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  • «Le système de la globalisation néolibérale craque de toute part»

    Interview de Natacha Polony accordée à Figarovox

    N.Polony.com_.Orwell-588x330.jpgA l’occasion de la sortie de l’essai collectif du Comité Orwell, Bienvenue dans le pire des mondes, sa présidente, Natacha Polony a accordé un entretien fleuve au Figarovox. Pour cette éditorialiste et essayiste française, il existe aujourd’hui une forme de totalitarisme soft.

     Figarovox : Vous publiez avec le Comité Orwell que vous présidez l’essai Bienvenue dans le pire des mondes. On pensait après 1991 être débarrassé des totalitarismes idéologiques. Sommes-nous plongés de nouveau dans les mondes de George Orwell et d’Aldous Huxley?

    Natacha Polony : Les concepts qu’ont mis en place Orwell [«1984»] et Huxley [«Le Meilleur des mondes»] permettent de penser un monde qui en apparence est totalement différent. Evidemment, notre monde n’a rien à voir avec celui de «1984». A la limite, avec toutes les manipulations de l’être humain permises par les avancées scientifiques, il a peut-être plus à voir avec celui d’Aldous Huxley dans «Le Meilleur des mondes». 

    En revanche, nous sommes bien dans des concepts forgés par Orwell utilisés à l’époque dans des contextes différents. Il ne s’agit pas de dire que le totalitarisme que nous vivons serait aussi violent et comparable aux véritables totalitarismes soviétique, maoïste ou nazi, bien sûr que non. C’est justement ce que nous appelons dans le livre le soft totalitarisme parce qu’il ne repose pas sur la coercition. Pour autant, il est tout aussi aliénant par certains côtés. Il faut absolument remettre en vigueur ces concepts marxistes d’aliénation et d’émancipation. Le système auquel nous faisons face remet en cause l’émancipation des peuples et des individus.

    Quel est ce système dont vous parlez?

    Nous avons cru être débarrassés des idéologies, mais nous avons aujourd’hui à l’œuvre quelque chose qui se présente sous les habits de l’évidence, parfois de la science économique, en tout cas du pragmatisme, mais qui relève bel et bien de l’idéologie. C’est celle du libre-échangisme qui s’est développée à partir des années 1970 et qui a remis en cause petit à petit tous les acquis sociaux non seulement des classes populaires mais aussi des classes moyennes, notamment en France les acquis sociaux du Conseil national de la résistance (CNR).

    Cette idéologie s’est mise en place à partir de Reagan et Thatcher mais elle a vécu son ère de toute-puissance lorsque des sociaux-démocrates sont arrivés au pouvoir, aux Etats-Unis avec Bill Clinton, en Angleterre avec Tony Blair, des élus qui ont libéralisé les flux de capitaux, ont remis en cause la séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement, toutes ces mesures qui permettaient de protéger les citoyens contre le capitalisme prédateur.

    Le capitalisme est-il forcément prédateur?

     Pour le dire simplement, tout au long du XXe siècle, le capitalisme a été contenu par le fait qu’il avait un ennemi: le communisme. Il fallait alors que les classes dominantes nouent un contrat avec les classes populaires, c’est-à-dire qu’elles abandonnent une part de leur domination – ascenseur social, règles de protection, bref, modèles sociaux qui étaient ceux des pays occidentaux – pour que ces classes moyennes adhèrent à la démocratie libérale. A partir du moment où le capitalisme n’a plus eu d’ennemi quand le mur de Berlin est tombé en 1989, on a vu réapparaître le vrai visage d’un capitalisme déconnecté de l’économie réelle, qui n’existe plus que pour lui-même. Il ne sert plus à financer l’économie, mais il sert seulement à produire encore plus de capital. Ce système a abouti finalement à la crise de 2008. Avec le comité Orwell, nous disons qu’il s’agit d’un soft totalitarisme car il s’impose contre la volonté des peuples, tout en gardant les apparences de la démocratie. Nous rappelons dans le livre la phrase de David Rockefeller, fondateur du groupe Bilderberg et président de la Commission Trilatérale, deux groupes d’influences au service des multinationales, dans Newsweek en 1999: «Quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l’identité adéquate pour le faire.»

    On peut comprendre la logique d’un «capitaliste» à préserver un tel système… mais qu’est-ce qui fait que les citoyens l’acceptent bon gré mal gré? Pour reprendre le langage d’Huxley, quel est le somma qui peut endormir les citoyens?

     Il y a d’abord la société de consommation et son pendant, la société du bien-être. Elle agit à travers une idéologie du progrès qui est totalement détachée de l’idée de progrès moral de l’humanité, de progrès de la liberté, de progrès de l’émancipation. Cette idéologie s’est entièrement consacrée au progrès du bien-être. C’est ce droit des peuples à disposer d’un écran plat et d’un iPad qui permet l’assentiment.

