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  • Un Nobel de la paix bizarre

    Du discours d'Herman Van Rompuy à Oslo aujourd'hui je n'ai retenu que cet aphorisme choc : « En paix, les fils enterrent leurs pères. En guerre, les pères enterrent leurs fils ! » Hérodote d'Halicarnasse (484-420). Tout le discours que j'ai suivi sur Euronews magnifiait la pacification européenne par ses institutions communes. L'exercice était un peu convenu en remerciement du prix Nobel de la Paix attribué à l'Union européenne. Disons en passant, que le discours était de haute tenue et que le président Van Rompuy le délivra sans lire ses notes, ce qui pour nous Français est un véritable exploit, habitué que nous sommes à regarder nos politiciens de rencontre lire leur papelard pour juste nous dire bonjour. Le dernier en date fut M. Fillon, infoutu de dire sa colère de mémoire à la sortie de la Cocohée ; laissons ces bafouilleurs ! Beaucoup ont découvert leur Rompuy ce lundi (Van Rompuy à Oslo en version intégrale).

    R. Schuman

    L'Union est-elle la paix par elle-même, ou bien fut-elle créée par la paix ? Celle des cimetières. La question mérite débat. On rappellera avec profit que la collaboration franco-allemande était dans les cartons dès l'entre-deux-guerres mais que la grande dépression et le revanchardisme allemand en vinrent vite à bout. D'où l'idée de Robert Schuman après-guerre de ne pas en avoir. Marcher avant de penser ; et on construisit la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) qui ne se superposait pas aux offices mercantiles nationaux mais les remplaçait pour tout ce qui était commercialisation de ces produits, bases d'armement n'oublions pas. Génial, mais si quand même !
    C'est aussi ce qui se passa au départ de De Gaulle en 1969, alors que la relation franco-allemande était quasiment évaporée dans nos rêves de grandeur (comme beaucoup de projets grandioses de l'époque) : Pompidou, l'auvergnat pragmatique, lança l'Airbus et un réseau de satellites de télécommunications européens laissant à d'autres plus tard les envolées lyriques. On notera d'expérience que plus on célèbre le "couple" franco-allemand moins on en fait. Nous sommes en phase de basse conjoncture, la RFA équilibre tous ses comptes publics à la fin de l'année quand la France des trois déficits entre en récession au même moment. Berlin rééquilibre donc la relation à son profit (EADS) avant de passer à autre chose...

    Camp Bondsteel - huile sur toile de Céline Germès

    Si la paix a créé l'Europe-institution, il est difficile de prétendre que celle-ci ait renvoyé l'ascenseur. La guerre de désintégration en Yougoslavie a démontré que le Soft Power tant vanté avait l'esprit très venté. A quoi nous servaient ces magnifiques corps d'armée couleur "vert et boue" si nous ne savions pas forcer la paix sur nos marches ? Nous sommes repartis comme en 1916 chercher les Sammies pour y mettre bon ordre, alors que nous avions tout sous la main... sauf la cohésion mentale. Et de nous plaindre ensuite qu'ils n'en aient fait qu'à leur tête, en dépeçant la Serbie pour sécuriser leur camp retranché Bondsteel au Kosovo. Cette pusillanimité bruxelloise et les antagonismes rémanents entre anciennes puissances, en dépit des grands principes proclamés à jet continu urbi et orbi, a conduit les nouveaux pays libérés à se jeter immédiatement dans le dépôt de candidature à l'Alliance atlantique, seule garantie sérieuse d'avenir à leur yeux. De bons esprits un peu seuls plaident pour une défense européenne dont aucun des nouveaux venus ne veut !
    Si demain, pour une raison imprévisible, mais de celles qu'engendrent les états de forte tension sociale, la Grèce et la Turquie se prenaient à la gorge, on peut parier que l'Union européenne ne proposerait rien de plus qu'une séance de pré-conciliation, doublonnant (même pas) avec les discussions musclées qui auraient lieu au siège de l'Alliance à Bruxelles. L'Union ne "fabrique" pas la paix, désolé, Mister Président.

    http://royalartillerie.blogspot.fr

  • Florange : quand la République trahit les travailleurs.

    La lamentable affaire de Florange est révélatrice des risques et des conséquences d’une mondialisation bien ordonnée quoique l’on en dise (en particulier dans le désarmement du politique face à l’économique – ou prétendu tel…) et fort peu sociale (ce n’est pas son problème, pourrait-on dire ironiquement !), et de l’impuissance, voire pire, d’une République qui, désormais, n’est plus que la gestionnaire zélée et « réaliste » du « désordre établi », selon l’expression d’Emmanuel Mounier, personnaliste chrétien qu’il serait sûrement bon de relire au-delà de ses engagements circonstanciels et, parfois, opportunistes.

    En effet, la mondialisation n’est pas que le simple échange apparemment neutre de biens matériels ou virtuels, et la libre circulation de personnes sur toute la planète désormais accessible en tous ses lieux, mais aussi, surtout peut-être, la mise en concurrence des producteurs et, en particulier, des travailleurs, dans la recherche du meilleur profit pour l’industriel ou l’actionnaire de l’entreprise : à ce jeu-là et suivant ses règles qui ne sont guère au bénéfice des faibles ou des « petits », les ouvriers français sont, aujourd’hui, forcément perdants… Ils sont considérés comme des « privilégiés » (sic !) en termes de rémunération et de protection sociale au regard de leurs collègues chinois, roumains ou indiens, et, de ce fait, si peu compétitifs aux yeux des experts autoproclamés de l’économie, et donc, condamnés à plus ou moins court terme au chômage qui sanctionnerait leur absence de flexibilité et leur coût trop élevé. Cette mondialisation-là (mais il n’y en a pas d’autre à ce jour !), c’est le moins-disant social maître du jeu et légitimé par cette fameuse « liberté du travail » qui, depuis 1791 en France, empoisonne les rapports sociaux et « opprime les ouvriers », selon l’expression des catholiques sociaux du XIXe siècle qui dénonçaient le libéralisme économique à la base de cette mondialisation comme « le renard libre dans le poulailler libre ».

    Face à la mondialisation qui est, en fait aussi, une véritable idéologie et non seulement une réalité économique (qui, comme toute réalité, préexiste à sa possible remise en cause et éventuellement « mise au pas »…), la République semble impuissante, et les derniers événements de Florange, socialement dramatiques, le prouvent à l’envi, de façon presque caricaturale même. Impuissante, vraiment ? Non, soyons juste, pas autant que cela ! M. Montebourg, tout aussi isolé soit-il dans ce gouvernement de M. Ayrault, a montré qu’il n’y avait pas de fatalité mais plutôt des renoncements, voire des reniements qui, il faut le reconnaître, ne sont pas de son fait mais bien de ceux qui l’ont désavoué pour satisfaire aux féodalités financières et économiques mondialisées. L’idée d’une nationalisation temporaire que le ministre du Redressement productif avait émise n’était pas absurde ni irréalisable et aurait, en définitive, coûté moins cher que la crise sociale qui s’annonce et la désindustrialisation qui, elle, est déjà bien là, conquérante et dévastatrice.

    La République, aujourd’hui, trahit les travailleurs et, au-delà, le Travail français, s’abandonnant à une mondialisation qui n’est heureuse que pour ceux qui en ont les moyens et en acceptent les principes au détriment des réalités et des enracinements nationaux et sociaux. Les réalités, ce sont ces hommes de Florange qui, les poings serrés, entendent le Premier ministre s’en remettre à la bonne volonté de M. Mittal, sinistre oiseau de mort et charognard tout à la fois qui rachète les entreprises pour mieux les dépecer sans égard pour ceux qui y travaillent et en vivent. M. Ayrault, mais aussi MM. Moscovici et Sapin, sont de bons petits soldats d’une mondialisation dont ils savent pourtant le coût pour ce pays et ses ouvriers : mais ils croient en la mondialisation libérale-libertaire comme d’autres (ou eux-mêmes, hier…) croyaient en l’advenue du paradis socialiste en d’autres temps ! Leur foi est plus forte que les cris de colère des sidérurgistes de Florange, plus vive que la douleur des familles sacrifiées sur l’autel de la compétitivité, plus terrible que les larmes de ce syndicaliste furieux de la trahison de ce gouvernement si peu politique de M. Ayrault…

    Ce n’est pas de moyens dont manque ce gouvernement mais de courage, d’ambition : l’impression qu’il dégage est celle d’une certaine indifférence à la France, comme si celle-ci était condamnée à n’être plus qu’une pièce du puzzle de la mondialisation entre les mains de financiers et de technocrates qui se voudraient les maîtres d’une « gouvernance » si peu politique.

