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  • En fin de compte, la guerre contre l’Iran n’aura pas lieu

    Ex: http://mediabenews.wordpress.com/


    iran-wide

    La guerre contre l’Iran n’aura pas lieu… pour le moment. La guerre d’Iran n’aura pas lieu de sitôt même si ‘Pierrot le fou’ – Benjamin Netanyahu, Premier ministre d’Israël – crie « Aux loups, aux loups » à la Knesset – parlement israélien – pendant qu’Ahmadinejad – le Président iranien – ne l’écoute pas, ne l’entend pas, et pour cause…

    L’Iran connaît parfaitement les plans de l’hyène américaine et l’Ayatollah Khamenei sait également que le renard israélien ne commande pas au loup états-unien. C’est plutôt l’inverse (1).

    Tout ce que la Terre porte d’analystes, d’observateurs, d’experts militaires se sont émus la semaine dernière à l’annonce qu’un porte-avions de la Ve flotte américaine, furetant dans le secteur du détroit d’Ormuz, loin de son port d’attache, avait été chassé de la région par un exercice militaire iranien. Le navire risquait en effet de provoquer un incident-accident entre les deux belligérants se disputant le Golfe persan (2).

    L’incident n’était pourtant qu’un exercice de réchauffement avant la conflagration à venir. Après avoir assisté à ce coup monté, dites-vous que l’une des prochaines fois sera la bonne et que cet incident provoqué déclenchera non pas la ‘troisième guerre mondiale’ mais l’attaque américano-israélienne contre l’Iran que l’Amérique attend depuis si longtemps.

    Pourquoi pas cette fois, ni la prochaine, mais la suivante seulement ? Et pourquoi en 2013 et pas avant ? Pour répondre à ces questions il faut savoir pourquoi les USA en veulent tant à l’Iran. Si l’on ne sait pas répondre à cette question préalable, on en est réduit à conjecturer – à spéculer – à colporter les papiers d’intoxication médiatique des éditorialistes américains et israéliens.

    Posons d’abord une prémisse évidente. Neuf pays de par le monde possèdent l’arme atomique. Ce sont les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni, l’Inde, la Chine, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël – entre 100 et 200 ogives – (3). Y a-t-il plus criminel que le gouvernement états-unien ? Y-a-t-il plus hystérique que le gouvernement israélien ? Y-a-t-il plus instable que le gouvernement pakistanais ? Y-a-t-il plus imprévisible que le gouvernement coréen ? Y-a-t-il plus soumis que le gouvernement du Royaume-Uni ? Y-a-t-il plus cynique que le gouvernement de Russie ? Y a-t-il plus agité que le gouvernement de Sarkozy ? Pourtant, ni l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique) ni l’ONU ne suggèrent le désarmement nucléaire de ces gouvernements menaçants et incompétents.

    Il faut en conclure que la propagande à propos du danger nucléaire iranien n’est qu’un faux-semblant qui cache autre chose, d’autant plus que celui qui s’en dit le plus préoccupé-menacé est justement le seul qui ait utilisé l’arme atomique deux fois plutôt qu’une (Hiroshima et Nagasaki) et qu’il menace encore une fois de l’utiliser contre l’Iran – bombes de type Blu-117 – (4). Qui plus est, les États-Unis possèdent 2 200 têtes nucléaires et 800 vecteurs, de quoi détruire la planète toute entière (5). Que feront les deux ou trois bombes nucléaires iraniennes – à supposer qu’elles existent – montées sur des missiles Shihab-3 – 2 200 km de portée maximum – alors que les États-Unis se situent à 11 000 kilomètres du Golfe persique ? Moins d’une heure après une prétendue attaque iranienne, mille bombes nucléaires américaines pulvériseraient l’Iran ne laissant plus une âme qui vive (77 millions d’habitants). Espérons que nous en avons terminé avec cette fadaise de la menace nucléaire iranienne tout juste bonne à effrayer les retraités des salons de thé.

    Mais alors qu’est-ce qui justifie l’acrimonie états-unienne à l’encontre de la destinée iranienne ? Dans un papier, il y a tout juste une année, nous avions répondu à cette question – « Regardez du côté du détroit d’Ormuz », disions-nous (6).

    L’Iran a commis le crime de lèse-majesté de ne pas trembler quand Georges W. Bush l’a désigné à la vindicte de sa ‘communauté internationale’. L’Iran a l’outrecuidance de développer sa propre politique nationale plénipotentiaire. L’Iran a le culot de vendre son pétrole à la Chine en devises souveraines iraniennes. L’Iran s’approvisionne en armement auprès de la Russie honnie. L’Iran a choisi le camp de l’impérialisme chinois – l’ennemi irrédentiste de l’impérialisme américain. Enfin, l’Iran a le mauvais goût de posséder une frontière sur le détroit d’Ormuz par où transite près de 35 % du pétrole mondial, point de passage pétrolier que les États-Unis entendent bien entraver ou faire entraver  ! Pour que ce plan machiavélique fonctionne, les États-Unis doivent cependant colmater au moins deux brèches dans le dispositif de verrouillage pétrolier de la région du Golfe persique. Le projet Nabucco, un oléoduc irano-irako-syrien destiné à acheminer le pétrole iranien et irakien jusqu’en Méditerranée via le territoire syrien et le projet d’oléoduc des Émirats Arabes Unis destiné à contourner le détroit d’Ormuz pour l’acheminer directement jusqu’au port de Foujeirah (7). Pour ce dernier oléoduc ce ne sera pas compliqué ; les Émirats Arabes Unis sont sous protectorat américain et leur pétrole sera acheminé aux clients que Washington aura accrédités ; pour le premier cependant, rien n’est assuré et la subversion récemment entreprise contre la Syrie vise justement le contrôle de cet oléoduc.

    Dans un récent article nous demandions pourquoi la France et l’Euroland endossent la stratégie américaine visant leur propre étranglement pétrolier (8) ? En effet, si le détroit d’Ormuz est interdit à la navigation, c’est la Chine et l’Europe qui seront privées de carburant et non les États-Unis qui s’approvisionnent autrement. Ceci nous amène à conclure que l’Union Européenne devrait réviser ses politiques vis-à-vis de la Syrie et de l’Iran prochainement.

