La réédition des Idées à l'endroit (éditions Avatar) et la parution d'un livre important sur la crise que nous traversons, Au bord du gouffre - La faillite annoncée du système de l'argent (éditions Krisis), sont l'occasion de dialoguer avec l'un des penseurs les plus aigus de notre temps.
o L'Action Française 2000 – Depuis plusieurs années, vous développez une vigoureuse critique de la "Forme-Capital" dont votre dernier ouvrage, Au bord du gouffre, constitue l'un des points culminants. Pourquoi affirmezvous que « le système de l'argent périra par l'argent » ?
o Alain de Benoist – Ce n'est pas seulement une formule, mais très exactement ce à quoi nous assistons aujourd'hui. La crise financière mondiale qui s'est déclenchée en 2008 aux États-Unis, et qui est encore appelée à s'aggraver dans les années qui viennent, en est la preuve. Ce ne sont assurément pas les contempteurs du capitalisme qui en sont la cause, mais bien le système de l'argent qui a évolué de lui-même vers la situation qui est la sienne actuellement. Dans le passé, on a souvent dit que le capitalisme se nourrissait de ses propres crises. Cela ne le prémunissait toutefois pas contre l'indigestion. Les crises conjoncturelles ne doivent pas être confondues avec les crises structurelles, qui sont des crises systémiques en ce sens qu'elles mettent en cause les fondements du système lui-même. La crise actuelle du système de l'argent est une crise structurelle, et c'est pourquoi les remèdes que l'on tente d'appliquer se révélèront inopérants.
Toujours plus
Il faut bien comprendre que le capitalisme se définit comme un régime, non seulement d'exploitation permanente du travail vivant, mais comme un système d'accumulation illimitée du capital. Il ne dégage pas des profits comme une conséquence de ce qu'il permet de produire, mais il ne produit qu'en vue d'augmenter sans cesse ses profits. L'illimitation est son principe, ce qui est d'ailleurs assez logique puisque toute quantité est toujours susceptible de s'accroître d'une unité.
Le principe moteur de la Forme-Capital (notion empruntée à Gérard Granel), se résume en deux mots : « Toujours plus ! » Toujours plus de marché, toujours plus de marchandises, toujours plus de profits, toujours plus de réification des rapports sociaux, etc. Le déchaînement planétaire de la Forme-Capital correspond à ce que Heidegger appelait le Gestell. C'est en cela que le capitalisme n'est pas non plus seulement un système économique, mais est aussi porteur d'une anthropologie qui lui est propre, fondée sur le modèle de l'Homo oeconomicus (l'homme en tant que producteur-consommateur cherchant toujours à maximiser de manière égoïste son meilleur intérêt personnel). Ce modèle s'impose à travers la colonisation de l'imaginaire économique par les valeurs marchandes, ou plus exactement par la réduction de tout ce qui vaut à la seule valeur d'échange.
o Comment la démocratie directe et participative que vous appelez de vos voeux pourrait-elle succéder aux démocraties libérales, que vous définissez comme des « oligarchies financières dirigées par une Nouvelle Classe capitaliste médiatique et politico-financière » ?
o Je ne fais évidemment pas profession de lire l'avenir. On peut néanmoins penser que l'évident épuisement du système parlementaire et représentatif poussera les citoyens à s'organiser selon des formes de démocratie leur permettant de mieux décider par eux-mêmes de ce qui les concerne. Vous savez que je ne partage pas la critique "droitière" classique de la démocratie comme "loi du nombre". La démocratie se définit pour moi comme le système politique qui permet la participation de l'ensemble des citoyens aux affaires publiques. Cette notion de participation est centrale. Elle l'était déjà dans la Grèce antique. Dans cette optique, les élections ne sont qu'une technique parmi d'autres pour vérifier l'approbation ou le dissentiment. Je partage l'opinion de Rousseau, mais aussi de Carl Schmitt, selon laquelle une démocratie est d'autant moins démocratique qu'elle repose sur la représentation. La crise de la représentation, encore aggravée aujourd'hui par le fossé qui ne cesse de se creuser entre le peuple et la Nouvelle Classe politico-médiatique, pourrait par contraste faire apparaître l'intérêt de la démocratie de base, de la consultation directe et du principe de subsidiarité. Ces derniers entrent aussi en résonance avec le localisme, qui est la meilleure des réponses que l'on puisse apporter aujourd'hui à la mondialisation. Que ce soit dans le domaine politique ou économique, il faut relocaliser.
Universalisme
o Quelles sont les principales manifestations de ce que vous appelez l'« idéologie du Même » ?
o Relèvent de cette idéologie toutes les doctrines, religieuses ou profanes, qui pensent que les hommes sont essentiellement identiques, et que les différences qui les distinguent ne sont que transitoires, superficielles, secondaires ou négligeables. De cette croyance, qui tend (à tort) à interpréter l'égalité dans le sens exclusif de la Mêmeté, découle évidemment l'idée que les institutions politiques et sociales peuvent et doivent être partout les mêmes, ainsi que le prétendaient les philosophes des Lumières. L'idéologie des droits de l'homme, l'idée d'une "gouvernance" mondiale, la montée généralisée de l'indistinction, et jusqu'à la théorie du "genre", dérivent elles aussi de cette conviction fondamentale, qui n'est pas seulement nocive, mais fausse. L'homme est indissociable de ses appartenances singulières parce que nul n'appartient immédiatement à l'humanité. Nous n'y appartenons que de façon médiate, c’est-à-dire par l'intermédiaire d'une culture spécifique. Un Français (un Italien, un Chinois, etc.) n'est pas "homme avant d'être français" (ou italien, ou chinois, etc.), mais homme en tant qu'il est français (italien, chinois, etc.). L'"idéologie du Même" n'est finalement qu'un autre nom de l'universalisme, que je me garde bien de confondre avec l'universel. La particularité est une médiation naturelle vers l'universel. Cervantès ou Goethe sont d'autant plus "universels" qu'ils ont été l'un plus espagnol et l'autre plus allemand. Vous connaissez peut-être ce joli mot de l'écrivain portugais Miguel Torga : « L'universel, c'est le local moins les murs. »
Critique du Dieu unique
o Votre critique du judaïsme et du christianisme est connue. Qu'en est-il de l'islam ?
o Votre question laisse entendre que je manifesterais une sorte de faiblesse coupable envers la religion musulmane ! Tel n'est pas le cas. Ma critique du monothéisme se relie à ma critique de l'"idéologie du Même", qui n'en est qu'une version sécularisée. Affirmer l'existence d'un Dieu unique, c'est du même coup affirmer l'unité fondamentale de la "famille humaine", cette unité passant avant les différences entre ses membres. Cela posé, on peut discuter à l'infini des mérites comparés des trois grandes religions monothéistes. J'ai pour ma part surtout critiqué le christianisme pour cette simple raison qu'il a incontestablement participé plus que le judaïsme ou l'islam à la forme historique de la culture européenne à laquelle j'appartiens, et aussi dans la mesure où, précisément, les grandes idéologies politiques de la modernité en représentent des formes sécularisées en même temps qu'"hérétiques" (les « idées chrétiennes devenues folles » dont parlait Chesterton). Il en serait sans doute allé différemment si j'avais été juif ou musulman, ce qui n'est pas le cas.
Ambiguïté de l'islam
Le grand problème, c'est l'ambiguïté du mot "islam", qui tantôt décrit une religion, tantôt se rapporte à une civilisation. Je prends garde de distinguer ces deux domaines. Je peux ne pas nourrir de sympathie particulière pour la religion musulmane sans pour autant me sentir tenu d'exécrer les habitants des pays islamiques ou arabo-musulmans. Sur ce dernier plan, je m'en tiens à des analyses de type politique ou géopolitique. Elles m'enseignent que, dans le monde multipolaire qui est en train de s'instaurer sous nos yeux, il n'est pas de l'intérêt des Européens de cultiver l'inimitié envers l'Islam civilisation. C'est pourquoi je ne souscris pas à la doctrine américaine du "choc des civilisations", théorisée par Samuel Huntington. C'est pourquoi je déplore aussi que, dans les milieux de droite, on soit passé d'une légitime critique des pathologies sociales nées de l'immigration à une critique confusionniste de l'"islamisation", puis de l'"islam" tout court.
L'excellent géopoliticien Aymeric Chauprade écrivait tout récemment : « J'ai noté, ces derniers temps, que chercher des querelles avec l'"ennemi musulman" était une pente à laquelle cédaient facilement nombre de défenseurs des identités française et européenne. Quand on entre dans ce genre de logique, il convient d'observer une règle de bon sens qui consiste à se demander "pour qui on roule vraiment". Il est évident que tout ce qui conduit à l'aggravation des relations entre les peuples européens d'un côté, les Iraniens, les Turcs et les Arabes de l'autre, sert les Américains et les Israéliens, mais certainement pas les Européens. Que les choses soient dites clairement à ceux qui pensent que Huntington a la solution : nous ne réglerons pas le problème de l'immigration extra-européenne par la guerre avec le monde musulman. » C'est aussi mon avis.
o Comment expliquez-vous l'insatiable – et louable ! – "libido sciendi" qui vous anime ?
o On n'explique pas un tempérament. J'ai toute ma vie été mû par la curiosité, le désir de connaître et la volonté de comprendre. Je ne pense pas que ce soit un défaut !
Propos recueillis par Louis Montarnal L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 2 au 15 février 2012
culture et histoire - Page 2004
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ALAIN DE BENOIST La société capitaliste en perdition
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Stendhal, un contre-moderne intempestif
Le 3 décembre 1825, Stendhal publie un opuscule ironique et cruel, le Nouveau Complot contre les industriels, qui lui valut une haine tenace des milieux de la gauche progressiste. Ce pamphlet se présente comme une charge à la hussarde contre le saint-simonisme, le parti des « industrialistes », qui prétendaient accorder à tous les membres « utiles » de la société le droit et le pouvoir de conférer à l’ensemble du corps social les valeurs à partir desquelles on jugerait chacun. Ce texte, tenu étrangement à l’écart ou déprécié par les critiques, surtout de gauche, n’a pas pris une ride.
Les prétentions exorbitantes des industrialistes
Stendhal s’attaque à l’auteur du Catéchisme des industriels, Saint-Simon, mort le 19 mai 1825. Le périodique qui transmet sa pensée, c’est le Producteur. Les collaborateurs de cette revue étaient un mélange de « prophètes » un peu timbrés, comme Enfantin, et de renards argentés comme Laffitte (qui la soutenait financièrement) ou ce simplet de Ternaux, que Stendhal tourne en ridicule, parce que son principal titre de gloire (qui lui donnait le droit d’imposer des règles éthiques, politiques et esthétiques) était d’avoir importé des chèvres d’Asie. La prose lyrique de cet hebdomadaire est un improbable magma où s’agglomèrent tant que faire se peut pathos humanitaire, sensiblerie droit-de-l’hommiste, économisme vulgaire, raisonnements laborieux, lourdeur moralisatrice et prophétisme déjanté. Un ragoût que nous avons coutume d’apprécier, mais qui passait à l’époque pour une nouveauté surprenante et inquiétante auprès des esprits libres, raffinés par l’épreuve impitoyable des salons littéraires et le jugement aiguisé des femmes de la haute société. C’est justement cet espace de libre pensée, d’indépendance jalouse, que Stendhal va défendre contre les revendications mégalomaniaques de la « classe industrielle », qui veut soumettre tout ce qui pense, sent, aime et rêve à son idéologie de la machine à vapeur. Sous prétexte que, prétendument, la société aurait été de tout temps régie par le principe du « besoin », tout doit être subordonné à l’impératif de l’utilité et de l’économique, donc à eux-mêmes, c’est-à-dire, comme le souligne Stendhal, fatalement aux plus riches et aux technocrates. Le cinquième de la société qui échappe encore à la logique productiviste (les « frelons ») doit être estimé à l’aune de cette vertu, et être mis en demeure d’intégrer le rang des êtres positifs, de ceux qui contribuent à l’avenir du bien commun, qui ne saurait être que lumineux. Aussi bien l’écrivain, le poète, le philosophe, le prêtre, l’instituteur, l’artiste, le penseur, doivent-ils être enrégimentés dans les bataillons de cette classe universelle des « producteurs ».
Duplicité de la gauche champagne
Villèle, à ce moment Président du Conseil ultra de Charles X, met la bourse au premier plan et fait appel aux banquiers « libéraux » (de gauche) comme Laffitte, ou royaliste, comme Rothschild. L’argent n’a pas d’odeur, et les principes « progressistes » peuvent se concilier avec les affaires. Certains financiers de gauche s’acoquinent par exemple avec le pacha d’Egypte, dont ils subventionnent la marine (qui sert à massacrer le peuple grec), ou bien avec le roi d’Espagne, fort occupé à pendre les résistants à l’absolutisme. Le scandale qui domine l’actualité est alors celui de l’emprunt haïtien. Pour éviter l’occupation des troupes françaises, la jeune république noire se soumet à un véritable racket, dont profitent les banquiers qui, par leurs organes publicitaires, parent cette véritable entreprise usurière d’une rhétorique humanitaire et sentimentale. Déjà !
L’économique remis à sa juste place
Stendhal, s’il ne nie pas la validité du progrès économique (il n’est pas rousseauiste), insiste sur sa véritable dimension, qui ne saurait être que subalterne. Tout ce qui relève des besoins matériels sera placé au plus bas des valeurs. Les responsabilités afférentes à la production et à la consommation, nécessairement particulières, ne donnent pas le droit de déterminer les valeurs globales. Pour Stendhal, la politique, d’abord, doit dominer l’économique. Avec Bonaparte, un Rothschild n’aurait pas été possible. Les lois institutionnelles sont indépendantes des réquisits du commerce et de la bourse. En outre, ce qui présente véritablement une valeur humaine, sociale et politique, c’est justement ce qui échappe à la loi d’airain du travail et du besoin. La « classe pensante » (non les « intellectuels » infestés par l’idéologie), pour exercer sa fonction, qui est de penser, de créer, de prendre des distance, de critiquer et de juger, doit échapper aux sollicitations du travail productif, acquérir une indépendance de fait, un loisir indispensable à la vraie liberté. Enfin, le seul critère moral susceptible de souder la société autour de valeurs transcendantes est l’héroïsme, militaire, intellectuel, humain. En bon héritier de l’Empire, Stendhal choisit le rouge du dépassement de soi, de l’abnégation et du panache gratuit, contre le noir de l’agent, de la tartufferie et du moralisme.Claude Bourrinet http://www.voxnr.com -
Deuxième Guerre mondiale : L'argent de la Résistance...
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Sainte Jeanne d’Arc pour notre temps
Sainte Jeanne d'Arc aura été la grande absente de 2012. C'est pourtant le 600e anniversaire de sa naissance (6 janvier 1412). À part le show de campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, politiques ou religieux "officiels" ne se sont guère bousculés pour fêter l'événement. Sa naissance figure aux Célébrations nationales 2012, coincée entre Aristide Briand, Lucie Aubrac, Michel Debré et la loi Bonnevay de 1912 (!) (1). L’anti-France occupante vomit la Sainte de la Patrie, c'est logique ! Dans les maigres productions de l'année johannique - quelques rééditions et le Dictionnaire de M. Philippe Contamine, dont l'abondance de détail cache les parti-pris universitaires -, on ne retiendra qu'un livre, La vraie mission de Sainte Jehanne d'Arc, Jésus-Christ Roi de France de L.-H. et M.-C. Remy (2), que nous n'hésitons pas à donner comme le livre du 600e centenaire. Ces deux chercheurs - qui n'en sont pas à leurs premiers travaux johanniques -, dévoilent au grand public ce que seuls savaient quelques historiens : l'importance de la « triple donation » par laquelle Jehanne, un instant Reine de France, a posé l'acte le plus important de toute l'histoire de France. Evénement qui, à la veille de la disparition de la France (déjà), renouvelait solennellement le Pacte de Reims qui lie la France à Dieu. Dieu n'a pas abandonné la France en 1429, Il ne l'abandonnera pas dans l'avenir. Le Pape Pie XII le confirmera, en 1956, à l'occasion du 5e centenaire de la réhabilitation de la Pucelle d'Orléans. Un thésaurus de 20 textes, fruits de longues recherches, aujourd'hui inédits et difficiles à trouver, complète le livre. Enfin, une polémique historiographique de haute tenue avec M. Philippe Contamine, permet de redécouvrir la somme monumentale que constitue l'œuvre du Père Ayroles, La vraie Jeanne d'Arc (6 tomes, 1890-1901), dont les travaux servirent aux procès canoniques de béatification et de canonisation de Jeanne d'Arc. Un cadeau intelligent en ces temps d'étrennes et indispensable pour garder l'espérance !
2012... COMME 1412
La France de 1412 et la France de 2012 sont le même pays ! Le même pays en voie de disparition « légale et diplomatique », livré à l'étranger par ses "élites", indifférentes à la misère de « ceux qui souffrent et qui travaillent » (3). Le Traité de stabilité budgétaire Merkozy-Merkhollande a ôté à notre pays sa souveraineté budgétaire et fiscale, après la perte de son indépendance monétaire au traité de Maëstricht (4) (1992) (5). « Berlin réfléchit à des pistes pour redresser la France » (sic, Le Figaro, 9 novembre 2012) ! Le Nouvel Économiste (7/11 novembre 2012), décrit l'armée française, « ruine en héritage »... qui ne paie même plus ses soldats ! La France disparaît dans le conglomérat anglo-germanique dont Bruxelles est le chef-lieu. En 1412, une Europe unie se préparait aussi, troublante de ressemblance avec celle d'aujourd'hui. La victoire de l'Angleterre - toujours plus éloignée de la Romanité, dominée par les puissances d'argent et de commerce, anonymes et cosmopolites - apparaissait inévitable. Chez Henri V d'Angleterre, le désir de conquérir nos provinces ne tient pas à la seule satisfaction dynastique. L'extension de son pouvoir, des rives de la mer du Nord au golfe de Gascogne, recouvre des ambitions dépassant les limites de la conquête qu'il poursuit avec une froide persévérance : « Le plan du Lancastre, écrit Joseph Calmette, est celui de la destruction de l'indépendance française ; sous les apparences d'un dualisme, il rêve de la fusion en une seule monarchie du royaume d'outre-Manche et du vieux royaume capétien. Une unification de l'Occident se cache derrière ce titre qui va reprendre vigueur avec un accent nouveau : « Roi de France et d'Angleterre » (6). L'impérialisme économique de ses marchands le pousse... jusqu'en Prusse. Et à peine signé le Traité de Troyes (21 mai 1420, qui prévoit de réunir, sous l'autorité du roi anglais, les deux royaumes à la mort de Charles VI Le Fol (7), le roi d'Angleterre fait partir de cette ville un ambassadeur, Gilbert de Lannoy, vers la Syrie, l'Egypte et la Palestine, pour s'assurer la maîtrise des marchés du Levant. Le roi anglais se voit à la tête d'un empire avec, pour capitales, Londres, Paris et... Jérusalem ! Déjà la Trilatérale !
Le désastre d'Azincourt (25 octobre 1415) a définitivement convaincu les puissances européennes - sauf le Pape - de la disparition prochaine de la France. Elles ne tardent plus à s'aligner sur le vainqueur anglais. Toute une série de pactes se conclut entre les princes d'Empire (germanique), les républiques commerciales de la Hanse, la République de Gênes et l'Angleterre. Le plus lourdement symbolique est le voyage de l'empereur germanique Sigismond en Angleterre en août 1416 où il signe avec le Lancastre, à Canterbury, un « traité d'amitié ». Le premier axe Londres-Berlin, en quelque sorte. Le coup de grâce est porté par le Bourguignon, émancipé du tronc royal depuis 1363 et dont les domaines comprennent les Flandres, commercialement tournées vers l'Angleterre. Le 16 octobre 1416, le duc de Bourgogne Jean sans Peur, s'engage à Calais, par un accord secret, à laisser le roi d'Angleterre envahir la France « par toutes les voies et manières qu'il saura ». Il escompte pour prix de sa trahison les riches provinces du Nord et de l'Est, une partie des Pays-Bas et du Luxembourg (dont son allié, le Comte Jean II, vendra en 1430 Jeanne aux Anglais pour 10 000 livres d'or (9). L'axe Londres-Berlin s'appuie sur Anvers et les Flandres (9), préfigurant ce « capitalisme rhénan » qui serait, selon les eurocrates, l'axe majeur de l'économie continentale. Un axe qui marginalisait déjà la France.
Profitant d'une Europe en proie à toutes les hérésies (Wicleff, Hussites, Lollards, Vaudois...) et divisée par le Grand-Schisme (où le roi de France a eu une part prépondérante, d'où le châtiment de la Guerre de Cent ans) - désordres d'où devait sortir la prétendue Réforme -, l'islam redevient conquérant. Turcs et Mamelouks égyptiens ravagent les côtes méditerranéennes. En 1415, le sultan turc Mahomet 1er, dans un raid sur... Salzbourg, razzie 30 000 personnes. Aux ambassadeurs de Chypre qui le menacent en 1425 d'une « coalition européenne », le sultan d'Egypte répond : « Le Roi de France dort, le Soudan tient les autres pour rien ». L'année suivante, il conquiert... Chypre et enlève 20 000 chrétiens.
