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international - Page 1340

  • Syrie, l'interminable guerre d'usure

    La grande offensive décisive de la rébellion se fait attendre. Après dix- huit mois d'empoignade, Assad tient bon. Damas et Alep, les deux seules villes qui comptent, restent siennes. L'insurrection ne parvient pas à l'acculer dans les cordes ; pourtant, depuis des mois, les médias occidentaux affirment que « l'infâme dictateur qui fait tirer sur son peuple » est à bout de souffle.
    Les succès de l'armée ces mois derniers ont été fatals à nombre des cadres de la rébellion syrienne, qui, en dépit du soutien logistique de l'Otan, ont échoué dans leur tentative d'organiser militairement la paysannerie et le « lumpenprolétariat » syriens.
    La configuration est la suivante : paysans et va-nu-pieds des bidonvilles contre citadins. Répétons-le, la révolution qui s'est déclenchée en Syrie ne fédère pas l'ensemble du peuple, c'est une révolte du bas peuple sunnite paupérisé qui cherche sa revanche sur ses oppresseurs alaouites. Le rêve des insurgés n'est pas d'établir la démocratie, mais un régime théocratique du genre de celui de l'Arabie Saoudite, avec la douce satisfaction de voir réduits au statut de citoyens de second rang les non mahométans. C'est dans cette perspective que la jeunesse sunnite rurale est parti à la chasse aux alaouites et aux chiites des grandes villes.
    Le fanatisme religieux prospère sur le terreau de la pauvreté
    On l'a compris, en Syrie comme ailleurs, le fanatisme religieux prospère sur le terreau de la pauvreté. La crise économique a exacerbé l'état de vulnérabilité dans lequel vivaient déjà des dizaines de milliers de paysans, d'éleveurs et de bergers qui subissent des épisodes récurrents de sécheresses à répétition. Le régime et son train de vie, son étalage obscène de richesses clinquantes (immeubles, automobiles etc..) rend fous les miséreux, en nombre croissant, qui ne supportent plus d'être humiliés et opprimés par la mafia de possédants qui gravite autour du clan et de l'appareil répressif de l'État. Une situation d'autant plus insupportable que les accapareurs sont, aux yeux des croyants de bonne obédience sunnite, des mauvais musulmans, voire des non musulmans.
    L'insurrection perdure parce qu'elle s'appuie sur déjeunes ruraux indignés. Il s'agit de déclassés incultes qui estiment n'avoir rien à perdre. Obéissant au fanatisme religieux, et aussi à des dynamiques claniques et familiales, ils mènent un rude mais exaltant combat sous les ordres de petits notables dépourvus d'expérience militaire. Le fait que les insurgés bénéficient de matériel infrarouge et des observations satellites fournies en sous main par Français et Américains ne change pas la donne. Ces informations facilitent seulement embuscades et « retraits tactiques ». Parfois, elles permettent de pirater les communications de l'armée en émettant des faux ordres, générateurs de confusion et de zizanie dans le camp loyaliste.
    Le fait est que l'opposition armée des damnés des campagnes, des bourgades et des bidonvilles n'a pas suscité un mouvement de soutien en sa faveur dans les bourgeoisies commerçantes d'Alep et de Damas. Soit elles demeurent dans l'expectative, soit elles soutiennent le régime. Alep n'est pas coupée de Damas. Des bus font le trajet, mais sont parfois forcés à de longs détours. Les aéroports du pays sont toujours sous contrôle du pouvoir, ainsi que les ports. Les périphéries immédiates des deux grandes villes sont sécurisées grâce au quadrillage des rues par les meilleures unités, qui emploient les matériels les plus sophistiqués. Ainsi les garnisons loyalistes tiennent bon face aux assauts et parviennent à éviter que des enclaves insurgées ne s'organisent.
    Dans cette empoignade pour le contrôle de Damas et d'Alep, les deux parties ne font aucun quartier. Si les horreurs commises par l'armée et les forces de sécurité syriennes - sans oublier les milices de supplétifs - sont largement évoquées par la presse internationale, les mises en causes sont beaucoup plus rares concernant les exactions de la rébellion : attentats à la voiture piégée, implication contre leur gré de celles et ceux qui désirent demeurer en dehors du conflit, attaques armées contre des villages kurdes, interdiction aux citadins de quitter leurs quartiers alors que des bombardements sont imminents...
    Les pertes des insurgés sont énormes, mais ils sont constamment réalimentés en chair à canon par le vivier quasi inépuisable que constituent les innombrables mouvements islamistes de la planète. Depuis le Qatar jusqu'à la Turquie, en passant par la Libye et même par les banlieues françaises, les volontaires pour le djihad arrivent en renfort, pour combattre les « mécréants » et, au besoin, mourir pour la sainte cause du Prophète.
    Le régime n'est pas au bout du rouleau
    Face à ces excités, peut-être bien renseignés par l'Otan, mais mal commandés sur le terrain, les pertes de l'armée sont faibles mais encore trop nombreuses, car, dans le camp loyaliste, la réserve n'est pas inépuisable. Le régime emploie cependant des milliers de mercenaires du hezbollah libanais en plus de centaines de gardiens de la révolution iranienne déjà venus prêter main-forte.
    En dépit de ces renforts, la plupart des observateurs sont convaincus que le régime d'Assad finira sous peu par tomber, ce qui est douteux. Si l'on prend comme exemple le plus proche la guerre en Algérie opposant le pouvoir en place au FIS/GIA, qui a fait 150000 morts en 13 ans pour une population de 35 millions d'habitants, on se demande combien de morts fera celle de Syrie pour une population de 23 millions, avec un apport de djihadistes étrangers beaucoup plus important qu'en Algérie et de nombreux combats urbains, qui étaient chose rare en Algérie...
    Dans cette guerre civile asymétrique : aviation, chars et artillerie d'un côté (mais peu d'infanterie), armes légères, masses inépuisables d'insurgés paysans et de volontaires fanatiques de l'autre, la victoire sera au plus endurant. Pour les insurgés ce n'est pas gagné. Assad peut mener une guerre d'usure et tenir encore des mois, voire plusieurs années, tant que son armée ne se désagrège pas.
    Henri Malfilatre monde & vie  10 novembre 2012