    China Marks 60 Years Of The Chinese Navy

    L’agression américaine contre la Syrie et l’Iran s’inscrit comme une étape de la guerre que se livrent les trois grands camps de l’impérialisme mondial – le camp états-unien – le camp de l’Euroland allié au camp américain jusqu’au 8 décembre dernier et dont il tente dorénavant de s’éloigner pour ne pas couler avec le dollar plombé – et le camp chinois, la superpuissance industrielle montante à laquelle sont associées l’Iran, la Syrie et la Russie.

    Un expert affirme que ce que nous décrivons ci-haut : « ce modèle militaire mondial du Pentagone en est un de conquête du monde » (9). Les États-Unis n’envisagent nullement de conquérir le monde. Leur puissance technico-militaire est énorme mais leur capacité militaire conventionnelle – humaine – est bien en-deçà de telles ambitions. Les Américains souhaitent simplement détruire les infrastructures urbaines, les infrastructures portuaires et les raffineries iraniennes de façon à punir ce pays pour sa dissidence ; faire un exemple auprès de tous les autres pays en voie de développement qui caressent des rêves d’indépendance nationale.

    Les États-Unis ne cherchent pas à s’emparer du pétrole iranien, ils en seraient bien incapables puisqu’ils ne songent nullement à débarquer des détachements de Marines et à s’installer à Téhéran. Quand on est impuissant à mater les talibans afghans, on ne songe même pas à occuper l’Iran.

    Les États-Unis cherchent plutôt à provoquer une crise économique, financière, monétaire mondiale qui frappera toutes les puissances impérialistes, dépréciera leurs monnaies (le Yuan et l’Euro – le Dollar, lui s’en va déjà à vau-l’eau) et les rendront dépendantes des marchés boursiers et des ressources énergétiques du monde anglo-saxon (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada) où la valeur des entreprises pétrolières s’élèvera de façon vertigineuse en même temps que la valeur de l’or noir (Golfe du Mexique, Alaska, Sables bitumineux de l’Alberta et Mer du Nord).

    Ce coup de « poker » démentiel et meurtrier ne provoquera pas la ‘troisième guerre mondiale’ – les deux autres blocs impérialistes concurrents ne sont pas encore prêts à engager un affrontement militaire contre la superpuissance nucléaire américaine représentant la moitié des dépenses militaires de la planète (10).

    Les peuples du monde souffriront énormément de cette crise économique profonde accompagnée d’une inflation importante, d’une hausse du chômage déjà catastrophique, d’une déprime boursière, de l’effondrement des hedge funds et des caisses de retraite des travailleurs ; cette crise enclenchera des soulèvements ouvriers, des grèves et des occupations d’usines jalonneront la guerre de classe – travail contre capital – sur le front économique que les opportunistes petits-bourgeois auront mission de liquider en proposant divers slogans réformistes pour sauver le système capitaliste.

    L’attaque américano-israélienne contre l’Iran n’aura pas lieu en 2012 – année d’élection américaine. Le sort de la Syrie doit d’abord être tranché ; pour Méphisto Obama et pour le Minotaure Netanyahu rien ne presse. Après l’élection il sera temps d’ouvrir les portes de l’enfer et de libérer les Cerbères des Guerres puniques contemporaines.

    Un indice pour ceux qu’il presse de savoir quand cela surviendra : il suffit de compter les grands navires de guerre américains qui mouillent dans le Golfe persique ; quand il n’en restera plus aucun, le combat de l’Armageddon tonnera dans la fournaise persane.

    Robert Bibeauhttp://euro-synergies.hautetfort.com/

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    (1) « Déclarations d’Hillary Clinton et du secrétaire à la Défense Leon Panetta : « aucune option n’est écartée ». Panetta a toutefois indiqué qu’« Israël ne devrait pas envisager d’action unilatérale contre l’Iran », tout en soulignant que « toute opération militaire d’Israël contre l’Iran doit être appuyée par les États-Unis et coordonnée avec eux ». (Déclaration de Leon Panetta le 2 décembre au Saban Center, cité dans U.S. Defense Secretary : Iran could get nuclear bomb within a year – Haaretz, 11 décembre 2011. C’est l’auteur qui souligne.).

    (2) Il faut souligner toutefois que la flotte de guerre iranienne est chez-elle près des côtes d’Iran alors que la Ve flotte américaine est une intruse à 11 00 kilomètres des côtes américaines. 3.1.2012. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/01/03/le-bras-de-fer-entre-l-iran-et-l-occident-se-poursuit_1624979_3218.html

    (3) Mordechaï Vanunu en entrevue avec Silvia Cattori. 2005. « non seulement on ne s’en prend pas à Israël, mais on aide même ce pays en secret. Il y a une coopération secrète entre Israël et la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis. Ces pays ont décidé de contribuer à la puissance nucléaire d’Israël afin de faire de ce pays un État colonial, dans le monde arabe. Ils aident Israël, parce qu’ils veulent que ce pays soit à leur service, en tant que pays colonialiste contrôlant le Moyen-Orient, ce qui leur permet de s’emparer des revenus pétroliers et de maintenir les Arabes dans le sous-développement et les conflits fratricides. Telle est la principale raison de cette coopération. ». http://www.silviacattori.net/article2313.html

    (4) Michel Chossudovsky 6.1.2012. Mondialisation. « (…) attaque contre l’Iran, mais aussi que cette attaque pourrait inclure l’utilisation d’armes nucléaires tactiques antiblockhaus ayant une capacité explosive allant de trois à six fois celle d’une bombe d’Hiroshima. » http://www.centpapiers.com/l%E2%80%99iran-face-a-une-attaque-a-l%E2%80%99arme-nucleaire-%C2%AB-aucune-option-n%E2%80%99est-ecartee-%C2%BB/91431

    (5) http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1089606/2010/04/06/Arsenal-nucleaire-americain-sur-terre-mer-ou-ciel-des-ogives-par-milliers.dhtml

