culture et histoire - Page 1805
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François Duprat par Emmanuel Ratier - Méridien Zéro 2/2
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Entrevue du C.N.C #6 : Rébellion
Réponses de Jean Galié et de Louis Alexandre.
1) Quelle est la genèse du projet de Rébellion ?
Louis Alexandre : La revue Rébellion est née de la volonté d'un petit groupe de camarades toulousains de dépasser les limites de « l'extrémisme » de droite comme de gauche. Au début des années 2000, nous étions face à des impasses et il nous fallait chercher ailleurs la rupture révolutionnaire à laquelle nous aspirions...
Nous avons donc débuté un travail d'inventaire sans concessions, nous ne pouvions compter que sur nos forces et notre volonté. Mais cela a finalement payé et nous avons réussi à rendre crédibles nos idées. Aujourd'hui encore, nous conservons l'effervescence de cette époque dans nos esprits.
2) Quel bilan tirez-vous de vos 10 ans d’activisme dans la diffusion des idées ?
Louis Alexandre : Il ne faut pas avoir peur de défricher de nouveaux terrains, d'aller de l'avant et de lancer des initiatives. Nous avons été, à notre modeste niveau, des précurseurs souvent isolés à nos débuts. Mais des thèmes que nous avons développés voici dix ans trouvent un écho dans un large public aujourd'hui. Cela nous réjouit, mais nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers.
Il ne sert à rien d'entreprendre une bataille politique, si nous n'avons pas d'abord gagné la bataille des idées. Et nous ne gagnerons la bataille des idées que si nous parvenons à donner un sens cohérent et compréhensible à notre pensée. Il était important de faire de Rébellion une arme efficace dans cette bataille, c'est actuellement notre chantier principal.
3) Constatez-vous un intérêt croissant pour votre revue ces derniers temps ?
Louis Alexandre : La revue connaît un développement important depuis trois ans. Cela n'est pas le fruit de la chance ou du hasard, mais repose sur un important travail. C'est le résultat de prises de contact directes, de campagnes militantes, d'organisations d'événements et de nombreux déplacements dans toute la France pour notre équipe. Le travail et l'effort sont la source de la réussite de tout projet.
Le succès actuel de notre publication a révélé une attente d'un large public. Rébellion est pour cela une revue singulière car elle agrège un lectorat vraiment non-conformiste et venu d'horizons très différents. Ce succès, nous le devons à nos lecteurs et aux camarades qui œuvrent pour faire connaître nos idées. Nous ne pourrons jamais assez les remercier pour cela.
4) Quels sont les auteurs qui sont au cœur de la pensée de votre revue ?
Jean Galié : Cela est clairement dit dans la rubrique exposant la présentation de nos positions se trouvant dans chaque numéro (Proudhon, Blanqui, Sorel...) . Brièvement, disons qu'il s'agit de la tradition révolutionnaire transmise au sein de l'expérience du mouvement prolétarien dans sa dimension internationale. Il faut avoir recours à la pensée des auteurs ayant traduit de la manière la plus intelligente l'aspiration à la constitution de la communauté humaine débarrassée de l'aliénation capitaliste. Toute réflexion allant en ce sens mérite d'être examinée. De même, celle-ci peut fournir des bases afin de ne pas chuter dans des impasses et des fausses oppositions au système dominant. A ce niveau, la théorie marxienne est incontournable ainsi que l'étude des auteurs et courants s'étant situés à la marge et en opposition à la social-démocratie, au marxisme officiel, etc.
5) Quels sont les auteurs à suivre aujourd’hui selon vous ?
Jean Galié : "Suivre" pas dans le sens de suivisme, bien évidemment. Comme nous le disions à l'instant, le recours aux "classiques" de la pensée de la communauté humaine authentique (le communisme marxien) alimentera toujours notre orientation. Il s'agit d'une question de méthode afin de ne pas s'égarer et non pas de nostalgie muséale. Après, il y a bien sûr, des auteurs apportant leur pierre à l'édifice de la critique du système. Alain de Benoist fait un travail remarquable à cet égard, en abordant les questions essentielles se posant au monde contemporain et en éclairant leur genèse et leur soubassement philosophique. Citons, du côté du courant marxiste, le travail fécond de Costanzo Preve en Italie, dont quelques ouvrages sont traduits en français et dont les productions méritent d'être plus connues en France, au-delà des efforts déjà existants de ceux qui les popularisent chez nous. On peut trouver évidemment d'autres auteurs intéressants, abordant telle ou telle question mais nombre d'entre eux restent bien souvent à mi-chemin de la critique à conduire selon nous (Michéa, par exemple).
Louis Alexandre : Dans les auteurs actuels, j'ajouterai aussi les travaux d'Alexandre Douguine sur l'alternative eurasiste.
6) Comment définissez-vous votre pensée politique ?
Jean Galié : Dans les conditions présentes - et depuis longtemps - la politique est un rapport de forces entre classes antagonistes. La classe dominante le sait très nettement et joue de cet avantage. La puissance "publique" n'est pas neutre, même si l'Etat a du faire des concessions aux travailleurs à la suite de leurs luttes et aussi pour mieux les anesthésier. Mais ces "avantages acquis" au sein du monde aliéné ne sont néanmoins pas éternels et sont en train de disparaître assez rapidement. L'offensive est conduite par les forces du capital. Alors, la politique que la classe exploitée devrait conduire serait la stratégie afin de combattre les attaques de celles-ci. Cela, sans illusions, il est nécessaire de s'affronter à l'organe de la coercition dominante, l'Etat. La politique serait l'expression du devenir hégémonique des prolétaires conscients sur les forces de la dissolution du lien social par laquelle le capital se reproduit dans son ensemble. L'hégémonie du prolétariat est corrélativement sa disparition en tant que condition prolétarienne soumise au travail salarié dominé par le fétichisme de la marchandise. Ce n'est qu'à cette condition que l'on peut envisager la fin de l'autonomie du politique au-dessus de la société et l'au-delà de la politique.
7) Quels sont vos liens avec les milieux dits de « gauche radicale » ou de « droite radicale » ?
Jean Galié : Ces notions et courants, "radicaux" ou pas ne nous intéressent pas. Nous écoutons, et nous pouvons dialoguer avec tous ceux qui manifestent une volonté authentique de tourner le dos à ce système capitaliste pourri. Malheureusement, ils sont encore trop peu nombreux même si des intentions de révolte apparaissent çà et là. Les lubies de droite et de gauche sont paralysantes ; si vous comprenez que ce monde ne peut être aménagé au sein d'un consensus entre classes sociales, alors allons-y! Réapproprions-nous nos conditions d'existence sociale, c'est cela le fond du problème!
8) En quoi consiste concrètement l’OSRE ? Pour quelle(s) raison(s) cette structure a été créée ?
Louis Alexandre : L'Organisation Socialiste Révolutionnaire Européenne est l'expression militante des idées de la revue Rébellion. C'est le regroupement des personnes voulant faire vivre ses idées sur le terrain. C'est le fer de lance de la diffusion de notre revue et le vecteur de campagnes ciblées ( par exemple contre l'Otan, pour la libération sociale et nationale de l'Europe...).
9) Que pensez-vous des initiatives du réseau MAS ?
Louis Alexandre : Il nous apparaît qu'une lutte isolée limite la portée de l'idée socialiste révolutionnaire européenne. Il est donc primordial de participer au vaste chantier de construction d'un mouvement dissident balbutiant. Nous croyons en la nécessité d'une coordination de l'ensemble des groupes qui œuvrent dans ce sens. En suivant l'idée d'un enracinement dans la réalité, nous considérons que la création d'un réseau souple d'échanges et de mise en commun d'expériences et de compétences est possible entre les divers organisations, cercles, associations et publications qui partagent les mêmes valeurs.
Nous partageons justement avec le MAS ses valeurs militantes. C'est une structure politique intelligente qui recherche une véritable rupture militante. Nous soutenons donc ses initiatives de solidarité sociale, sportive et de formation. Nous sommes aussi des auditeurs fidèles de Méridien Zéro.
10) Passons de la théorie à la pratique… Que doit faire un dissident aujourd’hui dans sa vie quotidienne pour résister au Système et pour entamer la reconquête de la souveraineté nationale et populaire ?
Louis Alexandre : Ne pas avoir peur de s'investir sur plusieurs fronts est notre philosophie militante. Quand l'on nous dit qu'un choix doit être fait entre la réflexion et l'action, le politique et le culturel... nous répondons que nous refusons cette hémiplégie de l'engagement. En investissant tous les espaces d'action, nous imposerons d'autant mieux notre vision globale, nos solutions à la fin du monde capitaliste moderne.
De même, en participant activement à la vie de la communauté dissidente naissante, on donne un sens véritable à son existence. Elle devient une tension créative et tragique vers un idéal. Une fidélité sans actes à des idées n'est rien ; un engagement est nécessaire pour les faire vivre. Nous avons tous des obligations et des moyens limités. Mais notre volonté n'est-elle pas plus forte ? Ne pouvons-nous pas faire mieux ?
Ne regardons pas ailleurs et ne jugeons pas les autres si nous ne sommes pas capables de faire mieux qu'eux. Soyons sérieux et efficaces. Un militant doit toujours être exigeant envers lui- même, il ne doit jamais se reposer sur les acquis mais conserver un esprit d'avant-garde. La force de l'exemple, la volonté de faire mieux et la camaraderie doivent être le cœur vivant de son engagement.