  • Cohn-Bendit claque la porte d'Europe Écologie-Les Verts

    Daniel Cohn-Bendit a annoncé ce vendredi 7 décembre avoir quitté Europe Écologie-Les Verts (EELV), mais continue de payer ses cotisations au mouvement français. Il reste coprésident des Verts au Parlement européen. Depuis des mois, « Dany le rouge » exprimait ses divergences avec le mouvement qu’il a co-fondé.
    L’eurodéputé a repris sa totale indépendance. Plus question pour lui de parler au nom d’Europe Écologie. C’est vrai que rien ne va plus depuis plus d’un an entre le fondateur d’Europe Écologie et son parti. La ligne du mouvement, Daniel Cohn-Bendit la critique sans prendre de pincettes. 
    Pour le leader de mai 68, EELV oublie ses fondamentaux : l’Europe et l’environnement pour se recroqueviller, dit-il, sur l’espace politique des Verts, des sujets sociétaux comme la République exemplaire ou les sans-papiers. Ce malentendu, s'est renforcé encore avec la campagne d'Eva Joly. En privé, Daniel Cohn-Bendit se montrait sévère : "Une mauvaise candidate, une mauvaise campagne."
    Le fossé s'est encore creusé. L’eurodéputé qui ne met jamais sa langue dans sa poche, était furieux cet automne du vote du parti contre la ratification du traité budgétaire européen. L’ex-leader de mai 68 avait eu cette phrase : « Tout ce qu'on peut dire de méchant sur les partis politiques, c'est vrai. Ce sont des monstres ».
    « Schroumpf grognon », comme le surnomme Cécile Duflot, garde quand même un pied dans la vie politique : il reste co-président des verts au Parlement européen.

    Avec RFI http://www.francepresseinfos.com/

  • “La guerre des ruines. Archéologie et géopolitique”, J.-P. Payot, Paris, Choiseul

    S’appuyant d’abord sur ses observations de terrain, le Recteur Gérard-François Dumont présente le livre de Jean-Pierre Payot, La guerre des ruines. Archéologie et géopolitique, Paris, Choiseul.
    Ce livre montre à quel point l’archéologie peut être prise au piège d’intentions qui souvent la dépassent. Illustré par de nombreux exemples, l’ouvrage innove par son exploration de cette face peu explorée de l’archéologie qu’est sa dimension géopolitique.
    NAGORNO KARABAGH, région à majorité arménienne que les Soviétiques ont attribué à l’Azerbaïdjan. Les quatre ans de guerre 1990-1994 se sont apaisés jusqu’à un cessez-le-feu toujours provisoire. À l’est de ce territoire, dans la partie située avant la ligne de cessez-le-feu, dans les années 2000, une fondation arménienne privée finance des fouilles archéologiques. Elles débouchent sur la découverte d’une très ancienne ville arménienne, Tigranakert, attestant de l’ancienneté de la présence arménienne dans cette région. Un argument de poids pour les Arméniens qui veulent que le Nagorno Karabakh ne relève pas à 100% de la souveraineté azerbaïdjanaise. Ce seul exemple montre les interactions possibles entre archéologie et géopolitique.
    Mais on peut aussi faire référence des images qui parfois envahissent notre petit écran. Des chars au beau milieu de ruines, des sommets au cours desquels des représentants de pays réclament à d’autres la restitution de vestiges, des foules en révolte contre un chantier de fouilles ou détruisant un monument au nom de leur dieu ou de leur idéologie… Autant de faits qui relèvent de la géopolitique. Autant d’événements qui relient de manière évidente deux disciplines qui, a priori,  n’ont guère en commun et qui, pourtant, ne sont pas si éloignées l’une de l’autre. Tout le mérite de l’ouvrage intitulé La guerre des ruines est de mettre en perspective les liens fondamentaux entre archéologie et géopolitique. Multipliant les exemples, présentés de manière vivante et choisis sur tous les continents, l’auteur met en perspective les multiples usages de l’archéologie à des fins géopolitiques.
    Un phénomène ancien
    Dans l’Antiquité déjà, un certain nombre de souverains n’ignoraient pas les possibilités qu’offrait à leur pouvoir une utilisation subtile de l’archéologie. Les Babyloniens savaient à quel point l’investissement symbolique dans le patrimoine archéologique pouvait servir leurs desseins géopolitiques. Autre exemple, les empereurs de Rome n’hésitèrent pas à construire leurs palais à l’endroit même où Romulus, le fondateur légendaire, avait, selon la tradition, construit le sien. Ainsi le peuple romain était-il avisé de la continuité, inscrite dans le territoire, du pouvoir légitime.
    L’époque contemporaine, avec son cortège de régimes totalitaires, n’a pas manqué, à son tour, d’instrumentaliser les ruines à des fins géopolitiques. De nombreux archéologues nazis ont, en effet, été sollicités pour apporter des preuves matérielles à la construction de « l’espace vital » cher à l’idéologie de Hitler.
    Le Moyen-Orient : une région emblématique
    Toutefois, les liens archéologie-géopolitique semblent prendre de nos jours une ampleur particulière dans certaines régions du globe marquées par des conflits récurrents. Le Moyen-Orient est emblématique d’un type de manipulation de l’archéologie souvent « détournée » de sa visée scientifique. Dans cette partie du monde, l’enjeu est tel que l’archéologie peut difficilement conserver son caractère neutre. Le nationalisme, largement entretenu par des régimes autoritaires, comme des religions plus ou moins militantes, entretiennent à l’égard du patrimoine archéologique, des liens forts qui aboutissent à placer l’archéologie au cœur des enjeux géopolitiques. Parfois, la guerre vient compliquer le jeu. De nombreux monuments peuvent être pris en otage par telle ou telle partie. Leur destin est alors fonction de stratégies ou d’intérêts le plus souvent idéologiques. Par exemple, en Afghanistan, comment expliquer la destruction des Bouddhas de Bâmyân sinon par la volonté des Talibans d’affirmer de manière spectaculaire leur contrôle sur le territoire ? Ici, religion et politique sont étroitement mêlées. Il en va de même en Palestine géographique, et en particulier à Jérusalem, où patrimoine culturel et archéologie sont l’objet de tensions sans cesse renouvelées. Or, derrière cette « guerre des ruines », se profile la question de la légitimité de l’existence même de l’Etat d’Israël.
    Trafic et restitution des vestiges
    Plus modestement, mais non moins éclairante, est la situation des innombrables artefacts qui circulent, souvent de manière illicite, dans le monde. Le trafic des objets archéologiques est, lui aussi, révélateur d’enjeux de nature géopolitique. Le pillage des musées qui accompagne certains conflits, ou la prédation organisée de patrimoines nationaux dans certains pays du Sud reviennent en effet à priver les États concernés de la possession de pans entiers de leur identité.
    Aussi, les demandes de restitutions, fréquemment à l’ordre du jour, témoignent-elles de la volonté de certains pays de remodeler leur image sur la scène internationale. La Chine, par exemple, est de plus en plus pressée de recouvrer la possession légale d’objets qui lui ont été subtilisés à une époque où elle n’était guère en mesure de s’y opposer…
    Archéologie et justice internationale
    Le XXe siècle a été marqué par des épisodes criminels contre des groupes humains, dont certains sont reconnus comme des génocides. Derrière ces événements dramatiques, se dessine en particulier l’univers macabre des charniers. Des charniers qui, après les conflits qui les ont provoqués, constituent, aux yeux de la justice internationale en charge de poursuivre leurs auteurs, autant d’éléments propres à déterminer la part de chacun dans les responsabilités des massacres. Or, dans ce cadre, l’archéologie intervient a posteriori. En usant des mêmes techniques que pour des fouilles classiques, les archéologues, auxiliaires précieux des médecins légistes, arrivent à reconstituer avec précision les circonstances des crimes. Leurs découvertes aident à « dire le droit » et apportent ainsi leur contribution dans l’analyse des termes géopolitiques qui ont présidé au déclenchement des génocides ainsi qu’à leur mise en oeuvre.
    Le livre La guerre des ruines montre à quel point l’archéologie peut être prise au piège d’intentions qui souvent la dépassent. Illustré par de nombreux exemples, l’ouvrage innove par son exploration de cette face peu explorée de l’archéologie qu’est sa dimension géopolitique.
    Par Gérard-François DUMONT*, le 12 novembre 2010
    * Recteur, Professeur à l’Université de Paris IV-Sorbonne, Président de la revue Population et Avenir, www.population-demographie.org.