    Et y a-t-il une «novlangue»?

     Oui, elle est efficace parce qu’à travers une forme de manipulation du langage, tout ceci est présenté sous les aspects de l’objectivité pure et s’est détaché de tous les attributs habituels de l’idéologie. Il suffit d’ailleurs de regarder comment sont présentés les débats idéologiques dans les médias. On ne dit pas «libre-échange» contre «protection». On dit «ouverture» contre «fermeture». Qui serait contre l’ouverture? Evidemment, dit ainsi, l’«ouverture», c’est bien, la «fermeture», c’est mal. Tout le langage est manipulé pour essayer de faire croire que les tenants de régulation de ce système veulent revenir à la nation, au renfermement des peuples sur eux-mêmes. Ils n’aimeraient pas l’Autre parce que – grande manipulation suprême – tout ça se fait finalement au nom de l’Autre, au nom du sympathique migrant. C’est une instrumentalisation du sort de malheureux qui fuient la misère, mais qui permet d’imposer aux classes moyennes et populaires des pays développés un système creusa les inégalités. Il suffit de voir comment a été reçu notre livre. Immédiatement, on nous a accolé des adjectifs comme «identitaire», «populiste» et même «complotiste»…

    Quel est le rôle des médias dans la transmission de cette novlangue? Dans les salles de rédaction, il n’y a pas de grand marionnettiste qui tire les ficelles et impose ce système libre-échangiste à tendance softement totalitaire!

    Il y a ce qui relève de ce que Pierre Bourdieu appelait un «procès sans sujet», c’est-à-dire que personne n’est coupable immédiatement. Chacun de leur côté, les journalistes tentent de faire leur travail au mieux, mais il se trouve que chacun, malgré lui, participe à ce processus sans sujet. Nous avons fondé le comité Orwell avec Jean-Michel Quatrepoint, Alexandre Devecchio, Emmanuel Lévy, Gérald Andrieu, des journalistes qui venons de différents médias et qui n’avons pas les mêmes opinions politiques et venons d’horizons différents (Le Monde, Marianne, Le Figaro, Causeur).

    Mais nous l’avons fondé parce qu’il nous semblait que certains sujets n’étaient jamais traités dans les médias ou étaient totalement sous-traités ou seulement selon un prisme qui était au service de cette seule idéologie libre-échangiste et qui ne laissait jamais apparaître les problématiques à l’œuvre en profondeur. Là aussi, revenons-en à Marx et à la différence qu’il établit entre infrastructure et superstructure. On nous vend toujours un débat quasiment moral, sur l’immigration, sur l’ouverture, sur le protectionnisme, et on ne va jamais voir les infrastructures, c’est-à-dire les questions économiques qui fâchent: à qui profite ce système? Le système profite évidemment aux grandes multinationales qui ont confisqué l’économie à leur seul profit, multinationales qui sont en grande majorité anglo-saxonnes et même américaines, en particulier ce que l’on appelle les «GAFA»: Google, Apple, Facebook, Amazon, dont la capitalisation boursière atteint les 600 milliards de dollars. Google dispose aujourd’hui d’à peu près 250 milliards de dollars en cash dans des paradis fiscaux.

    Ces problèmes ne sont absolument pas abordés dans les médias parce qu’il y a aujourd’hui une concentration des médias dans les mains de groupes capitalistes qui achètent de l’influence. Les journalistes sont aujourd’hui soumis à un pouvoir économique. Ils subissent une pression pour traiter leurs sujets trop rapidement, selon un rythme qui est celui des chaines d’information en continu, qui ne leur permet pas d’adopter un point de vue éclairé. On pourrait d’ailleurs multiplier les analyses sur le monde médiatique, parler ainsi de la déstructuration dans beaucoup de journaux des différents services. Auparavant, les journalistes étaient des spécialistes de leurs sujets, ils pouvaient parler d’égal à égal avec leurs interlocuteurs et avec leurs sources. Tout ceci a été démantelé au profit d’un journalisme qu’on a voulu axer dans les années 1990 vers ce que l’on appelle l’investigation, avec un roulement dans les services qui les empêche d’acquérir un recul historique.

    Traditionnellement, dans les totalitarismes, la propagande, les médias, sont importants, mais il y a aussi un autre levier qui est celui de l’éducation. Comment l’Education nationale par exemple, qui est encore un organisme étatique, peut-elle être imprégnée par cette globalisation idéologique libre-échangiste?