CORRUPTION ET TRAHISON DES "ÉLITES"
La Chrétienté médiévale, la France en premier lieu, avait, pour le bien des peuples, une structure de gouvernement à mille lieues des fadaises démocratiques. Il y a un gouvernant, le roi, revêtu de l'onction sacrée et roi « de plein exercice » à compter seulement de ce moment (Jeanne appelle toujours Charles VII "dauphin" tant qu'il n'est pas sacré). Il gouverne, c'est-à-dire légifère, ordonne, administre la justice (pas de « séparation des pouvoirs »). Il y a, en-dessous de lui, les gouvernés. Gouvernés qui comprennent d'une part, une élite restreinte de familles ayant rendu au Royaume des services sur plusieurs générations, et, d'autre part, le reste des gouvernés qui vaque à ses affaires privées, sans jamais se mêler de "politique". L'élite - aristocratie, noblesse, magistrature, appelons-la comme on veut, ne dirige pas le royaume, elle n'est que le "commis" du roi. Qu'elle se dresse contre son roi, comme le Bourguignon et ses partisans, ou se coalise pour lui imposer ses vues et ses intérêts, comme en Angleterre, et c'est tout l'édifice social qui est ébranlé. Le bien particulier des puissants remplace le Bien commun. Aussi, les premières révolutions d'inspiration démocratique ou communisante apparaissent-elles aux 14e-15e siècles (révolte gantoise, 1340, mouvement d'Etienne Marcel, 1358, révolte cabochienne, 1413, guerres hussites...).
À compter des débuts du 15e siècle, certaines élites politiques, économiques et intellectuelles (cléricales) se coalisent à l'intérieur et au-delà des frontières (Bedford, régent d'Angleterre, épouse la sœur du Bourguignon, par exemple) pour dessiner un monde conforme à leurs intérêts. En France, en voici quelques exemples : un La Trémoille, favori imposé au dauphin Charles par le Connétable de Richemont : gouvernant « le tout dans la maison du roi », trahit au profit du Bourguignon, pille le Trésor royal, lève des impôts pour son propre compte ; un Regnault de Chartres, évêque de Reims (qui sacrera Charles VII !) Chancelier de France, très (trop) habile diplomate, tenant balance égale entre traîtres et patriotes, passé maître dans l'art d'éviter tout recours à la force face à l'anglo-bourguignon. Il y a bien évidemment le Duc de Bourgogne, ses marchands et ses financiers flamands. Ces "élites" se caractérisent plus encore par la corruption intellectuelle que par la corruption morale, même si la cour d'Isabeau de Bavière, ses bals dénudés, ses mignonnes et ses amants n'ont rien à envier aux turpitudes sexuelles des puissants d'aujourd'hui.
Il y a enfin la cléricature de Sorbonne, suppôt de l'anglo-bourguignon jusqu'à l'ignoble, dressée contre la chaire de vérité romaine lors des anti-conciles de Bâle et de Constance. Ancêtres de nos technocrates et autres managers, se qualifiant de « lumière du monde », les clercs de Sorbonne fournissent aux successifs puissants du jour les montages dialectiques (théologiques) et juridiques de toutes les forfaitures. Le recteur de l'Université de Paris, Jean Petit, justifia avec force contorsions "théologiques" le meurtre du Duc d'Orléans commis sur l'ordre de Jean Sans Peur (27 novembre 1407), meurtre que ce dernier avait publiquement avoué. La cléricature parisienne approuve la disparition du royaume capétien avec des "arguments" bien proches de ceux des "élites" du référendum de 2005. Nicolas Midy, clerc de l'Université de Paris, l'un des assesseurs les plus acharnés contre Jeanne d'Arc au procès de Rouen, harangue ainsi Henri VI (âgé... d'un an), « roi de France et d'Angleterre », à son entrée dans Paris : « L'Université voit se réaliser en vous le lien éminent de la chrétienté, l'union des deux royaumes, autrefois divisés et en discorde, d'où les guerres, les séditions, la ruine des églises, l'amoindrissement du culte ; aujourd'hui, grâce à cette union que vous réalisez et avec la grâce de Dieu (sic !), tous les maux cesseront (10) comme il faut l'espérer ». Avec de telles "élites", hier comme aujourd'hui, tout redressement est impossible. La « régénération nationale » ne peut être l'œuvre que de la Providence. Il reste au peuple à la demander !
« VA, FILLE DE DIEU ! »
Jeanne d'Arc, c'est la gifle providentielle qui renverse le sort et stupéfie l'Europe, les documents diplomatiques en font foi. C'est la « paysanelle inspirée » prise dans le peuple pour briser l'orgueil des "élites". Sa pureté respire l'air du Ciel et chasse l'air empuanti des cours où se trafique à prix d'or la vie des peuples, elle balaie la politicaillerie des habiles et la lâcheté des foules. Qu'elle fasse se confesser les soudards de Dunois, cesser les jurons d'un La Hire, qu'elle chasse les prostituées des camps, qu'elle s'impose sans violence au Dauphin, à la Cour, à ses juges (ils n'en sont que plus arrogants), voilà le résultat de cette vertu qui déplace les montagnes. « La pucelle, tout le monde comprend ce générique, devenu un nom propre, tout comme l'on comprend cet autre, la Vierge... La virginité a donné son nom à la Libératrice de la France, comme elle l'a donné à la Libératrice du genre humain »(11).
Elle incarne la solution à laquelle personne ne pensait, parce que venue d'En-Haut et qu'elle seule pouvait représenter. Elle est le glaive qui tranche entre la France de la Noël 496 et ses contrefaçons, présentes et futures, le remède à l'impuissance humaine face au Surnaturel incarné dans l'Histoire. « À qui veut régénérer une société quelconque en décadence, on prescrit avec raison de la ramener à ses origines » (12). Restaurer le gouvernant légitime (le Dauphin/Roi Charles VII) conformément au Pacte de Reims, telle est la vraie mission de Jeanne d'Arc, bien au-delà de la libération du territoire. La France, on le sait, doit son existence à un acte surnaturel, le Baptême de Reims. La Loi salique, Coutume fondamentale, en rappelle l'origine et le mode de gouvernement : « La Nation des Francs, illustre, ayant Dieu pour fondateur... Vive le Christ qui aime les Francs, qu'il garde leur royaume et remplisse leurs chefs des lumières de Sa grâce... ».
Elle est la messagère inspirée de la politique divine pour la France, dont la légitimité n'est affectée par aucune discontinuité humaine (13). C'est le sens de la triple donation, cœur et secret de la régénération, en 1412 comme en 2012. Le 21 juin 1429, à 16 heures, Jeanne d'Arc est avec le Dauphin à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, là où sont la plupart des reliques de Saint Benoît. Le père abbé était le frère de Regnault de Chartres. La Trémoille est resté à Sully-sur-Loire. L'événement historique nous est rapporté par le Breviarium historiale, texte rédigé au cours de l'été 1429 pour le pape Martin V (qui ne douta jamais de la légitimité du dauphin Charles). Son auteur (14) est le dominicain Jean Dupuy, ancien inquisiteur de Toulouse, plus tard évêque de Cahors. La scène s'est passée en présence de nombreux laïcs et ecclésiastiques de haut rang.
En voici la traduction française du texte latin original : « Jehanne dit à Charles : "Sire, me promettez-vous de me donner ce que je vous demanderai ?". Le Roi hésite, puis consent. "Sire, donnez-moi votre royaume". Le Roi, stupéfait, hésite de nouveau ; mais, tenu par sa promesse et subjugué par l'ascendant surnaturel de la jeune fille : "Jehanne, lui répondit-il, je vous donne mon royaume ". Cela ne suffit pas : la Pucelle exige qu'un acte notarié en soit solennellement dressé et signé par les quatre secrétaires du Roi ; après quoi, voyant celui-ci tout interdit et embarrassé de ce qu'il avait fait : "Voici le plus pauvre chevalier de France : il n'a plus rien". Puis aussitôt après, très grave et s'adressant aux secrétaires : "Écrivez, dit-elle : Jehanne donne le royaume à Jésus-Christ". Et bientôt après : "Jésus rend le royaume à Charles" ».
La France n'a jamais abjuré ce pacte et ceux qui, en son nom, en inscrivirent un tout contraire agissaient sans mandat, ou plutôt au rebours de leur mandat. Jésus-Christ Roi ! Ce programme, la vieille France nous le lègue brûlant des ardeurs de quatorze (15) siècles, scellé du sang de cent générations. « La vieille et glorieuse mère tressaillira dans la poussière du tombeau et des siècles, le jour où des hommes de cœur le publieront hautement ; elle nous reconnaîtra pour ses fils ; elle nous reconnaîtra de son sang, parce qu'elle retrouvera ses accents dans notre voix, et ses enthousiasmes dans les flammes de notre cœur. Elle se sentira revivre. Ce qui fut l'âme de la vieille France sera l'âme de la nouvelle. Et la chaîne des temps sera renouée » (16).
1412-2012 : De son temps, Jeanne d’Arc est, plus que jamais, de notre temps !
Thierry MARTIN. Rivarol du 30 novembre 2012
notes :
1- Habitations à bon marché, ancêtres du logement social.
2- A.C.R.F., BP. 2, 44140 AIGREFEUILLE, 400 pages, 25 € franco. Gros succès, le premier mille est parti en un mois et demi !
3- St Pie X, Lettre sur le Sillon, 25 août 1910.
4- Ville des... Pays-Bas devant laquelle tomba D’Artagnan, le 25 juin 1673 !
5- Le traité d'Amsterdam (1997) a fait perdre à la France sa souveraineté intérieure (sécurité, justice), celui de Nice (2001) dilue la place de la France dans les institutions bruxelloises (« majorité qualifiée », nombre de députés à Strasbourg. ..). Le Traité de Lisbonne (« constitution européenne » rejetée en mai 2005) acte le passage à l'Etat fédéral de quasi-plein droit (transfert de la politique étrangère). La réintégration dans l'Otan (Sarkozy, 2009) liquide notre autonomie stratégique et notre industrie de défense.
6- Le 16 juin 1940, De Gaulle vint proposer au gouvernement français, sur ordre de Churchill conseillé par Jean Monnet, « la fusion de la France et de l'Angleterre avec parlement commun à Londres ». En 1956, Guy Mollet envisagea au moment de l'affaire de Suez, avec Anthony Eden, une fédération des deux pays, la reine d'Angleterre devenant souveraine des deux pays. Sarkozy a proposé de fusionner la force de frappe française avec l'anglaise (qui est sous « double clé » américaine). Les "élites" ou le parti de l'étranger.
7- Vraisemblablement drogué, selon l'étude d'un médecin légiste contemporain, Dr. Jean-Claude Lemaire, 1380-1422, Le roi empoisonné, la vérité sur la folie de Charles VI, éd. SPL, 1977. Charles VI mourra en 1422.
8- Origine de la prospérité de cette principauté fiscale nichée au cœur de l'Union bruxelloise, recyclant de l'argent sale : affaires Clearstream, Luxalpha (Madoff), Heine/Karachi... 46 % du PIB luxembourgeois sont tirés de ses activités financières.
9 »- L’indépendance » de la Flandre d'un Bart de Wever ne doit pas faire illusion ; ça n'a rien d'un projet "identitaire" et tout d'un projet euro-fédéraliste. La section de Bruxelles du Vlaams Belang a relevé avec raison « le Frankenstein politico-médiatique, produit et sponsorisé par le régime, bricolé pour servir de caisse de résonance à une partie du patronat flamand ». C'est encore pire, en réalité.
10- Grâce à "l'Union", tout ira mieux demain, entendait-on. Le traité constitutionnel fut approuvé par 90 % des députés, rejeté par 55 % du peuple français.
11- Père J.B.J Ayroles, Jeanne d'Arc sur les autels et la régénération de la France, éd.Saint-Remi, page 60.
12- Léon XIII, Rerum novarum, 1891.
13- Tout ce qui a eu lieu depuis 1789 sera tenu pour « nul et entièrement vain ».
14- Delisle (Léopold), Nouveau témoignage relatif à la mission de Jehanne d'Arc, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, octobre 1885, pp. 649-668. Découverte faite par Ugo Balzani, in Père J.B.J Ayroles, La vraie Jehanne d'Arc, tome I, pages 53-58.
15- Quinze aujourd'hui.
16- Père J.B.J Ayroles, Jeanne d'Arc sur les autels et la régénération de la France, éd. Saint-Remi, page 292. -
Afghanistan / Voilà enfin un général français qui ose le dire : cette guerre n'est pas la nôtre ! 'arch 2010)
Même si c'est à la une du Monde et non malheureusement dans Présent, ne boudons pas notre plaisir. Voilà enfin un général français écouté et respecté qui ose dire haut et fort ce que nous écrivons ici même depuis de longs mois et mardi dernier encore : l'Afghanistan « est une guerre américaine » dans laquelle « il n'y a pas de voix stratégique des alliés ».
Car, explique-t-il avec un certain bon sens, « quand vous êtes actionnaire à 1 %, vous n'avez pas la parole ». Or les Américains disposeront bientôt de plus des deux tiers des troupes de la coalition présente en Afghanistan. En d'autres termes : cette guerre n'est pas la nôtre !
Directeur du Collège interarmées de défense (CID), le général Vincent Desportes émet en effet, dans une interview accordée au Monde, de sérieux doutes sur l'actuelle stratégie américaine qui « ne semble pas fonctionner », où « factuellement, la situation n'a jamais été pire ». De fait, avec 102 morts, le mois de juin a été le plus meurtrier pour la coalition internationale depuis son engagement en Afghanistan en 2001.
Et le général Desportes n'hésite pas non plus à s'en prendre ouvertement au président Barack Obama qui avait pourtant fait de l'Afghanistan sa « priorité » à son arrivée à la Maison-Blanche. En critiquant tout à la fois ses valses-hésitations, sa décision d'envoyer 30 000 soldats américains en renfort, prise le 1er décembre dernier, et son annonce précipitée dans la foulée d'un début de retrait des troupes américaines dès le 1er juillet 2011, c'est-à-dire dans exactement douze mois. « Tout le monde savait que ce devait être zéro ou 100 000 de plus », observe-t-il, car « on ne fait pas des demi-guerres. »
« La doctrine de contre-insurrection traditionnelle, telle que l'a engagée le général Stanley McChrystal (le commandant des forces américaines et alliées, limogé par le président américain) depuis un an, avec un usage restreint de l'ouverture du feu, des moyens aériens et de l'artillerie pour réduire les dommages collatéraux, ne semble pas fonctionner », affirme-t-il. Avant d'enchaîner : « Si la doctrine McChrystal ne fonctionne pas ou n'est plus acceptée, il faudra bien revoir la stratégie » et « probablement repousser la date du retrait d'Afghanistan ».
« L'affaire McChrystal révèle une faiblesse », estime encore le général Desportes, en affirmant que le président Obama aurait pu se contenter de « morigéner son chef militaire et le renvoyer au combat, comme l'avait fait Roosevelt avec le général Patton, qui avait dû s'excuser d'avoir giflé un soldat ».
« Tout se passe comme si le président Obama n'était pas très sûr de ses choix », ajoute-t-il, en rappelant qu'il avait déjà renvoyé le général David McKiernan, le prédécesseur de McChrysral, il y a un an. Preuve qu'il y a en Afghanistan un réel problème de commandement sur le terrain. Vicié pratiquement dès le départ avec les deux dispositifs désormais commandés par un seul et unique général américain qui a la double casquette : celle de patron de l'opération « Enduring freedom » (Liberté immuable), déclenchée dès le 7 octobre 2001 pour chasser les talibans du pouvoir et faire la guerre à Al-Qaïda et Ben Laden, et celle de commandant en chef de l'ISAF (Force internationale d'assistance à la stabilité) qui, sous mandat de l'ONU et drapeau de l'OTAN, entend officiellement participer à la pacification et à la reconstruction du pays mais qui mène toute à la fois des opérations de guerre et des actions civilo-militaires !
Cette ambivalence sur les véritables buts de la mission et les doutes sur la stratégie américaine ont « des conséquences sur le moral des troupes », relève encore avec justesse le général Desportes, et l'on « ne peut pas faire la guerre contre le moral des soldats ».
Reste à savoir bien sûr si, après cette courageuse interview quelque peu iconoclaste, le général Desportes ne va pas être à son tour relevé de ses fonctions ou mis sur une voie de garage comme vient de l'être aux États-Unis le général McChrystal, coupable d'avoir dit enfin la vérité... Car avec Nicolas Sarkozy, toujours prompt à se mêler de tout et qui, à l'image de son modèle Obama, accepte de moins en moins la contradiction, rien n'est impossible !
« En matière de guerre contre-insurrectionnelle, on doit tout faire pour protéger la population et réduire les pertes parmi les civils innocents », a cependant réaffirmé pour sa part, jeudi au siège de l'OTAN à Bruxelles, le nouveau patron des troupes américaines et alliées en Afghanistan, le général David Petraeus, lui-même à l'origine du changement de stratégie que son prédécesseur avait commencé à mettre en œuvre il y a un an.
« J'ai réaffirmé au président afghan Hamid Karzaï, a assuré le général Petraeus, comme au secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, et aux dirigeants américains que nous devons maintenir notre engagement de réduire les pertes de civils innocents au niveau minimal », car c'est « un impératif de la lutte contre l'insurrection ». Il est grand temps que les généraux qui conduisent et réfléchissent sur cette guerre qui n'en finit pas et que l'on ne gagnera jamais fassent enfin - en France comme aux États-Unis - entendre leurs voix.
YVES BRUNAUD PRÉSENT- Samedi 3 juillet 2010 -
Education et déstructuration capitaliste de la société
Une enquête de l'observatoire des jeunes et des familles de la fondation Apprentis d'Auteuil révélait récemment qu'une famille sur deux rencontrait des difficultés considérables face à des enfants qui échappent de plus en plus à toute espèce de contrôle. Dans ce sondage, les troubles de comportement sont évoqués, l'impossibilité de fixer des règles et des limites, et ce malaise touche autant les parents d'origine modeste que ceux dont la situation est plus aisée. Pour autant, ce n'est pas tant la nature des relations entre générations qui est mise en question, que la valeur des perspectives plus larges dans lesquelles elles s'inscrivent. Car au-delà d'un constat de crise de l'éducation et de la formation des jeunes, c'est toute une civilisation qui révèle sa faille profonde, la gravité d'une maladie qui la mine et va finir par la terrasser.
En règle générale, la société technicienne qui est la nôtre offre naïvement l'aide du spécialiste pour remédier aux maux physiques ou moraux. Les pédopsychologues, comme les praticiens qui apportent une aide dans les domaines bien particuliers des déficiences personnelles (dyslexie, autisme, troubles mentaux, comportementaux, les dysfonctionnements familiaux, voire sociaux), les conseillers d'orientation, les formateurs de parents etc., constituent une brigade d'intervention qui, depuis quelques décennies, s'est étoffée, et connaît le même triomphe que, sur un autre plan, les professionnels de la justice, avocats de toutes catégories, ou la tribu de la finance. Car là où la valeur fait défaut, on cherche une solution dans la maîtrise du fonctionnement. Ces tentatives constituent au demeurant des sources appréciables de profits, tant la société libérale ne provoque des problèmes que pour offrir de pseudo solutions. Des cliniciens aux établissements privés, en passant par les soutiens à la carte ou les formations onéreuses, il y a toujours une « remédiation », comme l’on dit dans le jargon des technocrates de la pédagogie, pour toutes les défaillances.
Les familles qui se déstructurent, bien qu'on ait présenté ce chaos annoncé comme un progrès vers la liberté et la réappropriation de son propre corps, sa « libération », que l'on place souvent avant l'esprit, l'abandon des contraintes d'antan, perçues comme des obstacles à la réalisation du moi, sont les symptômes d'un état des choses dont on voit de plus en plus qu'il ressemble à un champ de ruines. La société libérale est fondée sur l’existence d’un individu dont l’autonomie est postulée par essence, dont le comportement est justifié par la raison supérieure de l’intérêt. Entre le désir du sujet et la satisfaction de celui-ci, tout tiers, surtout s’il possède une autorité de fait, devient vite insupportable. Le consommateur compulsif qu’est devenu l’enfant conditionné par les messages publicitaires, l’étalage de tentations mercantiles, et conforté par le discours libertaire, perçoit d’autant plus ses parents comme des empêcheurs de tourner en rond dans le champ de l’illimité, que l’anthropologie postmoderne leur dénie toute légitimité absolue, le relativisme sociétal étant devenu la règle dans le cercle des penseurs issus du structuralisme déstructurant. « … l’individu que la civilisation libérale commence seulement à produire en série éprouve les pires difficultés à intérioriser les limites et les interdits, pourtant indispensables à la construction d’une vie autonome. Faute de pouvoir prendre appui sur une quelconque autorité tierce – que tout le discours réel du capitalisme tend désormais à discréditer – il est, en effet, condamné à tourner indéfiniment en rond dans l’ « arène de l’illimitation » » (J.C. Michéa ; Le Complexe d’Orphée).
