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Science et techniques - Page 42

  • Chine : le fossoyeur de la technologie allemande – par Laurent Glauzy

    L’ascension fulgurante de l’Empire du Milieu offre à l’économie allemande une croissance miraculeuse qui par ailleurs n’est pas sans représenter de nombreux risques pour son industrie et son savoir technologique : ses secteurs de pointe sont soumis aux injonctions politiques de Pékin. Dieter Zetsche, directeur du constructeur automobile Daimler déclare : « Je suis conscient qu’une part croissante des entreprises sont devenues dépendantes de ce pays ». En outre, les pratiques de la Chine visant à copier les nouvelles technologies pour les développer et les revendre à moindre prix sur le marché asiatique, font de ce pays un ennemi affaiblissant à moyen terme les fondements de l’économie allemande.

    « Bienvenue Madame la Chancelière »

    Fin août 2010, Angela Merkel s’est rendue à Pékin. La chancelière allemande a eu droit à un accueil chaleureux.
    Devant quatre-vingt étudiants de l’université du Parti communiste, elle prononça un discours sur l’entente technologique et les relations bilatérales. Une immense bande rouge lui souhaitait la bienvenue : « Herzlich willkommen, Frau Bundeskanzlerin ». A. Merkel a exprimé sa profonde admiration pour la puissance économique chinoise. Grâce à la qualité de sa production, l’Allemagne a dopé ses exportations et put s’extirper de la crise dont le spectre rôde au-dessus de plusieurs pays européens. La chancelière a abordé une question délicate : « la protection de la propriété intellectuelle chinoise ne s’accorde pas aux standards de l’Ouest », car dans le cadre des partenariats industriels, les entreprises chinoises s’approprient le savoir-faire allemand. Pour la forme et pour rassurer les bonnes consciences, elle s’est pourfendue en donneuse de leçons : « En Allemagne, cinq partis siègent au parlement. Bien que cela soit parfois épuisant, cet exercice est gratifiant parce que chaque sensibilité peut s’exprimer. C’est pourquoi nous nous demandons si un seul parti peut à lui seul devenir le représentant de cinq orientations politiques ».

    A. Merkel qui connaît l’importance pour son pays d’un marché recensant 1,4 milliard d’habitants, n’est pas sans savoir que l’ascension continuelle de l’économie chinoise inquiète les responsables de la grande industrie nationale. Économiquement plus développée que les autres pays occidentaux, la République fédérale se trouve à présent arrimée à la prospérité chinoise. C’est un comble ! Les analystes constatent que ce miracle s’explique par la croissance de la Chine et prophétisent à moyen terme un bon avenir pour l’Allemagne. Avec ses Limousines, ses machines-outils et les turbines de ses centrales électriques, l’industrie de notre voisin européen offre les biens de consommation auxquels la Chine aspire. Pourtant, derrière la jubilation de Siemens et de BASF, des questions et des inquiétudes subsistent. Quel sera l’avenir de ces entreprises si les Chinois se perfectionnent toujours plus dans la recherche technologique ? Quelles en seront les conséquences si les orientations de l’industrie sont influencées en arrière-plan par la bureaucratie du parti ? Et même si cela paraît peu probable, qu’adviendra-t-il si à long terme la croissance du continent asiatique se révèle être un véritable château de cartes ? Avec le dirigisme qui le caractérise, l’Etat central de Pékin tente à présent d’empêcher que la prochaine grande bulle financière n’éclate sur son marché de l’immobilier.

    Courant août 2010, les défenseurs des droits de l’homme de l’organisation Süd-Wind découvrirent que des consortiums allemands comme Adli, Adidas ou Metro prospèraient grâce à des filiales chinoises peu respectueuses des conditions de travail de ses ouvriers. Mais cela n’a aucune emprise sur le fonctionnement du « plus grand atelier du monde ». Les comités directeurs des entreprises allemandes préfèrent alors fermer les yeux et profiter de l’aubaine qu’offre cette nouvelle puissance. Il en va de même quand en Chine des centaines de milliers d’opposants au régime sont incarcérés dans des camps de rééducation. En revanche, peu avant la visite de la chancelière, Pékin se montra très réactif quand un compte-rendu émanant du ministère de la Défense américain mentionnait que la Chine poursuivait secrètement sa propre stratégie d’armement.

    La Chine dope l’économie allemande

    La Chine mène donc la danse. Les entreprises allemandes constatent avec appréhension que les Chinois exigent l’abandon de leur savoir-faire industriel. Le ministre de l’Economie Rainer Brüderle se plaint que « la Chine ne soit plus un simple partenaire ». Les économistes restent pessimistes quant à la pérennité des entreprises allemandes, car dans de telles conditions les relations entre ces deux géants pourraient conduire à un déclin du tissu industriel, fer de lance de l’économie allemande. Cependant, les partenariats entre la Chine et l’Allemagne sont en constante évolution. La dynamique infernale de l’Empire du Milieu a profondément modifié les orientations des entreprises réalisant plus de la moitié de leurs affaires en Extrême-Orient. De retour à Munich ou à Düsseldorf, les cadres allemands sont tout à la fois séduits par l’Empire du Milieu et redoutent l’espionnage industriel. Ils ne veulent plus embaucher de stagiaires chinois. Toutes ces pratiques et ressentiments sont d’autant plus gênants que l’alliance de l’Allemagne et de la Chine pourrait bientôt être aussi importante que celle afférant aux relations entre la Chine et les Etats-Unis. En des temps où la conjoncture américaine s’affaiblit et que l’Europe s’appuie toujours sur des programmes d’épargne, les multinationales ont le couteau sous la gorge : la Chine ou la mort.
    Martin Herrenknecht, spécialiste mondial de tunneliers, s’exprime en des termes édulcorés : « La Chine est notre sauveur. Sans elle, nous n’aurions jamais aussi bien surpassé la crise ». Sur les murs de sa société du Schwanau, circonscription limitrophe à la France, sont accrochées des photographies d’immenses machines de forage fraisant le sol avec une infime précision. Une brochure présente le bilan de l’entreprise. En 2009 (année de la crise), le chiffre d’affaires de l’entreprise a seulement diminué de 6 %. Le directeur n’a ni licencié ni pratiqué de chômage partiel (Kurzarbeit). Le quart des 866 millions d’euros du chiffre d’affaires est réalisé avec l’Asie. Ce chef d’entreprise aime répéter que « la Chine est incroyablement dynamique. C’est pourquoi ses techniciens veulent y construire des tunnels ». L’année précédente, la Chine lui a confié dix-neuf chantiers de tunnels pour le métro de Pékin et sept autres pour l’installation de voies ferrées. Alors, tous les deux mois, il s’envole pour la Chine afin de rencontrer ses cinq cents collaborateurs. En Allemagne, dans ses ateliers, M. Herrenknecht produit l’électronique et l’hydraulique. La production est ensuite exportée. Exposant que son entreprise tourne à plein régime, il ajoute : « Si tu veux conduire un projet de construction en Europe, cela dure une éternité. En Chine tout va très vite. Le métro a été construit en un temps record. Les fabricants de machines en profitent ».
    Les 2/3 des exportations sont réalisées en Chine
    Pour l’instant, le besoin de la Chine en marchandises « Made in Germany » est incommensurable. Si les deux tiers des exportations allemandes, soit plus de 800 milliards d’euros, sont écoulés au sein de l’Union européenne, les ventes réalisées en Chine ont augmenté de 60 % par rapport à l’année précédente. De plus, les entreprises et les consommateurs chinois contribuent à ce que l’économie de l’Etat fédéral se développe grâce au marché asiatique : au deuxième trimestre 2010, le produit intérieur brut de l’Allemagne a progressé de plus de 4 %. Ce résultat ne s’explique pas uniquement par la faible valeur de l’euro. En fait, l’Allemagne réussit mieux que ses voisins parce que ses entreprises sont très bien affutées aux exigences du marché mondial. Les chefs d’entreprise de Düsseldorf, Francfort ou Stuttgart jouent la carte de la flexibilité, inventent sans cesse de nouveaux produits et les syndicats ont signé pendant la crise des accords salariaux modestes. Par rapport aux coûts de production, la part des charges salariales a chuté. Ce qui constitue un indice significatif permettant d’évaluer la compétitivité d’une économie. Réputés pour leur qualité, les produits allemands sont toujours plus prisés. Les entreprises de la République fédérale possèdent des machines-outils et des complexes industriels livrés clé en main. Ce large panel répond aux besoins d’une économie en pleine mutation. Ce faisant, elles profitent d’un programme « infrastructurel » de plus de 400 milliards d’euros présenté par le gouvernement de Wen Jiabao comme un « soutien conjoncturel national ». Axel Nitsche, responsable du commerce extérieur à la Deutscher Industrie- und Handelskammertag (DIHK), organisation centrale des quatre-vingt chambres de commerce et de l’industrie allemandes, observe : « Pour celui qui dans les vingt dernières années réussissait en Europe de l’Est, la démarche vers la Chine est identique ». L’Allemagne ne livre pas seulement des biens pour la construction de l’industrie chinoise. Les produits de luxe intéressent de plus en plus une classe aisée qui achète les derniers modèles de Mercedes, BMW ou Audi, des cuisines haut-de-gamme rouge baroque à haute brillance combinées avec du verre noir, ainsi que des marques de chaussures de qualité. Même les animaux en peluche ont pris le chemin de l’Extrême-Orient. La Chine, plus grand producteur de jouets, copie les processus d’élaboration de Teddy l’ourson. La fabrication des peluches de qualité de la firme souabe Steiff a aussi été délocalisée en Chine. Nous pouvons alors imaginer qu’un jour, l’Allemagne achètera à ce pays les modèles qu’elle produit aujourd’hui. « Le plus grand atelier du monde » ne livre-t-il pas des T-shirts et des chaussures de sport, des écrans plats, des lecteurs de disques compacts à la République fédérale ? Ce schéma pourrait s’étendre à d’autres produits de la haute technologie, car l’industrie allemande exporte avant tout des voitures, des avions et des voies de chemins de fer.