    On nous présente l’éducation comme l’un des derniers domaines régaliens, ce qui signifierait d’ailleurs que l’échec absolu de l’école française relèverait finalement de la défaillance de notre système étatique trop élitiste. C’est une idée fausse. Il y a depuis trente ans un mouvement d’uniformisation des systèmes éducatifs sous les conseils des grandes instances internationales qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de l’OCDE, à travers notamment les textes qui accompagnent les fameuses études PISA.

    Ces textes dictent aux différents pays ce que devrait être un bon système éducatif. Ces recommandations vont toujours dans le sens d’un utilitarisme qui ferait de l’éducation – pour reprendre d’ailleurs une phrase d’un lobby européen – un «service rendu aux entreprises». On veut faire des élèves de futurs salariés, employables à volonté et pour cela adaptables. On oublie totalement la dimension culturelle, patrimoniale, civilisationnelle de l’éducation. Et évidemment la dimension essentielle de l’éducation qui est l’émancipation des individus. Les connaissances, le savoir sont vus dans cette idéologie seulement comme un capital que chaque individu va pouvoir faire fructifier pour participer à la croissance globale. On ne se rend pas compte qu’on détruit ainsi ce qui fait la richesse de l’école, sa capacité à transmettre des savoirs universels qui donnent cette capacité aux individus de lire le monde. C’est ce qui a fait autrefois la grandeur de l’école française et qui a permis de perpétuer l’histoire des nations, une certaine idée de la France, comme il y avait une certaine idée de l’Angleterre ou une certaine idée de l’Allemagne. Il y a bien une globalisation à l’œuvre dans l’éducation, au service de ce système économique.

    Qu’en est-il de l’hyper-individualisme? A la fin de l’ouvrage, la victoire du «minoritarisme» est évoquée. Comment cette propension à accorder des droits individuels participe à alimenter ce totalitarisme soft?

    Il ne s’agit évidemment pas de nier les avancées nécessaires des droits telles qu’on les a connues depuis la Révolution française. Nous sommes bien d’accord que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est une avancée majeure dans l’humanité – encore ne faut-il pas oublier le terme de citoyen … Mai 1968 a apporté des droits absolument fondamentaux pour les êtres humains. Il était nécessaire que cette avancée se fasse dans certains domaines, notamment en matière d’égalité homme-femme. Mais ce que l’on observe aujourd’hui est différent.

    C’est l’idée que la démocratie se réduirait au progrès indéfini des droits individuels. Ce faisant, on détourne la démocratie de son véritable rôle qui est de permettre l’expression de la souveraineté des peuples et, à travers cela, de la souveraineté de chaque individu en tant que citoyen, qui permet à ceux-ci de décider en commun de leur destin.

    Cette avancée des droits individuels se fait sous l’apparence du beau, du bien et du bon. Là encore, qui serait contre accorder davantage de droits? Si on le présente ainsi, bien sûr que ce processus apparaît comme la victoire du camp du bien. Sauf que là encore, c’est une façon très particulière de présenter les choses puisqu’il s’agit avant tout de découper la communauté nationale de chaque pays en tranches d’individus ou de petites communautés qui vont être traités comme un cœur de cible marketing. Les individus sont ainsi empêchés de se forger une volonté citoyenne nécessaire à la lutte contre les grands intérêts privés. En démantelant la pensée majoritaire qui est l’essence même de la démocratie, on tue la capacité à lutter contre l’appropriation de l’espace public par des intérêts privés.

    Donald Trump aux Etats-Unis, Brexit au Royaume-Uni, explosion des différents «populismes» en Europe … Ce monde du totalitarisme soft que vous décrivez n’est-il pas gravement secoué? N’y a-t-il pas dans tous ces phénomènes politiques récents un même rejet d’une globalisation néolibérale qui augmente les inégalités socio-économiques et qui uniformise culturellement le monde?

    Bien sûr! Il y a dans ces insurrections par le vote quelque chose qui ressemble à une fronde contre un système dont les citoyens de tous les pays occidentaux voient bien qu’on le leur a imposé. Ce n’est pas forcément pour le meilleur d’ailleurs… Car personne ne peut trouver formidable Donald Trump avec ses excès, avec tout ce qu’il peut dire d’absolument consternant. Mais justement, sortons des fausses alternatives! De même que ce n’est pas parce que nous sommes attaqués par un totalitarisme bien plus dangereux, frontal et brutal qu’est le totalitarisme islamiste qu’il faut refuser de voir ce soft totalitarisme dont nous parlons. Ne serait-ce que parce que ce soft totalitarisme fait le lit du totalitarisme islamiste. D’abord parce qu’il déstabilise les Etats-nations, ensuite parce qu’il détruit tous les anticorps des individus qui permettent de lutter contre la radicalisation. Encore parce que cette mondialisation financière et néolibérale s’appuie sur le consumérisme, sur l’abrutissement généralisé des populations et finalement sur leur enfermement dans la simple consommation et dans une misère sociale de plus en plus grande.

