Dans ce petit livre de François Leger se cache un vrai trésor. C'est un récit court mais dense, où l'on rencontre Charles Maurras, Léon Daudet, Jacques Bainville, Maurice Pujo...
Un voyage irrésistible, en excellente compagnie !
Un des travers qui ponctuent l'histoire des hommes d'Action française est le goût excessif des honneurs, pourtant prodigués par ce régime d'usurpation et d'occupation, cette gueuse aux cinq visages, la République. Même Maurras ne put s'empêcher de briguer l'Académie française. Même Bainville !
Petit côté province
S'agissant du Martégal, Léon Daudet et son épouse assuraient : « C'est son petit côté province », touchante concession à la vanité des notables. On sent pourtant dans la formule le même fiel qui inspira Daumier pour ses caricatures. Maurras n'avait pu s'empêcher de succomber à la tentation de l'habit vert ! Cette faiblesse toute humaine est comme une dernière douceur lorsque arrive le grand âge. Et combien d'autres personnalités d'AF, prêtes à hurler contre la Chambre et les voleurs qui la peuplent, ont été capables d'aller à Canossa dès que miroitait une légion d'honneur ? On peut s'interroger sur les intentions réelles de ces pères fondateurs à vouloir bousculer le régime du haut des bureaux qu'ils occupaient, de la rue de Rome à la rue du Boccador, en passant par la rue Croix-des-Petits-Champs. Chacun connaît l'assertion du général Bonaparte: « C'est avec des hochets qu'on tient les hommes », pour désigner l'appétit bien commun de ses sujets pour les médailles et autres citations en vérité peu coûteuses à l'État mais tellement fédératrices.
François Leger est décédé le 11 juin 2010, à l'âge de quatre-vingt-seize ans. Il fut un patient analyste de l'oeuvre d'Hippolyte Taine, auquel il consacra l'essentiel de sa vie intellectuelle. D'aucuns assuraient qu'il était le seul et le dernier en mesure de rédiger le livre, l'ouvrage de référence sur l'Action française, qu'il avait connue de l'intérieur de la fin des années 1920 à sa mort. Qui d'autre bénéficiait de l'épaisseur d'une existence aussi longue et si marquée par la pensée maurrassienne ? Mais ce livre ne vint pas. Il fallut donc se contenter d'un petit manuscrit, Une jeunesse réactionnaire, publié en 1993. Maigre en apparence, chétif même dans son ambition, limité qu'il est aux premières années de formation d'un petit Parisien du lycée Buffon, le livre recèle des informations de première main à qui sait le lire attentivement. Un trésor est caché dedans.
François Leger avait un caractère bien trempé mais contenu par une extrême courtoisie ; tout en lui révélait une indéniable distinction. Mais Il n'était pas de ces rares hommes qui font tomber les gouvernements et les régimes. Il appartenait aux purs produits de la IIIe République, fruits des indépassables classes préparatoires, kagnes et hypokagnes, élites ou pseudo-élites de la nation républicaine. « N'importe quel trou du cul se prend pour Jupiter dans la glace » affirmait Céline, peut-être à leur intention. De surcroit, un grand-père slavisant, Louis Leger, titulaire d'une chaire universitaire, incarnait davantage les solides valeurs de la méritocratie démocratique que l'esprit réactionnaire.. Le terme de citoyen n'était pas tout à fait un gros mot.
Devenir réactionnaire
Comment devient-on réactionnaire ? s'interroge au préalable François Leger. Par imprégnation du milieu ? la famille, l'école, le contexte historique ?... ou bien, telle une génération spontanée, par goût aristocratique de déplaire, de parler à rebours de ce qui incarne pourtant le politiquement correct ? Comment ne pas retrouver là Philippe Murray jetant aux oreilles des bonnes consciences : « Le règne du bien triomphe, il est temps de le saboter. » Ce fut un peu des deux qui mena François Leger à l'Action française. Il avait bien un ancêtre maternel qui avait défendu Charles X en 1830, il avait surtout des parents qui lisaient quotidiennement le journal de Charles Maurras. Leger appartient au même moule qui façonna Philippe Ariès, Raoul Girardet, Pierre Boutang. Certains de ces hommes ont appris à lire dans L'Action Française. C'est à neuf ans que le jeune Leger conçoit son premier article, jamais publié bien sûr, mais qui affiche d'emblée le désir d'en être, d'appartenir à ce monde-là, du papier, de l'encre, des idées pour lesquelles on vibre.