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La république a menti :
Voici une brève analyse historique, mettant en relief tous les mensonges que l'école républicaine a enseigné et enseigne encore et toujours sur l'Ancien Régime et la misère ouvrière. A travers des analyses historiques par des historiens de renom, cette vidéo vous dévoilera un aspect méconnu des qualités de vie au Moyen-Âge ainsi que les conditions de travail et des ouvriers de l'époque. Sans oublier aussi la naissance du prolétariat et de la misère ouvrière depuis la révolution française et sa fameuse loi Le Chapelier interdisant les corporations, et la naissance du libéralisme économique qui en fut la conséquence et qui engendrera à son tour le socialo-marxisme.
TOUT CE QUE L'EDUCATION NATIONALE NE VOUS ENSEIGNERA JAMAIS ET POUR CAUSE...
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Ecologie et politique
[Voici un article tiré du numéro 109 de Défense de l'Occident, daté de février 1973 et donc paru il y a 40 ans. Il n'a, dans ses développements comme dans sa conclusion, rien perdu de sa pertinence, ni de son actualité.]
L’hypothèse de la « croissance zéro »
Depuis quelques temps déjà, existe un courant d’inquiétude quant à la finalité de la croissance sans précédent qui est devenue la caractéristique des économies occidentales. Ce courant, cependant, prenait davantage l’aspect d’une critique philosophique ou éthique que celui d’un mouvement scientifique. Certains travaux de « futurologues », comme Bertrand de Jouvenel, avaient un aspect trop partiel ou trop peu spectaculaire pour provoquer l’inquiétude du grand public. Les travaux effectués par la fameux club de Rome ont pris une toute autre dimension, en raison à la fois de la personnalité des chercheurs et de l’optique globale dans laquelle ils avaient abordé le problème. Il ne se passe désormais plus guère de mois sans que quelque publication ou quelque nouvelle autorité scientifique ne vienne confirmer la tragique plausibilité de l’hypothèse d’un arrêt de la croissance économique ou de la disparition de notre espèce.
Excès de population, épuisement proche des sources, d’énergie, comme des ressources alimentaires, augmentation des pollutions au-delà du seuil de tolérance humain, accentuation des disparités économiques, sans parler des troubles psychiques et sociaux (criminalité, alcoolisme dépressions, etc. ...) dus aux conditions de vie dans les grandes concentrations urbaines et industrielles vont atteindre le stade où, nous dit-on, la production quantitative croissante de biens matériels mettra en péril notre survie même.
Or, le contraste est grand entre la terrifiante gravité de cette éventualité et les réactions suscitées : Quelques controverses scientifiques, l’apparition de plusieurs mouvements et journaux plus ou moins sérieux, plus ou moins manipulés par des éléments marxistes, la création d’un ministère de l’environnement au budget grotesque, une mode déjà déclinante qui a rempli les colonnes des journaux et les colloques organisés par Giscard d’Estaing, la passivité du public qui compte sur la science et le gouvernement pour résoudre ces problèmes comme sur des divinités omnipotentes. Certes, on n’a pas toujours tort de dénoncer la collusion entre les milieux industriels pollueurs et ceux de la presse et de la politique. Il n’en reste pas moins que la faiblesse de ces réactions traduit davantage une inadaptation idéologique : l’incapacité des structures mentales capitalistes et marxistes à envisager l’éventualité d’un arrêt de la croissance économique.
Echec du mythe libéral
Face à cette possibilité la pensée libérale hésite entre trois attitudes le rejet, l’utopisme et la récupération. Le compte-rendu des rencontres organisées par, le ministère de l’économie en juin dernier nous offre un assez bel échantillonnage.
Certains technocrates, mystiques du développement économique à outrance, refusent cette problématique affirmant qu’il suffira de d’établir un contrôle des naissances efficaces. Une telle affirmation fait preuve pour le moins d’optimisme, dans la mesure où les politiques malthusiennes menées dans les pays sous-développés ont échoué jusqu’à présent. D’autre part c’est ignorer que dans un pays comme la France (dont le taux de fécondité est proche de celui de la stabilisation démographique, malgré une politique nataliste), chaque individu est 16 fois plus polluant qu’un habitant du tiers-monde.
D’autres se réfugient dans une mentalité utopisante l’appel au mythe du progrès scientifique omnipotent, sous-jacent à l’idéologie démocratique, est évident : « on » trouvera de nouvelles sources d’énergie, « on » parviendra à éliminer les déchets, etc. … Au contraire, nous disent- ils, l’industrie antipollution sera source de nouveaux profits et quiconque ne pense pas que le bonheur humain est conditionne par la production d’un plus grand nombre de machines à laver et par leur répartition plus égale est un obscurantiste ennemi de la conscience universelle.
Plus cohérente est l’attitude de certains libéraux, comme l’américain John Diebold, pour qui les mécanismes du marché restent aptes à intégrer ces données nouvelles. Il suffit de rétablir dans sa pureté le système libéral, en faisant payer à l’entrepreneur tous les coûts occasionnés par la production, y compris les coûts écologiques (destruction du milieu naturel épuisement de ressources rares). On voit cependant assez mal le système libéral s’imposer cette auto-discipline. Dans l’Etat démocratique, le pouvoir, trop dépendant des consultations électorales pour mener l’action à long terme, trop lié aux intérêts particuliers pour imposer des mesures restrictives nécessairement impopulaires semble mal adapté à ce combat pour la survie.
Le régime des démocraties occidentales est peut-être le plus apte à réaliser l’optimum économique des profits maximum pour un maximum d’individus; mais il est sans doute inconciliable avec l’optimum social voire avec la perpétuation du corps social. Comment concilier cette affirmation avec celle selon laquelle, en cherchant à réaliser son intérêt égoïste, l’« homo economicus » réalisera en même temps celui de la collectivité (le même individu étant censé ne plus penser qu’à l’intérêt général dès qu’il a un bulletin de vote entre les mains). Il sera de plus en plus difficile de nous faire croire que le bonheur se mesure à la pente des courbes de Produit National Brut.
Or, privé de toute justification métaphysique, le système démocratique n’a pu fonder sa légitimité sans un mythe : celui de l’augmentation sans fin des satisfactions matérielles. Ces dernières années la faiblesse de ce mythe, incapable d’entraîner le consensus d’une grande part de la jeunesse, est devenue évidente : nous n’en voulons pour preuve que la mollesse des réactions occidentales face à la subversion idéologique. C’est dès à présent son écroulement qui doit être envisagé, avec pour conséquence celui d’un ordre incapable de survivre faute d’un minimum d’images et croyances communes.
Marxisme et croissance
Du côté marxiste l’incapacité à assimiler les données nouvelles de l’écologie est quasi totale. Certes il ne manque pas de groupes dits « gauchistes » (surtout aux Etats-Unis) pour vouloir faire déboucher la critique écologique sur celle du capitalisme et, il y a peu de temps, Roger Garaudy soutenait une thèse ingénieuse : le temps serait venu où la propriété privée des grandes industries serait inconciliable avec leur caractère dangereux. Mais il s’agit là de cas numériquement peu importants concernant des marginaux d’une orthodoxie douteuse. Pour les marxistes sérieux la « mode écologique » est « une drogue sociale, un nouvel opium du peuple » un hochet avec lequel la bourgeoisie essaie d’empêcher la prise de conscience du prolétariat et le détourne de la lutte des classes. (Urbaniser la lutte des classes, Paris, Utopie, 1970, p. 52).
En effet l’idée d’un arrêt de la croissance est inconciliable avec le mythe de l’Histoire aboutissant à une société d’abondance, de bonheur, sans aliénation, etc. ... Si, pour Marx, il appartient au prolétariat, accomplissant sa mission messianique, d’établir cet Age d’Or, la lutte des classes n’est pas l’explication ultime de cette dynamique. En dernière analyse ce sont les forces productrices qui, se développant et entrant en contradiction avec les modes de production (division du travail et type propriété) sont à la base de toutes les autres contradictions, c’est-à-dire de toute l’histoire. Dans L’Idéologie allemande Marx déclare (Editions sociales, p. 52) : « Le développement des forces productrices… est une condition pratique préalable, absolument indispensable, car sans lui c’est la pénurie qui devient générale, et avec le besoin c’est la lutte pour le nécessaire qui recommencerait et l’on retomberait fatalement dans la même vieille gadoue ». Traduction française : pas de société communiste si les forces productrices ne peuvent atteindre un développement suffisant, pas de paradis sur terre si la croissance s’arrête.
Sans aller jusqu’à cette hypothèse la seule affirmation de la rareté de certains biens naturels met en pièces la théorie économique marxiste. En effet, si dans la valeur d’un produit il faut tenir compte de la rareté de certains biens qui y sont incorporés (minerais, énergie) la théorie de la valeur travail, clef de voûte du socialisme « scientifique » perd toute crédibilité, la valeur d’un objet n’étant plus uniquement fonction du temps nécessaire à sa production.
Si les thèses des écologues s’avèrent exactes, toute prétention du marxisme à être une science s’écroule pour révéler sa nature véritable de vieux mythe millénariste rhabillé avec les défroques prudhommesques du XIXe siècle.
Repenser nos taches politiques ?