  • Pierre Hillard "Les progressions du Nouvel Ordre Mondial", interview Eurrasianfinance

  • L’implication de l’OTAN dans le conflit syrien est évidente

    Le déploiement de missiles sol-air Patriot-II MIM-104 PAC-3 à la frontière turco-syrienne témoigne du début de l’implication de l’OTAN dans le conflit syrien, comme l’a indiqué vendredi Alexandre Grouchko, délégué permanent russe auprès de l’Alliance.

    « Ce déploiement est un premier pas qui montre que l’OTAN s’implique finalement dans le conflit, et il n’est pas à exclure que cette implication s’accentue, suite à un incident ou une provocation quelconque », a déclaré le diplomate lors d’un duplex Moscou-Bruxelles organisé par RIA Novosti.

    Membre de l’OTAN, la Turquie a officiellement demandé à l’Alliance le 21 novembre dernier de lui fournir des missiles sol-air Patriot pour protéger sa frontière de 900 km avec la Syrie. La décision de déployer des Patriot-II à la frontière turco-syrienne a, de fait, été adoptée le 4 décembre par le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Alliance. Conformément à cette décision, deux batteries de Patriot-II seront fournies à la Turquie par l’Allemagne, et la troisième par les Pays-Bas.

  • Afghanistan : comme un arrière-goût de Vietnam (arch 2011)

