La crise économique espagnole semble sans fin à ceux qui la subissent. Le chômage continue à culminer à 27 %, le double chez les jeunes ; la croissance a encore été négative, à près de - 2 % l'an dernier. La promesse de retour à une croissance, encore plus faible pour ne pas dire fictive que la française, semble encore optimiste, surtout après des annonces similaires tous les semestres ou presque depuis 2008. Le léger regain de compétitivité de l'Espagne au sein de la Zone Euro, à l'évidence radicalement inadaptée à son économie, à été obtenu par une nette baisse des salaires réels - avec toutes les conséquences sociales négatives - ; les usines espagnols pourront ainsi espérer concurrencer plus efficacement les françaises. Le secteur immobilier ne paraît encore pas près de se remettre de l'éclatement de la bulle spéculative il y a sept ans ; l'effondrement des revenus des Espagnols, doublé de la trop grande prudence des banques dans l'octroi de prêts - après une phase d'irresponsabilité totale - ne pousse pas à la reprise de ce secteur essentiel, et la stagnation générale de l'Europe conduit à une absence de relais par des investisseur du reste de l'Union Européenne. L'Espagne subit depuis 2008 tous les inconvénients de sa présence dans l'UE et en a perdu les avantages. Les déficits des comptes publics continuent de s'accumuler année après année, donc la dette publique augmente régulièrement ; une nouvelle crise de la dette espagnole est donc loin d'être exclue, d'autant plus que le système bancaire demeure-lit fragile.
UNE RÉCESSION DURABLE, UNE CRISE DE LA NATION ET DES INSTITUTIONS
Le territoire espagnol reste menacé d’éclatement, en particulier au Pays Basque et en Catalogne. Les deux régions sont gouvernées par des partis indépendantistes. Basés sur des fondements ethniques, il y a plus d’un siècle, ces nationalistes sécessionnistes ont complètement apostasié cette dimension essentielle depuis les années 1970 au plus tard ; ils publient régulièrement des documents de propagande avec des individus de couleur en costumes folkloriques basques ou catalans, et vont jusqu'à glorifier le fait que les horaires des prières dans certaines des nombreuses nouvelles mosquées de Barcelone sont indiqués de manière bilingue arabe-catalan et non arabe-castillan... Folie manifeste du nationalisme de gauche. Indépendants, la Catalogne ou le Pays Basque resteraient hélas furieusement immigrationnistes, péril mortel pour des identités déjà menacées. Les autorités de Barcelone ont annoncé récemment à plusieurs reprises qu'elles proclameraient l'indépendance en septembre 2014, à l'occasion des trois cents ans de la prise de la ville par les troupes de Philippe V, premier roi Bourbon d'Espagne, défaite dramatique majeure pour les partisans de la rupture avec Madrid ; cette défaite historique est considérée comme la base de la Nation sécessionniste, un peu l'équivalent du Champ des Merles (Kosovo-Polje) pour les Serbes ou d'Alésia pour nous. Si elle n'est pas absolument certaine, cette déclaration forte de rupture à Barcelone cet automne relève du possible, doublée par un référendum d'approbation, à la portée des indépendantistes. Le Premier ministre espagnol, M. Rajoy, a annoncé que ce serait inconstitutionnel, et qu'il refuserait un tel scénario. Il traite pourtant l'affaire bien à la légère. De toute façon, il est évident que le gouvernement n'enverra pas les chars, et que la Catalogne de facto indépendante le deviendrait de jure. Il reste comme seul frein à la marche à l'indépendance, dans un conteste de crise profonde aussi bien à Madrid qu'à Barcelone, le chantage aux aides européennes, conventions juridiques et commerciales, qui pourraient être coupées en cas de rupture avec Madrid ; il fait réfléchir bien davantage les dirigeants indépendantistes que les discours sans souffle ni effets de Rajoy.
La monarchie est usée par une série de scandales [longuement évoqués dans Ecrits de Paris de février 2014], certains graves, touchant de nombreuses personnalités, particulièrement un gendre et la fille du souverain, pour des montages financiers importants fort audacieux, y compris pour des fondations philanthropiques. Le vieux roi Jean-Charles - qui est depuis 1975, l'infâme liquidateur du franquisme - est devenu franchement impopulaire et contesté. Depuis plus d'un an, il se développe en Espagne une campagne médiatique pour son abdication, au profit de son fils Philippe, pour l'instant seul épargné par les scandales. Toutefois, sa femme, Letizia, impatiente d'occuper le premier plan, n'est pas appréciée des Espagnols, du fait de son caractère ou de ses convictions profondes incompatibles pour les conservateurs avec la fonction de reine d'Espagne, car elle reste in petto agnostique et républicaine, suivant en cela son héritage familial, ce qui ferait pour le moins désordre.
