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géopolitique - Page 474

  • Eric Denecé : « On se fait rouler dans la farine avec Alep »

     Invité par Yves Calvi sur le plateau de LCI, Eric Denecé l’affirme : « On se fait rouler dans la farine avec Alep. » Or Eric Denecé n’est pas n’importe qui : il est le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Parlant de « falsification de l’information qui est énorme » au sujet de la Syrie, il précise qu’il n’y a qu’un tiers de la ville d’Alep qui est victime de bombardements, la partie depuis laquelle les djihadistes tirent sur les quartiers chrétiens depuis des années, « ce dont on ne parle jamais ». « Pour un jeune djihadiste aujourd’hui, explique-t-il, la façon dont les médias occidentaux présentent la crise d’Alep est un motif pour passer à l’action. »

    Il ajoute notamment :

    « Nos médias en France sont un peu suivistes du mainstream médiatique qui est impulsé et imposé par les médias anglo-saxons et par les médias arabes. »

    http://fr.novopress.info/

  • Un résumé de la guerre civile en Syrie, ou le djihadisme au Conseil européen

    La guerre civile en Syrie est extrêmement complexe, en raison de sa nature, avec des parties opposées pas toujours identifiables, des pays alliés ou carrément ennemis des unes et des autres et ceux qui jouent, de l’extérieur, de leur influence tantôt auprès des unes, tantôt auprès des autres.

    Polémia a reçu d’un lecteur un article, dont il est l’auteur, qui peut servir d’éclairage aux non-initiés des conflits moyen-orientaux. Pour une meilleure compréhension de ce conflit, il nous paraît utile de le reprendre du site Le Nœud Gordien.

    Il s’agit d’une part de la traduction en français d’un résumé très éclairant de la guerre civile syrienne par l’essayiste américano-libanais Nassem Taleb, d’autre part de notes et de commentaires sur l’invitation assez extraordinaire d’un représentant djihadiste au Conseil européen, à la demande de la France.
    Polémia.

    La guerre civile en Syrie, à la fois très violente et très complexe, peut apparaître impossible à bien résumer. C’est pourtant ce que réussit le tableau synthétique de Nassim Taleb, confirmé par les évaluations officielles de la Défense française.

    On constate que le soutien aux rebelles d’Alep, ayant passé depuis longtemps les bornes de la décence, dépasse maintenant celles de la folie, pendant que le silence officiel est de règle sur le crime de masse commis par l’Arabie saoudite contre la population du Yémen

    L’écrivain Nassim Nicholas Taleb, penseur rigoureux et original, analyste des probabilités et de la gestion des risques est à l’origine notamment du concept de « cygne noir » depuis largement popularisé pour désigner les événements dont la probabilité avait été si totalement négligée que leur possibilité même n’avait pas été aperçue.

    Américain d’origine libanaise orthodoxe, c’est aussi quelqu’un qui connaît très bien le Proche-Orient. Le résumé qu’il propose du conflit syrien pourra certes surprendre, il est d’autant plus crédible que Taleb n’a vraiment aucune raison de porter le régime syrien dans son cœur, étant donné que sa famille a eu à en souffrir au moment de la guerre civile libanaise.

    La guerre syrienne résumée, ou comment regarder le conflit de manière plus rigoureuse

    Original en anglais – Nassim Nicholas Taleb, 15 décembre 2016

    Traduction en français et notes – Alexis Toulet pour le Noeud Gordien, 16 décembre 2016

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  • La mort de l’ambassadeur russe, acte de naissance d’un nouvel empire

    Selon Thomas Flichy sur Aleteia :

    "Il ne se passe pas une semaine sans que la Russie ne vienne nous donner une leçon d’intelligence politique. Celle d’aujourd’hui est absolument magistrale. Au lieu de céder à ce qu’il aurait pu aisément concevoir comme une provocation, Vladimir Poutine prend immédiatement appui sur l’assassinat de son ambassadeur en Turquie pour officialiser une collaboration — tenue jusqu’à présent discrète — entre trois puissances majeures d’Asie centrale : la Russie, la Turquie et l’Iran. L’assassin d’Andreï Karlov, souhaitait, tel une guêpe, piquer au vif l’ours Russe, or la guêpe est morte sans que rien de tel ne se produise.