    Ils doivent être quelques dizaines de milliers d'anciens combattants jadis rapatriés de Saigon dans les fourgons de l'amertume à trouver que l' "afghanisation" de la guerre, dont on nous chante maintenant les louanges, ressemble de plus en plus à la "vietnamisation" du conflit qu'ils ont connue voici une quarantaine d'années - les rizières en moins, les montagnes en plus. Même cynisme de la Maison Blanche, même gesticulations politiciennes, même soumission des galonnés. Et nous devons être encore quelques poignées dans les salles de rédaction, aux États-Unis, en France ou ailleurs, à nous souvenir plus que jamais de ces terribles années de repli psychologique, sentimental, militaire qui se frayèrent un chemin à travers l'abandon d'une mission, des négociations bâclées, un retour de vaincus jusqu'à l'oubli des braves et la paix des cimetières. Curieux comme de loin toutes les guerres se ressemblent : sans doute cette féroce odeur de cendre qui recouvre tout, qui pénètre partout, qui est la même sur toutes les terres remuées avec leurs fantômes sortis du même moule. Bien sûr, Obama n'est pas Nixon. Le rustique tribalisme de la société afghane se trouve à l'opposé du subtil cloisonnement des classes vietnamiennes ; le président Karzai n'a rien de commun avec le président Thieu ; aucun trait ne pourrait rapprocher les gueux traîneurs de Kalachnikov dans d'impériaux défilés rocheux et les souples maraudeurs asiates des mystérieuses plaines inondées ; enfin, qui oserait mettre en parallèle les Talibans et le Viêt-Cong ? D'ailleurs, l'essentiel n'est pas là. Si toutes les guerres ne se ressemblent que de loin, de près, certaines, étrangement, se rejoignent. Depuis quelques jours, le spectre du Vietnam recouvre l'Afghanistan.
    Il est vrai qu'Obama se surprend à rejoindre Nixon lorsque celui-ci, aux tout premiers mois de 1970, décida de retirer de l'embrasement vietnamien les grandes et lourdes unités que le Pentagone avait mises en place au cours du dernier tiers des années soixante. Il s'agissait à l'époque de centaines de milliers de soldats dotés d'un matériel considérable sur lesquels s'était brisée l'offensive nordiste du Têt en 1968. Appuyé par ses conseillers, Nixon estima alors que son allié local contre l'expansionnisme communiste avait réalisé suffisamment de progrès dans beaucoup de domaines (entraînement, tactique, équipement) pour autoriser, sans trop de risques apparents, la puissance protectrice à lui passer le relais des opérations. Et ainsi permettre aux États-Unis de relâcher leur pression sur l'ennemi commun avant de décrocher.   Décision capitale qui reposait sur trois éléments : l'analyse lucide des événements qui concluait qu'un conflit de ce type serait interminable, donc ingérable sur le long terme pour Washington ; la certitude que la victoire militaire autant qu'idéologique d'Hanoi n'irait pas au-delà de la réunification du pays et donc n'entraînerait pas la chute d'autres "dominos". La convergence de ces deux éléments devait forcément aboutir à un troisième qui en était comme la traduction factuelle : la remise de l'outil guerrier entre les mains des autochtones chargés ainsi de défendre leur terre, s'imposait comme la solution la plus logique, la plus populaire et la plus élégante. Mais, au moment où cette décision tomba comme un couperet, les voix officielles se gardèrent bien d'ajouter que la solution retenue était également la plus impraticable.
    Les calculs entourant la "vietnamisation" de la guerre eurent leur part d'hypocrisie comme ceux qui entourent maintenant l'"afghanisation" des escarmouches cernées d'un côté par les plaines arides de l'Iran, de l'autre par les ravins lunaires du Pakistan. La passation de pouvoir entre deux armées ne se résume pas à une cérémonie ultra-médiatisée avec échange de drapeaux et roulement de tambours. Il y a bien autre chose dans cette passation : un univers qui bascule, des cartes redistribuées, un nouveau visage de l'affrontement. Mais ce que l'image n'arrivera jamais à restituer dans ce genre de gesticulation festive, c'est le supplément de mensonge qui s'y loge. Nixon savait très bien que les Vietnamiens laissés seuls n'auraient ni le métier, ni la volonté, ni l'obstination de contenir les poussées de leurs envahisseurs. Obama réalise que les Afghans, privés bientôt de 33 000 soldats américains, ne seront pas prêts à assurer la relève pour les trois mêmes raisons qui handicapèrent leurs lointains prédécesseurs. Dans cette double tragédie, personne en haut lieu ne fut dupe, ou n'est dupe, de sa propre tactique adaptée aux circonstances. Le retrait était à ce prix ; il l'est toujours. On le savait dans le Washington de 1970 ; on le sait dans celui de 2011. Même bagarre politicienne, même manipulation des faits, même flatterie de l'opinion. (cf. Présent du 2 juillet) Et puis la capacité d'une armée encore dans les limbes de résister à un ennemi ouvre des débats infinis. La glose triomphe là où le flou persiste. Personne ne dispose des vraies réponses aux vraies questions parce que les scénarios-vérité ne peuvent être mis en place. Cette immense plage inconnue fut la précieuse marge de manœuvre de Nixon. Elle est désormais celle d'Obama.
    À qui l'incertain locataire de la Maison-Blanche devait-il "vendre" son calendrier de repli ? Pas à l'immense masse des Américains, dont l'ignorance chronique des subtilités de la géostratégie se satisfait de sondages périodiques dans lesquels elle se donne l'illusion d'un jugement et l'occasion d'une résistance. Pour ces électeurs, la lassitude l'emporte : précieux ingrédient qu'il faudra exploiter à fond au bon moment. À qui d'autre Obama devait-il "vendre" son retour aux chaumières ? Pas aux membres des institutions politiques dont la soumission aux méandreux courants du conformisme tient lieu de doctrine parfais à peine écorchée par d'imprévisibles sursauts d'opportunisme. Pour ces fidèles du système, une sortie de bourbier peut valoir 50 000 voix : atout inespéré qu'il convient d'utiliser comme tir de barrage. Qui restait-il à convaincre ? Devant quel public Obama allait-il devoir se montrer persuasif ? La société militaire. Ce fut un échec. La preuve par le général David Petraeus. Quatre étoiles, quinze rangées de décorations, une servilité pleine d'affectation, pimentée quand il le faut d'une raideur mondaine, le patron des 150 000 soldats multinationaux expédiés en Afghanistan s'est carrément opposé à l'initiative  présidentielle. Devant le sénat, il a martelé : c'est trop d'hommes retirés à une période critique, trop de handicaps accumulés pour des gains incertains - c'est une politique aventuriste qui cadre mal avec les réalités du terrain. Jamais la déception contenue de Petraeus n'avait à ce point dépassé les bornes. Pas d'éclat mais une froide fermeté. Le New York Times n'en est pas encore revenu.
    Lorsqu'Obama entama fin mai avec ses plus proches conseillers les conciliabules qui allaient générer ce revirement tactique, il demanda, bien sûr, son avis à Petraeus, mais en spécifiant que cette démarche n'était que consultative. Le général consentit à un reflux de ses troupes et le préconisa à un niveau qui se situait au tiers à peine de celui imposé maintenant par la Maison Blanche. Ce fut pour lui une sorte de camouflet et pour éviter toute fâcheuse bavure, Obama lui offrit immédiatement de quitter son poste pour prendre la direction de la CIA. Étonnant changement de trajectoire qui place Petraeus dans une situation inconfortable parce que scellée par un paradoxe. Voilà un bon théoricien de la guerre subversive - il l'a prouvé en Irak - et un défenseur de ses exigences stratégiques, qui articula tous ses efforts dans les vallées afghanes sur un quadrillage minutieux et systématique des zones infestées par les Talibans. Or, un quadrillage à l'échelle de quatre régions dans un pays qui n'est pas le Luxembourg implique la présence d'unités se comptant en divisions et non en régiments. Petraeus eut un cruel besoin des 30 000 soldats envoyés en renfort par Obama il y a dix-huit mois. Bientôt, son successeur les verra partir. Mais ce vide, par un curieux ricochet, affectera également Petraeus dans ses nouvelles fonctions. À la tête de la CIA, il ne dirigera plus, certes, comme naguère, des bêtes de guerre chargées d'empêcher tout contact entre l'ennemi et la population, mais des spécialistes du renseignement focalisés sur le démantèlement de l'appareil subversif. Cependant, les deux objectifs se rejoignent et chacun réclame beaucoup d'hommes sur un terrain où déjà soldats et espions se confondent. Petraeus sait que ces hommes, il ne les aura pas plus à la CIA qu'il ne les aurait eus dans l'armée. Le chantre du quadrillage massif butera sur le même problème, qui l'a finalement rattrapé.
    Christian Daisug Présent du 9 juillet 2011