    Un ralentissement de la croissance annoncée

    Aussi longtemps que la croissance économique de la Chine perdurera, le danger d’un revers guettera l’industrie allemande. Néanmoins, les signes laissant envisager un ralentissement de cette croissance se multiplient. Il y a plusieurs mois, la banque centrale chinoise a réduit les conditions d’accès au crédit. Cette année, beaucoup d’entreprises ont aussi dû fléchir face à de violents mouvements de grèves. Elles ont octroyé des prestations et des augmentations salariales de 30 à 50 %. Sur le marché de l’immobilier, les experts enregistrent un effet de surchauffe. Cette dernière décennie, dans les métropoles, les prix de l’immobilier ont plus rapidement augmenté que les salaires. Il y a quelques semaines, l’économiste américain Kenneth Rogoff avertissait d’un « effondrement du marché de l’immobilier qui engendrerait la faillite des banques, un net ralentissement de la croissance et une restriction pour l’accession aux crédits ». A n’en pas douter, les conséquences seraient fatales pour l’Allemagne et notamment pour Volkswagen qui écoule un quart de sa production en Chine. Si la croissance était cassée, ce constructeur automobile enregistrerait de lourdes pertes. A cela, se greffe une autre menace : les Allemands craignent que Pékin ne se satisfasse plus de remplir son rôle de constructeur industriel à bas prix. Les Chinois possèdent une industrie automobile et aéronautique, construisent des trains à très grande vitesse, montent des aciéries et des entreprises de chimie qui concurrenceront bientôt la suprématie allemande. Car les Chinois ne veulent pas devancer les entreprises allemandes, ils veulent « avaler » et améliorer toute la technologie de ce concurrent européen.
    Les dirigeants communistes ont l’ambition de devenir les meilleurs dans la fabrication d’avions consommant peu de kérosène, la conception de l’automobile de l’avenir et la construction de centrales électriques rejetant peu de dioxyde. Courant novembre 2010, le groupe aéronautique chinois AVIC International a signé un contrat avec la COMAC - Commercial Aircraft Corp. of China, fondée dans le but de doter la Chine d’un avionneur mondial comparable à l’Airbus européen et au Boeing américain - portant sur la vente de cent ARJ21-700 (avion à réaction) à l’étranger.

    Les cellules photovoltaïques chinoises

    Dans un secteur à fort potentiel technologique comme l’industrie solaire, la Chine devance les constructeurs allemands considérés comme les premiers dans le monde. Il y a quelques années, les consortiums Siemens et Sharp étaient à la pointe de la production de cellules photovoltaïques. Le gouvernement fédéral a toujours encouragé la politique énergétique du solaire par le biais de programmes de financements généreux : celui qui monte un équipement de panneaux solaires, reçoit une subvention correspondant à la quantité d’électricité produite. Pour réduire leurs coûts, les constructeurs allemands ont délocalisé en Chine, bien entendu. Cela a permis à Pékin de lancer le montage de cette branche prometteuse. L’Empire du Milieu encourage la recherche technologique et ses entreprises construisent de grandes productions de modules solaires. Bilan : quatre des dix plus grands constructeurs mondiaux sont des Chinois, contre une seule entreprise allemande. Les Chinois peuvent d’autant mieux renforcer leur position, qu’en dépit des milliards d’euros de subvention octroyés par les pays européens pour leur marché intérieur, les exportations des géants traditionnels de l’énergie solaire déclinent : la Chine produit à bas prix. Les installateurs allemands de panneaux solaires demandent en moyenne 1,60 euros par watt, alors que les Chinois vendent à 1,30 euros. Les experts pensent que le prix descendra en 2011 sous la barre de 1 euro par watt. Si pour l’instant, les cellules solaires chinoises sont certes de moins bonne qualité que celles produites en Allemagne, il y a encore quelques années, les panneaux « Made in China » avaient la réputation d’être nuisibles à l’environnement. Entre-temps, la qualité s’est bien améliorée.
    Le scénario de l’industrie thermo-solaire devrait constituer un avertissement pour le fleuron de l’industrie d’outre-Rhin : l’automobile. Rien ne résiste à la goule du dragon asiatique qui obéit à une double stratégie : d’une part, par le biais de la coopération, la Chine se procure un accès aux dernières techniques de pointe. D’autre part, par ce processus, les sociétés allemandes développent en grandeur nature leur technologie à l’instar des modèles de voitures électriques. Ce domaine n’échappe pas à l’Empire du Milieu qui compte les meilleures entreprises dans la production de batteries pour l’automobile électrique du futur. Grâce à l’accueil des nouvelles technologies, le novice désarçonne une fois de plus les producteurs européens et japonais. Les grandes séries de BMW comme la Classe-S ou la Série 7 enregistrent en Chine leur plus grand débouché. Volkswagen, Daimler et BMW y implantent de nouvelles structures car ils entendent doubler leur production sur le juteux marché des Han. Pour comprendre la réalité de la situation, il est essentiel de préciser que ce ne sont pas des unités de production de Volkswagen, Daimler ou de BMW qui voient le jour, mais des centres de production appartenant à des partenariats associant les producteurs allemands aux parts d’une société chinoise. Les Allemands désignent cette forme d’entente par le terme peu élégant de « Konkubinenwirtschaft » ou « économie-maîtresse ». A la manière des empereurs chinois qui autrefois choisissaient leurs compagnes, les dirigeants actuels sélectionnent les entreprises étrangères autorisées à produire avec un partenaire local. La République populaire oblige les constructeurs à ce mode de coopération. Grâce à des taxes élevées à l’importation, le gouvernement empêche les Allemands d’envahir le marché avec des voitures « Made in Germany ». S’ils veulent produire davantage, ils doivent installer une usine avec un partenaire chinois et dévoiler leur technologie. Depuis cinq ans, cette pratique assure également dans ce secteur l’essor de la Chine. En 2010, dans un article intitulée L’exemple allemand, le magazine d’économie Zhongguo Caifu argumente que pour les deux prochaines décennies la coopération avec les Allemands constituera l’arme de la suprématie industrielle chinoise. Ainsi, la société Shanghai Automotive Industry Coorporation (SAIC) conduit une entreprise de collaboration technique chapeautant Volkswagen et General Motors. L’année dernière, SAIC profita de la faiblesse de son partenaire américain occasionnée par la crise pour augmenter sa participation et prendre 51 % des titres.

    Shangaï et la centrale électrique

    Le journal d’économie Jingij Cankao Bao se réjouit pour sa part qu’« un nouveau modèle de coopération entre les constructeurs automobiles chinois et étrangers apparaisse ». Un collaborateur de Volkswagen constate que dans la collaboration rapprochée avec les Chinois, ces derniers font pour l’instant preuve de beaucoup de souplesse. Ce comportement stratégique est susceptible d’évoluer. Il est fort probable qu’à moyen terme, Pékin n’autorisera plus que les partenariats soient en partie dirigés par une entreprise comme Volkswagen recevant les consignes d’un siège installé à Wolfsburg. Martin Winterkorn, Président du constructeur automobile, se dit convaincu que dans le domaine des moteurs classiques fonctionnant à l’essence et au diesel, les Chinois dépendront encore pour plusieurs années de la technologie allemande, même si Pékin entend se libérer le plus vite possible de cette emprise. Dans cette optique, le cartel chinois BYD (Build Your Dreams) doit mener une contribution décisive. En 2003, pour la première fois, cette entreprise a produit des automobiles. Elle est dans le monde le second plus important producteur de batteries pour téléphones portables. Son service de recherche emploie dix mille collaborateurs et vient de se doter d’une nouvelle cellule spécialisée dans l’électricité. Cette avancée entre dans le processus de fonctionnement des voitures-électriques. Charmé par cette maîtrise technologique, Daimler a proposé sa collaboration à BYD. Le partenaire chinois est responsable de la technique.
    La Chine a suivi le même plan d’action pour l’édification des centrales électriques. Elle avait tout d’abord invité des consortiums essentiellement allemands à travailler avec des entreprises locales, qui produisent à présent leur propre technologie à l’instar de la centrale électrique au charbon de Waigaoqiao construite à Shanghai. Le directeur Feng Weizhong porte un uniforme beige. Sur la poitrine, l’étoile rouge du parti brille de mille éclats. L’apparence du fonctionnaire est trompeuse. Feng est l’expert le plus créatif de son pays. Il est un véritable génie de l’énergie électrique. Sa nouvelle gamme tient également compte de l’environnement. La fumée qui s’échappe des hautes cheminées est filtrée. On dirait qu’un drap blanc fraichement lavé s’envole dans le ciel de Shanghai. Cet ingénieur affirme fièrement : « J’ai fait breveter la technologie pour l’équipement des filtres qui captent une grande partie des substances toxiques ». Waigaoqiao ne sait plus à présent comment échapper aux visiteurs. Cette installation qui fournit une puissance de 5 400 000 kilowatts, sert de modèle pour les provinces qui projettent de mettre en service des centrales électriques au charbon ou de changer des installations devenues vétustes. Feng ne fait pas mystère que sa centrale doit beaucoup aux compétences de l’Allemand Siemens et du Français Alstom que « nous avons introduites et que nous avons ensuite optimisées la technologie ». Grâce à ce processus associant la copie à une veille technologique à la chinoise, Feng a réussi à accroître de manière constante la production d’énergie. Il a calqué sur le modèle du dix-septième congrès du Parti communiste de 2007 voulant transformer la Chine en nation de la haute-technologie.
    Le gouvernement chinois avait publié une liste de programmes industriels qui devront être concrétisés d’ici 2020. Ce plan à long terme va de l’épuration des eaux à la biotechnologie. C’est pourquoi, Feng entend coopérer de manière étroite avec Siemens. Il espère que les Allemands l’aideront à découvrir d’autres domaines, car la société allemande à l’ambition de mener à bien ses affaires en Chine. En échange de ce bon procédé, il ne fait aucun doute qu’ils devront ouvrir leurs secrets à leur partenaire chinois. Dans le cadre des centrales électriques où la Chine a obtenu les connaissances nécessaires, les constructeurs occidentaux ne sont plus conviés. Il s’agit donc d’une question de temps pour que les Allemands, ayant bradé tout leur savoir technologique à la Chine, ne puissent plus bénéficier de cet immense territoire afin d’expérimenter leurs nouvelles prouesses. La Chine aura pris de l’avance et détiendra un savoir-faire de bien meilleure facture.