L’examen des réactions du capitalisme et du marxisme à l’hypothèse de la croissance zéro nous conduit donc à dénoncer à la fois leur sclérose idéologique et les valeurs qui leur sont communes : matérialisme, historicisme, croyance à la science et au progrès, optimisme, hédonisme, etc. ... Ce n’est pas une bien grande découverte pour ceux qui comme Drieu la Rochelle pensent que : « Ce n’est pas étonnant que de Petrograd à Shanghai on parle Marx et on pense Ford. Un amour profond pour les buts du capitalisme est inclus dans la furieuse critique de Marx » (Socialisme fasciste, p 110). Or, il se trouve encore un certain nombre d’esprits à qui ces buts font horreur, au nom d’une conception plus exigeante, plus militante et peut-être plus esthétique de la vie, parce que, selon le conseil de Julius Evola, ils refusent la démonie de l’économie et veulent lui rendre sa vraie place : celle de moyen du politique. Seuls de tels esprits, libres des dogmes du temps, pourront s’adapter à des données politiques fondamentalement nouvelles. Il faudra beaucoup de lucidité pour critiquer de nouvelles possibilités qui apparaissent dès à présent : Conflit entre le tiers-monde et les pays développés en raison de l’accroissement du fossé économique ? Evolution du conflit vers des formes raciales ? Resserrement de la solidarité occidentale ? Evolution de l’Etat gestionnaire chargé d’assurer la prospérité des citoyens vers un pouvoir de salut public ? Apparition d’une autorité internationale à l’échelle du combat pour la survie ? Formation d’une caste technocratique d’écologistes prenant une large influence politique ? etc. …
Dans la mesure où la critique de ces éventualités, de la plus plausible à la plus fantaisiste, doit déboucher sur des contre-projets concrets, la tentation de l’utopie sera dangereuse. On assiste dès à présent à des réactions de fuite, à la création de pseudo abbayes de Thélème : par exemple le village communautaire de Pierre Fournier en Savoie. Celui-ci, il est vrai disait dans une lettre à Nouvelle Ecole :
« Il s’agissait de recréer un clan et non de faire une communauté au sens gauchiste du terme. Si vous voulez, je considère le projet comme révolutionnaire, mais pas de gauche... Je suis, profondément, avec mon obsession de l’enracinement, de la fidélité, de la pérennité, un type de droite. J’ai vraiment très honte ».Venant d’un journaliste de Charlie Hebdo une telle déclaration devrait faire réfléchir ceux qui ne voient dans le mouvement écologique qu’un avatar de la contre-culture américaine ou la nostalgie gauchisto-hippie du bon sauvage. Quand bien même l’hypothèse envisagée plus haut ne se réaliserait pas, l’attitude de scepticisme devant les bienfaits de la croissance semble devoir à la fois se généraliser et prendre un visage plus précis (qui sera peut-être celui d’une contestation scientifique). Il importe de comprendre combien ces aspirations souvent confusément, parfois lucidement comme chez Fournier, sont celle d’une école de pensée qui se veut vouée à la défense de l’Occident. Pour le marxisme et le libéralisme l’être humain est réductible à un concept, celui d’individu à un bulletin de vote, à sa force productive, à son rôle de contractant économique, bref à une abstraction. A cette conception de l’esprit s’oppose celle de la personne membre d’une civilisation, d’une culture, d’une ethnie, d’une nation et tout naturellement de la nature. L’idée que notre liberté ne peut s’affirmer et notre être s’enrichir que de relations harmonieuses avec ces entités, cette revendication d’un enracinement qui soit aussi une identité, la volonté d’un accord avec un passé et un monde en qui nous découvrons notre propre visage, telles sont les caractéristiques d’une « droite » qui n’est ni celle des coffres-forts ni celle de l’ordre dans la rue. Pour lui ressembler il ne manque même pas au mouvement anti-pollution un aspect nostalgie de la vie rurale (pour ne pas dire retour à la terre) ni la haine du monde industriel considéré comme anonyme et antinaturel.
Défendre l’Occident ne doit pas signifier subir les coups de l’adversaire et regarder mélancoliquement diminuer la peau de chagrin de ce qui peut encore être sauvé. Ceux qui sauront comprendre que le temps des nostalgies est révolu et que le mouvement écologique, s’il est dirigé, peut devenir une force politique de premier plan, y trouveront une arme exceptionnelle dans leur combat contre l’ordre ancien.
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Dix thèses sur le libéralisme
Le libéralisme fait débat. Pas seulement à « gauche » mais aussi à « droite ». Les uns font valoir, non sans raison, que l’économie de marché est performante. Les autres soulignent les limites courtermistes, sociales et morales du modèle néolibéral. Contributeur régulier de Polémia, Michel Geoffroy propose ici un nouvel éclairage de ce débat.
— Présentation —
Voici les dix thèses critiques de Michel Geoffroy que Polémia met en débat.
1) Le libéralisme est une doctrine économique qui repose sur des principes simples : seuls les individus sont des acteurs économiques pertinents. C’est la micro-économie qui est signifiante, pas la macro-économie. La liberté du commerce, la liberté d’installation et la liberté d’entrée sur le marché produisent des résultats profitables à tous et en tout cas supérieurs à ceux de la réglementation étatique ; plus le marché est libre plus il est efficace ; le marché trouve toujours la meilleure réponse ; la libre circulation des personnes et des capitaux par-delà les frontières permet une allocation optimale des moyens et un fonctionnement harmonieux du marché.
2) Le néo-libéralisme repose sur certains postulats qui ne sont pas éloignés de ceux du socialisme : la volonté d’unifier le genre humain, la croyance en la toute-puissance de l’intérêt, l’idée que le progrès mène au Paradis.
3) La propriété privée reste un système économique et social efficace car elle produit en général de meilleurs résultats que sa suppression. Mais plus la propriété est vaste, moins elle est facile à maîtriser.
4) La liberté du commerce et des prix ainsi que la concurrence économique produisent des effets positifs pour tous mais à condition que les termes de l’échange ne soient pas trop inégaux et que les coûts des facteurs restent homogènes entre les concurrents. C’est la faute méthodologique du néolibéralisme, c’est-à-dire du libre-échange mondialiste, que de ne pas vouloir prendre cela en considération.
5) En diabolisant le protectionnisme, le néolibéralisme commet une erreur d’analyse et s’écarte de la réalité des faits tels que l’histoire économique permet de les constater.
6) Le tout n’est pas seulement la somme des parties. L’accent mis sur la micro-économie a progressivement détourné le libéralisme de la bonne compréhension des sociétés humaines et, d’une façon générale, de tout ce qui est collectif et communautaire. Cela résulte aussi du fait que le libéralisme a été formulé à une époque (XVIIIe siècle notamment) où l’on avait de l’anthropologie une conception utopique. Les libéraux finissent par oublier que les hommes sont « par nature des êtres de culture » (Gehlen) et qu’ils n’existent pas en dehors d’une culture et d’une société.
7) Il n’est pas avéré que « le marché » prenne nécessairement toujours les bonnes décisions ou, pour le dire autrement, que la société profite toujours des décisions du marché. Les marchés sont en effet conformistes, c’est-à-dire qu’ils ont tendance à imiter les pratiques qui semblent donner de bons résultats et de bons profits : cela contribue à amplifier l’effet des mauvaises décisions. Et cette amplification est désormais mondiale. Les libéraux ignorent aussi le fait que les entreprises ont tendance à externaliser leurs coûts et leurs échecs sur les Etats.
8) La tendance naturelle du capitalisme n’est pas le respect de la juste concurrence mais la concentration, l’intégration verticale et la financiarisation. Aujourd’hui les entreprises transnationales ont des surfaces financières et des capacités d’influence bien supérieures à celles de certains Etats : elles sont devenues des pouvoirs. En outre, les grandes entreprises transnationales disposent, avec l’exercice du pouvoir médiatique et la suggestion publicitaire (et sujétion), de puissants moyens de sidération du consommateur.
9) Le bilan de la mise en œuvre des recettes néolibérales dans le domaine social n’est pas probant. On ne peut contester qu’avec l’avènement du néolibéralisme les entreprises soient devenues plus profitables. Mais la question est de savoir à quel coût cela s’est fait pour la société. En Europe, ce coût ne s’appelle-t-il pas chômage, immigration, déficits publics et croissance des inégalités de revenus ?
Partout en Occident les classes moyennes autochtones ont fait les frais de la mondialisation des échanges vantée par les néolibéraux.
10) Les principales réalisations de la culture humaine, celles qui font que la vie vaut d’être vécue, ne sont pas le fruit de l’économie de marché mais le produit de la fonction souveraine, c’est-à-dire des églises, des princes et des Etats. Elles sont le produit d’une volonté consciente ou non de la « main invisible » des marchés.
— Développement —
1) Le libéralisme est une doctrine économique qui repose sur des principes simples
Seuls les individus sont des acteurs économiques pertinents. C’est la micro-économie qui est signifiante, pas la macro-économie. La liberté du commerce, la liberté d’installation et la liberté d’entrée sur le marché produisent des résultats profitables à tous et en tout cas supérieurs à ceux de la réglementation étatique ; plus le marché est libre plus il est efficace ; le marché trouve toujours la meilleure réponse ; la libre circulation des personnes et des capitaux par-delà les frontières permet une allocation optimale des moyens et un fonctionnement harmonieux du marché.
Certains des principes du libéralisme sont restés pertinents mais d’autres ne le sont plus.