    Ce renoncement de la République à porter une parole originale française dans le monde et face à la « fortune anonyme et vagabonde » (qui, pourtant, n’est pas si anonyme que cela quand elle porte le nom de Mittal), ce n’est que la confirmation de ce que les royalistes français disent, parfois maladroitement mais néanmoins à juste titre : la République ne mérite pas la France et la France mérite mieux que la République…

    http://www.nouvelle-chouannerie.com

  • Robert Steuckers : Entretien pour le journal Hrvatsko Slovo

    Propos recueillis par Tomislav Sunic
    1. Quelle est votre carte d'identité?
    Je suis né en 1956 à Uccle près de Bruxelles. J'ai été à l'école de 1961 à 1974 et à l'Université et à l'école de traducteurs-inter­prètes de 1974 à 1980. Dans ma jeunesse, j'ai été fasciné par le roman historique an­glais, par la dimension épique de l'Ivanhoe  de Walter Scott, de la légende de Robin des Bois, par l'aventure de Quentin Durward, par les thématiques de la Table Ronde. Le cadre médiéval et la profondeur mythique ont très tôt constitué chez moi des réfé­rentiels importants, que j'ai complété avec notre propre héritage littéraire épique flamand, avec le Lion des Flandres  de Hendrik Conscience, et par les thèmes bretons, dé­couverts dans Le Loup Blanc de Paul Féval. Certes, j'ai lu à l'époque de nombreuses édi­tions vulgarisées, parfois imagées, de ces thématiques, mais elles n'ont cessé de me fasciner. Des films comme Excalibur ou Braveheart  prouvent que ce filon reste malgré tout bien ancré dans l'imaginaire eu­ropéen. En dépit des progrès techniques, du désen­chantement comme résultat de plusieurs décennies de rationalisme bureaucratique, les peuples ont un besoin vital de cette veine épique, il est donc néces­saire que la trame de ces lé­gendes ou que ces figures héroïsées de­meurent des réferentiels im­pas­sables. Sur le plan philosophique, avant l'université, dans l'adolescence de 12 à 18 ans qui reste la pé­riode où s'acquièrent les bases éthiques et philosophiques essen­tielles du futur adulte, j'ai abordé Nietzsche, mais surtout Spengler parce qu'il met l'histoire en perspective. Pour un adolescent, Spengler est difficile à digé­rer, c'est évident et on n'en retient qu'une caricature quand on est un trop jeune lecteur de cet Allemand à la culture immense, qui nous a légué une vision synoptique de l'histoire mondiale. Toute­fois, j'ai retenu de cette lec­ture, jusqu'à aujourd'hui, la vo­lonté de mettre l'histoire en perspec­tive, de ne jamais soustraire la pensée du drame planétaire qui se joue chaque jour et partout. Juste avant d'en­trer à l'université, pen­dant la dernière année de l'école secondaire, j'ai découvert Toynbee, A Study of History, sa classification des civilisations, son étude des ressorts de celles-ci, sa dynamique de “chal­len­ge-and-response”; ensuite, pour la Noël 1973, il y avait pour moi dans la hotte des ca­deaux Révolte con­tre le monde moderne  de Julius Evola et une anthologie de textes de Gottfried Benn, où celui-ci insistait sur la notion de “forme”. J'avais également lu mes premiers ouvrages d'Ernst Jünger. A l'école, j'avais lu no­tamment le Testament espagnol  de Koestler et La puissance et la gloire  de Graham Greene, éveillant en moi un intérêt durable pour la littérature carcérale et surtout, avec le prêtre alcoolique admi­rablement mis en scène par Greene, les notions de péché, de perfectibilité, etc. que transcende malgré tout l'homme tel qu'il est, imparfait mais sublime en dépit de cette imperfection. Dès la première année à l'Université, je découvre la veine faustienne à partir de Goethe, les deux chefs-d'œuvre d'Or­well (La ferme des animaux et 1984), Darkness at Noon de Koe­st­ler (autre merveille de la littérature car­cérale!). Im­mé­dia­te­ment dans la foulée, je me suis plongé dans son ouvrage philoso­phi­que The Ghost in the Machine, qui m'a fait dé­cou­vrir le com­bat philosophique, à mon avis central, contre le ré­ductionnisme qui a ruiné le continent eu­ro­péen et la pensée occi­dentale en ce siècle et dont nous tentons péniblement de sortir au­jourd'hui. Depuis ma sortie de l'université, j'ai évi­demment travaillé comme traducteur, mais j'ai aussi fondé mes revues Orien­tations (1982-1992), Vouloir (depuis 1983), et co-édité avec mes amis suisses et français, le bulletin Nou­velles de Synergies Européennes (depuis 1994). Entre 1990 et 1992, j'ai travaillé avec le Prof. Jean-Fran­çois Mattéi à l'Encyclopédie des Œuvres philosophiques des Presses Univ­er­si­tai­res de France. 
    2. Dans les milieux politico-littéraires, on vous colle souvent l'étiquette de “droitier”. Etes-vous de droite ou de gauche. Qu'est-ce que cela signifie aujourd'hui?
    Dans l'espace linguistique francophone, cela a été une véritable manie de coller à tout constestataire l'étiquette de “droite”, parce que la droite, depuis le libéralisme le plus modéré jusqu'à l'affirmation natio­naliste la plus intransigeante, en passant par toutes les variantes non progressistes du catholicisme, ont été re­jetées sans ménagement dans la géhenne des pensées interdites, considé­rées arbitrairement comme droitières voire comme crypto-fascistes ou carrément fascistes. Cette manie de juger toutes les pensées à l'aune d'un schéma binaire provient en droite ligne de la propagande communiste française, très puissante dans les médias et le monde des lettres à Paris, qui tentait d'assimiler tous les adversaires du PCF et de ses satellites au fas­cisme et à l'occupant allemand de 1940-44. Or, au-delà de cette polé­mique  —que je ne reprendrai pas parce que je suis né après la guerre—  je constate, comme doivent le constater tous les observa­teurs lucides, que les cultures dans le monde, que les filons cultu­rels au sein de chaque culture, sont l'expression d'une pluralité inépuisable, où tout se compose, se décompose et se recompose à l'infini. Dans ce grouillement fécond, il est impossible d'opérer un tri au départ d'un schéma simplement binaire! La démarche binaire est toujours mutilante. Ceci dit, je vois essentiellement trois pistes pour échapper au schéma binaire gauche/droite.
    - La première vient de la définition que donnait le grand économiste français François Perroux du rôle de l'homme dans l'histoire de l'humanité et dans l'histoire de la communauté où il est né par le hasard des circonstances. L'homme selon Perroux est une personne qui joue un rôle pour le bénéfice de sa communauté et non pas un individu qui s'isole du reste du monde et ne donne rien ni aux siens ni aux autres. En jouant ce rôle, l'homme tente au mieux d'incarner les valeurs impassables de sa communauté nationale ou religieuse. Cette définition a été classé à droite, précisément parce qu'elle insistait sur le caractère impassable des grandes valeurs traditionnelles, mais bon nombre d'hommes de gauche, qu'ils soient chrétiens, musulmans, agnostiques ou athées, en recon­naîtront la pertinence.
    - La deuxième piste, très actuelle, est celle que nous indique le communauta­risme américain, avec des auteurs comme Sandel, Taylor, McIntyre, Martha Nussbaum, Bellah, Barber,Walzer, etc. Au cours du XXième siècle, les grandes idéologies politiques dominantes ont tenté de mettre les valeurs entre paren­thè­ses, de procéder à une neutralisation des valeurs, au bénéfice d'une approche purement techno­cra­ti­que des hommes et des choses. Dans les années 50 et 60, l'idéologie dominante de l'Occident, aux Etats-Unis et en Europe de l'Ouest, a été ce technocratisme, partagé par le libéralisme, la sociale-dé­mo­cra­tie et un conservatisme qui se dégageait des valeurs traditionnelles du ca­tholicisme ou du pro­testantisme (en Allemagne: de l'éthique prussienne du service à l'Etat). Les ques­tions soulevées par les valeurs, dans l'optique d'une certaine philosophie empirique, néo-logique, étaient des questions vides de sens. Ce refus occidental des valeurs a généré un hyper-individualisme, une anomie générale qui se tra­duit par un incivisme global et une criminalité débridée en croissance continue. Le questionnement sou­le­vé aujourd'hui par l'école communautarienne américaine est une réponse à l'anomie occidentale (dont on n'est pas toujours fort conscient dans les pays européens qui ont connu le communisme) et cette ré­ponse transcende évidemment le clivage gauche/droite.
    - La troisième piste est celle des populismes. Sous le titre significatif de Beyond Left and Right. Insur­gency and the Establishment,  une figure de proue de la gauche radicale américaine, David A. Horowitz, a publié récem­ment un ouvrage qui fait sensation aux Etats-Unis depuis quelques mois. Horowitz recence toutes les ré­voltes populaires américaines contre l'établissement au pouvoir à Washington, depuis 1880 à nos jours. Délibérément, Horowitz choisit à gauche comme à droite ses multiples exemples de révoltes du peuple contre ces oligarchies qui ne répondent plus aux nécessités cruelles qui frappent la population dans sa vie quotidienne. Horowitz brise un tabou tenace aux Etats-Unis, notamment en s'attaquant au caractère quelque peu coercitif des gauches, depuis le New Deal de Roosevelt jusqu'à nos jours. Une coercition subtile, bien camouflée derrière des paroles moralisantes... C'est à dessein que j'ai choisis ici des exemples américains, car les idéologèmes américains sont indépendants, finalement, des clivages eu­ro­péens nés de la seconde guerre mondiale. Même des propagandistes chevronnés ne pourront ac­cuser de “fascisme” des filons idéologiques nés en plein centre ou en marge des traditions “républi­caines” ou “démocrates”. Ce qui importe, c'est de défendre un continuum dans lequel on s'inscrit avec sa lignée.
