Anxiogène ? Vous avez dit anxiogène ? Comme c'est anxiogène ! Les mots sont comme les moutons, tout à coup ils s'amassent en troupeau, cela doit dépendre du vent, ou de certains signaux. En politique cela s'appelait hier des mots d'ordre, aujourd'hui des éléments de langage : tout le monde, des instituts de sondage à Henri Guaino, a soudainement jugé "anxiogène" le programme de François Fillon en matière économique et sociale, en particulier parce qu'il envisageait de toucher un peu à notre sacro-sainte Sécu. Il a bien vite fait machiné arrière. Anxiogène ! Est-ce que ce parangon de vieux jeune homme propre sur lui pouvait imaginer qu'on le dirait un jour anxiogène ? Reproche-t-on à un robinet d'eau tiède d'être anxiogène ? La rumeur du Paris politique ne pouvait aller plus loin dans le contre-emploi ! N'empêche, Fillon s'est dépêché de tourner casaque, il a eu peur et il a eu raison, il sait bien, ayant utilisé lui-même le truc contre ses adversaires, Sarkozy notamment, ce qu'il en coûte d'être catalogué anxiogène, c'est-à-dire de censément engendrer l'angoisse. Un système qui ne subsiste que par la peur qu'il inspire discrédite sans remède ses adversaires en les accusant de faire peur et d'exploiter la peur. Tel est le paradoxe fondateur de notre démocratie occidentale.
Prenez l'euro, par exemple. Il allait peindre le destin de notre Europe en rose et or. Des ruisseaux de miel et de lait en couleraient. Pas de chance, ce sont les économies qui ont coulé. Alors, on a dit qu'en sortir n'était pas possible, que ce serait la catastrophe générale, l'apocalypse ici et maintenant, la paupérisation des riches et la mort des pauvres. Toutes les campagnes de propagande des sages de l'Europe, avec leur compassion grise et leur souci de ne jamais parler trop haut, reposent ainsi sur la peur, et sur elle seule - car la raison sait bien, par exemple, que la Norvège n'est pas morte de ne s'être pas ralliée à Maastricht, et que l'économie du Royaume-Uni a fleuri sans l'euro.
Mais parlons-en, justement, des Anglais ! Le Brexit ! Que ne devait-il pas arriver si la Grande-Bretagne choisissait de quitter l'Union européenne ! Les fleuves remonteraient leur source. Les agneaux mourraient dans le ventre de leur mère. La City serait ruinée. La Grande-Bretagne entière serait réduite à la soupe populaire et le monde s'écroulerait. Bien sûr rien ne s'est passé comme cela et les Britanniques semblent faire de bonnes affaires. Et tout à l'avenant. Trump, par exemple. Côté effondrement de l'Amérique, ça ne semble pas parti pour. Le dollar, qui ne vaut pourtant pas tripette, ne cesse de prendre de la valeur par rapport à l'euro depuis qu'il a gagné. Que tout cela soit fragile et puisse évoluer, je veux bien, mais ce qui est sûr, c'est que les menaces proférées par les augures du système sur le ton le plus docte et sous les apparences de la science économique n'étaient que des illusions de prestidigitateurs. Des magiciens voulaient juste nous faire peur pour imposer leur politique, en même temps qu'ils accusaient ceux qui prétendent libérer les peuples de cette peur « d'attiser les peurs ». C'est vrai de l'Autriche aux États-Unis, c'est vrai depuis longtemps en France : Jean-Marie Le Pen a été le premier des hommes d'État postmodernes accusé de jouer sur les peurs.
