Les Etats-Unis, premier pays à accéder à la démocratie au XVIIIe siècle, inaugurèrent une de ses déclinaisons un peu particulière au travers du gouvernement des villes, du milieu du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe, ce qu’on appela les « political machines ».
Ce système, issu d’un usage primaire de la démocratie, était adapté aux besoins non moins primaires des nouveaux Immigrants. Si les pères fondateurs étaient arrivés pour des raisons religieuses, ceux du XIXe étaient plutôt poussés par la misère et la famine vers l’Amérique. Devenant rapidement citoyens et électeurs, ils s’attiraient les attentions intéressées des partis politiques qui voulaient gouverner les villes. Aidés et secourus par des associations caritatives liées à ces même partis, ils fournissaient en retour les bataillons électoraux nécessaires pour leur assurer la pérennité du pouvoir. La machine électorale ne recherchait pas la victoire d’un maire pour l’accomplissement d’un projet politique déterminé mais avait pour seule ambition sa propre survie afin de fournir toutes sortes de prébendes à sa clientèle. On était loin des aspirations politiques des aristocrates puritains de la Nouvelle Angleterre, inventeurs de la démocratie américaine.
Cette pratique discutable fut essentiellement le fait du Parti Démocrate qui s’en fit une spécialité. Le parti Républicain n’y a eu recours qu’exceptionnellement. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, la raison originelle de cette déviance trouva son origine dans les traditions de solidarité d’une communauté irlandaise très soudée pour des raisons historiques, liées au sort tragique de la mère patrie.
De philanthropique à l’origine, la machine présenta vite tous les avatars conséquents à un tel contexte : clientélisme, spéculation, népotisme – et son corollaire l’incompétence des fonctionnaires -, et surtout au stade ultime, le règne du crime organisé sur certaines villes. Chicago en constitua l’exemple le plus significatif. Au final la machine a disparu très lentement à certains endroits, tant elle était incrustée.
I. La vie politique américaine et ses particularités
Contrairement à la vie politique européenne, il n’y a pas d’affrontements idéologiques aux Etats-Unis, ou du moins les idéologies américaines diffèrent des idéologies européennes. Les deux partis principaux sont très peu différents à nos yeux, leur dualité reposant sur la question de la primauté du pouvoir central fédéral ou du sur celle du pouvoir des différents Etats. Au départ les Démocrates étaient anti-fédéralistes, c’était les milieux d’affaires du Nord, composés par l’aristocratie urbaine et puritaine, défendant la liberté des Etats face au pouvoir fédéral. Le Parti « Républicain-Démocrate » (qui devint ensuite le Parti Démocrate) naquit en 1798. Il a évolué au fils des circonstances vers une doctrine inverse dès 1890 puis dans les années 1930 avec Roosevelt et le New Deal.
Le Parti Républicain est né plus tard, mais les partis qui en sont à l’origine étaient au départ partisans de la décentralisation. C’était plus le parti des ruraux, partisans de l’esclavage. Le Parti Républicain, « Great Old Party » vit le jour en 1854 et regroupa des dissidents nordistes du parti Whig (une formation éphémère) et du Parti Démocrate, en opposition aux partisans démocrates du pouvoir des Etats. Surtout ils étaient protectionnistes. Le problème de l’esclavage fut le déclencheur. Les bien-pensants qui aujourd’hui encensent Lincoln et dénigrent les Républicains oublient que ce Président nordiste qui a mené la Guerre de Sécession contre les esclavagistes du Sud, était républicain. Et que cela ne fut pas sans incidence au départ sur le vote Noir.
En fait, il y eut inversion des choix, les fédéralistes sont les ancêtres des Républicains, les Républicains ceux des Démocrates.
Les USA sont une démocratie décentralisée de proximité. Les élections des instances représentatives se font au niveau des Etats. Les Américains élisent les gouverneurs, les shérifs, les maires… Les élus locaux ont une grande autonomie, les opportunités électorales sont nombreuses. Pour comprendre aussi le pourquoi de la mise en place du système des political machines, il faut avoir à l’esprit le « système des dépouilles ». Un président démocrate, Jackson (1829/1837) avait licencié des fonctionnaires incompétents à son arrivée. Du coup, après lui, son successeur républicain licencie tous les fonctionnaires de l’administration précédente. Depuis, l’habitude a perduré et la fonction publique change après chaque élection.