  • Réponse à la gauche anti-anti-guerre

    Tribune libre
    Réponse à la gauche anti-anti-guerre
    Depuis les années 1990 et en particulier depuis la guerre du Kosovo en 1999, les adversaires des interventions occidentales et de l’OTAN ont dû faire face à ce qu’on pourrait appeler une gauche (et une extrême-gauche) anti-anti-guerre, qui regroupe la social-démocratie, les Verts, et le plus gros de la gauche « radicale » (le Nouveau Parti Anticapitaliste (1), divers groupes antifascistes etc.) (2). Celle-ci ne se déclare pas ouvertement en faveur des interventions militaires occidentales et est parfois critique de celles-ci (en général, uniquement par rapport aux tactiques suivies et aux intentions, pétrolières ou géo-stratégiques, attribuées aux puissances occidentales), mais elle dépense le plus gros de son énergie à « mettre en garde » contre les dérives supposées de la partie de la gauche qui reste fermement opposée à ces interventions.

    Elle nous appelle à soutenir les « victimes » contre les « bourreaux », à être « solidaires des peuples contre les tyrans », à ne pas céder à un « anti-impérialisme », un « anti-américanisme », ou un « anti-sionisme » simplistes, et, surtout, à ne pas s’allier à l’extrême-droite. Après les Albano-Kosovars en 1999 on a eu droit aux femmes afghanes, aux Kurdes irakiens, et plus récemment aux peuples libyen et syrien, que « nous » devons protéger.

    On ne peut pas nier que la gauche anti-anti-guerre ait été extrêmement efficace. La guerre en Irak, qui était présentée sous forme d’une lutte contre une menace imaginaire, a bien suscité une opposition passagère, mais il n’y a eu qu’une très faible opposition à gauche aux interventions présentées comme « humanitaires », telles que celle du Kosovo, le bombardement de la Libye, ou l’ingérence en Syrie aujourd’hui. Toute réflexion sur la paix ou l’impérialisme a simplement été balayée devant l’invocation du « droit d’ingérence », de la « responsabilité de protéger », ou du « devoir d’assistance à peuple en danger ».

    Une extrême-gauche nostalgique des révolutions et des luttes de libération nationale tend à analyser tout conflit à l’intérieur d’un pays donné comme une agression d’un dictateur contre son peuple opprimé aspirant à la démocratie. L’interprétation, commune à la gauche et à la droite, de la victoire de l’Occident dans la lutte contre le communisme, a eu un effet semblable.

    L’ambiguité fondamentale du discours de la gauche anti-anti-guerre porte sur la question de savoir qui est le « nous » qui doit protéger, intervenir etc. S’il s’agit de la gauche occidentale, des mouvements sociaux ou des organisations de défense des droits de l’homme, on doit leur poser la question que posait Staline à propos du Vatican : « combien de divisions avez-vous ? » En effet, tous les conflits dans lesquels « nous » sommes supposés intervenir sont des conflits armés. Intervenir signifie intervenir militairement et pour cela, il faut avoir les moyens militaires de le faire. Manifestement, la gauche européenne n’a pas ces moyens. Elle pourrait faire appel aux armées européennes pour qu’elles interviennent, au lieu de celles des Etats-Unis ; mais celles-ci ne l’ont jamais fait sans un appui massif des Etats-Unis, ce qui fait que le message réel de la gauche anti-anti-guerre est : « Messieurs les Américains, faites la guerre, pas l’amour ! ». Mieux : comme, après leur débâcle en Afghanistan et en Irak, les Américains ne vont plus se risquer à envoyer des troupes au sol, on demande à l’US Air Force, et à elle seule, d’aller bombarder les pays violateurs des droits de l’homme.

    On peut évidemment soutenir que l’avenir des droits de l’homme doit être confié aux bons soins et à la bonne volonté du gouvernement américain, de ses bombardiers et de ses drones. Mais il est important de comprendre que c’est cela que signifient concrètement tous les appels à la « solidarité » et au « soutien » aux mouvements sécessionnistes ou rebelles engagés dans des luttes armées. En effet, ces mouvements n’ont nul besoin de slogans criés dans des « manifestations de solidarité » à Bruxelles ou Paris, et ce n’est pas cela qu’ils demandent. Ils veulent des armes lourdes et le bombardement de leurs ennemis et, cela, seuls les Etats-Unis peuvent le leur fournir.