Le Parti Populaire au pouvoir subit, quant à lui, une violente contestation dans la rue, pour son projet de loi de restriction de l’avortement. Les opposants à ce projet défilent dans la rue, plus nombreux que les partisans de la vie innocente. Toutefois ces derniers manifestent en nombre bien plus considérable qu'en France, par centaines de milliers, avec le soutien le plus officiel de l’épiscopat espagnol conciliaire - chose impensable à Paris -. Il s'agirait de supprimer le droit d'avorter en posant une interdiction de principe, assortie cependant d'une tolérance assez large de facto, bien que formellement encadrée ; dans un de ses récents éditoriaux Jérôme Bourbon avait déjà rappelé que la clause de « violence psychologique » revient à une tolérance massive dans les faits ; de même les certificats de deux médecins militants, se présentant comme "neutres" - chose au fond facile -, ne seront pas difficiles à trouver. Les féministes ont causé une grande agitation en Espagne et en Europe pour une simple querelle sémantique, même s'il n'est pas totalement indifférent en soi de rappeler que tuer des enfants avant leur naissance ne saurait constituer un droit positif. Les défections de moins en moins discrètes au sein du groupe parlementaire du Parti Populaire commencent à se produire, sous la pression de la rue et des agences mondialistes. Il n'est pas certain que cette loi symbolique aille jusqu'au bout du processus législatif, ou du moins sans amputations majeures, ce qui achèverait de la vider de son contenu déjà très limité. En outre, le PP a été atteint par de nombreux scandales, de corruption principalement, à tous les niveaux, ce qui fragilise, même si c'est sans lien direct avec le sujet, sa position politique, tout comme son bilan économique désastreux. Enfin, les socialistes du PSOE ont solennellement juré de revenir complètement sur ce texte restreignant, au moins sur le papier, le droit d'avorter, au besoin en aggravant la loi précédente du juif Zapatero - l'une des plus libérales au monde déjà sur l'avortement -, lorsqu'ils reviendront au pouvoir, chose très probable aux prochaines élections générales, et, sur ce sujet précis, il y a tout lieu de croire hélas qu'ils tiendront scrupuleusement parole.
Que fallait-il espérer du Parti Populaire, qualifié souvent par abus de langage ou anglicisme de "conservateur" ? Rien. On constate en Europe qu'il n'y a absolument aucune chose réellement positive à attendre des libéraux, qui, rappelons-le, constituaient la gauche d'avant 1830 et qui sont aujourd'hui la fausse droite. En France, l'UMP a laissé faire en douce ce que clament haut et fort les socialistes, comme les programmes pourris de l'éducation nationale sur la théorie du genre, antérieurs à 2012. En Allemagne, Mme Merkel gouverne avec les socialistes sur un programme antinational, avec l'introduction massive de la double nationalité en particulier et le catastrophique abandon du droit du sang, etc. Au-delà de son échec de gestion, de ses lamentables hésitations sur le combat nécessaire en faveur de l'accueil et de la défense de la vie, de cafouillages systématiques, le Parti Populaire développe une vision fantasmatique de l'Espagne, fondée sur la nostalgie absurde de l'Al-Andalous des Trois Religions, inventée par les historiens libéraux au XIXe siècle. Ce mythe historique est absurde, très loin de la réalité d'une société sous sévère domination mahométane, avec une tolérance précaire des chrétiens et des juifs ; ce mythe a servi d'argument fallacieux contre les conservateurs authentiques attachés au caractère fondamentalement catholique de l'Espagne. À quoi s'ajoute la forte et détestable influence dans le cadre des pays de l'OTAN de la culture du Parti Républicain américain, ultrasioniste depuis les années 1970.
Ainsi, le Parti Populaire (PP) veut faire revenir des millions de juifs, en attendant peut-être autant de musulmans, sinon beaucoup plus, en Espagne. Le tout avec le soutien enthousiaste de l'opposition de gauche, qui tend plutôt à surenchérir sur le sujet.
VERS UN RAPPEL DES JUIFS EN ESPAGNE ?
L'idée d'une loi pour donner massivement la nationalité espagnole aux juifs sépharades date du printemps 2013. Elle est actuellement à l'étude au Parlement, après de larges consultations des rabbins des communautés sépharades en Espagne et à l'étranger. Les sépharades, descendants des juifs expulsés d'Espagne en 1492, pourront bientôt, s'ils le souhaitent, acquérir la nationalité espagnole. "Séphar" signifie "Espagne" en hébreu médiéval. On estime entre 40 000 et 45 000 le nombre de Juifs vivant aujourd'hui en Espagne, revenus aux XIXe et XXe siècles.
