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tradition - Page 400

  • Regards nouveaux sur Nietzsche

    « Le renversement de Nietzsche, loin de renverser la réversion, revient donc en fait avant la réversibilité, et réinstalle le monde sur un mode héraclitéen, irréversible, fermement tenu dans un Logos. […] Et la transmutation des valeurs, demandant des capacités contradictoires capables de cohabiter sans se détruire, instaure une "multiplicité formidable" dans laquelle hiérarchie et distance sont nécessaires afin que le Tout soit du tout différent que du chaos pur. Voilà pourquoi seul celui qui croît comme un arbre, "non pas à un seul endroit, mais partout", celui seul qui perçoit "l'effet des mots rayonnnants à droite, à gauche et sur l'ensemble", seul celui qui peut être à la fois "philosophe, rhinocéros, ours des cavernes, fantôme", peut déceler ce qu'a d'inconvenant "l'homme abstrait, plante séparée du sol", et sentir l'importance du perspectivisme : "C'est le côté perspectif qui donne le caractère de l'apparence". […] Si donc chez Nietsche, l'apparence n'a de sens que dans son couple bien tenu (et dans la maximum d'opposition) avec la vérité, si la méchanceté n'a de sens que par la plus grande ble simple que dans son travail avec l'extrême complexe, et le Tout que par le plus infime détail — alors le concept de la Sophistique est bien aussi le sens non universel, mais commun, de la multiplicioté. […] Effet du renversement : en croyant renverser la racine de l'idéalisme, Nietzsche a redécouvert une pensée très ancienne de la multiplicité commune […]. » A. Villani, La Sophistique grecque et le renversement nietzschéen du platonisme, in : Les Études Philosophiques n°3/1995, PUF.
    Il y a cent ans paraissait l'ouvrage le plus célèbre de Nietzsche, celui qui sera le plus lu et que toute personne moyennement cultivée citera ou évoquera spontanément : Ainsi parlait Zarathoustra. On sait d'emblée que le philosophe allemand a une réputation qui sent le soufre, que ses vigoureuses tirades anti-chrétiennes risquent de faire chavirer toutes les certitudes, que son rejet, qualifié d'aristocratique, de toute espèce de moralisme, fait de sa pensée une gâterie, une ivresse, une drogue pour un très petit nombre. Tous les fantasmes sont permis quand il est question de Nietzsche ; chacun semble avoir son petit Nietzsche-à-soi, chacun tire de l'itinéraire du philosophe de Sils-Maria une opinion chérie qu'il exhibera comme un badge coloré, avec la certitude coquine de choquer quelques bien-pensants. Et, en effet, en cent ans, on a dit tout et n'importe quoi à propos de Nietzsche, tout et le contraire de tout.

    Cet amateurisme et ce désordre, cette absence de professionnalisme et ce subjectivisme facile, qu'a subis l'œuvre de Nietzsche au cours du siècle écoulé, ont été désastreux : rien n'a pu être construit au départ de Nietzsche ; il reste de son travail pionnier que des critiques fulgurantes et féroces, des déconstructions et des destructions ; il reste l'âcre fumée qu'une horde de pillards laisse derrière elle. Cent après la parution du Zarathoustra, il est donc temps de dresser un bilan philosophique du nietzschéisme, de désigner, dans l'œuvre qu'il nous laisse, les matériaux d'une reconstruction, les matériaux qui serviront à construire un nouveau temple pour la pensée voire qui inspireront les bâtisseurs de cités nouvelles, puisque la faillite des idéologies dominantes, assises sur les "anciennes tables de la loi" postule de repenser et de reconstruire le politique sur d'autres fondements.

    Ici, il ne sera pas question de dire définitivement ce qu'il convient de penser à la suite de Nietzsche, ni de donner une fois pour toutes la clef de l'énigme nietzschéenne. Modestement, il s'agira de donner un fil conducteur pour comprendre globalement la signification du message nietzschéen et de voir clair dans le réseau des interprétations philosophiques contemporaines de ce même message. Dans ce réseau, il s'agira de débusquer les interprétations abusives, stérilement subjectivistes bien qu'intellectuellement séduisantes, et de mettre en évidence celles qui recèlent des potentialités pour demain.

    Cet indispensable travail de tri doit se faire au départ d'une documentation existante, à partir de ce qu'une poignée de chercheurs patients ont découvert. Vu le regain d'intérêt pour l'œuvre de Nietzsche, vu l'accumulation des travaux universitaires consacrés à sa philosophie, l'on devra, pour cette démarche, poser un choix dans l'abondante littérature qui est à notre disposition. Notre étude sera donc partielle, non exhaustive ; son ambition est d'amorcer une classification des nietzschéismes dans le but précis de rendre la philosophie nietzschéenne constructive. De ne pas l'abandonner à son stade premier, celui de l'hypercriticisme, dont nous ne nierons pas, pourtant, l'impérieuse nécessité.

    Un soupçon idéologique 

    Le premier écueil que rencontre actuellement le nietzschéisme, dans le "grand public" (pour autant que cette expression ait un sens dans le domaine de la philosophie), c'est un soupçon d'ordre politico-idéologique. En effet, le nietzschéisme, pour l'intelligence qui se qualifie de "progressiste", est un système de pensée qui conduit à l'avènement du fascisme ou du national-socialisme. Très récemment encore (en juin 1981), Rudolf Augstein, l'éditeur de l'hebdomadaire ouest-allemand Der Spiegel, dans un article à sa mode, c'est-à-dire à l'emporte-pièce, déclarait sans ambages que si Nietzsche était le penseur, alors Hitler était l'homme d'action qui mettait cette pensée en pratique (Denker Nietzsche-Täter Hitler).  Le journaliste en voulait pour preuve les falsifications de certains des manuscrits de Nietzsche par sa sœur, Elisabeth Förster-Nietzsche qui, un jour, au soir de sa vie, avait été serré la pince du Führer ! On avouera qu'au regard de la masse de manuscrits laissés par Nietzsche et de la quantité de livres publiés avant sa folie et que la sœur zélée n'a jamais pu modifier, l'argument est un peu mince. Augstein s'inquiétait tout simplement du retour à Nietzsche qu'opère une jeune génération de philosophes allemands et de l'abondon progressif mais sensible du corpus doctrinal de l'École de Francfort de Horkheimer et Adorno, dont la faillite se constate par le désorientement d'Habermas, celui qui gérait l'héritage des "francfortistes".

    Pour les Allemands éduqués dans le sillage de la dénazification, les "francfortistes" représentent en effet une caste de gourous infaillibles, intangibles, un aréopage de grands prêtres dont il serait impie de mettre les paroles (souvent sybillines) en doute. Pourtant les faits sont là : le "francfortisme" a lassé ; son refus permanent de toute affirmation, de toute pensée qui affirme, joyeusement ou puissamment, tel ou tel fait, de toute philosophie qui dit le beau et pose la créativité comme hiérarchiquement supérieure à la critique ou à la négation, n'a mené qu'à l'impasse. On est bien forcé d'admettre que la négativité ne saurait être un but en soi, qu'on ne peut régresser à l'infini dans le processus permanent de négation. Pour Habermas, bien situé dans l'aire philosophique du francfortisme, le "réel", tel qu'il est, est mauvais, dans le sens où il ne contient pas d'emblée tout le "bon" ou tout le "bien" existant dans l'idée.

    Devant ce réel imparfait, il convient de maximiser le bon, de moraliser à outrance afin de minimiser les charges de mal incrustées dans ce réel marqué d'incomplétude. Ainsi, la réalité imparfaite appelle la révolution salvatrice ; mais cette révolution risque d'affirmer un autre réel, de déterminer un réel également imparfait (tantôt moins imparfait tantôt plus imparfait). Donc Habermas rejette les grandes révolutions globales, initiatrices d'ères nouvelles affirmatives, pour leur préférer les micro-révolutions parcellaires et sectorielles qui inaugurent ipso facto un âge de corrections permamentes, d'injections à petites doses de "bien" dans le tissu socio-politique inévitablement marqué du sceau du "mal". Mais le monde de la philosophie ne pouvait indéfiniment se contenter de ce bricolage constant, de cette morne réduction à un réformisme sans envergure, à cette socio-technologie (social engeneering) sans épaisseur.

    Devant le soupçon de nazisme qui pèse en permanence sur le nietzschéisme, devant l'impossibilité de maintenir la philosophie au niveau d'une négation permanente et de maintenir la mouvance kaléidoscopique du réel sous la férule de ces micro-révolutions qui, finalement, ne résolvent rien, il faut renvoyer dos à dos les thèses qui posent comme incontournable le "pré-nazisme" du nietzschéisme, rejetter le mirage de la négativité permanente et s'interroger sur l'avènement d'un ordre global, d'un consensus généralisé, qui puisse englober et sublimer les multiples et diverses affirmations qui fusent en permanence depuis le tissu épais du social et du politique, tissu déposé par les vicissitudes historiques.

    Nietzsche et la pensée de gauche en Allemagne, au début du siècle

    Le nietzschéisme a certes connu des interprétations nazies ; des philosophes plus ou moins impliqués dans l'aventure nazie ont fait référence à Nietzsche. Inutile de nier ou de minimiser ces faits, surtout pour prendre expressément le contre-pied de la démonstration d'Augstein. Mais, en dépit d'Augstein et de ses bricolages idéologiques favoris, en dépit de la bigoterie francfortiste qui afflige l'Allemagne de ces deux ou trois dernières décennies, en dépit de l'hiérocratie fondée en RFA par le Saint-Pierre du francfortisme, Horkheimer, Nietzsche, nous le savons désormais grâce à de nouvelles recherches historiques, n'a pas seulement préparé les munitions idéologiques de l'hitlérisme, il a aussi influencé considérablement le socialisme de son époque. Une étude du Professeur britannique R. Hinton Thomas, de l'Université de Warwick, nous illustre avec brio ce télescopage, cette cross-fertilization entre nietzschéisme et socialisme, entre le nietzschéisme et une pensée contestatrice classée à "gauche". Son livre Nietzsche in German politics and society, 1890-1918 [Manchester University Press, 1983, 146 p.] nous informe de l'impact de Nietzsche dans la pensée qui animait les cercles sociaux-démocrates de l'Allemagne impériale à la Belle Époque, de même que dans les milieux anarchistes et féministes et dans le mouvement de jeunesse qui a produit, en fin de compte, davantage d'ennemis résolus du Troisième Reich que de cadres de la NSDAP. Contrairement aux affirmations désormais "classiques" des progressistes, R. Hinton Thomas démontre que l'influence de Nietzsche ne s'est pas du tout limitée aux cercles de droite, aux cénacles conservateurs ou militaristes mais que toute une idéologie libertaire, dans le sillage de la social-démocratie allemande, s'est mise à l'école de sa pensée. Le professeur britannique nous rappelle les grandes étapes de l'histoire du socialisme allemand : en 1875, sous l'impulsion d'August Bebel, les socialistes adoptent le programme dit de Gotha, qui prétendait réaliser ses objectifs dans le cadre strict de la légalité. En 1878, le pouvoir impose les lois anti-socialistes qui freinent les activités du mouvement. En 1890, avec le programme d'Erfurt, les socialistes choisissent un ton plus dur, conforme à l'idéologie marxiste.

    Par la suite, la sociale-démocratie oscillera entre le légalisme strict, devenu "révisionnisme" ou "réformisme" parce qu'il acceptait la société capitaliste / libérale, ne souhaitait que la modifier sans bouleversement majeur, et le révolutionnisme, partisan d'un chambardement généralisé par le biais de la violence révolutionnaire. Cette seconde tendance demeurera minoritaire. Mais c'est elle, rappelle R. Hinton Thomas, qui puisera dans le message nietzschéen.

    Une fraction du parti, sous la direction de Bruno Wille, critiquera avec véhémence l'impuissance du réformisme social-démocrate et se donnera le nom de Die Jungen (Les Jeunes). Ce groupe évoquera la démocratie de base, parlera de consultation générale au sein du parti et, vu l'échec de sa démarche, finira par rejeter la forme d'organisation rigide que connaissait la social-démocratie. Wille et ses amis brocarderont le conformisme stérile des fonctionnaires du parti, petits et grands, et désigneront à la moquerie du public la "cage" que constitue la SPD. Le corset étouffant du parti dompte les volontés, disent-ils, et empêche toute manifestation créatrice de celles-ci. L'accent est mis sur le volontarisme,  sur les aspects volontaristes  que devrait revêtir le socialisme. Ipso facto, cette insistance sur la volonté entre en contradiction avec le déterminisme matérialiste du marxisme, considéré désormais comme un système "esclavagiste" (Knechtschaft).