    Sous prétexte qu’il y a un danger islamiste, il ne faut pas refuser de remettre en cause le système tel qu’il est. C’est la raison pour laquelle l’insurrection par le vote que l’on observe un peu partout est une des formes de la colère des peuples. Il faudrait mieux que l’on prenne en compte cette colère, qu’on la comprenne et qu’on y réponde, plutôt que de laisser bouillir la marmite.

    Au lieu de cela, la réaction depuis quelques années consiste à transformer petit à petit nos institutions pour tenter de verrouiller le système démocratique. On voit très bien comment le système a exclu Bernie Sanders, comment l’establishment démocrate a d’ailleurs ouvertement triché pour favoriser Hillary Clinton. Ça leur a évidemment explosé à la figure, mais pour autant il y a bien là une forme de confiscation de la démocratie. De même en France, on voit comment le mécanisme des primaires essaie de contenir tout ce qui pourrait remettre en cause le système.

    N’y a-t-il pas lieu d’être optimiste puisque François Fillon par exemple n’était pas le candidat de l’establishment et a fait mentir les prévisions tant politico-médiatiques que sondagières?

    Oui, effectivement, on a François Fillon d’un côté. On a de l’autre Jean-Luc Mélenchon qui refuse d’entrer dans le cadre des primaires. On voit bien que ce système ne marche pas et qu’il craque de tous les côtés. Mais le tout est de savoir si l’on arrivera à remettre en cause ce qui est la base de ce soft totalitarisme, à savoir le pouvoir des multinationales à travers l’idéologie libre-échangiste.

    Les peuples peuvent s’exprimer par leur vote, mais encore faut-il ensuite que les élus puissent agir conformément à leur mandat. Dans un monde de plus en plus complexe, global, rapide, interconnecté, n’y a-t-il pas une impuissance naturelle du politique? Est-ce à l’échelon national que le politique peut être vraiment en prise avec le réel?

    Ce n’est pas à l’échelon national que les problèmes se règleront, mais l’échelon national sert prioritairement à exprimer la volonté des peuples. Pour le reste, nous avons laissé faire cette impuissance politique, elle a été organisée. Notre rôle de citoyen est d’imposer à nos politiques une obligation de puissance. Il s’agit pour nous de choisir les politiques qui auront la volonté de lutter contre ce système. Ça s’appelle la souveraineté. Lutter contre cette globalisation qui privatise la démocratie, cela peut se faire grâce à des politiques qui sauront refuser ce qui leur semble inacceptable, par exemple refuser les traités de libre-échange dans la mesure où ceux-ci sont une renonciation totale au modèle civilisationnel européen.

    Et pardon, ce n’est pas si compliqué de le refuser! J’ai le souvenir des propos du Général De Gaulle cité par Alain Peyrefitte dans «C’était De Gaulle». Ce dernier lui parlait du Traité de Rome et lui faisait remarquer que rien n’était prévu pour en sortir. De Gaulle répondait en substance: «C’est de la foutaise. Avez-vous déjà vu un grand pays être couillonné sous prétexte qu’il n’y a rien de prévu pour qu’il arrête d’être couillonné?». Il continuait en disant: «Quand on est couillonné, on dit «je suis couillonné, je m’en vais. C’est tout». C’est une question de volonté. Ça ne veut pas dire de se renfermer dans ses frontières comme on veut nous le faire dire. Mais ça veut dire réguler ce système. Il s’agit d’une juste régulation pour préserver les intérêts des citoyens.

    Votre ouvrage se conclut par un appel à passer d’une gestion globale des choses à une gestion locale. Le Small is beautiful publié en 1979 par l’économiste Ernst Schumacher est-il encore vraiment possible à l’heure des grandes ruptures technologiques que nous connaissons? N’est-ce pas utopique?

     C’est non seulement pas utopique, mais ce sont même les nouvelles technologies dans ce qu’elles ont de positif qui peuvent nous aider. C’est par là qu’on peut retrouver une pleine souveraineté sur notre façon de vivre, de consommer, de nous mouvoir, etc. Tout achat est un acte politique. Par ces choix de consommation, on choisit de soutenir un système ou un autre. C’est par le retour à une échelle locale que nous allons de nouveau pouvoir maitriser les flux économiques et retrouver un poids qui nous permettra de décider de notre avenir, de faire face à ce qui jusqu’à présent n’est qu’une concurrence déloyale. Reprendre une échelle locale permettra au citoyen d’avoir une prise et de répondre ensuite aux grands enjeux internationaux.

