Ford Motor Company (FMC) a annoncé, le 13 décembre 2018, vouloir fermer sa filiale Ford Aquitaine Industries (FAI) installée à Blanquefort dans la banlieue bordelaise. Cette fermeture est la conséquence directe du rejet par Ford de l’offre de reprise faite par le groupe belge Punch Powerglide. L’établissement, qui compte aujourd’hui 850 collaborateurs, va donc fermer en août 2019. Bien évidemment, c’est un drame pour les salariés concernés et leurs familles, et pour l’économie locale.
Sur le plan des hauts cris, on peut dire que nous avons été servis. Le maire de la commune, Véronique Ferreira, a parlé d’une « décision incompréhensible ». Alain Juppé, le président de Bordeaux Métropole, a fait part de son « indignation ». Le président de la région Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset, a qualifié cette décision de « totalement inadmissible ». Jean-Luc Gleyze, président du département, et Christine Bost, vice-présidente, ont écrit : « Nous sommes scandalisés par la stratégie du Groupe Ford. Une stratégie indigne au regard des 7 milliards d’euros de profits que le Groupe a dégagés en 2017 ». Quant à Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, il a déclaré devant les députés :
« Je suis écœuré. Je suis révolté par cette décision qui ne se justifie que par la volonté de Ford de faire monter son cours de Bourse. Je veux dénoncer la lâcheté de Ford à qui je demande de parler depuis trois jours et qui n’a même pas eu le courage de prendre le ministre de l’Économie et des Finances au téléphone. Je veux dénoncer le mensonge de Ford qui dit dans son communiqué que l’offre de Punch n’est pas crédible. […] Je veux dénoncer la trahison de Ford vis-à-vis des plus de 800 salariés du site de Blanquefort à qui je veux rendre hommage. Parce qu’ils avaient accepté de réduire leurs salaires, de réduire leurs RTT, de faire des efforts considérables » (…) Ils ont été trahis par Ford. Les salariés, les syndicats, Philippe Poutou ont été à la hauteur de leurs responsabilités, là où Ford ne l’a pas été ».
Il n’aura pas échappé au lecteur attentif que le ministre de l’économie a jeté des fleurs à Philippe Poutou. L’ancien candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) aux élections présidentielles de 2012 (1,15 % des voix) et 2017 (1,09 %), passablement oublié depuis, a en effet envahi les médias à cette occasion au titre de représentant CGT du personnel de l’usine. Mais peut-on vraiment accorder un quelconque crédit en matière de gestion d’entreprise à Philippe Poutou et à ses collègues de la CGT ?
Bien sûr, Emmanuel Macron aussi y est allé de son couplet. Il a déclaré :
« Je crois à une économie sociale de marché, mais je ne crois pas au cynisme et je considère que le geste fait par Ford est un geste hostile et inacceptable ».
[…] Les pouvoirs publics, qui distribuent des subventions d’une main, contraignent les automobilistes de l’autre main : taxes multiples et importantes, limitations de vitesse, contrôles techniques toujours plus sévères… Sans compter la politique visant à exclure l’automobile des villes et à créer des bouchons. Faut-il vraiment s’étonner que les Français roulent moins et achètent moins de voitures ? Et l’offre toujours plus abondante de véhicules en location ou en partage, tout comme le transport partagé (Blablacar par exemple), n’arrangent rien.
Par ailleurs, si la croissance du secteur est ailleurs qu’en Europe, il paraît évident que celle des usines automobiles est alors plutôt principalement située en Asie. Bref, le marché automobile est en mutation. Il est donc normal que des centres de production ferment pendant que d’autres ouvrent ailleurs.
L’usine de Blanquefort fabrique des boîtes de vitesse automatiques et la maison-mère a décidé de s’en séparer car elle se trouve aujourd’hui en surcapacité. En effet, la demande de boîtes automatiques, si elle progresse de manière continue en Europe, est tout de même moins élevée que prévue. Par exemple, pour la Ford Fiesta qui est sans doute le véhicule le plus vendu de la marque, les boîtes automatiques ne représentent que 6 % des ventes. Ensuite, le marché évolue toujours davantage vers l’électrique qui ne demande pas de transmissions automatiques traditionnelles. C’est une autre technologie qui est mise en œuvre.
Ainsi Ford n’a pas vraiment d’autres choix que de fermer une usine parmi les trois que possède le constructeur américain. Malheureusement, le choix est vite fait puisque les autres usines sont implantées aux États-Unis (marché-roi de l’automatique) et en Asie (marché en pleine expansion). Produire à Bordeaux pour livrer Chicago, Kansas City, Haiduong (Vietnam) ou Chennai (Inde) n’aurait pas grand sens économique, pas plus que logistique ou écologique.