    (6) La guerre contre l’Iran aura-t-elle lieu ? 14.01.2011.  http://bellaciao.org/fr/spip.php?article112543 et dans cet écrit datant de novembre dernier, Menacer l’Iran préparer l’invasion de la Syrie. 17.11.2011. http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=27724

    (7) http://www.voltairenet.org/Les-Etats-Unis-suspendent-leurs et http://www.cyberpresse.ca/international/moyen-orient/201201/09/01-4484169-emirats-un-oleoduc-pour-eviter-le-detroit-dormuz-bientot-operationnel.php

    (8) Deux mille douze avant et après ? http://www.centpapiers.com/deux-mille-douze-avant-et-apres/91333

    (9) Pierre Khalaf. Guerre au Proche-Orient : anatomie d’une menace. 24.10.2011. http://www.voltairenet.org/Guerre-au-Proche-Orient-anatomie-d

    Manlio Dinucci. Les USA ‘tournent’ la page et s’apprêtent à de nouvelles guerres. 7.1.2012. http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=28526

  • La dialectique ami / ennemi : Analyse comparée des pensées de Julien Freund et Carl Schmitt

    friend_or_foePenser les relations de puissance à partir de la dialectique de l’ami/ennemi requiert en préalable de se déprendre des chatoiements de l’idéologie, des faux-reflets de tous ces mots en “isme” qui caractérisent l’apparence scientifique donnée aux engagements politiques. Carl Schmitt et Julien Freund l’avaient compris dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Leur clairvoyance eut un prix : l’isolement et le reniement des grands clercs d’une époque imprégnée par le marxisme. Si aujourd’hui les deux auteurs sont redécouverts dans certaines sphères de l’Université, leurs œuvres sont encore mal cernées et leurs exégètes suspectés. En effet, une lecture critique ou partisane de Schmitt et Freund implique de penser “puissance”, “ennemi”, termes qui sont à ranger au registre des interdits de notre société. Cette approche devrait pourtant sous-tendre toute analyse réaliste des rapports entre acteurs des relations internationales.

    Mise au point :         

    Carl Schmitt fut un élément du régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale quand Julien Freund, étudiant en philosophie, entrait en résistance très tôt. Si leurs œuvres sont marquées par les vicissitudes d’une époque particulière, elles les surpassent toutefois pleinement. L’angle sous lequel ils en viennent à penser la relation ami/ennemi tire sa force d’une double volonté d’extraction et d’abstraction de ce contexte. Il est intéressant de remarquer que, par delà les oppositions de l’Histoire, une certaine communauté de destin relie Freund et Schmitt : exclus par les clercs de leur vivant, ils sont aujourd’hui progressivement tirés des limbes où de mauvais desseins et d’éphémères raisons les avaient placés.

    La première rencontre des deux hommes se produit à Colmar, en 1959. Julien Freund en revient marqué : « j’avais compris jusqu’alors que la politique avait pour fondement une lutte opposant des adversaires. Je découvris la notion d’ennemi avec toute sa pesanteur politique, ce qui m’ouvrait des perspectives nouvelles sur les notions de guerre et de paix » (1). L’analyse en termes d’ami/ennemi les met dans une situation périlleuse vis-à-vis de leurs contemporains. Le sujet est sensible puisqu’il donne une consistance à la guerre, ce à quoi se refusent les pacifistes marqués par les utopies marxistes et libéralistes. Pour ceux-ci la paix perpétuelle est l’aboutissement eschatologique logique permis soit par la réalisation marxiste du sens de l’Histoire, soit par l’expansion du commerce pacificateur des mœurs.

    Différence d’approche :     

    Pour Schmitt : « la distinction spécifique du politique […]  c’est la discrimination de l’ami et de l’ennemi. Elle fournit un principe d’identification qui a valeur de critère et non une définition exhaustive ou compréhensive » (2). A son sens, la dialectique ami/ennemi s’appréhende comme un concept autonome dans la mesure où elle ne s’amalgame pas avec des considérations morales (bien/mal) ni esthétiques (beau/laid), mais constitue en elle-même une opposition de nature.

    Dans la pensée freundienne de l’essence du politique, le présupposé ami/ennemi commande la politique extérieure. Il est associé à la relation commandement/obéissance (présupposé de base du politique) et la relation privé/public (présupposé commandant la politique intérieure). Chacun de ces présupposés forme une dialectique indépassable : aucun des deux termes ne se fait jamais absorber par l’autre. Julien Freund prend appui sur la dialectique ami/ennemi pour prouver que les guerres sont inhérentes au politique et donc inévitables à l’Homme. Invoquant la relation public/privé, Freund établit une différence entre l’ennemi privé (intérieur, personnel) et l’ennemi public ou politique. À mesure qu’une opposition évolue vers la distinction ami/ennemi, elle devient plus politique car « il n’y a de politique que là où il y a un ennemi réel ou virtuel » (3). L’Etat est l’unité politique qui a réussi à rejeter l’ennemi intérieur vers l’extérieur. Mais son immuabilité n’est pas acquise. Le présupposé de l’ami/ennemi est donc celui qui conditionne la conservation des unités politiques. La relation dialectique propre à ce couple est la lutte dont un aspect essentiel réside dans la multiplicité de ses formes : il ne s’agit pas uniquement, par exemple, de la lutte des classes à l’ombre de laquelle K. Marx analyse l’histoire de toute société. La lutte surgit dès que l’ennemi s’affirme.

    Contrairement à C. Schmitt, Freund ne fait pas de la distinction ami/ennemi un critère ultime du politique, mais un présupposé parmi d’autres. Chez Schmitt la notion de l’unicité du concept ami/ennemi dans l’essence du politique peut contribuer à renverser la formule de Clausewitz et admettre que la guerre ne serait plus le prolongement de la politique mais sa nature même. Or, ce n’est pas ce que Freund envisage.