Ce qui reste pertinent dans la théorie économique libérale :
- la valeur de la propriété privée ;
- le rôle des prix comme source d’information pertinente sur la qualité et la rareté des biens ;
- le fait que la concurrence soit facteur de progrès, lorsqu’elle est équitable;
- le fait que plus les systèmes sont complexes, plus ils sont difficiles à contrôler et plus il est difficile de prévoir les effets réels des politiques (sociales) mises en œuvre.
Cependant, le principe d’ajustement optimal de l’offre et de la demande sur le marché libre repose sur des situations qui se rencontrent rarement dans le monde réel, en tout cas qui se rencontrent de plus en plus rarement dans le cadre de la mondialisation des échanges que nous vivons aujourd’hui. Ce principe ne produit pas les effets bénéfiques prévus-en particulier dans les pays occidentaux – dans une économie où la concurrence s’effectue non plus entre des producteurs mais entre des civilisations.
2) Le néolibéralisme repose sur certains postulats qui ne sont pas éloignés de ceux du socialisme : la volonté d’unifier le genre humain, la croyance en la toute-puissance de l’intérêt, l’idée que le progrès mène au Paradis.
Le libéralisme se différencie du socialisme dans la mesure où il préconise la propriété privée, où il stigmatise l’intervention économique et sociale de l’Etat et où il est avant tout un individualisme.
Le néolibéralisme rejoint le socialisme sur plusieurs points :
- a croyance dans la possibilité d’unifier le genre humain, que le néolibéralisme entend assurer par le marché comme le socialisme l’imaginait par la solidarité mondiale des travailleurs ;
- la croyance que les hommes sont mus par leur seul intérêt (l’intérêt de classe ou l’intérêt économique) et que cet intérêt est objectif. C’est-à-dire que tous deux négligent l’importance des identités, nationales notamment, comme déterminants humains, de même que l’importance des spécificités et croyances culturelles. Le libéralisme néglige que les hommes sont mus non par leur intérêt objectif mais par l’idée qu’ils se font de leur intérêt, ce qui n’est pas la même chose ;
- la croyance que les traditions culturelles et les identités sont des obstacles au bonheur humain (à la création de l’homme nouveau comme à la concurrence pure et parfaite) ; même si certains libéraux se sont efforcés de montrer que le fonctionnement optimal de l’économie supposait le respect de règles qui ne pouvaient que s’enraciner dans une culture ;
- la croyance en la possibilité d’assurer le Paradis sur terre (réduit à l’abondance matérielle) par la mise en œuvre de solutions adaptées (le collectivisme ou l’économie de marché) ;
- la prétention du néolibéralisme à incarner l’avant-garde du progrès, comme hier les élites révolutionnaires. Il existait, en effet, un libéralisme politique qui s’est avant tout opposé à l’absolutisme monarchique puis au conservatisme et au socialisme. Le libéralisme politique déclinait dans l’ordre politique ses principes économiques, la libre confrontation des opinions – parlementarisme et démocratie – étant considérée comme aussi efficace que l’ajustement de l’offre et de la demande sur le marché libre. Mais le néolibéralisme a rompu aujourd’hui avec cette tradition et adopte désormais une approche élitiste de la chose publique : il se méfie des peuples et donc de la démocratie et s’est mis au service de l’oligarchie.
3) La propriété privée reste un système économique et social efficace car elle produit en général de meilleurs résultats que sa suppression. Mais plus la propriété est vaste, moins elle est facile à maîtriser.
C’était l’erreur du socialisme de penser que la suppression de la propriété privée (la collectivisation) constituait le remède au capitalisme. La propriété est levier de responsabilité et de sécurité pour le propriétaire. La collectivisation provoque, au contraire, l’irresponsabilité et la prise de mauvaises décisions. Les politiques redistributives d’inspiration socialiste, qui consistent à prélever des impôts sur ceux qui travaillent pour les redistribuer sous forme de prestations « sociales » à ceux qui ne travaillent pas, provoquent des effets pervers de même nature : elles découragent l’effort et la prise de risques. Il faut donc au contraire encourager l’accession à la propriété personnelle, la conservation des patrimoines et diminuer les impôts et les prélèvements pesant sur les revenus du travail.
Il y a cependant des limites à cela. D’abord l’efficience de la propriété privée est d’autant plus grande que le propriétaire est proche de son bien : plus la propriété est vaste moins elle est facile à maîtriser. Ensuite tous les biens ne peuvent pas faire l’objet d’une appropriation privative, en particulier ceux qui sont nécessaires à la survie de la communauté. Certaines circonstances exceptionnelles peuvent justifier de substituer la propriété publique à la propriété privée pour garantir un intérêt public, sous réserve d’une compensation équitable des propriétaires. Enfin, aucune société policée ne peut se désintéresser de la situation des personnes privées d’emploi et de revenus (mais cela ne signifie pas que la charité soit obligatoirement publique).
4) La liberté du commerce et des prix ainsi que la concurrence économique produisent des effets positifs pour tous mais à condition que les termes de l’échange ne soient pas trop inégaux et que les coûts des facteurs restent homogènes entre les concurrents.
La mise en concurrence au sein d’un espace économique non homogène, a fortiori la mise en concurrence mondiale des économies, provoque des effets pervers beaucoup plus importants que ses avantages économiques présumés. Dans un premier temps la baisse des protections tarifaires a un effet positif sur les consommateurs, qui voient les prix baisser et affluer des marchandises du monde entier. Mais s’ils perdent leur emploi du fait que les entreprises étrangères sont plus performantes et que les leurs doivent cesser leur activité, ils finissent par voir diminuer leurs revenus et leur consommation.
C’est la faute méthodologique du néolibéralisme, c’est-à-dire du libre-échange mondialiste, que de ne pas vouloir prendre cela en considération.
La mondialisation des échanges perturbe en effet le fonctionnement de la concurrence. Car un pays ne peut durablement se spécialiser dans un seul domaine d’activité et dépendre pour le reste des autres économies, d’autant que les avantages comparatifs ne sont pas donnés une fois pour toutes. Il est très difficile en outre de reconstituer des capacités de production dans un secteur que l’on a abandonné à d’autres, en particulier à cause des compétences perdues. Il y a par ailleurs des limites naturelles à l’adaptation des facteurs de production à la concurrence mondiale du point de vue de la mobilité de la main-d’œuvre. Dans une économie mondialisée les coûts sociaux des ajustements économiques sont trop élevés, en particulier dans les pays en déclin démographique, pour que l’optimum de la théorie économique soit réalisable.
5) En diabolisant le protectionnisme, le néolibéralisme commet une erreur d’analyse et s’écarte de la réalité des faits tels que constatés par l’histoire économique.
Les protections tarifaires – c’est-à-dire les frontières économiques – permettent de préserver une juste concurrence entre des acteurs inégaux, dès lors qu’elles sont raisonnables. Les situations d’autarcie ou de blocus ont constitué aussi des facteurs d’accélération de l’innovation pour les sociétés qui y étaient soumises.
L’histoire économique ne confirme pas que les grandes puissances économiques le sont devenues en appliquant la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo mais en appliquant plutôt différentes formes de patriotisme économique. Le discours libéral sur les bienfaits de l’ouverture des frontières économiques a en réalité souvent été utilisé comme moyen de soumission et de colonisation des Etats : en imposant l’ouverture de l’économie du pays dominé au commerce inégal avec la puissance dominante. D’ailleurs, les pays qui sont présentés comme un modèle de libéralisme – comme les Etats-Unis, par exemple – sont en réalité protectionnistes, car ils usent de nombreux moyens non tarifaires pour décourager les importations.
La solution économique la plus efficiente n’est pas la suppression des protections tarifaires, comme le pratique aujourd’hui l’Union européenne, mais de mettre en place une certaine dose de protection du marché intérieur alliée à une politique de promotion des exportations au sein d’un espace économique cohérent ; c’est la politique que pratiquent également les économies émergentes avec succès.
Il n’est pas avéré que la croissance économique soit en relation directe avec le degré d’ouverture au commerce international, comme le montre le cas de l’Union européenne qui est désormais une économie ouverte mais à faible croissance.
Enfin, contrairement à ce que prétendent les libéraux depuis l’origine, le commerce ne garantit nullement la paix. Dans l’histoire, c’est le contraire qui est vrai ; les nations les plus commerçantes ont toujours été belliqueuses car elles ont utilisé la force pour s’ouvrir des marchés et éliminer des concurrents : exemple l’Angleterre. Il est donc faux de croire que la mondialisation de l’économie conduira à la paix perpétuelle ; au contraire, l’ouverture mondiale des frontières économiques met en concurrence non plus seulement des acteurs économiques mais les peuples et les civilisations eux-mêmes. Le libre-échange mondialiste mène fatalement au choc des civilisations, comme le montrent notamment les conséquences des migrations massives de populations.
6) Le tout n’est pas seulement la somme des parties.
L’accent mis sur la micro-économie a progressivement détourné le libéralisme de la bonne compréhension des sociétés humaines et, d’une façon générale, de tout ce qui est collectif et communautaire. Cela résulte aussi du fait que le libéralisme a été formulé à une époque (XVIIIe siècle notamment) où l’on avait de l’anthropologie une conception utopique : celle d’un homme primitif vivant de cueillette en dehors de toute culture, les institutions sociales étant perçues comme une contrainte faisant perdre à l’homme sa bonne nature.