Le « droit de », assumé dans toute société codifiée, est devenu un « droit à », que le « droit des enfants », par exemple, a pu illustrer comme moyen de culpabiliser et de décrédibiliser les parents. La liste des droits n’a pas plus de fin, du reste, que celle des individus, encore qu’il faille aussi considérer que chacun a droit à plusieurs droits, voire à une quantité illimitée, en fonction de la variété de ses caprices, de ses pulsions, ou de ses besoins. La situation s’avère dramatique lorsque l’on prend conscience que la génération précédente, qui élève de nos jours ses enfants, a eu le malheur, ou le bonheur illusoire et mortifère, d’expérimenter la nouvelle société, et de perdre, la première, les repères traditionnels d’autorité, qu’elle a vertement contestées. Aussi est-elle particulièrement désarmée pour réagir avec perspicacité, pour autant qu’elle comprenne bien ce qui lui arrive.
La réaction générale, en effet, face à un chaos que tous, sauf quelques idéologues minoritaires, sont en mesure de constater, ne serait-ce que parce qu’ils en souffrent, est de diagnostiquer le mal dans sa dimension formelle et dans ses conséquences partielles. On considère que les ravages au sein des familles ou de l’école proviennent d’un manque de discipline, d’une absence de morale, d’une pénurie malheureuse de communication, quand ce ne sont pas les causes inverses, c’est-à-dire trop d’autorité, un excès d’injonctions moralisatrices, ou une trop grande familiarité entre générations.
Ces analyses échouent à cerner un phénomène qui excède les expériences singulières, même si c’est au niveau individuel qu’il s’incarne le plus visiblement. La généralisation de l’impuissance éducative montre qu’il n’est guère de recette assurée. C’est comme si l’on voulait accorder un orchestre pendant que le paquebot prend l’eau de toute part. Même s’il ne s’agit que de son petit orchestre, un duo, un trio, un quatuor, que l’on essaie d’harmoniser dans sa cabine particulière – et il n’est certes pas impossible de réussir, par moment, quelque bonne composition -, la situation d’ensemble est au naufrage, l’arrière plan génère un sentiment diffus de panique, et, comme une eau qui s’insinue partout, l’esprit de dissolution mine les meilleures volontés en même temps que les cadres que l’on croyait pérennes.
Ce qui change radicalement les données de la crise, par rapport aux temps anciens, c’est l’adoption consensuelle d’un paradigme, de ce que Renaud Camus, dans un livre, « Décivilisation », qui est un chef d’œuvre de lucidité, nomme l’hyperdémocratisme » : « J’appelle hyperdémocratie la volonté de faire sortir la démocratie de son lit politique pour la projeter dans des domaines qui, à première vue, ne lui sont guère congéniaux, et per exemple la culture, justement, ou la famille… ». Il s’agit-là d’une intolérance, propre à l’âge des masses, à tout ce qui évoque une réelle différence, ou une supériorité quelconque. Or, la civilisation quantitative actuelle tend à promouvoir l’égalité absolue, au nom de la lutte contre les « privilèges » et les « discriminations ». Depuis l’après-guerre, ce sont les « héritiers » qui sont visés, et Bourdieu a fait, dans les cabinets ministériels ainsi que dans les salles de professeurs, de nombreux émules. Or, comme le rappelle Renaud Camus, « tout mouvement vers l’égalité implique toujours, autant et souvent plus que l’élévation de la partie défavorisée, l’abaissement simultanée de la partie favorisé… »
La division de la société entre une classe où était de règle la contrainte, cette « syntaxe » des valeurs, (« J’ai appelé la syntaxe l’autre dans la langue : se contraindre à parler syntaxiquement, c’est reconnaître qu’on n’est pas seul, qu’à travers nous parlent une langue, un peuple, une histoire, une convention, un pacte d’in-nocence, un consentement à la non-adhésion à soi-même, à l’expression pure »), syntaxe qui est la formalisation au niveau de l’ethos, du legs des temps passés et de la bienséance civile, alliée à la transmission d’une culture savante, élitiste, et l’autre partie de la société, en principe exclue de cette éducation qui apprenait à se « tenir droit », mais qui, d’une façon ou d’une autre, en recevait les leçons, à tel point que, ce que l’on a nommé « école républicaine », était, peu ou prou, le symbole d’une civilisation qui était encore ouverte à l’ascendante exigence d’une éducation assumée consciemment, a laissé place à « la grosse classe unique de convergence centrale », totalitaire productrice et prescriptrice d’un discours hédoniste, ludique, démobilisateur, démoralisant et avachissant. Personne n’en est exempt. « … les héritiers n’héritent plus de rien (culturellement) et [sont] aussi déshérités que les non-héritiers. » Même dans les familles encore soucieuse d’une éducation digne de ce nom, il est très ardu, voire impossible, de garder à l’abri des enfants infectés par la maladie universelle de la vulgarité, du laisser aller et des plaisirs faciles et grossiers.
L’oligarchie postmoderne, souvent le fruit, grâce à l’émergence de nouveaux domaines économiques, liés à la révolution des transmissions de l’image et du son, ou bien portée par le triomphe du capitalisme financier, partage amplement les goûts plébéiens de la masse, comme des pauvres enrichis, des parvenus. Nous avons assisté à une révolution « culturelle » plus profonde que celle conduite par Mao. Aucun signe de ralliement ou de contre-offensive ne peut être viable. Peu nombreux sont ceux qui se souviennent ou connaissent vraiment ce que fut le monde d’avant, qui fait figure dorénavant de continent perdu. Et sa disparition n’est pourtant pas si lointaine ! Non qu’il fût parfait, et qu’il dût apparaître comme un idéal vers lequel faire retour, mais il gardait encore les principes qui furent ceux de toutes les époques, de toutes les civilisations, jusqu’à la nôtre, si différentes des autres, si anormale, si malade. Il était banal alors de considérer qu’il fallait faire des efforts pour devenir soi-même, que l’enfant, s’il avait vocation à se transformer en adulte, ne l’était pas pour autant, et qu’il n’était pas détenteur de cette distance de soi à soi, indispensable pour juger du monde, des autres, et pour acquérir une autonomie si prisée maintenant, sans qu’on sache ce qu’elle est vraiment, et qu’il était nécessaire, enfin, de se « désenseigner » pour accéder à une authentique éducation, à une maîtrise et à un savoir qui, comme l’indique l’étymologie latine, conduit à la voie idoine.
La situation peut donc s’avérer désespérée. Les saines réactions ne sont que des réactions, les sursauts ne sont pas des sauts vers autre chose, vers un autre monde. Les initiatives personnelles, aussi méritantes soient-elles, si elles n’aboutissent pas à des déconvenues, ne se présentent guère que comme des actes de guérilla. Il faudrait bien sûr que cette « petite guerre » se transmue en une grande, en un affrontement avec la source des maux, cette société libérale qui brouille tout, détruit tout, ne respecte rien, et choisit les valeurs marchandes plutôt que la valeur humaine.
On ne demandera certes pas aux hommes politiques et aux technocrates de la modernité d'apporter les véritables remèdes à ce désastre. Pour qu'il existe des chances de rencontrer, dans les sphères décisionnelles, une claire compréhension de ce qui se passe, il faudrait que les gouvernants soient autres qu'ils ne sont, ce qui est une vue bien singulière de l'esprit, un raisonnement pas l'absurde. Car accéder à la vérité du monde qu'ils conduisent à sa perte serait pour eu l'équivalent d'un suicide.Claude Bourrinet http://www.voxnr.com
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L’Aiglon, un destin manqué
François-Charles-Joseph Napoléon, le futur et malheureux héritier de la plus belle couronne du monde, naquit, il y a deux cents ans, au palais des Tuileries, le 20 mars 1811, et reçut le titre de roi de Rome. On sait avec quel enthousiasme la nouvelle de sa naissance fut accueillie dans tout l’empire, enfin l’avenir de la dynastie était assuré.
Mais bientôt les revers vinrent mettre fin à cette grandeur passagère : le roi de Rome avait à peine un an lorsque eut lieu l’expédition de Russie. Après la capitulation de Paris, Napoléon, partant pour l’île d’Elbe, avait demandé en vain que l’impératrice et son fils lui fussent rendus : tous deux furent dirigés sur Vienne et ne revirent plus la France. Lorsqu’il fallut quitter les Tuileries, le jeune prince opposa une vive résistance, et sa gouvernante, madame de Montesquiou, eut beaucoup de peine à l’emmener.
Après la bataille de Waterloo, le 22 juin 1815, Napoléon abdiqua en faveur de son fils qui fut proclamé empereur, sous le nom de Napoléon II, par la Chambre des représentants. Au mépris de cet acte solennel, le gouvernement provisoire, sous la présidence de Fouché, duc d’Otrante, ne reconnut pas l’abdication de l’Empereur : la proclamation de Napoléon II n’en est pas moins légale, et c’est pour cette raison que Louis Napoléon Bonaparte pris le nom de Napoléon III lorsqu’il monta sur le trône.
Le roi de Rome, retiré à Schönbrunn avec sa mère, reçut de l’empereur d’Autriche, par acte du 22 juillet 1818, le titre de duc de Reichstadt, nom d’une petite principauté de Bohême.
L’Empereur montra toujours la plus vive affection pour cet enfant qu’il n’avait vu qu’à de rares intervalles : il n’en parlait que les larmes aux yeux, et près d’expirer il fit placer son portrait sous ses yeux déjà obscurcis par la mort. «Cet enfant sera un homme, » disait-il à Sainte-Hélène,… « à moins qu’il ne tombe victime de quelque infamie politique.» Par son testament, il lui légua tous les objets qui avaient été à son usage. « Je désire, ajoutait-il, que ce faible legs lui soit cher comme lui retraçant le souvenir d’un père dont l’univers l’entretiendra.» Un autre article du testament, porte : « Je recommande à mon fils de ne jamais oublier qu’il est né prince français et de ne jamais se prêter à être un instrument entre les mains des triumvirs qui oppriment les peuples de l’Europe. Il ne doit jamais combattre ni nuire en aucune manière à la France ; il doit adopter ma devise : Tout pour le peuple français. »
La mort de Napoléon 1er eut lieu le 5 mai 1821. Jamais, depuis la mort de Charlemagne, le martyre de Jeanne d’Arc, le supplice de Marie Stuart et l’assassinat de Louis XVI, aucune mort n’eut dans le monde un tel retentissement. Jamais les cœurs humains ne ressentirent une impression plus vive. Ce ne fut que soixante dix huit jours après, le dimanche 22 juillet, que son fils bien aimé apprit sa mort. Lorsqu’il apprit celle-ci, le jeune prince, qui n’avait que dix ans, mais qui avait mûri trop vite et qui pleurait depuis six longues années l’absence lamentable de son père, fut frappé d’une telle douleur qu’on s’en effraya. On lui avait tout ôté, jusqu’à son nom, de ses premières années si douces. Il ne voyait autour de lui que les ennemis du héros géant dont il sentait le sang dans ses veines. On ne lui parlait de son père immortel que pour lui intimer, chose impossible, qu’il devait l’oublier.
Dès le lendemain du 22 juillet, il prit le deuil de son père, il le porta bien au delà des délais accoutumés; et il fallut qu’on l’obligeât à supprimer ses crêpes. Il savait, par des indiscrétions que la police qui t’entourait n’avait pu surprendre, que dans sa seconde abdication, son père lui avait remis l’Empire français; et, maintenant qu’il était mort, le jeune prince comprenait encore mieux qu’il devait être empereur. Il ne dévoilait pas ces pensées intimes. Des années passèrent ainsi. Mais tous les ans, le 22 juillet, il s’enfermait, seul avec sa douleur, et priait vivement pour son père.
Au second retour de Louis XVIII, il y eut des réactions violentes qui amenèrent des complots et des troubles. L’indignation gagna les masses et partout des sociétés secrètes habilement organisées fomentèrent de permanentes conspirations. Louis XVIII cependant ne craignait rien. Charles X lui succéda. Il avait des ministres qui n’étaient pas populaires. Il publia d’un seul coup et très brusquement les trois fameuses ordonnances du 25 juillet 1830. Le lendemain, 27, ce fut une révolution.
Les trois ordonnances avaient fait bondir de joie les conspirations, qui étaient trois partis. Le plus rationnel et le plus populaire voulait Napoléon II, le second était républicain il n’avait d’aspirants que les hommes qui voulaient le pouvoir et les places. Le troisième, plus fourni et préparé depuis 1821 par le duc d’Orléans, avait ses plus nombreux partisans à Paris. Les députés se réunirent pour instituer un gouvernement provisoire. Ils le composèrent de cinq personnages, chargés de statuer. Deux de ces hommes étaient orléanistes, deux autres « napoléonistes », le cinquième, Lafayette, voulait la république et rien que la république. Les masses comptaient qu’on allait recourir aux votes de tous. Il n’en fut rien. Il n’y avait pourtant que deux prétendants sérieux Napoléon II, qui eût réuni le plus de suffrages, et le comte de Chambord, appelé aussi duc de Bordeaux, en faveur de qui Charles X venait d’abdiquer. Comme Charles X avait en même temps nommé lieutenant général du royaume le duc d’Orléans, à qui il remettait la tutelle de son petit-fils avec le gouvernement de l’État jusqu’à sa majorité, on croyait qu’il n’aurait pas la hardiesse de se poser prétendant aussi.
Lafayette, qui ne se réunissait ni aux bonapartistes, ni aux orléanistes, ne prêchait que son rêve persévérant du retour a 89. Les amis du duc d’Orléans mandèrent ce prince, il fit voir à Lafayette que la république était impossible et qu’on ne pouvait que fonder une monarchie appuyée sur des institutions républicaines. Lafayette, qui s’épuisait en vain depuis deux jours, se rendit et alors le duc d’Orléans conquit les napoléonistes en leur représentant que jamais l’Autriche ne rendrait son prisonnier, qui pourrait en vouloir à ses geôliers et aux geôliers de son père; mais qu’on pouvait relever le drapeau tricolore, achever l’arc de triomphe de l’Étoile, remettre Napoléon sur sa colonne; qu’il s’y engageait formellement. Il rallia les avis et le 9 août, la Chambre, qui était sans pouvoir, proclama roi le tuteur à la place de son pupille, et le duc d’Orléans fut fait roi ainsi sous le nom de Louis-Philippe.
Ce coup d’État fut plus qu’un étonnement pour les masses, qui s’attendaient à l’appel loyal du suffrage universel. Mais les « faiseurs » de régime savaient trop bien que le suffrage universel eût proclamé Napoléon II.
Pendant les conspirations qui avaient pour but le renvoi des Bourbons, plusieurs tentatives avaient été faites pour enlever le fils de l’Empereur, toujours surveillé à Schoenbrunn. Une de ses cousines, la comtesse Camerata, l’avait tenté comme bien d’autres, et comme les autres elle avait échoué. Le prince plus que jamais songeait à son père, il apprit avec une émotion immense la révolution de juillet, il entrevoyait quel avenir s’ouvrait devant lui. Dès qu’on put présager le succès de la révolution qui grondait, des démarches furent faites pour engager l’Autriche à rendre aux Français l’héritier de leur Empereur. Metternich s’y opposa de toutes ses forces.
Dans ces circonstances, le duc de Raguse arriva à Vienne, Le duc de Reichstadt, oubliant sa défaillance qui avait livré Paris en 1814, ne ressentit que le désir de s’entretenir avec le maréchal. Un jour la conversation tomba sur la révolution de juillet, le jeune prince lui dit – « Je comprends et j’admets jusqu’à un certain point le principe du droit divin mais ce que je ne puis admettre, c’est ce qu’on vient de faire. Au nom d’une nécessité, d’une raison d’État fort douteuse, quelques hommes se sont arrogés le pouvoir de donner un roi à la France sans son consentement formel. C’est un crime de lèse-souveraineté. Des mains de Charles X tombé, la souveraineté était passée à la nation tout entière. On devait respecter son droit et la consulter, ou bien se souvenir que c’était à moi qu’elle avait donné la couronne en 1804. » -
Au printemps de 1831 l’empereur d’Autriche nomma le jeune Prince commandant d’un bataillon d’infanterie hongroise. Dès lors sa vie se passait à la caserne et dans les champs de manoeuvre. Mais le mal qui le rongeait faisait des progrès continuels. Il en résulta une fluxion de poitrine compliquée. Il lui eût fallu, comme à son père, pour le relever à la vie, cette chère France, dont il disait « l’Autriche n’est que ma nourrice: la France est ma mère. »
Le mois de juin 1832 ne laissait plus qu’un espoir vague. La lampe menaçait de s’éteindre, malgré tous les soins dont on l’entourait. Juillet devint encore plus alarmant. Il s’éteignit sans convulsions, dans cette même chambre qu’avait occupée Napoléon triomphant, à cette même place où, pour la dernière fois, dictant la paix en conquérant, il s’endormait dans toutes les illusions de la victoire et de ses triomphes et l’éternité de sa dynastie. C’était le 23 juillet, anniversaire de l’acte qui avait donné au duc de Reichstadt son dernier nom et son dernier titre; anniversaire du jour où le jeune prince avait appris à Schoenbrunn la mort de Napoléon.
Il n’était âgé que de vingt et un ans !
Le jeune Prince ne revit jamais de son vivant la terre de France, ce n’est que 108 ans plus tard que ses cendres rejoignirent celle de Napoléon Ier. Ironie de l’histoire, c’est une France à genou, soumise au joug de l’ennemi, qui vit, par une froide soirée de décembre le cercueil de l’Aiglon entrer aux Invalides. Louis Philippe avait cru pouvoir se servir du retour des cendres du grand Empereur pour consolider son trône, Hitler fit sans doute le même calcul pensant que la France mais aussi les Napoléon deviendraient ses serviles alliés. Il n’en fut rien !
Otage des souverains européens de son vivant, espoir pour certains Français, il ne connu pas le destin qui aurait du être le sien. Aujourd’hui il repose aux côtés de son père, attendant comme nous, que viennent le rejoindre Napoléon III et son jeune cousin, le Prince Impérial, qui comme lui connu un destin tragique.
David Saforcada, président de France Bonapartiste http://www.lebreviairedespatriotes.fr
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Afghanistan : une guerre programmée depuis 210 ans
♦ Conférence prononcée par Robert Steuckers le 24 novembre 2001 à la tribune du Cercle Hermès de Metz, à la tribune du MNJ le 26 janvier 2002 et à la tribune commune de Terre & Peuple-Wallonie et de Synergies Européennes-Bruxelles le 21 février 2002
Depuis que les troupes américaines et occidentales ont débarqué en Afghanistan, dans le cadre de la guerre anti-terroristes décrétée par Bush à la suite des attentats du 11 septembre 2001, un regard sur l'histoire de l'Afghanistan au cours de ces 2 derniers siècles s'avère impératif ; de même, joindre ce regard à une perspective plus vaste, englobant les théâtres et les dynamiques périphériques, permettrait de juger plus précisément, à l'aune de l'histoire, les manœuvres américaines en cours. Il nous induit à constater que cette guerre dure en fait depuis au moins 210 ans. Pourquoi ce chiffre de 210 ans ? Parce que les principes, qui la guident, ont été consignés dans un mémorandum anglais en 1791, mémorandum qui n'a pas perdu de sa validité dans les stratégies appliquées de nos jours par les puissances maritimes. Seule l'amnésie historique, qui est le lot de l'Europe actuelle, qui nous est imposée par des politiques aberrantes de l'enseignement, qui est le produit du refus d'enseigner l'histoire correctement, explique que la teneur de ce mémorandum n'est pas inscrite dans la tête des diplomates et des fonctionnaires européens. Ils en ignorent généralement le contenu et sont, de ce fait, condamnés à ignorer le moteur de la dynamique à l'œuvre aujourd'hui.
Louis XVI : l'homme à abattre
Quel est le contexte qui a conduit à la rédaction de ce fameux mémorandum ? La date-clef qui explique le pourquoi de sa rédaction est 1783. En cette année-là, à l'Est, les armées de Catherine de Russie prennent la Crimée et le port de Sébastopol, grâce à la stratégie élaborée par le Ministre Potemkine et le Maréchal Souvorov (cf. : Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie - Des origines au nucléaire, Laffont/Bouquins, 1990). À partir de cette année 1783, la Crimée devient entièrement russe et, plus tard, à la suite du Traité de Jassy en 1792, il n'y aura plus aucune troupe ottomane sur la rive septentrionale de la Mer Noire. À l'Ouest, en 1783, la Marine Royale française écrase la Royal Navy anglaise à Yorktown, face aux côtes américaines. La flotte de Louis XVI, bien équipée et bien commandée, réorganisée selon des critères de réelle efficacité, domine l'Atlantique. Son action en faveur des insurgés américains a pour résultat politique de détacher les 13 colonies rebelles de la Couronne anglaise. À partir de ce moment-là, le sort de l'artisan intelligent de cette victoire, le Roi Louis XVI, est scellé. Il devient l'homme à abattre. Exactement comme Saddam Hussein ou Milosevic aujourd'hui. Paul et Pierrette Girault de Coursac, dans Guerres d'Amérique et libertés des mers (cf. infra), ont décrit avec une minutie toute scientifique les mécanismes du complot vengeur de l'Angleterre contre le Roi de France qui a développé une politique intelligente, dont les 2 piliers sont : 1) la paix sur le continent, concrétisée par l'alliance avec l'Empire autrichien, dépositaire de la légitimité impériale romano-germanique, et 2) la construction d'une flotte appelée à dominer les océans (à ce propos, se rappeler des expéditions de La Pérouse ; cf. Yves Cazaux, Dans le sillage de Bougainville et de Lapérouse, Albin Michel, 1995).