    Kurt Eisner, écrivain et futur Président de la République rouge de Bavière (1919), consacrera son premier livre à la philosophie de Nietzsche (1). Il critiquera la « mégalomanie et l'égocentrisme » de l'auteur d'Ainsi parlait Zarathoustra mais retiendra son idéal aristocratique. L'aristocratisme qu'enseigne Nietzsche, dit Eisner, doit être mis au service du peuple et ne pas être simplement un but en soi. Cet aristocratisme des chefs ouvriers, combiné à une conscience socialiste, permettra d'aristocratiser les masses.

    Gustav Landauer (1870-1919), créateur d'un anarchisme nietzschéen avant de devenir, lui aussi, l'un des animateurs principaux de la République Rouge de Bavière en 1919, insistera sur le volontarisme de Nietzsche comme source d'inspiration fructueuse pour les militants politiques. Son individualisme anarchiste initial deviendra, au cours de son itinéraire politique, un personnalisme communautaire populiste, curieusement proche, du moins dans le vocabulaire, des théories völkisch-nationalistes de ses ennemis politiques. Pour ce mélange de socialisme très vaguement marxisant, d'idéologie völkisch-communautaire et de thèmes anarchisants et personnalistes (où le peuple est vu comme une personne), Landauer mourera, les armes à la main, dans les rues de Munich qu'enlevaient, une à une, les soldats des Corps Francs, classés à "l'extrême-droite".

    Contrairement à une croyance tenace, aujourd'hui largement répandue, les droites et le conservatisme se méfiaient fortement du nietzschéisme à la fin du siècle dernier et au début de ce XXe. R. Hinton Thomas s'est montré attentif à ce phénomène. Il a repéré le motif essentiel de cette méfiance : Nietzsche ne s'affirme pas allemand (ce qui irrite les pangermanistes), méprise l'action politique, ne s'enthousiasme pas pour le nationalisme et ses mythes et se montre particulièrement acerbe à l'égard de Wagner, prophète et idole des nationalistes. Si, aujourd'hui, l'on classe abruptement Nietzsche parmi les penseurs de l'idéologie de droite ou des fascismes, cela ne correspond qu'à un classement hâtif et partiel, négligeant une appréciable quantité de sources.

    Six stratégies interprétatives de Nietzsche

    Outre l'aspect politique de Nietzsche, outre les éléments de sa pensée qui peuvent, en bon nombre de circonstances, être politisés, le philosophe Reinhard Löw distingue six stratégies interprétatives de l'œuvre nietzschéenne dans son livre Nietzsche, Sophist und Erzieher : Philosophische Untersuchungen zum systematischen Ort von Friedrich Nietzsches Denken [Acta Humaniora der Verlag Chemie GmbH, Weinheim, 1984, XII+222 p.]. Pour Löw, la philosophie de Nietzsche présente une masse, assez impressionnante, de contradictions (Wiedersprüche). La première stratégie interprétative, écrit Löw, est de dire que les contradictions, présentes dans l'œuvre de Nietzsche, révèlent une pensée inconséquente, sans sérieux, sans concentration, produit d'une folie qui se développe sournoisement, dès 1881. La seconde série d'interprétations se base sur une philologie exacte du discours nietzschéen. Dire, comme Ernst Bertram, l'un de ses premiers exégètes, que Nietzsche est fondamentalement ambigu, contradictoire, procède d'une insuffisante analyse du contenu précis des termes, vocables et expressions utilisées par Nietzsche pour exprimer sa pensée (cf. Walter Kaufmann). La troisième batterie d'interprétations affirme que les contradictions de Nietzsche sont dues à leur succession chronologique : 3, 4 ou 5 phases se seraient succédé, hermétiques les unes par rapport aux autres.

    Pour certains interprètes, les phases premières sont capitales et les phases ultimes sont négligeables ; pour d'autres, c'est l'inverse. Ainsi, Heidegger et Baeumler, dans les années 30 et 40, estimeront que c'est dans la phase dernière, dite de la "volonté de puissance", que se situe in toto le "vrai" Nietzsche. Löw estime que cette manière de procéder est insatisfaisante : trop d'interprètes situent plusieurs phases dans un laps de temps trop court, passent outre le fait que Nietzsche n'a jamais cherché à réfuter la moindre de ses affirmations, le moindre de ses aphorismes, même si, en apparence, sa pensée avait changé. Cette méthode est de nature "historique-biographique", pense Löw, et demeure impropre à cerner la teneur philosophique globale de l'œuvre de Nietzsche.

    La quatrième stratégie interprétative, elle, prend les contradictions au sérieux. Mais elle les classe en catégories bien séparées : on analyse alors séparément les divers thèmes nietzschéens comme la volonté de puissance, l'éternel retour, la Vie, le surhomme, le perspectivisme, la transvaluation des valeurs (Umwertung aller Werte), etc. Le "système" nietzschéen ressemblerait ainsi à un tas de cailloux empilés le long d'une route. Les liens entre les thèmes sont dès lors perçus comme fortuits. Nietzsche, dans cette optique, n'aurait pas été capable de construire un "système" comme Hegel. Nietzsche ne ferait que suggérer par répétition ; son œuvre serait truffée de "manques", d'insuffisances philosophiques.

    Pour Landmann et Müller-Lauter, cette absence de système reflète la modernité : les fragments nietzschéens indiquent que le monde moderne est lui-même fragmenté. Les déchirures de Nietzsche sont ainsi nos propres déchirures. Löw rejette également cette quatrième stratégie car elle laisse supposer que Nietzsche était incapable de se rendre compte des contradictions apparentes qu'il énonçait ; que Nietzsche, même s'il les avait reconnues, n'a pas été capable de les résoudre. Enfin, elle ne retient pas l'hypothèse que Nietzsche voulait réellement que son travail soit tel.

    La cinquième stratégie consiste, dit Löw, à prendre le taureau par les cornes. Les contradictions indiqueraient la "méthode de la pensée de Nietzsche". Quand Nietzsche énonçait successivement ses diverses "contradictions", il posait consciemment un "modèle d'antinomie" qui fait que certains énoncés de Nietzsche combattent et contredisent d'autres énoncés de Nietzsche. En conséquence, on peut les examiner de multiples manières, à la mode du psychologue ou de l'historien, du philologue ou du philosophe. Pour Jaspers, ces contradictions mettent tous les systèmes, toutes les métaphysiques et toutes les morales en pièces : elles ouvrent donc la voie à la "philosophie de l'existence", en touchant indirectement à tout ce qui se trouverait au-delà des formes, des lois et du disible.

    Pour Gilles Deleuze, l'un des principaux porte-paroles de l'école nietzschéenne française contemporaine, Nietzsche est l'anti-dialecticien par excellence. Ses contradictions ne sont pas l'expression d'un processus rationnel mais expriment un jeu a-rationnel, anarchique qui réduit en poussières toutes les métaphysiques et tous les systèmes. Les textes de Nietzsche ne signifieraient rien, si ce n'est qu'il n'y a rien à signifier. Cette "psychanalyse sauvage" omet, signale Blondel, que Nietzsche voulait constamment quelque chose :  c'est-à-dire créer une nouvelle culture, un homme nouveau.

    Dans la sphère de l'actuel renouveau nietzschéen en Allemagne Fédérale, Friedrich Kaulbach rejoint quelque peu l'école française (deleuzienne) contemporaine en disant que Nietzsche est un philosophe "expérimental" qui joue avec les perspectives que l'on peut avoir sur le monde. Ces perspectives sont nombreuses, elles dépendent des idiosyncrasies des philosophes. Dès lors, au départ de l'œuvre de Nietzsche, on peut aboutir à des résultats divers, très différents les uns des autres ; résultats qui n'apparaîtront contradictoires qu'au regard d'une logique formelle ; en réalité, ces contradictions ne relèvent que de différences de degrés. Le Philosophe A aboutit à autre chose que le Philosophe B parce que sa perspective varie de x degrés par rapport à l'angle de perception de B. Vu ces différences de perspectives, vu ces divers et différents regards portés à partir de lieux divers et différents, l'homme créant (créateur) garde une pleine souveraineté. Il peut adopter aujourd'hui telle perspective et demain une autre. Son objectif est de construire un monde qui a une signification plus signifiante pour lui. Friedrich Kaulbach, dans son livre (2), Sprachen der ewigen Wiederkunft : Die Denksituation des Philosophen Nietzsche und ihre Sprachstile [Königshausen & Neumann, Würzburg, 1985, 76 p.], distingue, chez Nietzsche, un langage de la puissance plastique, un langage de la critique démasquante, un langage expérimental, une autarcie de la raison perspectiviste, qui, toutes les quatre, doivent, en se combinant de toutes les façons possibles, contribuer à forger un instrument pour dépasser le nihilisme (le fixisme des traditions philosophiques substantialistes) et affirmer le devenir, l'éternel retour du même. Le rôle du maître, dans cette interprétation de Kaulbach, c'est de pouvoir se servir de ce langage nouveau, combinatoire, que l'on peut nommer le langage dyonisiaque.

    Mais Löw ne se contente pas de l'interprétation de Kaulbach, même si elle est très séduisante. Et il ne se satisfait pas non plus de la sixième stratégie interprétative : celle qui table sur quelques assertions de Nietzsche, où le philosophe affirme que sa philosophie est une œuvre d'art. Pour Nietzsche, en effet, la beauté était le signe le plus tangible de la puissance parce qu'elle indiquait précisément un domptage des contradictions, un apaisement des tensions. Quand un système philosophique s'effondre, qu'en reste-t-il ? Ses dimensions artistiques, répondait Nietzsche. Le penseur le plus fécond, dans cette perspective du Nietzsche-artiste, doit agir en créateur, comme le sculpteur qui projette sa vision, sa perspective en ouvrageant une matière, en lui donnant forme.

    Nietzsche : sophiste et éducateur

    Pour Löw, Nietzsche est sophiste ET éducateur. Sa volonté de devenir un éducateur, comme les sophistes, est l'élément déterminant de toute sa démarche philosophique. Ses contradictions, problème sur lequel six écoles d'interprétations se sont penchées (comme nous venons de le voir), constituent, aux yeux de Löw, des obstacles à franchir, à surmonter (überwinden) pour affiner l'instrument éducateur que veut être sa philosophie. Une phrase du Nachlaß apparaît particulièrement importante et féconde à Löw : « Der große Erzieher wie die Natur : er muß Hindernisse thürmen, damit sie überwunden werden » (Le grand éducateur [doit être] comme la nature : il doit empiler des obstacles, afin que ceux-ci soient surmontés).

    Le plus grand obstacle est Nietzsche lui-même, avec son style héraclitéien, décrété "obscur" par les premiers critiques de l'œuvre. Pour Nietzsche, le choix d'un style héraclitéien est au contraire ce qu'il y a de plus transparent dans son travail philosophique : il indique un refus de voir ses aphorismes lus par la populace (Pöbel)  et par les "partis de toutes sortes". Nietzsche souhaitait n'être ni utile ni agréable… Cette attitude témoigne d'un rejet de tous les "catéchistes", de tous ceux qui veulent penser sans obstacles, de ceux qui veulent cheminer sans aléas, sans impondérables sur une allée soigneusement tracée d'avance. Le monde idéal, supra-sensible, de Platon devient, pour Nietzsche, la caricature  de cet univers hypothétique sans obstacles, sans lutte, sans relief. Mais Nietzsche sait que sa critique du platonisme repose sur une caricature, que son image du platonisme n'est sans doute pas tout Platon mais qu'elle vise et cherche à pulvériser les catéchismes platonisants, qui règnent en despotes aux périodes creuses où il n'y a rien de cette immaturité potentiellement créatrice (le monde homérique, la vieille république romaine, l'épopée napoléonienne, la libération de la Grèce à laquelle participa Lord Byron, etc.) ni de cette force pondérée et virile (l'admiration de Nietzsche pour Adalbert Stifter).