    La gauche anti-anti-guerre devrait, si elle était honnête, assumer ce choix, et appeler ouvertement les Etats-Unis à bombarder là où les droits de l’homme sont violés ; mais elle devrait alors assumer ce choix jusqu’au bout. En effet, c’est la même classe politique et militaire qui est supposée sauver les populations « victimes de leur tyrans » et qui a fait la guerre du Vietnam, l’embargo et les guerres contre l’Irak, qui impose des sanctions arbitraires contre Cuba, l’Iran et tous les pays qui leur déplaisent, qui soutient à bout de bras Israël, qui s’oppose par tous les moyens, y compris les coups d’état, à tous les réformateurs en Amérique Latine, d’Arbenz à Chavez en passant par Allende, Goulart et d’autres, et qui exploite de façon éhontée les ressources et les travailleurs un peu partout dans le monde. Il faut beaucoup de bonne volonté pour voir dans cette classe politique et militaire l’instrument du salut des « victimes », mais c’est, en pratique, ce que la gauche anti-anti-guerre prône, parce que, étant donné les rapports de force dans le monde, il n’existe aucune autre instance capable d’imposer sa volonté par des moyens militaires.

    Evidemment, le gouvernement américain sait à peine que la gauche anti-anti-guerre européenne existe ; les Etats-Unis décident de faire ou non la guerre en fonction de ses chances de succès, de leurs intérêts, de l’opposition interne et externe à celle-ci etc. Et, une fois la guerre déclenchée, ils veulent la gagner par tous les moyens. Cela n’a aucun sens de leur demander de ne faire que de bonnes interventions, seulement contre les vrais méchants, et avec des gentils moyens qui épargnent les civils et les innocents.

    Ceux qui ont appelé l’OTAN à « maintenir les progrès pour les femmes afghanes », comme Amnesty International (USA) l’a fait lors du meeting de l’OTAN à Chicago (3), appellent de fait les EU à intervenir militairement et, entre autres, à bombarder des civils afghans et à envoyer des drones sur le Pakistan. Cela n’a aucun sens de leur demander de protéger et pas de bombarder, parce que c’est ainsi que les armées fonctionnent.

    Un des thèmes favoris de la gauche anti-anti-guerre est d’appeler les opposants aux guerres à ne pas « soutenir le tyran », en tout cas pas celui dont le pays est attaqué. Le problème est que toute guerre nécessite un effort massif de propagande ; et que celle-ci repose sur la diabolisation de l’ennemi et, surtout, de son dirigeant. Pour s’opposer efficacement à cette propagande, il faut nécessairement dénoncer les mensonges de la propagande, contextualiser les crimes de l’ennemi, et les comparer à ceux de notre propre camp. Cette tâche est nécessaire mais ingrate et risquée : on vous reprochera éternellement la moindre erreur, alors que tous les mensonges de la propagande de guerre sont oubliés une fois les opérations terminées.

    Bertrand Russell et les pacifistes britanniques étaient déjà, lors de la première Guerre mondiale, accusés de « soutenir l’ennemi » ; mais, s’ils démontaient la propagande des alliés, ce n’était pas par amour du Kaiser, mais par attachement à la paix. La gauche anti-anti-guerre adore dénoncer « les deux poids deux mesures » des pacifistes cohérents qui critiquent les crimes de leur propre camp mais contextualisent ou réfutent ceux qui sont attribués à l’ennemi du moment (Milosevic, Kadhafi, Assad etc.), mais ces « deux poids deux mesures » ne sont jamais que la conséquence d’un choix délibéré et légitime : contrer la propagande de guerre là où l’on se trouve (c’est-à-dire en Occident), propagande qui elle-même repose sur une diabolisation constante de l’ennemi attaqué ainsi que sur une idéalisation de ceux qui l’attaquent.

    La gauche anti-anti-guerre n’a aucune influence sur la politique américaine, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas d’effets. D’une part, sa rhétorique insidieuse a permis de neutraliser tout mouvement pacifiste ou anti-guerre, mais elle a aussi rendu impossible toute position indépendante d’un pays européen, comme ce fut le cas pour la France sous De Gaulle, et même, dans une moindre mesure, sous Chirac, ou pour la Suède d’Olof Palme. Aujourd’hui, une telle position serait immédiatement attaquée par la gauche anti-anti-guerre, qui possède une caisse de résonance médiatique considérable, comme un « soutien au tyran », une politique « munichoise », coupable du « crime d’indifférence ».

    Ce que la gauche anti-anti-guerre a accompli, c’est de détruire la souveraineté des Européens face aux Etats-Unis et d’éliminer toute position de gauche indépendante face aux guerres et à l’impérialisme. Elle a aussi mené la majorité de la gauche européenne à adopter des positions en totale contradiction avec celles de la gauche latino-américaine et à s’ériger en adversaires de pays comme la Chine ou la Russie qui cherchent à défendre le droit international (et ont parfaitement raison de le faire).

    Un aspect bizarre de la gauche anti-anti-guerre c’est qu’elle est la première à dénoncer les révolutions du passé comme ayant mené au totalitarisme (Staline, Mao, Pol Pot etc.) et qu’elle nous met sans cesse en garde contre la répétition des « erreurs » du soutien aux dictateurs faite par la gauche de l’époque. Mais maintenant que la révolution est menée par des islamistes nous sommes supposés croire que tout va aller bien et applaudir. Et si la « leçon à tirer du passé » était que les révolutions violentes, la militarisation et les ingérences étrangères n’étaient pas la seule ou la meilleure façon de réaliser des changements sociaux ?