Pour dire les choses autrement le système vit du salaire de la peur qu'il provoque de toutes les manières. Et ce n'est pas un hasard si le mondialisme anglo-saxon, après avoir cultivé le fondamentalisme égyptien, saoudien, pakistanais, a suscité Al Qaïda puis laissé germer Daech. Le terrorisme islamique a été tantôt un allié pour les gendarmes du monde, tantôt un épouvantail commode, un ennemi, principal de substitution. Aujourd'hui il sert à unir tous les humains férus d'humanisme contre l'intégrisme et la haine, entendez qu'il sert à faire peur de toute conviction tranchée, mais en même temps bien sûr, ce terrorisme islamisme exonère paradoxalement l'islam de ses véritables tares et du vrai danger qu'il fait peser. Pour le mouton humaniste, ce qui est mauvais dans l'islamisme ce n'est pas l'islam, c'est l'intégrisme qui contamine aussi le christianisme. De sorte qu'un Trump qui déclare la guerre à l'islamisme est répréhensible et anxiogène. Chez nous d'ailleurs, les appels se sont multipliés depuis le Bataclan et la décapitation du père Hamel à l'issue de l'office à Saint-Etienne-du-Rouvray, pour ne pas entretenir un climat de suspicion et de défiance anxiogène, qui interdirait tout débat et finalement toute démocratie. C'est-à-dire qu'on suscite un épouvantail fallacieux pour apeurer les populations et les manipuler, puis qu'on jette l'interdit sur ceux qui désignent le véritable ennemi en les décrivant eux-mêmes comme facteurs de peur et de haine.
Ce stratagème, qui n'a pas réussi à enrayer la dynamique de Trump aux Etats-Unis, gouverne en revanche l'élection présidentielle française. Fillon, qui s'était fait un masque de transgression pour prendre le rôle de Sarkozy en 2007, est revenu à ses sourires de premier communiant pour ne pas effrayer Passy. Mais 0 n'est pas le seul. Poisson avait eu quelques mots de bon sens sur les liens d'Hillary Clinton avec Wall Street et les lobbies sionistes, il a fait une prompte retraite en psalmodiant des demandes d'excuses, puis il a disparu des écrans radar. Sarkozy a sombré. Même Marine Le Pen, qui avait hérité de son père la charge de tribun du peuple, donc de grande gueule, peur de rien, s'est transformée en bobo avide de respectabilité (ce qu'elle est fondamentalement), craignant comme la peste de faire peur, de paraître agressive, de transgresser les interdits.
Etonnant chassé croisé ! Au moment où les peuples, se sentant menacés de mort, se radicalisent, certains populistes se rangent comme Nigel Farage ou s'affadissent comme Marine Le Pen. Manque de lucidité ? Peur des responsabilités ? Cela fera sans doute manquer à la patronne du FN le rendez-vous de la présidentielle. Pourtant, on le constate à la télévision, elle ne manque pas de répartie, et ceux qui l'ont connue jeune savent qu'elle ne manque pas non plus de courage physique ni de caractère. Ce qui semble en revanche manquer à cette bourgeoise née en 1968, c'est une vraie réflexion, une formation politique sérieuse, ce sont des convictions et une culture qui lui donneraient du courage intellectuel, qui l'armeraient contre les menaces de la police de la pensée.
On l'a vu notamment dans son obsession de l'antisémitisme, et notamment dans la malheureuse affaire de la fournée. On se souvient que Jean-Marie Le Pen, ayant vertement critiqué certaines personnes, avait remis le cas de Patrick Bruel à « une prochaine fournée ». Or c'est sa propre fille, aidée de Louis Aliot, qui a déclenché une affaire médiatique à ce propos, voyant dans le mot fournée une expression qui pourrait être considérée comme antisémite. On touche là à la monomanie et à la folie furieuse, associées au désire de nuire. Il est arrivé à Jean-Marie Le Pen d'avoir des jeux de mots discutables, comme son Durafour crématoire, discutable parce qu'il pouvait être compris de travers par les imbéciles - ce qui advint. Mais fournée ! C'est un mot couramment utilisé dans le sens où Le Pen l'a employé, par comparaison avec le groupe de pains que le boulanger prépare ensemble. Ni plus ni moins. Toute autre interprétation relève de la maladie mentale ou de la diffamation. Va-t-on interdire le mot fournil ? Fourneau ? Fornication ? Sans doute Marine Le Pen cherchait-elle un prétexte pour éliminer son père, mais en choisissant celui-là, elle a montré les limites de son personnage. La peur de paraître anxiogène la fait crever de trouille et lui ôte jusqu'à l'apparence du bon sens.