    L’ICE envahit la Mandchourie

    Conscient que son influence diminue, Siemens a nommé un « gouverneur » chinois, Mei-Wei Cheng, chargé de bien représenter l’entreprise auprès des autorités de la République populaire. Les multinationales ont de plus en plus recours à cette pratique à double tranchant. Âgé d’une soixantaine d’années, originaire de Shanghai et ayant travaillé de longues années aux Etats-Unis, Cheng possède les techniques de travail du monde occidental. Il entretient en plus des liens très étroits avec le gouvernement : « Il est un des leurs ». Ce schéma profite évidemment à la Chine. ThyssenKrupp utilise le même procédé de médiation pour présenter ses projets qui font figure de référents dans l’innovation de la haute technologie. Depuis longtemps ce consortium de l’acier de Düsseldorf, dans le bassin de la Ruhr, était à la recherche d’une expérience technologique pour promouvoir son dernier prodige, le Transrapid, un train monorail utilisant la lévitation magnétique. La Chine proposa de devenir son terrain d’essai. Le 31 décembre 2002, l’ancien chancelier Gerhard Schröder et le Premier ministre chinois Zhu Rongji inaugurèrent les premiers trente-et-un kilomètres de voie, un essai grandeur nature reliant l’aéroport de Pu dông au centre financier de Shanghai. Cette voie permettait de dépasser une vitesse de 400 km/h. Déjà dotée de l’ICE, l’Allemagne n’était pas intéressée par ce bolide. Les planificateurs chinois pensèrent différemment, car selon eux, l’économie a besoin d’une vision à long terme. Comme la Tour Eiffel ou le Burj al-Arab (hôtel de Doubaï le plus luxueux au monde), ces mégalithes architecturaux ont servi à leur époque de prototypes pour de nouvelles avancées technologiques. Ainsi, les Chinois regardent le Transrapid comme une motivation pour une population de 1,4 milliard d’habitants, afin de dépasser un jour leurs maîtres occidentaux. Après la construction de la voie-test, il a été très rapidement convenu de l’établissement d’un consortium avec une participation chinoise : Pékin entendait équiper son territoire de cette technologie révolutionnaire dans les plus brefs délais. Dans la prochaine décennie, pour exploiter les avantages de ce train à très grande vitesse, 25 000 km de voies seront posées contre 3 300 km actuellement.
    Des enregistrements vidéo ont montré comment, la nuit, des ingénieurs chinois s’introduisaient dans les ateliers pour examiner secrètement le prototype du Transrapid. Il y a trois ans, la Chine présentait à l’université de Tonji à Shanghai un train fonctionnant sur le même principe magnétique. Entre-temps, d’autres trains équipés d’une bien meilleure technologie ont aussi été présentés. L’un d’entre eux est un modèle qui dépasserait les 500 km/h et coûterait 30 % moins cher que celui de ThyssenKrupp. En 2009, les Allemands ont négocié un accord stipulant que les Chinois pourraient obtenir les licences pour la mise en fonction du Transrapid sur les voies de Mandchourie. Il ne fait aucun doute qu’à Düsseldorf les Chinois useront de malice pour mettre la main sur l’ensemble des techniques du Transrapid à un prix très modique. La guerre des nerfs entre les industriels chinois et allemands est portée à son comble.

    Une nation adepte du plagiat industriel

    Dans d’autres cas liés à la technologie et derrière des sourires très habiles, la plupart des entreprises ayant passé des accords avec la Chine, connaissent les mêmes désagréments. Lors des salons de l’automobile de Shanghai et de Pékin, les visiteurs ont toujours une curieuse impression de déjà-vu. La Lifan 320 ressemble à s’y méprendre à la Mini de BMW. La Smart de Daimler a aussi son clone chinois. A la différence du modèle allemand, Noble est équipé de deux sièges supplémentaires. Utilisant la voie juridique, Daimler essaya en vain d’empêcher l’exportation en Europe de ce plagiat par le constructeur Shuanghuan. D. Zetsche, le Directeur de Daimler, commenta avec humour : « Ce plagiat traduit bien une forme de déférence ». Responsable dans le monde de 80 % des vols sur la propriété intellectuelle, la Chine est la championne des nations pratiquant le plagiat. Les entreprises allemandes hésitent à faire comparaître devant les tribunaux les entreprises spoliatrices. Elles ont peu confiance dans le système juridique des pays asiatiques et craignent d’éventuelles représailles. Elles préfèrent donc se retirer, frustrées du marché chinois. Il y a cinq ans Manfred Wittenstein, Président de VDMA, voulait construire une usine pour des entreprises distribuant en Chine du matériel de haute technologie. Quand les autorités de Pékin exigèrent la publication des plans techniques et le processus de production, il abandonna tout projet. « Le marché chinois cache beaucoup de pièges que nous avons peine à évaluer », déplore M. Wittenstein. Une fois copiés par des concurrents chinois, les machines et leurs composants sont ensuite proposés à bas prix sur les marchés indien et russe. En Allemagne, deux entreprises sur trois spécialisées dans la construction de machines industrielles, pâtissent d’actes de piraterie, estime VDMA, organisation défendant les intérêts de plus de trois mille petites et moyennes entreprises (PME) allemandes. Les constructeurs allemands perdent l’équivalent d’un chiffre d’affaires de 6,4 milliards d’euros par an.
    L’histoire des relations entre Allemands et Chinois est émaillée par de nombreuses incompréhensions. Les Allemands ont une image stéréotypée d’une Chine pauvre. Les scènes de misère sont en partie révolues. Pendant la période médiévale, la technologie de l’empire chinois était supérieure à celle des puissances européennes. Les échanges étaient faibles. Avec maintes difficultés, ils se développèrent à la fin du XVIIIe siècle. L’histoire de Johann Adam Schall von Bell (1591-1666) étaye d’une certaine manière la méfiance de la Chine à l’égard de l’Europe et de l’étranger. L’astronome allemand était un fonctionnaire de la cour et directeur de l’observatoire impérial. Après le décès en 1661 de son protecteur et mécène l’Empereur Shunzhi, il fut condamné à mort. L’intérêt de Berlin pour la Chine reprit forme au XIXe siècle quand l’empire allemand fonda la colonie de Tsingtau. Une fois encore, le colonisateur allemand fit l’objet d’une résistance locale cristallisée dans les récits de l’histoire du mouvement des Boxers qui attaquèrent en 1900 le quartier de l’ambassade à Pékin et tuèrent l’ambassadeur allemand. L’Empereur Guillaume II vitupéra : « Plus jamais un Chinois ne sera autorisé à regarder un Allemand de travers ». Après la Première Guerre mondiale, bien que des officiers et des représentants allemands de l’industrie lourde aient aidé le général nationaliste Chiang Kai-Shek, les relations connurent une nouvelle embellie dans les années 1980. Ainsi, en 1984, Volkswagen s’associa avec le constructeur automobile de l’Etat de Shanghai. Trois mois seulement après la répression sanglante de la place Tiananmen en juin 1989, Otto Wolff von Amerongen (décédé en 2007), le Président du comité de l’Est de l’économie allemande, rencontrait le Premier ministre Li Peng.

    Des dissidents emprisonnés

    Sous les mandats des chanceliers Kohl et Schröder, les Allemands étaient perçus par Pékin comme des partenaires opportunistes. Néanmoins, en 2007, A. Merkel fit un affront à la Chine en recevant à Berlin le Dalaï-Lama, le chef spirituel du Tibet occupé par l’armée chinoise. Les dirigeants chinois écumèrent. Ils annulèrent les rencontres diplomatiques et menacèrent de résilier de nombreux contrats. De puissants directeurs d’entreprises comme Jürgen Hambrecht, Directeur de BASF, invitèrent à traiter les différends dans le calme. La chancelière se montra imperturbable, même si son attitude évolua. Lors de sa dernière visite à Pékin, elle remit une liste mentionnant les noms des dissidents emprisonnés, et elle aborda timidement le thème des droits de l’homme. La direction du Parti communiste n’en fut pas du tout embarrassée. A. Merkel est convaincue que la Chine veut devenir à n’importe quel prix une grande puissance. Et la crise financière a évidemment accéléré ce processus.
    Berlin souhaite entretenir les meilleurs rapports avec Pékin. Mais comment peut-on en même temps envisager des liens très étroits avec un Etat et critiquer ses entorses aux droits de l’homme et aux règles internationales ? A. Merkel doit soigner ses rapports sans donner l’impression qu’elle est prête à tout sacrifier pour le sacro saint « droit des affaires ». Elle encourageait les acteurs de l’économie allemande qui s’étaient rendus à Pékin en juillet 2010 à ne pas donner libre cours à leur courroux sur la « piraterie industrielle ». Hambrecht, le patron de BASF s’était déjà plaint à ce propos de l’attitude de Pékin, expliquant que cela « ne répondait pas aux attentes de notre partenariat ».