En 1924, le gouvernement autoritaire du général Miguel Primo de Rivera promulgua un Décret juridique qui permit d'octroyer la nationalité à des sépharades désireux de quitter des contrées affectées par la guerre. Beaucoup de sépharades de Turquie bénéficièrent de cette loi peu après. De même, le régime franquiste a-t-il très généreusement accordé la nationalité espagnole aux sépharades apatrides des Balkans, précisément aux moments les plus pénibles pour ces communautés en 1942-1944. Il faut se garder de simplifications abusives, des légendes absurdes recopiées ad nauseam sur internet, comme la thèse d'un Franco antisémite complice de Hitler : rien de plus absurde pour un Caudillo, philosémite convaincu, à la suite des libéraux-conservateurs espagnols du XIXe siècle, ou de ses contemporains les papes Pie XI ou Pie XII. Cette loi de 1924 fut réactivée au début des années 1990, durant la guerre civile en ex-Yougoslavie (1991-1995), pour permettre à des familles sépharades natives de cette région de s'échapper en Espagne. En novembre 1992, quelques mois après la commémoration du 500ème anniversaire de l'expulsion des Juifs d'Espagne, les Cortès promulguèrent une loi historique qui considérait, pour la première fois dans l'Histoire de l'Espagne, le judaïsme comme bénéficiant de la stricte égalité avec le catholicisme, la religion officielle de l'Espagne suivant l'héritage franquiste. Cette loi historique fut le fruit de longues années de négociations entre le gouvernement espagnol et la Fédération des Communautés juives d'Espagne - à peu près l'équivalent du CRIF là-bas, et tout aussi central dans la vie politique -, présidée alors par un grand leader communautaire juif, feu Samuel Toledano. Actuellement un sépharade obtient la nationalité espagnole après deux ans seulement de résidence, suivant une procédure accélérée aujourd'hui courante.
Ce projet de loi de Mariano Rajoy, déjà envisagé de manière analogue par son prédécesseur Zapatero, Premier ministre socialiste, s'inscrit donc dans une continuité historique, comprenant aussi des gestes personnels du roi Jean-Charles, très impliqué sur ces sujets. Au printemps 1992, Jean-Charles fit la première visite royale à la grande synagogue de Madrid, avec à la clé une demande de pardon, sur le modèle de feu Jean Paul II, puis la famille royale et ses armes reçurent la bénédiction judaïque par les rabbins de la synagogue. Ce dernier fait choqua alors beaucoup de rabbins sépharades à l'étranger, adepte des malédictions traditionnelles proférées depuis le XVe siècle contre la Péninsule Ibérique, ses habitants et ses chefs. Depuis, le philosémitisme constant déployé ardemment par toutes les autorités espagnoles a été tel que la majorité des sépharades le reconnaît désormais comme une dimension essentielle de l'Espagne d'aujourd'hui, en réservant les malédictions rabbiniques aux responsables des expulsions au XVe siècle, excluant donc leurs descendants.
Il existe encore un élément essentiel à préciser, la définition du juif sépharade, moins évidente qu'il n'y paraît. En effet, la très grande majorité des rabbins tient pour une judaïsé stricte, combinant ascendance, pratiques religieuses et culturelles authentiques. Le gouvernement et le parlement espagnols sont favorables à une définition plus large, comprenant toutes les populations d'origine juive séfarade, y compris celles devenues formellement chrétiennes, au Sud ou à l'Est de la Méditerranée musulmane, qu'une pratique crypto-juive ait été conservée ou non.
Les rabbins orthodoxes imposent ainsi une reconversion au judaïsme pour les Marranes ou Anoussim, formellement convertis à un moment au catholicisme, ou aux Sabbatéens ou Dônmeh, ayant adopté extérieurement l'Islam à la suite de leur messie Sabbataï Tsevi - forcé de se convertir par le sultan ottoman, sous peine de mort, en 1666 -. Mustafa Kemal Ataturk est très fortement soupçonné d'avoir été un Dônmeh d'origine. Il est très difficile d'envisager le nombre des uns et des autres, les estimations varient de moins de 100 000 au double. Beaucoup ont pu se dissoudre parmi les populations environnantes, le crypto-judaïsme demeurant bien moins structuré sur le temps long que le judaïsme, avec un taux de mariages mixtes parfois significatif pour certaines communautés.
Parmi les marranes, signalons les cas particulier des marranes catalans, surtout implantés dans les Baléares - archipel de langue catalane -, appelés traditionnellement chuetas. Ces chuetas sont encore juifs par le sang, car ils se marient en principe entre eux exclusivement depuis le XVe siècle, du moins pour ceux demeurés à Majorque; ils ont conscience de leur ascendance, mais il n'y a plus de transmission culturelle des principes juifs. Il existe une douzaine de noms typiques de chuetas, attestant donc d'une origine juive lointaine : parmi ces patronymes, relevons par exemple WALLS, ou sa variante courante VALLS.