    3. Dans vos écrits sur la géopolitique, on perçoit une très nette influence des grands géopolitologues comme Kjellén, Mackinder, Haushofer et Jordis von Lohausen; vous semblez aussi vous intéresser aux travaux du Croate Radovan Pavic. De votre point de vue d'Européen du Nord-Ouest, comment percevez-vous la Mitteleuropa, plus particulièrement la Croatie?
    C'est certain, j'ai été fasciné par les travaux des classiques de la géopolitique. J'ai rédigé des notes sur les géopolitologues dans l'Encyclopédie des Œuvres philosophiques, éditée par le Prof. Jean-François Mattéi (Paris, 1992). Le dernier numéro de ma revue Vouloir   (n°9/1997) est consacré à ces pionniers de la pensée géopolitique. En ce qui concerne votre compatriote Pavic, c'est, avec le Français Michel Fou­cher (Lyon), le meilleur dessinateur de cartes expressives, parlantes, suggestives en Europe au­jourd'hui. L'art de la géopolitique, c'est avant tout l'art de savoir dessiner des cartes qui résument à elles seules, en un seul coup d'oeil, toute une problématique historique et géographique complexe. Pavic et Klemencic (avec son atlas de l'Europe, paru cette année à Zagreb) perpétuent une méthode, lancée par la géopo­litique allemande au début de ce siècle, mais dont les racines remontent à ce pionnier de la géogra­phie et de la cartographie que fut Carl Ritter (1779-1859). Quant à ma vision de la Mitteleuropa, elle est quelque peu différente de celle qu'avait envisagée Friedrich Naumann en 1916. Au beau milieu de la pre­mière guer­re mondiale, Naumann percevait sa Mitteleuropa comme l'alliance du Reich allemand avec l'Autriche-Hon­grie, flanquée éventuellement d'une nouvelle confédération balkanique faisant fonction d'Ergänzungs­raum pour la machine industrielle allemande, autrichienne et tchèque. Cette alliance articu­lée en trois vo­lets aurait eu son prolonge­ment semi-colonial dans l'empire ottoman, jusqu'aux côtes de la Mer Rouge, du Golfe Persique et de l'Océan Indien. Aujourd'hui, un élément nouveau s'est ajouté et son importance est ca­pitale: le Rhin et le Main sont désormais reliés au Danube par un canal à gros gabarit, assurant un tran­sit direct entre la Mer du Nord et l'espace pontique (Fleuves ukrainiens, Crimée, Mer Noire, Cau­case, Ana­to­lie, Caspienne). Cette liaison est un événment extra­ordinaire, une nouvelle donne importante dans l'Eu­ro­pe en voie de formation. La vision du géopolitologue Artur Dix, malheu­reu­sement tombé dans l'oubli au­jourd'hui, peut se réaliser. Dix, dans son ouvrage principal (Politische Geographie. Weltpolitisches Hand­buch, 1923), a publié une carte montrant quelles dynami­ques seraient possibles dès le creusement défi­nitif du canal Main/Danube, un projet qu'avait déjà envisagé Charlemagne, il y a plus de mille ans! Aujour­d'hui le Rhin est lié à la Meuse et pourrait être lié au Rhône (si les gauches françaises et les nationalistes é­triqués de ce pays ne faisaient pas le jeu des adversaires extra-européens de l'unité de l'Europe et du rayonnement de sa cul­tu­re). Les trafics sur route sont saturés en Europe et le transport de marchandises par camions s'avèrent trop cher. L'avenir appar­tient aux péniches, aux barges et aux gros-pousseurs fluviaux. Ainsi qu'aux oléoducs transcaucasiens. Fin décembre 1997, l'ar­mée belge en poste en Slavonie orientale a plié bagages et a ache­miné tout son charroi et ses blindés par pousseurs jusqu'à Liège, prou­vant de la sorte l'importance militaire et stratégique du sy­stème fluvial intérieur de la Mitteleuropa. La mise en valeur de ce réseau diminue ipso facto l'importance de la Méditerranée, contrô­lée par les flottes amé­ri­cai­ne et britannique, appuyées par leur allié turc. Les Etats d'Europe centrale peuvent contrôler aisé­ment, par leurs propres forces terrestres la principale voie de passage à travers le con­ti­nent. La liaison Rot­terdam/Constantza devient l'épine dorsale de l'Europe.  Quant à la Croatie, elle est une pièce impor­tante dans cette dynamique, puisqu'elle est à la fois riveraine du Danube en Slavonie et de l'Adriatique, partie de la Méditerranée qui s'enfon­ce le plus profondément à l'intérieur du continent européen et qui revêt dès lors une importance stratégique considérable. Au cours de l'histoire, quand la Croatie apparte­nait à la double mo­narchie austro-hongroise et était liée au Saint-Empire, dont le territoire belge d'aujour­d'hui faisait partie intégrante,  elle offrait à cet ensemble complexe mais mal unifié une façade méditerra­néen­ne, que l'empire ottoman et la France ont toujours voulu confis­quer à l'Autriche, l'Allemagne et la Hon­grie pour les as­phy­xier, les en­claver, leur couper la route du large. Rappelons tout de même que la misère de l'Europe, que la ruine de la civilisation européen­ne en ce siècle, vient essen­tiellement de l'al­lian­ce perverse et pluriséculaire de la France monarchique et de la Turquie ot­tomane, où la France reniait la civilisation européenne, mobilisait ses forces pour la détruire. La Mitteleuropa a été prise en tenaille et ra­vagée par cette alliance: en 1526, le Roi de France François Ier marche sur Milan qu'il veut arracher au Saint-Empire; il est battu à Pavie et pris prisonnier. Ses alliés ot­tomans profitent de sa trahison et de sa di­version et s'emparent de votre pays pen­dant longtemps en le ra­vageant totalement. Au XVIIième siècle, la collusion franco-ottomane fonctionne à nouveau, le Saint-Em­pire est attaqué à l'Ouest, le Palatinat est ra­vagé, la Franche-Comté est annexée par la France, la Lorraine impériale est en­va­hie, l'Alsace est elle aus­si définitivement arrachée à l'Empire: cette guerre inique a été menée pour soulager les Turcs pen­dant la grande guerre de 1684 à 1699, où la Sainte-Alliance des puissances européennes (Autriche-Hongrie, Po­logne, Russie) con­jugue ses efforts pour libérer les Balkans. En 1695, Louis XIV ra­vage les Pays-Bas et incendie Bruxelles en inaugurant le bom­bardement de pure terreur, tandis que les Ottomans reprennent pied en Serbie et en Roumanie. En 1699, le Prince Eugène, adver­sai­re tenace de Louis XIV et brillant serviteur de l'Empire, impose aux Turcs le Traité de Carlowitz: la Sublime Porte doit céder 400.000 km2 de territoires à la Sainte-Alliance, mais au prix de tous les glacis de l'Ouest (Lorraine, Alsace, Franche-Comté, Bresse). La Répu­bli­que sera tout aussi rénégate à l'égard de l'Europe que la monar­chie française, tout en introduisant le fanatisme idéologique dans les guerres entre Etats, ruinant ainsi les principes civilisateurs du jus publicum europæum:  en 1791, alors qu'Autrichiens, Hon­grois et Russes s'apprêtaient à lancer une offensive définitive dans les Balkans, la France, fidèle à son anti-européisme foncier, oblige les troupes impériales à se porter à l'Ouest car elle lance les hordes révolu­tion­naires, récrutées dans les bas-fonds de Paris, contre les Pays-Bas et la Lorraine. Le premier souci de Napoléon a été de fabriquer des “départements illyriens” pour couper la côte dalmate de son “hinterland mittel­europäisch” et pour pri­ver ce dernier de toute façade méditerra­néenne. L'indépendance de la Croatie met un terme à cette logi­que de l'asphyxie, redonne à la Mitteleuropa une façade adriati­que/méditerranéenne.
    4. A votre avis, quelles seront les forces géopolitiques qui auront un impact sur le destin croate dans l'avenir?
    Le destin croate est lié au processus d'unification européenne et à la rentabilisation du nouvel axe central de l'Europe, la liaison par fleuves et canaux entre la Mer du Nord et la Mer Noire. Mais il reste à savoir si la “diagonale verte”, le verrou d'Etats plus ou moins liés à la Turquie et s'étendant de l'Albanie à la Macédoine, prendra for­me ou non, ou si une zone de turbulences durables y empêchera l'émergence de dynamiques fécondes. Ensuite, l'af­frontement croato-serbe en Slavonie pour la maîtrise d'une fe­nê­tre sur le Da­nube pose une question de principe à Belgrade: la Serbie se sou­vient-elle du temps de la Sainte-Alliance où Austro-Hongrois ca­tholiques et Russes orthodoxes joignaient frater­nel­lement leurs efforts pour libérer les Balkans? Se faire l'allié in­conditionnel de la France, comme en 1914, n'est-ce pas jouer le rôle dévolu par la monarchie et la république françaises à l'Em­pire ottoman de 1526 à 1792? Ce rôle d'ersatz  de l'empire otto­man moribond est-il compatible avec le rôle qu'entendent se don­ner certains na­tionalistes serbes: celui de bou­clier européen con­tre tout nouveau déferlement turc? La nou­velle Serbie déyougo­slavisée a intérêt à participer à la dyna­mi­que danubien­ne et à trouver une liaison fluviale avec la Russie. Toute autre politique serait de l'aberration. Et serait contraire au principe de la Sainte-Alliance de 1684-1699, qu'il s'agit de restaurer après la chute du Rideau de fer et des régimes communistes. Par ail­leurs, l'intérêt de la France (ou du moins de la population française) serait de joindre à la dynamique Rhin/Danube le complexe fluvial Saô­ne/Rhône débouchant sur le bassin occidental de la Méditerra­née, zone hautement stratégique pour l'ensemble européen, dont Mackinder, dans son livre Democratic Ideals and Reality  (1919), avait bien montré l'importance, de César aux Vandales et aux Byzantins, et de ceux-ci aux Sarrazins et à Nelson.
    5. En vue de la proximité balkanique, quelles seront les synergies convergentes?
