Au moment où le gouvernement français s’apprête à s’engager dans une réforme délicate sur l’avenir des retraites et leurs formes, l’Allemagne rouvre ce même dossier sous des auspices peu engageants, comme le signale Le Figaro de ce mercredi 23 octobre en ses pages « économie », sous le titre « Les Allemands devraient travailler jusqu’à 69 ans ». En fait, il s’agit d’une recommandation de la Bundesbank qui se veut prospective, au regard des perspectives démographiques et économiques : l’Allemagne connaît une démographie en berne, avec un taux de fécondité bien inférieur à celui de la France, lui-même en déclin depuis quelques années, et prévoit une élévation de l’espérance de vie globale, même si l’espérance de vie sans incapacité (en bonne santé, en somme) est, elle, mal connue ou sous-valorisée dans les travaux des économistes et des banquiers. Pourtant, « les Allemands pensaient le débat clos. La réforme de 2012, qui avait relevé par étapes de 65 à 67 ans d’ici à 2031 l’âge du départ légal en retraite après un vif débat, semblait une garantie suffisante pour la stabilité du système. » Mais, c’est une vis sans fin, et ce sont toujours les mêmes arguments qui sont évoqués par les banques et les économistes pour augmenter la pression sur le travail et les travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants : ainsi, il semble que, désormais, le temps de travail payé soit condamné à s’élever toujours, quoiqu’il se passe et quoique l’on fasse.
Mais ce n’est pas la seule Bundesbank qui prône ce nouveau relèvement de l’âge légal de la retraite, comme le rappelle opportunément Nathalie Versieux dans l’article cité : « Plusieurs organisations – Commission européenne, FMI, OCDE – ont également recommandé à l’Allemagne de « continuer à augmenter l’âge de la retraite » avec la hausse de l’espérance de vie, argumente de son côté la Bundesbank », trop heureuse de trouver des alliés au sommet même de l’Union européenne et de la « gouvernance » (sic !) autoproclamée de la mondialisation… Des « recommandations » que ces mêmes instances font de manière insistante, depuis de nombreuses années, pour tous les pays d’Europe mais que, en France, la population semblait ne pas prendre au sérieux jusqu’au milieu des années 2010 ! Se souvient-on que, dans l’hiver 2011, quelques membres du Groupe d’Action Royaliste organisèrent la première dénonciation dans la rue, non loin de l’église de Saint-Germain-des-Près, de la « retraite à 67 ans » que, déjà, prônaient l’Allemagne et la Commission européenne ? A l’époque, mes collègues professeurs m’assuraient que cela n’arriverait jamais en France, que c’était impossible et ils haussaient alors les épaules quand je leur citais les articles de l’époque, rares, qui évoquaient cette perspective. Et maintenant, les mêmes préfèrent se réfugier dans une sorte de fatalisme que je ne peux partager, courbant le dos en espérant que le vent du boulet ne les défrisera pas trop…
Il n’est pas souhaitable de suivre l’exemple allemand qui, en ce domaine comme en tant d’autres, ne peut être un modèle : la France n’est pas l’Allemagne, et l’appartenance de notre pays à la même Construction européenne ne saurait être interprétée comme une confusion entre toutes les nations y trouvant place. L’Union européenne, la mal nommée, n’est pas et ne peut être une démission des nations devant une Commission peu crédible et trop « économiste » pour être vraiment sociale et politique.
Il est d’abord une simple raison démographique qui évite de confondre la France avec l’Allemagne : la première, toute République qu’elle soit et malgré qu’elle le soit, a développé un modèle démographique original depuis les années 1930, qui parvient à concilier vie familiale et activité professionnelle, sans doute de manière pas totalement satisfaisante mais suffisante néanmoins pour permettre un certain équilibre démographique, ce que prouve, a contrario, le déclin provoqué par les mesures fillonistes puis hollandistes moins favorables au bon développement de notre démographie nationale. Néanmoins, et malgré les difficultés et les maladresses (?) des gouvernements, la démographie française fait preuve d’une certaine résilience, même si le taux de fécondité des Françaises d’ancienne appartenance est moins élevé que celui des Françaises de fraîche naturalisation, et il s’agit désormais de redresser ce taux dans des délais assez courts pour éviter l’élargissement d’une « vallée » démographique préjudiciable à long terme à notre pays et à son système de retraite par répartition.
Pour maintenir un niveau des retraites le plus socialement juste, il est trois pistes majeures sur lesquelles travailler pour tout Etat digne de ce nom : la valorisation des naissances et le bon accueil des populations naissantes et à naître ; la diminution forte du chômage des nationaux en France ; la possibilité d’un âge légal (de l’accès à la retraite) modulable selon les professions, les fonctions de chacun au sein de celles-ci et le désir, qui doit être pris en compte s’il est clairement exprimé, d’aller au-delà des limites d’âge légales pour ceux qui le souhaitent et sont reconnus médicalement et professionnellement comme susceptibles de poursuivre leur activité professionnelle usuelle dans de bonnes conditions, avec les aménagements nécessaires si besoin est… Mais il est aussi d’autres pistes à étudier comme celles d’une meilleure intégration au travail en France de ceux qui y ont étudié et dont les études ont été financées par les contribuables français, et cela pour freiner une émigration des cerveaux français vers les grandes puissances étrangères, émigration qui, en définitive, accroît les déficits publics français ; la création dans toutes les branches professionnelles dans lesquelles cela est possible de caisses de retraites autonomes, qui constituent une sorte de « patrimoine corporatif » destiné à assurer des retraites honorables à leurs cotisants sans aggraver la pression sur les fonds publics ; le « redéploiement rural » pour organiser de meilleures conditions d’accueil pour les retraités de tous niveaux de ressources dans des zones moins coûteuses pour ceux-ci ; etc. Cette liste de quelques mesures n’est évidemment pas exhaustive, mais elle cherche à prouver que ce ne sont pas les propositions qui manquent mais bien plutôt la volonté politique pour les initier et les ordonner, ou, au moins, pour les essayer…
En fait, la République est aujourd’hui bloquée et, plus grave encore, bloquante : quand il faudrait une véritable stratégie qui ne soit pas qu’économique et financière, mais aussi sociale et politique, aussi bien nationale qu’ouverte aux solutions provinciales ou communales, publiques comme privées, la République se contente d’une approche comptable et trop souvent « kafkaïenne » de l’immense question des retraites professionnelles, au risque de ne pas saisir les enjeux de demain et de mécontenter tout le monde sans résoudre l’épineuse question des financements nécessaires, question importante mais qu’il faut intégrer dans la question plus large de notre société, de ses équilibres et de sa pérennité historique.
Il n’y a pas, certes, de réponse « absolue » à la question des retraites, et la Monarchie royale n’a pas un sceptre magique qui lui permettrait de tout résoudre d’un coup et définitivement, mais l’inscription de la magistrature suprême de l’Etat dans le « temps long » peut être une garantie supplémentaire de recherche et de volonté de résolution d’une question qui risque d’être, encore, évolutive : or, le devoir du politique d’Etat est de protéger les populations qui sont sous sa souveraineté, et d’assurer au mieux les conditions, parfois difficiles à cerner, de sa prospérité, y compris face aux pressions de la mondialisation et de l’idéologie dominante parfois cruelle pour les plus faibles. A défaut de pouvoir appliquer les mêmes solutions que celles pratiquées par le saint roi Louis IX en son temps, il faut du moins retrouver au cœur de l’Etat et de sa pratique contemporaine l’esprit de justice sociale cher au monarque médiéval…
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