Mais il y avait aussi, sans doute, autre chose que la simple imitation du milieu familial. Il y avait encore un dérivatif physique et stimulant à des études exclusivement cérébrales. Une éructation d'intellectuel se dépensant par des imprécations, des cris, des bousculades, des bastonnades pour compenser le travail répétitif, laborieux, des heures durant sur une chaise, penché sur le bureau, à la lueur d'une ampoule. Le grand défouloir en somme, même fil qui relie Marinetti à Brasillach. Vous trouverez tout cela dans Une jeunesse réactionnaire. Reste que Leger avait vingt ans au lendemain du 6 février 1934, au lendemain du cruel « Inaction française » de Lucien Rebatet. Même Girardet « prit à notre égard assez vite ses distances car il s'était aperçu, non sans lucidité, qu'à force de répéter que la violence devait être mise au service de la raison, notre violence avait quelque tendance à s'émousser » (p. 118). Le royaliste en herbe connut malgré tout sa première distribution de tracts intitulé « Une fripouille, Pierre Laval, président du Conseil » rue Soufflot en 1932 et ce qui suivit, l'arrestation par deux agents et les trois heures au poste de police, sis place du Panthéon. Il y aura encore une démonstration de force sur le Boul Mich, qui tient plus de la farce et des films de Buster Keaton. Il y aura enfin un combat régulier dans le parc de Versailles avec un honorable partisan du Front populaire. Et ce sera tout. On sent que le véritable Leger n'est pas là, ou alors juste en passant, façon de dire je l'ai fais aussi, j'ai assuré le minimum syndical. Par delà cet inévitable rituel de passage, Leger a beaucoup plus à nous apprendre.
À travers le récit court mais dense de François Léger, vous retrouverez l'odeur même de Maurras, « odeur d'amende amère qui devait tenir au savon qu'il employait ». Vous arrêterez votre lecture pour retrouver en pensée les mimiques, la gestuelle de ce maître sourd et charismatique: « Quand il avait marqué un point qu'il estimait important, il ponctuait la conclusion en frappant de ses deux mains, en renversant le torse en arrière sur le dossier de son fauteuil »(p.106-107). Vous vous promènerez à la campagne avec Léon Daudet qui parle en marchant de Kant et de Nietzcshe, l'air de rien. Vous connaitrez un petit quart d'heure de grâce en la compagnie de Jacques Bainville, rue du Boccador, où Leger fut reçu quelques mois avant de remettre à l'historien son épée d'académicien. Leger rendra justice enfin à Maurice Pujo en évoquant cette « personnalité calme et de réflexion qui émanait de toute sa personne ». Bref, vous serez en bonne compagnie.
Un journal foisonnant
Enfin, François Leger apporte avec ce petit livre les éclairages exceptionnels sur le fonctionnement de ce journal encore foisonnant qu'était L'AF de la rue du Boccador dans les années 1930, du petit bureau de 1938 à1939 qu'il occupa lorsqu'il obtint définitivement la revue de presse quotidienne initiée par Maurras. Au cours de l'été 1939, alors que se préparait une guerre tragique, Maurras redoubla sa campagne pour la paix. Son jeune collaborateur se trouvait à Arcachon, en vacances chez la famille de Philippe Ariès. « Nous lisions tout haut ses articles... Ce fut le sommet de sa vie. Il y fut sublime de lucidité, d'intrépidité, et son attitude durant l'été justifierait à elle seule le culte que nous vouons à sa mémoire. »
Marc Savina L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 3 au 16 mars 2011