    Siégeant au centre, encadré par l’Iran et la Turquie, la Russie peut aujourd’hui proposer un plan de paix au Levant avec d’autant plus de facilité qu’elle est devenue l’arbitre de toute la zone. Andreï Karlov sera donc mort pour permettre le triomphe diplomatique des intérêts qu’il défendait si âprement. Tout se passe finalement comme si la pression financière et géopolitique exercée à l’encontre de la Russie l’amenait à se renforcer. Ceci ne concerne d’ailleurs pas exclusivement le domaine diplomatique. Hier, la France décidait de suspendre certaines exportations agricoles vers la Russie. Aujourd’hui la Russie, fortifiée par ce jeûne forcé, est en passe de redevenir la grande puissance agricole qu’elle avait été avant 1917 : ses exportations agricoles lui rapportent davantage que les ventes d’armes. Pour M. Obama, qui a soutenu avec une grande constance les groupes jihadistes du Moyen-Orient à l’encontre de la Russie, le bilan de la fin de règne est pour le moins amer : non seulement les États-Unis ont échoué à se rapprocher efficacement de l’Iran, mais encore, ils ont perdu leur seule carte maîtresse dans la région : la Turquie. Plus rien ne s’oppose donc à l’unification d’une Eurasie sous contrôle russe et chinois.

    Un diplomate a été assassiné hier. Sa mort sera l’acte de naissance du nouvel empire mongol."

    Michel Janva

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • Jean-Michel Vernochet - Syrie- Les journalistes ont vendu leur âme au diable!

  • Alep : la bataille de l’information fait rage

    (NOVOpress avec le Bulletin de réinformation de Radio Courtoisie)

    Le 15 décembre, le gouvernement syrien a repris les bombardements sur la dernière poche rebelle qui contrôle encore la zone Est d’Alep

    Condamnation unanime de par le monde : pour le ministre britannique de la Défense, « Il n’y a pas d’avenir pour le président Assad en Syrie », la France demande une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, la maire socialiste de Paris fait éteindre la Tour Eiffel, L’Express évoque Sarajevo et Marianne se demande : « Après Alep, comment peut on être démocrate ?».

    Et la source exclusive des médias de l’oligarchie est le dénommé « Observatoire syrien des droits de l’homme »

    Une officine basée à Londres. A sa tête, un homme seul, au parcours controversé, Rami Abdel Rahmane. Nombre de spécialistes considèrent cette ONG, subventionnée par le Qatar, l’Union européenne, ou encore le Congrès américain par l’intermédiaire du National Endowment for Democracy, comme un instrument de propagande favorable aux Frères musulmans.

    D’autres sources sont passées sous silence par la grosse presse

    C’est ainsi que lors d’une conférence de presse qu’il a tenue vendredi dernier, le représentant du Haut Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, Rupert Colville, a indiqué que l’ONU, n’ayant pu avoir accès à la zone, « ne dispose pas de preuves attestant que les militaires syriens auraient perpétré des atrocités sur les civils à Alep Est ». Ruppert Colville a précisé : « Certains civils qui tentent de s’enfuir sont apparemment bloqués par des groupes armés de l’opposition (…) notamment le front Fateh el Cham ». Et le diplomate de préciser que le front Fateh el Cham n’est autre que l’ex Front al Nosra, soit al Qaëda en Syrie. La Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie va dans le même sens, affirmant que des groupes rebelles se serviraient des civils comme boucliers humains.

    Les médias français opposent les gentils rebelles au méchant Bachar…

    Ils osent présenter le groupe « Ahrar al Sham » comme fréquentable, oubliant qu’il s’agit de salafistes armés par le Qatar et l’Arabie saoudite. Ils déplorent la défaite de la brigade turkmène « Sultan Mourad », armée par la Turquie et les Etats Unis. Or une récente vidéo mise en ligne sur l’Observatoire de l’islamisation donne une idée de la radicalité des chefs de cette brigade. Quant à « Fastaqim Kama Amrit », elle même fraction de l’Armée syrienne libre, et elle même armée par les Américains, elle professe un islam pur et dur. Des réalités que les médias préfèrent ignorer…

    http://fr.novopress.info/202400/alep-la-bataille-de-linformation-fait-rage/

  • GéoPôles N°10 La France face à la nouvelle géopolitique du monde actuel avec Bernard Antony

  • Qui a laissé Daech regrouper 5.000 djihadistes près de Palmyre… en passant inaperçus?