    Le système craque et l’on voit tout à coup l’Europe imposer à Apple une amende de 13 milliards d’euros pour tout ce dont elle a bénéficié comme largesses fiscales de la part de l’Irlande. Ça ne s’est fait que pour une raison: parce qu’il y a eu le Brexit et parce qu’il y a eu la remise en cause populaire des traités de libre-échange. C’est la voix des peuples qui a permis à l’Europe de retrouver son rôle. Il faut que l’Europe retrouve ce pour quoi elle a été fondée, à savoir la préférence communautaire. Au départ, il s’agissait de créer un marché intérieur, d’échanger entre pays qui auraient les mêmes conditions et qui œuvreraient ensemble parce qu’ils auraient la même vision et la même culture de ce que seraient les droits sociaux. Ceci a été complètement brisé en élargissant l’Europe de façon folle, en ouvrant les frontières au nom d’une idéologie libre-échangiste que ne pratiquent pas les autres grands ensembles du monde. Avec le Comité Orwell, nous avons voulu mettre des mots sur ce que les citoyens ressentent, parce qu’ils savent qu’on est en train de leur confisquer leur liberté, leur voix, leur souveraineté.

    Natacha Polony 25/11/2016

    Propos recueillis par Alexis Feertchak, www.lefigaro.fr, (25/11/16)

    Sources : Le Figaro.fr  et Horizons et Débats ( 23/01/2017)

    Voir aussi : Comité ORWELL, Natacha POLONY, Bienvenue dans le pire des mondes / Le triomphe du soft totalitarisme, Plon 17/11/2016, 216 pages.

    http://www.polemia.com/le-systeme-de-la-globalisation-neoliberale-craque-de-toute-part/

  • Faut-il applaudir aux primaires de la gauche ?

    Une fois de plus les études par sondages se sont trompées. Le premier tour des primaires de gauche a placé en tête celui que personne n'attendait il y a seulement 15 jours.

    Le 8 janvier par exemple, on pronostiquait Valls "en tête d'un sondage réalisé auprès des sympathisants de gauche par l'institut Ifop et publié dans le Journal du Dimanche. 36 % de ces sympathisants souhaiteraient que l'ancien Premier ministre soit désigné candidat pour 2017 à l'issue de la primaire organisée par le parti socialiste. C'est une avance conséquente sur Arnaud Montebourg 24 % et Benoît Hamon 21 %, ses deux premiers poursuivants. Pourtant, comme le relève le Journal du Dimanche, c'est 8 points de moins qu'il y a un mois : 45 % pour Valls, 25 % pour Montebourg, 14 % pour Hamon. Parmi les seuls sympathisants du parti socialiste, Manuel Valls a les faveurs de 51 % de sondés, là où Arnaud Montebourg est préféré par 18 % et Benoît Hamon par 16 %, au vu de ces données." (1)⇓

    Le cafouillage sur les chiffres de la participation, ayant alimenté tous les commentaires polémiques de la journée du 23 janvier, a sans doute occulté cette confirmation d'une tendance observée durant toute l'année 2016. Cette nouvelle illustration de l'incertitude des pourcentages annoncés à l'avance ne les empêche pas cependant de demeurer la base de tous les raisonnements prédictifs, de toutes les stratégies, de toutes les tactiques.

    On ne sait pas si la belle alliance populaire a mobilisé le 22 janvier 1 200 000 ou 1 600 000 électeurs mais on croit connaître, avec quatre chiffres significatifs, précision scientifique impressionnante, le territoire respectif des candidats. Voila qui démentait l'affirmation du président de ce qui s'appelle pompeusement la "Haute autorité" (sic), Thomas Clay, professeur de droit s'il vous plaît, pour lequel on se situe aux alentours, "plus proches" de 2 millions de votants.

    Avant même par conséquent de suivre les raisonnements géométriques sur les déplacements de pourcentages, on devra désormais se poser la question de savoir pourquoi les gros moyens de désinformation se trompent aussi systématiquement.

    Nous voici cependant enfin à pied d'œuvre. Nous arrivons en vue d'une bataille électorale où tout est devenu possible. "Tout" cela inclut par conséquent l'imprévisible. L'année 2016 nous en avait donné un avant-goût. Et, pour 2017, la seule certitude solide relève du calendrier, fort chargé, celui des élections françaises au printemps et des élections allemandes à l'automne.

    Pour dire les choses plus clairement encore : si, au lendemain des primaires de droite, fin novembre 2016, l'issue du scrutin présidentiel futur semblait comme "pliée", courue d'avance aux yeux des commentateurs agréés, cette apparence, si souvent illusoire, paraît en l'occurrence largement dissipée quelques semaines plus tard.

    Les enjeux de la bataille à venir dépassent en réalité la question des personnes et des appareils politiciens. La représentation politique de ce qu'on appelle la droite par exemple reste essentiellement tributaire des réseaux de pouvoir voire des tics de langage du gaullisme. Sur les 7 candidats à la candidature "de la droite et du centre" qui concoururent en novembre, 6 étaient issus du RPR, la seule exception étant celle de Jean-Frédéric Poisson considéré comme marginal.