    Pékin finance la dette de Washington

    A l’avenir et pour leur propre intérêt, les Allemands devront apprendre à ne pas s’incliner et mettre en avant la défense des valeurs dites « démocratiques » afférant aux Etats de droit. En Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud, les dirigeants chinois se présentent sous le jour d’un Etat capitaliste autoritaire. Par conséquent, si l’Allemagne et l’ensemble des démocraties occidentales veulent conserver leur influence dans le tiers monde, ils ne devront pas brader leurs principes fondamentaux. Par ailleurs, les Etats-Unis ont financé par le crédit leur consommation et sont devenus tributaires de Pékin. Les conséquences de cette dépendance motivent des intérêts de géopolitique : sur le théâtre afghan, pendant que les GI mènent la guerre contre les Taliban, la Chine investit dans les ressources minières de ce pays. Depuis des années, la Chine est le plus grand créancier de l’Oncle Sam. Cela signifie qu’elle peut spéculer à sa guise sur le dollar. Les Etats-Unis pourront sortir de cet étau, à condition de revenir à une économie saine en relançant notamment l’épargne des ménages. Nous pourrions bien entendu étendre ce raisonnement au continent européen qui souffre des mêmes maux et mentionner la Grèce, l’Irlande ou l’Espagne menacées de faillite nationale. De plus, ces nations sont susceptibles d’entraîner la zone euro dans une très grande fluctuation. Ce mécanisme nuirait aux Allemands qui se verraient sanctionnés dans leur politique d’exportation. La mission première de l’Europe est simple : A. Merkel, Sarkozy et les chefs d’Etat européens doivent empêcher la faillite des pays membres de la zone euro en remettant le plus vite possible l’Union monétaire sur des bases solides. Mais en s’engageant début octobre à financer la dette de la Grèce et en la soutenant dans le cadre de ses futures émissions d’obligations à long terme, la Chine a une fois de plus illustré sa toute puissance au détriment de l’Union européenne. L’objectif de cette perspective politique n’a jamais été la sauvegarde des intérêts communautaire. Bien au contraire, l’UE est un cheval de Troie du mondialisme qui a pour but occulte la mort économique de ce continent. Ayant gagné cette bataille, la Chine s’appliquera ensuite à faire flotter sur les crêtes du monde l’étendard de son idéologie déshumanisée, naturaliste et païenne.

    Annuellement, 900 000 universitaires chinois diplômés

    C’est pourquoi nous ne pouvons que douter de la réussite des hommes d’affaires allemands qui ont pris le parti de défendre encore plus fortement qu’auparavant leurs avancées technologiques contre les insistances et les ruses de Pékin. Etant donné que l’Empire du Milieu s’attaque à l’industrie de la République fédérale, la protection de la propriété intellectuelle devient une question de survie. L’économie fédérale profite encore du fait qu’un ingénieur est mieux formé en Allemagne qu’à Pékin ou à Guangdong. La politique de formation s’avère par conséquent extrêmement vitale pour l’économie fédérale. Mais pour combien de temps encore ? 900 000 Chinois terminent chaque année leur formation universitaire, 500 000 sortent avec un diplôme d’ingénieur et 230 000 étudient à l’étranger. Parlant d’une agonie annoncée, un patron de l’industrie automobile allemande commente : « Soit nous renonçons à ce marché gigantesque en pleine croissance, soit nous nous soumettons aux conditions des Chinois ».

    Laurent Glauzy
    tiré de l’ Atlas de géopolitique révisée, tome II

    http://www.contre-info.com/chine-le-fossoyeur-de-la-technologie-allemande#more-30662

  • Pourquoi l’Allemagne exporte plus de fromage que la France

    L’Allemagne exporte davantage de lait et de fromage que la France. Elle bâtit son avantage compétitif en aval, quand le lait ne relève plus de l’agriculture mais de l’industrie. Avec une politique de l’offre et non de la demande. Les Français ont un gros complexe vis-à-vis des Allemands. Un complexe industriel : la manufacture pèse deux fois plus de l’autre côté du Rhin que de ce côté-ci. Elle dégage un colossal excédent commercial là-bas contre un déficit significatif ici. Les Français ont tort. Le problème n’est pas l’industrie, mais la compétitivité. Leur économie a longtemps exporté plus de services, plus de produits agricoles que son voisin. Ce n’est plus le cas. Depuis 2001, l’Allemagne vend davantage de services à l’étranger. L’écart des exportations entre les deux pays approche 50 milliards d’euros. Encore plus frappant : depuis 2005, la première puissance industrielle européenne a aussi dépassé la France sur les produits agricoles. Son avance va sur les 25 milliards. Elle vend même… plus de fromage que la France. En une décennie, elle en a augmenté ses volumes exportés de 23 %, contre 8 % côté français. Sans avoir jamais eu un ministre proclamant que labourage et pâturage sont les deux mamelles du pays ! L’exemple du lait et des produits laitiers est éclairant, car il révèle l’imbrication des causes politiques, économiques, sociales, culturelles… et industrielles dans ce qui fait la compétitivité d’une filière et aussi d’un pays. Pour expliquer la performance allemande, les éleveurs français invoquent la taille des exploitations. A première vue, ce n’est pas évident. Des deux côtés du Rhin, les fermes ont en moyenne une quarantaine de vaches. Il y a des petites unités dans le sud de l’Allemagne et dans les montagnes françaises, comme il y en a des grandes dans le septentrional Schleswig-Holstein ou en Bretagne. Mais derrière les moyennes, l’Allemagne favorise la grande taille par quatre mécanismes. Le premier est culturel. Dans le nord du pays, l’héritage passe par un droit d’aînesse. Un seul enfant reprend l’exploitation. Comme il ne s’est pas endetté pour racheter les parts de ses frères et sœurs, il peut donc investir. Le deuxième mécanisme est politique : les autorités allemandes subventionnent d’abord les grands projets d’investissement dans les fermes, tandis que Paris saupoudre (comme souvent). Le troisième facteur est social : c’est l’absence de SMIC en Allemagne. Contrairement à l’industrie, il n’y a pas de convention collective fixant un salaire minimum. Les éleveurs allemands peuvent donc embaucher de la main d’œuvre peu payée, souvent venue des pays de l’Est. Enfin, la quatrième raison est sanitaire : les normes pesant sur les installations deviennent très lourdes et donc coûteuses dès que la ferme compte plus de 100 vaches en France, contre 300 en Allemagne. Petits ou grands, les éleveurs allemands ont deux autres atouts dans la manche. Le premier est un régime particulier de TVA. Ils peuvent opter pour le « Pauschalierung » qui leur permet de ne pas reverser au fisc la différence entre la TVA reçue sur leurs ventes et celle payée sur leurs achats. Le deuxième est un soutien aux énergies renouvelables, avec des prix élevés d’achat de l’électricité ainsi produite, garantis sur vingt ans. Des milliers d’unités de biogaz ont été construites. Des panneaux solaires couvrent beaucoup de hangars agricoles. Les éleveurs louent même des toits d’entrepôts à des entreprises ! Et pourtant… la compétitivité laitière allemande ne vient pas de cette brochette d’avantages. Les experts de l’Institut de l’élevage, qui ont étudié la question de près, sont formels : les coûts de production du lait ne sont pas très différents dans les deux pays. L’ajustement se fait par les revenus : les éleveurs français gagnent moins d’argent de ce côté-ci du Rhin. Lors d’une rencontre entre éleveurs des deux pays, un Français a demandé à un Allemand comment il faisait pour s’en sortir. L’Allemand, qui s’en sortait très bien, a pris la question pour un compliment ! Suite sur Les Echos => http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0203090688987-pourquoi-l-allemagne-exporte-plus-de-fromage-que-la-france-624330.php