    L'éducateur Nietzsche crée une paideia [formation] pour tous ceux qui viendront et ne voudront jamais imiter, répéter comme des perroquets, potasser de façon insipide ce que leurs prédécesseurs ont pensé, écrit, dit ou inventé. L'objectif de Nietzsche est donc précis : il faut forger cette paideia de l'avenir qui nous évitera le nihilisme. Nietzsche, aux yeux de Löw, n'est donc pas le fondateur d'une stratégie philosophique omni-destructrice comme il l'est pour Deleuze ni le maître du nouveau langage dyonisiaque qui permet d'adopter successivement diverses perspectives comme pour Kaulbach. Nietzsche est "sophiste" pour Löw, parce qu'il se sert très souvent de la méthode des sophistes, mais il est simultanément un "éducateur", éloigné des préoccupations strictement utilitaires des "sophistes", car il veut que les génies puissent s'exprimer sans être encombrés des étouffoirs de ceux, trop nombreux, qui "pensent" sur le mode de l'imitation.

    Le génie est créateur : il fait irruption de manière inattendue en dépit des "discours stupides sur le génie". Nietzsche se donne une responsabilité tout au long de son œuvre : il ne se complait pas dans ses contradictions mais les perçoit comme des épreuves, comme des défis aux "répétitifs". Et si aucune philosophie ne doit se muer en "isme", ne doit servir de prétexte à des adeptes du "psittacisme" savant, celle de Nietzsche, aux yeux mêmes de Nietzsche, ne saurait être stupidement imitée. Nietzsche se pose contre Nietzsche, avertit ses lecteurs contre lui-même (cf. Ainsi parlait Zarathoustra). Löw extrait ainsi Nietzsche de la sphère d'hypercriticisme, poussé parfois jusqu'à l'affirmation joyeuse d'un anarchisme omni-dissolvant, où certaines écoles (dont la deleuzienne) voulaient l'enfermer.

    Le recours à la "physiologie"

    Löw interprète donc Nietzsche comme un philosophe dans la plus pure tradition philosophique, en dépit d'un langage aphoristique tout à fait en dehors des conventions. Helmut Pfotenhauer, dans un ouvrage concis : Die Kunst als Physiologie, Nietzsches ästhetische Theorie und literarische Produktion [J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, Stuttgart, 1985, 312 p.] aborde, lui, l'héritage légué par Nietzsche sous l'angle de la physiologie.  Ce terme, qui a une connotation naturaliste évidente, se trouve dans l'expression nietzschéenne Kunst als Physiologie, l'art comme physiologie. Il faut dès lors s'interroger sur le vocable "physiologie", qui revient si souvent dans les propos de Nietzsche. Honoré de Balzac, le grand écrivain français du XIXe, à qui l'on doit aussi une Physiologie du mariage, disait à propos de ce néologisme d'alors : « La physiologie était autrefois la science exclusivement occupée à nous raconter le mécanisme du coccyx, les progrès du fœtus ou ceux du ver solitaire […] Aujourd'hui, la physiologie est l'art de parler et d'écrire incorrectement de n'importe quoi […] ».

    Au XIXe siècle donc, le terme physiologie apparaît pour désigner une certaine littérature populaire, qui n'est pas sans qualités, ou le style "causant" des feuilletons des grands quotidiens. La "physiologie" sert à décrire, avec goût et esprit, les phénomènes de la vie quotidienne, à les classer, à les typer : on trouve ainsi une physiologie du flaneur, de la grisette, de l'honnête femme ou du touriste anglais qui arpente les boulevards parisiens. La physiologie, dans ce sens, doit beaucoup aux sciences naturelles et aux classifications d'un Bouffon ou d'un Linné. Balzac, pour sa Comédie humaine,  trace un parallèle entre le monde animal et la société des hommes. On parle même de "zoologie politique"…Baudelaire, E.T.A. Hoffmann, Poe, Flaubert (qui, selon Sainte-Beuve, maniait la plume comme d'autres manient le scalpel) adoptent, à des degrés divers, ce style descriptif, qui enregistre les perceptions sensuelles et leur confère une belle dimension esthétique.

    La physiologie offre de nouveaux modèles à la réflexion philosophique, permet de nouvelles spéculations : tous les domaines de la vie sont "historicisés" et relativisés, ce qui jette d'office l'observateur philosophique dans un tourbillon de nouveautés, d'innovations, véritable dynamique affolante où la vitesse rend ivre et où les points de repères fixes s'évanouissent un à un. Nietzsche ne jetait qu'un regard distrait et distant sur ces entreprises littéraires et scientifiques, ainsi que sur toutes ces tentatives de scruter les phénomènes spirituels à la lumière des révélations scientifiques et de les organiser théoriquement. Il se bornait à constater que le style des "physiologistes" envahissait l'université et que le vocabulaire de son époque se truffait de termes issus des sciences naturelles. Devant cette distraction, cet intérêt apparamment minime, une question se pose : pourquoi Nietzsche a-t-il eu recours au vocable "physiologie", qui n'avait rien de précis et avait été souvent utilisé à mauvais escient ?

    L'innocence du devenir

    Pour Pfotenhauer, Nietzsche n'avait nullement l'intention de valoriser le discours pseudo-scientifique ou pseudo-esthétique des "physiologistes" communs, vulgaires. Il ne cherchait nullement à avaliser leurs contradictions, à accepter leurs incohérences, à partager leurs sensations de plaisir ou de déplaisir. Son intention était, écrit Pfotenhauer, de défier directement l'esthétique établie. L'expression "physiologie de l'art" constitue une contre-façon de "philosophie de l'art", dans la mesure où l'art, selon les critères traditionnels, s'évalue philosophiquement et non physiologiquement. Cette parodie se veut un rejet de toutes les conceptions philosophico-esthétiques des décennies précédentes.

    Pour Nietzsche, la productivité artistique devient production et expression de notre phusis. Par l'art, la nature devient plus intensément active en nous. Mais Nietzsche, en utilisant consciemment le terme "physiologie" sait qu'il commet une emphase, une exagération didactique ; il sait qu'il fête avec ivresse la splendide exubérance des forces vitales, tout en boudant le prétention scientifique à vouloir neutraliser les processus vitaux par une stratégie de valorisation des moyennes.

    En d'autres termes, cela signifie que Nietzsche rejette et réfute la prétention des sciences à réduire leurs investigations aux moyennes, à l'exclusion du Kunstvoll-Singuläres, du singulier-révélant-une-profusion-d'art. Aux yeux de Nietzsche, le darwinisme privilégie la moyenne au détriment des exceptions, attitude, stratégie, qu'il ne saurait accepter. Dans cette optique non darwiniste, Nietzsche pose la physiologie comme un moyen de personnaliser les grandes questions vitales par le truchement d'un style de pensée et d'écriture unique.

    "Dieu est mort", retient-on de Nietzsche, et, avec Dieu, tous les grands systèmes ontologiques, métaphysiques, toutes les philosophies de l'esprit et de l'histoire. Il ne resterait alors que l'innocence du devenir, qu'il ne faudra pas figer dans une quelconque "unité supérieure de l'Être". Mais cette reconnaissance de l'innocence du devenir comporte des risques : dans le fleuve du vivant, dans le flot de mutations qu'il implique, les personnalités, le singulier, l'originalité, les génies créateurs courent le danger de se noyer, de n'être plus que des moments fragmentaires, contingents et négligeables.

    Comment peut-on alors, sans garanties de préservation de sens, en étant livré aux rythmes naturels du devenir et de l'écoulement perpétuel, s'accepter joyeusement, dire "oui" à la Vie ? Ne devrait-on pas admettre le bien-fondé de la réponse de Silène au Roi Midas : cette vie terrestre, éphémère, vaut-elle la peine d'être vécue ? N'aurait-il pas mieux valu ne jamais naître ? L'idéal ne serait-il pas de mourir au plus vite ? Nous repérons, dans ces questions que Nietzsche a dû se poser, l'influence de Schopenhauer. La haine à l'endroit de la vie, qui découle de ce pessimisme fondamental, sera jugée très insatisfaisante par Nietzsche. Il en refusera rapidement les conséquences et verra que la nécessité première, à son époque de désorientement spirituel, c'est de réévaluer la vie. Tel est, selon Pfotenhauer, le sens de l'Umwerthung.

    Les écrits de Nietzsche, publiés ou rédigés dans les années 1880, sont le reflet de ce désir. La Volonté de Puissance (Wille zur Macht) accomplit cette transvaluation. Elle est à la fois objet de connaissance et attitude du sujet connaissant. Les processus vitaux doivent être perçus sous l'aspect d'une créativité constante. Avec la différentiation, avec l'abondance, avec la transgression de toutes les limites, de tous les conditionnements mutilants, on se moule dans les caractéristiques divines de la Vie et l'on participe immédiatement à leur apothéose. Celui qui nomme, désigne et reconnaît, sans ressentiment d'ordre métaphysique, la créativité du devenir, se mue lui-même en une incarnation  de ce devenir, de cette profusion de vitalité. Le devenir doit s'exprimer immédiatement dans toute sa mobilité, sa fluctuance : l'immobiliser, le figer dans une ontologie constitue une mutilation qui coupe simultanément les ailes de toute créativité. Le devenir n'est pas un flot indifférent et improductif : il charrie des étincelles de créativité. Le philosophe de l'éternel retour, lui, donne la parole à la vie divine-créatrice par l'intermédiaire d'images et de courtes mais fulgurantes ébauches philosophiques.

    Le philosophe est alors "artiste de grand style" : il représente la force organisante qui fait face au chaos et au déclin. La physiologie, dans le sens philosophique que Nietzsche lui accorde, permet donc de conférer un langage aux processus vitaux, de donner expression aux forces qui agissent en eux. La physiologie permet à Nietzsche d'affronter notre nature humaine. Elle établit l'équilibre entre la phusis et le logos. Elle autorise la découverte d'un langage exprimant les aléas inhérents aux processus vitaux et maintient, en s'interdisant toute "ethnologisation du mythe", une "distance intellectuelle" par rapport au fourmillement de faits contradictoires qui émanent précisément du devenir. Le mythe, chez Nietzsche, en effet, n'a aucune connotation d'ordre ethnologique : il est, écrit Pfotenhauer, "science du concret" et expression de la tragédie qui se joue dans l'homme, être qui, parfois, affronte la tension entre sa fragilité (Hinfälligkeit)  physique et son éventuelle souveraineté héroïque. Ce recours au mythe n'a rien d'irrationnel comme aime à l'affirmer la vulgate philosophante dérivée d'une schématisation de la pensée des Lumières.

    Affirmer le devenir et créer des valeurs nouvelles

    La double stratégie nietzschéenne, celle du recours au mythe, comme science du concret, et celle du recours à la physiologie, comme programme d'investigation du devenir, se situe à l'intersection entre la critique des valeurs, la lutte contre les principes "faux" (c'est-à-dire les principes qui nient la vie et engendrent la décadence) et le contre-mouvement que constitue l'art placé sous le signe de la volonté de puissance. Pour critiquer les valeurs usées et pour, en même temps, affirmer une transvaluation créatrice de valeurs nouvelles, la démarche du physiologiste sera une recherche constante d'indices concrets, une recherche incessante de l'élémentaire qui sous-tend n'importe quelle démarche philosophique. La biologie, l'ethnologie, la mythologie, les explorations des mondes religieux, l'histoire, bref, les domaines les plus divers peuvent concourir à saisir le flot du devenir sans devoir le figer dans des concepts-corsets, trop étroits pour contenir de façon satisfaisante l'ampleur des faits de monde.

    L'abondance des lectures de Nietzsche sert précisément à affiner le regard du philosophe, à le rendre plus attentif au monde, moins stérile, sec et sybillin dans ses discours. Beaucoup reprocheront à Nietzsche de n'être resté que dilettante en bon nombre de domaines, de ne pas avoir déployé une systématique satisfaisante. Mais Nietzsche amorce une logique nouvelle, plus plastique, plus en prise avec la diversité du devenir. La philosophie nietzschéenne jette les bases d'une saisie moins timide, plus audacieuse des faits de monde. Le philosophe peut désormais appréhender des faits de monde contradictoires sans buter stérilement devant ces contradictions.