    Après avoir regroupé leurs forces, plus de 5000 djihadistes, dont certains en provenance de Mossoul, sont entrés dans Palmyre en utilisant des voitures piégées et des kamikazes. Le directeur de l'Institut des études stratégiques de Damas dévoile à Sputnik à qui sont les satellites et le matériel militaire qui leur ont permis d'entrer dans la ville. 
    Plus de 5 000 djihadistes, avançant dans trois directions, du nord, de l'est et du sud, sont entrés dans Palmyre, une cité reprise à Daech en mars 2016. La manœuvre de djihadistes est devenue possible notamment parce que les frappes de la coalition sur Raqqa ont été suspendues cette semaine.
    À l'heure actuelle, l'armée syrienne se trouve près de la ville, les forces gouvernementales ayant également réussi à évacuer la plupart des civils de Palmyre et se regrouper. Les troupes syriennes mènent en ce moment des combats défensifs et dans les heures qui viennent l’armée va passer à la contre-attaque, raconte à Sputnik le Dr Taleb Ibrahim, directeur adjoint de l'Institut des études stratégiques de Damas.
    Même si la plupart des civils ont été évacués par l’armée gouvernementale, il reste selon ses estimations entre 300 et 500 personnes sur place.
    D’où viennent ces 5 000 djihadistes? 
    Les terroristes se sont réunis près de Palmyre en provenance de lieux différents, y compris de Mossoul, une ville qui n'a d’ailleurs pas encore été reprise par la coalition menée par les États-Unis alors même qu'ils projetaient d'y lever le drapeau du vainqueur le 8 novembre, jour de l’élection américaine, et l'envisagent maintenant pour le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump. Du coup, détail intéressant pour les terroristes s’abritant dans Palmyre, la coalition a ouvert un corridor grâce auquel ils se sont retrouvés… justement dans Palmyre.
    Quant à l’attaque, elle a été soudaine selon le spécialiste. Près de 5 000 combattants de Daech sont entrés dans la ville et l’armée syrienne s'est montrée incapable de repousser l’attaque tout de suite, toutes ses forces étant centrées sur Alep.
    Mais le facteur principal de la défaite a été, selon Taleb Ibrahim, la stratégie de Daech: les djihadistes l’appellent « l’attaque des frelons ». Au début, ils forment de petits groupes pour ensuite entamer des séries d’attaques jusqu’à ce qu’ils prennent le contrôle de l’armée.
    Mais alors que Daech est confronté à au moins deux grandes offensives dans Mossoul, au nord de l’Irak et à Raqqa, la « capitale » des terroristes en Syrie, d’où viennent ces 5 000 combattants ? 
    « Je crois que Daech coopère avec le renseignement. Il y a quelques jours seulement, ils n'auraient pas pu organiser une telle offensive. Tout le monde sait que les Forces démocratiques syriennes s’apprêtaient à attaquer Raqqa. Alors, ils ont organisé une rencontre avec les représentants des États-Unis pour discuter d'un plan d’action. Et soudain, tout a été annulé et Daech a reçu le feu vert pour la prendre Palmyre. 
    Et d’ajouter: « Je pense que l'attaque contre Raqqa a été annulée suite à l’ordre de quelqu'un au sein des services de renseignement américain ou du Moyen-Orient ».
    « Entre 4 et 5 000 personnes ainsi que des centaines de chars et de matériel militaire ont été impliqués dans l’offensive. Mais c’était impossible à faire, car des avions, des satellites et d'autres outils d'observation de la coalition se trouvaient à Raqqa. Comment les combattant de Daech ont-ils réussi à passer inaperçus? Je suis sûr que Daech coopère avec la CIA et d'autres agences de renseignement au Moyen-Orient », conclut le directeur adjoint de l'Institut des études stratégiques de Damas. 
    Source
    http://www.oragesdacier.info/2016/12/qui-laisse-daech-regrouper-5000.html

  • Nicholas Spykman — Le père de la géopolitique américaine

    Entretien avec Olivier Zajec, directeur du cours de géopolitique de l’École de guerre, maître de conférences en science politique à l’Université Jean Moulin Lyon III.

    49NMowf7nL6D_gx6JLcNt5qw_FA.pngNicholas Spykman (1893-1943) a beau être l’un des plus grands noms de la géopolitique états-unienne — inspirateur de la stratégie d’endiguement sous la guerre froide —, un certain mystère entoure le personnage parti des Pays-Bas dans les années 1920 pour accoster outre-Atlantique. Nulle biographie n’était venue éclairer les contours de ce destin intellectuel. Une lacune qu’Olivier Zajec, maître de conférences à Lyon III, a brillamment comblée.