  • Chasseurs de matières premières

    Chaque citoyen européen consomme par an en moyenne 26 kilos d’appareils en tous genres : ordinateurs, téléphones, télévisions, électro-ménager... L’avons-nous décidé ? Le souhaitons-nous ?
    Quoi qu’il en soit, cet acte apparemment innocent a en réalité un impact énorme. Sur la Nature, on s’en doute, mais aussi sur des êtres humains. Des femmes et des hommes du Sud sont condamnés à mourir de faim, leurs enfants seront privés d’éducation, ils souffriront de la malaria, de la tuberculose et autres maladies endémiques.
    Mais quel lien y a-t-il donc entre ces achats au Nord et cette misère au Sud ? C’est ici que le livre de Raf Custers apporte un éclairage indispensable. Cuivre, aluminium, fer, plomb, cobalt, zinc, manganèse, bauxite, chrome, uranium, or et diamants proviennent surtout d’Afrique, et leur extraction crée à la fois une richesse fabuleuse et une misère impitoyable. Raf Custers se rend sur place sur place et nous fait comprendre comment.
    Chasseurs de matières premières, nous le voyons comme une pièce qui doit absolument figurer dans votre dossier personnel « Puis-je faire quelque chose contre la faim, contre la pauvreté, pour la solidarité ? » Une pièce qui donne tout son sens aux recherches et à la colère de Jean Ziegler concernant la faim dans le monde, ses causes et la responsabilité des multinationales. Jean m’en a parlé :
    « Les chiffres sont catastrophiques. Toutes les cinq secondes, un enfant meurt de faim. 47.000 personnes meurent de faim tous les jours. Alors que l’agriculture mondiale dans l’état actuel de son développement pourrait nourrir sans problème douze milliards d’êtres humains! Un enfant qui meurt de faim, au moment où nous parlons, est un enfant assassiné. Sur le plan de la lutte contre la faim, l’échec est total. » Mais ce livre donne aussi tout son sens à mes recherches personnelles : pourquoi l’Amérique latine est-elle pauvre et quel espoir de libération apporte l’expérience d’Hugo Chavez, Evo Morales et d’autres...
    Nous sommes traumatisés, on peut le dire, par cette pauvreté qui persiste et même s’aggrave, en dépit des promesses les plus solennelles. Nous sommes angoissés par ce chiffre impitoyable : un milliard d’êtres humains souffrent aujourd’hui de la faim. Plus que jamais dans l’histoire de l’humanité ! Et donc nous sommes tous deux extrêmement soucieux de voir s’engager plus de forces encore dans cette bataille contre des règles économiques meurtrières, contre une concurrence aveugle qui pousse inexorablement à détruire la Nature et les hommes.
    Plus de forces, cela veut dire plus de témoignages, plus de reportages, plus d’analyses concrètes sur cette affaire qu’on veut absolument nous cacher : comment la politique du Nord, la politique du 1% (menée en notre nom en plus !), comment cette politique assassine-t-elle ? N’est-ce pas un slogan facile ?
    Le livre de Raf Custers prouve que non. Ce journaliste et chercheur - d’un genre particulier – parcourt le monde et il nous prête ses yeux pour voir tout ce qu’on cherche à nous cacher... Nous rencontrons ces mineurs maliens obligés par Bouygues et Cie de chercher l’or avec de l’arsenic et du cyanure qui les tuent en quatre ou cinq ans, et leur pays qui reste pauvre parce que les bénéfices de cette industrie s’en vont au Nord sans aucun partage. Nous entendons ces pêcheurs marocains que les bateaux industriels du Nord ont ruinés en pillant le poisson de l’Atlantique et qui ensuite ne trouvent aucun travail dans la région parce toute la richesse des mines de phosphate est confisquée par une élite marocaine corrompue qui la refile aux transnationales. Nous éprouvons l’amertume de ces paysans congolais qui vivent au pied d’un des plus grands barrages électriques du monde mais n’ont pas d’électricité parce que les tyrans et leurs protecteurs occidentaux ont décidé que cette énergie ne servirait qu’à faire du fric. Nous sentons l’angoisse de ces mineurs d’un peu partout qui ont ou n’ont pas de travail selon les décisions fluctuantes du « marché », c’est-à-dire - pour ne pas être hypocrites - des spéculateurs boursiers richissimes qui s’enrichissent sur leur sueur, mais dont la cupidité provoque des crises à répétitions. Tous ces gens, Raf Custers va à leur rencontre, les écoute et nous transmet leur vie : souffrances, colères, espoirs, résistances...
    Mais le livre va plus loin. Raf Custers interroge aussi... certains responsables de ce pillage et de cet appauvrissement. Pas au plus haut niveau, on s’en doute, mais des acteurs locaux : ingénieurs, directeurs d’exploitation, experts des firmes minières transnationales confient leurs petits secrets au reporter qui a su les approcher. Et nous en apprenons de belles sur les méthodes locales de ces firmes. Nous comprenons mieux leur logique dangereuse. Des connaissances dont nous avons besoin, en tant que citoyens : il faut savoir comment fonctionne notre adversaire.
    Mais Raf Custers n’est pas seulement témoin et reporter, il est aussi chercheur au Groupe de recherches sur l’économie alternative (Gresea), basé à Bruxelles. Et donc, il complète le dossier en analysant pour nous les mécanismes économiques, les règles de la concurrence, les stratégies spéculatives. En outre, quand il parcourt le monde, c’est aussi pour enquêter auprès de certains acteurs et experts locaux qui en savent long sur ces stratégies des multinationales. Bref, nous en apprenons beaucoup sur des groupes très connus : Bolloré, ArcelorMittal, George Soros, Mitsubishi. Et sur d’autres groupe moins connus qui préfèrent rester discrets, mais tout aussi importants : AngloGold, BHP Billiton, Banro, Umicore...
    Reste la question : comment ces transnationales ont-elles tant de pouvoir ?
    S’amènent-elles avec tellement de canons ? Parfois oui, mais en général, c’est plus subtil : corruption, chantage et lobbying. Et là aussi Raf Custers nous permet de comprendre comment ceux qui sont les instruments des transnationales manoeuvrent sur le terrain. C’est la Banque mondiale qui se présente toujours en humanitaire arrogant et dominateur alors que ses choix ont plongé dans la misère chacun des pays qu’elle a « aidés ». C’est le commissaire européen au Commerce, le Belge Karel De Gucht, qui s’amène à Kinshasa en rangeant au dernier moment son casque colonial au vestiaire. Ce sont ces ONG oeuvrant soi-disant à la « transparence », mais financées par un des spéculateurs les plus secrets et les plus criminels de la planète. C’est... oh surprise, le séduisant George Clooney transformé en vulgaire représentant de commerce des compagnies minières US qui cherchent à faire main basse sur les matières précieuses de la région.
    La leçon de Chasseurs matières premières est limpide et tellement utile : tant que les pays du Sud seront faibles et dépendants, tant qu’ils ne pourront décider par eux-mêmes, alors toutes les richesses de l’Afrique ne cesseront de s’enfuir par les « veines ouvertes » de l’Afrique. Mais c’est aussi une leçon d’espoir.
    Sa visite en Bolivie montre sur le terrain comment Evo Morales inverse la logique : au lieu d’exporter le lithium brut dont la transformation (et le gros des profits) se fera au Nord, les Boliviens ont mis en route tout un programme pour le transformer sur place, le vendre plus cher, voire même fabriquer eux-mêmes des autos électriques. S’industrialiser ? Grande fureur de Renault qui voulait garder le contrôle total comme « au bon vieux temps ».
    Ce que l’Amérique latine a entrepris, l’Afrique commence à se dire qu’elle peut le faire aussi. Récupérer la souveraineté sur les matières premières, employer ces richesses pour apporter – enfin - l’éducation et les soins de santé aux êtres humains qui produisent ces richesses. Et pour développer une économie locale qui permettra de nourrir ceux qui ont faim.
    Seulement, sur cette route, les pays africains auront à faire à forte partie ! Raf Custers nous révèle les chantages, sabotages, guerres civiles et autres crimes, le mot n’est pas trop fort, auquels recourent les transnationales. Tout faire pour empêcher un pays comme le Congo de se mettre debout et de décider de ses proches richesses. « Le souverainisme, voilà le danger », affirme crûment le néocolonial Karel De Gucht en visite à Kinshasa.
    La pauvreté n’est pas un accident, c’est un système. Très bien organisé et ceux qui en profitent n’ont aucune intention de le changer. Autant le savoir. Seule la lutte et la solidarité vaincront la pauvreté.
    Et là aussi, Custers est très utile. Son épilogue recherche où les pays africains pourront trouver la force nécessaire à ce combat. En s’unissant et en coopérant entre eux, bien sûr. En se tournant vers les nouvelles puissances économiques émergentes : Brésil, Inde, Russie, Afrique du Sud et surtout la Chine, bien sûr.
    Mais tout est fait pour empêcher l’Afrique de nouer un partenariat avec la Chine. Alors, la question – clé sera donc : où trouver la force pour imposer une autre politique ? Visitant l’Afrique du Sud, ses mineurs, ses syndicalistes, Custers nous répond : la force véritable ne se trouve pas au sommet, dans les Etats. Elle se trouve seulement en bas : en mobilisant les masses et en développant la démocratie. Voilà pourquoi ce livre ne nous apporte pas seulement la colère, il nous apporte aussi l’espoir.
    Et le rappel de notre responsabilité... Alors, on continue comme ça ? Au Nord, on jette et au Sud, on crève ? On laisse faire les transnationales ? En attendant l’explosion générale ? Ou bien, on s’assied, on écoute les témoignages et les analyses, et on décide ensemble, Nord et Sud, comment changer ces mécanismes meurtriers, comment supprimer la faim et la pauvreté, comment bâtir un autre monde...

    Michel Collon http://www.voxnr.com/cc/etranger/EFlkEyVkAyngBqUIFP.shtml

  • Après l’OGM voilà l’EGM « Enfant Génétiquement Modifié »

    De Anne Girault, Présidente de Femina Europa, Représentante de l’Union Mondiale des Organisations Féminines Catholiques (UMOFC) au Conseil de l’Europe et à l’UNESCO :

    "A Strasbourg, [hier], dans une course contre la montre, plus de vingt parlementaires du  Conseil de l’Europe ont signé  un projet de déclaration contre la création d’embryons avec trois parents génétiques (au moins). “Les membres de l’assemblée parlementaire affirment que la création d’enfants avec du matériel génétique de plus de deux personnes géniteurs, proposée par l’Autorité d’embryologie et de fertilité humaine du Royaume-Uni, est incompatible avec la dignité humaine et le droit international.”" [voir le projet plus bas]

    "Le Parlement britannique qui n’a pas ratifié la Convention d’Oviedo sur la protection du génome humain veut autoriser dans les prochaines semaines une technique appelée « remplacement mitochondrial » pour soigner une maladie rare. Cette manipulation fait appel à l’ADN de trois personnes et détruit un embryon sain pour en soigner un autre. Le droit à la vie de l’embryon sain n’est pas respecté et la technique utilisée permet le clonage.

    Les premiers enfants nés génétiquement modifiés ne seront pas garantis, car une telle procédure n’est pas maîtrisable, ce seront des cobayes à vie qui transmettront leur nouvel ADN à leur descendance. La fondatrice de CORE « Comment on Reproductive Ethics » Joséphine Quintavalle a exposé les arguments scientifiques, juridiques et éthiques contre cette pratique eugéniste au cours d’une audition publique au Parlement. Les textes qui protègent la vie et l’embryon existent mais ils sont toujours remis en cause et affaiblis par des interprétations relativistes ou réductrices. CORE a répertorié de nombreux cas de femmes « donneuses » d’ovules qui sont devenues stériles ou ont eu des difficultés à avoir des enfants après une hyperstimulation ovarienne. Un documentaire a été produit pour attirer l’attention sur leur sort et avertir les femmes vulnérables qui risquent leur santé et même quelquefois leur vie pour un peu d’argent. Le Parlement Britannique sera-t-il sensible à la pression des parlementaires ? En Californie le Gouverneur Jerry Brown a récemment refusé une loi qui autorisait les chercheurs à acheter des ovules. Il a précisé que les risques pour la santé des femmes étaient trop élevés et que « tout n’est pas à vendre dans la vie ». Et comme disait un chercheur « je fais de la génétique mais pas de l’eugénisme »."

    Projet de déclaration écrite de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) sur la création d’embryons avec du matériel génétique issu de plus de deux géniteurs

    Lire la suite "Après l’OGM voilà l’EGM « Enfant Génétiquement Modifié » "

    Michel Janva

  • Un apiculteur landais aurait trouvé l’arme fatale contre les frelons asiatiques

    « Depuis dix ans qu’il est implanté en France, le frelon asiatique fait maintenant partie de la biodiversité malgré tout ce qui a été mis en œuvre pour l’éradiquer. Il a conquis plus de soixante départements et a été signalé en Belgique, en Espagne et au Portugal et n’a pas fini de faire parler de lui. L’intérêt qu’il porte aux abeilles, source abondante de protéines, menace l’apiculture de loisirs. Toutefois, selon Francis Ithurburu, un prédateur peut lui être opposé.