    Favoriser le transit inter-continental Rotterdam/Mer Noire et faire de la région pontique le tremplin vers les matières premières caucasiennes, caspiennes et centre-asiatiques, est une nécessité économique vitale pour tous les riverains de ce grand axe fluvial et de cette mer intérieure. D'office, dans un tel contexte, une symphonie adviendra inéluctablement, si les peu­ples ont la force de se dégager des influences étrangères qui veu­lent freiner ce processus. Les adversaires d'un consensus harmo­nieux en Europe, de tout retour au jus publicum euro­pæum  (dont l'OSCE est un embryon), placent leurs espoirs dans la ligne de fracture qui sépare l'Europe catholique et protestante d'une part, de l'Europe orthodoxe-byzantine d'autre part. Ils spéculent sur la classification récente des civilisations du globe par l'Amé­ricain Samuel Huntington, où la sphère occidentale euro-amé­ricaine (“The West”) serait séparée de la sphère orthodoxe par un fossé trop profond, à hauteur de Belgrade ou de Vukovar, soit exactement au milieu de la ligne Rotterdam/Constantza. Cette césure rendrait inopérante la nouvelle dynamique potentielle, couperait l'Europe industrielle des pétroles et des gaz caucasiens et l'Europe orientale, plus rurale, des produits in­dustriels alle­mands. De même, la coupure sur le Danube à Belgrade a son é­quivalent au Nord du Caucase, avec la coupure tchétchène sur le parcours de l'oléoduc transcaucasien, qui aboutit à Novorossisk en Russie, sur les rives de la Mer Noire. La guerre tchétchène profite aux oléoducs turcs qui aboutissent en Méditerranée orientale contrôlée par les Etats-Unis, tout comme le blocage du transit danubien profite aux armateurs qui assurent le transport transméditerranéen et non pas aux peuples européens qui ont intérêt à raccourcir les voies de communication et à les contrôler directement. La raison d'être du nouvel Etat croate, aux yeux des Européens du Nord-Ouest et des Allemands, du moins s'ils sont conscients du des­tin du continent, se lit spontanément sur la carte: la configuration géographique de la Croatie, en forme de fer à cheval, donne à l'Ouest et au Centre de l'Europe une fenêtre adriatique et une fenêtre danubienne. La fenêtre adriatique don­ne un accès direct à la Méditerranée orientale (comme jadis la République de Venise), à condition que l'Adriatique ne soit pas blo­quée à hauteur de l'Albanie et de l'Epire par une éven­tuelle barrière d'Etats satellites de la Turquie, qui verrouilleraient le cas échéant le Détroit d'Otrante ou y géneraient le transit. La fenêtre danubienne donne accès à la Mer Noire et au Caucase, à condi­tion qu'elle ne soit pas bloquée par une entité serbe ou néo-you­go­slave qui jouerait le même rôle de verrou que l'Empire ottoman jadis et oublierait la Sainte-Alliance de 1684 à 1699, prélude d'une symphonie efficace des forces en présence dans les Balkans et en Mer Noire. L'Europe comme puissance ne peut naître que d'une telle symphonie où le nouvel Etat croate à un rôle-clé à jouer, no­tamment en reprenant partiellement à son compte les anciennes dynamiques déployées par la République de Venise, dont Ragu­se/Dubrovnik était un superbe fleuron.
    6. Vous semblez être assez critique à l'égard de l'Etat pluri-ethnique belge? Quel se­ra son rôle?
    L'Etat et le peuple belges sont des victimes de la logique partito­cra­tique. Les peuples de l'Ostmitteleu­ropa  savent ce qu'est une logi­que partisane absolue, parce qu'ils ont vécu le communisme. A l'Ouest la logique partisane existe également: certes, dans la sphè­re privée, on peut dire ou proclamer ce que l'on veut, mais dans un Etat comme la Belgique, où les postes sont répartis entre trois formations politiques au pro rata des voix obtenues, on est obligé de s'aligner sur la politique et sur l'idéologie étri­quée de l'un de ces trois partis (démocrates-chrétiens, socialistes, libéraux), sinon on est marginalisé ou exclu: la libre parole dérange, la volonté d'aller de l'avant est considérée comme “impie”. On m'objectera que la démocratie de modèle occidental permet l'alternance politique par le jeu des élections: or cette possibilité d'alter­nan­ce a été éli­minée en Belgique par le prolongement et la succession ad infini­tum de “grandes coalitions” entre démocrates-chrétiens et socia­listes. A l'exception de quelques années dans les “Eigh­ties”, où les libéraux ont participé aux affaires. Ce type de “grandes coali­tions” ne porte au pou­voir que l'aile gauche de la démocratie-chré­tienne, dont l'arme principale est une démagogie dangereuse sur le long terme et dont la caractéristique majeure est l'absence de principes politiques. Cette absence de prin­ci­pes conduit à des bricolages politiques abracadabrants que les Belges appellent ironiquement de la “plom­berie”. L'aile plus conservatrice de cette démocratie-chrétienne a été progressivement marginali­sée en Flandre, pour faire place à des politiciens prêts à toutes les combines pour gouverner avec les socia­listes. Or, les socialistes sont relativement minoritaires en Flandre mais majoritaires en Wallonie. Dans cet­te partie du pays, qui est francophone, ils ont mis le patrimoine régional en coupe réglée et ils y rè­gnent com­me la mafia en Sicile, avec des méthodes et des pratiques qui rap­pellent les grands réseaux ita­liens de criminalité. Les scandales qui n'ont cessé d'émailler la chronique quotidienne en Belgique vien­nent essentiellement de ce parti socialiste wallon. La Belgique fonctionne donc avec l'alliance de so­cia­listes wallons majoritaires dans leur région, de socialistes flamands minoritaires dans leur région, de dé­mo­crates-chrétiens wallons minoritaires et de dé­mo­crates-chrétiens flamands majoritaires, mais dont la ma­jorité est aujourd'hui contestée par les libéraux néo-thatché­riens et les ultra-nationalistes. Une très for­te minorité flamande conserva­tri­ce (mais divisée en plusieurs pôles antagonistes) est hors jeu, de mê­me que les classes moyennes et les entrepreneurs dynamiques en Wallonie, qui font face à un socia­lisme ar­chaïque, vindicatif, corrompu et inefficace. La solution réside dans une fédéralisation toujours plus pous­sée, de façon à ce que les Flamands plus conservateurs n'aient pas à subir le mafia-socialisme wal­lon et les Wallons socialistes n'aient pas à abandonner leurs acquis sociaux sous la pression de néo-tha­tché­riens flamands. Mais la pire tare de la Belgique actuelle reste la nomination politique des magis­trats, éga­lement au pro rata des voix obtenues par les partis. Cette pratique scandaleuse élimine l'indé­pen­dan­ce de la magistrature et ruine le principe de la séparation des pouvoirs, dont l'Occident est pour­tant si fier. Ce principe est lettre morte en Belgique et la cassure entre la population et les institutions judi­ciai­res est dé­sormais préoccupant et gros de complications. L'a­venir de la Belgique s'avère précaire dans de telles con­ditions, d'autant plus que la France essaie d'avancer ses pions partout dans l'économie du pays, de le co­loniser financièrement, avec l'ac­cord tacite de Kohl  —il faut bien le dire—  qui achète de la sorte l'ac­cep­tation par la France de la réunification allemande. Le pays implosera si son personnel poli­tique con­ti­nue à ne pas avoir de vision géopolitique cohérente, s'il ne reprend pas cons­cience de son destin et de sa mis­sion mitteleuropäisch,  qui le con­duiront de surcroît à retrouver les intérêts considé­rables qu'il avait dans la Mer Noire avant 1914, surtout les entreprises wallonnes! Non seulement l'Etat belge implosera s'il ne retrouve pas une vision géopolitique cohérente, mais chacune de ses compo­san­tes imploseront à leur tour, entraînant une catastrophe sans précédent pour la population et créant un vi­de au Nord-Ouest de l'Eu­rope, dans une région hautement stratégique: le delta du Rhin, de la Meuse et de l'Es­caut, avec tous les canaux qui les relient (Canal Albert, Canal Juliana, Canal Wilhelmina, Willems­vaart, etc.).
    7. Le peuple flamand en Belgique a joué un rôle non négligeable lors de la guerre en ex-Yougoslavie, en apportant son aide au peuple croate. Qu'est-ce qui les unit?
    Les nationalistes flamands s'identifient toujours aux peuples qui veulent s'affranchir ou se détacher de structures étatiques jugées oppressantes ou obsolètes. En Flandre, il existe un véritable engouement pour les Basques, les Bretons et les Corses: c'est dû partiellement à un ressentiment atavique à l'égard de la France et de l'Espagne. La Croatie a bénéficié elle aussi de ce sentiment de solidarité pour les peuples concrets contre les Etats abstraits. Pour la Croatie, il y a encore d'autres motifs de sympathie: il y a au fond de la culture flamande des éléments baroques comme en Autriche et en Bavière, mais mar­qués d'une truculence et d'une jovialité que l'on retrouve surtout dans la peinture de Rubens et de Jor­daens. Ensuite, il y a évidemment le catholicisme, partagé par les Flamands et les Croates, et un Kultur­na­tionalismus  hé­rité de Herder qui est commun aux revendications nationalistes de nos deux peuples. Mais ce Kulturnationalismus  n'est pas pur repli sur soi: il est toujours accompagné du sentiment d'ap­partenir à une entité plus grande que l'Etat contesté  —l'Etat belge ici, l'Etat yougoslave chez vous—  et cette en­tité est l'Europe comme espace de civilisation ou la Mitteleuropa comme communauté de destin histo­rique. Certes, dans la partie flamande de la Belgique, le souvenir de l'Autriche habsbourgeoise est plus ancien, plus diffus et plus estompé. Mais il n'a pas laissé de mauvais souvenirs et l'Impératrice Ma­rie-Thérèse, par exemple, demeure une personnalité historique respectée.