    Ami/ennemi dans la logique de puissance :          

    Une politique équilibrée de puissance doit identifier l’ennemi, figure principale du couple dans la mesure où c’est avec lui que se scelle la paix et non avec l’allié. Nier son existence comporte donc un risque, un ennemi non-reconnu étant toujours plus dangereux qu’un ennemi reconnu. « Ce qui nous paraît déterminant, c’est que la non reconnaissance de l’ennemi est un obstacle à la paix. Avec qui la faire, s’il n’y a plus d’ennemis ? Elle ne s’établit pas d’elle-même par l’adhésion des hommes à l’une ou l’autre doctrine pacifiste, surtout que leur nombre suscite une rivalité qui peut aller jusqu’à l’inimitié, sans compter que les moyens dits pacifiques ne sont pas toujours ni même nécessairement les meilleurs pour préserver une paix existante » (4). Par ailleurs il ne faut pas céder à la tentation de croire que la guerre règle définitivement les problèmes politiques posés par l’ennemi : « même la défaite totale de l’ennemi continuera à poser des problèmes au vainqueur » (5). Le conflit israélo-arabe en est l’exemple type.

    S’il est nécessaire de ne jamais remettre en cause les acquis de la paix et de toujours se battre pour elle, il faut pourtant se défaire des illusions que véhicule un certain pacifisme des esprits. Une nation insérée dans le jeu mondial doit, pour survivre, identifier ses ennemis. Car elle ne peut pas ne pas en avoir. La difficulté réside dans le fait que l’ennemi est aujourd’hui plus diffus, plus retors. Il se masque, déguise ses intentions, mais n’est ni irréel ni désincarné. Sa forme évolue sans cesse et ne se réduit plus à l’unique figure étatique. Dans tout nouvel acteur (entreprise, ONG…) sommeille une inimitié possible. A l’inverse, certains pays recherchent un ennemi de manière forcenée. C’est le cas des Etats-Unis, en particulier avec l’Irak et de manière générale dans toute leur politique extérieure depuis 1990.

    Les essences, ces activités naturelles de l’Homme, s’entrechoquent, s’interpénètrent et dialoguent constamment. L’économique et le politique, par exemple, sont à la fois autonomes, inséparables et en conflit. Or, force est de constater que la nature des rivalités pour la puissance prend une teinte économique croissante, expliquant par là l’invisibilité, la déterritorialisation et la dématérialisation de l’ennemi. Ce changement n’est pourtant pas définitif puisque la dialectique antithétique entre les essences de l’économique et du politique prend la forme d’un conflit perpétuel et sans vainqueur.
    L’enseignement s’ensuit que le postulat ami/ennemi de l’analyse freundienne, inspiré mais différencié de l’approche schmittienne, doit constituer le fondement d’une étude actualisée du phénomène guerre et des enjeux de puissance, de compétition entre nations.

    Jean-Baptiste Pitiot http://www.infoguerre.fr/

    Bibliographie:
    FREUND Julien, L'essence du politique, Paris, Sirey, [1965], 4e éd., Paris, Dalloz, 2004, 867 pages
    FREUND Julien, « Préface », [1971] in : SCHMITT Carl, La notion de politique – Théorie du partisan, Paris, Champs classiques, 2009, pp.7-38
    FREUND Julien, Sociologie du conflit, Paris, PUF, coll. « La politique éclatée », 1983, 382 pages
    SCHMITT Carl, La notion de politique – Théorie du partisan, Paris, Champs classiques, 2009, 323 pages
    TAGUIEFF Pierre-André, Julien Freund, Au cœur du politique, La Table Ronde, Paris, 2008, 154 pages