Les intellectuels libéraux ont cru ensuite trouver dans la formulation de la théorie de l’évolution au XIXe siècle une confirmation de leurs analyses : le caractère spontané et structurant des micro-variations individuelles, la survie du mieux apte.
Le libéralisme est donc un individualisme méthodologique, qui pose que les individus sont la mesure de toute chose et à l’origine de la société. Cette conception a débouché sur l’idéologie politique des droits de l’homme qui expliquait justement que la société était faite pour les hommes, et non l’inverse, et que le but de l’organisation politique résidait dans la conservation des droits propres à chaque homme, et non dans la conservation de la communauté. Les droits de l’homme ont ainsi supplanté ceux de la citoyenneté.
Les libéraux conséquents ne reconnaissent aucune réalité, ni aucune légitimité souvent, aux entités et déterminants collectifs, à l’exception du concept de « marché » perçu comme la sommation des décisions économiques individuelles. Ils prônent la « société ouverte » (Hayek), c’est-à-dire un système où les institutions ne viendraient pas contrarier l’initiative des individus. Cette expression est cependant une contradiction dans les termes car ce qui fonde un ordre social consiste justement à organiser et à pacifier le choc des appétits individuels, donc à les restreindre.
Le libéralisme a, par conséquent, beaucoup de difficulté à concevoir que les relations de pouvoir puissent venir perturber son modèle. Les libéraux sont des optimistes qui pensent que les supériorités sont transitoires et susceptibles d’être recomposées par le marché.
Les libéraux finissent par oublier que les hommes sont « par nature des êtres de culture » (Gehlen) et qu’ils n’existent pas en dehors d’une culture et d’une société. Ils ignorent aussi que beaucoup d’animaux vivent en société et ne sont pas non plus des « individus ».
La société qu’ils préconisent, conçue comme une agrégation d’individus, est en réalité un chaos, comme le démontrent les sociétés occidentales qui ont été façonnées conformément à ces principes. Les libéraux négligent le fait que les hommes réagissent en fonction de l’idée qu’ils se font de leur intérêt : or, cette idée est aussi le fruit de leurs traditions et de leurs cultures. Ils négligent enfin que les hommes sont plus attachés à leur identité et à leur culture qu’à leur intérêt économique, a fortiori quand ce dernier n’est pas à court terme.
7) Il n’est pas avéré que « le marché » prenne nécessairement toujours les bonnes décisions ou, pour le dire autrement, que la société profite toujours des décisions du marché.
A l’âge de la mondialisation des échanges, les acteurs économiques prennent de plus en plus de décisions à court terme. Tous les observateurs le confirment. Les visions stratégiques à moyen ou long terme sont de plus en plus rares. Les exemples sont nombreux où « le marché » – c’est-à-dire les acteurs privés – a pris de mauvaises décisions (bulles spéculatives, actifs toxiques, crédits imprudents, …) ou a été incapable d’éviter des dérèglements majeurs (Madoff, Kerviel, …). Les marchés sont en effet conformistes, c’est-à-dire qu’ils ont tendance à imiter les pratiques qui semblent donner de bons résultats et de bons profits : cela contribue à amplifier l’effet des mauvaises décisions. Et cette amplification est désormais mondiale.
L’argument des libéraux selon lequel les erreurs privées sont toujours moins graves que les erreurs publiques néglige les effets sociaux des mauvaises décisions privées, a fortiori quand elles sont prises par des entreprises transnationales. Les libéraux, dans leur critique systématique de la mauvaise efficacité des politiques publiques comparée à l’efficience des entreprises privées,ignorent le fait que les entreprises ont tendance à externaliser leurs coûts et leurs échecs sur les Etats.
Ainsi afin d’améliorer leur profitabilité, les entreprises ont partout cherché à diminuer leurs coûts salariaux. Cela s’est produit par le développement de l’automation (au Japon, par exemple) et par l’encouragement à l’immigration, en particulier en Europe et en France. Les immigrés sont, en effet, moins syndiqués et acceptent des salaires plus bas que les autochtones. Le travail des femmes produit le même effet. C’est d’ailleurs pourquoi les entreprises sont en général les meilleurs partisans des mesures discriminatoires prises par les Etats en faveur de ces catégories, aux dépens des salariés mâles et autochtones.
Comme les coûts sociaux de ces politiques sont avant tout supportés par les finances publiques, elles sont tout bénéfice pour les entreprises. De même il est significatif que les Etats – c’est-à-dire le contribuable – aient été appelés au secours des banques et des institutions financières lors de la crise financière de 2008 ; ce qui montre à l’évidence que les erreurs privées peuvent être aussi graves que les erreurs publiques.
8) La tendance naturelle du capitalisme n’est pas le respect de la juste concurrence mais la concentration, l’intégration verticale et la financiarisation.
Ce point a clairement été diagnostiqué par les socialistes dès le XIXe siècle et c’est bien ce qui s’est passé à la fin du XXe siècle, avec la création des entreprises transnationales, des grands conglomérats et des bulles financières successives. Aujourd’hui, ces entreprises transnationales ont des surfaces financières et des capacités d’influence bien supérieures à celles de certains Etats : elles sont devenues des pouvoirs. La caractéristique principale de l’économie mondialisée est la dé-territorialité et la très grande mobilité du capital, qui lui permettent d’échapper aux régulations nationales et politiques. Cette évolution est renforcée par la financiarisation, qui pousse à vouloir réaliser des profits à court terme et à reconfigurer en permanence, voire à détruire, les entreprises pour cela. Sur ce plan les banques et les institutions financières sont les véritables dirigeants des entreprises, transnationales ou non.
Cette tendance rencontre cependant ses limites car plus les entreprises grandissent moins elles sont faciles à gérer et plus elles sont tentées de prendre de mauvaises décisions ou, en tout cas, pas meilleures que celles des Etats. C’est pourquoi il faut réguler la concentration des entreprises et surveiller l’exercice de la concurrence.
En outre, les grandes entreprises transnationales disposent, avec l’exercice du pouvoir médiatique et la suggestion (et sujétion) publicitaire, de puissants moyens de sidération du consommateur. De ce fait, l’équilibre entre l’offre et la demande n’est plus équitable puisque les grandes entreprises disposent du pouvoir de créer artificiellement des besoins éphémères.
On sait depuis le XIXe siècle que l’échange entre le travail et le capital n’est pas égal puisque le travailleur ne peut vivre sans salaire ni aides sociales. Mais depuis le XXe siècle et l’avènement de la publicité de masse, on sait que l’échange avec le consommateur n’est pas plus équitable.
L’économie occidentale repose en effet sur la stimulation de la consommation, par la création artificielle des besoins et par le crédit sans limite. Mais les effets pervers de cette stimulation – en particulier sur la santé publique ou l’environnement – sont supportés par les Etats et les consommateurs et non par les entreprises, qui ne privatisent que les prises de bénéfice. La stimulation constante de la consommation conduit à un monde de l’éphémère et de l’obsolescence, qui génère le nihilisme occidental.
La maîtrise des moyens de communication et des biens culturels par le système marchand a enfin des effets politiques majeurs, du moins dans les pays occidentaux : elle sape la démocratie car elle donne à ceux qui financent et donc dirigent les médias les moyens de choisir les dirigeants politiques et de formater l’opinion. On peut douter qu’ils le fassent sans considération de leurs intérêts propres.
9) Le bilan de la mise en œuvre des recettes néolibérales dans le domaine social n’est pas probant.
Le néolibéralisme a voulu appliquer à partir de la fin du XXe siècle à toutes les institutions sociales les mesures inspirées de la théorie économique : suppression des statuts pour établir une « juste concurrence », hausse des tarifs pour obtenir des prix réels, équilibre des dépenses et des recettes pour les institutions publiques afin qu’elles soient le plus possible « rentables », diminutions d’impôts sur les entreprises, dérégulation, privatisation de services publics, externalisation des activités non régaliennes de l’Etat sur des opérateurs privés, promotion de l’assurance, des contrats, etc. Ces politiques se sont appuyées sur les succès présumés des politiques conduites dans les pays anglo-saxons à partir des années 1980 (Reagan, Thatcher).
On ne peut contester qu’avec l’avènement du néolibéralisme les entreprises soient devenues plus profitables. Mais la question est de savoir à quel coût cela s’est fait pour la société. En Europe, ce coût ne s’appelle-t-il pas chômage, immigration, déficits publics et croissance des inégalités de revenus ?
Les mesures prises ont surtout abouti à déstructurer les sociétés et les Etats en affaiblissant les protections au moment où les hommes en avaient besoin du fait des effets de l’ouverture mondiale des frontières économiques. Ce phénomène se constate aussi bien en Occident que dans les pays qui se sont vus appliquer les recommandations du FMI.
Les « paradis » tant vantés par les idéologues libéraux dans les années 1990 sont largement factices et les mesures prises n’ont manifestement pas abouti à des résultats meilleurs dans la durée que dans d’autres pay : ainsi les taux de chômage, les taux d’endettement public, la précarité des emplois ou la pauvreté aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne ne diffèrent pas sensiblement de la moyenne des pays développés, soit sont pires (endettement public notamment). La crise financière a montré aussi que le remplacement de la capitalisation par la répartition n’était pas la solution tant vantée par les néolibéraux pour les systèmes d’assurance sociale.