    Cette audace de la méthode nietzschéenne a effrayé quelques lecteurs. Parmi eux : l'écrivain Thomas Mann. L'inclusion d'éléments venus de toutes sortes de disciplines nouvelles dans le discours philosophique, notamment issus de la mythologie et de l'ethnologie, a fait croire à une volonté de retourner à des origines préhistoriques, non marquées par l'esprit et l'intellect. Pour Thomas Mann, les interprétations de Ludwig Klages, auteur de Der Geist als Widersacher der Seele (L'esprit comme ennemi de l'âme), et d'Alfred Bäumler, le spécialiste de Bachofen qui donna corps à la théorie du matriarcat, constituent des reculs inquiétants, des marches arrières vers l'univers trouble des instincts non dominés.

    L'attitude de T. Mann témoigne de la grande peur des nostalgiques du XVIIIe rationaliste ou des spéculations a-historiques de la scolastique médiévale. La diversité, postulée par l'élémentaire, ne permet plus les démonstrations pures, limpides, proprettes des discours nés sous les Lumières. Elle ne permet plus les raisonnements en circuit fermé, ni les simplifications idéologico-morales, les blue-prints que Burke reprochait à la Révolution française. Les beaux édifices que constituent les systèmes philosophiques, dont l'hégélien, ne résistent pas à l'assaut constant, répété, des faits historiques, psychologiques, etc.

    Pfotenhauer explore systématiquement le contenu de la bibliothèque de Nietzsche et y repère, dans les livres lus et annotés, les arguments "vitalistes" tirés de livres de vulgarisation scientifique comme ceux de Guyau, Lange, von Nägeli, Rütimeyer, von Baer, Roux, Rolph, Espinas, Galton (l'eugéniste anglais), Otto Liebmann. Les thèmes qui mobilisent l'attention de Nietzsche sont essentiellement ceux de l'adaptation aux influences extérieures, l'augmentation des potentialités au sein même des espèces vivantes, l'abondance des forces vitales, la "pléonexie" de la nature, l'eugénisme correcteur, l'Urzeugung (génération spontanée).

    La philosophie de Nietzsche s'élabore ainsi au départ de lectures très diverses, des spéculations scientifiques ou parascientifiques de son temps aux prises de positions littéraires et aux modes culturelles et artistiques. Chez les Frères de Goncourt et chez Flaubert, il découvre un engouement décadent pour les petits faits, couplé à un manque de "force" navrant. Il critique l'équilibre jugulant d'un certain classicisme répétitif et imitateur et loue la profusion du baroque.

    Cette exploration tous azimuths a pour objectif de connaître tous les coins et recoins du monde du devenir. Cette sarabande colossale de faits interdit désormais au philosophe tout quiétisme. Une telle attitude quiétiste engendre le déclin par faiblesse à saisir la multiplicité du réel. La créativité constante qui germe et fulgure à partir de ce flot qu'est le devenir doit acquérir plus de valeur aux yeux du philosophe que la volonté de conservation. Ipso facto, le goût pour l'incertitude (face aux productions incessantes du devenir) remplace la recherche de certitude (qui implique toujours une sorte de fixisme) : tel est bien le fondement de l'Umwerthung, attitude et processus fondateur d'une "nouvelle hiérarchisation des valeurs".

    L'homme qui intériorise cette disposition mentale annonce et prépare le fameux "surhomme", à propos duquel on a dit tant de stupidités, quitte à le faire passer pour une sorte de "mutant" de mauvais roman de science-fiction. En acceptant les innombrables différences que recèle et produit le devenir, en méprisant les limitations stérilisantes et les fixismes, l'homme créatif met de son côté les impulsions de la vie, écrit Pfotenhauer. Il ne réagit plus avec angoisse devant les rythmes du devenir et des dissolutions multiples.

    Le nihilisme européen, c'est précisément le fruit de cette attitude frileuse devant les fulgurances du devenir. C'est cette volonté de trouver des certitudes consolatrices dans des concepts qui encarcannent le réel. L'objectif de Nietzsche n'est donc pas d'inaugurer une ère où l'on pensera sur le mode de l'anarchie, sans souci de rien. Nietzsche veut au contraire, en s'appuyant sur une symptomatologie du déclin (c'est là que son exploration tous azimuths des domaines scientifiques, littéraires et artistiques se révèle particulièrement nécessaire), développer une critique du monde qui lui est contemporain. Mais cette critique, qui refuse le monde tel qu'il est parce qu'il est marqué par la décadence, se veut formatrice et affirmatrice : elle est volonté de forger, de créer de nouvelles formes.

    À la critique classique, qui oppose à la multiplicité du devenir des concepts fixes, des préceptes moraux rigides sans épaisseur factuelle, se substitue, chez Nietzsche, une critique innovatrice qui dit "oui" aux formes que fait surgir le devenir. Cette critique n'est pas fixiste : elle est, elle aussi, un mouvement qui épouse, plastiquement, les fluctuations du devenir. La nouvelle critique qu'inaugure Nietzsche n'est pas un retour irrationnel à une unité première, à un stade primitif a-historique et informel, mais une stratégie de la pensée qui se laisse porter par le flot du devenir et affirme son amour, son acceptance joyeuse, pour les joyaux puissamment esthétiques ou esthétiquement puissants que produit ce flot. Ainsi au mouvement descendant du déclin (et il "descend" parce qu'il se ferme à la profusion de faits que génère le devenir, perdant ainsi sans cesse de l'épaisseur), Nietzsche oppose un mouvement ascendant qui vise à privilégier les plus belles fulgurances du devenir qui, elles, donnent sans cesse épaisseur au monde et à la pensée.

    Un retour à Nietzsche est indispensable

    Ce tour d'horizon nietzschéen nous a permis de réfuter la thèse facile du "pré-nazisme" de Nietzsche : si Nietzsche peut parfois être considéré comme un annonciateur du nazisme parce qu'il a eu des exégètes nazis, il doit aussi être perçu comme le philosophe qui a "épicé" copieusement le corpus doctrinal des adversaires du nazisme. Nietzsche est donc partout à la fois : il est simultanément dans deux camps politiques, à une époque cruciale de l'histoire allemande.

    Ignorer qu'il a inspiré Eisner et Landauer serait aussi idiot que d'ignorer ses exégètes de l'époque nazie, Baeumler et Heidegger. Si les hommes de gauche ont mis l'accent sur son volontarisme pour critiquer le déterminisme de leur cher marxisme ou pour brocarder l'absence de punch du réformisme social-démocrate, les hommes de droite (ou dits de droite) insisteront davantage sur son recours (physiologiste ?) à l'élémentaire ou sur son perspectivisme, qui, dans un certain sens, permet de justifier le nationalisme.

    Une chose est certaine, cette omniprésence de Nietzsche dans le champ des argumentaires politiques prouve le bien-fondé de notre seconde intention, annoncée en ce début d'article : réfuter le fétiche contemporain de la négativité permanente, propre tant aux réformismes sociaux-démocrates, qui galvaudent le sens de l'État, qu'aux socio-technologies (social engeneering)  du libéralisme avancé ou qu'au reflux vers les "petits faits" que constitue le néo-libéralisme.

    Nietzsche annonce en fait un humanisme nouveau qui insiste sur la pluralité  des belles fulgurances et ne pourra plus se baser sur des petits concepts étriqués et proprets, sur des slogans rapides ou des blue-prints hâtives : la démarche éducatrice de la philosophie se réfèrera aux fluctuations du devenir, aux grandes gestes historiques, aux grandes œuvres d'art, ainsi qu'aux domaines les plus divers du savoir humain. L'intelligence ne sera plus dominée alors par de timides manipulateurs de concepts ou de principes rigides, chétifs et inopérants devant le rude assaut des aléas, devant les impondérables.

    Pour Reinhard Löw comme pour Friedrich Kaulbach, Nietzsche est un maître et un éducateur, qui utilise un ou plusieurs langages pour déconstruire les argumentaires usuels des philosophes, opérer une monstration didactique des mécanismes de la décadence, annoncer une ère nouvelle marquée par une "affirmativité" créatrice. Löw réfute l'idée d'un Nietzsche annonciateur de l'insignifiance de tout, du monde, de la philosophie et du devenir : Nietzsche, au contraire crée, fonde, pose des bases nouvelles, se positionne comme  tremplin vers une pensée radicalement neuve. Une pensée qui voit les contradictions du devenir comme des obstacles enrichissants, non comme des anomalies perverses. Le philosophe, le grand artiste et l'hypothétique "surhomme" participent donc à un agon  fructueux, à une émulation perpétuelle.

    Les thèses allemandes les plus récentes sur Nietzsche renouent donc avec un Nietzsche affirmateur et créateur, qui engloberait sans doute certains simplismes politiques affirmateurs, la naïveté héroïque des premiers enthousiastes de sa pensée mais, en même temps, les dépasserait résolument, en les assagissant, en leur conférant une solide et inébranlable maturité, grâce à une recherche philologique minutieuse et une nouvelle démarche "physiologiste", patiente et systématique comme le travail de l'entomologiste. Nietzsche, dit Löw, doit être joué contre Nietzsche comme les faits doivent être joués contre les faits. La logique spontanée de l'humanité et de l'humanisme de demain doit être celle de ce jeu à risque, de ce jeu esthétique et créateur, où l'artiste utilise des matériaux divers.

    Il est donc impossible d'enfermer Nietzsche dans une et une seule logique politicienne (celle du nazisme ou du pré-nazisme). Il est impossible de creuser davantage la veine stérile et épuisée de la négativité méthodologique. Si demain une sérénité doit voir le jour, elle devra, comme l'ont démontré Löw et Pfotenhauer, se référer à cette agonalité créatrice et affirmative, ne laissant aucun domaine de l'esprit à l'écart, comme la physiologie pluridisciplinaire de Nietzsche.

    ► Robert Steuckers, Orientations n°9, 1987. http://www.archiveseroe.eu

    ◘ Notes :

    (1) Psychopathia spiritualis : F. Nietzsche und die Apostel der Zukunft,  Leipzig, s.d. Ce texte était préalablement paru sous forme de "feuilleton" dans la revue Die Gesellschaft en 1891.

    (2) F. Kaulbach a également exprimé son point de vue sur Nietzsche dans une série d'articles et d'essais, dont voici les références (toutes chez le même éditeur, Königshausen & Neumann, Würzburg) : • Die Tugend der Gerechtigkeit und das philosophische Erkennen,  in : R. Berlinger & W. Schrader (Hrsg.), Nietzsche Kontrovers,  Bd. I, 1981.
    Ästhetische und philosophische Erkenntnis beim frühen Nietzsche,  in : M. Djuric & J. Simon (Hrsg.), Zur Aktualität Nietzsches,  Bd. I, 1984.
    Nietzsches Kritik an der Wissensmoral und die Quelle der philosophischen Erkenntnis : die Autarkie der perspektivischen Vernunft in der Philosophie,  in : R. Berlinger & W. Schrader (Hrsg.), Nietzsche Kontrovers, Bd. IV, 1984.
    Autarkie der pespektivischen Vernunft bei Kant und Nietzsche, in : J. Simon (Hrsg.), Nietzsche und die philosophische Tradition, Bd. II, 1985.
    Das Drama in der Auseinandersetzung zwischen Kunst und Wissensmoral in Nietzsches Geburt der Tragödie, in : M. Djuric & J. Simon (Hrsg.), Kunst und Wissenschaft bei Nietzsche, 1986.

  • Dalaal Diam : première Pépinière de Ré-enracinement en Afrique – Par Arnaud Calion

    Situé sous le soleil du Sénégal, Dalaal Diam n’est pas un village africain comme les autres : il s’agit de la première pépinière de ré-enracinement créée en Afrique. Fondé sur un domaine de 8 hectares pour sa première phase de développement, le village a pour ambition de rapatrier la « diaspora Africaine », c’est-à-dire les “Afro-descendants” vivant hors d’Afrique et souhaitant se ré-enraciner sur le continent noir, conformément au vieux rêve de « Retour en Afrique ». Parmi les premiers habitants de Dalaal Diam, des Afro-descendants de France, de Martinique, de Guyane et de Belgique ont franchit le pas.