    1. TAGUIEFF Pierre-André, Julien Freund, Au cœur du politique, La Table Ronde, Paris, 2008,p.27 

    2. SCHMITT Carl, La notion de politique – Théorie du partisan, Paris, Champs classiques, 2009, p.64

    3. FREUND Julien, L'essence du politique, Paris, Sirey, [1965], 4e éd., Paris, Dalloz, 2004, p. 448

    4. Ibid. p.496

    5. Ibid. p.592
  • La critique de la modernité libérale chez Jean-Claude Michéa

    « Depuis vingt ans, chaque victoire de la Gauche correspond obligatoirement à une défaite du Socialisme. » (Jean-Claude Michéa, « Pour en finir avec le 21ème siècle », préface à Christopher Lasch, La culture du narcissisme, p.18)
    Rares sont les penseurs qui savent nous rappeler que la Gauche, la vraie, ne se ramène pas inexorablement aux pitreries géométriques des sociaux-démocrates. Michéa est de ceux-là. A l'occasion de la sortie ce 5 octobre de son nouvel essai, Le complexe d'Orphée – la gauche, les gens ordinaires et la religion du Progrès, une petite synthèse thématique de ses ouvrages jusque-là publiés. S'il est encore besoin de le présenter.
    Autodéfini « socialiste » du 19ème siècle, Michéa se veut un démocrate radical, distinct du démocratisme représentatif qu’il voit comme une oligarchie libérale. Disciple intellectuel d'Orwell dont il a fortement contribué à réactualiser la pensée, il aspire comme lui à une société socialiste, « dans laquelle chacun pourrait vivre décemment d’une activité ayant un sens humain. » (1) Sa cible privilégiée est par conséquent la modernité libérale, radicalité sans précédent, a-morale. Loin de l'intelligence de Smith et Constant, par une « dialectique descendante de l’idéologie libérale » (2) le déclin de son autocritique et du simple bon sens, la théorie libérale est devenue système et s’est dogmatisée. D'après Michéa, la situation catastrophique vers laquelle nous nous acheminons, loin d’être une dérive, est l’aboutissement le plus logique des implications de la philosophie libérale. Dissection d'un idéologie qui n'en finit plus de crever en entraînant tout sur son passage.
    Une radicalité sans précédent
    Genèse d’une philosophie nouvelle
    D'après Michéa, la crise de la conscience européenne remonte au 17ème siècle, séquelle de longues guerres civiles et religieuses, que les innovations tactiques et techniques poussèrent à un niveau d'intensité alors inconnu. Il découlait de ce traumatisme originel (3) la nécessité absolue de réfléchir à un système alternatif. Celui-ci devait éviter que les hommes ne se massacrent à nouveau, et que n’advienne une fois de plus cette guerre de tous contre tous tant crainte par Hobbes. Pour assurer Paix, Prospérité et Bonheur (4), l’énergie de l’homme serait réorientée dans une guerre de substitution, contre la nature – le travail et l'industrie via la maîtrise croissante de la technique. L’Économie politique comme « science » de même que l’idée moderne de Croissance virent le jour. Le jeune idéal des sciences expérimentales de la nature, joua également son rôle. Le modèle newtonien de la physique sociale poussait à orienter la recherche de la mise en adéquation des lois de la mécanique humaine sur les lois de la nature. La société était désormais vue comme une machine, capable de s’auto-réguler par le Marché. Celui-ci devait assurer la pacification de la société, avec le postulat mandevillien bien connu selon lequel les vices privés font la vertu publique. Pour rendre possible ce « laisser faire, laisser passer » énoncé par l’intendant Gournay, l’économie devait être « désenchâssée » (Polanyi) de la société traditionnelle, qui n’en faisait pas un fait social total. Dans L’Empire du moindre mal, Michéa nous rappelle à ce propos que le capitalisme portait en lui les innovations nécessaires à son assise dès le 2ème siècle, dans l’Empire romain. Mais, nous précise-t-il, « les conditions politiques et culturelles […] faisaient défaut. » (5) Avec l’avènement de la modernité libérale, au contraire, et l’achèvement de sa métaphysique au milieu du 18ème siècle, les activités marchandes cessèrent d’être méprisées. L’homme devait pouvoir disposer de la liberté personnelle suffisante pour s’épanouir, ses libertés garanties par le Droit.
    Les conditions furent réunies avec la Révolution française et la destruction des anciens référents de l’autorité symbolique. Les Droits de l’homme, désormais, étaient destinés à assurer la sécurité dans la jouissance privée. Mais i le libéralisme est radicalement nouveau en tant que doctrine politique, nous rappelle Michéa, l’humanité a quant à elle connu plusieurs modernités. Le passage de l’une à l’autre suppose la combinaison de deux éléments, apprend-on dans La double pensée : a) avoir conscience des transformations historiques, qui impliquent une rupture avec le passé ; b) les valoriser, donc les vivre et les voir comme un progrès. (6) Et distinguer, suivant cette précision, la logique marchande de la logique libérale, spécifiquement moderne. Pour autant, cet héritage des Lumières – et plus précisément du Scottish Enlightment (7) –, précise Michéa, n’est pas un humanisme lui-même reçu de la Renaissance. Il s’agit, au contraire, d’une « anthropologie pessimiste et désespérée ». (8) Par ailleurs, la modernité n’est pas forcément libérale, comme l’ont montré les totalitarismes du 20ème siècle. Même si, pour lui, parmi les multiples voies qui pouvaient être empruntées, le libéralisme tel que nous le connaissons constitue l’aboutissement le plus cohérent de sa logique philosophique initiale.
    Implications philosophiques : du Vrai et du Bien vers le Droit et le Juste
    Les premiers libéraux attribuaient la responsabilité des guerres civiles à l’idéologie, la prétention à détenir et incarner le Bien. Toute métaphysique devait alors être écartée. Le Vrai et le Bien s’effaçaient devant le Droit et le Juste. De transcendante, l’autorité devenait immanente et toute référence au symbolisme était bannie, sous peine de réactiver les guerres tant craintes. Le gouvernement scientifique suppose donc logiquement une neutralité axiologique préalable à sa praxis. Le libéralisme pour ce faire inauguré en rompant avec le monde concret. Postulant une ontologie construite de toutes pièces, il est un processus sans sujet. D’où l’introduction de sa (fausse) neutralité. Par le système mécanique dit des checks and balances, la main invisible du Marché est censée maintenir l’équilibre économique. Par ailleurs, l’originalité de la pensée libérale aura été, à en croire Michéa, de chercher à créer un homme nouveau. Mais dans l’esprit des théoriciens et des Lumières, il s’agissait seulement de faire appel aux penchants naturels de l’homme, limités peu ou prou à deux finalités : la seule recherche de la poursuite de son intérêt bien compris d’une part, et l’idée d’instinct de conservation d’autre part. Dans une société-machine, l’harmonie sociale, en suivant ces principes, était supposée s’atteindre naturellement.
    L’État libéral était donc obligé d’être « a-moral », de refuser de postuler le Bien. Le refus de toute métaphysique était la condition sine qua non de toute pacification. D’où le passage du dogmatico-finalisme au pragmatico-gestionnaire, pour reprendre les syntagmes de Michéa (9). Eviter de renouer avec la guerre de tous contre tous ne se ferait qu’à cette condition. Moraliser et fixer une limite, comme il est rappelé dans L’Empire du moindre mal, serait arbitraire. Pire, cela serait idéologique, car ce n’est qu’en se référant à des constructions normatives antérieures et moralement justifiées que l’on pourrait disposer de ce qu’il convient d’interdire et d’autoriser. Mais cela signifierait d’accepter, comme le notait déjà Orwell, de renouer avec une conception du bien et du mal en politique. (10) L’État libéral ne peut s’y résoudre, sous peine de contradictions. Il se contente d’ajuster juridiquement les libertés concurrentes, où la seule exigence est de ne pas nuire à autrui. Toute conception de la vie bonne, toute considération morale ou religieuse sont privatisées. Ainsi, le gouvernement des hommes passe à l’administration des choses, dirigé par des experts gestionnaires. On se contente d’équilibrer les contraires non pour une société bonne, mais pour la moins mauvaise possible ; la société du moindre mal.
    Le vrai visage du libéralisme
    Michéa estime insensé de parler aujourd’hui de trahison du libéralisme – de même qu’il qualifie d’être « hybride » et oxymorique tout libéral-conservateur – alors que nous assistons, au contraire, à la manifestation aboutie du libéralisme réellement existant. Ce système porte en lui ses contradictions internes dès le départ. Les deux libéralismes prétendus opposés découlent en fait d’un seul et même projet initial. Son cœur est en outre la neutralité axiologique (prétention non-idéologique), « principe d’unité ultime de tous les libéralismes effectivement existants » (11). Il est un relativisme intégral. Pourtant, l’État libéral suppose un fonctionnement exclusivement calculateur et procédural, une mathématisation constante pour maintenir le point d’équilibre. De plus, l’homme est censé s’y comporter rationnellement en acceptant de se plier aux postulats anthropologiques de la philosophie libérale. Il lui faut donc agir rationnellement et chercher à maximiser son utilité dans son intérêt égoïste bien compris. Il doit en outre accepter les règles de la concurrence libre et non faussée sans y introduire de conceptions morales. Toute critique de sa part serait forcément partisane et donc à exclure. A titre d’exemple, Michéa cite l’analyse anticapitaliste de Bob Kennedy au sujet du PIB,  indicateur biaisé car prenant en compte les catastrophes naturelles, les agressions et soins de santé qui en découlent, les dégradations de matériels, etc.. Rien au contraire n’y mesure la stabilité des mariages, le bien-être général ou la qualité environnementale. Mais les externalités, d’un point de vue libéral, sont « non mesurables » et « idéologiques », ce qui exclut de tels raisonnements des calculs économiques. (12)