    [Ci-contre : couverture de la biographie consacrée à Nicholas J. Spykman qui a développé la théorie géopolitique du rimland censée garantir les équilibres du monde d’après-guerre. Cet ouvrahe, issu de sa thèse de doctorat, rappelle qu'au-delà de quelques topoï, peu de choses sont néanmoins approfondies le concernant. Une recherche bibliographique systématique permet d’établir que 80% de ses écrits n’ont pas été étudiés ; à la vérité, ils ne sont pas même connus. Il n’existe aucune biographie de Spykman à ce jour, même aux États-Unis, ce qui peut être regardé comme une anomalie, s’il est vraiment l’inspirateur du containment. Ce travail de recherche permet de combler une lacune de l’historiographie américaine, en réévaluant la place d’un théoricien central mais mal connu, à l’aide de nombreuses archives inédites. Cette thèse éclaire l’histoire de la formalisation de la théorie des Relations internationales aux États-Unis, et des rapports fonctionnels qu’entretient depuis ses origines la puissance américaine avec la notion polysémique de la “sécurité nationale”]

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    • En plus d’être passionnante, votre biographie intellectuelle du géopoliticien Spykman aborde son caractère, sa carrière d’agent secret, vous décrivez le dandy, l’aventurier, un homme à l’image des « Pikkendorff des romans de Jean Raspail ». Qui était-il réellement ?

    — OZ : Il y a deux Spykman. L’officiel, d’une part : un politiste de premier rang, éminent professeur de Yale, mentionné dans tous les manuels comme l’un des grands fondateurs anglo-saxons de la géopolitique, avec Mackinder et Mahan. Et puis il existe un Spykman inconnu, auquel personne ne s’était jamais intéressé, dont les traits sont extrêmement surprenants.

    Ce que l’on retient généralement du géopoliticien, c’est la théorie du rimland, les « terres du bord du monde » qu’il s’agirait de contrôler pour empêcher que ne se réalise le cauchemar des stratèges anglo-saxons, de Mackinder àBrzezinski, à savoir l’accès du Heartland continental eurasiatique à « l’océan mondial ». À la formule de Mackinder — « Qui contrôle l’Europe de l’Est domine le Heartland ; qui contrôle le Heartland. domine l’Île mondiale ; quiconque domine l’Île mondiale domine le monde » — répond le supposé renversement de perspective de Spykman, à la fois contradictoire et complémentaire, exprimé en des termes tout aussi définitifs : « Qui contrôle le rimland domine l’Eurasie. Qui domine l’Eurasie contrôle les destinées du monde ». Cette dernière formule met l’accent sur l’importance du potentiel de puissance des marges eurasiatiques, et sur la nécessité pour les États-Unis d’empêcher leur unification sous la férule d’une seule puissance, sous peine d’un “encerclement” du Nouveau Monde.

    Avec America’s Strategy in World Politics, livre publié en 1942 qui lui apporta la célébrité, Spykman a marqué le débat stratégique de manière profonde, en réfutant l’isolationnisme américain, et en se faisant l’avocat de la géographie politique comme nouvelle méthode d’analyse de politique étrangère. Dans ses écrits sur les origines de la guerre froide, Geoffrey R. Sloan juge que les enseignements de Spykman, mort en 1943, inspireraient le NSC 68, document d’orientation de la politique étrangère américaine rédigé en 1950 par Paul Nitze au National Security Council, et l’une des premières articulations militarisées du containment. La chute du Mur n’aurait pas mis fin à cette influence souterraine : l’importance des conceptions de Spykman a été rappelée lorsqu’il s’est agi pour les chercheurs d’analyser la vision géopolitique des intellectuels néo-conservateurs entre 2000 et 2008. On aurait tort de croire que les théories dites de “l’endiguement” appartiennent au temps révolu de la guerre froide. La crise ukrainienne de 2014, les déclarations d’Obama en avril 2016 à propos d’un “front” qui passerait de nouveau entre Europe de l’Est et la Russie, les manœuvres américaines actuelles de contention géo-économique aux extrémités du rimland eurasiatique (partenariats de libre-échange transpacifique et éventuellement transatlantique, destinés à bloquer Chine et Russie) donnent une actualité évidente à ce schéma géopolitique.

