On ne présente plus Jean-Christian Petitfils. Il est l’auteur de nombreux ouvrages couronnés de succès, dont de nombreuses biographies (1) qui nous permettent de mieux connaître et comprendre notre histoire.
Dans le présent livre, sous titré Mystères et secrets d’une prison d’Etat, il nous présente une Bastille bien éloignée des clichés propagés par le système éducatif républicain. La force de ce nouvel opus repose sur deux éléments. Comme à son habitude, l’auteur a fouillé et décrypté les archives. De plus, son ouvrage n’est pas qu’historique au sens académique du terme. Il se lit également comme un véritable roman d’aventures. En effet, les embastillés se livrèrent à des activités tellement diverses et variées que nous avons peine à y croire. Au sein de la vieille forteresse royale, il y eut des rebellions, des expériences alchimiques autorisées par le gouvernement, des évasions ratées ou réussies, la naissance d’un enfant, l’écriture de grands livres (2) et bien évidemment des histoires d’amour. Bien qu’elles ne représentent que 10% des prisonniers tout au long de l’histoire de la Bastille, les femmes enfermées ne se privaient pas de coquetterie et de galanteries, au point de faire tourner la tête de leurs gardiens et confrères prisonniers. A ce sujet, les murs les plus épais n’empêchèrent point l’amour courtois, mais il est vrai que nous étions dans une autre époque…
Comme chacun sait, la Bastille fut prise le 14 juillet 1789 par les émeutiers. Elle devait avoir une triste réputation à cette époque pour représenter un « symbole de l’absolutisme royal ». Déjà, son aspect massif en imposait aux parisiens. Restif de La Bretonne a écrit : « C’était un épouvantail que cette Bastille redoutée, sur laquelle, en allant chaque soir dans la rue Saint-Antoine, je n’osais lever les yeux » (3). De même, les écrits des philosophes, non dépourvus d’exagération, contribuèrent à sa mauvaise réputation. A ce sujet le chapitre intitulé La Bastille et l’opinion expose comment la propagande et la force du verbe peuvent altérer et transformer la vérité. Voltaire, lors de son deuxième embastillement, écrivit des vers (4) dans lesquels il se plaignait de son fort mauvais traitement, alors qu’il fut bien considéré. Il put même dresser la liste de ses besoins : « Deux livres d’Homère, latin-grec ; deux mouchoirs d’indienne ; un petit bonnet ; deux cravates ; une coiffe de nuit ; une petite bouteille d’essence de geroufle. » L’ironie de l’histoire reste que la Bastille souffrait de la réputation contraire d’être à la fois « La plus douce et la plus dure prison de France ». Comme pour la vie en dehors de la forteresse, tout dépendait du statut social du prisonnier. Certains finissaient par mourir des mauvais traitements, de l’absence d’hygiène et des misérables conditions de vie. D’autres, à l’image du Cardinal de Rohan pouvait se promener librement dans l’enceinte. Il recevait même ses amis et autres affiliés : « Il préférait, quant à lui, recevoir dans son appartement aménagé dans le bâtiment de l’état-major, où rien ne ressemblait à une prison. Les festins qu’il y donnait étaient des plus fins et des plus recherchés. On mettait dix, quinze, vingt couverts, les repas, en robes brodées, gilets de soie, manchettes de dentelles et perruques poudrées, s’achevaient fort tard. » Ces conditions de vie ne se voyaient réserver qu’aux hôtes les plus prestigieux comme écrit plus haut. Certains prisonniers ne disposaient que d’une maigre paillasse pour dormir, et d’autres devaient attendre plusieurs mois avant de recevoir une couverture. Des détenus ne supportant pas leurs détentions refusaient de manger et se laissaient mourir. Pourtant dans la même prison, des reclus de haute naissance préféraient - malgré leur élargissement - rester quelques jours de plus, voire même des mois pour profiter du traitement « royal » qui leur était réservé. Comme quoi, l’histoire n’est jamais simple.
Concrètement, ce livre commence par un historique de la Bastille en expliquant les raisons de sa création et de son appellation. Nous voyons alors naître ce bâtiment qui deviendra un acteur majeur de l’histoire de la ville de Paris, et bien évidemment de l’histoire de France. Indubitablement ce château aura toujours représenté un intérêt stratégique, durant les guerres de religion, pendant la Fronde et la Révolution. Après ces salutaires rappels historiques, Petitfils aborde par le menu le fonctionnement de cette prison d’Etat. Il évoque également dans les grandes lignes les mécanismes de la justice royale. Puis, il nous livre des faits historiques intéressants qui confirment que la Bastille permet d’en apprendre beaucoup sur notre grande histoire française et sur la Révolution (5). En effet, les grands du royaume rebelles à l’autorité royale connurent l’hospitalité de la Bastille, en même temps que des sujets de la plus basse extraction. Des prisonniers d’Etat, comme les espions ennemis et autres assassins, séjournèrent dans cette prison. Suite à l’Affaire des Poisons qui gâta plusieurs années du règne de Louis XIV, les protagonistes connurent les geôles de la Bastille… Le Masque de Fer même y mourut. La fausse Marie-Antoinette du bosquet de Vénus, dans l’Affaire dite du Collier de la Reine, enfanta dans cette prison. Autant dire que la haute et sérieuse politique se mêla aux plus vils intrigues dans cette forteresse construite par Charles V en 1370, que les révolutionnaires saccagèrent le 14 juillet de 1789, en prenant le soin, comme la coutume de la tabula rasa l’impose, de détruire et brûler les archives. Quant à nous, nous préférons les lires et les étudier. Ainsi nous recommandons fortement La Bastille qui ravira les passionnés d’histoire…
(1) Nous citons notamment les ouvrages suivants que nous avons lus et grandement appréciés : Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI et Jésus.
(2) Sacy, prêtre et théologien de Port Royal, y traduisit son commentaire de l’Ancien Testament. Bassompierre en profita pour y achever Ses Mémoires. L’Abbé Roquette commença un volume de commentaires sur les Psaumes. Sade au cours de son séjour y commit Les Cent vingt journées de Sodome etc.
(3) Ses Nuits de Paris
(4) « Me voici donc en ce lieu de détresse, embastillé, logé à l’étroit, ne dormant point, buvant chaud, mangeant froid, trahi de tous, même de ma maîtresse… »
(5) Les pages consacrées aux émeutes et aux exactions commises au nom de la Liberté montrent et démontrent la folie et la barbarie des révolutionnaires.