    Au-delà des clivages apparents, l’unité dialectique fondamentale
    En menant cette analyse, Michéa s’attache à démonter une fausse antinomie. La vulgate contemporaine veut que deux libéralismes soient distincts ; un bon et un mauvais. Le bon, défendu par la Gauche, est le libéralisme politico-culturel, qu’il définit comme « l’avancée illimitée des droits et la libéralisation permanente des mœurs. » (13) Le mauvais, attribué à la Droite, est le libéralisme économique, dit aussi de Marché. Or, une étude plus poussée démontre au contraire que ces deux libéralismes se sont développés parallèlement. Bref, l’un est la condition de l’autre au sein d'un seul et même projet. Dans L’enseignement de l’ignorance – et ses conditions modernes, Michéa s’interrogeait déjà sur cette fausse antinomie. Comment se fait-il que les principales mesures régressives en matière scolaire soient le fait de gouvernements de Gauche, pourtant les parangons du Progrès ? Tout rapport à l’autorité, bafoué, était soutenu par la Gauche. La culture dite « bourgeoise », en réalité classique, avait été évacuée par mai 68 comme objet d’une domination de classe. La critique officielle de Bourdieu – entre autres – l’avait réduite à un simple capital symbolique, donc de domination, donc synonyme de l’ordre ancien tant honni. Dans Impasse Adam Smith, Michéa explique ce fait par la nature même de la Gauche. Le clivage avec la Droite était, initialement, la transposition hexagonale de l’opposition Tories / Whigs en Angleterre. Les premiers, conservateurs, étaient partisans d’un ordre autoritaire, organique et hiérarchisé, dans une société agraire et théologico-militaire ; les seconds, progressistes, étaient favorables à l’économie de marché et à l’émancipation de l’individu, et partisans de la révolution industrielle et scientifique.
    La Gauche historique française s’est inscrite dans cette continuité, en cherchant à représenter le parti du Mouvement, du Changement. Une politique réellement de Gauche cohérente avec elle-même ne peut donc pas être anti-libérale. Prôner un anticapitalisme de Gauche ou d’Extrême-Gauche est donc, pour Michéa, une contradiction dans les termes. Et chercher à renouer avec une gauche « vraiment de gauche » ne peut pas être opéré sous un angle antilibéral, contraire à ses postulats. Plus synonyme de Progrès que de Peuple, nous rappelle-t-il, la Gauche n’est véritablement redevenue elle-même qu’en se séparant du Socialisme des classes populaires, « contraire de l’individualisme absolu » (14). Précisons que Michéa prend comme synonymes projet libéral, économie et capitalisme. En outre, il remarque que malgré les critiques réciproques, les gouvernements appliquent des mesures qu’ils reprochent à l’opposition. La Droite applique les mesures libéralo-culturelles de la Gauche (promotion de la lutte contre toutes les discriminations, destruction de l’autorité à l’école, légalisation de modèles familiaux alternatifs), tandis que la Gauche privatise, cherche à dynamiser la Croissance, et n’hésite pas à déclarer (dixit Allègre, à l’époque ministre de l’Éducation) que l’École est « le plus grand marché du 21ème siècle ». (15) La Gauche, par son programme d’épuration libérale du Droit, voit sa fin ultime dans le droit de tous sur tout. Mais puisque le dogmatisme libéral récuse tout paradigme alternatif, il lui est impossible de saisir ne serait-ce que l’essence de ses contradictions. L’antithèse entre Progrès et Progressisme lui reste absconse. Toute modernisation, tant technologique que juridique, lui apparaît comme révolutionnaire et anticapitaliste. Logiquement, avec le mythe du Progrès, le 21ème siècle sera pour le Progressiste, l’homme « de gauche », nécessairement radieux. (16)
    L’unité dialectique fondamentale du libéralisme, ce « tableau à double entrée » (17), est donc manifeste. La logique – le progrès tant économique que juridique – est la même. La loi de l’offre et de la demande répond à l’équilibre des pouvoirs, le tout par auto-régulation. Le programme de domination illimitée de la nature est le corrélat de la Raison technico-scientifique. De nos jours, les partis de droite et de gauche sont, pour Michéa, une alternance unique, qui s’unifie lorsqu’un conflit pratique apparaît (traité de Lisbonne de 2008 malgré le vote du 29 mai 2005, 98% des textes votés en commun par PS & UMP au Parlement européen). Par conséquent, résume Michéa, le clivage droite / gauche offre aux classes populaires le choix entre bonnet blanc et blanc bonnet.
    L’impossible neutralité pratique
    Dans les faits même, la neutralité n’est pas respectée. Sur certains sujets comme l’avortement, l’État libéral n’hésite pas à prendre parti. (18) De même, les contraintes économiques sont prises dans un but politique, comme pour des recherches technologiques opérées pour limiter la durée de vie des appareils électroménagers à sept ans. (19) Idem quant à l’interventionnisme. Pour que le Marché soit tel qu’il est supposé être, l’État doit intervenir. Le néolibéralisme demande donc la mise en place par l’État, des conditions politiques, morales et culturelles du libre-échange. Parfois même, jusqu’à s’accommoder provisoirement d’une dictature. C’est ce que rappelle Michéa en mentionnant le soutien d’Hayek au régime de Pinochet. (20) Cette demande faite pour contribuer au bon fonctionnement de « l’ordre spontané » du Marché est une contradiction. La « schizophrénie constitutive » de l’homme nouveau l’est tout autant. Axiologiquement neutre, l’homme doit devenir un simple consommateur, un « mutant », « dépourvu de tout principe moral comme de tout sens de l’honneur. » (21) Pourtant ici encore, l’État libéral doit intervenir pour forcer juridiquement l’homme à être comme il est supposé se comporter naturellement – « il faut souffrir pour être moderne » (22), note cyniquement Michéa dans Orwell, anarchiste tory.
    Ce domaine recouvre les contradictions aux conséquences sociales les plus désastreuses. La neutralité axiologique de l’État libéral se refuse à tout montage normatif arbitraire. La liberté n’a pour limite que celle des autres. Mais pour définir clairement cette limite, il est pourtant nécessaire d’introduire des jugements de valeur. Faute de quoi, la liberté se résume au droit d’avoir des droits. Le jugement critique est mis à l’index, en particulier lorsque sa dénonciation provient de minorités qui, nous dit Michéa, organisent les rapports de force. Évolutifs, changeants, ces rapports poussent l’État libéral à perpétuellement changer son fusil d’épaule, en fonction de l’opinion, « cette créature ambigüe des instituts de sondage et du lobbying associatif. » (23) Dans le cas où la consommation des drogues se banaliserait, par exemple, l’axiomatique libérale impliquerait de la légaliser. (24) A supposer, toutefois, que la visibilité médiatique puisse être assurée – ce qui explique, d’après lui, que les paysans puissent être insultés sans susciter d’émoi particulier. (25) 
    http://www.scriptoblog.com/
    (1) Michéa (J.-.C), La double pensée – retour sur la question libérale, p.28.
    (2) Ibid., p.214.
    (3) Michéa (J.-C.), La double pensée, p.61.
    (4) Michéa (J.-C.), L’enseignement de l’ignorance – et ses conditions modernes, p.21.
    (5) Michéa (J.-C), L’empire du moindre mal – essai sur la civilisation libérale, p.71. Voir également, du même auteur, Orwell éducateur, pp.79-80.
    (6) La double pensée, pp.198-199.
    (7) « (…) l’une des formes les plus créatrices de la Philosophie européenne des Lumières, [avec laquelle] les postulats majeurs de l’utopie capitaliste ont été définis avec la plus grande cohérence. », Michéa (J.-C.), Orwell éducateur, p.37.
    (8) La double pensée, p.87.
    (9) L’empire du moindre mal, p.97.
    (10) Orwell (G.), Essais, articles, lettres volume III, 30, « Recension : The Road to Serfdom, de F. A. Hayek, The Mirror of the Past, de K. Zilliacus », p.155.
    (11) La double pensée, p.212.
    (12) L’empire du moindre mal, scolie [F] du chapitre IV, « Tractatus juridico-economicus », pp.114-115.
    (13) Ibid., p.14.
    (14) Michéa (J.-C.), Impasse Adam Smith – brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, p.48.
    (15) Ibid., p.29.
    (16) Michéa (J.-C.), « Pour en finir avec le 21ème siècle », in Lasch (C.), La culture du narcissisme, préface, p.10.
    (17) La double pensée, p.13.
    (18) Ibid., p.228.
    (19) Orwell éducateur, pp.63-64.
    (20) La double pensée, p.64. Voir aussi ibid., p.118.
    (21) Ibid., p.269.
    (22) Orwell, anarchiste tory, p.74.
    (23) La double pensée, p.41.
    (24) Ibid., p.150.
    (25) Ibid., p.243n.