    Quoi qu’il en soit, le deuxième Spykman, que je m’attache à faire apparaître, nuance très fortement le simplisme de ce premier portrait. C’est là que se justifie la comparaison avec les Pikkendorf des romans de Raspail, dont la devise est « Je suis d’abord mes propres pas ». Ancien journaliste, un temps agent de renseignement aux Indes néerlandaises, sociologue, polyglotte, globe-trotter, caustique et brillant, Spykman est, foncièrement, un original. C’est surtout un penseur profond. Pour le comprendre, il faut éclairer ce qui était resté dans l’ombre, c’est-à-dire la période inaugurale de sa vie, une parenthèse néerlandaise et cosmopolite de trois décennies qui s’étend de 1893 à 1928, date de sa naturalisation américaine. Avant d’aborder aux rivages de Californie, un matin de 1920, pour s’inscrire en thèse de sociologie à Berkeley, Spykman a arpenté le monde, de la Vieille Europe aux Indes néerlandaises en passant par l’Égypte. Cela lui donne une connaissance de la complexité du monde qui le placera en marge du milieu universitaire américain de l’entre-deux-guerres.

    Contrairement à ce que l’on a pu écrire, Spykman ne correspond pas du tout au troisième âge de la géopolitique selon la classification de John Agnew, celui de l’ère idéologique. Mackinder et lui ne sont pas seulement différents ; ils sont opposés. La théorie de l’histoire de Mackinder repose sur une opposition métaphysique surplombante entre Terre et Mer, et tend vers la bipolarité. La théorie sociale de Spykman, issue de sa thèse de doctorat consacrée en 1923 au sociologue allemand Georg Simmel, s’apparente à une sociologie des relations internationales centrée sur l’équilibre des voisinages régionaux, et tend vers l’oligopolarité. Par ailleurs, Spykman est anti-messianique et opposé aux croisades exceptionnalistes américaines. Dans le domaine de la “géopolitique” comme de la théorie des relations internationales, tout se passe comme s’il proposait une vision anticipée, non de la parenthèse politico-idéologique que l’histoire baptisera “bipolarisme”, mais bien du multipolarisme actuel.

    • Comment expliquez-vous qu’aucune biographie pas même aux États-Unis, n’a jamais été consacré à Nicholas Spykman, alors qu’il est considéré comme l’un des pères de la géopolitique américaine ?

    Si Spykman est aussi important — ne serait-ce que par son lien avec le containment —, il est effectivement étonnant qu’en 70 ans, nul n’ait jamais fait le lien entre le parcours personnel, la structure intellectuelle et la formalisation progressive des théories de ce Néerlandais né en 1893 et naturalisé Américain en 1928 seulement. Cette situation incongrue s’explique par la sociologie de la recherche universitaire. Qu’est-ce qui rend souvent intéressante — ou du moins visible — une thèse d’histoire ? Le plus souvent, l’existence attestée d’un fond d’archive inédit. Le chercheur sait qu’en “plantant un drapeau” sur cette source, il s’assurera d’un intérêt de la part de ses pairs et — s’il a de la chance et un certain talent de conteur — d’un éditeur et de quelques lecteurs. Or, il n’existe aucun “fonds Spykman” répertorié en tant que tel. Ni à Yale. ou il enseigna durant dix-neuf années. ni à Berkeley ou il étudia et enseigna trois ans et passa son doctorat, ni à Chicago ou il fit publier sa thèse, ni dans aucune autre institution, ce que j’ai méthodiquement vérifié. Sa bibliothèque, confiée par sa veuve Elisabeth à l’université Yale, a été peu à peu dispersée. II faut sans doute imputer à ce manque cruel de sources primaires le fait que personne ne se soit jusqu’ici essaye à bâtir une biographie de Spykman, y compris aux États-Unis ou aux Pays-Bas, son pays d’origine. Tout simplement, le rapport coût-bénéfice aurait été trop défavorable. Il est assez épuisant de courir après les fantômes…

    • Dans ce cas, pourquoi vous êtes-vous engagé dans cette entreprise ? Sur quelles sources vous êtes-vous appuyé ?