Contrairement à ce que prétend le néolibéralisme, il n’a pas institué un monde « gagnant-gagnant ». En fait, il y a bien des gagnants qui ont profité de ces mesures d’inspiration libérale : les économistes qui les ont préconisées et qui ont gagné une notoriété ce faisant, les professions juridiques, les cabinets de conseil et de communication, ceux qui ont pu acquérir des biens privatisés, les riches inactifs, ainsi que les grandes entreprises et les institutions financières qui ont vu baisser leurs charges ou qui ont profité des marchés d’externalisation publique. Les perdants sont ceux qui ne peuvent plus bénéficier de la gratuité et de la qualité des services publics et qui supportent la diminution des prestations sociales.
Le néolibéralisme est devenu l’idéologie de la superclasse dirigeante mondiale, c’est-à-dire l’idéologie de ceux qui bénéficient des avantages de la mondialisation et de la dérégulation des échanges marchands sans en supporter les conséquences désagréables, en particulier sans supporter les conséquences pénibles de l’ajustement économique et social permanent consécutif à la mise en concurrence mondiale des économies.
C’est ce qui explique que le néolibéralisme n’ait pas bonne presse en Occident et en particulier en France : les pays occidentaux ont subi en effet successivement la progression des prélèvements publics consécutive à la mise en place de l’Etat Providence, puis sa déconstruction néolibérale, sur fond de progression continue du chômage, de l’immigration et des déficits publics. Partout en Occident les classes moyennes autochtones ont fait les frais de la mondialisation des échanges vantée par les néolibéraux. On peut donc comprendre qu’elles n’aient plus aujourd’hui une « image positive » des grandes entreprises ni de la super-classe mondiale.
10) Les principales réalisations de la culture humaine, celles qui font que la vie vaut d’être vécue, ne sont pas le fruit de l’économie de marché mais le produit de la fonction souveraine, c’est-à-dire des églises, des princes et des Etats. Elles sont le produit d’une volonté, consciente ou non, de la « main invisible » des marchés.
Le capitalisme d’Etat, l’interventionnisme, diabolisés par les idéologues néolibéraux depuis la fin du XXe siècle, ont produit des résultats au moins équivalents, et dans bien des cas plus durables et supérieurs, à ceux de l’économie de marché. La première économie du monde, la Chine, est un capitalisme d’Etat. La maîtrise du nucléaire, l’aéronautique, la conquête spatiale, l’informatique, la recherche médicale n’auraient pas été possibles sans l’intervention décisive des Etats, qui en ont supporté les risques.
La soumission de tout à la loi du marché (marchandisation du monde), loin de constituer une amélioration, n’a abouti qu’à un appauvrissement culturel généralisé à l’image de ce qui s’est passé dans l’univers médiatique.
Il en va ainsi parce que le libéralisme poussé dans ses implications ultimes est un agent dissolvant de tout ordre social, ce que les socialistes reconnaissaient d’ailleurs positivement au XIXe siècle, pour sa contribution à l’avènement de la révolution mondiale.
Le libéralisme conduit en effet à délégitimer toutes les institutions, toutes les traditions, toutes les préférences culturelles, réputées faire obstacle à l’optimum économique, au nom de l’efficience réputée supérieure des initiatives des individus sur le marché libre. La seule distinction que le néolibéralisme ne conteste pas porte sur les différences de richesses, qui seraient hautement morales à ses yeux, car elles sont censées rémunérer des talents supérieurs.
Il délégitime aussi tout volontarisme politique, au nom de la critique des effets pervers du « constructivisme ». Mais il est un ardent défenseur du volontarisme des grandes entreprises transnationales…
Le libéralisme repose sur la croyance en la supériorité d’un modèle économique et social, le gouvernement des choses en dehors de toute régulation humaine, qui malheureusement ne fonctionne nulle part d’une façon pure et parfaite. Mais au lieu d’en tirer une nécessaire modestie, le néolibéralisme prétend plier la réalité à ses postulats. Cette attitude conduit les idéologues néolibéraux à négliger les conséquences désagréables des politiques qu’ils préconisent et qu’au demeurant en général ils ne supportent pas personnellement, bien au contraire.
Le néolibéralisme est donc une idéologie commode qui prône l’indifférenciation et la soumission aux lois abstraites du marché pour la population, tout en justifiant les inégalités de richesse en faveur des puissants.
Nous vivons aujourd’hui la déconstruction de tout ordre social par la mise en œuvre des principes libéraux poussés à leurs limites. Car les sociétés occidentales ont été soumises à une véritable révolution néolibérale et sont en train d’imploser pour cette raison même. Mais cette déconstruction suscite désormais la révolte croissante des peuples et des identités contre le système qui s’est mis en place.
Michel Geoffroy Polemia
22/02/2011 -
Les Russes sont retournés à la foi chrétienne grâce au vide laissé par le leurre idéologique du communisme
Lu ici loin de tout laïcisme d'Etat :
"Les Russes sont retournés à la foi chrétienne sans aucune pression de la part de l'Etat et même de l'Eglise, a déclaré le président russe Vladimir Poutine dans un documentaire baptisé "Second baptême de la Russie" réalisé par Mgr Hilarion Alfeyev et diffusé lundi dernier par la chaîne de télévision Rossia.
"La société russe est retournée elle-même à ses racines, à la religion chrétienne et aux valeurs spirituelles, sans aucune pression de la part de l'Etat et même de l'Eglise… C'était une renaissance naturelle du peuple russe", a indiqué Vladimir Poutine. "On se demande: pourquoi? Les gens de mon âge se souviennent du code des bâtisseurs du communisme qui était en fait un résumé simpliste des principes éthiques et religieux de toutes les religions modernes. Quand ce code a cessé d'exister, un vide moral s'est formé qu'on ne pouvait combler qu'en retournant aux valeurs authentiques", les valeurs religieuses, a-t-il expliqué. L'adoption de la foi chrétienne orthodoxe a marqué l'apparition de la nation et de l'Etat centralisé russes. "La nation russe et l'Etat russe reposent sur les valeurs qui étaient communes pour les habitants d'un vaste territoire en Europe où se trouvent actuellement la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie.
C'est un espace unique des valeurs spirituelles et un facteur sérieux de réunification des peuples", a ajouté le chef de l'Etat russe. L'Eglise orthodoxe russe et l'Etat russe peuvent coopérer dans de nombreux domaines, ils peuvent notamment aider les handicapés et les détenus, éduquer les enfants et les jeunes, promouvoir les valeurs familiales. "L'Eglise est un partenaire naturel de l'Etat dans ces domaines", a noté Vladimir Poutine. La Russie, l'Ukraine et la Biélorussie célèbrent le 1025e anniversaire de la christianisation de l'ancienne Rus' fin juillet. Des festivités se déroulent dans les trois pays à cette occasion. Dans le même film documentaire, le président russe a révélé qu'il fut baptisé comme enfant. « Ma mère m’a fait baptiser, pour ainsi dire en secret de mon père, qui était membre du Parti communiste. Il n'était pas fonctionnaire, il travaillait à l'usine, mais il a été quand même un militant du parti soviétique. Donc cela m'a aussi touché personnellement et notre famille ».