II. Les Irlandais catholiques débarquent en nombre
Les Irlandais catholiques arrivent en nombre à New York au milieu du XIXe siècle. De la misère de leur île natale et de sa situation politique sous le joug anglais, ils importent un état d’esprit né du « whiteboysism ». Les white-boys, aussi appelés les Niveleurs, les Lady Clare ou les Molly Maguire, sont des personnages dont le signe de reconnaissance est une chemise blanche, un ruban vert et balle au fusil. Ils se sont organisés contre la domination anglaise par la création de tribunaux parallèles. La main mise anglaise sur l’Irlande s’étant opérée par la spoliation des terres (raison première de l’intérêt porté par l’Angleterre exsangue sur la verte Erin), cela se traduisait par le fait que les litiges opposant les propriétaires anglais aux fermiers irlandais, voyaient toujours des verdicts favorables aux Anglais, devant les tribunaux légaux, comme il est aisé d’imaginer. Il « convenait » donc de rejuger. Les White Boys prononçaient des verdicts contraires. Afin de faire exécuter les « sentences », ils exerçaient des menaces directes sur les propriétaires anglais (envoi d’une balle comme avertissement sans frais…). Les travailleurs étrangers délocalisés en Irlande par les Anglais, ou les fermiers irlandais qui acceptaient de reprendre les fermes dont les propriétaires anglais avaient auparavant expulsé des fermiers irlandais, étaient aussi l’objet de leurs « attentions ».
Bien évidemment c’était une organisation clandestine et illégale (pouvant aller jusqu’au meurtre des récalcitrants) mais, basée sur des principes de justice, la population irlandaise la respectait. Elle reposait sur la solidarité, la loi du silence, l’organisation. Cela n’avait rien à voir avec une milice, dont l’existence se « justifie » par l’absence de pouvoir existant, même oppressant et spoliateur. Là il s’agissait d’organisation parallèle.
Les Irlandais arrivés les premiers en tant qu’immigrants au XIXe siècle à New York ont donc une solide expérience de l’organisation, et parlent anglais. Ils ont juste à adapter leurs habitudes de rebelles à la démocratie des villes américaines pour les diriger. New York fut la première grande ville de l’histoire à être dirigée par « le peuple » ou du moins des élus qui le représentait directement.
● Saint Tammany et le Parti Démocrate
Les Irlandais récupèrent à leur profit une organisation antérieure, la société de Saint Tammany. Tammany, Chef indien du Delaware, se convertit au Christianisme et fut canonisé en 1770. La Société de Saint Tammany était vouée à lutter contre l’influence des grands aristocrates et les « mauvais » étrangers, une vision que d’aucuns qualifieraient volontiers de « populiste » de nos jours. Les structures de l’organisation ont des références indiennes, le chef ou « grand sachem » doit être né en Amérique. Ils tentent d’exercer une influence par leurs votes sur la démocratie. En 1832, ils parviennent à faire élire leur héros (un homme d’origine modeste), le général Andrew Jackson, choisi par le Parti Démocrate comme candidat. C’est ainsi que débute leur « fusion » avec le Parti Démocrate, parti qui auparavant attirait à lui les aristocrates autochtones …par méfiance envers les Irlandais… Ironie des circonstances, le Parti Démocrate devient le pilier des Irlandais.
● La prédominance irlandaise sur New York
L’Amérique est une terre d’immigration, les nouveaux arrivants obtiennent vite la nationalité américaine. De plus, en 1826 est supprimée une clause qui imposait un cens électoral. Pour s’en rendre compte, relevons qu’il y avait 18.000 électeurs en 1825 à New York, 43.000 en 1835. Pour l’élection du maire le suffrage est indirect au départ, mais direct après 1834.
De plus l’immigration irlandaise explose entre 1846 et 1848 consécutivement à la grande famine. Les Irlandais s’installent nombreux dans la sixième circonscription de l’East Side. En 1850, un quart de la population de New York est d’origine irlandaise, cinq ans plus tard elle est d’un tiers. Contrairement à d’autres immigrés dont les Scandinaves et les Allemands, plus ruraux et qui vont s’installer à l’intérieur du pays, les Irlandais choisissent la ville, et ils y fondent des églises catholiques. Nombreux et dotés du droit de vote car devenus Américains, on assiste d’après le sociologue Moynihan, à la « fusion entre les usages de la campagne irlandaise et la politique de la ville américaine ».
III. La machine
Un parti préexistant, le Parti Démocrate et une structure antérieure, la société de saint Tammany, ont permis aux Irlandais de commencer à élaborer un « système » – la machine – qui devait leur permettre de mettre la main sur New York. Et dès le milieu du XIXe, la machine fonctionne.