    Il y a dix ans, alors que je travaillais dans un cabinet de conseil privé spécialisé dans le domaine de la défense, j’ai été amené à collaborer avec Hervé Coutau-Bégarie, directeur d’études à l’École pratique des hautes études dans le cadre de la revue Stratégique, puis à reprendre à sa demande une partie de ses cours de stratégie à l’École de guerre. C’était un plaisir permanent de discuter avec ce savant, qui est devenu un ami. Coutau-Bégarie joignait à une érudition époustouflante une réelle gentillesse et une vraie modestie, chose rare dans l’Université. Il s’était mis en tête que je réalise une thèse sous sa direction. Je n’avais de mon côté aucune intention de suivre la voie universitaire. J’ai éludé pendant plus de trois ans. Mais il pouvait être très insistant. Un jour, j’ai fini par céder, en me disant que cela m’occuperait — le conseil peut être monotone — mais je lui ai demandé de me donner un sujet “difficile”. Il a alors sorti de ses armoires un petit dossier froissé, extrêmement mince, timbré de l’étiquette “N. J. Spykman, 1893-1943”. Puis il m’a dit à peu près la chose suivante : « Vu le nombre de biographies “inédites” de Jeanne d’Arc, de Napoléon et de Louis XIV commises par nos collègues américains, il ne serait pas illogique de leur renvoyer la pareille concernant l’une de leurs figures majeures, en l’occurrence l’inspirateur du modèle géopolitique de l’endiguement ». Cette haute ambition, exprimée en des termes assurés, emporta mon adhésion. Mais après avoir accepté, mon étonnement fut sans borne lorsqu’à ma question de pure forme relative à la localisation des archives de ce Nicholas Spykman, il me répondit avec onction… qu’on les cherchait précisément depuis 50 ans. Et sans succès. Sur quoi, après m’avoir rappelé que Napoléon ne demandait qu’une seule chose à ses généraux — « qu’ils eussent de la chance » — il mit fin à l’entretien avec un petit sourire agaçant. C’était au printemps de 2000. Ce fut le début d’un engrenage à accélération rapide. En grec, histoire signifie “enquête”, on le sait depuis Hérodote. Mais jamais, jusqu’alors, je n’avais véritablement saisi à quel point cette étymologie est douloureusement réelle…

    Pour ce qui est des sources, ma chance a été de retrouver, après un jeu de piste assez long, la trace de la famille de Nicholas Spykman, c’est-à-dire de ses deux filles, Angelica et Patricia, âgées de 6 et 8 ans lorsque leur père disparut en 1943. Elles ont bien voulu ne pas se laisser rebuter par la demande étrange d’un Français inconnu, et m’ont reçu extrêmement gentiment chez elles, près de New Haven dans le Connecticut. C’était la première fois qu’elles confiaient ainsi leurs souvenirs et leurs archives sur leur père, ce qui m’a permis de mettre en lumière des épisodes inconnus du parcours de Spykman, de sa jeunesse hollandaise à sa carrière de créateur et directeur du département des Relations internationales de l’université Yale. De mon côté, grâce à l’exploitation d’autres archives dispersées, j’en suis arrivé à révéler à ses filles un certain nombre d’épisodes de la vie de leur père qu’elles ignoraient à peu près complètement.

    Mais l’aspect le plus étrange de cette recherche est d’ordre personnel. Car si j’ai littéralement eu l’impression de redonner vie à ce personnage, il se trouve qu’en contrepartie il a changé la mienne : en trois ans et demi, entraîné par mes recherches, j’ai passé l’agrégation externe d’histoire en candidat libre, soutenu ma thèse, démissionné du privé et suis devenu maître de conférences en science politique et relations internationales à l’université de Lyon III. Comme quoi, soutenir un pari intellectuel avec Hervé Coutau-Bégarie peut mener assez loin. Ce dernier est mort en 2012, sans avoir lu la fin de cette recherche, mais compte tenu du résultat, qui est que les Américains redécouvriront Spykman en français, il s’amuse sans doute là-haut…

    • Vous écrivez que Spykman était beaucoup plus théoricien des relations internationales que géopoliticien et autant sociologue que politiste. Pourquoi ne pas vouloir définir comme un géopoliticien ? Pour le dédouaner de ses influences trop “allemandes” ?

    Non. Il n’y a pas lieu de dédouaner qui que ce soit, et par ailleurs, le déterminisme que l’on prête à Haushofer et Ratzel a largement été surévalué. Spykman a bien été influencé par les Allemands… mais pas ceux qu’on croit ! La clé, c’est véritablement sa thèse de sociologie sur Georg Simmel, écrite en 1923. Spykman a été l’un des premiers à s’intéresser vraiment aux cinq propriétés spatiales spécifiques du chapitre IX de la grande œuvre de Simmel,Soziologie, publiée en 1907 : l’exclusivité, la limite ou frontière, la localisation, la distance et la mobilité. La question — centrale selon moi — est bien de comprendre comment, tout au long de sa carrière, le futur “géopoliticien” Spykman assimile cette intelligence des distances socio-spatiales. Et je pense montrer que dans son œuvre géopolitique, on ne cesse précisément de retrouver en filigrane les rémanences de cette imprégnation. Pour moi, la géopolitique de Spykman tendait donc, dès sa conception des années 1920, vers ce que l’on pourrait appeler une géo-sociologie, et non une géopolitique organiciste de type ratzélien. La géopolitique n’est pas pour lui une science, mais une méthode d’approche, un révélateur de régularités signifiantes dans la trame des interactions homme-environnement. Pour comprendre cette originalité, il fallait confronter le parcours du “premier Spykman” (le plus connu, celui de Yale, que l’on a associé un peu vite à l’endiguement) et celui d’Amsterdam et de Berkeley, le sociologue, qui était resté inconnu.