    En revanche sur les 4,3 millions de Français qui se déplacèrent alors pour désigner leur candidat, la grande majorité s'est ralliée à des réformes que le parti gaulliste a toujours esquivées, préférant toujours l'idée "sauver le modèle social français" au constat de faillite de ce "modèle".

    Ceci veut dire que le vrai combat pour le redressement de la France et de l'Europe doit se situer sur le terrain des idées, laissant de côté le choc des ambitions, des prébendes et des petites gloires stériles.

    Oui, on peut déjà se féliciter des primaires de la gauche, en ce sens qu'elles actent la déchéance de la vieille idéologie socialiste et du parti d'Épinay. Reste à construire une réponse qui ne soit pas entachée de l'imposture du macronisme, dernier espoir et dernière pensée du Waterloo hollandiste, dernier avatar d'une gauche en déréliction.

    C'est donc bien maintenant que la vraie campagne commence.

    JG Malliarakis

    Apostilles

    1. cf. Le Point 8.1.17

    http://www.insolent.fr/page/2/

  • Envoyé spécial : « Otages d’Etat »

    Cette enquête apporte les preuves que la France a versé près de 40 millions d’euros à AQMI pour la libération des otages d’Arlit. Il met également en lumière les « guéguerres » entre services et le rôle trouble de certains « privés » dans les négociations qui ont conduit à la libération des otages et à l’assassinat de deux journalistes de RFI à Kidal en 2013. 

    Un an durant, Envoyé spécial a enquêté sur une affaire d’Etat : la question des négociations qui ont rendu possible la libération des otages d’Arlit, enlevés au Niger en septembre 2010. Signée Geoffrey Livolsi, Michel Despratx, Antoine Husser, Loup Krikorian et Marielle Krouk, cette investigation aux révélations explosives, explore les liens qui existent avec une seconde affaire : l’enlèvement et l’assassinat de deux journalistes français de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à Kidal, au Mali.


    Envoyé spécial. Otages d'Etat

    http://www.contre-info.com/

  • Le moment populiste

    le-moment-populiste.jpgL’extraordinaire défiance de couches de population toujours plus larges envers les « partis de gouvernement » et la classe politique en général, au profit de mouvements d’un type nouveau, qu’on appelle « populistes », est sans nul doute le fait le plus marquant des transformations du paysage politique intervenues depuis au moins deux décennies. Le phénomène tend même à s’accélérer, comme l’a montré l’élection de Donald Trump, survenant quelques mois après le « Brexit » britannique. Partout se confirme l’ampleur du fossé séparant le peuple de la Nouvelle Classe dominante. Partout émergent de nouveaux clivages qui rendent obsolète le vieux clivage droite-gauche.

    Mais que faut-il exactement entendre par « populisme » ? S’agit-il d’un simple symptôme d’une crise générale de la représentation ? D’une idéologie ? D’un style ? Ou bien le populisme traduit-il une demande fondamentalement démocratique face à des élites accusées de ne plus faire de politique et de vouloir gouverner sans le peuple ? C’est à ces questions que répond ce livre, qui part de l’actualité la plus immédiate pour situer les enjeux politiques, sociologiques et philosophiques du débat.

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    Editions Pierre-Guillaume de Roux, 352 p. – 23,90 euros

    http://www.alaindebenoist.com/index.php/2017/01/26/le-moment-populiste/

  • De la primaire socialiste à la finale présidentielle du 7 mai...

    La Primaire de la Gauche tourne au pugilat entre les deux finalistes, et les discours de MM. Valls et Hamon semblent négliger que c’est bien leur camp politique qui gouverne le pays depuis 2012, les deux candidats ayant été ministres de M. Hollande, pour le premier jusqu’au mois dernier quand le second a quitté le navire dès l’été 2014, marquant alors son désaccord avec la ligne générale incarnée par le président et le premier ministre du moment. Or, à bien écouter les différents débats des dernières semaines, j’ai parfois l’impression que les deux concurrents agissent et parlent comme si le Pouvoir leur était totalement inconnu, ce qui est tout de même un comble…

    La grande querelle des féodaux socialistes n’est qu’un épisode de ce combat des chefs pour conquérir la magistrature suprême de l’Etat, un feuilleton qui va tenir le Pays légal en haleine jusqu’en mai prochain. Une querelle qui, si l’on entend les commentaires des habitués du « parlement du peuple » (tel que l’entendait Balzac), motive plus par la possibilité de « dégager » l’ancien locataire de Matignon que par les idées mêmes de son adversaire.