Au départ, il y a échange de bon procédé : entraide (Saint Tammany) contre « bon » usage de son bulletin de vote. Toutes les organisations irlandaises d’entraide, même apolitiques, avaient des liens avec le Parti Démocrate. Un immigré fraîchement débarqué a du mal à survivre dans la grande ville sans aide. L’aide c’est la Providence. Pour trouver un logement – la ville est surpeuplée – un travail ou un marché (si c’est un petit entrepreneur), et quelques fois pour certains, nourriture et vêtements. La « machine » est là pour aider.
Elle aide aussi les malades (fourniture de médicaments) ou les victimes d’accidents (nombreux incendies à l’époque qui font de nombreux sinistrés), a aussi ses entrées dans le système judiciaire pour les délits mineurs. Elle aide aussi les personnes en faillite pour se reconstruire, organise des kermesses pour trouver de l’argent pour les familles des travailleurs victimes d’accidents du travail. Elle fournit aussi des aides au plan administratif. Elle s’adapte aussi aux immigrants suivants, qui ne sont plus essentiellement irlandais ni anglophones : Juifs d’Europe centrale, Italiens, etc. C’est l’intelligence du système.
Mais la machine aide aussi les autres « pauvres » ou les immigrants installés. En fait, elle se substitue à une aide sociale d’Etat qui n’a jamais vraiment vu le jour en Amérique où les aides sont souvent restées aux mains de bienfaiteurs privés.
L’aide étant subordonnée au bulletin de vote, il est vital de garder l’électeur sur le territoire. La naturalisation est encouragée mais surtout, l’électeur doit s’engager moralement à ne pas déménager en échange du service rendu. Ce qui est parfois un peu contraignant, l’Irlandais aurait tendance à chercher à s’installer dans des quartiers agréables, dès que sa situation s’améliore… L’Eglise catholique qui y trouve aussi son compte, participe également à ces incitations à l’enracinement électoral. L’engagement est moral, la loyauté est au cœur du système.
● Le boss : les élus passent, le boss est éternel
Particularité du système, la pierre angulaire n’est pas l’élu, c’est le boss. Il est au cœur de chaque circonscription, ou ward. En fait le système a deux piliers.
La machine n’est pas au service du politicien élu, c’est le politicien qui est au service de la machine. C’est à lui [le Maire] qu’il revient d’accorder des avantages aux électeurs afin de faire marcher la machine en leur faveur. Entre autres applications, à New York en 1855, sur 1149 agents de police municipaux, 431 sont d’origine irlandaise, soit un quart.
Le boss a des lieutenants, un par secteur de son ward, afin de « surveiller » l’électorat, sait-on jamais. Mais c’est le boss qui se montre aux populations en difficulté quand il y a lieu. Il promet l’aide de la machine sans leur demander leur vote. Il sait que « les pauvres sont plus reconnaissants que les riches » … Il dispose d’emplois en réserve dans la fonction publique ou peut influencer les employeurs inféodés à la machine pour qu’ils emploient ses obligés.
Cette organisation bicéphale fait toute la différence. Un boss, n’est pas un élu de l’élite. C’est l’interface agissant. Traditionnellement pour l’élite, l’engagement en politique est un devoir, un service rendu à ses concitoyens, moins favorisés. Mais la classe à laquelle il appartient, la bourgeoisie, attend de ses représentants traditionnels des lois en faveur de ses intérêts. Là, c’est un peu la même chose sauf que l’élu est redevable au peuple, et que l’idéologie en est loin. Le peuple a des besoins plus primaires qui ne s’embarrassent pas de justifications idéologiques. L’idéologie est un souci d’intellectuel, du moins de celui qui est libéré du souci de sa survie…
● Les dérives et les réactions qu’elles entraînent
Les machines sont coûteuses car elles doivent organiser de nombreuses manifestations pour encadrer les citoyens (parades, défilés). Elles font payer les chefs d’entreprise afin de bénéficier de leurs bienfaits. Avec ces budgets considérables, arrive la corruption même si tous les bosses ne sont pas corrompus. De plus, si les immigrants participaient à la vie de la société américaine en votant, ils n’étaient plus consultés sur le choix des candidats. Mais surtout, l’élu au service de la machine devait être un candidat docile, sans grande personnalité, afin d’être là uniquement pour faire tourner la machine. On atteignait ici les limites de ce système clientéliste. Ceci provoqua de nombreuses réactions de l’élite. Un boss resté célèbre, évoque une… corruption honnête et une corruption malhonnête. L’honnête profite du système mais agit dans l’intérêt de la ville. Il explique ce qu’est une « honnête spéculation ».