    • “Immoral”, “défaitiste”, les noms d’oiseaux n’ont pas manqué à la parution, en 1942, de La stratégie de l’Amérique dans la politique mondiale. Pourquoi cette hostilité ?

    En proposant ses analyses géopolitiques fondées sur la nécessité d’un équilibre régionalisé des puissances mondiales, Spykman a été très imprudent, parce qu’il a sous-évalué la passion du manichéisme moral propre à sa nouvelle patrie. C’est ce que montre par exemple la condamnation sans appel de Ladis Kristof, professeur à l’Université de Chicago, qui revient en 1960 sur les origines de la géopolitique : selon lui, America’s Strategy in World Politics « valut à son auteur le titre mérité de Haushofer américain — non tant à cause du sujet traité qu’en raison de l’esprit qui l’animait. De fait, Spykman pulvérise tous les records de Haushofer en matière d’immoralité ».

    En réalité, Spykman est très différent des géopoliticiens allemands, mais son réalisme tranché suffira à rendre furieux certains analystes américains, qui retiendront surtout les passages où il dénonce le moralisme aveugle qui caractérise parfois la psyché stratégique américaine. L’agnostique Néerlandais touchait à quelque chose de profondément enfoui dans l’inconscient politico-philosophique américain : la conviction d’une destinée manifeste, la bonne conscience morale et facilement moralisante justifiée par le “fardeau de guider le monde libre confié par Dieu aux États-Unis”, revendication entraînant une relative difficulté à comprendre en profondeur la complexité des cultures, de l’histoire et du réel chez les autres peuples. Ce crime de lèse-majesté, “unamerican”, de la part d’un naturalisé de fraîche date, lui vaudra un procès d’amoralisme foncier.

    On lui reprochera d’acclimater aux États-Unis, sous couvert de géopolitique, la logique de la Machtpolitikbismarckienne et le pessimisme de Hobbes. En fait, le réalisme de Spykman doit moins à une théorie de la nature humaine — importée dans le nouveau Monde par les réfugiés des années 1930 — qu’à un empirisme tempéré par la sociologie historique, la longue durée et le sens du tragique. Spykman est un Néerlandais cosmopolite, un Européen universel, au sens quasi-XVIIIe de cette expression. Et il est arrive aux États-Unis en 1920 : il ne fuyait aucune persécution, contrairement à la vague plus tardive des intellectuels réfugiés aux États-Unis, de Morgenthau à Knorr en passant par Kissinger. Il faudrait sans doute différencier “émigrés” et “réfugiés” pour y voir plus clair. On peut admettre que Nicholas Spykman (le Spykman “réel”, et non l’avatar longtemps figé par l’historiographie du réalisme classique) représente une sensibilité très singulière à l’intérieur même du réalisme américain de l’entre-deux-guerres.

    • Que reste-t-il aujourd’hui de ce “géant de la géopolitique” ?

    Que reste-t-il de Spykman ? Pour moi, une synthèse extrêmement originale qui nous permet de mieux penser la politique étrangère et la notion de puissance. La vision de Spykman est en effet celle d’un équilibre entre société internationale et anarchie internationale. Selon lui, l’État, même dans le cadre d’une structure de coopération, ne doit jamais se placer volontairement à la merci d’autres acteurs : il faut être puissant pour être protégé, ou se résigner à être protégé par un puissant. S’il le faut, Spykman écrit et proclame qu’à la soumission il faut préférer la guerre, mais que cette dernière doit rester une option extrême.

    C’est pourquoi la structure de coopération géopolitique qu’il recommande aux États-Unis en Eurasie doit s’organiser selon des configurations spatiales qui puissent déboucher sur une coalescence sociale suffisamment dense et fluide pour engendrer un équilibre pacificateur. Logiquement, il ancre son “régionalisme” dans ce rapport dialectique agi par les fonctions socio-spatiales de distance et de nombre, faisant écho au deuxième chapitre de Soziologie, où Simmel pose que la question des nombres dans un groupe détermine la solidité de ce dernier. Trop de membres, ou des membres trop distants géographiquement et culturellement, et l’affectio societatis s’affaiblit.