    Ce projet collectif de retour volontaire et définitif en terre Africaine a été lancé par Afrikan Mosaïque, une société anonyme (S.A.) de droit sénégalais. Il est intéressant de noter que l’entreprise a pris comme porte-parole Kemi Seba, bien connu pour son activité sulfureuse quand il était en France, et qui est retourné en Afrique (au Sénégal) depuis février 2011 conformément à ses idées. L’objectif principal d’Afrikan Mosaïque est de proposer un choix de société alternatif au Mondialisme nomade en construisant des pépinières de Ré-enracinement pour les Afro-descendants.

    Identité, Social et Ecologie

    [Tribune libre] Dalaal Diam : première Pépinière de Ré-enracinement en Afrique – Par Arnaud Calion

    Centre commercial

    Même si Dalaal Diam n’en est pour le moment qu’au stade de laboratoire, les ingrédients semblent réunis pour qu’il puisse devenir un village modèle.

    Le Sénégal a été choisi pour l’implantation car ce pays est une terre historique sur laquelle plusieurs anciens grands royaumes africains ont prospérés, tel que le Royaume du Cayor. Il fallait bien cela pour allier Tradition et Modernité, et bâtir les fondations d’une société conforme à la culture civilisationnelle Africaine et à son propre Art de vivre.

    Avant de fonder le village, les responsables du projet indiquent avoir pris le temps de dialoguer avec la population locale afin de réaliser la réconciliation entre les Africains du continent et les Africains de la diaspora (Afro-descendants). Cette réconciliation c’est faite de la meilleure façon qu’il soit : par le travail. Invité sur plusieurs chaînes de télévisions africaines, le porte-parole d’Afrikan Mosaïque explique ainsi que sa société emploie de la main-d’œuvre locale sénégalaise qu’elle rémunère à des prix supérieurs à ceux pratiqués dans la région.

    [Tribune libre] Dalaal Diam : première Pépinière de Ré-enracinement en Afrique – Par Arnaud Calion

    “Maison bioclimatique”

    Le jeune village se paye même le luxe de mener une politique écologique. Un centre commercial et des maisons “bioclimatiques” ont été construits. Dans la recherche d’une totale autonomie, un élevage et un maraîchage en adéquations avec l’environnement mettent en valeur le travail des agriculteurs locaux.

    Dans la bonne voie

    Durant des décennies, l’Afrique a été le champ d’essais « des modes intellectuelles occidentales qui lui furent tour à tour imposées : marxisme, socialisme, libéralisme, tiers-mondisme », telles que les énumère Bernard Lugan, historien spécialiste de l’Afrique dans son livre « Décolonisez l’Afrique ! » ; avec à chaque fois des résultats catastrophiques.

    [Tribune libre] Dalaal Diam : première Pépinière de Ré-enracinement en Afrique – Par Arnaud Calion

    Agriculture

    Et si la solution de l’Afrique était, simplement, le développement de l’Afrique par les Africains eux-mêmes ? Ce continent regorge de richesses : or, diamants, bois, pétrole, uranium, etc. Ne vaut-il pas mieux pour un Afro-descendant de mettre en valeur ces ressources naturelles, plutôt que de survivre difficilement en Europe ? La question mérite d’être posée. « Si nous réussissons ici au Sénégal, c’est quelque chose que nous dupliquerons à l’échelle du continent », explique le porte-parole d’Afrikan Mosaïque. Celui-ci évoque le Congo, le Bénin et le Cameroun comme pays où pourront potentiellement éclore de prochaines Pépinières de Ré-enracinement. Une telle initiative mériterait d’être accompagnée par une vaste politique européenne de Re-migration afin que fleurissent des milliers de Dalaal Diam. En ce début de XXIèmesiècle, contrairement à ce qu’annonçait l’agronome René Dumont en 1962, l’Afrique noire est peut-être bien partie.

    Arnaud Calion, pour Novopress France

    Crédit photos : DR.

  • Un guide pour les philosophies de la Vie

    lebens-philo.jpg• Analyse : Karl Albert, Lebensphilosophie : Von den Anfängen bei Nietz­sche bis zu ihrer Kritik bei Lukács, Alber Verlag/Reihe Kolleg Philo­so­phie, Frei­burg/Mün­chen, 208 p.
     
    Karl Albert, professeur de philosophie à Wuppertal dans la région de la Ruhr, nous of­fre un excellent petit ouvrage sur la Lebensphilosophie allemande, très didac­tique et qui convient parfaitement pour les étudiants de première année. Il passe en revue les œuvres de Schlegel, Schopenhauer, Guyau, Nietzsche, Ditlhey (cf. l’article de ce nu­méro sur Simmel), Bergson, Simmel, Lessing, Klages, Messer, Spengler, Keyserling, Ortega y Gasset, Scheler, Misch, Lersch et Bollnow. Dans son introduction, il explique clairement sa démarche : « Toutes les créations originales de la philosophie et de la littérature, qui ont émergé dans la première décennie du XXe siècle, por­taient l’accent de la “Vie”. C’était comme une ivresse, une ivresse juvénile, que nous avons tous partagée ». Les thématiques de la jeunesse, du printemps éternel, des paysages ré­générants, de la danse, de la nudité, indique une voix qui n’est plus celle de la froi­de logique mais de la bio-logique, appelée à remplacer les sécheresses et les hypo­cri­sies des “Lumières”, du positivisme et de l’académisme. Pour Karl Albert, les pré­misses de la Lebensphilosophie se situent déjà tout entiers dans les œuvres de l’Allemand Friedrich Schlegel et du Français Jean-Marie Guyau.
    Didactique, soucieux de transmettre à ses étudiants, Albert esquisse les étapes suc­ces­sives de la démarche de Schlegel, adversaire du système de Hegel, vecteur de “né­gativité”, induisant le philosophe dans l’erreur car il remplace la réalité divine et vi­vante par un mensonge métaphysique. En trois étapes, Schlegel va tenter de sortir la pensée allemande et européenne de cette impasse et de ce labyrinthe :
    1. Opposer au Geist hégélien la Vie proprement dite.
    2. Montrer que la philosophie traditionnelle indienne est une apologie et une acceptation sereines voire joyeuses de la Vie.
    3. Hisser au niveau de la réflexion philosophique les rapports entre l’homme et la fem­me, dans la sexualité et dans le mariage.
    La base du travail philosophique ne saurait être une spéculation infinie sur un concept éthéré mais, au contraire, la vie spirituelle intérieure de l’homme, voyageant entre le ciel du sublime et la pesanteur de la ma­té­rialité. Dès lors, le philosophe peut commencer sa démarche à partir du moindre fait de vie et non pas au départ des seules spéculations académiques, imposées a priori au cherchant. Sanskritologue patenté, de même que son frère, Schlegel lisait la philo­sophie et la mythologie indiennes dans le texte. Il y retrouve un panthéisme, chassé d’Occident depuis l’avènement du christianisme. Ses réflexions sur les rapports entre sexes - sans nul doute inspirées par la tradition tantrique - contribue à forger en Oc­cident une nouvelle vision de la femme, émancipatrice et équitable, revalorisant le rôle de la sensualité dans l’élaboration d’une philosophie équilibrée entre raison, sens, cordialité, matérialité, etc.
     
    Jean-Marie Guyau (1854-1888), natif de Laval dans le Maine, auteur notamment d’Es­quisse d’une morale sans obligation ni sanction (1885), aura un impact certain sur Nietzsche. Pour Guyau, la Vie a vocation à l’expansion, non au sur-place, et cette ex­pansion n’a pas à être régulée - et contrariée - par un “impératif catégorique“ de kan­tienne mémoire, démarche non naturelle. L’aire infinie du déploiement merveilleux du cosmos est le site où vit et agit l’homme : le lieu de la “sympathie universelle”, où convergent et fusionnent esthétique, morale et religion. L’art, selon Guyau, est le vé­hi­cule que l’hom­me accompli utilise pour naviguer dans l’océan infini de cette “sym­pa­thie uni­verselle”, sans contrarier les forces à l’œuvre dans l’univers. Sous les con­tra­dic­tions ap­parentes du monde des hommes, se profile une harmonie fondamentale, l’Ê­tre. Gu­yau, comme plus tard Deleuze - que l’on prend, nous dit Badiou, à tort pour un pen­seur d’une pluralité absolue et désordonnée - développe une ontologie vitaliste, qui ne nie nullement l’unité fondamentale de l’univers.
     
    La philosophie de la Vie n’est donc pas le socle des particularismes maniaques, re­pliés sur eux-mêmes, mais l’écho en Europe, d’une vision tantrique, où tout est en­tremêlé, où tout est relié à tout, sans segmentations et catégorisations inutiles et a­ber­rantes. Avec Schlegel et Guyau, les bases d’une formidable alternative ont été je­tées, mais elle n’a pas encore réussi à percer, à développer des modèles sociaux et po­li­tiques solides et viables.