    Ce passionné d’apiculture s’est penché sur le frelon asiatique et l’a étudié de près. Jetant un coup d’œil en arrière, il s’est souvenu que dans la cour de nos grands-pères, les volailles côtoyaient les ruches. Il a donc tenté l’expérience, sachant de plus que le jeune poulet a grand besoin de protéines pour sa croissance. »

    Source et suite

    http://www.contre-info.com/

  • Peut-on censurer au nom de la science ?

    « La science est réfutable par essence et toute théorie, même la plus éprouvée par l’expérience, peut être remise en cause à tout moment si une expérience la prend en défaut. »
    « Popular Science », l’un des plus anciens journaux de vulgarisation scientifique du monde, vient de décider de supprimer ses commentaires, par crainte des « trolls », ces commentateurs obsessionnels, dont l’influence serait excessive. Sur le blog Passeur de sciences, Pierre Barthélémy s’interroge : « Peut-on censurer la science ? », notamment pour éviter trop de commentaires critiques de la théorie de l’évolution, contestataires de la thèse de l’origine du réchauffement climatique, ou doutant de l’histoire officielle à base d’arguments révisionnistes.
    Poser la question c’est y répondre : du point de vue scientifique, seul peut être dit vrai ce qui peut être librement contesté. Ce qui n’est pas contestable relève de la vérité de nature religieuse, non de la vérité de nature scientifique qui suppose une remise en cause permanente. L’article de Pierre Barthélémy n’en est pas moins intéressant parce qu’il révèle des préjugés de notre époque comme de l’efficacité pratique des commentaires sur Internet. Nos lecteurs le trouveront ci-dessous. Polemia

    C'est une information qui donne à réfléchir. Dans un article publié en ligne mardi 24 septembre, Suzanne LaBarre, rédactrice en chef du site Internet de Popular Science, un des plus anciens journaux de vulgarisation scientifique du monde, a annoncé sa décision d’appuyer sur le bouton « off ». De désactiver la fonction « commentaire » de son site Web. D’empêcher les lecteurs de dire ce qu’ils pensent au sujet des articles publiés.

    Suzanne LaBarre explique que « cette décision n’a pas été prise à la légère » et qu’il est une conséquence directe de ce que j’appellerai l’ »effet crado » (« the nasty effect » en anglais). Cet arrêt des commentaires est une réaction directe à la pollution des sites d’information par les trolls, qu’ils soient humains ou robotisés, organisés par des lobbies ou pas. Trolls qui déversent dans les commentaires des textes à l’argumentation parfois préfabriqués et copiés-collés, destinés, dans le cas de l’information scientifique, à instiller le doute dans l’esprit des internautes, qui sur la réalité du réchauffement climatique, qui sur la validité de la théorie de l’évolution, qui sur l’innocuité des vaccins, etc. Bref à utiliser l’outil du commentaire pour manipuler l’opinion.

    Comme le souligne Suzanne LaBarre, ces commentaires ont vraiment le pouvoir de modifier la perception que le public se fait d’une nouvelle dans le domaine des sciences. L’ « effet crado » a été mis en évidence il y a quelques mois dans une étude publiée par le Journal of Computer-Mediated CommunicationPour résumer, les auteurs ont soumis plus d’un millier de personnes, échantillon représentatif de la population américaine, à un article fictif sur Internet rendant compte d’une découverte dans le domaine des nanotechnologies. Une partie des « cobayes » voyait l’article accompagné de commentaires lançant certes un débat contradictoire mais sur le mode cordial et ouvert. L’autre partie avait accès à une discussion tout aussi contradictoire, qui prenait cependant la tournure musclée, péremptoire et parfois méprisante qui est la marque de fabrique des trolls. Cette dialectique avait un effet significatif, qui polarisait davantage le lectorat et, surtout, modifiait la perception de l’information en altérant la capacité d’adhésion à la technologie présentée. L’effet « crado » est la version Internet du « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ».

    Pour Suzanne LaBarre, les conséquences des agissements des trolls sont évidentes : « Les commentateurs façonnent l’opinion publique ; l’opinion publique façonne les politiques publiques ; les politiques publiques décident si la recherche est financée, comment elle l’est et quel type de recherche l’est – vous commencez à voir pourquoi nous nous sentons contraints d’appuyer sur le bouton “off”. » A cela il faut ajouter le contexte américain de « guerre » contre la science que j’ai plusieurs fois évoqué dans ce blog (lire ici, ici ou encore là). Les Etats-Unis sont certes les champions du monde au palmarès des prix Nobel scientifiques mais il s’agit aussi d’un pays dont un des deux principaux mouvements politiques, le parti Républicain, est ouvertement en croisade contre la science soit parce que celle-ci s’attaque aux puissances industrielles qui financent ce parti (cf. le climato-scepticisme), soit parce qu’elle offre une vision du monde qui remet en cause les représentations traditionnelles des électeurs américains les plus conservateurs. A ce titre, entendre Sarah Palin dire en 2008 que les hommes avaient côtoyé les dinosaures il y a 6 000 ans (date supposée de la création de l’Univers par Dieu), n’était au fond guère étonnant…

    Si l’on interprète correctement ce que dit Suzanne LaBarre, publier sur le site Internet d’un journal de vulgarisation scientifique des commentaires disséminant volontairement des contre-vérités ou se faisant les relais des marchands de doute dénoncés par Naomi Oreskes et Erik Conway, revient à se tirer une balle dans le pied, à desservir la cause de la science. D’où la conséquence « logique », la fermeture desdits commentaires. Qu’on aime ou pas Popular Science, pareil choix venant d’un monument de la vulgarisation scientifique, qui fêtera dans quelques années son siècle et demi d’existence, pose bien des questions. La première consiste à se demander si ce renoncement, cet aveu d’impuissance, ne signe pas par contraste la victoire suprême des trolls. Certes ils disparaîtront du paysage, ils ne se serviront plus du média comme d’un porte-voix pour leur propagande… mais les autres internautes n’auront plus d’espace d’expression, ceux qui veulent sincèrement et honnêtement participer au débat sur tel ou tel aspect de l’actualité de la recherche.

    La deuxième question est celle qui donne son titre à ce billet : peut-on censurer au nom de la science ? La science est un perpétuel processus d’erreurs et de corrections. Elle est réfutable par essence et toute théorie, même la plus éprouvée par l’expérience, peut être remise en cause à tout moment si une expérience la prend en défaut. La science est aussi une agora dans laquelle chacun soumet ses arguments aux critiques des autres avec l’espoir qu’en débattant, on percevra mieux le visage de la vérité. Si l’on s’en tient à ce résumé, la censure est donc à l’opposé du fonctionnement de la recherche. Mais, sur le plan pratique, cela n’est valable que si tous les participants acceptent les règles du jeu.

    C’est là le point le plus important du débat. Les trolls ne jouent pas le jeu. On les reconnaît soit parce qu’il font intervenir de faux experts, soit parce qu’ils pratiquent la sélection de données pour ne retenir que celles qui les arrangent, soit parce qu’ils mettent sans cesse sur le tapis des arguments et des travaux qui ont été maintes fois réfutés pour des erreurs factuelles, des biais méthodologiques ou des conflits d’intérêts. Et, bien sûr, il leur arrive de faire tout cela en même temps. C’est ce que j’ai coutume d’appeler le négationnisme scientifique, même si j’ai parfaitement conscience que la connotation historique très forte du mot  «négationnisme » rend l’expression exagérée. Certains préfèrent celle de « déni de la science » La question « peut-on censurer au nom de la science ?» revient donc à se demander ce qu’on doit faire avec ceux qui ne jouent pas le jeu selon les règles. En général, la réponse est l’exclusion de la partie. Le problème avec l’option radicale qu’a choisie Popular Science, c’est qu’elle revient à donner un carton rouge à tous les joueurs de l’équipe quand un seul a fauté.

    Pour terminer sur une touche plus personnelle, la décision de « Pop Sci » invite le blogueur scientifique que je suis à s’interroger sur ses propres pratiques de « modération ». Il m’est en effet arrivé de voir Passeur de sciences pris dans la déferlante des trolls à l’occasion de tel ou tel billet, qu’il soit sur le créationnisme en Turquie ou aux Etats-Unis, sur le réchauffement climatique ou encore sur les théories du complot. Très souvent, ces internautes ne s’embarrassent guère de fioritures, se contentant de changer de pseudonyme pour faire croire à un « effet masse », à une réaction collective, mais oubliant de modifier l’adresse IP à partir de laquelle on peut identifier les commentateurs… Les premières fois, on tente d’être ouvert à la critique, de répondre posément aux remarques, de rectifier ce qu’on prend pour des erreurs alors qu’il s’agit de mensonges manifestes. On apprend vite l’adage « Don’t feed the troll », ne pas nourrir le troll, lequel n’est jamais aussi heureux que quand il vous a attrapé dans ses filets. Sur ce point, je suis d’accord avec Suzanne LaBarre : tout le temps perdu à répondre aux trolls de manière raisonnable est du temps volé à l’information, à la réflexion, à l’écriture et aux autres lecteurs, ceux qui sont de bonne foi.