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Chatov, personnage de Dostoïevski
Le populisme sous-tend tout le mental russe au cours du XIXe siècle. Dans l'œuvre de Dostoïevski, on le repère en moult endroits, not. dans Les Possédés. Le slaviste allemand Reinhard Lauth a mené une enquête serrée sur les racines de la pensée dostoïevskienne depuis 1949 : Dostojewski und sein Jahrhundert (mit einer Einleitung von Hans Rothe), Bouvier Verlag/ H. Grundmann, Bonn, 1986, 159 p. Robert Steuckers nous le recense ici.Dans l'œuvre de Dostoïevski, plus particulièrement dans Les Possédés, le personnage de Chatov, selon la plupart des exégètes, serait le porte-parole de l'écrivain lui-même et de l'idéologie nationaliste / racialiste russe. Le slaviste allemand Reinhard Lauth conteste cette interprétation classique, qui fait de Dostoïevski un idéologue génial de la “slavophilie” voire du panslavisme. Sur quoi repose ce soupçon et/ou cette affirmation ? Telle est la question que se pose Lauth. Pour nier le fait de la slavophilie de Dostoïevski, Lauth nous révèle, dans un chapitre de son livre consacré à Dostoïevski et son siècle, l'essentiel de cette idéologie nationale russe sous-tendue par une conception du “peuple”, dérivée de la matrice herdérienne mais rendue terriblement originale par l'apport d'une religiosité orthodoxe slave.La Russie “corps de Dieu” face à l'Occident cupideL'idéologie populo-centrée défendue par le personnage Chatov apparaît dans le chapitre intitulé « La Nuit » des Possédés. Chatov dialogue avec le Prince Stavroguine, devenu presque athée, au contact de la civilisation occidentale. Chatov affirme que le peuple est la plus haute des réalités, notamment le peuple russe qui, à l'époque où il pose ses affirmations, serait le seul peuple réellement vivant. En Europe occidentale, l'Église de Rome n'a pas résisté à la « troisième tentation du Christ dans le désert », c’est-à-dire à la « tentation d'acquérir un maximum de puissance terrestre ». Cette cupidité a fait perdre à l'Occident son âme et a disloqué la cohésion des peuples qui l'habitent. En Russie, pays non affecté par les miasmes “romains”, le peuple est toujours le “corps de Dieu” et Dieu est l'âme du peuple, l'esprit qui anime et valorise le corps-peuple.L'idéologie de Chatov, écrit Lauth, se trouve en quelque sorte à une croisée de chemins : entre un christianisme orthodoxe et une sorte de “feuerbachisme” qui interprète le christianisme comme une sublimation de l'esprit du peuple, exactement comme Feuerbach avait interprété la Trinité chrétienne comme une sublimation de la famille sociologique. Dieu ne serait-il plus qu'une projection du Peuple, l'extériorisation d'un “collectif” repérable empiriquement ?La puissance de l'esprit qui anime le peuple détermine son existence historique. Cet esprit est une force affirmatrice de l’Être et, partant, d'existence, qui nie la mort. Puissance religieuse, cet esprit s'exprime dans la morale, l'esthétique, etc. Il est recherche de Dieu et, par rapport à lui, science et raison ne sont que des forces de second rang, qui ne sont jamais parvenues, dans l'histoire, à constituer un peuple.Le “Volksgeist” est DieuChaque peuple cherche un esprit divin qui lui est spécifique. Chaque peuple génère son Dieu particulier qu'il considère comme seul vrai et juste. Et tant qu'un peuple vénère son Dieu particulier et rejette avec force, implacablement, tous les autres dieux du monde, il demeure vivant et sain. Une pluralité de peuples ne peut se partager un seul et même Dieu, dit Chatov, car le Volksgeist est Dieu. S'ils possédaient le même Dieu, ils seraient un seul et unique peuple, composé de plusieurs tribus. Ou, pire, ils seraient des peuples en déclin, devenus incapables d'affirmer avec force leur Dieu, des peuples dont les Dieux viendraient, sous les coups insidieux d'une décadence délétère, à se confondre en une soupe insipide de valeurs dévoyées, et dont l'esprit aurait capitulé devant toute tâche historique pour adopter un esprit étranger ou, dans le meilleur des cas, pour recréer un Dieu nouveau.Chaque peuple déploie ses propres conceptions du bien et du mal. Et si certains peuples ont élaboré des conceptions universalistes et des religions mondialisables, ils se réservent toujours, dans ce programme, le premier rôle. Quand un peuple perd cette idée de détenir seul l'unique vérité du monde ou quand il doute du rôle premier qu'il a à jouer dans l'histoire, il dégénère en “matériel ethnographique”.Slavophilie et panslavismeCette vision du peuple “théophore” (= porteur de Dieu ou, si l'on veut être plus juste en désignant l'idéologie de Chatov, porteur d'un Dieu) reflète les idées de Danilevski, celles exprimées dans son ouvrage principal La Russie et l'Europe, paru en 1869. Danilevski inaugure une nouvelle slavophilie, postérieure à la slavophilie des Kireïevski, Khomiakov et Axakov, décédés entre 1856 et 1860. Avec Danilevski la slavophilie fusionne partiellement avec le panslavisme. L'auteur de La Russie et l'Europe allie des idées du temps (les influences de Pogodine, Herzen et Bakounine y sont présentes) à une typologie des cultures historiques qui annonce Spengler. Dans l'orbite des slavophiles/panslavistes, l'originalité de Danilevski réside précisément dans cette “organologie” qui pose une doctrine des types de cultures, postulant qu'il n'existe pas de développement culturel unique de l'humanité, comme Hegel avait tenté de le démontrer. Pour Danilevski, comme plus tard pour Spengler et Toynbee, il n'existe que des cultures vivant chacune un développement (ou un déclin) séparé. Pour Danilevski, les peuples qui n'appartiennent pas à une culture bien spécifique sont soit des « agents négatifs de l'histoire » comme les Huns soit du « matériel ethnographique » comme les Finnois ou les Celtes voire même des « réserves de puissance historique ». Dans ce dernier cas, il s'agit de peuples qui, longtemps, demeurent à l'écart de l'histoire et qui, soudain, font irruption sur le théâtre des événements et fondent des cultures nouvelles et originales.“Celui qui n'a pas de peuple, n'a pas de Dieu”Toute culture vit une vie organique : elle croît, atteint son apogée (période relativement courte), épuise ses forces vitales et sombre finalement dans la sénilité. Seules subsistent alors la science rationnelle, la technique et un art technicisé qui seront transposés dans et repris par une culture ultérieure. Danilevski, en tant que nationaliste russe, affirmait que les Slaves représentaient une culture jeune et montante face à une culture germano-romaine atteinte de sénilité (postulat hérité des vieux slavophiles Odoïevski et Kireïevski). Les Slaves sont un peuple “élu”, pense Danilevski, qui triomphera prochainement dans l'histoire.Chatov, le personnage de Dostoïevski, lui, va plus loin. Il accepte le pluralisme des peuples affirmé par Danilevski mais prétend qu'il n'existe qu'une seule et unique vérité. Donc il ne peut y avoir dans l'histoire qu'un seul et unique peuple porteur de cette vérité. En l'occurrence, pour les slavophiles et les panslavistes, c'est le peuple russe. Ce peuple russe porte en lui la vérité révélée par Dieu, la vérité de Jésus Christ telle quelle, non falsifiée. Face à lui, les autres peuples sont porteurs d'idoles. Si ces autres peuples se disent chrétiens, ils portent la caricature d'un Christ “ré-idolisé”. Conclusion de cette foi : celui qui n'appartient pas au peuple russe ne peut croire au vrai Dieu et celui qui, en Russie, n'a pas de peuple, n'a pas de Dieu.Messianisme de Chatov, pluralisme de DanilevskiLe messianisme slave de Chatov diffère donc fondamentalement, sur ce plan du moins, de l'idéologie danilevskienne. En effet, Danilevski s'oppose résolument à toute forme d'universalisme ; son système, par suite, refuse l'idée d'une mission universelle des Slaves car une mission de ce type n'existe ni en acte ni en puissance. Simplement, pour Danilevski, les Slaves inaugureront une ère nouvelle, débarrassée de tous les miasmes d'obsolescence que véhicule la civilisation germano-romaine (occidentale-catholique).Lauth repère les conséquences de cette distinction : Dostoïevski identifiait le peuple russe aux Chrétiens orthodoxes, si bien qu'un Russe ethnique non orthodoxe ou athée n'était pas “russe” à ses yeux, tandis qu'un non slave “orthodoxe” (un Roumain ou un Grec) était “russe”. Pour Dostoïevski, l'essentiel, c'est la religion. Pour Danilevski, c'est la substance ethnique, la synthése bio-culturelle. Mais cette substance, en générant un type de culture, se transmet partiellement à d'autres substrats ethniques, si bien qu'en fin de compte, c'est l'adhésion au type de Culture, synthèse entre la sphère bio-culturelle originelle et la transmission/assimilation à d'autres peuples, qui est déterminante.Les personnages de l'univers dostoïevskien se divisent en personnages substantiels et en nullités. Les personnages substantiels peuvent aussi bien incarner le bien que le mal tandis que les nullités n'incarnent rien, puisqu'elles sont nulles. Chatov n'est pas une nullité ; il incarne donc une substance, un type humain chargé de potentialités. Mais ce type incarné par Chatov n'est pas nécessairement la représentation du bien, selon la conviction intime de Dostoïevski. Chatov avance l'idée du primat de la religion sur le politique mais, en dernière instance, il politise le religieux à outrance. De ce privilège accordé indirectement au politique, naît un exclusivisme nationalitaire, à fortes connotations messianiques, qui ne correspond pas à l'idéal Dostoïevskien de fraternité et de solidarisme, pierre angulaire de la foi orthodoxe.“Chatov = Dostoïevski” ?Le “déviationnisme” de Chatov a des raisons sociales : la slavophilie, puis le panslavisme, ont été, sur le plan théorique, passe-temps des membres oisifs des classes dirigeantes russes. Or ces classes dirigeantes sont coupées du peuple et ne font qu'interpréter erronément ses desiderata, ses pulsions, sa foi. Coupés du peuple, les dirigeants théoriciens, inventant tour à tour la slavophilie ou le panslavisme, sont en réalité des incroyants, des philosophes en chambre qui ânonnent des slogans en dehors de toute expérience existentielle concrète.Pour Lauth, réfuter la thèse qui pose l'équation “Chatov = Dostoïevski” signifie soustraire l'univers dostoïevskien aux spéculations des nationalistes de tous horizons (surtout les Russes et tes Allemands qui, à la suite de Niekisch et de Moeller van den Bruck, “dostoïevskisent” quelques fois leur nationalisme). Néanmoins, malgré l'impossibilité de poser abruptement l'équation “Chatov = Dostoïevski”, on ne saurait nier une certaine dose de nationalisme russe/slave chez l’auteur des Fréres Karamazov, même si, dans son optique, cet enthousiasme nationaliste doit se limiter aux “jeunes nations” qui, lorsqu'elles auront atteint l'âge mûr, devront adopter et pratiquer des idées plus réfléchies.Le livre de Lauth, recueil d'articles sur Dostoïevski parus entre 1949 et 1984, n'aborde pas que l'influence des slavophiles et de Danilevski ; il nous fait découvrir, entre autres choses :- l'apport de Tchadaïev, qui avait amorcé, dans la Russie du XIXe s., la fameuse discussion sur l'opportunité ou l'inopportunité de s'ouvrir au catholicisme romain,
- l'apport de Soloviev dans la genèse de la parabole du Grand Inquisiteur,
- la critique de Dostoïevski à l'encontre de Fichte* et Rousseau.
