Entretien avec Henri de Grossouvre
Déjà auteur d'un «Paris-Berlin-Moscou» militant pour un socle «carolingien» et une ouverture vers la Russie, Henri de Grossouvre défend cette fois-ci une nouvelle idée pour l'Europe l'«avant-garde». Fondée sur le duopole France-Allemagne, auxquels s'ajouteraient la Belgique, le Luxembourg, la Hongrie et l'Autriche, l'avant-garde européenne pourrait avoir comme objectif de relancer la construction européenne sous une forme impériale. Simple hypothèse à l'heure présente, mais plus que jamais souhaitable !
Pierre Bérard : Votre premier livre, Paris-Berlin-Moscou, la voie de l'indépendance et de la paix, est paru à L’Âge d'Homme en avril 2002. Il a été particulièrement remarqué des milieux diplomatiques et militaires. Bien que s'inscrivant dans une structuration géopolitique qui fait fi des aléas de l'actualité immédiate, votre hypothèse de 2002 est-elle devenue caduque ? Autrement dit, comment aujourd'hui penser un ensemble continental cohérent coopérant étroitement avec la Russie ?
Henri de Grossouvre : Paris-Berlin-Moscou est paru un an avant que la France et l'Allemagne, rapidement rejointes par la Russie, n'élaborent des positions communes à propos de la crise irakienne et ne se prononcent ensemble contre l'intervention étatsunienne. C'était la première fois, aussi, depuis la Deuxième Guerre mondiale, que l'Allemagne réunifiée était à même de définir de nouvelles orientations de politique étrangère conforme à ses intérêts propres. Des intérêts nationaux qui étaient également ceux de l'Europe. Depuis cette date, il est bien évident que l'Allemagne n'est plus un «protectorat américain», selon l'expression de Gunter Grass, ce qui est la condition sine qua non pour envisager avec elle une politique rompant avec les obligations du temps de la guerre froide.
Que reste-t-il de tout cela ? Chacun sait que madame Merkel n'est pas favorable à l'hypothèse d'un axe Paris-Berlin-Moscou et que son tropisme la porte, jusqu'à présent, plus volontiers vers des amitiés atlantiques. Mais elle a cependant maintenu le rythme des sommets franco-germano-russes qui furent initiés à cette époque. Ces rencontres de chefs d'États et de ministres des trois pays ne suffisent pas. Il est plus important que des coopérations soit nouées dans les domaines que mes amis paneuropéens appellent les «technologies de souveraineté», afin de «verrouiller» par l'action et l'économie une coopération dépendante des changements de gouvernements. Les technologies de souveraineté désignent les secteurs qui permettent aux pays d'exister par eux-mêmes dans le monde d'aujourd'hui. Il s'agit par exemple de l'énergie, des technologies de l'information et de la communication, des industries aéronautiques et spatiales, des nanotechnologies et des biotechnologies. Or, dans ces domaines, les choses avancent, des alliances se nouent, créant des solidarités de fait durables vis à vis de l'extérieur.
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