    La charte des blogs du site Internet du Monde n’est pas toujours d’un grand secours car elle reste assez générale. Elle précise néanmoins plusieurs choses, notamment que sont proscrits « la violence ou l’incitation à la violence, politique, raciste ou xénophobe, la pornographie, la pédophilie, le révisionnisme et le négationnisme (…) ; le détournement du service de blogs pour faire de la propagande ou du prosélytisme, à des fins professionnelles ou commerciales (prospection, racolage ou prostitution) et à des fins politiques, religieuses ou sectaires ». Elle dit aussi qu’il appartient à chaque blogueur « de surveiller et de censurer son contenu, notamment les commentaires que les internautes seront susceptibles d’y publier. Le Monde interactif lui donne la possibilité de supprimer tout commentaire ajouté par un internaute sur son blog. »

    Face aux trolls qui sont d’une insolente mauvaise foi, j’ai souvent été gagné par le découragement ou la colère et tenté d’adopter la solution de Popular Science. De fermer les commentaires et d’avoir la paix dans mon espace. Et puis, à chaque fois, je me suis dit que ceux que j’appelle par ironie les courageux anonymes seraient trop contents d’une telle réaction. Je n’ai pas voulu oublier que, pour un journaliste, l’atout d’Internet par rapport au journal papier est ce contact quotidien avec ceux qui le lisent, cette possibilité de se parler, d’échanger des idées et des informations car il arrive souvent qu’un commentaire enrichisse le billet que j’ai écrit. J’ai donc tenu bon en choisissant simplement, impitoyablement, de clouer le bec aux menteurs patentés, à ceux qui font profession de semer le doute. Ils ont beau jeu, ensuite, de crier ensuite à la censure sur les forums où ces groupuscules aiment à cracher sur les médias, mais peu m’importe. Ce qui compte à mes yeux, c’est que leur propagande et leurs mensonges ne soient pas passés par chez moi. Cela implique de relire tous les commentaires avant leur publication. Avec plus de 24 000 commentaires laissés sur ce blog depuis sa création en décembre 2011, je laisse le lecteur imaginer le temps que j’ai passé à la modération. C’est pour ne pas perdre tout ce temps que Popular Science a opté pour une solution radicale que je regrette tout en la comprenant.

     Pierre Barthélémy
    passeurdesciences.blog.lemonde.fr
    26/09/2013

    http://www.polemia.com/peut-on-censurer-au-nom-de-la-science/

  • Climat : l’imposture du GIEC…

    La climatologie est une science à peu près aussi rigoureuse et incontestable que la divination de foire. C’est la conclusion à laquelle nous conduit le GIEC, autrement décliné, de façon plus pédante, Groupe d’experts (sic) intergouvernemental sur l’évolution du climat.

    Rappelons que ce « machin » a été créé à la fin des années quatre-vingt, sous l’égide de l’ONU, avec pour « mission d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine ». D’emblée, il s’agit de traquer les pollueurs qui détraqueraient la météo !

    Poser comme postulat indiscutable l’origine anthropique du dérèglement climatique est une attitude des plus ascientifiques. Ici, l’axiome relève d’un pur acte de foi, le GIEC se muant, pour l’occasion, en synode quasi conciliaire pour prêcher, urbi et orbi, le nouvel Évangile droit-de-l’hommard du climat unique ! Mais on n’a que faire de la science en cette affaire, pourtant sérieuse, puisque la moraline moralisatrice de ses dispendieux rapports est couverte par l’onction d’un hallucinant prix Nobel décerné à l’institution en 2007. [...]

    Aristide Leucate - La suite sur Boulevard Voltaire

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Climat-l-imposture-du-GIEC

  • La Bourse attaquée par des robots plus rapides que les humains

    Les marchés financiers internationaux ont récemment subit une série de pannes informatiques qui ont subitement forcé la suspension des activités boursières. L’une des raisons de ces « plantages rapides » pourrait être l’émergence soudaine d’un grand groupe de robots ultrarapides, qui procèdent à des transactions financières sur les marchés et agissent plus rapidement que ce que les humains peuvent détecter, ce qui surcharge le système.

    Les apparences de cette « écologie de machines ultrarapide » sont documentées dans une nouvelle étude publiée la semaine dernière dans les Scientific Reports du magazine Nature.

    Selon les conclusions des chercheurs, lorsque le monde boursier passe dans des intervalles moindres qu’une seconde, le secteur financier effectue une transition soudaine dans une cyberjungle habitée par des algorithmes de transactions agressifs.

    « Ces algorithmes peuvent opérer si rapidement que les humains sont incapables d’y participer en temps réel, et c’est plutôt un groupe de robots ultrarapides qui prend le contrôle », explique Neil Johnson, un professeur de physique au College of Arts and Sciences de l’Université de Miami.

    La demande sociétale pour des systèmes plus rapides qui dépassent leurs compétiteurs a mené aux développement d’algorithmes capables d’agir plus rapidement que le temps de réaction des humains. Par exemple, le temps de réflexe le plus faible pour une personne face à un danger est d’approximativement d’une seconde.

    Même un grand maître aux échecs a besoin de près de 650 millisecondes pour réaliser qu’il est en danger, mais les programmes de transactions financières peuvent agir en moins d’une milliseconde.

     

    Lors de l’étude, les chercheurs ont assemblé et analysé une série de transactions financières.

    De janvier 2006 à février 2011, ils ont découvert 18 520 événements extrêmes durant moins d’une seconde et demie, y compris des crashes et des pics. L’équipe a réalisé qu’alors que la durée de ces événements extrêmes ultrarapides tombait sous le seuil du temps de réponse humain, le nombre de chutes et de poussées augmentait de façon dramatique.

    Les chercheurs ont créé un modèle pour comprendre le comportement de ce système et ont conclu que les événements étaient le produits d’échanges informatisés ultrarapides, et n’étaient pas attribuables à d’autres facteurs, comme la réglementation ou des échanges erronés.

    Selon M. Johnson, cette situation est comparable à celle d’un environnement écologique.

    « Tant et aussi longtemps que vous avez la combinaison normale de proies et de prédateurs, tout est équilibré, mais si vous introduisez des prédateurs trop rapides, cela crée des événements extrêmes, dit-il. Ce que nous voyons avec les nouveaux algorithmes ultrarapides est un système de transactions au profil de prédateur. Dans ce cas, le prédateur agit avant même que la proie ne se rende compte de sa présence. »

    Selon lui, pour réglementer et normaliser ces algorithmes ultrarapides, il est nécessaire de comprendre leur comportement collectif. Il s’agit-là d’une tâche complexe, mais celle-ci est facilitée par le fait que les algorithmes fonctionnant plus rapidement que le temps de réponse humain sont relativement simples, puisque la simplicité permet de traiter une opération plus rapidement.

    « Les algorithmes ultrapides effectueront relativement peu de choses, poursuit M. Johson. Cela signifie qu’ils sont davantage portés à adopter le même comportement, et donc former un groupe cybernétique qui attaque une certaine partie du marché. Voilà ce qui donne naissance aux événements extrêmes que nous observons. Notre modèle mathématique est capable de capturer ce comportement collectif en modélisant la façon dont ces groupes numériques fonctionnent. »

    En fait, M. Johnson croit que cette nouvelle compréhension de ces groupes de programmes informatiques pourrait avoir d’autres applications importantes à l’extérieur du domaine financier, comme la gestion des cyberattaques et de la guerre informatique.

    pieuvre.ca

    http://fortune.fdesouche.com/323641-la-bourse-attaquee-par-des-robots-plus-rapides-que-les-humains#more-323641

  • Les lanceurs d'alerte : vigies ou pirates ?

    Jullian Assange, Edward Snowdon, Bradley Manning, ces trois personnages hors du commun ont fait beaucoup parler d’eux. Accusés de traîtrise et d’espionnage, tous les trois connaissent, malgré des soutiens d’importance, l’opprobre et la vindicte des institutions politiques. Le premier est reclus dans l’ambassade de l’Equateur à Londres, le second a obtenu, non sans mal, l’asile politique en Russie mais pour une durée limitée et le troisième, misérable soldat de deuxième classe dans l’armée américaine, vient d’être condamné à 35 ans de prison. Quelles étaient donc leurs véritables motivations ? A les entendre, tous les trois affirment avoir livré et détourné des documents diplomatiques et militaires par pur altruisme, dans le seul but de parvenir à une paix sociale en obtenant des gouvernements et spécialement américain de rétablir la « protection de la vie privée », à lutter contre la corruption, etc.
    Polémia s’est intéressée au cas de ces « whistleblowers »  en publiant deux articles issus de la presse anglo-saxonne et dont on trouvera en notes les liens des originaux. « Le Monde », avec le recul, a publié, sous la signature de Frédéric  Joignot journaliste et romancier, une analyse distinguant les dénonciateurs américains des « lanceurs d’alerte » français. La nuance est parfois subtile ; nous la soumettons à la réflexion de nos lecteurs.

    Aux Etats-Unis, les « whistleblowers » dénoncent des dérives ou des abus de pouvoir déjà existants. En France, l’expression « lanceurs d’alerte » désigne ceux qui anticipent un risque environnemental ou sanitaire. La loi commence à les protéger.

    Les « lanceurs d’alerte » sont des personnages controversés, qui font couler beaucoup d’encre. Petit rappel de l’actualité récente : le 22 juin, l’analyste de l’Agence nationale de sécurité américaine, la NSA, Edward Snowden est inculpé d’ « espionnage » pour avoir transmis à la presse les documents top secret des deux programmes de surveillance massive Prism et XKeyscore. Réfugié à Hongkong, il déclare : « Je suis prêt à tout sacrifier, (1) car je ne peux pas, en conscience, laisser le gouvernement américain détruire la protection de la vie privée. » Le 9 août, Barack Obama doit s’expliquer sur ces écoutes généralisées : il assure que les Etats-Unis n’espionnent pas « les gens ordinaires » et promet davantage de transparence. Enfin, le 21 août, Bradley Manning – qui a fourni, courant 2010, 250.000 câbles diplomatiques et 500.000 rapports militaires classés secret défense à WikiLeaks – se voit condamné à trente-cinq ans de prison par un tribunal militaire américain. Aux Etats-Unis, l’ONG Freedom of the Press Foundation (Fondation pour la liberté de la presse) milite pour qu’il reçoive le prix Nobel de la paix.