L'Angleterre de la fin du XVIIIe siècle, battue à Yorktown, menacée par les Russes en Méditerranée orientale, va vouloir inverser la vapeur et conserver le monopole des mers. Elle commence par lancer un débat de nature juridique : la mer est-elle res nullius ou res omnius, une chose n'appartenant à personne, ou une chose appartenant à tous ? Si elle est res nullius, on peut la prendre et la faire sienne ; si elle est res omnius, on ne peut prétendre au monopole et il faut la partager avec les autres puissances. L'Angleterre va évidemment arguer que la mer est res nullius. Sur terre, l'Angleterre continue à appliquer sa politique habituelle, mise au point au XVIIe siècle, celle de la “Balance of Powers”, de l'équilibre des puissances. En quoi cela consiste-t-il ? À s'allier à la seconde puissance pour abattre la première. En 1783, cette pratique pose problème car il y a désormais alliance de facto entre la France et l'Autriche : on ne peut plus les opposer l'une à l'autre comme au temps de la Guerre de Succession d'Espagne. C'est d'ailleurs la première fois depuis l'alliance calamiteuse entre François Ier et le Sultan turc que les 2 pays marchent de concert. Depuis le mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine, il est donc impossible d'opposer les 2 puissances traditionnellement ennemies du continent. Cette union continentale ne laisse rien augurer de bon pour les Anglais, car, profitant de la paix avec la France, Joseph II, Empereur germanique, frère de Marie-Antoinette, veut exploiter sa façade maritime en Mer du Nord, dégager l'Escaut de l'étau hollandais et rouvrir le port d'Anvers. Joseph II s'inspire des projets formulés quasiment un siècle plus tôt par le Comte de Bouchoven de Bergeyck, soucieux de développer la Compagnie d'Ostende, avec l'aide du gouverneur espagnol des Pays-Bas, Maximilien-Emmanuel de Bavière. La tentative de Joseph II de forcer le barrage hollandais sur l'Escaut se termine en tragi-comédie : un canon hollandais tire un boulet qui atterrit au fond de la marmite des cuisines du bateau impérial. On parlera de “Guerre de la Marmite”. L'Escaut reste fermé. L'Angleterre respire.
Organiser la révolution et le chaos en France
Comme cette politique de “Balance of Powers” s'avère impossible vu l'alliance de Joseph II et de Louis XVI, une nouvelle stratégie est mise au point : organiser une révolution en France, qui débouchera sur une guerre civile et affaiblira le pays, l'empêchant du même coup de financer sa politique maritime et de poursuivre son développement industriel. En 1789, cette révolution, fomentée depuis Londres, éclate et précipite la France dans le désastre. Olivier Blanc, Paul et Pierrette Girault de Coursac sont les historiens qui ont explicité en détail les mécanismes de ce processus (cf. : Olivier Blanc, Les hommes de Londres - Histoire secrète de la Terreur, Albin Michel, 1989 ; Paul et Pierrette Girault de Coursac, Guerre d'Amérique et liberté des mers 1718-1783, F.X. de Guibert/OEIL, Paris, 1991). En 1791, les Anglais obtiennent indirectement ce qu'ils veulent : la République néglige la marine, ne lui vote plus de crédits suffisants, pour faire la guerre sur le continent et rompre, par voie de conséquence, l'harmonie franco-impériale, prélude à une unité diplomatique européenne sur tous les théâtres de conflit, qui avait régné dans les vingt années précédant la Révolution française.
Trois stratégies à suivre
À Londres, on pense que la France, agitée par des avocats convulsionnaires, est plongée pour longtemps dans le marasme et la discorde civile. Reste la Russie à éliminer. Un mémorandum anonyme est remis, la même année, à Pitt ; il s'intitule Russian Armament et contient toutes les recettes simples et efficaces pour abattre la seconde menace, née, elle aussi, en 1783, qui pèse sur la domination potentielle des mers par l'Angleterre. Ce mémorandum contient en fait 3 stratégies à suivre à tout moment :
• 1) Contenir la Russie sur la rive nord de la Mer Noire et l'empêcher de faire de la Crimée une base maritime capable de porter la puissance navale russe en direction du Bosphore et au-delà ; cette stratégie est appliquée aujourd'hui, par l'alliance turco-américaine et par les tentatives de satelliser la Géorgie de Chevarnadze.
• 2) S'allier à la Turquie, fort affaiblie depuis les coups très durs que lui avait portés le Prince Eugène de Savoie entre 1683 et 1719. La Turquie, incapable désormais de développer une dynamique propre, devait devenir, pour le bénéfice de l'Angleterre, un verrou infranchissable pour la flotte russe de la Mer Noire. La Turquie n'est donc plus un “rouleau compresseur” à utiliser pour détruire le Saint Empire, comme le voulait François Ier ; ni ne peut constituer un “tremplin” vers la Méditerranée orientale et vers l'Océan Indien, pour une puissance continentale qui serait soit la Russie, si elle parvenait à porter ses forces en avant vers les Détroits (vieux rêve depuis que l'infortunée épouse du Basileus, tombé l'épée à la main à Constantinople en 1453 face aux Ottomans, avait demandé aux Russes de devenir la “Troisième Rome” et de prendre le relais de la défunte Byzance) ; soit l'Autriche si elle avait pu consolider sa puissance au cours du XIXe siècle ; soit l'Allemagne de Guillaume II, qui, par l'alliance effective qu'elle scelle avec la Sublime Porte, voulait faire du territoire turco-anatolien et de son prolongement mésopotamien un “tremplin” du cœur de l'Europe vers le Golfe Persique et, partant, vers l'Océan Indien (ce qui suscita la fameuse “Question d'Orient” et constitua le motif principal de la Première Guerre Mondiale ; rappelons que la “Question d'Orient” englobait autant les Balkans que la Mésopotamie, les 2 principaux théâtres de conflit à nos portes ; les 2 zones sont étroitement liées sur le plan géopolitique et géostratégique).
• 3) Éloigner toutes les puissances européennes de la Méditerranée orientale, afin qu'elles ne puissent s'emparer ni de Chypre ni de la Palestine ni de l'isthme égyptien, où l'on envisage déjà de creuser un canal en direction de la Mer Rouge.
La réouverture de l'Escaut
En 1793, la situation a cependant complètement changé en France. La République ne s'enlise pas dans les discussions stériles et la dissension civile, mais tombe dans la Terreur, où les sans-culottes jouent un rôle équivalent à celui des talibans aujourd'hui. En 1794, après la bataille de Fleurus remportée par Jourdan le 25 juin, les armées révolutionnaires françaises s'emparent définitivement des Pays-Bas autrichiens, prennent, avec Pichegru, le Brabant et le port d'Anvers, de même que le Rhin, de Coblence — ville prise par Jourdan en même temps que Cologne — à son embouchure dans la Mer du Nord. Ils réouvrent l'Escaut à la navigation et entrent en Hollande. Le delta des 3 fleuves (Escaut / Meuse / Rhin), qui fait face aux côtes anglaises et à l'estuaire de la Tamise, se trouve désormais aux mains d'une puissance de grande profondeur stratégique (l'Hexagone). La situation nouvelle, après les soubresauts chaotiques de la révolution, est extrêmement dangereuse pour l'Angleterre, qui se souvient que les corsaires hollandais, sous la conduite de l'Amiral de Ruyter, avaient battu 3 fois la flotte anglaise et remonté l'estuaire de la Tamise pour incendier Londres (1672-73) (1). En partant d'Anvers, il faut une nuit pour atteindre l'estuaire de la Tamise, ce qui ne laisse pas le temps aux Anglais de réagir, de se porter en avant pour détruire la flotte ennemie au milieu de la Mer du Nord : d'où leur politique systématique de détacher les pays du Bénélux et le Danemark de l'influence française ou allemande, et d'empêcher une fusion des Pays-Bas septentrionaux et méridionaux, car ceux-ci, unis, s'avèreraient rapidement trop puissants, vu l'union de la sidérurgie et du charbon wallons à la flotte hollandaise (a fortiori quand un empire colonial est en train de se constituer en Indonésie, à la charnière des océans Pacifique et Indien).
Lord Castlereagh proposa à Vienne en 1815 la consolidation et la satellisation du Danemark pour verrouiller la Baltique et fermer la Mer du Nord aux Russes, la création du Royaume-Uni des Pays-Bas (car on ne perçoit pas encore sa puissance potentielle et on ne prévoit pas sa future présence en Indonésie), la création du Piémont-Sardaigne, État-tampon entre la France et l'Autriche, et marionnette de l'Angleterre en Méditerranée occidentale ; Homer Lea théorisera cette politique danoise et néerlandaise de l'Angleterre en 1912 (cf. infra) en l'explicitant par une cartographie très claire, qui reste à l'ordre du jour.
Nelson : Aboukir et Trafalgar
Les victoires de la nouvelle république, fortifiées à la suite d'une terreur bestiale, sanguinaire et abjecte, notamment en Vendée, provoquent un retournement d'alliance : d'instigatrice des menées “dissensionnistes” de la révolution, l'Angleterre devient son ennemie implacable et s'allie aux adversaires prussiens et autrichiens de la révolution (stratégie mise au point par Castlereagh, sur ordre de Pitt). Résultat : un espace de chaos émerge entre Seine et Rhin. Dans les années 1798-99, Nelson va successivement chasser la marine française de la Méditerranée, car elle est affaiblie par les mesures de restriction votées par les assemblées révolutionnaires irresponsables, alors que l'Angleterre avait largement profité du chaos révolutionnaire français pour consolider sa flotte. Par la bataille d'Aboukir, Nelson isole l'armée de Bonaparte en Égypte, puis, les Anglais, avec l'aide des Turcs et en mettant au point des techniques de débarquement, finissent par chasser les Français du bassin oriental de la Méditerranée ; à Trafalgar, Nelson confisque aux Français la maîtrise de la Méditerranée occidentale.
Géostratégiquement, notre continent, à la suite de ces 2 batailles navales, est encerclé par le Sud, grâce à la triple alliance tacite de la flotte anglaise, de l'Empire ottoman et de la Perse. La thalassocratie joue à fond la carte turco-islamique pour empêcher la structuration de l'Europe continentale : une carte que Londres joue encore aujourd'hui. Dans l'immédiat, Bonaparte abandonne à regret toute visée sur l'Égypte, tout en concoctant des plans de retour jusqu'en 1808. Par la force des choses, sa politique devient strictement continentale ; car, s'il avait parfaitement compris l'importance de l'Égypte, position clef sur la route des Indes, et s'il avait pleine conscience de l'atout qu'étaient les Indes pour les Anglais, il ne s'est pas rendu compte que la maîtrise de la mer implique ipso facto une domination du continent, lequel, sans la possibilité de se porter vers le large, est condamné à un lent étouffement. La présence d'escadres suffisamment armées en Méditerranée ne rendait pas la conquête militaire — coûteuse — du territoire égyptien obligatoire.
Dialectique Terre/Mer
Depuis cette époque napoléonienne, notre pensée politique, sur le continent, devient effectivement, pour l'essentiel, une pensée de la Terre, comme l'attestent bon nombre de textes de la première décennie du XIXe siècle, les écrits de Carl Schmitt et ceux de Rudolf Pannwitz.
[cf. R. Steuckers : « Rudolf Pannwitz : “Mort de la Terre”, Imperium Europæum et conservation créatrice », in : Nouvelles de Synergies Européennes n°19, avril 1996 ; « L'Europe entre déracinement et réhabilitation des lieux : de Schmitt à Deleuze », in : Nouvelles de Synergies Européennes n°27, 1997 ; « Les visions d'Europe à l'époque napoléonienne - Aux sources de l'européisme contemporain », in : Nouvelles de Synergies Européennes n°45, 2000]
C'est contre cette limitation volontaire, contre cette “thalassophobie”, que s'insurgeront des hommes comme Friedrich Ratzel (cf. : R. Steuckers, « F. Ratzel (1844-1904) : anthropogéographie et géographie politique », in : Vouloir n°9/ns, 1997) et l'Amiral von Tirpitz. Le Blocus continental, si bien décrit par Bertrand de Jouvenel (cf. : B. de Jouvenel, Napoléon et l'économie dirigée - Le blocus continental, Ed. de la Toison d'Or, Bruxelles, 1942), a des aspects positifs et des aspects négatifs. Il permet un développement interne de l'industrie et de l'agriculture européenne. Mais, par ailleurs, il condamne le continent à une forme dangereuse de “sur place”, où aucune stratégie de mobilité globale n'est envisagée. À l'ère de la globalisation— et elle a commencée dès la découverte des Amériques, comme l'a expliqué Braudel — cette timidité face à la mobilité sur mer est une tare dangereuse, selon Ratzel.
Le plan du Tsar Paul Ier
En 1801, il y a tout juste 200 ans, l'Angleterre doit faire face à une alliance entre le Tsar Paul Ier et Napoléon. L'objectif des 2 hommes est triple :
• 1) Ils veulent s'emparer des Indes et les Français, qui se souviennent de leurs déboires dans ce sous-continent, tentent de récupérer les atouts qu'ils y avaient eus,
• 2) Ils veulent bousculer la Perse, alors alliée des Anglais, grâce aux talents d'un très jeune officier, le fameux Malcolm, qui, enfant, avait appris à parler persan à la perfection, et qui fut nommé capitaine à 13 ans et général à 18,
• 3) Ils cherchent les moyens capables de réaliser le Plan d'invasion de Paul Ier : acheminer les troupes françaises via le Danube et la Mer Noire (et nous trouvons exactement les mêmes enjeux qu'aujourd'hui !), tandis que les troupes russes, composées essentiellement de cavaliers et de cosaques, marcheraient à travers le Turkestan vers la Perse et l'Inde. Dans les conditions techniques de l'époque, ce plan s'est avéré irréalisable, parce qu'il n'y avait pas encore de voies de communication valables. Le Tsar conclut qu'il faut en réaliser (en germe, nous avons le projet du Transsibérien, qui sera réalisé un siècle plus tard, au grand dam des Britanniques).
En 1804, malgré qu'elle ne soit plus l'alliée de la France napoléonienne, la Russie marque des points dans le Caucase, amorce de ses avancées ultérieures vers le cœur de l'Asie centrale. Ces campagnes russes doivent être remises aujourd'hui dans une perspective historique bien plus vaste, d'une profondeur temporelle immémoriale : elles visent, en réalité, à parfaire la mission historique des peuples indo-européens, et à rééditer les exploits des cavaliers indo-iraniens ou proto-iraniens qui s'étaient répandu dans toute l'Asie centrale vers 1600 av. JC. Les momies blanches du Sinkiang chinois prouvent cette présence importante et dominante des peuples indo-européens (dont les Proto-Tokhariens) au cœur du continent asiatique. Ils ont fort probablement poussé jusqu'au Pacifique. Les Russes, du temps de Catherine II et de Paul Ier, ont parfaitement conscience d'être les héritiers de ces peuples et savent intimement que leur présence attestée en Asie centrale avant les peuples mongols ou turcs donne à toute l'Europe une sorte de droit d'aînesse dans ces territoires. L'antériorité de la conquête et du peuplement proto-iraniens en Asie centrale ôte toute légitimité à un contrôle mongol ou turc de la région, du moins si on raisonne sainement, c'est-à-dire si on raisonne avec longue mémoire, si on forge ses projets sur base de la plus profonde profondeur temporelle. Des Proto-Iraniens à Alexandre le Grand et à Brejnev, qui donne l'ordre à ses troupes de pénétrer en Afghanistan, la continuité est établie.
La ligne Balkhach/Aral/Caspienne/Volga
L'analyse cartographique de Colin MacEvedy, auteur de nombreux atlas historiques, montre que lorsqu'un peuple non européen se rend maître de la ligne Lac Balkhach, Mer d'Aral, Mer Caspienne, cours de la Volga, il tient l'Europe à sa merci. Effectivement, qui tient cette ligne, que Brzezinski appelle la “Silk Road”, est maître de l'Eurasie tout entière, de la fameuse “Route de la Soie” et de la Terre du Milieu (Heartland). Quand ce n'est pas un peuple européen qui tient fermement cette ligne, comme le firent les Huns et les Turcs, l'Europe entre irrémédiablement en déclin. Les Huns s'en sont rendu maîtres puis ont débouché, après avoir franchi la Volga, dans la plaine de Pannonie (la future Hongrie) et n'ont pu être bloqués qu'en Champagne. Les Avars, puis les Magyars (arrêtés à Lechfeld en 955), ont suivi exactement la même route, passant au-dessus de la rive septentrionale de la Mer Noire. De même, les Turcs seldjoukides, passant, eux, par la rive méridionale, prendront toute l'Anatolie, détruiront l'Empire byzantin, remonteront le Danube vers la plaine hongroise pour tenter de conquérir l'Europe et se retrouveront 2 fois devant Vienne.
En 1838, les Britanniques prévoient que les Russes, s'ils continuent sur leur lancée, vont arriver en Inde et établir une frontière commune avec les possessions britanniques dans le sous-continent indien. D'où, bons connaisseurs des dynamiques et des communications dans la région, ils forgent la stratégie qui consiste à occuper la Route de la Soie sur son embranchement méridional et sur sa portion qui va de Herat à Peshawar, point de passage obligatoire de toutes les caravanes, comme, aujourd'hui, de tous les futurs oléoducs, enjeux réels de l'invasion récente de l'Afghanistan par l'armée américaine. On constate donc que le but de guerre de 1838 ne s'est réalisé qu'aujourd'hui seulement !
Un Afghanistan jusqu'ici imprenable
Sur le plan stratégique, il s'agissait, pour les Anglais de l'époque, de :
• 1) protéger l'Inde par une plus vaste profondeur territoriale, sous la forme d'un glacis afghano-himalayen, sinon l'Inde risquait, à terme, de n'être qu'un simple réseau de comptoirs littoraux, plus difficilement défendable contre une puissance bénéficiant d'un vaste hinterland centre-asiatique (les Anglais tirent les leçons de la conquête de l'Inde par les Moghols islamisés) ;
• 2) de contenir la Russie selon les principes énoncés en 1791 pour la Mer Noire, cette fois le long de la ligne Herat-Peshawar (cf. à ce propos, K. Marx & F. Engels, Du colonialisme en Asie - Inde, Perse, Afghanistan, Mille et une nuits, n°372, 2002). Les opérations anglaises en Afghanistan se solderont en 1842 par un désastre total, seule une poignée de survivants reviendront à Peshawar, sur une armée de 17.000 hommes. La victoire des tribus afghanes contre les Anglais en 1842 sauvera l'indépendance du pays. Jusque aujourd'hui, en effet, mise à part la tentative soviétique de 1979 à Gorbatchev, l'Afghanistan restera imprenable, donc indépendant. Un destin dont peu de pays musulmans ont pu bénéficier.
De 1852 à 1854 a lieu la Guerre de Crimée. L'alliance de l'Angleterre, de la France et de la Turquie conteste les positions russes en Crimée, exactement selon les critères avancés par l'Angleterre depuis 1783. En 1856, au terme de cette guerre, perdue par la Russie sur son propre terrain, le Traité de Paris limite la présence russe en Mer Noire, ou la rend inopérante, et lui interdit l'accès aux Détroits. En 1878, les armées russes, appuyées par des centaines de milliers de volontaires balkaniques, serbes, roumains et bulgares, libèrent les Balkans de la présence turque et avancent jusqu'aux portes de Constantinople, qu'elles s'apprêtent à libérer du joug ottoman. Le Basileus byzantin a failli être vengé. Mais l'Angleterre intervient à temps pour éviter l'effondrement définitif de la menace ottomane qui avait pesé sur l'Europe depuis la défaite serbe sur le Champ des Merles en 1389. Tous ces événements historiques vont contribuer à faire énoncer clairement les concepts de la géopolitique moderne.
Mackinder et Lea : deux géopolitologues toujours actuels
En effet, en 1904, Halford John MacKinder prononce son fameux discours sur le “pivot” de l'histoire mondiale, soit la “Terre du Milieu” ou “Heartland”, correspondant à l'Asie centrale et à la Sibérie occidentale. Les états-majors britanniques sont alarmés : le Transsibérien vient d'être inauguré, donnant à l'armée russe la capacité de se mouvoir beaucoup plus vite sur la terre. Le handicap des armées de Paul Ier et de Napoléon, incapables de marcher de concert vers la Perse et les Indes en 1801, est désormais surmonté. En 1912, Homer Lea, géopolitologue et stratège américain, favorable à une alliance indéfectible avec l'Empire britannique, énonce, dans The Day of the Saxons, les principes généraux de l'organisation militaire de l'espace situé entre Le Caire et Calcutta. Dans le chapitre consacré à l'Iran et à l'Afghanistan, Homer Lea explique qu'aucune puissance — en l'occurrence, il s'agit de la Russie — ne peut franchir la ligne Téhéran-Kaboul et se porter trop loin en direction de l'Océan Indien. De 1917 à 1921, le grand souci des stratèges britanniques sera de tirer profit des désordres de la révolution bolchevique pour éloigner le pouvoir effectif, en place à Moscou, des rives de la Mer Noire, du Caucase et de l'Océan Indien.