    Mais, dimanche soir prochain, lorsque le candidat officiel du Parti socialiste aura été désigné par les « socialistes d’un jour », la campagne prendra une nouvelle tournure car les principaux protagonistes seront alors tous connus : mais, des cinq présumés favoris, il ne devra en rester que deux pour le combat final du 7 mai, et, il faut bien l’avouer, nul ne sait, à l’heure présente, qui seront ces deux-là ! En trois mois, comme on l’a vu en ces dernières semaines, les pronostics et les évidences peuvent être bouleversés par quelques surprises dont il n’est pas certain qu’elles soient agréables pour tous…

    De cette lutte électorale, le vainqueur sortira-t-il autrement qu’épuisé et sa victoire sera-t-elle autre chose que l’addition des mécontentements ou des oppositions à son adversaire ultime ? A moins qu’il suscite une espérance qui, bientôt, risque de disparaître devant des réalités qui résistent mieux aux promesses que les électeurs, ou sous les pressions d’une Union européenne qui ne parle que de « respect des règles budgétaires » quand il faudrait penser ambition géopolitique et grands projets…

    C’est le grand inconvénient de « notre » République contemporaine, celui d’être prisonnière d’une incertitude électorale qui aiguise les appétits et suscite les jeux d’appareil et le choc des ambitions personnelles, alors qu’il faudrait additionner les énergies et les propositions pour les rendre efficaces dans le service de l’Etat : la Monarchie, qui n’est pas « le » régime parfait mais qui prend en compte les imperfections humaines comme politiques pour mieux les dépasser, est le meilleur moyen d’assurer la continuité au-dessus des querelles de partis ou de personnalités politiques. C’est aussi l’incarnation d’une unité qui est celle de la nation ; c’est le trait d’union des diversités françaises, dans tous leurs aspects et toutes leurs contradictions ; c’est ce qui permet et garantit l’expression des opinions politiques sans forcément menacer la magistrature arbitrale suprême de l’Etat…

    http://nouvelle-chouannerie.com/

  • Citoyenneté et nationalité

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    Richard Dessens EuroLibertés cliquez ici

    Les débats sur l’identité qui se succèdent depuis une dizaine d’années sèment une confusion et provoquent des antagonismes pour la raison qu’ils reposent sur des fondements faussés. En effet, avant d’évoquer une « identité », il faudrait d’abord définir sur quoi elle porte. Or, le véritable problème est celui qui est créé par la confusion qui existe, en France notamment, entre la « citoyenneté » et la « nationalité ». La citoyenneté est de nature juridique et ouvre des droits politiques. À ce titre, elle procède d’une logique administrative qui permet d’accorder, ou pas, la citoyenneté, à n’importe qui résidant sur un territoire donné. Aucun autre critère ne peut être requis. Délivrer la citoyenneté est donc un acte qui ne prend en compte aucune appartenance particulière à des valeurs, ou à une communauté, ou l’attachement à une histoire, une culture, et encore moins à une civilisation. Elle n’implique aucun engagement de fidélité à quoi que ce soit.

    Au contraire la nationalité induit une notion ethnique, un lien avec une nation, c’est-à-dire une entité humaine aux valeurs communes et à la communauté de destin de ses membres. L’histoire, les traditions, la défense de son identité, en font la substance et la réalité quotidienne, avec la volonté d’adhérer de bonne foi, naturellement donc, à ses règles de convivialité, à ses codes sociaux. La patrie est un sentiment charnel, la nation une organisation et un ordre social de femmes et d’hommes au passé et au devenir communs et identifiés.

    Tant que notre système juridico-politique s’entêtera, pour des raisons idéologiques, à confondre citoyenneté et nationalité, tout débat sur l’« identité » et sur l’« Europe » restera stérile, inutile, voire dangereux. Or, la source de cette confusion se situe dans la création factice des « États-Nations » qui mêlent citoyenneté et nationalité, travestissant la notion même de nationalité, en fabriquant une fausse nationalité conforme aux contours géographiques de l’État, à partir des nationalités régionales dévalorisées, et justifiée par la citoyenneté, liée aux États nouveaux et aux idées des « Lumières » concrétisées par la Révolution.

    C’est là que se situent l’imposture, et les ambiguïtés qui en découlent, des États-Nations et l’impossible débat sur toute notion d’« identité », devenue essentielle dans le monde nouveau de la globalisation. Globalisation financière ne veut pas dire globalisation humaine, malgré la volonté de nos élites « droits-de-l’hommistes » dominantes.