  • Troisième marche de la fierté tourangelle samedi 26 janvier 2013

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    TOURS (NOVOpress) — Le samedi 26 janvier 2013, l’association patriote enracinée Vox Populi organise la troisième marche de la fierté tourangelle.

    Pour Vox Populi, il s’agit d’« ancrer une tradition qui, chaque année, permettra aux Tourangeaux fiers et forts de leur identité de venir l’affirmer dans la rue en hommes libres qu’ils sont. »

    En organisant cette marche, Pierre Louis Mériguet, porte-parole de Vox Populi, affirme : « Fervents défenseurs de nos patries charnelles, nous sommes les héritiers de Balzac, Jeanne d’Arc, Charles Martel, Maurras, Raspail, Ronsard et tant d’autres. Les vignes du Vouvrillon coulent dans nos veines et la basilique Saint Martin ainsi que les châteaux de la Loire sont une partie des richesses qui marquent notre différence. Si certains portent cet héritage comme un fardeau et veulent l’oublier, les enracinés que nous sommes le revendiquent la tête haute, sans rougir. Loin de nous l’idée de rester figés dans l’image d’un passé idéalisé en pensant que tout était mieux avant, mais nous savons néanmoins que pour construire l’avenir, il faut déjà savoir se souvenir de ce qui nous définit. »

    http://fr.novopress.info

  • Annulation magique de la crise et « méthode physiognomique » chez Ernst Jünger

    Parmi les fidèles de l'idéologie marxiste, bien peu ont analysé la pensée de ceux qu'ils appellent les écrivains « pré-fascistes », ou carrément "fascistes", et dont Ernst Jünger, évidemment, serait une des figures de proue. Armin Steil est un des rares idéologues marxistes à avoir analysé avec pertinence et profondeur, et surtout avec clarté, les démarches de Georges Sorel, Carl Schmitt et Ernst Jünger, dans son ouvrage Die imaginäre Revolte. Untersuchungen zur faschistischen Ideologie und ihrer theoretischen Vorbereitung bei Georges Sorel, Carl Schmitt und Ernst Jünger (réf. infra; = La révolte imaginaire. Recherches sur l'idéologie fasciste et sur sa préparation chez GS, CS et EJ).

    En se penchant sur Le Travailleur, Steil constate que la logique de Jünger, et partant de son «fascisme», ou, plus exactement, de son « conservatisme révolutionnaire », n'est pas une logique théorique, une logique construite, basée sur l'observation de causes et d'effets, mais une logique et un langage métaphoriques, poétiques, imagées. Face à une réalité socio-économique et politique chaotique, face à la crise de la société et de la cultures allemandes, Jünger veut maîtriser les effets pervers, les dysfonctionnements par l'esthétique : son «fascisme», son « conservatisme révolutionnaire », seraient donc essentiellement de nature esthétique, contrairement au marxisme qui se moulerait sur les réalités matérielles et résoudrait les crises en travaillant les matières socio-économiques elles-mêmes, sans recul idéaliste, sans recours à une transcendance ou à une esthétique. Steil conclut très justement : « Le livre [= Le Travailleur]  veut éduquer [les hommes] à avoir une attitude souveraine face aux processus sociaux ». L'observation minutieuse, froide, dépassionnée, constituerait dont la « clef magique » qui permettrait à l'élite qui s'en sert de maîtriser les crises, de mettre un terme au chaos et aux disparités dissolvantes qui entravent le bon fonctionnement des sociétés qui les subissent.

    être des yeux hyper-perceptifs

    Les esprits volontaires qui souhaitent donc « prendre le taureau par les cornes », agir sur le terrain politique, lutter contre les crises et leurs effets, ne doivent donc pas s'atteler à construire un système mécanique d'idées toutes faites qui s'agencent et s'emboîtent parfaitement, mais être des «yeux» hyper-perceptifs, capables de décrire les phénomènes de la vie quotidienne : c'est ce que Jünger appelle la « méthode physiognomique ». Elle permet de voir l'essence d'une chose dans sa simple apparence, de saisir l'unité de l'essence et de l'apparence, qui est la «forme» (die Gestalt), invisible pour tout observateur inattentif, distrait, non habitué à manier avec la dextérité voulue la « méthode physiognomique ». Tout phénomène valable, fécond, porterait donc en lui une «forme», plus ou moins occultée, une force potentielle qu'il s'agit d'arraisonner et de mettre au service d'un projet politique ou historique. En revanche, tout phénomène qui n'apparaît que comme «normal» est, par conséquent, un phénomène sans plus de «forme», sans «force». En tant que tel ce phénomène serait un signe avant-coureur de la décadence, un signe indiquant qu'il y a redistribution des cartes, que des formes meurent, en obéissant ainsi à une logique cachée, qui, elle, prépare l'avènement de formes nouvelles, aux forces intactes.

    L'observation des phénomènes de la vie courante, de détails de nos décors quotidiens, laisse entrevoir où se manifestent la chute et la mort des formes : les néons, les lumières tapageuses, criardes et artificielles des villes modernes, sont un indice patent de cette déperdition de forces, masquée par des couleurs et des intensités sans vie réelle. La circulation moderne dans les grandes villes houspille le piéton, seul être de chair dans cet univers de béton, d'asphalte et de métal, sur ces marges à peine tolérées que sont les trottoirs, pistes réservées à la « moindre vitesse ».