Les préliminaires de cette révolution bolchevique, qui ont lieu immédiatement après le discours prémonitoire de MacKinder en 1904 sur le pivot géographique de l'histoire et sur les “dangers” du Transsibérien pour l'impérialisme britannique, commencent dès 1905 par des désordres de rue, suivis d'un massacre qui ébranle l'Empire et permet de décrire le Tsar comme un monstre (qui redeviendra bon en 1914, comme par l'effet d'un coup de baguette magique !). Selon toute vraisemblance, les services britanniques tentent de procéder de la même façon en Russie, dans la première décennie du XXe siècle, qu'en France à la fin du XVIIIe : susciter une révolution qui plongera le pays dans un désordre de longue durée, qui ne lui permettra plus de faire des investissements structurels majeurs, notamment des travaux d'aménagement territorial, comme des lignes de chemin de fer ou des canaux, ou dans une flotte capable de dominer le large. Les 2 types de projets politiques que combattent toujours les Anglo-Saxons sont justement :
• 1) les aménagements territoriaux, qui structurent les puissances continentales et diminuent ipso facto les atouts d'une flotte et de la mobilité maritime, et qui permettent l'autarcie commerciale ;
• 2) la construction de flottes concurrentes. La France de 1783, la Russie de 1904 et l'Allemagne de Guillaume II développaient toutes 3 des projets de cette nature : elles se plaçaient par conséquent dans le collimateur de Londres.
De 1905 à 1917
Pour détruire la puissance russe, bien équipée, dotée de réserves immenses en matières premières, l'Angleterre va utiliser le Japon, qui était alors une puissance émergeante, depuis la proclamation de l'ère Meiji en 1868. Londres et une banque new-yorkaise — la même qui financera Lénine à ses débuts — vont prêter les sommes nécessaires aux Japonais pour qu'ils arment une flotte capable d'attirer dans le Pacifique la flotte russe de la Baltique et de la détruire. C'est ce qui arrivera à Tshouchima (pour les tenants et aboutissants de cet épisode, cf. notre article sur le Japon : R. Steuckers, « La lutte du Japon contre les impérialismes occidentaux », in : Nouvelles de Synergies Européennes n°32, 1998).
En 1917, on croit que la Russie va être plongée dans un désordre permanent pendant de longues décennies. On pense :
• 1) détacher l'Ukraine de la Russie ou, du moins, détruire l'atout céréalier de cette région d'Europe, grenier à blé concurrent de la Corn Belt américaine ;
• 2) on spécule sur l'effondrement définitif du système industriel russe ;
• 3) on prend prétexte du caractère inacceptable de la révolution et de l'idéologie bolcheviques pour ne pas tenir les promesses de guerre faites à la Russie pour l'entraîner dans le carnage de 1914 ; devenue bolchevique, la Russie n'a plus droit à aucune conquête territoriale au-delà du Caucase au détriment de la Turquie ; ne reçoit pas d'accès aux Détroits ; on ne lui fait aucune concession dans les Balkans et dans le Delta du Danube (les principes du mémorandum de 1791 et du Traité de Paris de 1856 sont appliqués dans le nouveau contexte de la soviétisation de la Russie).
En 1918-19, les troupes britanniques et américaines occupent Mourmansk et asphyxient la Russie au Nord ; Britanniques et Turcs, réconciliés, occupent le flanc méridional du Caucase, en s'appuyant notamment sur des indépendantistes islamiques azéris turcophiles (exactement comme aujourd'hui) et en combattant les Arméniens, déjà si durement étrillés, parce qu'ils sont traditionnellement russophiles (ce scénario est réitéré de nos jours) ; plus tard, Enver Pacha, ancien chef de l'état-major turc pendant la première guerre mondiale, organise, au profit de la stratégie globale des Britanniques, des incidents dans la zone-clef de l'Asie centrale, la Vallée de la Ferghana.
De la “Question d'Orient” à la révolte arabe
L'aventure d'Enver Pacha dans la Vallée de la Ferghana, qui s'est terminée tragiquement, constitue une application de ce que l'on appelle désormais la “stratégie lawrencienne” (cf.: Jean Le Cudennec, « Le point sur la guerre américaine en Afghanistan : le modèle “lawrencien” », in : Raids n°189, fév. 2002). Comme son nom l'indique, elle désigne la stratégie qui consiste à lever des “tribus” hostiles à l'ennemi sur le propre territoire de celui-ci, comme Lawrence d'Arabie avait mobilisé les tribus arabes contre les Turcs, entre 1916 et 1918. Déboulant du fin fonds du désert, fondant sur les troupes turques en Mésopotamie et le long de la vallée du Jourdain, la révolte arabe, orchestrée par les services britanniques, annihile, par le fait même de son existence, la fonction de “tremplin” vers le Golfe Persique et l'Océan Indien que le binôme germano-turc accordait au territoire anatolien et mésopotamien de l'Empire ottoman. L'objectif majeur de la Grande Guerre est atteint : la grande puissance européenne, qui avait le rôle du challengeur le plus dangereux, et son espace complémentaire balkano-anatolo-mésopotamien (Ergänzungsraum), n'auront aucune “fenêtre” sur la Mer du Milieu (l'Océan Indien), qui, quadrillé par une flotte puissante, permet de tenir en échec la “Terre du Milieu” (le “Heartland” de MacKinder).
Après les traités de la banlieue parisienne, les Alliés procèdent au démantèlement du bloc ottoman, désormais divisé en une Anatolie turcophone et sunnite, et une mosaïque arabe balkanisée à dessein, où se juxtaposent des chiites dans le Sud de l'Irak, des Alaouites en Syrie, des chrétiens araméens, orthodoxes, de rite arménien ou autre, nestoriens, etc. et de larges masses sunnites, dont des wahhabites dans la péninsule arabique ; le personnage central de la nouvelle république turque devient Moustafa Kemal Atatürk, aujourd'hui en passe de devenir un héros du cinéma américain (cf. : Michael Wiesberg, « Pourquoi le lobby israélo-américain s'engage-t-il à fond pour la Turquie ? Parce que la Turquie donne accès aux pétroles du Caucase », in : Au fil de l'épée, Recueil n°3, oct. 1999).
Les atouts de l'idéologie d'Atatürk
Atatürk est un atout considérable pour les puissances thalassocratiques : il crée une nouvelle fierté turque, un nouveau nationalisme laïc, bien assorti d'un solide machisme militaire, sans que cette idéologie vigoureuse et virile, qui sied aux héritiers des Janissaires, ne mette les plans britanniques en danger ; Atatürk limite en effet les ambitions turques à la seule Anatolie : Ankara n'envisage plus de reprendre pied dans les Balkans, de porter ses énergies vers la Palestine et l'Égypte, de dominer la Mésopotamie, avec sa fenêtre sur l'Océan Indien, de participer à l'exploitation des gisements pétroliers nouvellement découverts dans les régions kurdes de Kirkouk et de Mossoul, de contester la présence britannique à Chypre ; le “turcocentrisme” de l'idéologie kémaliste veut un développement séparé des Turcs et des Arabes et refuse toute forme d'État, de khanat ou de califat regroupant à la fois des Turcs et des Arabes ; dans une telle optique, la reconstitution de l'ancien Empire ottoman se voit d'emblée rejetée et les Arabes, livrés à la domination anglaise. On laisse se développer toutefois, en marge du strict laïcisme kémaliste, une autre idéologie, celle du panturquisme ou pantouranisme, qu'on instrumentalisera, si besoin s'en faut, contre la Russie, dans le Caucase et en Asie centrale. De même, le turcocentrisme peut s'avérer utile si les Arabes se montrent récalcitrants, ruent dans les brancards et manifestent leurs sympathies pour l'Axe, comme en Irak en 1941, ou optent pour une alliance pro-soviétique, comme dans les années 50 et 60 (Égypte, Irak, Syrie). Dans tous ces cas, la Turquie aurait pu ou pourra jouer le rôle du père fouettard.
Le rôle de l'État d'Israël
Israël, dans le jeu triangulaire qui allie ce nouveau pays, né en 1948, aux États-Unis (qui prennent le relais de l'Angleterre), et à la Turquie — dont la fonction de “verrou” se voit consolidée — a pour rôle de contrôler le Canal de Suez si l'Égypte ne se montre pas suffisamment docile. Au sud du désert du Néguev, Israël possède en outre une fenêtre sur la Mer Rouge, à Akaba, permettant, le cas échéant, de pallier toute fermeture éventuelle du Canal de Suez en créant la possibilité matérielle d'acheminer des troupes et des matériels via un système de chemin de fer ou de routes entre la côte méditerranéenne et le Golfe d'Akaba (distance somme toute assez courte ; la même stratégie logistique a été utilisée du Golfe à la Caspienne, à travers l'Iran occupé, dès 1941 ; le matériel américain destiné à l'armée soviétique est passé sur cette voie, bien plus longue que la distance Méditerranée-Akaba et traversant de surcroît d'importants massifs montagneux).
Dans ce contexte, très effervescent, où ont eu lieu toutes les confrontations importantes d'après 1945, voyons maintenant quelle est, plus spécifiquement, la situation de l'Afghanistan.
Entre l'année 1918, ou du moins après l'échec définitif des opérations envisagées par Enver Pacha et ses commanditaires, et l'année 1979, moment où arrivent les troupes soviétiques, l'Afghanistan est au frigo, vit en marge de l'histoire. En 1978 et 1979, années où l'Iran est agité par la révolution islamiste de Khomeiny, l'URSS tente de réaliser le vieux rêve de Paul Ier : foncer vers les rives de l'Océan Indien, procéder au “grand bond vers le Sud” (comme le qualifiera Vladimir Jirinovski dans un célèbre mémorandum géopolitique, qui suscita un scandale médiatique planétaire).
Guerre indirecte et “counter-insurgency”
Les États-Unis, héritiers de la stratégie anglaise dans la région, ne vont pas tarder à réagir. Le Président démocrate, Jimmy Carter, perd les élections de fin 1980, et Reagan, un faucon, arrive au pouvoir en 1981. Le nouveau président républicain dénonce la coexistence pacifique et rejette toute politique d'apaisement, fait usage d'un langage apocalyptique, avec abus du terme “Armageddon”. Ce vocabulaire apocalyptique, auquel nous sommes désormais habitués, revient à l'avant-plan dans les médias, au début du premier mandat de Reagan : on parle à nouveau de “Grand Satan” pour désigner la puissance adverse et son idéologie communiste. Sur le plan stratégique, la parade reaganienne est simple : c'est d'organiser en Afghanistan une guerre indirecte, par personnes interposées, plus exactement, par l'intermédiaire d'insurgés locaux, hostiles au pouvoir central ou principal qui se trouve, lui, aux mains de l'ennemi diabolisé. Cette stratégie s'appelle la counter-insurgency et est l'héritière actuelle des sans-culottes manipulés contre Louis XVI, des Vendéens excités contre la Convention — parce qu'elle a fini par tenir Anvers — et puis ignoblement trahis (affaire de Quiberon), des insurgés espagnols contre Napoléon, des guérilleros philippins armés contre les Japonais, etc.
En Afghanistan, la counter-insurgency se déroule en 3 étapes : on arme d'abord les “moudjahiddins”, qui opèrent en alliant anti-communisme, islamisme et nationalisme afghan, pendant toute la période de l'occupation soviétique. Le harcèlement des troupes soviétiques par ces combattants bien enracinés dans le territoire et les traditions de l'Afghanistan a été systématique, mais sans les armements de pointe, notamment les missiles “Stinger” fournis par les États-Unis et financés par la drogue, ces guerriers n'auraient jamais tenu le coup.
Seconde étape : entre 1989 et 1995/96, nous assistons en Afghanistan à une sorte de modus vivendi. Les troupes soviétiques se sont retirées, la Russie a cessé d'adhérer à l'idéologie communiste et de la professer. De ce fait, la diabolisation, le discours sur le “Grand Satan” n'est plus guère instrumentalisable, du moins dans la version établie au temps de Reagan. La troisième étape commence avec l'arrivée sur la scène afghane des talibans, moudjahiddins plus radicaux dans leur islam de facture wahhabite. Il s'agit d'organiser une counter-insurgency contre un gouvernement central afghan russophile, qui entend conserver la neutralité traditionnelle de l'Afghanistan, acquise depuis la terrible défaite subie par les troupes britanniques en 1842, neutralité qui avait permis au pays de rester à l'écart des 2 guerres mondiales.
Ben Laden, l'ISI et Leila Helms
Les talibans déploient leur action avec le concours de l'Arabie Saoudite, dont est issu leur maître à penser, Oussama Ben Laden, du Pakistan et de son solide service secret, l'ISI, et des services américains agissant sous l'impulsion de Leila Helms. Les Saoudiens fournissent les fonds et l'idéologie, l'ISI pakistanais assure la logistique et les bases de repli sur les territoires peuplés par l'ethnie pachtoune. Les 2 experts français Brisard et Dasquié (cf. JC Brisard & G. Dasquié, Ben Laden - La vérité interdite, Denoël, 2001) explicitent clairement le rôle joué par Leila Helms dans leur ouvrage magistral, bien diffusé et immédiatement traduit en allemand (cette simultanéité laisse espérer une cohésion franco-allemande, critique à l'égard de l'unilatéralisme américain). Toutefois, dans ce jeu, chacun des acteurs poursuit ses propres objectifs. Dans le livre de Brisard et Dasquié, le double jeu de Ben Laden est admirablement décortiqué ; par ailleurs Bauer et Raufer (cf. : Alain Bauer & Xavier Raufer, La guerre ne fait que commencer - Réseaux, financements, armements, attentats… les scénarios de demain, JC Lattès, 2002) soulignent le risque d'une exportation dans les banlieues françaises (et ailleurs en Europe) d'une effervescence anti-européenne, conduisant à terme à la dislocation totale de nos sociétés.
Le pétrole et le coton
Les objectifs immédiats des États-Unis, tant dans l'opération consistant à appuyer les talibans de manière inconditionnelle, que dans l'opération ultérieure actuelle, visant à les chasser du pouvoir à Kaboul sont de 2 ordres ; le premier est avoué, tant il est patent : il s'agit de gérer correctement l'acheminement du pétrole de la Caspienne et de l'Asie centrale via les futurs oléoducs transafghans. Le second est généralement inavoué : il s'agit de gérer la production du coton en Asie centrale, de faire main basse, au profit des grands trusts américains du coton, de cette matière première essentielle pour l'habillement de milliards d'êtres humains sur la planète. L'exploitation conjointe des nappes pétrolifères et des champs de culture du coton pourrait transformer cette grande région en un nouvel Eldorado.
Les deux anacondas
La gestion optimale de l'opération militaire, prélude à une gigantesque opération économique, est désormais possible, à moindres frais, grâce à la couverture de satellites que possèdent désormais les Américains. Haushofer, le géopolitologue allemand, disait que les flottes des thalassocraties parvenaient à étouffer tout développement optimal des grandes puissances continentales, à occuper des bandes littorales de comptoirs soustraites à toute autorité politique venue de l'intérieur des terres, à priver ces dernières de débouchés sur les océans. Haushofer utilisait une image expressive pour désigner cet état de choses : l'anaconda qui enserre sa proie, c'est-à-dire les continents eurasien et sud-américain. Si les flottes anglo-saxonnes des premières décennies du XXe siècle, consolidées par le traité foncièrement inégal que fut ce Traité de Washington de 1922, sont le premier anaconda, il en existe désormais un nouveau, maître de l'espace, autre res nullius à l'instar des mers au XVIIIe siècle. Le réseau des satellites observateurs américains constitue le second anaconda, enserrant la terre tout entière.
Le réseau des satellites consolide un autre atout que se sont donné les puissances anglo-saxonnes depuis la Seconde Guerre mondiale : les flottes de bombardiers lourds. Il faut se rappeler la métaphore de Swift, dans les fameux Voyages de Gulliver, où un peuple, vivant sur une île flottant dans les airs, écrase ses ennemis selon 3 stratégies : le lancement de gros blocs de roche sur les installations et les habitations du peuple ennemi, le maintien en état stationnaire de leur île volante au-dessus du territoire ennemi afin de priver celui-ci de la lumière du soleil, ou la destruction totale du pays ennemi en faisant atterrir lourdement l'île volante sur une ville ou sur la capitale afin de la détruire totalement. Indubitablement, ce récit imaginaire de Swift, répété à tous les Anglais pendant des générations, a donné l'idée qu'une supériorité militaire aérienne totale, capable d'écraser complètement le pays ennemi, était indispensable pour dominer définitivement le monde. Toutefois la théorisation du bombardement de terreur par l'aviation vient du général italien Douhet (cf. : Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie - Des origines au nucléaire, Laffont, 1990). Elle sera mise en application par les “Bomber Commands” britannique et américain pendant la Seconde Guerre mondiale, mais au prix de plus de 200.000 morts, rien que dans les forces aériennes. Aujourd'hui, la couverture spatiale, les progrès de l'avionique en général et la précision des missiles permettent une utilisation moins coûteuse en hommes de l'arme aérienne (de l'air power). C'est ainsi qu'on envisage des opérations de grande envergure avec “zéro mort”, côté américain, côté “Empire du Bien”, et un maximum de cadavres et de désolation, côté adverse, côté “Axe du Mal”.
Face à la situation afghane actuelle, qui est le résultat d'une politique délibérée, forgée depuis près de 2 siècles, avec une constance étonnante, quels sont les déboires, les possibilités, les risques qui existent pour l'Europe, quelle est notre situation objective ?
Les déboires de l'Europe :
◊ 1. Nous avons perdu sur le Danube, car un complot de même origine a visé l'élimination physique ou politique de 4 hommes, très différents les uns des autres quant à leur carte d'identité idéologique : Ceaucescu, Milosevic, Haider et Kohl (voire Stoiber). À la suite d'une guerre médiatique et de manipulations d'images (avec les faux charniers de Timisoara), le dictateur communiste roumain est éliminé. On a pu penser, comme nous-mêmes, à la liquidation d'une mauvaise farce, mais ce serait oublier que ce personnage balkanique haut en couleur avait réussi vaille que vaille à organiser les “cataractes” du Danube, à faire bâtir 2 ponts reliant les rives roumaine et bulgare du grand fleuve et à creuser le canal “Danube - Mer Noire” (62,5 km de long, afin d'éviter la navigation dans les méandres du delta). Notons que le creusement de ce canal avait mécontenté les Soviétiques qui ont un droit d'accès au delta, mais non pas à un canal construit par le peuple roumain. Même si l'arbitraire du régime de Ceaucescu peut être jugé a posteriori pénible et archaïque, force est de constater que sa disparition n'a pas apporté un ordre clair au pays, capable de poursuivre un projet danubien cohérent ou de générer des fonds suffisants pour financer de tels travaux.
Milosevic, le Danube et l'Axe Dorien
Les campagnes médiatiques visant à diaboliser Milosevic ont 2 raisons géopolitiques majeures : créer sur le cours du Danube, à hauteur de Belgrade, point stratégique important comme l'attestent les rudes combats austro-ottomans pour s'emparer de cette place, une zone soustraite à toute activité normale, via les embargos. L'embargo ne sert pas à punir des “méchants”, comme veulent nous le faire croire les médias aux ordres, mais à créer artificiellement des vides dans l'espace, à soustraire à la dynamique spatiale et économique des zones visées, potentiellement puissantes, afin de gêner des puissances concurrentes plus fortes. La Serbie, de dimensions fort modestes, n'est pas un concurrent des États-Unis ; par conséquent son élimination n'a pas été le véritable but en soi ; l'objectif visé était manifestement autre ; dès lors, il s'est agi d'affaiblir des puissances plus importantes.
Dans la région, ce ne peut être que l'Europe en général et son cœur germanique en particulier. Enfin, le vide créé en Serbie par la politique d'embargo, empêche tout consortium euro-serbe, toute fédération balkanique ou tout resserrement de liens entre petites puissances balkaniques (comme la Grèce et la Serbie), empêche d'organiser définitivement le corridor Belgrade - Salonique, excellente “fenêtre” de l'Europe centrale sur la Méditerranée orientale, que nous avions appelé naguère “l'Axe Dorien”.
Haider et Kohl : dénominateur commun : le Danube
Les campagnes de diffamation contre Jörg Haider relèvent d'une même volonté de troubler l'organisation du trafic danubien. Les tentatives, heureusement avortées, d'organiser un boycott contre l'Autriche, auraient installé une deuxième zone “neutralisée”, un deuxième vide, sur le cours du grand fleuve qui est vraiment l'artère vitale de l'Europe. Enfin, le Chancelier allemand Helmut Kohl, qui a réalisé le plus ancien rêve européen d'aménagement territorial, soit le creusement du Canal Rhin - Main - Danube, a été promptement évacué de la scène allemande à la suite d'une campagne de presse l'accusant de corruptions diverses (mais bien bénignes à côté de celles auxquelles les féaux de l'OTAN se sont livrées au cours des décennies écoulées). Son successeur, à la tête des partis de l'Union chrétienne-démocrate (CDU/CSU), le Bavarois Stoiber, a subi, à son tour, des campagnes de diffamations infondées, qui l'ont empêché d'accéder aux commandes de la RFA — du moins jusqu'à nouvel ordre.