    On nous répond parfois qu’il faut agir « dans l’urgence » (pour sauver les victimes). Même si on admettait ce point de vue, le fait est qu’après chaque crise, aucune réflexion n’est menée à gauche sur ce que pourrait être une politique autre que l’appui aux interventions militaires. Une telle politique devrait opérer un virage à 180° par rapport à celle qui est prônée actuellement par la gauche anti-anti-guerre. Au lieu de demander plus d’interventions, nous devrions exiger de nos gouvernements le strict respect du droit international, la non ingérence dans les affaires intérieures des autres états et le remplacement des confrontations par la coopération. La non ingérence n’est pas seulement la non intervention sur le plan militaire, mais aussi sur les plans diplomatique et économique : pas de sanctions unilatérales, pas de menaces lors de négociations et le traitement de tous les états sur un pied d’égalité. Au lieu de « dénoncer » sans arrêt les méchants dirigeants de pays comme la Russie, la Chine, l’Iran, Cuba, au nom des droits de l’homme, ce que la gauche anti-anti-guerre adore faire, nous devrions les écouter, dialoguer avec eux, et faire comprendre leurs points de vue politiques à nos concitoyens.

    Evidemment, une telle politique ne résoudrait pas les problèmes des droits de l’homme, en Syrie, ou Libye ou ailleurs. Mais qu’est-ce qui les résout ? La politique d’ingérence augmente les tensions et la militarisation dans le monde. Les pays qui se sentent visés par cette politique, et ils sont nombreux, se défendent comme ils peuvent ; les campagnes de diabolisation empêchent les relations pacifiques entre états, les échanges culturels entre leurs citoyens et, indirectement, le développement des idées libérales que les partisans de l’ingérence prétendent promouvoir. A partir du moment où la gauche anti-anti-guerre a abandonné tout programme alternatif face à cette politique, elle a de fait renoncé à avoir la moindre influence sur les affaires du monde. Il n’est pas vrai qu’elle « aide les victimes » comme elle le prétend. A part détruire toute résistance ici à l’impérialisme et à la guerre, elle ne fait rien, les seuls qui agissent réellement étant, en fin de compte, les gouvernements américains. Leur confier le bien-être des peuples est une attitude de désespoir absolu.

    Cette attitude est un aspect de la façon dont la majorité de la gauche a réagi à la « chute du communisme », en soutenant l’exact contrepied des politiques suivies par les communistes, en particulier dans les affaires internationales, où toute opposition à l’impérialisme et toute défense de la souveraineté nationale est vue à gauche comme une forme d’archéo-stalinisme.

    La politique d’ingérence, comme d’ailleurs la construction européenne, autre attaque majeure contre la souveraineté nationale, sont deux politiques de droite, l’une appuyant les tentatives américaines d’hégémonie, l’autre le néo-libéralisme et la destruction des droits sociaux, qui ont été justifiées en grande partie par des discours « de gauche » : les droits de l’homme, l’internationalisme, l’antiracisme et l’anti-nationalisme. Dans les deux cas, une gauche désorientée par la fin du communisme a cherché une bouée de secours dans un discours « humanitaire » et « généreux », auquel manquait totalement une analyse réaliste des rapports de force dans le monde. Avec une gauche pareille, la droite n’a presque plus besoin d’idéologie, celle des droits de l’homme lui suffit.

    Néanmoins, ces deux politiques, l’ingérence et la construction européenne, se trouvent aujourd’hui dans une impasse : l’impérialisme américain fait face à des difficultés énormes, à la fois sur le plan économique et diplomatique ; la politique d’ingérence a réussi à unir une bonne partie du monde contre elle. Presque plus personne ne croit à une autre Europe, à une Europe sociale, et l’Europe réellement existante, néo-libérale (la seule possible) ne suscite pas beaucoup d’enthousiasme parmi les travailleurs. Bien sûr, ces échecs profitent à la droite et à l’extrême-droite, mais cela uniquement parce que le plus gros de la gauche a abandonné la défense de la paix, du droit international et de la souveraineté nationale, comme condition de possibilité de la démocratie.
    Jean Bricmont http://www.voxnr.com
    notes : version française du texte publié sur Counterpunch http://www.counterpunch.org/2012/12/04/beware-the-anti-anti-...
    (1) Sur cette organisation, voir Ahmed Halfaoui, Colonialiste d’« extrême gauche » ? Voir http://www.legrandsoir.info/colonialiste-d-extreme-gauche.ht....
    (2) Par exemple, en février 2011, un tract distribué à Toulouse demandait, à propos de la Libye et des menaces de “génocide” de la part de Kadhafi : “Où est l’Europe ? Où est la France ? Où est l’Amérique ? Où sont les ONG ? » et : « Est-ce que la valeur du pétrole et de l’uranium est plus importante que le peuple libyen ? ». C’est-à-dire que les auteurs du tract, signé entre autres par Alternative Libertaire, Europe Écologie-Les Verts, Gauche Unitaire, LDH, Lutte Ouvrière, Mouvement de la Paix (Comité 31), MRAP, NPA31, OCML-Voie Prolétarienne Toulouse, PCF31, Parti Communiste Tunisien, Parti de Gauche31, reprochaient aux Occidentaux de ne pas intervenir, en raison d’intérêts économiques. On se demande ce qu’ont du penser ces auteurs lorsque le CNT libyen a promis de vendre 35% du pétrole libyen à la France (et cela, indépendamment du fait que cette promesse soit ou non tenue ou que le pétrole soit ou non la cause de la guerre).
    (3) Voir par exemple : Jodie Evans, Why I Had to Challenge Amnesty International-USA’s Claim That NATO’s Presence Benefits Afghan Women. http://www.alternet.org/story/156303/why_i_had_to_challenge_... ;s_claim_that_nato’s_presence_benefits_afghan_women.

  • Affaire Madoff Les ressorts classiques d'une escroquerie géante (arch 2009)

    La crise financière a mis au jour une colossale escroquerie qui aurait pu se poursuivre, par beau temps, jusqu'à la mort de son instigateur. Le montage imaginé par Bernard L. Madoff a-t-il été permis par des failles dans le système financier mondial ? Quelle est la part de responsabilité des épargnants, des professionnels ou encore des Etats ? Tentative de décryptage.