    Séparer citoyenneté et nationalité aboutit ainsi à la suppression des États-Nations européens, pour donner un sens à des « identités » qui retrouveraient leurs véritables racines. Ainsi, une Europe nouvelle pourrait voir le jour, la nationalité entraînant d’office la citoyenneté, mais non l’inverse. N’importe qui pourrait être « citoyen », c’est-à-dire posséder des droits politiques, le droit de vote notamment, sans bénéficier des avantages sociaux, sans participer automatiquement à la vie culturelle, sans être non plus soumis aux contraintes imposées aux membres de la nation, et notamment sa défense à titre militaire par exemple. La nationalité renvoie à une communauté humaine spécifique de destin, la citoyenneté à un acte juridico-administratif.

    Cette conception a été évoquée par des esprits d’origines très diverses, depuis Yann Fouéré et son excellent ouvrage, déjà ancien, L’Europe aux cent drapeaux, jusqu’à Dominique Schnapper dans Qu’est-ce que la citoyenneté ?, autre excellente étude, plus récente, sur la citoyenneté vue sous un angle certes très différent de celui de Fouéré. Ce n’est donc pas une question d’idéologie lorsque l’honnêteté intellectuelle et l’impartialité amènent à des réflexions finalement proches de la part de personnages aussi différents politiquement que ces deux auteurs prestigieux.

    L’Europe nouvelle ne pourra exister sans reconnaître qu’elle comporte « cent drapeaux » nationaux. Et une citoyenneté supplémentaire.

    http://synthesenationale.hautetfort.com/

  • Revenu universel ? – Entretien avec Eric Verhaeghe

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    La question du revenu universel revient souvent dans les débats de la présidentielle. L’enthousiasme ou la répulsion qu’il suscite semblent basés sur une incompréhension ou une méconnaissance de ce concept. Eric Verhaeghe, que nous avions interrogé lors de la parution de Ne t’aide pas et l’Etat t’aidera (Présent du 25 février 2016), livre où il aborde la question, nous donne quelques clés pour mieux saisir les enjeux de ce fameux revenu.

    8788-20170128.jpg— Dans votre livre, vous écriviez que le revenu universel est « l’avenir de la Sécurité sociale ». Pouvez-vous nous rappeler les caractéristiques de ce dispositif tel que vous le concevez ?

    — Il me semble qu’il existe un malentendu curieux sur le revenu universel tel qu’il est promu par certains « libéraux ». Ceux-ci veulent ajouter une sorte de nouvelle prestation sociale, dont le coût est colossal, et qui bénéficierait à tout le monde. De mon point de vue, c’est une erreur de sens : le revenu universel ne doit pas s’ajouter aux prestations sociales existantes, et en particulier à la sécurité sociale, mais il doit la remplacer. Au lieu d’ajouter 400 milliards aux près de 1 000 milliards de prélèvements publics existants, il vaut mieux transformer les 600 milliards qui financent l’offre sociale (notamment l’offre médicale) en 600 milliards d’allocation universelle qui permettraient aux Français de souscrire aux contrats d’assurance sociale de leur choix. L’utilisation de ces 600 milliards serait exclusivement réservée à la souscription de contrats de protection sociale. On évite ainsi l’effet « paresse ». Le revenu universel ne sera pas versé pour acheter des téléphones portables ou des voitures, mais pour que chacun assure sa propre protection. La mesure est éminemment responsabilisante.

    — Ce n’est donc pas une incitation à ne plus travailler et à se laisser vivre – objection qu’on entend souvent ?

    — Eh non, puisque l’argent n’ira pas directement dans la poche des assurés et ne pourra être utilisé pour des babioles. Il sera fléché vers la protection sociale. Simplement, au lieu de subir une sécurité sociale déresponsabilisante comme aujourd’hui (avec cette fameuse phrase qu’on entend dans le métro : « J’ai droit chaque année à X jours de congé maladie », ou cette conviction ancrée dans certaines campagnes selon laquelle la sécurité sociale doit rembourser le taxi des malades jusqu’à l’hôpital), les Français devront faire un choix individuel réfléchi pour satisfaire à leur obligation d’assurance.

    — Marc de Boni, journaliste au Figaro, écrit que la proposition d’un revenu universel se situe « à la jonction de la vision marxiste et de la pensée libérale ». Cela vous paraît-il juste ?

    — Il me semble que le revenu universel est d’abord une idée libérale. Les marxistes l’ont volontiers repris à cause du malentendu introduit par certains « libéraux », pour qui le revenu universel est un outil de lutte contre la pauvreté. Sous l’expression « revenu universel » coexistent deux notions distinctes : d’un côté, la vision libérale d’une redistribution égalitaire d’une partie du PIB pour que chacun soit protégé, de l’autre, une vision plus marxiste selon laquelle le revenu universel est un outil nouveau et supplémentaire de lutte contre la pauvreté.

    Propos recueillis par Samuel Martin

    Entretien paru dans Présent daté du 28 janvier 2017

    http://fr.novopress.info/203093/revenu-universel-entretien-avec-eric-verhaeghe/