◊ 2. Nous avons perdu dans le Caucase. L'Azerbaïdjan est complètement inféodé à la Turquie, fait la guerre aux Arméniens au Nagorni-Karabakh, s'aligne sur les positions anti-russes de l'Otan, coince l'Arménie résiduaire (ex-république soviétique) entre la Turquie et lui-même, ne permettant pas des communications optimales entre la Russie, l'Arménie et l'Iran (ou le Kurdistan potentiel). En Tchétchénie et au Daghestan, les troubles suscités par des fondamentalistes financés par l'Arabie Saoudite — également soutenus par les services turcs travaillant pour les États-Unis — empêchent l'exploitation des oléoducs et réduisent l'influence russe au nord de la chaîne du Caucase. Plus récemment, la Géorgie de Chevarnadze, en dépit de la solidarité orthodoxe qu'elle devrait avoir avec la Russie et l'Arménie, vient de s'aligner sur la Turquie et les États-Unis. Ces 3 faisceaux d'événements contribuent à empêcher l'organisation des communications en Mer Noire, dans le Caucase et dans la Caspienne.
Du “containment” de l'Iran
◊ 3. Nous avons perdu sur la ligne Herat - Ladakh, dans le Cachemire. Le verrouillage pakistanais des hauteurs himalayennes au Cachemire sert à empêcher l'établissement de toute frontière commune entre la Russie (ou une république post-soviétique qui resterait fidèle à une alliance russe) et l'Inde. La présence américaine à Herat, par fractions de l'Alliance du Nord interposées, permet aussi de placer un premier pion dans le containment de l'Iran. Celui-ci est désormais coincé entre une Turquie totalement dépendante des États-Unis et un glacis afghan dominé par ces derniers. Il reste à éliminer l'Irak pour parfaire l'encerclement de l'Iran, prélude à son lent étouffement ou à son invasion (comme pendant l'été de 1941).
◊ 4. Nous avons perdu dans les mers intérieures. Les 2 mers intérieures qui sont le théâtre de conflits de grande ampleur depuis plus d'une décennie sont l'Adriatique et le Golfe Persique. Ces 2 mers intérieures, comme j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de le démontrer, sont les 2 espaces maritimes (avec la Mer Noire) qui s'enfoncent le plus profondément dans l'intérieur des terres immergées de la masse continentale eurasienne. La Guerre du Golfe (et celles qui s'annoncent dans de brefs délais), de même que les complots américains qui ont amené à la chute du Shah (cf. : Houchang Nahavandi, La révolution iranienne - Vérité et mensonges, L'Âge d'Homme, 1999), visent non seulement à contrôler l'embouchure des 2 grands fleuves mésopotamiens, artères du Croissant Fertile, soit le Chatt El Arab, et à contenir l'Iran sur la rive orientale du Golfe.
La révolution islamiste d'Iran a eu la même fonction que la révolution sans-culotte en France ou la révolution bolchevique en Russie : créer le chaos, abattre un régime raisonnable en passe de réaliser de grands travaux d'infrastructure et d'aménagement territorial, et, dès que le nouveau régime révolutionnaire se stabilise, l'attaquer de front et appeler à la croisade contre lui, sous prétexte qu'il incarnerait une nouveauté perverse et diabolique.
Quant à l'idée de verrouiller l'Adriatique, elle apparaît évidente dès que l'Allemagne et l'Autriche, par l'intermédiaire d'une petite puissance qui leur est traditionnellement fidèle, comme la Croatie, accèdent à nouveau à la Méditerranée via les ports du Nord de l'Adriatique. Ce verrouillage aura lieu exactement comme au temps de la domination ottomane (éphémère) sur ces mêmes eaux, à hauteur du Détroit d'Otrante, dominé par l'Albanie.
Formuler une stratégie claire
Face à cette quadruple défaite européenne, il convient de formuler une stratégie claire, un programme d'action général pour l'Europe (qu'il sera très difficile de coordonner au départ, les Européens ayant la sale habitude de tirer toujours à hue et à dia et de travailler dans le désordre). Ce programme d'action contient les points suivants :
◊ Les Européens doivent montrer une unité inflexible dans les Balkans, s'opposer de concert à toute présence américaine et turque dans la péninsule sud-orientale de notre continent. Cette politique doit également viser à neutraliser, dans les Balkans eux-mêmes et dans les diasporas albanaises disséminées dans toute l'Europe, les réseaux criminels (prostitution, trafic de drogues, vol d'automobiles), liés aux structures albanaises anti-serbes et anti-macédoniennes, ainsi qu'au binôme mafias-armée de Turquie et à certains services américains. La cohésion diplomatique européenne dans les Balkans passe dès lors par un double travail : en politique extérieure — faire front à toute réimplantation de la Turquie dans les Balkans — et en politique intérieure — faire front à toute installation de mafias issues de ces pays et jouant un double rôle, celui de déstabiliser nos sociétés civiles et celui de servir de cinquièmes colonnes éventuelles.
◊ Les Européens doivent travailler de concert à ôter toute marge de manœuvre à la Turquie dans ses manigances anti-européennes. Cette politique implique :
• 1) d'évacuer de Chypre toutes les unités militaires et les administrations civiles turques et de permettre à toutes les familles grecques expulsées lors de l'agression de l'été 1974 de rentrer dans leurs villages ancestraux ; d'évacuer vers la Turquie tous les “nouveaux” Cypriotes turcs, non présents sur le territoire annexé avant l'invasion de 1974 ;
• 2) d'obliger la Turquie à renoncer à toute revendication dans l'Égée, car la conquête de l'Ionie s'est faite à la suite d'un génocide inacceptable à l'encontre de la population grecque, consécutif d'un autre génocide, tout aussi impitoyable, dirigé contre les Arméniens ; la Turquie n'a pas le droit de revendiquer la moindre parcelle de terrain ou les moindres eaux territoriales dans l'Égée ; la Grèce, et derrière elle une Europe consciente de ses racines, a, en revanche, le droit inaliénable de revendiquer le retour de l'Ionie à la mère patrie européenne ; la Turquie dans ce contexte, doit faire amende honorable et s'excuser auprès des communautés chrétiennes orthodoxes du monde entier pour avoir massacré jadis le Patriarche de Smyrne, d'une manière particulièrement effroyable (le cas échéant payer des réparations sur son budget militaire) ;
• 3) d'obliger la Turquie à cesser toute agitation auprès des musulmans de Bulgarie ;
• 4) d'obliger la Turquie à cesser toute manœuvre contre l'Arménie, avec la complicité de l'Azerbaïdjan ; de même, à cesser tout soutien aux terroristes tchétchènes ;
• 5) l'Europe, dans ce contexte, doit se poser comme protectrice des minorités orthodoxes en Turquie ; au début du siècle, celles-ci constituaient au moins 25% de la population sous la souveraineté ottomane ; elles ne sont plus que 1% aujourd'hui ; cette élimination graduelle d'un quart de la population interdit à la Turquie de faire partie de l'UE ;
• 6) d'obliger la Turquie à évacuer toutes ses troupes disséminées en Bosnie et au Kosovo ;
• 7) de faire usage des droits de veto des États européens au sein de l'OTAN, au moins tant que les problèmes de Chypre et d'Arménie ne sont pas résolus ; dans la même logique, refuser toute forme d'adhésion de la Turquie à l'UE.
La question du Danube
◊ La politique commune d'une Europe rendue à elle-même, à ses racines et ses traditions historiques, doit évidemment travailler à rendre la circulation libre sur le Danube, depuis le point où ce fleuve devient navigable en Bavière jusqu'à son embouchure dans la Mer Noire. Le problème de la navigation sur le Danube est fort ancien et n'a jamais pu être réglé, à cause de la rivalité austro-russe au XIXe siècle, des retombées des 2 guerres mondiales dont la rivalité hungaro-roumaine pendant l'entre-deux-guerres, et de la présence du Rideau de Fer pendant 4 décennies. Le dégel et la fin de la guerre froide auraient dû remettre à l'ordre du jour cette question cruciale d'aménagement territorial sur notre continent, dès 1989, dès la chute de Ceaucescu. L'impéritie de nos gouvernants a permis aux Américains et aux Turcs de prendre les devants et de gêner les flux sur l'artère danubienne ou dans l'espace du bassin danubien. Une logique qu'il faut impérativement inverser.
Le corridor Belgrade/Salonique
◊ L'Europe doit avoir pour objectif de réaliser une liaison optimale entre Belgrade et Salonique, par un triple réseau de communications terrestres, c'est-à-dire autoroutier, ferroviaire, fluvial (avec l'aménagement de 2 rivières balkaniques, la Morava et le Vardar, selon des plans déjà prévus avant la tourmente de 1940, auxquels Anton Zischka fait référence dans C'est aussi l'Europe, Laffont, 1960). Le trajet Belgrade Salonique est effectivement le plus court entre la Mitteleuropa danubienne et l'Egée, soit le bassin oriental de la Méditerranée.
◊ L'Europe doit impérativement se projeter, selon ce que nous appelons l'Axe Dorien, vers le bassin oriental de la Méditerranée, ce qui implique notamment une maîtrise stratégique de Chypre, donc la nécessité de forcer la Turquie à l'évacuer. L'adhésion prochaine de Chypre à l'UE devrait aussi impliquer le stationnement de troupes européennes (en souvenir des expéditions médiévales et de Don Juan d'Autriche) dans les bases militaires qui sont aujourd'hui exclusivement britanniques. La maîtrise de Chypre permettra une projection pacifique de puissance économique en direction du Liban, de la Syrie, de l'Égypte et du complexe volatile Israël-Palestine (dont une pacification positive doit être le vœu de tous).
Libérer l'Arménie de l'étau turco-azéri
◊ Dans le Caucase, la politique européenne, plus exactement euro-russe, doit consister à appuyer inconditionnellement l'Arménie et à la libérer de l'étau turco-azéri. Face à la Turquie, l'Europe et la Russie doivent se montrer très fermes dans la question arménienne. Comme à Chypre, il convient de protéger ce pays par le stationnement de troupes et par une pression diplomatique et économique continue sur la Turquie et l'Azerbaïdjan. Prévoir de sévères mesures de rétorsion dès le moindre incident : si la Turquie possède un atout majeur dans sa démographie galopante, l'Europe doit savoir aussi que ces masses sont difficilement gérables économiquement, et qu'elles constituent dès lors un point faible, dans la mesure où elles constituent un ballast et réduisent la marge de manœuvre du pays. Par conséquent, des mesures de rétorsions économiques, plongeant de larges strates de la population turque dans la précarité, risquent d'avoir des conséquences sur l'ordre public dans le pays, de le plonger dans les désordres civils et, par suite, de l'empêcher de jour le rôle d'“allié principal” des États-Unis et de constituer un danger permanent pour son environnement immédiat, arménien ou arabe. De même, le renvoi de larges contingents issus de la diaspora turque en Europe, mais uniquement au cas où il s'avèrerait que ces individus sont liés à des réseaux mafieux, déséquilibrerait aisément le pays, au grand soulagement des Arméniens, des Cypriotes grecs, des Orthodoxes araméens de l'intérieur et des pays arabes limitrophes. Le taux d'inflation catastrophique de la Turquie et sa faiblesse industrielle devrait, en toute bonne logique économique, nous interdire, de toute façon, d'avoir des rapports commerciaux rationnels avec Ankara. La Turquie n'est pas un pays solvable, à cause justement de sa politique d'agression à l'égard de ses voisins. Enfin, une pression à exercer sur les agences de voyage et sur les assureurs, qui garantissent la sécurité de ces voyages, limiterait le flux de touristes en Turquie et, par voie de conséquence, l'afflux de devises fortes dans ce pays virtuellement en faillite, afflux qui lui permet de se maintenir vaille que vaille et de poursuivre sa politique anti-hellénique, anti-arménienne et anti-arabe.
◊ Dans la mesure du possible, l'Europe et la Russie doivent jouer la carte kurde, si bien qu'à terme, l'alliance américano-turco-azérie dans la région devra affronter et des mouvements séditieux kurdes, bien appuyés, et l'alliance entre l'Europe, la Russie, l'Iran, l'Irak et l'Inde, amplification d'un axe Athènes-Erivan-Téhéran, dont l'embryon avait été vaguement élaboré en 1999, en pleine crise serbe.
◊ En Asie centrale, l'Europe, de concert avec la Russie, doit apporter son soutien à l'Inde dans la querelle qui l'oppose au Pakistan à propos des hauteurs himalayennes du Cachemire. L'objectif est d'obtenir une liaison terrestre ininterrompue Europe-Russie-Inde. La réalisation de ce projet grandiose en Eurasie implique de travailler 2 nouvelles petites puissances d'Asie centrale, le Tadjikistan persanophone et le Kirghizistan, point nodal dans le futur réseau de communication euro-indien. De même, le tandem euro-russe et l'Inde devront apporter leur soutien à la Chine dans sa lutte contre l'agitation islamo-terroriste dans le Sinkiang, selon les critères déjà élaborés lors de l'accord sino-russe de Changhaï (2001).
Une politique arabe intelligente
◊ L'Europe doit mener une politique arabe intelligente. Pour y parvenir, elle devrait, normalement, disposer de 2 pièces maîtresses, la Syrie et l'Irak, qu'elle doit protéger de la Turquie, qui assèche ces 2 pays en régulant le cours des fleuves Tigre et Euphrate par l'intermédiaire de barrages pharaoniques. Autre pièce potentielle, mais d'importance moindre, dans le jeu de l'Europe : la Libye, ennemie d'Oussama Ben Laden, ancien agent de la CIA (cf. : Dasquié/Brisard, op. cit.). En Égypte, allié des États-Unis, l'Europe doit jouer la minorité copte et exiger une protection absolue de ces communautés en butte à de cruels attentats extrémistes islamistes. La protection des Coptes en Égypte doit être l'équivalent de la protection à accorder aux Orthodoxes araméens de Turquie et aux Kurdes.
◊ L'Europe doit spéculer sur la future guerre de l'eau. L'allié secondaire des États-Unis au Proche-Orient, Israël, est dépendant de l'eau turque, récoltée dans les bassins artificiels d'Anatolie, créés par les barrages construits sous Özal. L'Europe doit inscrire dans les principes de sa politique arabe l'idée mobilisatrice de sauver le Croissant Fertile de l'assèchement (bassin des 2 fleuves, Tigre et Euphrate, et du Jourdain). Ce projet permettra d'unir tous les hommes de bonne volonté, que ceux-ci soient de confession islamique, chrétienne ou israélite. La politique turque d'ériger des barrages sur le Tigre et l'Euphrate est contraire à ce grand projet pour la sauvegarde du Croissant Fertile. Par ailleurs, l'Égypte, autre allié des États-Unis, est fragilisée parce qu'elle ne couvre que 97% de ses besoins en eau, en dépit des barrages sur le Nil, construits du temps de Nasser. Toute augmentation importante de la population égyptienne accentue cette dépendance de manière dramatique. C'est un des points faibles de l'Égypte, permettant aux États-Unis de tuer dans l'œuf toute résurgence d'un indépendantisme nassérien. Enfin, la raréfaction des réserves d'eau potable redonne au centre de l'Afrique, dont le Congo plongé depuis 1997 dans de graves turbulences, une importance stratégique capitale et explique les politiques anglo-saxonnes, notamment celle de Blair, visant à prendre pied dans certains pays d'Afrique francophone, au grand dam de Paris et de Bruxelles.
Les risques qu'encourt l'Europe :
Perdante sur tous les fronts que nous venons d'énumérer, fragilisée par la vétusté de son matériel militaire, handicapée par son ressac démographique, aveugle parce qu'elle ne dispose pas de satellites, l'Europe court 2 risques supplémentaires, incarnés par les agissements des réseaux trotskistes et par les dangers potentiels des zones de non-droit qui ceinturent ses grandes villes ou qui occupent le centre même de la capitale (comme à Bruxelles).
Deux exemples : les réseaux trotskistes, présents dans les syndicats français, et obéissant en ultime instance aux injonctions des États-Unis, ont montré toute leur puissance en décembre 1995 quand Chirac a testé de nouveaux armements nucléaires à Mururoa dans le Pacifique, ce qui déplaisait aux Etats-Unis. Des grèves sauvages ont bloqué la France pendant des semaines, contraignant le Président à lâcher du lest (Louis-Marie Enoch & Xavier Cheneseau, Les taupes rouges - Les trotskistes de Lambert au cœur de la République, Manitoba, 2002 ; Jean Parvulesco, « Décembre 1995 en France : “La leçon des ténèbres” », Cahier n°3 de la Société Philosophique Jean Parvulesco, 2e trimestre 1996 - paru en encart dans Nouvelles de Synergies Européennes n°18, 1996).
Quant aux zones de non-droit, elles peuvent constituer de dangereux abcès de fixation, paralyser les services de police et une partie des effectifs militaires, créer une psychose de terreur et fomenter des attentats terroristes. Les ouvrages de Guillaume Faye, dans l'espace militant des droites françaises, et surtout l'ouvrage de Xavier Raufer et Alain Bauer, pour le grand public avec relais médiatiques, démontrent clairement que les risques de guerre civile et de désordres de grande ampleur sont désormais parfaitement envisageables à court terme. Une grande puissance extérieure est capable de manipuler des “réseaux” terroristes au sein même de nos métropoles et de déstabiliser ainsi l'Europe pendant longtemps. Notre situation n'est donc pas rose. Sur les plans historique et géopolitique, notre situation équivaut à celle que nous avions à la fin du XVe siècle, où nous étions coincés entre l'Atlantique, res nullius, mais ouvert sur sa frange orientale par les Portugais en quête d'une route vers les Indes en contournant l'Afrique, et l'Arctique, étendue maritime glaciaire an-écouménique, sans accès direct à des richesses comme la soie ou les épices.
En 1941, les États-Unis étendent leurs eaux territoriales à plus de la moitié de la surface maritime de l'Atlantique Nord, confisquent à l'Europe son poumon océanique, si bien qu'il n'est plus possible de manœuvrer sur l'Atlantique, d'une façon ou d'une autre, pour rééditer l'exploit des Portugais du XVe siècle.
Les conditions du développement européen
En résumé, l'Europe a le vent en poupe, est un continent viable, capable de se développer, si :
◊ si elle a un accès direct à l'Égypte, comme l'avait très bien vu Bonaparte en 1798-99 ;
◊ si elle a un accès direct à la Mésopotamie, ou du moins au Croissant Fertile, comme l'avait très bien vu Urbain II, quand il prêchait les Croisades en bon géopolitologue avant la lettre ; les tractations entre Frédéric II de Hohenstaufen et Saladin visent un modus vivendi, sans fermeture aux voies de communications passant par la Mésopotamie (Califat de Bagdad) ; la Question d'Orient, à l'aube du XXe siècle, illustre très clairement cette nécessité (géo)politique et la Guerre du Golfe de janvier-février 1991 constitue une action américaine, visant à neutraliser l'espace du Croissant Fertile et surtout à le soustraire à toute influence européenne et russe.
◊ si la route vers les Indes (terrestre et maritime) reste libre; tant qu'il y aura occupation pakistanaise du Jammu et menaces islamistes dans le Cachemire, la route terrestre vers l'Inde n'existera pas).
L'épopée des Proto-Iraniens
Rappelons ici que la majeure partie des poussées européennes durant la proto-histoire, l'antiquité et le moyen âge se sont faites en direction de l'Asie centrale et des Indes, dès 1600 av. JC, avec l'avancée des tribus proto-iraniennes dans la zone au Nord de la ligne Caspienne - Mer d'Aral - Lac Balkhach, puis, par un mouvement tournant, en direction des hauts plateaux iraniens, pour arriver en lisière de la Mésopotamie et contourner le Caucase par le Sud. La Perse avestique et post-avestique est une puissance européenne, on a trop tendance à l'oublier, à cause d'un manichéisme sans fondement, opposant un “Occident” grec-athénien (thalassocratique et politicien) à un “Orient” perse (chevaleresque et impérial), auquel on prête des tares fantasmagoriques.
Quoi qu'il en soit, l'œuvre d'Alexandre le Grand, macédonien et impérial plutôt que grec au sens athénien du terme, vise à unir le centre de l'Europe (via la partie macédonienne des Balkans) au bassin de l'Indus, dans une logique qu'on peut qualifier d'héritière de la geste proto-historique des Proto-Iraniens. L'opposition entre Rome et la Perse est une lutte entre 2 impérialités européennes, où, à la charnière de leurs territoires respectifs, dont les frontières sont mouvantes, se situait un royaume fascinant, l'Arménie. Ce royaume a toujours été capable de résister farouchement, tantôt aux Romains, tantôt aux Perses, plus tard aux Arabes et aux Seldjoukides, grâce à un système d'organisation politique basé sur une chevalerie bien entraînée, mue par des principes spirituels forts. Cette notion de chevalerie spirituelle vient du zoroastrisme, a inspiré les cataphractaires sarmates, les cavaliers alains et probablement les Wisigoths, a été islamisée en Perse (la fotowwah), christianisée en Arménie, et léguée par les chevaliers arméniens aux chevaliers européens. L'ordre ottoman des Janissaires en a été une imitation et doit donc aussi nous servir de modèle (cf. ce qu'en disait Ogier Ghiselin de Busbecq, l'ambassadeur de Charles-Quint auprès du Sultan à Constantinople ; le texte figure dans Gérard Chaliand, Anthologie…, op. cit.).