    Devoir moral

    Dans les deux cas, ces hommes se sont prévalus d’un devoir moral (2) pour divulguer des informations secrètes. Ce faisant, ils sont devenus des héros pour les uns, des irresponsables, voire des traîtres, pour d’autres. Pourtant, l’action de ces citoyens s’inscrit dans une longue tradition américaine, qui remonte à la lutte contre la corruption dans l’armée pendant la guerre de Sécession. Aux Etats-Unis, le whistleblower – « celui qui souffle dans le sifflet » – est un employé ou un fonctionnaire qui révèle à sa direction, à la police ou à la presse la malhonnêteté d’une administration, la corruption d’une direction, un commerce nuisible à la santé ou une atteinte aux libertés, avec la volonté de défendre l’intérêt public. Au Canada, on traduit le mot par « dénonciateur ». Souvent considérés comme des « délateurs » ou des « mouchards », les whistleblowers sont depuis longtemps protégés par les gouvernements américains.

    Ralph Nader, célèbre militant des droits des consommateurs, a donné ses lettres de noblesse au whistle blowing. Dans An Anatomy of Whistle Blowing « une anatomie du coup de sifflet » (Penguin) – texte paru en 1974 dans Whistle Blowing, avec deux essais de Petkas et Blackwell -, il proclame : « La volonté et la possibilité des employés de siffler une faute est la dernière ligne de défense des citoyens ordinaires contre le déni de leurs droits et de leurs intérêts par des institutions secrètes et puissantes.» L’expression devient alors populaire, comme les whistleblowers.

    Les exemples sont nombreux et retentissants

    En 1971, l’analyste militaire Daniel Ellsberg fournit au New York Times les Pentagon Papers (« papiers du Pentagone ») qui dévoilent l’intensification de l’engagement militaire américain au Vietnam, ce qui lui vaut d’être poursuivi pour vol, conspiration et espionnage. En 1974, l’affaire du Watergate est divulguée au Washington Post par Mark Felt, l’un des chefs du FBI. En 1979, lorsqu’un accident grave survient dans la centrale nucléaire de Three Mile Island, des écologistes décident d’alerter le public.

    Toutes ces affaires sont évidemment relayées par de nombreux débats médiatiques. En 1989, le Congrès américain promulgue le Whistleblower Protection Act afin de défendre toute personne apportant la preuve d’  « une infraction à une loi, à une règle ou à un règlement » ou encore d « une mauvaise gestion évidente, d’un flagrant gaspillage de fonds, d’un abus de pouvoir ou d’un danger significatif et spécifique en ce qui a trait à la santé et à la sécurité du public ».

    Cette loi se voit renforcée, en 2000, par le No-FEAR Act, puis, en 2012, par le Whistleblower Protection Enhancement Act. Ces dispositifs n’ont cependant pas empêché l’inculpation d’Edward Snowden, au grand regret de Stephen Kohn, le directeur de l’association National Whistleblowers Center. En effet, la plupart des employés fédéraux dépendant de l’exécutif et du renseignement ne sont pas protégés par le Whistleblower Protection Act.

    « Prophètes de malheur »

    L’expression française « lanceur d’alerte », elle, s’inspire de cette tradition, mais en l’élargissant. Elle a été forgée en France par deux sociologues, Francis Chateauraynaud et Didier Torny, dans leur ouvrage de 1999 Les Sombres Précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque. Mais, selon Chateauraynaud, le terme est apparu pour la première fois fin 1994, au cours de réunions de travail avec le sociologue Luc Boltanski, un spécialiste de la dénonciation des injustices : « C’était l’époque de la maladie de la vache folle et de sa possible transmission à l’homme, se souvient-il. Certains prédisaient une épidémie massive de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qui a fait plus de 200 victimes humaines. D’où notre intérêt pour ce qu’Hans Jonas, le philosophe qui a inventé l’idée du principe de précaution, appelait “ les prophètes de malheur ” : les chercheurs ou les militants alarmistes, qui voient parfois juste. Mais nous trouvions que les cantonner dans un rôle de Cassandre n’était pas suffisant. »

    C’est la rencontre avec le toxicologue Henri Pézerat, fondateur de l’association Alert – qui a identifié les dangers de l’amiante et obtenu son interdiction en 1997 -, qui sera déterminante. Pézerat ne se considérait pas comme un prophète, mais comme un militant de la prévention des risques professionnels qui a passé sa vie à faire le siège des autorités. Comment l’appeler alors ?

    Affaire du sang contaminé

    « Depuis l’accident de Bhopal, en Inde [fuites de gaz toxique émanant d'une usine américaine], en 1984, et ses 8 000 morts, l’explosion du réacteur de Tchernobyl en 1986, l’apparition brutale du sida ou l’affaire du sang contaminé, nos sociétés semblent avoir perdu en partie le contrôle des progrès technologiques, des pollutions industrielles ou de la surveillance médicale, poursuit Francis Chateauraynaud. Des organismes de vigilance comme Greenpeace se sont développés, prenant le relais des Etats, multipliant les alarmes. De simples citoyens et des chercheurs font la même chose, dénoncent l’aveuglement des administrations et les conflits d’intérêts. D’où l’idée de les appeler des lanceurs d’alerte. A la différence du whistleblower, qui révèle une dérive ou un abus de pouvoir déjà existant, le lanceur anticipe un risque. Il révèle un danger sous-évalué, ou méconnu. Il veut arrêter un processus qu’il croit fatal. Parfois, il décrit des phénomènes inédits, difficiles à prouver. » C’est le cas d’Anne-Marie Casteret qui révèle, dès 1987, l’affaire du sang contaminé, ou d’Irène Frachon avec le Mediator, qui doit mener une longue enquête épidémiologique avant d’être entendue.

    Une longue liste de craintes

    En ce début de XXIe siècle, la liste des craintes s’allonge : réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, désertification, déchets nucléaires, pollution chimique, maladies émergentes, dangers de la pénétration dans le corps humain des nanoparticules, surveillance de la vie privée, etc. Celle des lanceurs d’alerte aussi. Cette multiplication des alarmes peut avoir des effets pervers, selon Claude Gilbert, spécialiste des risques collectifs au CNRS : « Une sensibilité excessive à tout signal d’alerte transforme parfois les chercheurs en guetteurs d’apocalypse. »

    « Il faut pourtant les protéger, comme les whistleblowers aux Etats-Unis », affirme André Cicolella, dont l’histoire a fait connaître les lanceurs d’alerte en France. Toxicologue à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), il constate les effets nocifs des éthers de glycol – les solvants utilisés dans les peintures et les détergents – et organise, en avril 1994, un colloque international sur le sujet. Une semaine avant sa tenue, il est licencié pour « faute grave » par l’Institut. « Ce fut un choc de se retrouver du jour au lendemain sans travail, quand on croyait oeuvrer pour le bien commun, commente-t-il. Mais je ne regrette rien. C’est souvent la destinée des lanceurs d’alerte, au début… » En octobre 2000, la Cour de cassation reconnaît le caractère abusif de son éviction et le rétablit dans ses droits. « L’arrêt reconnaît l’indépendance due aux chercheurs, c’est important, fait remarquer André Cicolella. C’est la première légitimation d’une alerte scientifique allant contre la direction d’une institution. » Que pense-t-il de l’affaire Snowden ? « Il est courageux. Il a choisi l’intérêt public alors qu’il risque sa liberté. »

    Scientifiques placardisés

    Depuis, le toxicologue a créé, avec d’autres chercheurs, le Réseau environnement santé, dont les alertes ont mené en juin 2010 à l’interdiction des biberons contenant du bisphénol A. Il a également milité pour que l’on protège légalement les lanceurs d’alerte. Pour cela, il a rencontré les juristes Christine Noiville et Marie-Angèle Hermitte, spécialistes des risques techniques et scientifiques.

    « Un arrêt aussi clair que celui qui a été rendu en faveur de Cicolella ne suffisait pas, explique cette dernière, il fallait réfléchir à une loi protégeant les gens comme lui. Etablir une typologie. » Durant les années 2000, Marie-Angèle Hermitte a ainsi rencontré beaucoup de lanceurs d’alerte, scientifiques placardisés ou militants décriés. »   « Quand un lanceur d’alerte dénonce un danger ignoré, explique-t-elle, il remet en cause des expertises, des évaluations, des autorisations de mise sur le marché par les agences de vigilance. Il rencontre beaucoup d’animosité, se retrouve isolé ou dénigré, d’autant qu’il peut se tromper. »

    Pour elle, le lanceur d’alerte doit être défendu parce qu’il constitue « une sécurité de dernier recours quand le système de surveillance est défaillant ». Inspirée par le Whistleblower Protection Act et par les décisions de justice en France, elle a travaillé à la rédaction d’un projet de loi sur la protection des lanceurs d’alertes sanitaires et environnementales. Poussé par Marie-Christine Blandin et le groupe Europe Ecologie-Les Verts, le texte a été proposé au Parlement en octobre 2012, puis adopté le 3 avril 2013. Une définition du lanceur d’alerte y est écrite : « Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publics ou de diffuser un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou pour l’environnement. »

    Une loi consensuelle ?

    Ronan Dantec, le rapporteur de la loi au Sénat, parle d’une « avancée démocratique et citoyenne majeure ». « Ce n’est pas un texte consensuel, c’est dommage, affirme-t-il. L’UMP a voté contre, à la suite d’un fort lobbying du Medef. Dès la rentrée, je vais me démener pour instaurer la commission nationale qui doit étudier les alertes recensées. »

    Qu’en pense Marie-Angèle Hermitte ? « C’est insuffisant. La loi propose aux lanceurs d’alerte de s’adresser aux préfets pour être entendus, je doute que cela aille bien loin. Il faudrait que la Commission, actuellement sans vrai pouvoir, ait une véritable capacité d’instruction des dossiers litigieux, sans écarter les signaux d’alerte. » Aujourd’hui, même un message d’apparence paranoïaque peut être rattrapé par la réalité.

     Frédéric  Joignot
    Le Monde.fr 5/09/2013
    (article prélevé sur le site du Monde le 7/09/2013 à 14h.30)

    Notes :

    Voir :
    (1) « Ils ont dit la vérité. Ils seront exécutés (Guy Béart) »
    (2) Qui est Edward Snowden ? – Discours de Glenn Greewald, le journaliste qui a divulgué l’affaire Snowden/NSA au monde