  • Péguy parmi nous par Pierre LE VIGAN

    Il y a cent ans, Péguy publiait Le mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, pièce de théâtre qui est toute entière le mystère de la prière de Péguy. Il publiait aussi, cette même année 1911, Le Porche du mystère de la deuxième Vertu (« Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. » Cette « petite fille espérance. Immortelle » que chantera cet autre poète qu’était Brasillach). L’occasion de revenir sur Péguy, l’homme de toutes les passions.
    En 1914 mourrait Charles Péguy, au début d’une guerre qui marqua la fin d’une certaine Europe et d’une certaine France. Péguy représentait précisément le meilleur de l’homme de l’ancienne France, atteint au plus haut point par les ravages du monde moderne. On dit parfois qu’il y eut deux Péguy, le premier socialiste et dreyfusard, et le second, nationaliste, critique du progrès, catholique proclamé (par ailleurs nullement pratiquant) et atypique. Ces deux Péguy ont leur grandeur, et les deux ont été bien vivants c’est-à-dire qu’ils ont écrits comme tout le monde aussi quelques bêtises. Mais c’est le même homme qui a été tour à tour socialiste idéaliste et critique passionné – et bien injuste – de Jean Jaurès. Et c’est le même homme qui fut poète, et qui fut hanté par l’idée de hausser l’homme. C’est pourquoi dans Notre jeunesse (1910), Péguy écrivait : « On peut publier mes œuvres complètes, il n’y a pas un mot que j’y changerais. » Et de dire dans ce texte, en substance : je ne renierais jamais mon engagement (dreyfusard) dans l’affaire Dreyfus et je ne renierais jamais la République.
    Péguy est né à Orléans en 1873. Il sera influencé par Louis Boitier et le radicalisme orléanais. Fils d’un menuisier et d’une rempailleuse de chaises, Péguy peut faire des études grâce à une bourse de la République. Condisciple du grand historien jacobin Albert Mathiez, Péguy échoue à l’agrégation de philosophie. Dans les années 1890, il se range du côté des socialistes par aspiration à la fraternité et un ordre vrai. De même, il défend Dreyfus injustement accusé de trahison. C’est un anticlérical et un homme de gauche. « Les guerres coloniales sont les plus lâches des guerres », écrit-il en 1902. Sa première Jeanne d’Arc qui, parue en 1897, n’aura aucun succès est dédiée à ceux qui rêvent de la République socialiste universelle. Il abandonne la voie du professorat en 1897.
    À partir de 1900, il évolue de manière de plus en plus autonome et inclassable. Il se convertit à un certain réalisme politique. « La paix par le sabre, c’est la seule qui tienne, c’est la seule qui soit digne », écrit-il alors à propos de la colonisation française. Ce qui n’est pas incompatible avec le premier propos mais marque une nette inflexion. C’est l’époque de Notre Patrie (1905) et du raidissement patriotique après l’incident de Tanger. « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude », écrit-il alors dans les Cahiers de la Quinzaine. Mais ce ne peut être qu’un ordre vrai, c’est-à-dire un ordre juste.
    L’antisocialisme de Péguy vers 1910 est surtout une protestation contre l’embourgeoisement du socialisme. Mais il faut le dire : il y aussi un profond recul de l’intérêt pour la question sociale. S’il ne fut jamais maurrassien (Daniel Halévy expliquera que ce qui a manqué au débat français c’est un face-à-face Maurras – Péguy), Péguy était par contre proche de Barrès.
    Anticlérical mais chrétien – il trouve la foi en 1908 -, extrêmement patriote (jusqu’à un antigermanisme détestable mais naïf), Péguy était aussi philosémite (à une époque où le sionisme n’existait pas), ainsi grand admirateur de Bernard Lazare. Les amis juifs ne manquèrent pas à Péguy, tels le fidèle Eddy Marix. Sans parler de « Blanche », son dernier amour. Loin d’être attiré par les extrêmes, Péguy est à partir de 1900, en politique, très modéré. Il voue ainsi un grand respect à Waldeck-Rousseau, homme de gauche modéré, voire « opportuniste » au sens du moment, qui mit un terme  aux affres de l’affaire Dreyfus.
    Après avoir ouvert une librairie, vite en faillite, Péguy crée les Cahiers de la Quinzaine, qui n’auront jamais assez d’abonnés pour être rentables (on parle de 1400 abonnés, mais des historiens tels Henri Guillemin indiquent qu’il n’en a jamais eu 1200). Abandonnant le socialisme devenu parlementaire, il s’attache à prôner une République idéale, indépendante des partis et de l’argent, patriote, sociale, apportant à tous l’éducation, la dignité dans le travail et la fraternité. C’est dire que Péguy n’a jamais complètement renié ses idéaux de jeunesse. « Une révolution n’est rien, si elle n’engage pas une nouvelle vie, si elle n’est entière, totale, globale, absolue… » Péguy devient l’homme de toutes les traditions, « des fleurs de lis mais aussi du bonnet phrygien (avec cocarde) ». « Un Michelet dégagé des vapeurs idéologiques », remarque Maurice Reclus. Une fidélité à la République comme continuité de toute notre histoire. C’est ce qu’il résuma par la fameuse formule : « La République c’est notre royaume de France ».
    Ami de Jacques Maritain, de Lucien Herr, de Pierre Marcel-Lévy, de Georges Sorel (qui ne crut jamais à sa conversion catholique), de Léon Blum, avec qui il se fâcha, de Marcel Baudouin dont il épousa la sœur et à qui il vouait une affection fraternelle jusqu’à utiliser le pseudonyme de Pierre Baudouin, sous le nom duquel il publia sa première Jeanne d’Arc, Péguy était en relation avec les plus brillants mais aussi souvent les plus profonds des intellectuels de l’époque. De même qu’il échouera à l’agrégation de philosophie, il ne termina jamais sa thèse sur « l’histoire dans la philosophie au XIXe siècle », ni sa thèse complémentaire qui portait sur le beau sujet « Ce que j’ai acquis d’expérience dans les arts et métiers de la typographie ». Ce qu’il cherchait n’était pas de paraître, c’était de tracer un sillon bien précis : l’éloge des vertus d’une ancienne France, celle des travailleurs, des artisans, des terriens. « C’est toujours le même système en France, on fait beaucoup pour les indigents, tout pour les riches, rien pour les pauvres », écrivait-il dans une lettre du 11 mars 1914.
    Souvent au bord de la dépression, Péguy ne se ménageait guère. « Le suicide est pour moi une tentation dont je me défends avec un succès sans cesse décroissant », écrivait-il à un de ses amis. Il ne cherchait pas le confort pour lui-même : ni le confort moral ni le confort intellectuel. « Il y avait en ce révolutionnaire du révolté, écrivait son ami Maurice Reclus, et, ces jours-là, je ne pouvais m’empêcher de voir en Péguy une manière de Vallès – en beaucoup plus noble, évidemment, en beaucoup moins déclamateur et revendicateur, un Vallès sans bassesse, sans haine et sans envie, mais un Vallès tout de même. » Péguy prétendait être un auteur gai, et s’il n’était pas comique ni léger, il était quelque peu facétieux. Oui, cet homme avait la pudeur de la gaieté. Il ne cherchait jamais à être étincelant, mais il étincelait.
    Ce que récuse Péguy, et là, il n’est pas modéré, c’est le modernisme. Le danger qu’il annonce, c’est « la peur de ne pas paraître assez avancé ». C’est pourquoi sa critique de l’obsession moderniste est souvent associée au regret des temps passés, alors qu’elle témoigne pour un autre avenir possible. « Mais comment ne pas regretter la sagesse d’avant, comment ne pas donner un dernier souvenir à cette innocence que nous ne reverrons plus. […] On ne parle aujourd’hui que de l’égalité. Et nous vivons dans la plus monstrueuse inégalité économique que l’on n’ait jamais vue dans l’histoire du monde. On vivait alors. On avait des enfants. Ils n’avaient aucunement cette impression que nous avons d’être au bagne. Ils n’avaient pas comme nous cette impression d’un étranglement économique, d’un collier de fer qui tient à la gorge et qui se serre tous les jours d’un cran. » (L’Argent). Deux semaines avant d’être tué, le 5 septembre 1914, Péguy était au front à la tête d’une compagnie. Il écrivait : « nous sommes sans nouvelles du monde depuis quatre jours. Nous vivons dans une sorte de grande paix. »

    Pierre Le Vigan http://www.europemaxima.com/
    • Arnaud Teyssier, Charles Péguy, une humanité française, Perrin, 2008.
    • Romain Rolland, Péguy, Albin Michel, deux volumes, 1945.
    • Maurice Reclus, Le Péguy que j’ai connu, Hachette, 1951.

    • Bernard Guyon, Péguy, Hatier, 1960.
    • Charles Péguy, L’Argent (1913), réédité par les éditions des Équateurs.
    • Paru dans Flash, n° 67 du 2 juin 2011.
  • Droit français : l’altérité sexuelle des parents est obligatoire

    Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé, explique pourquoi, dans le droit français, on ne peut être enfant que d’un homme et d’une femme :

  • Lafautearousseau s'associe à la "Manif pour tous" parce que la famille c'est la base de la nation !

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    Lafautearousseau s'associe pleinement, à la campagne lancée, courageusement, par l'Eglise Catholique de France et par divers mouvements ou associations, contre le projet de loi dit du "mariage pour tous". Nous soutenons donc la manifestation d'ampleur nationale, en préparation pour le 13 janvier prochain.
    On sait que le cardinal André Vingt-Trois, à l'occasion du 15 août, a fait dire, dans toutes les églises de France, une "prière pour la France", s'élevant, en fait, contre ce projet; que le pape Benoît XVI encourage cette initiative; qu'elle a été confirmée par la Conférence Episcopale réunie à Lourdes. De fait, L'Eglise, pourvu qu'elle le veuille, qu'elle y lance toutes ses forces, possède encore -on a eu, on aura, sans-doute, encore, l'occasion de le vérifier - une capacité considérable de mobilisation et d'influence. Souhaitons qu'elle l'utilisera à fond et, dans ce cas, soutenons-là avec la même force.
    Les autres grandes religions, avec les nuances qui tiennent à leur spécificité, se sont exprimées dans le même sens. En particulier, le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, a publié un document remarquable, opposé à un projet de loi qui, selon lui, consiste à « priver des enfants d’un droit essentiel, avoir un père et une mère et non un parent 1 et un parent 2". En l'occurrence, cette conjonction des grandes religions, présentes sur notre sol, peut être utile à la France. Qu'elles s'opposent ensemble à un projet de pure déconstruction sociale, imposé en force par une minorité et un gouvernement indifférent au Bien Commun, est une nouveauté importante. Ces autorités spirituelles se déterminent en fonction de préceptes religieux, issus des Ecritures, mais aussi de considérations morales, anthropologiques et sociétales.
    Du simple point de vue politique qui est le nôtre, qui ne méconnaît nullement ces hautes raisons, le projet de loi gouvernemental est une atteinte supplémentaire à la cohésion, à la stabilité, et à la structure même, la plus fondamentale, de notre société, et aux conditions du Bien Commun. C'est la raison pour laquelle nous nous opposons, nous aussi, au projet gouvernemental et nous conseillons à nos amis de participer à la manifestation nationale du 13 janvier, comme à toutes les actions qui seront menées par la suite, pourvu qu'elles soient sérieusement, raisonnablement organisées, et sans risque de tomber dans ce genre d'excès ou d'outrances qui finissent par nuire à la cause défendue.
    Nous ajouterons, quant à nous, que se battre sur l'unique et ultime front (ultime, pour combien de temps ?) d'une opposition déterminée au "mariage homosexuel", si justifiée soit-elle, serait tout à fait insuffisant. Si, en effet, "la famille est la base de la nation", il y a déjà bien longtemps que la stabilité des familles françaises n'est plus une réalité, bien longtemps que cette stabilité est fortement atteinte, bien longtemps que la société nationale se dissout, s'atomise, au profit d'un individualisme de plus en plus accentué, avec tous les très graves désordres sociétaux qui en découlent. A terme, c'est notre capacité à transmettre notre culture et notre civilisation qui est en question. Nous voyons déjà, tous les jours, et en toutes sortes de domaines, les inquiétants effets de cette dissolution des familles françaises. C'est donc sur une ligne très en amont de la seule question du "mariage homosexuel" que nous devons situer le front de nos campagnes et de nos actions. Celui de la reconstruction de la famille française, sans quoi l'avenir national sera, de toute façon, compromis.

  • La femme est le présent de l'homme


    Ulysse, dans son périple aventureux sur la mer vineuse, croisa l'île des Sirènes, voluptueuses créatures hybrides, qui usaient de leur charme pour décharner les malheureux marins ensorcelés par leurs chants. Comme tout collégien le sait, le héros, afin d'expérimenter la tentation, sans avoir à y succomber, se fit lier au mât de son navire par ses hommes, qui s'étaient bouchés les oreilles de cire, sur les conseils de Circé.

    Notre héros ne désirait pas, manifestement, être « libéré ».

    Telle était l' « insensibilité » (à nos yeux) des Anciens – et ce, jusqu'au déluge de larmes qui noya la littérature dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle - qu'ils considéraient que les plaisirs, singulièrement les délices de la sexualité (pour autant que celle-ci se présentait parmi les nourritures terrestres, ou célestes, toujours bonnes à goûter) comme des pièges dans lesquels on avait à perdre plus que la vie.

    Le monde contemporain présente d’innombrables paradoxes, dont le moindre n’est certainement pas celui qui juxtapose liberté proclamée et servitude assumée – et peut-être jamais société n’en fut autant pétrie. L’un des plus curieux est celui qui allie le relativisme anthropologique et l’ethnocentrisme décomplexé. Ce dernier regarde avec réprobation aussi bien les aires civilisationnelles étrangères à l’Occident, comme l’Islam, ou les types de sociétés du passé, celles par exemple de l’Antiquité ou du moyen-âge, que l’on refoule dans les ténèbres obscurantiste, non sans en sauver des bribes, quitte à commettre, dans ce cas, de grossiers malentendus. L’homme moderne « parvenu » est tellement imbu de ses réussites matérielles, qui ne sauraient qu’impressionner des esprits infantiles, qu’il a renié la découverte qu’il avait faite, à l’aube de ses conquêtes, de l’altérité des civilisations extra-européennes. Les leçons de Montaigne et de ses successeurs n’ont été utilisées que pour miner le vieil ordre de l’ancien régime. La vision édulcorée du Bon sauvage, idée faussée d’une réalité moins acceptable pour des estomacs fragiles, et même le dénigrement voltairien du pauvre hère souffrant maux et abrutissement dans ses forêts, n’ont servi qu’à asseoir le triomphe de l’hédoniste actuel, sûr de lui, ridiculement persuadé que sa société est, finalement, la seule possible.

    Son incapacité à penser l’autre s’illustre singulièrement dans ce qui relève du corps. A vrai dire, si l’on entend par corps le système biochimique qui est, de fait, l’héritier sophistiqué de la mécanique cartésienne, et à partir duquel tout est expliqué, l’âme, le comportement, les choix existentiels, et même la capacité à être libre, on jugera de l’aune par laquelle toute société peut être, selon lui, évaluée. La religion, par exemple, sera une sublimation de l’instinct sexuel, ou bien – ce qui équivaut à ne retenir que le même paradigme – une aliénation préjudiciable à la véritable libération de l’individu. Ce freudisme qui privilégie l’infra humain a envahi les consciences et préside presque toujours à toutes les réformes qui se mêlent de transformer l’homme, ou à l'évaluation de ses besoins.