L'obsession de l'antisémitisme tenaille à ce point Marine et son équipe qu'elles sont tombées dans le piège grossier de ce qu'elles nomment dédiabolisation et qui n'est qu'une soumission. Mais peut-on seulement reprocher à la cheftaine d'un mouvement en perte d'identité ce que l'une des plus puissantes entreprises internationales se trouve contrainte de faire ? Google vient de baisser pavillon, pour ne pas paraître anxiogène et antisémite, devant les objurgations comminatoires des activistes de la shoah. C'est le Guardian, le grand quotidien de gauche britannique, qui a lancé la curée. Voici comment Olivier Chicheportiche, de Zdnet, raconte l'affaire : « Google est certainement un des plus puissants moteurs de recherche mais la hiérarchie des résultats pose parfois problème. [...] Lors d'une requête en anglais "l'Holocauste a-t-il eu lieu ?", c'est un site violemment négationniste, donc puni par la loi, qui remonte au premier rang sur pas moins de 14 millions de réponses. Malaise voire scandale. Google met régulièrement en avant la pertinence de ses résultats et défait, avec ce type de question, les seules réponses qui ont vocation à bien remonter sont celles des négationnistes... Pour autant, face à cette situation (et à d'autres la même requête en français fait remonter en premier résultat le site de Robert Faurisson, négationniste français), Google consent aujourd'hui à quelques efforts ».
Quelques efforts ? Le mot est faible. Google a obtempéré en un temps record. Chicheportiche illustrait son papier d'une capture d'écran où l'on voyait, sur la page de recherche Google, Faurisson en premier et un autre site critique quant au « récit de l'Holocauste » en cinquième position. Aujourd'hui Faurisson arrive en septième position et Reynouard en neuvième. Et demain ? Même chose pour la question « La Shoah a-t-elle existé »? Le magazine en ligne Slate, lancé en France par l'ancien du Monde Colombani et Jacques Attali, se lamentait le 14 décembre que le premier site qui apparaissait pour répondre à la question s'intitulât ainsi : « Dix raisons pour lesquelles la Shoah n'a pas eu lieu ». Eh bien, c'est fini aujourd'hui les sept premiers sites sont tout ce qu'il y a de légal, orthodoxe et non anxiogène.
Comment Google a-t-il fait ? Sans doute en modifiant son "algorithme", l'instrument mathématique qui lui permet de classer automatiquement, parmi les informations nombreuses qui circulent sur la toile, celles qu il fait remonter en tête. Ce n'est pas si simple, et on se demande aujourd'hui sur quelle nouvelle méthode le premier moteur de recherche au monde fonde son choix. Voici ce qu il nous en dit dans un communiqué : « Juger quelles pages internet sont les mieux à même de répondre à une question est un problème complexe », sans doute, mais comment s’y prend-il ? Il ne le dit pas. Il tombe d'accord avec le Guardian et les activistes de la Shoah pour penser qu'il existe « des contenus qui ne font pas autorité », et cependant il ne les définit pas, ni ne donne de critère qui permette de les reconnaître. Ca n'empêche pas de faire la chasse à ces « contenus qui ne font pas autorité ». Voici encore ce qu'il en dit : « Lorsque des informations ne faisant pas autorité se classent trop haut dans les résultats de recherches, nous développons une approche évolutive et automatisée pour résoudre le problème, plutôt que de les retirer une à une manuellement ». Donc, à l'en croire, nous savons que Google n'a pas dépêché en catastrophe une équipe pour éliminer les sites révisionnistes, mais qu'il a bidouillé en quatrième vitesse un nouvel algorithme pour les rétrograder.