Ce système de clientélisme politique est tel qu’il gagne le système politique entier. Un président, Garfield est assassiné en 1891 (par un « client » mécontent). En réaction, le Pendleton Act, en 1883, met fin ou en partie au système des dépouilles. Le Civil Service Commission, met sur pied un système de concours pour accéder aux postes de fonctionnaires fédéraux. Le système va être opérationnel entièrement au milieu du XXe siècle.
Dans les villes comme New York il y a tentative de confier l’administration à des commissions de professionnels vers 1850-1860. Mais surtout on adopte l’usage du vote à bulletin secret pour la première fois, lors des présidentielle de 1896. Ces changements vont limiter les dégâts mais pas avant le milieu du XXe siècle. Entre temps, Chicago a offert un exemple paroxystique des dérives.
● Chicago, de la machine à la corruption généralisée et au crime
Chicago fut une ville turbulente, bastion des luttes sociales américaines. En 1830, Chicago n’est qu’un bivouac. En 1850, elle compte 300.000 habitants, 1 million en 1890, 1,7 million en 1900. Elle voit arriver des Irlandais puis des Allemands. Il y a de nombres rixes vers 1850, en 1855 les émeutes de la bière mettent en relief le besoin de contrôler la municipalité. Au départ, il y a alternance entre Républicains et Démocrates selon leur capacité à fournir des emplois aux nouveaux arrivés, c’est le terreau du absolu du clientélisme et du gouvernement des machines. C’est une ville de revendications ouvrières au départ. Là encore, on l’oublie en France mais le 1er mai naquit à Chicago, en 1886. Une manifestation pour réclamer la journée de 8 heures entraîna des émeutes où des ouvriers et des policiers furent tués. Il s’ensuivit les exécutions de huit leaders ouvriers anarchistes, les « Martyrs de Haymarket ».
C’est aussi à Chicago qu’eurent lieu les tentatives du « Mouvement Progressiste » au début du XXe siècle. Des hommes politiques d’origine sociale aisée voulaient prendre la municipalité en défendant la cause des ouvriers. Mais ces derniers à la botte des machines démocrates, se défièrent d’eux car ces hommes politiques étaient suspects de sympathie pour les Républicains. Il y eut aussi tentative de réorganiser la machine en 1931 par un élu démocrate, un maire originaire de Bohême, Anton Cermak. Il s’est appuyé sur les immigrants récents contre le maire précédent lié au syndicat du crime, assassiné en 1933. Il voulait intégrer les Noirs. En effet, Chicago voit arriver une forte immigration noire du Sud après 1910, avec le cortège classique, la ségrégation et les émeutes quand des Noirs veulent fréquenter des lieux réservés aux Blancs. Malgré tout ils s’organisent dans leurs quartiers au sud de la ville et votent républicain (Lincoln était républicain). Oscar de Priest devint le premier élu municipal noir en 1915, puis au congrès en 1928, remplacé en 1934 par un autre Noir mais démocrate. Les Noirs sont nombreux mais la machine électorale démocrate pour conserver son électorat blanc faisait perdurer la ségrégation. La machine atteint là toutes ses limites.
En 1955, Richard Daley, d’origine irlandaise est élu maire. Il est démocrate et est réélu grâce à la machine jusqu’en 1976. Il est considéré comme le « dernier boss des grandes villes » (en fait il fut maire) et fut très controversé. Il a modernisé la ville, a réduit la ségrégation, aidé au départ des classes moyennes noires des ghettos bastions, mais a laissé les autres habitants encore plus à la merci de la machine démocrate. Il pratiqua le déni de réalité sur l’existence du ghetto pour conserver l’électorat populaire blanc. De là l’émergence du mouvement Black Power dans les quartiers noirs du West Side ou South Side. On assista à une ethnicisation du vote. Quelques membres des classes moyennes noires purent quitter les ghettos, les autres tentèrent de s’allier aux Latinos. Surtout Daley fut soupçonné de toucher des pots de vin, car il dissout toute une unité de police sous un prétexte futile, celle justement chargée d’enquêter sur les activités criminelles. Le ghetto noir se radicalise, on voit émerger à Chicago les Blacks Panthers. Ils tentent par la violence, de regrouper des Noirs, des Latinos et des Blancs opposés au système Daley. En 1969, ils sont tout simplement assassinés dans leur appartement par la brigade antisubversive du département de police.
● Al Capone et la machine
Chicago, voit l’émergence du crime organisé, grâce aux réseaux de la machine. Les responsables de la pègre intègrent les circuits municipaux. Al Capone, né à Naples en 1895, a grandi à New York parmi la pègre. Durant la Première Guerre Mondiale il acquiert sa célèbre balafre ou scarface. Il gagne Chicago et met la main sur la criminalité italienne de la ville. La prohibition est ratifiée au niveau national le 29/01/1919 par le 18éme amendement de la Constitution.