Au total, le recueil que nous offre Lauth constitue un tour d'horizon particulièrement intéressant pour comprendre la réalité russe pré-bolchévique, à travers l'œuvre du plus grand de ses écrivains.► Robert Steuckers, Vouloir n°37-39, 1987.* : Cf. Hegel, Critique de la Doctrine de la Science de Fichte de Reinhard Lauth (2005) et Fichte, la science de la liberté de Xavier Tilliette (2004), tous 2 chez Vrin.
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Approprions-nous la critique de la société marchande
Il est aujourd’hui délicat de parler d’un mouvement exclusivement opposé au mariage pour tous, tant les enjeux et l’ampleur de la mobilisation ont largement débordé et dépassé cette revendication préliminaire.
À notre grande surprise, un processus de conscientisation d’une rapidité remarquable a vu le jour, en particulier chez une certaine jeunesse. De nombreuses voix, parmi les collectifs qui se sont créés à la faveur de l’exigence du retrait du projet de loi, se sont élevées pour critiquer la dérive libérale-libertaire, déjà engagée de longue date.
Certaines commencent à poindre pour s’élever non pas simplement contre l’emprisonnement d’un jeune militant, mais contre l’ensemble des lois liberticides et d’une justice aux ordres qui ont permis cela. C’est là le mouvement des choses le plus prometteur car pointant du doigt la voie dans laquelle il faut à présent pleinement s’engager. Une voie qui suppose une révolution intellectuelle et spirituelle profonde, essentiellement par le dépassement de clivages périmés et de visions politiques idéologiques et fantasmées. Bref, mettre ses pas dans les avant-gardes toujours d’actualité, comme celle du Cercle Proudhon ou des non-conformistes de l’entre-deux-guerres.
Le plus prometteur aussi, car le plus porteur d’effectivité. Il s’agit en effet ici d’un mouvement porté par l’ensemble de la nation : étudiants, travailleurs salariés, entrepreneurs… La France y est globalement représentée, à l’exception notable de l’hyperclasse bourgeoise et de ses intellectuels organiques. Or, c’est là que s’ouvre un avenir véritable : un processus révolutionnaire apparaît là où on ne l’attendait pas. Un processus qui ne se résume pas à la population étudiante, ce qui permet à l’ensemble de la population de s’identifier au combat, et donc d’échapper au péril d’un discours trop radical dans la forme, et donc détaché de la population, bien qu’universel en droit (ce fut l’une des causes de l’échec du Printemps érable au Québec).
Reste à présent le plus difficile : le profil sociologique de la population protestataire peut la rendre rétive à tout projet réellement révolutionnaire. La critique de la société marchande (qui entraîne pourtant un bouleversement incessant des mœurs, des traditions et des valeurs les plus sacrées) s’est vue jusqu’ici monopolisée par des militants libertaires, dont le discours caricatural laisse supposer une attaque contre toute forme de propriété et de responsabilité individuelle – attaque qui indigne le peuple à raison.
Mais ce dont ce projet de loi est le nom est précisément un capitalisme libéral-libertaire devenu fou, et non l’entreprenariat honnête, la petite propriété… ou le combat pour l’abolition de la marchandise universelle.
Le combat ne se poursuivra et ne pourra durer qu’au prix de cette prise de conscience car, en l’état, il ne peut y avoir abrogation de la loi Taubira. Faire un pas en avant, hors de nos cadres habituels de pensée, ou tout perdre. Là se trouve l’alternative.
Romain Lasserre http://cerclenonconforme.hautetfort.com/
Source: Boulevard Voltaire
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14-18 Le bruit & la fureur
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Alain de Benoist sur Edouard Berth
Lorsqu’Alain de Benoist se saisit d’un sujet ou d’un thème, il est toujours traité avec clarté, minutie, sérieux et pédagogie : le bibliographe et le collectionneur s’allient pour faire oeuvre d’érudition, sans pédantisme ni préjugés.
La biographie intellectuelle qu’il consacre à cette grande figure du syndicalisme révolutionnaire français qu’était Edouard Berth (1875-1939) s’inscrit bien entendu dans cette veine, tout comme elle s’inscrit logiquement et plus généralement dans une pensée toujours attentive aux irréguliers et aux hétérodoxes, à ceux qui échappent aux grandes voies idéologiques trop bien balisées - on se réfèrera, en particulier, aux nombreux travaux qu’Alain de Benoist a consacrés aux figures de la Révolution conservatrice allemande (l’un des chapitres de son Edouard Berth s’intitule d’ailleurs : « Vers une Révolution conservatrice ? »).
Edouard Berth, disciple de Georges Sorel - l’auteur des Réflexions sur la violence, le théoricien de la « grève générale », le philosophe du mythe, grand lecteur de Nietzsche et de Bergson admiré du politologue Julien Freund - rencontra aussi l’oeuvre de Maurras et se montra très attentif à l’action de... Lénine. Autant dire que, de prime abord, il peut paraître déconcertant quoiqu’il ait défendu toute sa vie plusieurs idées-forces.
Berth, en effet, récusa la hideuse démocratie parlementaire, régime politique sans doute le plus méprisant qui fut jamais à l’égard des humbles (il convient toutefois de noter, et Alain de Benoist l’explique fort bien, que la critique berthienne du parlementarisme ne recoupe pas exactement celle des royalistes ni des léninistes). Le 10 janvier 1913, Berth écrit ainsi à Edouard Droz : « Je nie que la démocratie soit un régime populaire ; j’affirme (...) que ce n’est qu’une aristocratie déguisée, et la pire de toutes, l’aristocratie des pires, des médiocres, des canailles, en tout genre, in omni genere et modo. » On admirera à la fois le réaliste et le visionnaire. Il est vrai que l’un de ses autres maîtres, Proudhon, avait déjà dit l’essentiel : « le moyen le plus sûr de faire mentir le Peuple, c’est d’établir le suffrage universel. »
En conséquence, Edouard Berth condamna le libéralisme bourgeois défini comme le règne du marchand, de l’intellectuel (l’ « antithèse du producteur ») et du politicien, soit, de l’échange, du concept et de l’Etat. La raison utilitariste des Lumières, en quelque sorte, a sapé la communauté organique au bénéfice de la société (pour reprendre la célèbre distinction de Tönnies), laquelle se fonde sur une abstraction juridique tendant inéluctablement au cosmopolitisme. En elle, « tout devient abstrait, laïque, démocratique et obligatoire » ce qui, note l’auteur avec raison, constitue « un diagnostic très actuel. » Maurras, quant à lui, échappa à la critique de l’intellectualisme en raison de l’empirisme organisateur qui le garda des nuées romantiques : « Le rationalisme de Maurras, écrit Berth, est un rationalisme classique, c’est-à-dire un réalisme, et s’oppose complètement au rationalisme démocratique, qui est un idéalisme. »
Ainsi, avec Georges Valois puis le Camelot du Roi Henri Lagrange, Berth fut-il l’artisan du rapprochement des syndicalistes révolutionnaires et des royalistes, d’abord à travers le projet d’une revue qui ne verra jamais le jour, La Cité française, puis via le fameux Cercle Proudhon, constitué le 16 décembre 1911 afin de « rapprocher les anti-démocrates de droite et de gauche » mais qui ne survivra pas à la politique de l’Union sacrée.
La démocratie parlementaire et le marché, donc, vont l’amble puisque la concurrence politicienne ou économique et l’axiomatique de l’intérêt deviennent les référents ultimes : « On peut comparer un Parlement à un marché : les partis ne sont que des entrepreneurs qui font l’échange d’un certain stock de voix contre certains avantages ; et ce qui sort, de ces combinaisons de mercantis, c’est ce qu’on appelle la volonté générale, la loi. »
A cette anthropologie libérale, Edouard Berth opposa « une morale héroïque - on dirait aujourd’hui une éthique - qui s’inspire directement des valeurs de l’Antiquité : l’éthique de l’honneur. » Autrement dit, Berth était l’homme d’un Ancien Régime de l’esprit, un paysan-soldat de Rome et de Sparte, un témoin « de l’esprit révolutionnaire-conservateur ».
Vous en êtes un autre, a-t-on envie de dire à Alain de Benoist, au point de soupçonner dans le passage suivant un fidèle autoportrait : « Véritable révolutionnaire conservateur, il n’a cessé de défendre des idées de gauche et des valeurs de droite, ce qui fait de lui, au choix, un homme de droite de gauche ou un homme de gauche de droite. Il fut en tout cas la vivante synthèse de tout ce qui lui a paru devoir être concilié et défendu d’un même élan. Homme d’une extrême rigueur, tant morale qu’intellectuelle, et d’une scrupuleuse honnêteté, il n’a jamais dissimulé son évolution ni ses erreurs. Cela lui a valu des incompréhensions, des inimitiés, des ruptures avec des proches ou des moins proches, qu’il a toujours assumées avec courage, sachant faire passer ses convictions avant ses amitiés. Exigeant vis-à-vis des autres comme il l’était vis-à-vis de lui-même, il a connu au cours de sa vie bien des déceptions - comme en connaissent tous les enthousiastes. Il est aussi passé par d’inévitables phases de découragement. Cela ne l’a pas empêché de continuer à se battre. »
Chapeau !
Louis Montarnal - L’AF 2865
Alain de Benoist, Edouard Berth ou le socialisme héroïque, Sorel, Maurras, Lénine, Pardès, 300 p., 22 €.