    C’est ce que ne comprennent pas les thuriféraires des “élargissements” jumeaux de l’OTAN et de l’UE. En s’insinuant dans tous les débats européens, en divisant le continent entre Vieille et Nouvelle Europe par le biais d’une politique dépassée d’opposition et de provocation envers la Russie, les Américains ne se contentent pas de participer aux équilibres du rimland européen, comme le recommandait Spykman, mais organisent tout au contraire le déséquilibre du Vieux Monde, pour mieux y conforter une hégémonie dangereuse. Protestant contre le traitement hostile réservé à Spykman, John Chamberlain écrivait en 1942 :

    « Le livre du professeur Spykman, qui aurait pu s’intituler L’Écologie des nations, suggère que la vraie sagesse en matière de plans de paix consiste à équilibrer les forces des membres de groupements régionaux. […] L’avantage le plus évident de ce livre est son rappel que les plans de paix à venir devront être fondés sur un modus vivendi qui devra satisfaire les aspirations diverses des Russes, des Chinois et des Indiens autant que celles des Anglo-Saxons. Tout ceci entraîne la nécessité d’un nouveau système de Metternich à l’échelle du globe, avec un équilibre de puissance de niveau régional comme fondement ».

    La guerre froide gèlera la question. Mais en 1991, alors que cet équilibre général aurait pu être reforgé, les États-Unis, influencés par des penseurs comme Brzezinski, choisiront Mackinder plutôt que Spykman et tenteront, à l’encontre de toutes les leçons de ce dernier, de prolonger leur hégémonie en contenant Chine, Russie, et en continuant à confondre leur culture propre et le sens de l’Histoire.

    Le New “World Order” est resté un “New World” Order : nous sommes encore prisonniers de ce schéma. L’étude et la découverte de Spykman peuvent permettre aux Européens d’aujourd’hui de comprendre qu’il existe d’autres voies géopolitiques d’équilibrage et de puissance. D’autres voies d’autonomie. À eux de les saisir. Ou d’autres le feront. L’actuel Premier ministre turc, Ahmet Davutoglü, passionné de géopolitique, a étudié et commenté Spykman. À la manière dont la Sublime Porte manœuvre les négociateurs européens, je me dis qu’il n’a pas oublié ses lectures.

    ♦ Olivier Zajec, Nicholas John Spykman, L’invention de la géopolitique américaine, PUPS (Presses de l’Université Paris-Sorbonne), 604 p., 29 €.

    ► Propos recueillis par Pascal Eysseric, éléments n°160, 2016.

    [magazine bimestriel actuellement disponible en kiosque ou via leur site]

    ♦ Sur l'auteur : Olivier Zajec, 38 ans, est maître de conférences en science politique à l'université Jean Moulin Lyon III. Saint-cyrien, diplômé de Science-Po Paris, agrégé et docteur en histoire (Paris IV, 2013), il est directeur du Cours de géopolitique de l’École de guerre (Direction de l'enseignement militaire supérieur) depuis 2011, où il enseigne également la théorie de la stratégie.

    Ses recherches portent sur la stratégie et la guerre, la transformation des appareils militaires des grandes puissances, les politiques et stratégies nucléaires, la géopolitique théorique, et le réalisme classique en théorie des relations internationales. Voir cette conférence filmée sur la défense française.

    Il a notamment publié : Les secrets de la Géopolitique (Tempora, 2008) [recension] [consultation] [version numérique], La Nouvelle Impuissance américaine : Essai sur dix années d’autodissolution stratégique (Éd. de l’Œuvre, 2011) [recension 1 / recension 2], Introduction à l'analyse géopolitique (Argos, 2013) [recension].

    Cf. aussi son article : « “Je ne crois pas que l’on puisse diviser le monde en bons et en méchants” : Nicholas Spykman et l’influence réelle du codage géopolitique sur la stratégie américaine de containment », in : Relations internationales n°162, 2015.

    http://www.archiveseroe.eu/recent/11

  • Irak : de la chute de Saddam Hussein à l’Etat islamique

    Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, l’Irak a été traversée par de nombreuses crises qui ont menacé son existence. De l’intervention américaine à l’Etat Islamique, en passant par les guerres confessionnelles, ce pays a dû faire face depuis plus de 13 ans à de nombreux défis. Comment expliquer cette succession d’évènements cruciaux pour l’avenir de l’Irak et la stabilité du Moyen-Orient ? Georges Malbrunot, Karim Pakzad, et Wassim Nasr apportent des éléments de réponse.

    Source : Bycome

    http://www.contre-info.com/