    Le «Travailleur» utilise la « méthode physiognomique »

    Le «Travailleur» est donc la figure qui fait usage de la « méthode physiognomique », observe, déchiffre, plonge dans cet univers d'artifice à la recherce des forces encore enfouies, pour les mobiliser en vue d'un projet purement imaginé, explique Steil, «utopique» au sens marxien et engelsien du terme. Ce recours à l'imaginaire, explique le marxiste Steil, procède d'une logique du doute, qui veut à tout prix donner du sens à ce qui n'en a pas. Qui veut se persuader que, derrière, les phénomènes de déclin, de dévitalisation, se profilent un «Ordre» et des lois, qui sont des avatars du Dieu unique refusé par les tenants du matérialisme historique. Cet «Ordre», cette «Gestalt», cette «forme», sont intégrateurs de la diversité infinie des observations posées par les personnes, mais ne sont pas, comme dans le cas du matérialisme historique, un reflet des rapports sociaux, mais une vision totalisante, intuitive, allant directement à l'essentiel, c'est-à-dire à la forme originelle. Ce n'est pas l'énumération objective et positive des causes et des effets qui permet de décider et d'agir, mais, au contraire, un regard perçant qui permet de voir et de saisir le monde comme le théâtre où s'affrontent et coopèrent les formes.

    Le «Travailleur» est précisément celui qui possède un tel « regard perçant », et qui remplacera le «bourgeois», raisonnant étroitement sur les simples causes et effets. Steil constate le hiatus entre cette vision du «Travailleur» et celle, marxiste et empirique, du «Prolétaire» : la figure forgée par Jünger se place très haut au-dessus des contingences socio-économiques ; le prolétaire conscient de sa déréliction, lui, travaille au coeur même de ces contingences, sans prendre aucune distance, sans détachement. Le « haut vol » du «Travailleur», sa perspective aquiline, lui procure un masque : métallique ou cosmétique, masque à gaz du combattant, masque du coureur automobile chez les hommes, fard chez les femmes. Les traits individuels disparaissent derrière ces masques, comme doivent disparaître les imperfections individuelles des hommes humains, trop humains. Les figures du Travailleur sont des figures certes imaginaires, idéalisées à outrance, dés-individualisées et apurées : elles fonctionnent comme des soldats prussiens de l'ère frédéricienne à l'exercice. En suivant leurs chefs, ces moindres (mais néanmoins nécessaires) avatars du «Travailleur» et des soldats prussiens de la guerre en dentelle, perdent certes les imperfections de leur individualité, mais abandonnent aussi leurs doutes et leurs désorientements : les règles et l'Ordre sont des ancres de sauvetage offertes par la nouvelle communauté élitaire des «Travailleurs», virtuoses de la « méthode physiognomique ».

    L'indépendance apparente du prolétaire

    L'Ordre, comme projection imaginaire, et la « méthode physiognomique » sont des instruments contre la notion empirique et marxiste de « lutte des classes », proteste Steil, avant de donner très clairement la version de Jünger : laisser le travailleur, l'ouvrier, dans les contingences socio-économiques, c'est le laisser dans un monde entièrement déterminé par la bourgeoisie, issu d'elle et contrôlé en dernière instance par elle. En occupant une place désignée dans l'ordre bourgeois, l'ouvrier ne jouit que d'une indépendance apparente ; il n'a là aucune autonomie. Toute attaque lancée contre l'ordre bourgeois au départ de cette position apparente n'est elle aussi qu'apparente, appelée à être récupérée et à renforcer l'établissement. « Tout mouvement s'effectue théoriquement dans le cadre d'une utopie sociale et humaine vieillie, en pratique elle hisse toujours au pouvoir la figure de l'affairiste rusé, dont l'art consiste à négocier et à trafiquer », écrit Jünger. Pour Steil, cette définition radicalise la vision sorélienne du socialisme, qui voulait transformer la politique en pur moyen, sans objectif limitant, inscrit dans les contingences.

    Restaurer l'oeuvre «auratique»

    Un marxiste verra, dans cet idéalisme et dans cette épure du politique comme pur moyen, une élimination de la politique, une volonté de mettre un terme à la violence destructrice de la politique, qui est seulement, pour le regard marxiste, « lutte des classes ». Mais la technique en marche qui balaie les formes mortes pour rétablir de nouvelles formes à la suite d'un affrontement planétaire des formes subsistantes, encore dotées de forces plus ou moins intactes. La technique détruit donc les formes résiduaires et caduques, elle planétarise et gigantise la guerre permanente des formes, mais le «Travailleur», en instrumentalisant froidement la « méthode physiognomique », donnera une forme finale à la technique (voeu qui ne s'est jamais réalisé ! !). Cette forme finale sera artistique et le beau qui s'en dégagera aura une fonction magique et «sacrale», comme dans les sociétés dites «primitives». La rénovation de ces formes, écrit Steil, se fera par la restauration de l'oeuvre «auratique», éclipsée par la sérialisation technique. L'Aura, expression impalpable de la forme, de l'essence du phénomène représenté, restitue la dimension sacrée, proclame le retour d'un culte du beau, en remplacement qualitatif des religiosités mortes au cours de l'ère bourgeoise.

    Le « réalisme héroïque », assise du nouvel Ordre socio-politique, sera porté par une caste dominatrice exerçant simultanément trois fonctions : celle de détenteur du savoir, celle du guerrier nouveau forgé au cours des batailles de matériel de la Grande Guerre, et celle du producteur d'une nouvelle esthétique, medium intégrateur des différences sociales.

    Armin Steil, dans sa critique marxiste du « pré-fascisme » des Sorel, Jünger et Schmitt, dégage clairement l'essentiel d'une oeuvre aussi capitale que Le Travailleur, où la manie de fabriquer des systèmes est réfutée au bénéfice de grandes affirmations idéales, dégagées des trop lourdes contingences de la société bourgeoise et de la misère prolétarienne. La démarche jüngerienne, dans cette optique, apparaît comme un dégagement de la cangue du concret, comme un retrait hautain conduisant in fine  à une domination totale mais extérieure de cette concrétude. Mais le regard perçant, réclamé par la méthodologie physiognomique, n'est-il pas, au contraire, un instrument de pénétration de la concrétude, bien plus subtil que les simples prises en compte de la surface des phénomènes ?
    Robert Steuckers : [Synergies Européennes, Vouloir, Juillet, 1995] http://vouloir.hautetfort.com/
    Référence : Armin STEIL, Die imaginäre Revolte. Untersuchungen zur faschistischen Ideologie und ihrer theoretischen Vorbereitung bei Georges Sorel, Carl Schmitt und Ernst Jünger, Verlag Arbeiterbewegung und Gesellschaftswissenschaft, Marburg, 1984, ISBN 3-921630-39-8.

  • Monti crise de la gouvernance et de la démocratie


    Pas facile de mesurer, même pour un pays aussi proche que l'Italie, les conditions politiques locales. Ainsi la menace de démission de Mario Monti, formulée le 9 décembre, si elle devait se confirmer est ressentie comme une formidable menace pour la gouvernance européenne. Le motif de cette crise réside dans l'annonce d'un retour de son prédécesseur sur la scène électorale.

    Or les choses qui paraissent simples au départ, se compliquent souvent à l'usage. Les organes de la désinformation parisienne nous apprenaient ainsi, le 12 décembre, que Silvio Berlusconi change son fusil d'épaule. Il se dit prêt à se retirer en cas de candidature du chef du gouvernement, aux élections législatives anticipées (1)⇓ "J'ai proposé à Monti d'être candidat en tant que chef de file du centre modéré et il a dit qu'il ne le voulait pas. Si sa position change, je n'aurai aucun problème à m'écarter (...) Je n'ai pas d'ambition personnelle", déclare maintenant l'ancien président du Conseil.

    Observons aussi que tout ceci pose en fait la question de la démocratie dans chacun de nos pays que nous croyons encore des États souverains.

    Ce n'est pas en effet dans le cadre des débats internes, que fut décidée la chute de deux gouvernements, celui de Silvio Berlusconi à Rome et celui de Georges Papandréou à Athènes. Ils furent éliminés en fait lors de la réunion de Cannes du 3 novembre 2011 en marge du G20.

    Les deux personnages n'incarnaient à vrai dire, dans leurs pays respectifs, ni les mêmes idées, ni les mêmes pratiques, ni les mêmes configurations psychologiques

    Mais l'un comme l'autre se trouvaient confrontés à la même situation financière inextricable. Celles-ci résultent de pratiques budgétaires désormais incompatibles avec l'Union monétaire.

    Il se trouve cependant que l'un comme l'autre disposait de majorités parlementaires. Assurant leur légitimité au regard des règles démocratiques celles-ci les avaient soutenus jusque-là.

    On jugeait alors inadmissible le cas du chef de gouvernement grec, président de l'Internationale socialiste. Mais on ne lui reprochait pas la suite d'erreurs d'orientations économiques, pourtant impardonnables, et démagogiques, infligées à son pays à partir de sa victoire électorale de l'automne 2009.

    On n'acceptait simplement pas l'idée qu'il pût soumettre à référendum l'accord financier de sauvetage conclu avec ses partenaires européens et avec les bailleurs de fonds. Cette procédure aurait pu sembler pourtant la moindre manifestation de politesse à l'égard du peuple souverain.