Dès 1920, il achète les policiers et les juges de la ville avec la complicité des politiciens. Le phénomène alerte dès les débuts les esprits honnêtes – un réseau important d’hommes d’affaires, de journalistes, de politiciens – tentent de réagir. Il y a mise en place de commissions contre le crime. Ils parviennent à démontrer la corruption de 712 officiers de police dont ils obtiennent le transfert en n 1920. Le 14/02/1929, c’est le massacre dit de la Saint Valentin, en fait celui des concurrents irlandais de Capone.
Il y a prise de conscience de la problématique clientéliste suite à la crise économique en 1929. Cinquante mille citoyens résidant dans le même quartier que Capone déclarent ne plus vouloir payer l’impôt. La dénonciation de la corruption généralisée amène à confier une mission Eliot Ness. Celui-ci, né à Chicago en 1903, est diplômé de son université. Il échoue à faire le ménage dans la police municipale car personne ne veut témoigner. Mais il réussit à établir que Capone ne paie pas ses impôts au bout de trois ans d’enquête pour établir le dossier. Al Capone plonge, il prend onze ans. Puis il replonge pour fraude et meurt d’une crise cardiaque en 1947 dans sa prison où un espace particulier lui était aménagé.
● La machine impossible à enrayer…
Le système perdure après la Seconde Guerre Mondiale avec le successeur de Capone, Anthony Accardo, Joe le Batteur. Il s’introduit dans tous les milieux organisés de la ville comme le réseau juif, finalement il amplifie le système de corruption des édiles. Après 1945, 100 juges de la circonscription de Chicago sont soupçonnés de toucher des pots de vin. En 1979, c’est l’élection de Jane Byrne, produit de la machine mais qui prétend vouloir réformer le système. C’est un virage à 180°, il y a nouvelle trahison de l’électorat noir. Chicago voit l’élection du premier maire noir en 1983 (Washington) avec le soutien hispanique. Il meurt en 1987. En 1989, c’est l’élection du fils de Richard Daley, modéré, différent de son père. Il gère en homme d’affaires la ville. C’est un professionnel.
Quand on réalise comment les innocentes sociétés caritatives des débuts du XIXe siècle furent à l’origine des machines et comment celles-ci ont perverti la vie politique des grandes villes américaines, ne faut-il pas s’interroger davantage sur l’aboutissement de tout système décentralisé où la quantité d’argent brassé permet immanquablement aux féodalités de renaître avec leur cortège de corruption, que sur le système américain en lui même ? Les analogies avec nos problèmes sont légions. Nous avons là un parfait exemple également de l’aboutissement de la communautarisation du vote et ses limites. Une communauté d’immigrés très peu différente de la communauté d’accueil au départ – les Irlandais sont blancs et chrétiens – la précarité entraînant une nécessaire solidarité, finit par aboutir à ce qu’un parti devenu « populaire » comme ce fut le cas du Parti Démocrate, ait à choisir parmi les minorités, laquelle satisfaire (petits Blancs, Noirs ou Latinos)… La démocratie reposant sur la démographie on peut deviner aisément la suite, d’autant plus quand on constate que ce parti libéral « bourgeois » et anti-fédéraliste, devint au fil du temps, fédéraliste et populaire sous l’influence des minorités qui l’ont peu ou prou cannibalisé ? Un parti qui a vu ses électeurs blancs des origines glisser vers le Parti Républicain au fil des évolutions opportunes qu’il a eu à subir. Raison pour laquelle le Parti Républicain a gouverné les USA beaucoup plus longtemps que le Parti Démocrate au niveau fédéral. Jusqu’à présent…
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Bibliographie :
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BERNARD Vincent, Histoire des États-Unis, Paris, Flammarion, 2008.
BRUN Jeanine, America, America !, trois siècles d’immigration aux Etats-Unis, Paris, Gallimard Julliard, 1980.
KASPI André, La civilisation américaine, Paris, PUF, 1993.
BOORSTIN Daniel, Histoire des Américains, l’aventure coloniale, naissance d’une nation, l’expérience démocratique, Paris, Robert Laffont, 1993.
TINDALL George Brown, SHI David, America, a narrative history, New York, Norton, 1999.
Revue L’Histoire, n°339 février 2009, Dossier Chicago, N DIAYE Pap et ROLLAND Caroline « La saga d’une forteresse démocrate », pp. 40-49 , et HURET Romain « Sous la loi d’Al Capone », pp. 54-59.