près d’une rigueur scientifique, dans son « Capital », lorsqu’il avait bâti toute une interprétation de l’histoire moderne sur la loi du « matérialisme historique ». Hegel, il y a un siècle aujourd’hui, avait, d’autre part, parfaitement défini en logique les conditions et les limites de toute interprétation de l’Histoire. De là au système d’idées absolument clos et, de plus, parfaitement concret, tangible, expérimentable, que forme l’intuition spenglérienne, il y a un monde ! C’est une forme nouvelle de pensée, un instrument nouveau que Spengler met entre les mains des peuples blancs, une exploration dans le domaine du temps : non pas une quelconque magie, il s’agit de possibilités psychologiques nouvelles que dégage aussitôt en nous la conscience de la fin pressante de la civilisation que nous subissons, en particulier celle d’envisager de sang-froid les rapports des diverses nations et races de la planète… la possession de l’histoire entière est mise au service de notre avenir. Il ne faut voir là rien d’autre que la réplique, à trois siècles de distance, à l’exploration tentée dans les espaces sidéraux par les premiers astronomes munis d’instruments à longue portée. « Une découverte copernicienne sur le terrain de l’Histoire», a-t-on pu dire (voir le § VI de l’Introduction). Spengler doit ce sens aigu de la relativité des événements à l’intérêt qu’il porte aux civilisations exotiques, non classiques, si souvent négligées par les historiens. Pour lui, une création en vaut une autre : l’architecture de l’ancienne Egypte n’est pas inférieure à notre calcul infinitésimal, la vieille morale de Confucius pas moins positive que toute la sophistique rationnelle des socratiques,… il ne craint pas de mettre en parallèle pour leur rôle moral le bouddhisme primitif, le stoïcisme antique, et notre socialisme contemporain ! Le coup d’oeil est devenu sans parti-pris, mais combien plus pénétrant !
Ce n’est pas aujourd’hui encore que sera saisie dans son ampleur la répercussion révolutionnaire de pareilles nouveautés dans le monde des idées, ou — pour parler métaphysique — la possibilité d’ériger désormais en un système viable le monde intuitif des poètes, « l’univers-histoire », en face de « l’univers-nature », du règne de la science, si exclusivement tyrannique encore à l’heure actuelle (l’opposition est esquissée au chapitre 2 du tome I) ! Mais, au simple contact de ces doctrines, des sentiments confus se réveillent en nous, un monde mystique tend à reparaître, qui dut exister dans la foi du moyen-âge et que l’éducation classique de la Renaissance avait peu à peu enfoui. Car enfin, est-ce bien le livre qui a bouleversé le monde d’après-guerre ? ou n’est-il pas seulement le premier éclat, la première et insolite traduction littéraire de cette résurrection de l’âme du Nord, qui tend à se faire jour avec la violence d’un élément ?
Le tome I du «Déclin de l’Occident» parut en 1918 et Spengler en dédiait alors la préface aux armées allemandes, espérant que le livre ne serait pas « tout à fait indigne des sacrifices militaires… » Après l’écroulement, parmi « la misère et le dégoût de ce temps », l’édition de l’ouvrage tout entier (1922) apparut d’abord comme un instrument de combat…
STUR n° 11 Octobre 1937 http://breizatao.com
Short URL: http://breizatao.com/?p=7917