Cela pose plusieurs questions qui sont pour moi terriblement anxiogènes. La première, est-il conforme à l'éthique républicaine qu'un moteur de recherche qui sert à tout le monde modifie son système de choix à la requête d'un ou plusieurs particuliers représentant des intérêts privés ? Ou bien le système de sélection est bon et il est bon pour ce qui regarde la Shoah, ou bien il est mauvais, et il est mauvais pour tout. Quand on a accusé Google de faire remonter les sites avec lesquels il était en relation d'affaires, l'accusation avait de la consistance, qu'elle fût fondée ou non, on dénonçait un biais : ici, ce n'est pas le cas, on dénonce un résultat.
La deuxième question n'est pas anodine : qu'est-ce qu'un contenu qui ne fait pas autorité, et inversement qu'est-ce qu'un contenu qui fait autorité ? Ces questions induisent la vraie bonne question, concernant Google, donc le web, c'est, autorité auprès de qui ? Auprès des internautes qui posent des questions sur la Shoah ? Alors la réponse est assurément que les sites "négationnistes" font autorité, puisqu'ils apparaissent en tête et ce n'est qu'en introduisant un biais systématique que Google peut réduire cette autorité, artificiellement et mensongèrement. il faut être conscient qu'il s'agit d'une falsification. On peut la tenir, comme le font probablement les activistes de la Shoah, pour utile et bénéfique, ce n'en est pas moins une falsification manifeste.
Mais le patron de Google, Sundar Pichai, a introduit dans une interview donnée à la BBC une question encore plus ardue en affirmant qu'il ne devrait exister « aucune situation dans laquelle de fausses informations sont répandues ». Vaste ambition, aurait répondu le général De Gaulle, et Ponce Pilate aurait ajouté : qu'est-ce que la vérité ? Car il ne s'agit plus ici d'autorité, mais de vérité. En l'espèce, si la loi française interdit expressément de nier le génocide des juifs par le Troisième Reich, elle n'oblige nullement à croire comme du bon pain tous les témoignages fantaisistes. Qui donc va décider, sur les différents sites à référencer, de la valeur des témoignages et des preuves allégués ? Prétend-on transférer à un moteur de recherche le travail d'historien déjà indûment confié naguère aux tribunaux ? Il y a là un vrai problème moral et philosophique.
Monsieur Sundar Pichai, qui a l'algorithme dans le sang, a l'air de croire qu'on va le résoudre en améliorant les procédures informatiques. Ce n'est pas l'avis du Guardian, et de plusieurs sites qui réfléchissent sur la question. Ces philosophes du web pensent que, tant qu'on s'en tiendra à la technique mathématique des. moteurs de recherche, il n'y a pas de solution : une question de type « l'Holocauste a-t-il eu lieu » amènera toujours, en tête, des réponses révisionnistes. La solution proposée : déconnecter les algorithmes et rendre la main à l'humain, avec ses choix justifiés par "l'éthique". Vous avez dit censure ? Oui, décidément. Censure pour la bonne cause. Censure sacrée.
C'est très instructif. La machine prend partout le pas sur l'homme, elle va conduire bientôt, elle a commencé à le faire, elle assure notre sécurité, elle pense notre avenir. Les algorithmes et le calcul mathématique sont partout, l'intelligence artificielle nous supplée, elle va nous remplacer, mais, pour la Shoah, non. Pour l'Holocauste, pas touche ! Ce saint des saint doit rester la propriété des hommes - enfin, de certains hommes. C'est touchant. Pour une fois que l'histoire de la Shoah va servir à quelque chose, défendre les hommes contre les machines, on ne va pas se plaindre ! On va plutôt en rire. Voilà une nouvelle qu'elle est bonne ! Allez, n'ayons pas peur ! Et bonne année 2017
Hannibal Rivarol du 5 janvier 2017