    A lire certains de nos confrères, l'homme semble presque attachant. Un genre de gentleman cambrioleur qui, grand seigneur, aurait payé ses salariés jusqu'à la dernière minute. Remettons les pendules à l'heure : Bernard Lawrence Madoff est un escroc, un menteur, un malhonnête qui a roulé dans la farine sa propre famille (ses deux fils n'étaient, semble-t-il, pas au courant), ses coreligionnaires et un nombre pour l'heure incalculable de petits et grands investisseurs. Du bagou, sûrement, mais même pas vraiment d'originalité. Le montage qu'il a mis en place, il ne l'a pas imaginé. Il s'agit « tout bêtement », d'une pyramide, ou chaîne, de Ponzi. En 1920, Charles Ponzi avait ainsi réussi à arnaquer des milliers de personnes en promettant 50 % de rendement en 45 jours. Les investisseurs, particuliers ou professionnels, crédules et cupides, confient leur argent et reçoivent leurs premiers bénéfices. Le bouche à oreille suffit généralement à convaincre d'autres clients : l'argent des derniers arrivés paye les intérêts des autres.

    En 1960, quand Madoff crée son entreprise, Bernard L. Madoff Investment Securities LLC, l'échange des actions (trading) passe encore par le téléphone et le parquet de la Bourse de New York. Madoff comprend avant les autres qu'en automatisant informatiquement les ordres boursiers, il peut gagner en rapidité et en nombre de transactions exécutées. Les techniques de la société sont appliquées pour développer le Nasdaq, aujourd'hui le deuxième marché d'actions des Etats-Unis en volume traité. Grâce à son excellente connaissance des marchés financiers, Madoff améliore sa pyramide de Ponzi en investissant une partie des capitaux que son fonds récolte dans des fonds à risques. Ce qui permettra de masquer ses activités pendant des dizaines d'années, la fraude remontant vraisemblablement aux années soixante-dix. Concrètement, les capitaux à gérer sont limité à 10 millions d'euros. Le Financial Times cite également HSBC pour 1 milliard de dollars. Par le biais de ces établissements réputés, des particuliers sont touchés, sans même s'en être rendu compte : ils ont confié des sommes d'argent à des fonds d'investissement qui les ont placés chez Madoff. Selon l'Autorité des marchés financiers (AMF) une centaine de fonds français ont effectivement acheté des fonds Madoff, mais aucun d'entre eux, assure toujours l'AMF, n'a été distribué massivement dans le grand public.

    Comment une opération d'une telle ampleur a-t-elle échappé aux contrôles pourtant nombreux, aux Etats-Unis ou en Europe ? L'équivalente américaine de l'AMF, la Securities & Exchange Commission (SEC) est pointée du doigt pour ses graves défaillances. En huit ans, trois enquêtes ont été diligentées par le régulateur américain des marchés placés dans un fond d'investissement à risque. Lorsque le placement n'est pas suffisamment performant, au lieu de diminuer le rendement versé à l'investisseur, Madoff compense les manques par des capitaux provenant d'un autre investisseur. Il propose ainsi 11 % de rendement par an, pour un fonds présenté comme très sûr, qui aurait dû être en principe moins rentable. Tant que les investisseurs laissent leurs capitaux chez lui, pas de problème. Mais lorsque la crise s'intensifie, au mois de septembre et que de nombreux épargnants souhaitent récupérer leurs capitaux, Madoff ne peut les rendre. Il fait part de la situation à son fils, qui prévient les autorités.

    Le 11 décembre, il est arrêté par le FEI. Des premiers éléments de l'enquête, il ressort que Madoff n'a gagné de l'argent que grâce aux commissions perçues pour gérer les actifs de ses clients. Il n'aurait apparemment pas détourné de sommes supplémentaires et serait aujourd'hui ruiné, ce qui n'est que justice ! En attendant d'être jugé, Bernard L. Madoff, 70 ans, est assigné à résidence dans son appartement de Manhattan, sous surveillance permanente, porte un bracelet électronique et son passeport a été confisqué. La peine semble, pour le moment, bien légère !
    Isabelle R. Doumic monde & vie 31 janvier 2009

     
    La SEC en échec
    La fraude de Madoff a fait se volatiliser 50 milliards de dollars. À qui appartenait cet argent ? Les premiers touchés font partie de la communauté juive new-yorkaise : riches particuliers mais aussi fondations, comme celles du Prix Nobel Elie Wiesel ou du cinéaste Steven Spielberg. Mais la liste ne s'arrête pas là.
    Des banques sont touchées dans le monde entier. D'après Le Monde, la banque espagnole Santander est la plus exposée à la fraude : elle risque de perdre 2,33 milliards d'euros. Côté français, Natixis évalue à 450 millions ses pertes potentielles, BNP Paribas à 350 millions. AXA à 100 millions, Dexia à 85 millions. Le Crédit agricole, Groupama et la Société générale s'en sortent mieux, enregistrant un préjudice
    contre la société de Bernard L. Madoff, sans que rien ne ressorte. Arthur Levitt, conseiller chez Carlyle Group et coprésident de Promontory Financial Group, interrogé par La Tribune, met en cause la compétence de la SEC : « Dans le cas Madoff, la division en charge de la surveillance de ce domaine n'avait tout simplement pas la compréhension de techniques de trading sophistiquées, impliquant des produits dérivés complexes ».
    Est en cause l'idéologie même des responsables de la SEC, qui souhaitaient une division surveillance moins agressive s'agissant des sociétés. « Du fait de ce positionnement, souligne Arthur Levitt, l'agence a été moins pro-investisseur et davantage pro-business. » Mary Schapiro, nouvelle présidente de la SEC nommée par Barack Obama est quant à elle plutôt pro-investisseurs.
    I. R. D.