  • Passé sous silence : des armes démilitarisées au 12ème Cuirassiers

     

    Le « 12ème Cuir » défile pour la Fête de Jeanne d’Arc

    Les armes individuelles ont été temporairement "démilitarisées". Une mesure exceptionnelle et vexatoire.

    C’est le site Marianne qui avait révélé cette affaire le 11 janvier dernier: les militaires du 12ème Régiment de Cuirassiers d’Olivet (Loiret) avaient été désarmés lors de la visite du chef de l’État pour les vœux aux Armées.

    Les percuteurs des Famas, des fusils-mitrailleurs en 7,62, des mitrailleuses en 12,7 et les platines des PA (Pistolets Automatiques) ont été enlevés des armes sur instruction de l’autorité militaire et conservés dans l’armurerie du camp.

    Les soldats du 12ème Régiment de Cuirassiers ont donc rendu les honneurs au chef de l’État avec des armes démilitarisées le temps de la visite, ce qui en dit long sur l’atmosphère de confiance qui règne entre la « grande muette » et le sommet de l’État.

    L’histoire ne dit pas si le planton de garde à l’armurerie était lui armé, au cas où…

    Bref, il paraitrait selon des sources dignes de foi que la pratique est courante depuis 1981, cherchez l’erreur!

    Mais d’autres sources dignes de foi indiquent qu’il s’agirait d’une demande expresse du GSPR (Groupement de Sécurité de la Présidence de la République) qui aurait été relayée par la hiérarchie militaire.

    Dans tous les cas, il s’agit d’une mesure de défiance vis-à-vis de nos soldats, qu’elle soit habituelle ou exceptionnelle rien ne change à l’affaire: Hollande se méfie d’une armée qu’il préfère visiblement voir en ordre de bataille à Bamako plutôt qu’à Orléans…

    Soldats français, assez bons et dignes de confiance pour mourir pour le Mali, mais pas assez pour présenter les armes devant le « Chef des Armées » sans qu’elles soient démilitarisées: quelle honte et quel déshonneur!

    Fixe!