Ford détient toujours en partie l’autre usine de Blanquefort, qui fabrique des boîtes de vitesse manuelles. Une partie du capital a été cédée en 2000 au groupe allemand Getrag (qui appartient désormais au groupe canadien Magna). Mais les boîtes de vitesse manuelles ne sont pas vraiment menacées en Europe puisque les trois quarts des voitures en sont équipées.
D’une manière générale, Ford n’est pas en bonne santé en Europe. Sa part de marché est passée de 11 % en 2000 à 6,4 % en 2018. L’entreprise a ainsi annoncé le 10 janvier une réorganisation de ses activités avec, à la clé, des suppressions d’emplois. Par exemple, la production des monospaces va être arrêtée en Allemagne, et le sort de la co-entreprise Ford Sollers en Russie est en suspens.
Ford ne veut pas céder l’usine
Ford a déjà cédé FAI en 2009 au groupe HZ Holding. Mais ce dernier n’a pas réussi à développer la production dans l’éolien comme prévu et a connu alors des difficultés financières importantes. Résultat des courses : Ford a racheté son usine en 2011. Le constructeur anticipait alors un sursaut du marché russe et a même investi 160 millions d’euros pour développer l’outil de production.
Chat échaudé craignant l’eau froide, on comprend que le géant américain soit très prudent vis-à-vis de l’offre de Punch Powerglide. Ford estime, en effet, que le groupe belge n’offre pas suffisamment de garanties et que ses projets de développement sont financièrement mal assurés. Il pense, par conséquent, qu’il est préférable de fermer l’usine et de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en bonne et due forme. En effet, s’il vendait son usine à un repreneur qui faisait faillite dans les 18 mois suivants, Ford pourrait être condamné par les tribunaux français à reprendre tout ou partie du passif de l’entreprise !
Nous pourrions ajouter que Ford, dont la production de boîtes de vitesse automatiques est en surcapacité, n’a aucun intérêt à voir son usine partir dans les mains d’un concurrent avec le risque de voir se dégrader la situation de ses autres usines. […]
Ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est bien la persévérance crasse des politiques dans l’erreur. L’exécutif girondin, par la bouche de Jean-Luc Gleyze et Christine Bost, déjà cités, ont souligné que « le constructeur a bénéficié il y a cinq ans de 26 millions d’euros de subventions publiques » et ont ajouté « Bien entendu, nous exigerons de Ford le remboursement des aides perçues ». D’autres élus ont entonné le même refrain.
Il convient tout de même de préciser que dans ces 26 millions d’euros figurent 13,5 millions au titre du chômage partiel. FAI en a bénéficié comme n’importe quel employeur en faisant la demande et répondant aux critères définis dans la loi. Demander le remboursement de cette somme au seul Ford serait curieux.
Quant aux 12,5 millions d’euros restants, ils ont été octroyés à FAI après signature d’un contrat-cadre qui a fixé des objectifs notamment en termes de maintien des emplois. La convention signée en mai 2013 pour 5 ans prévoyait le maintien de 1 000 emplois. Les aides étaient allouées au prorata du nombre d’emplois maintenus. Quand le bilan du contrat-cadre a été fait en mai 2018, FAI comptait environ 980 emplois sur le site. L’entreprise était donc éligible pour percevoir non pas 100 % des 12,5 millions, mais 98 % de ceux-ci.
Ford, a priori, a donc rempli ses obligations. Ce que les élus girondins savent parfaitement. Leurs demandes sont, par conséquent, illégitimes et complètement démagogiques.
Ce qui est formidable ici, c’est que ces politiques sont prêts à recommencer. La région et la métropole voulaient apporter 12,5 millions d’euros d’aide au projet de Punch Powerglide, et l’État 5 millions d’euros. Pour quoi faire ? Pour pousser de nouveau des hauts cris dans cinq ans quand le repreneur mettra la clé sous la porte ? Ces aides montrent d’ailleurs que le projet de Punch Powerglide n’était pas si sûr que cela. On comprend mieux les réserves de Ford. Les subventions aux entreprises en difficulté ne servent à rien. Le cas de FAI en est un bon exemple, parmi tant d’autres.
Au lieu de distribuer des subventions en pure perte, les collectivités locales et l’État feraient mieux de baisser la fiscalité sur les entreprises. Celles-ci seraient alors plus compétitives, elles pourraient investir puis embaucher. Et si les pouvoirs publics veulent vraiment dépenser de l’argent qu’ils le fassent pour développer les infrastructures nécessaires au développement économique, comme les routes, assurer la sécurité et la libre circulation des biens et des personnes, plutôt que de laisser la voie libre aux casseurs ou laisser perdurer le blocage des ronds-points.
https://www.lesalonbeige.fr/letat-matraque-les-automobilistes-et-pleure-la-fermeture-de-lusine-ford/