Des Croisades à Eugène de Savoie et à Souvorov Dans cette optique d'une histoire lue à l'aune des constats de la géopolitique, les Croisades prennent tout naturellement le relais de la campagne d'Othon Ier contre les Magyars, vaincus en 955, qui se soumettent à la notion romaine-germanique de l'Empire.
Ces campagnes de l'Empereur salien, de souche saxonne, sont les premières péripéties de l'affirmation européenne. Après les Croisades et la chute de Byzance, la reconquista européenne se déroule en 3 actes : en Espagne, les troupes d'Aragon et de Castille libèrent l'Andalousie en 1492 ; une cinquantaine d'années plus tard, les troupes russes s'ébranlent pour reprendre le cours entier de la Volga, pour débouler sur les rives septentrionales de la Caspienne et mater les Tatars ; il faudra encore plus d'un siècle et demi pour que le véritable sauveur de l'Europe, le Prince Eugène de Savoie-Carignan, accumule les victoires militaires, pour empêcher définitivement les Ottomans de revenir encore en Hongrie, en Transylvanie et en Autriche. Quelques décennies plus tard, les troupes de Catherine II, de Potemkine et de Souvorov libèrent la Crimée. Cet appel de l'histoire doit nous remémorer les grands axes d'action qu'il convient de ne pas oublier aujourd'hui. Ils sont restés les mêmes. Tous ceux qui ont agi ou agiront dans ce sens sont des Européens dignes de ce nom. Tous ceux qui ont agi dans un sens inverse de ces axes sont d'abjects traîtres. Voilà qui doit être clair. Limpide. Voilà des principes qui ne peuvent être contredits.
Regards nouveaux sur la Deuxième Guerre mondiale
Pour terminer, nous ramènerons ces principes historiques et géopolitiques à une réalité encore fort proche de la nôtre, soit les événements de la Seconde Guerre mondiale, préludes à la division de l'Europe en 2 blocs pendant la guerre froide. Généralement, le cinéma et l'historiographie, le discours médiatique, évoquent des batailles spectaculaires, comme Stalingrad, la Normandie, les Ardennes, Monte Cassino, ou en montent de moins importantes en épingle, sans jamais évoquer les fronts périphériques où tout s'est véritablement joué. Or ces fronts périphériques se situaient tous dans les zones de turbulences actuelles, Afghanistan excepté. Soit sur la ligne Caspienne - Iran (chemins de fer) - Caspienne, dans le Caucase ou sur la Volga (qui se jette dans la Caspienne) (cf. George Gretton, « L'aide alliée à la Russie », in Historia Magazine n°38, 1968).
Les Britanniques et leurs alliés américains ont gagné la seconde guerre mondiale entre mai et septembre 1941. Définitivement. Sans aucune autre issue possible. En mai 1941, les troupes britanniques venues d'Inde et de Palestine (cf. : H. Stafford Northcote, « Révolte de Rachid Ali - La route du pétrole passait par Bagdad », in Historia Magazine n°20, 1968 ; Luis de la Torre, « 1941 : les opérations militaires au Proche-Orient », in : Vouloir n°73/75, 1991 ; Marzio Pisani, « Irak 1941: la révolte de Rachid Ali contre les Britanniques », in : Partisan n°16, nov. 1990) envahissent l'Irak de Rachid Ali (cf. : Prof. Franz W. Seidler, Die Kollaboration 1939-1945, Herbig, München, 1995), qui souhaitait se rapprocher de l'Axe. Les Britanniques disposent alors d'une base opérationnelle importante, bien à l'arrière du front et à l'abri des forces aériennes allemandes et italiennes, pour alimenter leurs troupes d'Égypte et de Libye. En juin et juillet 1941, les opérations contre les troupes de la France de Vichy au Liban et en Syrie parachèvent la maîtrise du Proche-Orient (cf.: Général Saint-Hillier, « La campagne de Syrie », in : Historia Magazine n°20, 1968 ; Jacques Mordal, « les opérations aéronavales en Syrie », ibid.). Au cours des mois d'août et de septembre 1941, l'Iran est occupé conjointement par des troupes anglaises et soviétiques, tandis que des équipes d'ingénieurs américains réorganisent les chemins de fer iraniens du Golfe à la Caspienne, ce qui a permis de fournir, au départ des Indes, du matériel militaire américain à Staline, en remontant, à partir de la Caspienne, le cours de la Volga (notons que les Soviétiques, en vertu des règles codifiées par Lea en 1912 — cf. supra — n'ont pas été autorisés à demeurer à Téhéran, mais ont dû se replier sur Kasvin).
L'Axe n'a pas pu prendre pied à Chypre et la Turquie a conservé sa neutralité “égoïste” comme le disait le ministre Menemencioglu (Prof. Franz W. Seidler, Die Kollaboration 1939-1945, Herbig, München, 1995) ; par conséquent, cet espace proche-oriental, au Sud-Est de l'Europe, a permis une reconquista des territoires européens conquis par l'Axe, en prenant les anciens territoires assyrien et perse comme base, en encerclant l'Europe selon des axes de pénétration imités des nomades de la steppe (de la Volga à travers l'Ukraine) et des cavaliers arabes (de l'Égypte à la Tunisie contre Rommel). Les opérations soviétiques dans le Caucase, grâce au matériel américain transitant par l'Iran, ont pu dès l'automne 1942, sceller le sort des troupes allemandes arrivées à Stalingrad et prêtes à couper l'artère qu'est la Volga. Les résidus des troupes soviétiques acculées aux contreforts septentrionaux du Caucase peuvent résister grâce au cordon ombilical iranien. De même, les troupes allemandes ne peuvent atteindre Touapse et la côte de la Mer Noire au Sud de Novorossisk et sont repoussées en janvier 1943, juste avant la chute de Stalingrad (cf. : Barrie and Frances Pitt, The Month-By-Month Atlas of World War II, Summit Books, New York/London, 1989). Le sort de l'Europe tout entière, au XXe siècle, s'est joué là, et se joue là, encore aujourd'hui. Une vérité historique qu'il ne faut pas oublier, même si les médias sont très discrets sur ces épisodes cruciaux de la Seconde Guerre mondiale.
De l'aveuglement historique
“L'oubli” des opérations au Proche-Orient en 1941 et dans le Caucase en automne 1942 et en janvier 1943 profite d'une certaine forme d'occidentalisme, de désintérêt pour l'histoire de tout ce qui se trouve à l'Est du Rhin, a fortiori à l'Est de la Mer Noire. Cet occidentalisme est une tare rédhibitoire pour toutes les puissances, trop dépendantes d'une opinion publique mal informée, qui se situent à l'Ouest du Rhin. L'atlantisme n'est pas seulement un engouement imbécile pour tout ce qui est américain, il est aussi et surtout un aveuglément historique, dont nous subissons de plein fouet les conséquences désastreuses aujourd'hui.
En effet, l'Europe actuelle a perdu la guerre, bien plus cruellement que le Reich hitlérien en 1945. Jugeons-en :
◊ L'Atlantique est verrouillé (ce qui réduit à néant les efforts de Louis XVI, dont la flotte, commandée par La Pérouse, avait ouvert cet océan au binôme franco-impérial).
◊ La Méditerranée orientale est verrouillée.
◊ La Mer Noire est également verrouillée.
◊ La voie continentale vers l'Inde est verrouillée.
◊ La “Route de la Soie” est verrouillée.
◊ Nous vivons dans le risque permanent de la guerre civile et du terrorisme. La renaissance européenne, que nous appelons tous de nos vœux, passe par une prise de conscience des enjeux réels de la planète, par une connaissance approfondie des manœuvres systématiquement répétées des ennemis de notre Europe. C'est ce que j'ai tenté d'expliquer dans cet exposé. Il faut savoir que nos ennemis ont la mémoire longue, que c'est leur atout majeur. Il faut leur opposer notre propre “longue mémoire” dans la guerre cognitive future. Autre principe méthodologique : l'histoire n'est pas une succession de séquences, coupées les unes des autres, mais un tout global, dans lequel il est impossible d'opérer des coupures.
Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°54, 2002.
• Note :
1 : À cette époque, l'Angleterre était alliée à la France pour détruire les Provinces-Unies des Pays-Bas, alliées au Brandebourg (la future Prusse), à l'Espagne (pourtant son ennemie héréditaire), au Saint Empire et à la Lorraine. Les troupes d'invasion françaises, bloquées par l'ouverture des digues, sont chassées des Provinces-Unies en 1673. Avec l'alliance suédoise, les Français retournent toutefois la situation à leur avantage entre 1674 et 1678, ce qui débouche sur le Traité de Nimègue, qui arrache au Saint Empire de nombreux territoires en Flandre et dans le Hainaut. Cet épisode est à retenir car les puissances anti-européennes, la France, l'Angleterre, la Suède et l'Empire ottoman se sont retrouvés face à une coalition impériale, regroupant puissances protestantes et catholiques. Les unes et les autres acceptaient, enfin, de sauter au-dessus du faux clivage religieux, responsable du désastre de la guerre de Trente Ans (comme l'avait très bien vu Wallenstein, avant de finir assassiné, sous les coups d'un zélote catholique). Cette alliance néfaste, d'abord dirigée contre la Hollande, a empêché l'éclosion de l'Europe et explique les menées anti-européennes plus récentes de ces mêmes puissances, Suède exceptée. -
Une grande transformation par Georges FELTIN-TRACOL (arch 2011)
En 2009, le journaliste Christopher Caldwell faisait paraître Reflections on the revolution in Europe, clin d’œil appuyé à l’ouvrage contre-révolutionnaire du Whig Edmund Burke publié en 1790. Les Éditions du Toucan viennent de sortir sa traduction française sous le titre d’Une révolution sous nos yeux. Alors que les maisons d’éditions institutionnelles se gardent bien maintenant de traduire le moindre ouvrage qui irait à l’encontre de la pesante pensée dominante, saluons cette initiative qui permet au public francophone de découvrir un point de vue divergent bien éloigné de l’agencement ouaté des studios de radio et des plateaux de télévision.
Éditorialiste au Financial Times (le journal officiel de la City) et rédacteur au Weekly Standard et au New York Times Magazine, Christopher Caldwell relève du courant néo-conservateur anglo-saxon. Il en remercie même William Kristol, qui en est l’une des têtes pensantes. L’édition française est préfacée par la démographe Michèle Tribalat qui, avec son compère Pierre-André Taguieff, semble ébaucher une sensibilité néo-conservatrice dans l’Hexagone plus charpentée que les guignols de la triste revue Le meilleur des mondes.
On pourrait supposer qu’Une révolution sous nos yeux est un lourd pensum ennuyeux à lire composé de douze chapitres réunis en trois parties respectivement intitulées « Immigration », « L’islam » et « L’Occident ». Nullement ! Comme la plupart des enquêtes journalistiques anglo-saxonnes, les faits précis et détaillés sont étayés et argumentés. Il faut avouer que le sujet abordé est risqué, surtout en France…
« Ce livre, avertit l’auteur, évitera l’alarmisme et la provocation vaine, mais il évitera aussi l’euphémisme et cette façon de se coucher (à titre préventif) qui caractérise tant d’écrits sur les questions relatives à l’ethnicité (p. 53). » Qu’aborde-t-il donc ? « Ce livre, répond Caldwell, traite de l’Europe, de comment et pourquoi l’immigration et les sociétés multi-ethniques qui en résultent marquent une rupture dans son histoire. Il est écrit avec un œil rivé sur les difficultés que l’immigration pose à la société européenne (p. 52). »
Partant des déclarations prophétiques en avril 1968 du député conservateur Enoch Powell au Midland Hotel de Birmingham consacrées aux tensions raciales à venir, l’auteur estime que « l’immigration n’améliore pas, ne valorise pas la culture européenne; elle la supplante. L’Europe ne fait pas bon accueil à ses tout nouveaux habitants, elle leur cède la place (p. 47) ». Pourquoi ?
Les racines du mal
Avant de répondre, Christopher Caldwell rappelle que « l’immigration de masse a débuté dans la décennie postérieure à la Seconde Guerre mondiale. […] En Grande-Bretagne, en France, aux Pays-Bas et en Scandinavie, l’industrie et le gouvernement ont mis en place des politiques de recrutement de main-d’œuvre étrangère pour leurs économies en plein boom (p. 25) ». Par conséquent, « l’Europe devint une destination d’immigration, suite à un consensus de ses élites politiques et commerciales (p. 25) ». Il insiste sur le jeu du patronat qui préfère employer une main-d’œuvre étrangère plutôt que locale afin de faire baisser les salaires… Il y a longtemps que l’immigration constitue l’arme favorite du capital (1). Or « les effets sociaux, spirituels et politiques de l’immigration sont considérables et durables, alors que ses effets économiques sont faibles et transitoires (pp. 69 – 70) ».
Il importe d’abandonner l’image du pauvre hère qui délaisse les siens pour survivre chez les nantis du Nord… « Pour Enoch Powell comme pour Jean Raspail, l’immigration de masse vers l’Europe n’était pas l’affaire d’individus “ à la recherche d’une vie meilleure ”, selon la formule consacrée. C’était l’affaire de masses organisées exigeant une vie meilleure, désir gros de conséquences politiques radicalement différentes (p. 31, souligné par l’auteur). » Dans cette « grande transformation » en cours, en raison du nombre élevé de pratiquants parmi les nouveaux venus, l’islam devient une question européenne ou, plus exactement, le redevient comme au temps du péril ottoman et des actes de piraterie maritime en Méditerranée jusqu’en 1830… Dorénavant, « l’immigration jou[e] un rôle aussi perturbateur que le nationalisme (p. 402) ».
Très informé de l’actualité des deux côtes de l’Atlantique, Christopher Caldwell n’hésite pas à comparer la situation de l’Europe occidentale à celle des États-Unis. Ainsi, les remarques politiques ne manquent pas. L’auteur estime par exemple que, pour gagner les électeurs, Nicolas Sarközy s’inspire nettement des méthodes de Richard Nixon en 1968 et en 1972.
À la différence de Qui sommes-nous ? de Samuel P. Huntington qui s’inquiétait de l’émergence d’une éventuelle Mexamérique, Caldwell pense que les Latinos, souvent catholiques et occidentalisés, peuvent renforcer et améliorer le modèle social étatsunien. L’auteur remarque même, assez justement, que « les Américains croient que l’Amérique, c’est la culture européenne plus l’entropie (p. 447) ». En revanche, l’Europe est confrontée à une immigration pour l’essentiel musulmane. L’Europe ne serait-elle pas dans le même état si l’immigration extra-européenne était principalement non-musulmane ? L’auteur n’y répond pas, mais gageons que les effets seraient semblables. Le problème majeur de l’Europe n’est pas son islamisation qui n’est qu’une conséquence, mais l’immigration de masse. Il serait temps que les Européens comprennent qu’ils deviennent la colonie de leurs anciennes colonies…
L’injonction morale multiculturaliste
Si cette prise de conscience tarde, c’est parce que « le multiculturalisme, qui demeure le principal outil de gestion de l’immigration de masse en Europe, impose le sacrifice des libertés que les autochtones européens tenaient naguère pour acquises (p. 38) ». L’imposture multiculturaliste (ou multiculturelle) – qui est en fait un monothéisme du marché et de la consommation – forme le soubassement fondamental de l’Union européenne et des « pays occidentaux [qui] sont censés être des démocraties (p. 435) ». Néanmoins, sans la moindre consultation électorale, sans aucun débat public véritable, « sans que personne ne l’ait vraiment décidé, l’Europe occidentale s’est changée en société multi-ethnique (p. 25) ».
À la suite d’Alexandre Zinoviev, d’Éric Werner et d’autres dissidents de l’Ouest, Christopher Caldwell observe la démocratie régresser en Occident avec l’adoption fulgurante de lois liberticides contre les hétérodoxies contemporaines. En effet, « l’Europe de l’après-guerre s’est bâtie sur l’intolérance de l’intolérance – un état d’esprit vanté pour son anti-racisme et son antifascisme, ou brocardé par son aspect politiquement correct (p. 128) ». Après la lutte contre l’antisémitisme, l’idéologie multiculturaliste de la tolérance obligatoire s’élargit aux autres minorités raciales et sexuelles et renforce la répression. Il devient désormais tout aussi grave, voire plus, de dénigrer un Noir, un musulman, un homo ou de nier des faits historiques récents que de violer une fillette ou d’assassiner un retraité ! « Peu à peu, les autochtones européens sont […] devenus moins francs ou plus craintifs dans l’expression publique de leur opposition à l’immigration (p. 38). » Rôdent autour d’eux de véritables hyènes, les ligues de petite vertu subventionnées grassement par le racket organisé sur les contribuables. Et garde aux « contrevenants » ! Dernièrement, une Londonienne, Emma West, excédée par l’immigration et qui l’exprima haut et fort dans un compartiment de transport public, a été arrêtée, accusée de trouble à l’ordre public et mise en détention préventive. « Le journal Metro puis un journaliste de la chaîne américaine C.N.N. ont lancé un appel à la délation sur Twitter (2) ». La police des transports a même appelé à la délation sur Internet pour connaître l’identité de cette terrible « délinquante » ! Sans cesse soumis à une propagande « anti-raciste » incessante, « les Européens ont commencé à se sentir méprisables, petits, vilains et asexués (p. 151) ». Citant Jules Monnerot et Renaud Camus, Caldwell voit à son tour l’antiracisme comme « le communisme du XXIe siècle » et considère que « le multiculturalisme est presque devenu une xénophobie envers soi-même (p. 154) », de l’ethno-masochisme ! Regrettons cependant que l’auteur juge le Front national de Jean-Marie Le Pen comme un parti « fasciste », doctrine disparue depuis 1945…
La mésaventure d’Emma West n’est pas surprenante, car « l’État-nation multiculturel est caractérisé par un monopole sur l’ordre moral (p. 413) ». Les racines de ce nouveau moralisme, de ce néo-puritanisme abject, proviennent du traumatisme de la dernière guerre mondiale et de l’antienne du « Plus jamais ça ! ». « Ces dernières années, l’Holocauste a été la pierre angulaire de l’ordre moral européen (p. 356) ». Il était alors inévitable que « le repentir post-Holocauste devient le modèle de régulation des affaires de toute minorité pouvant exiger de façon plausible d’un grave motif de contrariété (p. 357) ». Être victime est tendance, sauf quand celle-ci est blanche.
Dans cette perspective utopique d’harmonie interraciale, il paraît certain qu’aux yeux des tenants du politiquement correct et du multiculturalisme, « l’Islam serait tout simplement la dernière catégorie, après le sexe, les préférences sexuelles, l’âge et ainsi de suite, venue s’ajouter au langage très convenu qu’ont inventé les Américains pour évoquer leur problème racial au temps du mouvement des droits civiques (pp. 234 – 235) ». Pour Christopher Caldwell, c’est une grossière erreur, lui qui définit l’islam comme une « hyper-identité ».
Le défi musulman
Le choc entre l’islam et l’Occident est indéniable : le premier joue de son dynamisme démographique, de son nombre et de sa vigueur spirituel alors que le second se complaît dans la marchandise la plus indécente et la théocratie absconse des droits de l’homme, de la femme, du travelo et de l’inter… Les frictions sont inévitables entre la conception traditionnelle phallocratique musulmane et l’égalitarisme occidental moderne. Allemands et Scandinaves sont horrifiés par les « crimes d’honneur » contre des filles turques et kurdes « dévergondées » par le Système occidental. Les pratiques coutumières de l’excision, du mariage arrangé et de la polygamie choquent les belles âmes occidentales qui exigent leur interdiction pénale. Mais le musulman immigré n’est-il pas lui même outré par l’exposition de la nudité féminine sur les panneaux publicitaires ou de l’homoconjugalité (terme plus souhaitable que « mariage homosexuel ») ?
Caldwell rappelle que le Néerlandais Pim Fortuyn combattait l’islam au nom des valeurs multiculturalistes parce qu’il trouvait la religion de Mahomet trop monoculturelle et donc totalitaire. Des mouvements populistes européens (English Defence League, Vlaams Belang, Parti du Peuple danois, Parti de la Liberté de Geert Wilders, etc.) commettent l’erreur stratégique majeur de se rallier au désordre multiculturel ambiant et d’adopter un discours conservateur moderne (défense de l’égalité homme – femme, des gays, etc.) afin d’être bien vus de la mafia médiatique. Par cet alignement à la doxa dominante, ils deviennent les supplétifs d’un système pourri qui reste l’ennemi prioritaire à abattre.