    Le néocapitalisme, aboutissement logique de la marchandisation universelle, qui bouleverse et abolit toutes les inhibitions et les interdits perçus comme des empêcheurs de pousse-au-jouir, ne pouvait présenter à la soif de réalisation personnelle, la libération sexuelle dans une société veuve du religieux, que comme la solution. Celle-ci fut revendiquée en tant que voie vers l’autonomie du moi. Le mot d’ordre, à la fin des années soixante, fut à l’audace de s’abandonner aux forces éruptives de l’érotisme et du sexe. La subversion de soi, et la transgression des codes, devinrent le dogme d’une sacralité séculaire et millénariste (puisque achevant le règne de l’histoire, nécessairement imparfaite, pour s’accomplir dans la geste, ou la gestion utopique des désirs).

    La femme, objet attitré du désir, et réputée fragile, crut tenir là une revanche.

    Il est maintenant nécessaire, non d’expliquer en quoi la liberté est une fausse valeur, erronée et trompeuse – l’on saisira aisément la vanité d’une démonstration quand il s’agit ici, plutôt, d’une nouvelle religion, d’une nouvelle foi, et partant, d’un nouveau fanatisme – mais de capter le timbre, comme en musique, le ton, le rythme, l’amplitude de ces certitudes qui influent sur les comportements sociétaux ou politiques, et qui se traduisent aujourd’hui dans la tentative totalitaire de créer un nouvel homme en conditionnant cyniquement les enfants des maternelles.

    Si nous revenons à la sexualité, présumée maîtresse de nos vies, et somme toute la chose sensible, au monde, la plus délectable, en tout cas la plus captatrice de volonté, si l’on oublie les misérables lubies colportées par les péplums, qui se complaisent à nous transmettre une Antiquité vautrée dans le stupre et la fornication, nous sommes bien stupéfaits de constater que les préjugés déforment la perception des choses, que les sociétés qui nous ont précédés n'étaient animées ni par le désir sexuel (ni d'ailleurs par la nécessité économique), et qu'’il en était exactement le contraire. En règle générale, les sociétés traditionnelles réprouvent la chasse au plaisir. Non qu’elles ne l’éprouvent pas, parfois différemment de nos manières, mais elles sont bien plus complexes que la nôtre, et ne jugent pas l’homme (et la femme) de façon unilatérale. Ce que nous avons perdu, nous qui nous soumettons inconditionnellement aux lois de l’économie ou aux pulsions individuelles (et les unes ne vont pas sans les autres), c’est l’intelligence des états multiples de l’être, pour parler comme Guénon. La civilisation de masse a « libéré » l'atome égotique de son appartenance à des groupes complexes, et, par-là, à des éthos différenciés, légitimés par des ancrages supra individuels et supra humains. Autrement dit, chaque être, dans les sociétés traditionnelles, ne s’appartenait qu’en tant qu’il échappait à une emprise auto centrée.

    Bien entendu, le mariage allait faire les frais de la « libération » sexuelle. Sans remonter aux Anciens, qui auraient rougi d’avouer qu’ils avaient pris du plaisir avec leurs épouses, et qui réservaient à ce passe-temps nécessaire les courtisanes ou la domesticité pléthorique de cette époque où l’esclave était bon marché (un peu – mutatis mutandis – ce qui se passe, de notre temps, dans certaines entreprises ou dans des groupes où l'autorité donne bien des « libertés » de cuissage), il est de fait que mariage et amour n’ont jamais fait bon ménage. La fin’amor, au XIIème siècle, a fondé sa « morale » érotique sur cette dichotomie, jusqu’au romantisme, dont, finalement nous vivons encore, avec néanmoins plus de cynisme, et même de goujaterie. Plus généralement, l’individu contemporain souffre difficilement les contraintes, surtout si elles ne sont pas sanctifiées par la nécessité, comme le travail, cette nouvelle religion, ou bien, et surtout, quand elles présentent la tare d’être le reliquat des temps anciens, comme le mariage. Quoiqu'il faut convenir, comme nous allons le constater, que la palinodie est poussée jusqu'à investir le mariage des passions d'un amour que l'on ne croyait pas y trouver.

    On avouera en effet que la question du mariage devient diablement compliquée. Non pas seulement parce que le projet gendriste de « mariage pour tous » invalide la chose en la neutralisant, en la vidant de sa substance, qui est l’union entre un homme et une femme en vue de procréer, mais parce que le malentendu remonte loin. L’illusion romantique et la bienséance bourgeoise ont favorisé la confusion entre l’amour et le lien matrimonial. Ce qui n’est, avant tout, qu’un contrat (et nous verrons quelle en est la véritable nature) est devenu, sinon dans les faits, du moins dans l’imaginaire commun, la consécration d’un lien émotionnel, sentimental, sexuel fort, et destiné, selon le poncif convenu, à l’éternité. Cette mystique amoureuse et nuptiale, qui a peu de chose à voir avec l’idéal chrétien, qui mettait en avant la charité, c’est-à-dire l’amour dans le Christ, à la base des relations humaines, y compris charnelles, perdure encore parmi les jeunes gens, comme différentes enquêtes d’opinion l’ont montré. Ce qui, en regard de la fragilité actuelle des volontés et le manque de mesure de la durée, est placé la barre très haut, et explique le taux élevé de divorces « prématurés », dont les enfants en très bas âge font les frais. Car souvent, le désir, qui n’a qu’un temps, et la passion, qui se maintient encore moins longtemps, faute de perspective transcendante, spirituelle, religieuse, et même « politiques » (des couples de militants peuvent cheminer, soudés, ensemble, dans un même combat), ne sont pas transformés en un sentiment, certes moins violent, mais plus solide et pérenne. Le mariage contemporain, qui, lors des noces, exige parfois un investissement financier et sociétal hors de proportion, comme s’il fallait se prouver à soi-même que c’était du « sérieux », ressemble par bien des points à ces adoptions inconsidérées d’animaux de compagnie, que l’on abandonne sur les bords des routes. Ce sont cependant, dans ce cas, les enfants qui sont sacrifiés.

    Les psychologues et tous les « spécialistes » qui ont quelque intérêt à défendre et à légitimer la permissivité moderne, dont ils tirent profit, ont toujours, contre toute évidence, considéré que ces déstructurations familiales étaient soit un pis aller, soit même une seconde chance pour réaliser des relations plus « épanouissantes », l’essentiel étant d’être « heureux », donc, in fine, de mener une vie sexuelle satisfaisante.

    Tous les hommes font la chasse au bonheur, certes, mais ils sont loin d’y mettre tous la même chose, et c’est bien là l’outrecuidance et la cuistrerie de notre âge que de prétendre en détenir le secret. Lorsque l’on compare les pauvres itinéraires, trop humains, des consommateurs d’amour actuels, qui surfent sur internet pour nouer des relations, paient cher les abonnements aux sites de rencontres, imaginent des stratégies labyrinthiques pour croiser l’âme sœur, paramétrant tous les critères culturels, physiques, financiers, sociaux, confessionnels, etc. pour que la carte soit enfin la bonne, il faut convenir que le couple est bien une conquête, ô combien précaire, et un chemin de croix. Le surinvestissement existentiel et affectif qu’il suppose ne peut que provoquer des déboires, des échecs, et une grande souffrance. Ce désespoir se manifeste aussi à un niveau plus trivial, à celui des rapports sexuels crus, la marchandisation de Vénus et la pornographie ayant rendu la chair encore plus triste, et les idéaux de beauté, entretenus par les massmédias, ayant, de facto, relégué la plupart des humains à l’étiage en-deçà duquel on n'a plus de raison de se dire beau et séduisant, ambition désormais inaccessible, le seul graal qui fasse désormais entrer dans le saint des saints. Autrement dit, un monde « libéré », transformant en norme la permissivité, ne peut offrir qu’à quelques élus le paradis rose qu’il promet, la grande masse des mammifères anthropoïdes, n’étant, somme toute, qu’un bétail de bien piètre qualité esthétique. La concurrence est sans doute, alors, plus rude que dans ces temps où il n’était pas nécessaire, pour plaire, de ressembler à tel acteur ou telle actrice. Tout le monde d’ailleurs n’est pas perdant dans cette escroquerie, puisque l’industrie de la beauté est florissante.

    Dans la réalité, sans pour autant qu’on détienne, et pour cause, des preuves statistiques dans ce domaine, il y a fort à parier que le « bonheur » engendré par les unions matrimoniales dans le temps passé comme maintenant étaient en gros de même importance, même s’il n’était pas de même nature. Autrement dit, il existait sans doute quantitativement autant de personnes heureuses et malheureuses dans les sociétés traditionnelles, qu’à notre époque qui se vante d’avoir « libéré » l’humain.

    Il est même probable que l’intensité du « bonheur » était supérieure auparavant. Pour apprécier à sa juste mesure cette assertion provocatrice, il faut se défaire de quelques préjugés, ce qu’est incapable de faire, il faut bien le dire, l’homme contemporain, qui voit tout au niveau de son nombril, ou plutôt de son appareil géniteur. Il faut pourtant fournir un grand effort d’imagination, et concevoir une terre régie par d’autres paradigmes, aussi sages et raisonnables que ceux que l’on prétend tels maintenant.

    Qu’étaient donc le mariage traditionnel, et subséquemment, la femme traditionnelle ? Pour ne prendre que l’exemple romain, qui présente trois sortes de mariages (le « conferreatio », le plus ancien, autrefois réservé aux patriciens, et accordé plus tard aux plébéiens, la « coemptio », qui était un rite de passage, par l’argent, des mains du père à celles de l’époux, et le mariage « per usum », qui était l'officialisation d’une cohabitation), ses origines relieuses, au sens où la religion « relie », étaient primordiales. Il s’agissait d’une part d’avoir des enfants pour continuer le nom de la « famille », laquelle possédait une acception plus large que maintenant, de faire perdurer, comme en Inde et en Chine, le culte du foyer et des ancêtres, et de s’intégrer, ce qui était essentiel pour un Romain, dans le cadre civique, le célibat étant durement réprouvé.

    Quand l'homme défendait les remparts de la cité, la femme était au centre de la communauté, dans le cœur vital où l'homme est relié à son fondement. Il n'était nul besoin d'une « journée de la femme » pour rappeler ce rôle essentiel d'un sexe qui était loin d'être « faible ».

    Si, d’une part, comme on le voit, l’idéal des hommes et des femmes dépassait leur simple dimension individuelle, et les projetait dans un espace beaucoup plus large, plus grave, et sans doute plus exaltant (celui des dieux et de la cité), du moins en ce qui concerne les formes les plus élevées du mariage, celui-ci ayant pâti du relâchement des mœurs à partir de la fin de la République, il a subsisté dans le christianisme, qui a démocratisé l’union aristocratique, l’a mise à la portée de tous, en reprenant par la même occasion l’exigence de fidélité, aussi bien de la part des femmes, ce qui allait alors de soi, mais aussi de la part des hommes, devoir apparu lorsque le consentement mutuel, lors des « nuptiae », les « noces », s’imposa dans les premiers siècles de l’Empire. C’est à ce moment que l’habitude de passer un anneau à l’annulaire gauche de son conjoint acquiert un sens, que l’épousée, dans la demeure de l’époux, répond par la formule rituelle (et émouvante) : « ubi tu Gaius, ego Gaia » (« Où tu seras Gaius, je serai Gaia »), que le marié présente l’eau et le feu, symboles de la vie commune et du culte familial, ainsi que les clés de la maison, que la mariée offre trois pièces de monnaie, l’une à l’époux, l’autre au Lare, dieu du foyer, et la troisième au dieu du carrefour le plus proche.

    Quelle horreur ! crieront les féministes ? Quelle aliénation ! Et quelle servitude de la femme !

    Comment faire comprendre un monde qui dépasse l’entendement limité des modernes, lavé par deux siècles d’endoctrinement et de propagande individualistes. Il faudrait passer par toute une étude anthropologique sur les visions du monde, je le répète. Et convaincre l’égocentrique un peu grisé par son illusion d’autonomie que la véritable réalisation humaine s’affirme dans un engagement qui, sous la forme de devoirs, permet à l’homme d’être responsable, de son groupe, de sa famille, de lui-même, en le reliant à une Dikè, à une justice cosmique, à un ordre du monde, et que c’est cette courageuse et volontaire adhésion à la tâche d’être humain, comme aurait pu dire Marc Aurèle, à ce théâtre sérieux, qui fait l’homme, et non cet atome agité qui croit exister authentiquement en produisant une électricité erratique.