    Quant à son homologue de Rome on avait laissé passer toutes ses frasques et incongruités : on n'acceptait pas son esquisse, tant soit peu bâclée, en quelques jours, de rétablissement des comptes publics. Or, rappelons-le, les finances de l'État italien dégagent ce qu'on appelle des "excédents primaires", c'est-à-dire des amorces de remboursement de la dette. En revanche, depuis plusieurs années les nouveaux emprunts contractés par le Trésor Public hexagonal servent à financer les échéances des prêts antérieurs. (2)⇓

    La manière dont les deux hommes furent alors débarqués a fait l'objet d'un témoignage, pour une fois recevable, venant d'un témoin direct, le petit ministre parisien des finances Baroin. Il n'hésite pas d'ailleurs à contredire aujourd'hui, dans son livre (3)⇓ les déclarations qu'il diffusait à l'époque pour convaincre le monde de la solidité de la Zone Euro.

    Et donc, sous la pression du Directoire de fait au sein de l'Union européenne, et Berlusconi et Papandréou ont dû laisser la place. Celui-ci s'est retiré au profit d'un gouvernement provisoire constitué, pour quelques mois, autour du respectable banquier central Loukas Papadimos. Celui-là s'est démis au profit d'un ministère technique dirigé par Mario Monti, honnête transfuge de la Commission.

    Certains ont cru pouvoir monter en épingle les liens réels ou supposés avec la finance internationale et plus précisément avec la firme Goldman Sachs. Ils auraient sans doute gagné en crédibilité en pointant d'autres ramifications : le malaise est le même, on l'exorcise comme on veut, ou comme on peut.

    Ainsi tout le monde cite cette fameuse banque, presque comme on pourrait parler des clients de la SNCF, mais on omet soigneusement de rappeler le rôle néfaste de Strauss-Kahn aux côtés de Papandréou, ou la réunion du groupe de Bilderberg à Vouliagmeni en 2009, à laquelle participait le gentil fonctionnaire de l'OCDE Papakostantinou qui allait deviendra ministre [socialiste] des Finances du calamiteux gouvernement.

    La réalité cependant n'est pas aussi "journalistique" ; elle ne correspond pas nécessairement à un "complot" : elle résulte en effet d'une contradiction mécanique.

    Ainsi lorsque Mario Monti annonce sa décision à la fois "irrévocable", mais "à terme", et quoique soumise à condition suspensive... lorsqu'il dit qu'il déclare qu'il se retirera "après le vote sur la loi d'orientation budgétaire" ... supposée répondre en décembre 2012 à des objectifs posés en novembre 2011... il paraît logique de se poser certaines questions subsidiaires.

    L'Italie va de toute manière vers des élections. Anticipées ou non, la différence ne semble pas considérable. Le parti "démocrate" ex-démocrate sinistre, et ex-communiste, est présenté comme bénéficiant d'un fort vent en poupe. Que se passera-t-il dès lors si le nouveau gouvernement remet en cause, comme le suffrage universel pourrait bien l'y inviter, les conséquences monétaires des accords européens ?

    Conservant pour ma part une certaine sympathie pour Gianfranco Fini, considéré comme un traître par les inconditionnels berlusconiens, et actuellement président de la chambre des députés italiens, je consulte toujours ses commentaires et je lis celui du 9 : à propos de la démission [annoncée] du chef du gouvernement, il trouve qu'elle "fait honneur à son sens des responsabilités". Certes : mais comment compte-t-on s'y prendre pour faire face aux pressions qui vont, immanquablement s'exercer sur l'état italien et sur sa Trésorerie du fait de cette hypothétique décision.

    Nous disposons, avec la Grèce, hélas pour ce pays, d'un laboratoire expérimental particulièrement riche en enseignements depuis 2009.

    On doit mettre en cause la lucidité de tous ceux qui, depuis, ont répété successivement "l'Espagne c'est pas pareil", "l'Italie c'est pas pareil". Ils diront bientôt que "la France c'est pas pareil", comme les chips et les chipsters, alors qu'en réalité ce sera pareil, les mêmes causes [le surendettement] provoquant les mêmes effets [la ruine].

    Qu'avons-nous pu observer en Grèce :

    1° Ne perdons pas de vue le malheur d'une partie du pays. À ce jour le chômage atteint officiellement un taux de 24,8 % et les jeunes prennent comme aux pires heures de l'Histoire, chemin de l'exil. Tous les journaux de l'Hexagone en parlent. On peut regretter cependant qu'ils en profitent pour distiller un sous-entendu permanent... celui dont nous ont toujours intoxiqués les républiques successives "tout va mieux en France"... comme s'il fallait remercier notre classe politique de lambeaux de prospérité que l'État central parisien n'a pas encore gâchés.

    2° Les manifestations de masse contre l'austérité se sont soldées par des échecs. Elles ne servent à rien sinon à renforcer la méfiance des investisseurs, et même à encourager la sortie, légale ou non, des capitaux : pourquoi détenir un compte bancaire local susceptible de changer de devise de référence du jour ou lendemain ?

    3° la sympathie des Étrangers ne produit pas grand-chose. Elle s'émousse très rapidement, dans le meilleur des cas, quand elle ne se transforme pas en suspicion et hostilité.

    4° l'incompréhension des médiats, des observateurs et même des décideurs les amène à confondre la classe politique et le pays en général, à assimiler les discours des imprécateurs et de l'opposition aux actes réels du gouvernement, etc.

    Au total les réponses technocratiques à la crise, opérées par d'irresponsables et molles synarchies n'ont fait dans un premier temps que renforcer les courants d’opinions protestataires. Fort heureusement, les baudruches apparues depuis plusieurs mois commencent à se dégonfler.

    Car, quelle que soit l'aide extérieure, un pays ne peut s'en sortir que par lui-même.

    La simple "gouvernance", ce mot horrible réduisant les choses à leur dimension administrative, cela ne suffit jamais. Les mesures les plus arithmétiquement évidentes requièrent l'adhésion des hommes.

    Plus tard l'opinion prend conscience de l'obligation de ne pas dépenser l'argent dont on ne dispose pas, plus le rétablissement se révèle douloureux.

    Il était bien tard à Athènes en juin 2012 lorsque fut enfin constitué le gouvernement d'Antonis Samaras.

    Et, en France l'heure tourne, au point que le soir tombe, quand chaque semaine le gouvernement Ayrault annonce de nouvelles dépenses non financées.

    JG Malliarakis http://www.insolent.fr/

    Apostilles :

    1. cf. AFP du 12/12/2012 à 18:42
    2. cf. "Pour une libération fiscale" chapitre "L'Etau budgétaire de 2012"
    3. cf "Journal de crise" JC Lattès, 2012, 220 pages.
  • Adieu !

    La perte d’honneur tue. Chez les hommes et les femmes de devoir, la sensation d’avoir failli peut entraîner le geste irréversible. C’est ce qui est arrivé à Jacinta Saldanha, infirmière qui a cru au canular, organisé par une radio australienne 2Day FM. Réalisant qu’elle avait permis à cette radio de diffuser à l’antenne des informations qui devaient rester confidentielles, elle s’est suicidée.

    Je veux bien penser que ses auteurs ne pensaient pas que ce canular aboutirait au suicide d’une infirmière, mais quelles sont donc les valeurs de ces humoristes qui croient que pour une plaisanterie douteuse de trente secondes, on a le droit de piétiner l’honneur de deux personnes ? Les infirmières au service de Kate Middleton, enceinte d’un héritier du trône britannique, ont évidemment un sens du devoir poussé et se moquer d’elles ouvertement en se faisant passer respectivement pour le prince Charles et la reine d’Angleterre, dans le seul but de leur faire trahir le secret médical, relève de l’action honteuse. L’une de ces femmes s’en est voulu (alors qu’elle n’avait pas failli, croyant réellement avoir affaire à la reine d’Angleterre) et a mis fin à ces jours.

    Suis-je le seul à en avoir assez que le créneau « humour » dans les média soit détenu par des nihilistes animés de mauvaises intentions, qui ricanent constamment, tentant de détruire ce qui est sacré aux yeux des autres ? Il n’y a rien de drôle à profiter du fascisme du micro pour attaquer une infirmière qui ne fait que son devoir. Même sans ce suicide, cette action radiophonique relevait du lamentable.

    Ces humoristes Mel Greig et Michael Christian font maintenant mine de regretter leur geste. Leurs larmes de crocodiles ne trompent personne, déjà suspendus d’antenne, il essayent simplement de sauver leur poste voire leur carrière.

    Adieu donc Jacinta Saldanha, vous étiez une femme d’honneur à l’inverse de ceux qui ont pénétré de force dans votre hôpital via le téléphone.