Pour l’auteur d’Une révolution sous nos yeux, l’islam est dorénavant la première religion pratiquée en Europe qui connaît l’immense désaffection des églises. L’homme étant aussi un être en quête de sacré, il est logique que la foi mahométane remplit un vide résultant de décennies de politique laïciste démente. Et ce ne seront pas les tentatives désespérées de Benoît XVI pour réévangéliser le Vieux Continent qui éviteront cette incrustation exogène parce que Caldwell démontre – sans le vouloir – le caractère profondément moderniste du titulaire putatif du siège romain : l’ancien cardinal Ratzinger est depuis longtemps un rallié à la Modernité !
Dans ce paysage européen de l’Ouest en jachère spirituelle, « les musulmans se distinguent par leur refus de se soumettre à ce désarmement spirituel. Ils se détachent comme la seule source de résistance au multiculturalisme dans la sphère publique. Si l’ordre multiculturel devait s’écrouler, l’Islam serait le seul système de valeur à patienter en coulisse (p. 423) ». Doit-on par conséquent se résigner que notre avenir d’Européen soit de finir en dhimmi d’un quelconque califat universel ou bien en bouffeur de pop corn dans l’Amérique-monde ?
Puisque Caldwell souligne que « l’immigration, c’est l’américanisation (p. 446) », que « l’égalité des femmes constitu[e] un principe ferme et non négociable des sociétés européennes modernes (p. 317) » et que « vous pouvez être un Européen officiel (juridique) même si vous n’êtes pas un “ vrai ” Européen (culturel) (p. 408) », il est temps que, hors de l’impasse néo-conservatrice, le rebelle européen au Diktat multiculturel occidental promeuve une Alter-Europe fondée sur l’Orthodoxie traditionnelle ragaillardie, un archéo-catholicisme antétridentin redécouvert et des paganismes réactivés, une volonté de puissance restaurée et des identités fortes réenracinées. « L’adaptation des minorités non-européennes dépendra de la perception qu’auront de l’Europe les autochtones et les nouveaux arrivants – civilisation florissante ou civilisation décadente ? (p. 45) » Ni l’une ni l’autre; c’est la civilisation européenne qu’il faut dans l’urgence refonder !
Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com
Notes
1 : Pour preuve supplémentaire, lire la chronique délirante d’Ariel Wizman, « Pourquoi les immigrés sont les meilleurs alliés du libéralisme », dans L’Express, 7 décembre 2011.
2 : Louise Couvelaire, dans M (le magazine du Monde), 10 décembre 2011. Pour soutenir au moins moralement Emma West, on peut lui envoyer une carte postale à :
Mrs Emma West
co HMP Bronzfield
Woodthorpe Road
Ashford
Middlesex TW15 3J2
England• Christopher Caldwell, Une révolution sous nos yeux. Comment l’islam va transformer la France et l’Europe, préface de Michèle Tribalat, Éditions du Toucan (25, rue du général Foy, F – 75008 Paris), coll. « Enquête & Histoire », 2011, 539 p., 23 €.
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Manifeste contre la mort de l’esprit (arch 2003)
« Sans prétendre dénoncer des politiques gouvernementales, ni répudier des agissements économiques, ni protester non plus contre des activités sociales particulières l’éditeur et essayiste Javier Ruiz Portella a lancé, avec le soutien de l’écrivain colombien Álvaro Mutis, prix Cervantès 2002 en Espagne, un audacieux Manifeste contre la mort de l’esprit (publié en juin 2002 par le journal El Mundo de Madrid), avec l’espoir d’ouvrir une brèche maintenant que la vie de l’esprit est en danger.
Car le matérialisme, proclame le manifeste, imprègne aujourd’hui les ressorts les plus intimes de notre pensée et de nos attitudes, tandis que s’évanouit « l’inquiétude grâce à laquelle les hommes non seulement se trouvent, mais sont dans le monde ». Il est temps d’agir. Ou du moins, de prendre la parole.
Plus de huit cents personnes (dont des personnalités célèbres du monde des arts, des lettres et de la pensée) se sont d’ores et déjà exprimées en signant le Manifeste en Espagne, où des activités publiques sont également entreprises dans ce cadre. De telles inquiétudes concernant évidemment l’ensemble de l’Europe, au sens non géographique du mot, nous lançons un appel à nos amis francophones pour qu’ils nous rejoignent en signant le Manifeste et en prenant, s’ils le souhaitent, contact avec nous.
Pour ce faire, vous pouvez nous envoyer un e-mail à : manifiesto@altera.net
i>MANIFESTE CONTRE LA MORT DE L’ESPRIT
(traduit de l’espagnol)Ceux qui apposent leur signature au bas de ce Manifeste ne sont portés par aucun des élans qui caractérisent si souvent le signataire de proclamations, protestations et revendications. Ce Manifeste ne prétend ni dénoncer des politiques gouvernementales, ni répudier des agissements économiques, ni protester non plus contre des activités sociales particulières. Nous nous dressons contre quelque chose de beaucoup plus général et profond… et par conséquent diffus : contre la perte profonde de sens qui bouleverse la vie de la société contemporaine.
Certes, il existe toujours un semblant de sens ; il reste quelque chose qui, aussi surprenant que ce soit, justifie encore et remplit la vie des hommes d’aujourd’hui. C’est pourquoi ce Manifeste s’élève, à proprement parler, contre la réduction de ce sens à la fonction de préservation et d’amélioration (à un degré, certes, inégalé par aucune autre société) de la vie matérielle des hommes.
Travailler, produire et consommer : tel est le seul horizon qui fait sens pour les femmes et les hommes d’aujourd’hui. Il suffit, pour le constater, de lire quelques pages dans les journaux, d’écouter la radio, de s’abrutir devant les images de la télévision : un seul horizon existentiel (si on peut l’appeler ainsi) préside à tout ce qui s’exprime dans les moyens de communication de masse. Accompagné de la fervente approbation du public, ce mouvement proclame qu’il n’est qu’un seul but dans la vie : augmenter au maximum la production d’objets, de produits et de divertissements mis au service de notre confort matériel.
Produire et consommer : tel est notre maître mot. Et se divertir : s’amuser avec les passe-temps que l’industrie culturelle et les moyens de communication de masse lancent sur le marché en vue de remplir ce que seul un écart de langage permet d’appeler « vie spirituelle » ; en vue de remplir, à proprement parler, toute ce vide, tout ce manque d’inquiétude et d’action dont des loisirs aussi oisifs ont pour mission de nous détourner.
Voilà à quoi se réduit la vie et le sens pour l’homme d’aujourd’hui, pour cet « homme physiologique » qui semble atteindre toute sa plénitude dans la satisfaction des nécessités propres à sa survie et à sa subsistance. Il faut certes reconnaître que dans la poursuite de ce but – plus particulièrement dans l’amélioration des conditions sanitaires et dans l’augmentation d’une longévité qui a presque doublé au cours d’un siècle – les succès rencontrés sont absolument spectaculaires. Tout comme le sont les grands progrès accomplis par la science dans la compréhension des lois régissant les phénomènes matériels qui constituent l’univers en général et la terre en particulier. Loin de répudier de tels progrès, les signataires de ce Manifeste ne peuvent que les saluer avec une joie aussi profonde que sincère.
C’est justement cette joie qui les mène à exprimer leur étonnement et leur angoisse face à ce paradoxe : au moment même où de telles conquêtes ont permis d’alléger considérablement la souffrance de la maladie, d’atténuer la dureté du travail, d’élargir au maximum la possibilité d’acquérir des connaissances (à un degré jamais atteint jusqu’à présent et dans des conditions d’égalité également sans précédent), c’est donc à un moment caractérisé par de tels bienfaits que toutes les perspectives se voient réduites à la seule amélioration du bien-être, tandis que la vie de l’esprit court le risque de se voir anéantie.
Ce ne sont pas les bénéfices matériels ainsi atteints qui se trouvent – sauf hécatombe écologique – menacés. C’est la vie de l’esprit qui est en danger comme l’atteste, entre autres, le fait que le simple usage du mot « esprit » pose désormais un si grand problème. Le matérialisme qui imprègne les ressorts les plus intimes de notre pensée et de notre comportement est en effet tel qu’il suffit d’emprunter de manière positive le terme « esprit », il suffit d’attaquer en son nom le matérialisme régnant, pour que le terme « esprit » se voie automatiquement chargé de connotations péjoratives à consonance religieuse, voire ésotérique. Il importe donc de préciser que les signataires de ce Manifeste ne sont nullement mus par des inquiétudes religieuses, quelle que soit leur façon d’envisager les rapports entre le « spirituel » et le « divin ».
Ce qui nous pousse, c’est l’inquiétude produite non pas par la mort de Dieu, mais par celle de l’esprit ; c’est-à-dire par la disparition de ce souffle grâce auquel les hommes s’affirment comme des hommes et non seulement comme des entités organiques. Notre désarroi tient à l’évanouissement de l’inquiétude grâce à laquelle les hommes non seulement se trouvent mais aussi sont dans le monde ; cette inquiétude à travers laquelle ils expriment tout leur bonheur et toute leur angoisse, toute leur joie et toute leur détresse, toute leur affirmation et leur interrogation face à cette merveille qu’aucune raison ni aucune religion ne pourra jamais désamorcer : le fait merveilleux d’être, le miracle que les hommes, le monde et les choses sont, existent : sont pourvus de sens et de signification.
Pourquoi vivons et mourons-nous, nous les hommes qui croyons avoir dominé le monde (faut-il entendre par là : le monde matériel ?) Quel est le sens de notre existence, de notre projet, quels sont nos symboles… toutes ces valeurs sans lesquelles aucun homme et aucune collectivité n’existeraient ? Quel est notre destin ? Si telle est la question qui cimente et donne sens à toute civilisation, le propre de la nôtre est d’ignorer, de dédaigner ce genre de questions. Celles-ci ne sont même pas posées ou, si elles l’étaient, devraient recevoir comme réponse : « Notre destin est d’être privés de destin, de n’avoir d’autre destin que celui de notre survie immédiate ».
Ne pas avoir de destin, être privés d’un principe régulateur, d’une vérité suprême qui garantisse et dirige nos pas : c’est sans doute cette absence que nous tentons de tromper par l’avalanche de produits et de distractions avec lesquels nous nous abrutissons et nous nous aveuglons. C’est de là que proviennent tous nos maux. Mais c’est de là que provient également – ou plutôt : c’est de là que pourrait provenir, si nous l’assumions d’une tout autre manière – notre plus grande force et grandeur : celle des hommes libres ; la grandeur des hommes qui ne sont assujettis à aucun Dieu, à aucun Principe absolu, à aucune Vérité pré-établie ; l’honneur et la grandeur des hommes qui cherchent, s’interrogent, et projettent : sans chemin, sans mettre le cap sur quelque destination connue d’avance. Libres, c’est-à-dire, désemparés. Sans toit ni protection. Ouverts à la mort.
Il va sans dire qu’esquisser une telle perspective ne veut pas dire la résoudre. Contrairement aux Manifestes habituels, celui-ci ne vise nullement à prescrire des mesures, à envisager des actions, à proposer des solutions. Le temps est heureusement révolu où un groupe d’intellectuels pouvait s’imaginer qu’en couchant leurs angoisses, espoirs et projets sur une feuille aussi blanche que le monde qu’ils prétendaient façonner, celui-ci allait suivre la voie qui lui était ainsi assignée. Tel est le rêve – le leurre – de la pensée révolutionnaire : cette pensée qui, étant parvenue à mettre le forceps du pouvoir au service de ses idées, a réussi – mais avec toutes les conséquences que nous connaissons – à transformer le monde pendant quelques brèves et effrayantes décennies.
Le monde n’est nullement cette feuille blanche qu’imaginaient les révolutionnaires. Le monde est un livre fascinant, parfois effrayant, tissé de passé, d’énigmes et d’épaisseur. Les signataires de ce Manifeste ne prétendent donc nullement transposer un nouveau programme de rédemption sur une nouvelle feuille blanche. Ils prétendent avant tout, et ce serait déjà une grande réussite, rallier des voix unies par un même et profond malaise.
Ce serait déjà une grande réussite, en effet : car le plus étrange, pour ne pas dire le plus inquiétant de tout ce qui est exprimé ici, c’est que le malaise dont il est question dans ces pages n’a pas encore rencontré à ce jour un mode d’expression authentique. Plus angoissant encore que la déspiritualisation du monde, c’est le fait que, à l’exception de quelques voix isolées, un tel dépérissement de l’esprit semble laisser nos contemporains dans la plus totale indifférence.
C’est pourquoi le premier objectif que se fixe ce Manifeste est de savoir dans quelle mesure ces réflexions sont susceptibles – ou pas – de susciter un petit, un moyen ou (peut-être) un large écho. Malgré le pessimisme qui marque ce Manifeste, celui-ci nourrit obscurément le fol espoir de penser qu’il n’est pas possible que seules quelques voix isolées s’élèvent parfois pour s’opposer à ce sentiment qui caractérise notre époque. Dans la mesure où ce sentiment domine, il va de soi que des inquiétudes comme celles qui s’expriment ici ne pourront jamais prendre une autre forme que celle d’un cri, d’une dénonciation. Cela est évident. Ce qui, par contre, ne l’est pas, c’est qu’un tel cri ne provienne même pas de l’esprit critique, contestataire et transgresseur qui avait tant marqué la modernité… du moins pendant ses premières décennies. Comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, il ne reste presque plus rien d’une telle attitude critique : la seule chose qui pousse aujourd’hui à la contestation, ce sont les revendications écologistes (aussi légitimes qu’enfermées dans le plus plat des matérialismes), auxquelles on pourrait rajouter les restes délabrés d’un communisme tout aussi matérialiste et si dépassé qu’il ne semble même pas avoir entendu parler de tous les crimes qui, commis en son nom, n’ont d’équivalents que ceux qui furent perpétrés par cet autre totalitarisme qui lui était apparemment opposé.
Une fois évanoui l’esprit inquiet et critique qui fut jadis l’honneur de la modernité, notre temps enfermé entre les seules mains des seigneurs de la richesse et de l’argent – cet argent dont l’esprit imprègne tout aussi bien leurs vassaux –, la seule possibilité qui reste alors est de pousser un cri, d’exprimer une angoisse. Tel est le propos du présent Manifeste qui, en plus de pousser ce cri, prétend également de rendre possible l’ouverture d’un profond débat. Il va sans dire que toutes les questions explicitement soulevées ici, tout comme celles qui en découlent, ne peuvent trouver leur juste expression dans le bref espace d’un Manifeste. C’est pourquoi les objectifs de celui-ci seraient déjà largement atteints si, suite à sa publication, un débat s’ouvrait auquel participeraient tous ceux qui se sentiraient concernés par les inquiétudes ici ébauchées.
Esquissons seulement quelques-unes des questions autour desquelles un tel débat pourrait être lancé. Si « la question de notre temps », pour paraphraser Ortega, est constituée par ce profond paradoxe : la nécessité qu’un destin s’ouvre pour les hommes privés de destin et qui doivent continuer d’en être privés ; si notre question est l’exigence que se dévoile un sens pour un monde qui découvre – fût-ce de manière déguisée, défigurée – tout le non-sens du monde ; si tel est, enfin, notre questionnement, le problème qui se pose dès lors est de savoir par quel biais, grâce à quels moyens, moyennant quel contenu, quels symboles, quels projets… une telle donation de sens peut parvenir à se faire.
Le paradoxe précédent – disposer et ne pas disposer de destin ; affirmer un sens fondé sur le non-sens même du monde – ; cet exercice aussi périlleux qu’exaltant au-dessus de l’abîme, cet équilibre sur la « frontière » mouvante qui sépare la terre ferme du vide ; tout ceci n’évoque-t-il pas cet abîme, ce paradoxe au cœur même de l’art (nous parlons ici de l’art véritable, qui n’a rien à voir avec le divertissement qu’aujourd’hui nous est proposé sous son nom) ? « Nous avons l’art pour ne pas périr de la vérité », c’est-à-dire de la rationalité, disait Nietzsche. Peut-être bien. Peut-être est-ce l’art qui pourrait tirer le monde de sa torpeur et de son inertie. Pour cela, il faudrait certes que l’imagination créatrice de l’art retrouve un nouvel élan et une nouvelle vigueur. Mais cela ne saurait suffire. Il faudrait également que, cessant d’être à la fois un divertissement et un simple ornement esthétique, l’art retrouve la place qui lui correspond dans le monde. Il faudrait enfin que l’on accepte l’art comme une expression profonde de la vérité, qui n’a rien à voir avec la pure contemplation d’un spectateur oisif.
Or, un tel bouleversement est-il possible dans ce monde où non seulement la banalité et la médiocrité, mais la laideur même (laideur architectonique et décorative, laideur vestimentaire et musicale…) semblent devenir l’un des principaux piliers ? Une telle présence vivante de l’art est-elle possible dans un monde guidé par la sensibilité et la satisfaction des masses ? Est-il possible que l’art s’installe au cœur du monde sans que renaisse – mais comment ? – ce qui fut pendant des siècles la culture populaire authentique et vivante ? Cette culture a disparu aujourd’hui, immolée sur l’autel d’une égalité qui nous mesure tous à la même aune, qui nous impose à tous la soumission à la seule culture – appelée cultivée – que notre société tient pour possible et légitime. N’est-ce donc pas la question même de l’égalité – celle de ses conditions, de ses conséquences et de ses possibilités – cette grande question qui se trouve dès lors ouverte et qu’il devient inéluctable de poser ?
Esquissons une dernière problématique, peut-être la plus décisive. Toute la dé-spiritualisation dénoncée ici est intimement liée à ce que l’on pourrait appeler le désenchantement d’un monde qui a mis en œuvre le plus profond des désenchantements, c’est-à-dire : qui a anéanti les forces surnaturelles qui, depuis le commencement des temps, régissaient la vie des hommes et rendaient compte du sens des choses. Un tel désenchantement est certes indispensable pour parvenir à expliquer les phénomènes physiques qui constituent le monde. Voilà ce qui rend incontournables les armes de la raison dont les conquêtes (tant théoriques que pratiques) ont largement prouvé l’utilité. Pourtant, ne sont-ce pas ces armes mêmes, ces conquêtes mêmes qui pervertissent tout dès lors que, voulant étendre leur champ d’application au delà du domaine matériel, elles cherchent à rendre compte de ce qui appartient au domaine spirituel ? N’est-ce pas la puissance de la raison qui finit par tout réduire à un enchaînement de causes et d’effets, de fonctions et d’usages dès lors qu’elle cherche à envisager la signification des choses, dès lors qu’elle prétend se confronter à la question du sens ? Le fond du problème, ne réside-t-il pas dans ce pouvoir démesuré que l’homme s’est attribué en se proclamant non seulement « maître et seigneur de la nature », mais également maître et seigneur du sens ? Ce n’est certes que grâce à la présence de l’homme que surgit, qu’a lieu la donation de cette « chose », la plus merveilleuse de toutes et que nous appelons le sens. Mais il ne s’ensuit nullement que l’homme puisse disposer du sens, qu’il en soit le maître et le seigneur, qu’il domine et maîtrise un mystère qui le transcendera toujours.
Cette transcendance n’est au fond rien d’autre que ce qui, pendant des siècles, a été exprimé sous le nom de « Dieu ». Envisager les choses par ce biais ne revient-il pas à poser – mais sur des bases radicalement nouvelles – la question que la modernité avait cru pouvoir rejeter à jamais : la question de Dieu ?
À l’instar des précédentes, laissons ouverte cette dernière question : celle d’un dieu insolite (c’est pourquoi il conviendrait peut-être d’écrire son nom en minuscules), la question d’un dieu qui, dépourvu de réalité propre – n’appartenant ni au monde naturel ni au surnaturel –, serait aussi dépendant des hommes et de l’imagination que ceux-ci le sont de dieu et de l’imagination. Un tel dieu, à quel monde, à quel ordre du réel pourrait-il appartenir ? Il ne pourrait sûrement pas appartenir à ce monde surnaturel dont la réalité physique a été niée… par Sa Sainteté le Pape lui-même, lequel affirmait en juillet 1999 – mais personne n’en a pris connaissance ! – que « le ciel […] n’est ni une abstraction ni un lieu physique parmi les nuages, mais une relation vivante et personnelle avec Dieu ». Où donc dieu peut-il bien demeurer ? Quelle peut être la nature divine, si aucun lieu physique ne lui convient, s’il ne s’agit que d’une « relation » ? Où donc dieu peut-il bien se trouver… sinon en ce lieu encore plus prodigieux et merveilleux qui est constitué par les créations de l’imagination ?
Poser la question de dieu revient, en définitive, à poser la question de l’imagination, à nous interroger sur la nature de cette puissance prodigieuse qui, à partir de rien, crée des signes et des significations, des croyances et des passions, des institutions et des symboles… ; cette puissance dont tout dépend peut-être et dont l’homme moderne, qui ne pouvait faire moins, se prétend également maître et seigneur. Du moins le croit-il, cet homme qui, regardant avec un sourire condescendant les signes et les symboles d’hier ou d’aujourd’hui, s’exclame, moqueur : « Bah, ce ne sont que des produits de l’imagination ! », des mensonges par conséquent. http://grece-fr.com