    On a reproché au christianisme d’être puritain et ennemi de la « chair ». C’est beaucoup le diffamer, ou du moins lui faire trop porter le chapeau. En vérité, l’Antiquité tardive avait accru une tendance qui avait toujours existé dans l’Antiquité, où être trop adonné au plaisir passait pour être efféminé. Ces siècles guerriers, civiques et politiques ne souffraient pas un abandon de l’énergie vitale, mais aussi, des philosophies aussi prisées que le stoïcisme, le platonisme, et même l'épicurisme, louaient sinon l'ascèse, du moins la réduction des désirs à l'essentiel. L’érotisme possédait ses lettres de noblesse, à condition d’être encadré, orienté, sacralisé (par exemple lors de festivités), mais il était bien entendu que le dessein de tout être, plus on s’élevait dans l’échelle des devoir, était la maîtrise. Cette vertu, présente dans la religion chrétienne, appartient aussi au monde chevaleresque du moyen âge. Erec et Enide, de Chrétien de Troyes, en est une illustration éloquente. La « récréantise », l'abandon du devoir pour les plaisirs du lit, contredit l'idéal du guerrier, qui ne doit pas s'arrêter à ce qui affaiblit son énergie vitale.

    Tout cela est du monde ancien. Toutefois, pour nous, c’est encore du présent, parce qu’éternel.

    Un état de fait, cependant, montera toute la duplicité, la tartuferie d’un système idéologique qui se pare du costume scintillant du plaisir et de la volupté, voire de la tenue d’Eve, pour prouver sa raison d'être. La réalité de la femme, celle, crue et dure, qui prévaut dans le monde tel qu’il est, a vite fait de dégonfler la baudruche.

    D’un point de vue capitaliste, la « libération » de la femme a été tout bénéfice, puisque cette main d’œuvre sous qualifiée et sous payée à porté au système de production et d’exploitation un souffle d’air inespéré. Les revendications d’égalité, de parité, on fait tomber tous les scrupules qui interdisaient aux femmes d’être traitées (mal) comme les hommes. C’est ainsi que la Commission européenne a supprimé l’interdiction du travail de nuit pour elle. Parité oblige ! Et là où il n’était nécessaire que d’un salaire pour faire vivre une famille, il en faut maintenant deux, et de nouveaux frais, donc davantage d’emprunts et de dettes.

    La « libération » sexuelle a aussi eu pour résultat de fragiliser la femme, surtout celle issue des milieux populaires. Il est vrai que les bobos s’en sortent mieux quand le couple se déchire et que la famille éclate. Encore que... Néanmoins, des enquêtes récentes démontrent que ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut à la crise. Les familles monoparentales, qui concernent les mères à 85% (soit deux millions de foyers), représentent en France une famille sur cinq. De 1999 à 2005, ces familles ont augmenté de 10%. En quarante ans, de plus de 40%. Probablement est-ce là un progrès indéniable vers la liberté. Chez ces familles, on compte un taux de pauvreté de 35%, 2,5 fois plus que l’ensemble des familles. Evidemment, le chômage et l’emploi précaires sont la règle parmi ce que l’on nomme les « mamans solos ». Nous sommes loin des femmes « libérées », « positives », des feuilletons télévisés, ces fictions à propagande bassement mensongères.

    Aragon et Ferrat, finalement, avaient en partie raison, en chantant que la femme était l’avenir de l’homme. Oui, la femme est bien l’image de l’homme, mais il faut rectifier l'assertion. Elle est bien le reflet fidèle d'un homme misérable, perdu, malheureux, trompé, cocu fié par l’idéologie soixante-huitarde, et cherchant désespérément, dans des amours éphémères, un bonheur absolu qu’il semble avoir perdu.

    Claude Bourrinet http://www.voxnr.com/

  • Œuvre française : Pierre Sidos passe le flambeau à Yvan Benedetti

    Les 4 et 5 février se tenait dans la région lyonnaise le VIIIe congrès de l'Œuvre française. À l'occasion de ce rassemblement de la plus vieille organisation nationaliste en France - si l'on excepte l'Action française mais qui, elle, a fortement évolué depuis l'époque de Maurras -, son fondateur Pierre Sidos qui préside le mouvement depuis sa création il y a 44 ans le 6 février 1968 a passé le flambeau à son fidèle lieutenant Yvan Benedetti, dynamique militant de l'Œuvre depuis un quart de siècle, conseiller municipal de Vénissieux et bras droit de Bruno Gollnisch pendant la campagne interne en 2010-2011, aujourd'hui exclu du Front national par Marine Le Pen. Le nouveau bureau a été approuvé à l'unanimité : Yvan Benedetti est donc le nouveau président, Joseph Renault le secrétaire et Jean-Luc Vacherat le trésorier. Même si, à sa demande, le président statutaire a changé, Pierre Sidos reste, à 85 ans, la référence et le chef historique d'un mouvement dont la doctrine, les principes et les méthodes d'action n'ont jamais varié. En 1958, il avait appelé à voter non à De Gaulle. En juin 1967, il avait condamné la guerre des Six-Jours menée par l'entité sioniste. Et dès la création en 1957 de la Communauté économique européenne, ancêtre de l'Union européenne, il s'était opposé à l'Europe supranationale, mondialiste et mercantile qui en un demi-siècle a liquidé dans tous les domaines la souveraineté et l'indépendance nationales. Enfin, tout en étant totalement hostile au communisme et à l'Union soviétique, il n'a jamais été atlantiste. Avant d'avoir fondé l'Œuvre, P. Sidos avait créé en 1949 le mouvement Jeune Nation qui avait été dissous en 1958 au moment de la guerre d'Algérie puis en 1959 le Parti nationaliste aussitôt interdit par De Gaulle. Son militantisme en faveur de l'Algérie française lui a valu deux ans et demi de clandestinité et une année de captivité.
    À l'issue de deux journée de travaux qui ont porté sur la situation politique actuelle, tant sur le plan national qu'international, sur l'état du camp national, sur les perspectives nationalistes, sur les méthodes de combat, l'Œuvre française a publié, le 5 février, une déclaration finale. La voici in extenso :
    DECLARATION FINALE DU VIIIe CONGRÈS
    Le huitième congrès de l'Œuvre française s'est réuni dans la région lyonnaise, les 4 et 5 février 2012, sous la présidence effective de Pierre Sidos, sur le thème : « Devenons ce que nous sommes ».
    Depuis 2008, nous sommes confrontés à une crise financière majeure qui est l'aboutissement d'une politique menée de longue date sur des principes contraires à l'ordre naturel et mise au service de groupes de pression financiers prédateurs et apatrides de Wall Street et de Londres. Ce que l'on désigne sous le vocable de « Communauté internationale » n'est que le syndicat de défense de cette finance mondialisée et de l'entité sioniste de Palestine.
    Par conséquent, nous sommes solidaires des États qui se lèvent contre cette politique criminelle de dépossession des souverainetés nationales menée sous l'égide de l'anti-nationalisme du dollar comme il existait naguère un anticommunisme du dollar. Nous dénonçons le lynchage politique et physique de Kadhafi auquel il n'a pas été pardonné de vouloir réduire en Libye les profits des grandes compagnies pétrolières et de mettre en place un financement indépendant de l'Afrique. Nous condamnons pareillement la diabolisation de la Syrie d'Assad, dernier régime laïque et nationaliste du monde arabe qui avait, jusqu'à la déstabilisation actuelle, activée par Washington, assuré la paix et la concorde dans cet État multiconfessionnel. Nous assurons de notre soutien tant la Russie de Poutine qui refuse de passer sous les fourches caudines de Wall Street que l'Iran d'Ahmadinejad qui lutte pour préserver sa légitime indépendance et le Venezuela de Chavez qui tient tête aux trusts prédateurs nord-américains. De même soutenons-nous le combat du gouvernement de Viktor Orban qui défend la morale naturelle et affirme les droits de la nation hongroise contre le diktat des sicaires de l'Union Européenne, cheval de Troie du mondialisme en Europe. Nous dénonçons la politique de fuite en avant des tenants du mondialisme qui tentent de sauver leurs fortunes frauduleusement accumulées par la spoliation des revenus du travail et leur entreprise d'hégémonie planétaire en n'hésitant pas à multiplier les bruits de bottes dans le monde et à appauvrir sans vergogne les peuples du monde blanc, dépossédés de leurs industries.
    Face à ces menées mondialistes, nous appelons au retour des nations, et en premier lieu à la restauration de leur souveraineté, notamment financière : il faut rejeter un endettement illégitime qui les enchaîne à des banksters sans visage qui noyautent des régimes stipendiés, tandis qu'ils encouragent l'immigration de masse inassimilable pour peser à la baisse sur les salaires des nationaux en procédant à une substitution de population. Nous réaffirmons la nécessité du recouvrement d'un État national. Il ne s'agit plus aujourd'hui de défendre la souveraineté de l'État comme il y a un siècle mais de la reconquérir, de la rétablir car nous avons été dépossédés. Actuellement nous n'avons plus ni monnaie nationale, ni frontières, ni banque centrale indépendante, ni armée indépendante parce qu'elle est actuellement sous commandement intégré de l'Otan et nos soldats sont transformés en mercenaires au service du nouvel ordre mondial. Nous avons perdu notre souveraineté dans tous les domaines. Il n'est que notre dette qui reste souveraine ! Aussi la France doit-elle urgemment recouvrer sa souveraineté sur tous les plans : économique, politique, monétaire, militaire, rétablir le franc, notre compagnon de route de 642 ans depuis Jean II Le Bon en 1360, et en finir avec cette monnaie d'occupation qu'est l'euro.
    UNE SECONDE RÉVOLUTION NATIONALE
    Notre pays connaît périodiquement un déferlement médiatique lié à des campagnes électorales qui, au lieu de traiter des problèmes de la France, ne servent au final qu'à assurer une nouvelle répartition des prébendes d'une classe politique déconnectée des réalités de la France et de son peuple. Aussi rejetons-nous la duperie que constitue le mirage électoraliste d'un système qui vise à anesthésier les peuples en leur proposant de faux choix politiques dans un système totalement verrouillé, où les dés sont pipés et où n'ont droit à la parole que ceux qui ont peu ou prou fait allégeance à la pensée unique. En réalité, les véritables maîtres du moment ne se cachent même plus comme on le voit en Grèce et en Italie où ont été imposés comme chef de gouvernement des employés de Goldman Sachs.
    Les solutions nationalistes, qui reposent sur la primauté du politique sur l'économique, du spirituel sur le matériel, du national sur l'étranger, du qualitatif sur le quantitatif, de la sélection sur l'élection, du talent sur l'argent, de la beauté sur l'utilité permettent d'échapper à cette spirale aliénante et destructrice.
    Nous faisons appel aux hommes d'ordre, conscients des dangers mortels qui menacent l'existence de leur culture et des fondements de la civilisation dont ils sont les héritiers afin qu'ils nous rejoignent dans notre action pour que demain nos enfants puissent vivre dans un monde en continuité avec celui de leurs pères, sur la terre millénaire qu'ils ont façonnée.
    Nous appelons à une seconde Révolution nationale, unique moyen de rétablir la France et de contribuer à la renaissance de la civilisation européenne qui, à la différence de toutes les autres, a permis à l'humanité de sortir de la stagnation plurimillénaire qui la caractérisait.
    Seuls les nationalistes de l'Œuvre française sont en mesure de livrer ce combat de délivrance et de redressement, car ils sont guidés par une doctrine fondée sur le réel, sur l'amour de la nation et sur la tradition, plan architectural d'un peuple qui bâtit son histoire sans jamais briser ses lignes de fond et qui rassemble les forces de son sol et de son sang qui en sont la substance vivante et créatrice.
    J.B. Rivarol du 10 février 2012

  • Le Patriarcat de Moscou soutient les chrétiens de France contre la dénaturation du mariage

    MOSCOU (NOVOpress via le Bulletin de réinformation) — Le responsable des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou a adressé une lettre chaleureuse au cardinal archevêque de Paris, André Vingt‑Trois.

    Il y a exprimé le soutien et la volonté du Patriarcat de Moscou de travailler ensemble au nom de la défense des valeurs chrétiennes.

    Le métropolite Hilarion de Volokolamsk (photo ci-dessus) y déplore notamment, en parlant de la France : « L’érosion des principes moraux dans la vie privée et publique qui se produit dans un pays ayant de profondes racines chrétiennes ».

    Novopress