    Cadichon  http://www.actionfrancaise.net

  • Après l'Afghanistan, jusqu'où iront les guerres de l'Otan ? (arch 2010)

    DEPUIS le 12 février, 2 500 soldats de la balbutiante armée afghane, épaulés par quelque 12 500 hommes de l'OTAN - Américains, Britanniques, Danois et Estoniens principalement, mais aussi plusieurs dizaines de Français opportunément baptisés simples "instructeurs" pour ne pas exciter les "cités" - tentent de déloger les Taliban de la province stratégique du Helmand, district agricole fertile et véritable grenier de l'opium. devenu un des bastions des insurgés islamistes.
    L'ATLANTIQUE NORD... DE KABOUL À RABAT EN PASSANT PAR TEL-AVIV ET TÉHÉRAN
    L'opération Mushtarak ("ensemble", en langue dari) a été volontairement médiatisée par l'administration Obama. C'est la plus massive menée par les forces internationales depuis l'annonce par le président états-unien, en décembre dernier, de l'envoi cette année de 30 000 soldats américains en renfort, et aussi l'une des plus importantes depuis le début de la guerre, fin 2001. Les insurgés, de leur côté, ont raillé cette opération "médiatisée" qui se concentre sur la ville de Marjah, « très petite zone » malgré ses 125 000 habitants.
    La guerre contre les Taliban ne sera donc pas gagnée grâce à cette offensive qui veut surtout manifester une volonté intacte d'imposer une nouvelle stratégie et d'occuper le terrain. Preuve est en tout cas faite que l'OTAN fait la guerre où les USA le désirent, comme les USA le désirent, sans plus tenir compte de l'origine de l'engagement et de son caractère à l'époque strictement défensif. La leçon a été bien comprise par certains et en premier lieu par Israël. Qui verrait bien l'OTAN mener une telle guerre contre l'Iran.
    Comme l'avait fait son homologue français François Fillon le 3 février au dîner du CRIF, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyaou, a préconisé le 9 des « sanctions sévères et immédiates » à l'encontre de Téhéran. Le danger perse est donc sans arrêt mis en avant. « L'Iran avance à grands pas vers la production d'armes nucléaires (...). Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est une action ferme de la communauté internationale », a déclaré Netanyahou à des diplomates européens. « Cela veut dire des sanctions invalidantes, qui doivent être mises en œuvre dès maintenant. »
    L'option militaire n'a jamais été abandonnée et paraît même à vrai dire se préciser. Deux patrouilleurs lance-missiles israéliens ont emprunté le canal de Suez en direction de la mer Rouge. Le Caire a adopté des mesures de sécurité exceptionnelles pour garantir la sécurité de ces bâtiments. Selon les journaux cairotes, les autorités égyptiennes ont interdit à tout navire de traverser le canal et ont aussi bloqué le trafic routier sur la route qui y mène.
    Toujours selon les sources égyptiennes et notamment le très informé Gala ! Nassar du site < http://weekly.ahram.org.eg/ >. les patrouilleurs se dirigeaient vers le golfe Persique qu'ils devaient atteindre en quatre jours. Or, la semaine précédente, le journal égyptien AI-Shuruq rapportait que les États-Unis menaient des exercices intensifs dans le même secteur, dont certains le long des côtes iraniennes. De plus, le journal indiquait que des navires israéliens cartographiaient les eaux du golfe Persique depuis six mois, en coopération avec des forces américaines de la Ve Flotte.
    Cela participe d'une volonté stratégique de l'État hébreu de rejoindre l'OTAN. Il ne veut plus rester à l'écart des organisations militaires de l'Occident mais en être, pour mieux les diriger. Une majorité d'Israéliens estiment d'ailleurs que leur adhésion à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord renforcerait à la fois la sécurité d'Israël et la puissance stratégique de l'OTAN.
    ÉTAT SIONISTE, PAYS ARABES, MÊME COMBAT
    Bizarrement, il n'y a eu aucune réaction arabe au souhait d'Israël de rejoindre l'OTAN, aucune tentative arabe de bloquer l'initiative, et aucun préparatif pour faire face à ses conséquences. En 2000 déjà, l'OTAN élargissait son dialogue méditerranéen en négociant avec sept pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord ; à savoir Égypte, Algérie, Jordanie, Maroc, Tunisie, Mauritanie et bien sûr Israël. En 2004, les pourparlers OTAN/Méditerranée se déroulèrent sous l'appellation, humoristique sans doute, de Partenaires pour la Paix. Six nouveaux pays étaient inclus dans ce nouveau dialogue : Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie séoudite et Émirats arabes unis. L'entité sioniste, en particulier, était pressée de mettre à profit toutes les possibilités que Partenaires pour la Paix pouvait offrir.
    Israël et la Jordanie participèrent, également pour la première fois, à des manœuvres militaires conjointes qui se déroulèrent, dans le cadre du programme de Partenaires pour la Paix, en Macédoine, dans l'ex-Yougoslavie, en février 2005. Franchement, que venaient-ils y faire ? Le magazine militaire britannique Jane's apportait une réponse. La « position géographique » d'Israël fournissait à l'OTAN une base extérieure idéale pour « défendre l'Occident », pendant que la puissance militaire et économique de l'OTAN avait la capacité d'accroître la sécurité et le potentiel économique du « pays d'accueil ». The Jerusalem Post indiqua alors la vérité : des liens plus étroits entre Israël et l'OTAN étaient essentiels dans le cas d'une « future confrontation avec l'Iran » (1er avril 2008).
    En réalité, Netanyahou voulait qu'Israël rejoigne l'OTAN avant même d'entrer en fonction pour son deuxième mandat de Premier ministre. Il a, depuis, fait de l'adhésion d'Israël à l'OTAN une pièce centrale de sa politique. Le 13 janvier 2009, The Jerusalem Post signalait qu'Israël lançait une « initiative diplomatique » visant à influencer l'ancienne secrétaire d'État US, Madeleine Albright, dans son réexamen de la politique de l'OTAN. En janvier 2009, des officiels israéliens rencontrèrent Albright à Oslo pour discuter de la nouvelle stratégie de l'OTAN. Durant cette réunion, les Israéliens exprimèrent le désir de resserrer leurs liens avec l'OTAN et demandèrent de participer à ses réunions au plus haut niveau. La réponse du monde arabe pourrait être de frapper à son tour à la porte de l'organisation militaire car, pour le moment, ces pays craignent plus Téhéran qu'Israël malgré le désaveu de leur opinion publique.
    Les dépenses d'armements des pays du Conseil de coopération du Golfe (Bahreïn, Qatar, Koweit, Émirats arabes unis, Arabie séoudite) se monteront à 63 milliards de dollars en 2010, dont deux tiers pour le seul royaume séoudien. Et ce n'est pas pour libérer al Qods-Jérusalem. Selon les estimations, cette croissance exponentielle du marché des armes dans la région devrait se poursuivre au moins jusqu'en 2014. En achetant des armes et des technologies militaires de pointe, les pays arabes du Golfe souhaitent contrebalancer l'Iran qui veut dominer dans la région, affirment les experts. En 2008, les dépenses militaires des pays du Golfe ont englouti 5,6 % de leur PIB contre 2,4 % de moyenne mondiale.
    L'OTAN a déjà des bases en « terre arabe » : les enclaves espagnoles du Maroc du nord qui sont protégées par l'Alliance. Mais l'Iran de Rabat reste largement encore, l'Algérie, au troisième rang des pays arabes en termes d'armement, juste derrière le Qatar et l'Arabie séoudite. Dans le même classement, le Maroc occupe le cinquième rang avec un budget qui dépasse 1,7 milliards de dollars en dépenses militaires hors les 2,4 milliards de dollars, budgétisés sur plusieurs exercices, relatifs à l'achat de 24 chasseurs F16 CID Block52 auprès du constructeur américain Lockheed Martin.
    L'Algérie a quasiment quadruplé ses achats d'armes à l'étranger en six ans, aucun pays de la région Moyen-Orient/Afrique du Nord n'a fait davantage.
    Pour sa part, le Maroc a consacré à la Défense, au titre de l'année 2009, un budget de 34,625 milliards de dirhams, soit environ 16 % du budget général de l'État et 4,6 % du PIB. Le royaume chérifien n'avait d'autre choix que de veiller à éviter que le déséquilibre des forces ne devienne trop grand. Car évidement le surarmement algérien ne vise ni Israël ni l'Iran mais le Maroc en cas d'aggravation du conflit du sud-saharien marocain. Rabat est également tentée par un rapprochement avec l'OTAN, ce qui mettrait le royaume à l'abri de l'aventurisme algérien, mais cette volonté est contrariée par la présence militaire espagnole dans le Rif.
    LE DÉVOIEMENT D'UNE ALLIANCE
    L'alliance pour la défense de l'Atlantique Nord est ainsi, de plus en plus, une alliance pour le Grand Moyen-Orient arabo-islamique dont rêvaient George Bush et son entourage, de néo-conservateurs. Entre mise sous tutelle des puissances énergétiques arabe, guerre anti-islamique et défense d'Israël, l'Organisation n'est plus ce qu'elle était, et certainement pas ce qu'elle devrait être.
    Pierre-Patrice Belesta Rivarol du 26 février 2010