Le monde compte plus de 2 200 000 sépharades, selon la définition restrictive du grand rabbinat de l'Entité Sioniste, qui en abriterait le plus grand nombre, soit 13 million. Puis viennent la France avec 0,4 million, les États-Unis 0,3 million. Bien moins nombreuses sont les autres communautés, dont les 50 000 séfarades d'Argentine, les 30 000 de Turquie, les 6 000 du Maroc, à quoi s'ajoutent de petits groupes dispersés dans tout le bassin méditerranéen et en e-Bretagne.
En cas de définition législative large des sépharades, les effectifs considérés pourraient doubler, en comptant les demi-juifs et les quarts-juifs, désormais nombreux en Occident. Toutefois, à l'exception peut-être des sépharades argentins, ou sûrement de ceux du monde arabe, l'attractivité de l'Espagne devrait être relativement faible pour eux. D'où cette tentation de définition très large pour les législateurs du PP, qu'on ne voit pas rejeter les juifs non sépharades, ce qui constituerait une intolérable discrimination. Les autorités espagnoles craignent visiblement de ne pas recevoir une immigration juive massive. Elles pourraient paradoxalement recevoir surtout des ashkénazes, à la judaïté douteuse — avec très peu de pratiques ou de sang juif -, venus d'Ukraine, du fait des événements récents, en concurrence avec l'Entité Sioniste. En cas de coup très dur, a priori improbable, les habitants de l'Entité Sioniste pourraient aussi certainement se réfugier en Espagne désormais.
APRÈS LES JUIFS, LES MUSULMANS ?
Pour les libéraux espagnols, l'âge obscurantiste de l'Espagne aurait autant scandaleusement persécuté les morisques que les marranes. Ce fait aurait ruiné l'Espagne. Curieusement, c'est à cette époque que l'Espagne connaît pourtant son Siècle d'Or, et s'impose comme première puissance mondiale, des années 1540 aux années 1640, combinant nationalisme impérialiste et catholicité ardente.
Les morisques étaient les descendants de la population musulmane qui s'est convertie formellement au catholicisme, sous la menace de l'exil des Rois Catholiques, Ferdinand et Isabelle, libérateurs de la totalité de l'Espagne, en 1502. De 1609 à 1614, le gouvernement espagnol a expulsé les 350 000 morisques vers l'Afrique du Nord, constatant l'absence de conversion réelle au christianisme et la pratique massive de l'Islam. Aujourd'hui, il y a environ 5 millions de descendants des morisques dans le seul Maroc, et des millions d'autres vivant en Algérie, Égypte, Libye, Mauritanie, Tunisie et Turquie, évidemment mêlés aux populations locales.
Dans un manifeste publié 3 décembre 2013 par le journal Correo Diplomático - Courrier Diplomatique -, l'intellectuel marocain Ahmed Bensalh es-Salhi soutient que la décision « d'accorder la nationalité espagnole aux descendants des juifs expulsés d'Espagne aux XVe et XVIe siècles, tout en ignorant les morisques, [relèverait] certainement de la ségrégation et de la discrimination flagrante ». Selon lui, « cette décision pourrait également être considérée par la communauté internationale comme un acte historique d'immoralité et d'injustice absolue [...], honteux et déshonorant ». Ce qui est intéressant, c'est de relever la parfaite maîtrise de la langue de gauche, condamnant toute "ségrégation" ou "discrimination", invoquant une obscure « communauté internationale », si chère aussi à Fabius, Kouchner, ou à BHL, mais ce ne doit pas être exactement la même. Des universitaires algériens, quand ils n'insultent pas la France en général et son œuvre civilisatrice en particulier, attaquent aussi à l'occasion l'Espagne, en réclamant repentirs publics, réparations financières, et évidemment immigration totalement libre, pour les Nord-Africains dans la Péninsule voisine.
Or, il y a lieu de craindre que ces plaintes ne soient entendues. Moins de "réparations" morales que pour les juifs, aucun versement financier, mais une généreuse distribution de la nationalité espagnole et l'autorisation d'immigration en Espagne pour des descendants de morisques, ou réputés tels, voilà qui paraît hélas crédible, surtout le jour, sans doute proche, où les socialistes reviendront au pouvoir par alternance mécanique.
La distribution large de passeports espagnols, pour les sépharades, marranes, ou pour les morisques, nettement plus nombreux encore, donnerait un droit illimité de circulation et d'installation, au-delà de l'Espagne, dans toute l'Union Européenne. L'installation en Allemagne, ou en France, réputée pour ses aides sociales généreuses, risquerait d'être préférée par ces populations. Décidément, l'Union Européenne ne fonctionne que pour le pire.
Scipion de SALM. Rivarol du 27 février 2014