    Lochaberaxe pour Euro-jihad (posté par Ligne de mire) http://www.francepresseinfos.com/

  • Messe anniversaire du martyre de LOUIS XVI à Fontainebleau

    Après Saint-Germain l’Auxerrois (messe célébrée par le Père Abbé de l’abbaye Sainte-Anne de KERGONAN) et Saint-Denis (célébrée par M. l’Abbé LEFEVRE), comme en de très nombreuses églises de France et de Navarre (à Bayonne par S.E. Mgr. AILLET), la mémoire de LOUIS XVI a été honorée 220 ans après son martyre à Fontainebleau

    Après lecture du testament du roi, M. l’Abbé LEFEVRE a rappelé la signification de l’assassinat de Louis XVI père des familles françaises. La révolution parachève actuellement l’assassinat légal de la famille naturelle en France.

    Pour sauver la FRANCE, les seuls combats qui vaillent : la restauration des valeurs civilisatrices incarnées par l’Eglise et le régime politique naturel incarné par la monarchie très chrétienne, contre la RUINEpublique qui nous mène au chaos.

    Nous ne saurions oublier la dégradation CONSTANTE d’une situation confortée par le combat dépassé du moindre mal.

    "En optant pour le moindre mal, on a fini par faire oublier aux français que le moindre mal est le mal quand-même" (Ch. Maurras) Un mal sans cesse plus profond.

    Donc ne pas se contenter de "colmater" par le moindre mal, mais en même temps, travailler recréer les conditions de restauration du BIEN.

    "Rebâtissons la grande arche catholique et royale" exhortation de Ch. Maurras.

    AF Fontainebleau http://www.actionfrancaise.net

     
  • La Cour européenne des droits de l'homme veut imposer l'avortement « thérapeutique » 2011

    La Cour européenne des droits de l'homme a rendu public ce jeudi un jugement de chambre condamnant la Pologne pour ne pas avoir mis une mère de deux enfants, enceinte, en mesure d'avoir accès, en temps et en heure, aux examens génétiques et plus précisément l'amniocentèse qui lui auraient permis d'avorter légalement de son troisième bébé dont la malformation était soupçonnée avant la naissance. Ce jugement susceptible d'appel devant la Grande chambre de la CEDH a estimé Mme R.R. victime de deux violations de la Convention européenne des droits de l'homme : les « traitements inhumains et dégradants » interdits par l'article 3, et le droit au « respect de la vie privée et familiale » affirmée par l'article 8. La preuve ? La petite fille allait naître avec le syndrome de Turner. Mme R.R. obtient à ce stade des dommages et une compensation pour frais de justice équivalents à 60 000 euros.
    Cette affaire pose de multiples questions, puisque l'arrêt de la Cour affirme un droit aux examens qui permettent l'accès à l'avortement thérapeutique et qu'il pose le principe du devoir de l'Etat d'y donner accès malgré l'objection de conscience de médecins refusant ces procédures.
    Mme R.R. s'était en effet heurtée à des refus et des atermoiements mais on lui avait clairement fait savoir que personne ne souhaitait pratiquer cet avortement - à l'hôpital universitaire de Cracovie, il lui fut répondu qu'on n'y avait pas fait d'avortement depuis 150 ans. R.R. devait finir par obtenir une amniocentèse en urgence mais les résultats ne lui furent communiqués que 15 jours plus tard, au-delà du délai légal de « l'avortement médical », possible jusqu'à 24 semaines.
    Une longue procédure devant la justice polonaise, d'abord infructueuse, s'est achevée après cassation devant la cour d'appel de Cracovie qui a donné raison à R.R. mais en lui accordant, à travers la condamnation de son médecin de famille et des deux hôpitaux concernés, 35 000 zlotys pour le refus de donner accès aux examens qui auraient ouvert la voie à l'avortement légal - quelque 9 900 euros de dommages jugés insuffisants par la CEDH et qui s'est prononcée compétente de ce fait.
    Réitérant l'une de ses prises de position dans l'affaire A, B, C contre Irlande, « la Cour a estimé que l'interdiction de mettre fin à des grossesses pour des raisons de santé et (ou) de bien-être constituait une gêne par rapport aux droits des demandeurs quant au respect de leur vie privée », ce qui affirme de manière sibylline un « droit » européen à l'« interruption médicale de grossesse », et même pas dans des conditions très précises puisqu'il existe des possibilités thérapeutiques pour les personnes atteintes de la maladie de Turner et que tous ne souffrent pas de la forme la plus grave de la maladie.
    La Cour affirme encore : « Alors même que les règles publiques applicables à l'avortement sont en relation avec l'équilibre traditionnellement recherché entre la vie privée et l'intérêt public, elles doivent - dans le cadre de l'avortement thérapeutique — être évaluées au regard des obligations positives de l'Etat en vue d'assurer l'intégrité physique des futures mères. »
    La chambre de la CEDH est même allée plus loin, jugeant qu'il fallait formuler les lois sur l'avortement « thérapeutique » de manière à ce que les médecins ne soient pas « refroidis » par leur crainte d'être poursuivis pour un avortement illégal en cas d'erreur d'appréciation de leur part.
    Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour la justice et le droit, fait observer que le « Rapporteur spécial de l'ONU sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible » (sic), présent au procès en tant que tierce partie, a pris fermement position en faveur de l'avortement. La récente résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur le droit à l'objection de conscience n'a pas été soulevée ; au contraire, l'arrêt insiste sur le devoir des Etats de veiller à ce que les patients ne soient jamais privés de leur droit à tous les services légaux aux termes du droit.
    Jeanne Smits Présent du 28 mai 2011

  • Un affaiblissement de plus en plus préoccupant

     

    130122Solennellement les dirigeants de l'Etat ont voulu rendre l'hommage de la nation au lieutenant Damien Boiteux mort le 11 janvier au Mali. Or, au cours de l'émission Mots croisés du 21 janvier Frédéric Pons signalait à ce propos un point malheureusement fort significatif. Le 4e Régiment d'hélicoptères des forces spéciales, dans lequel il servait en tant que pilote, est doté notamment de 14 "Gazelle". Or, selon le spécialiste des questions militaires de "Valeurs actuelles" le blindage actuel de cet excellent appareil le rend vulnérable aux tirs de missiles sol/air dont disposent en général les bandes adverses. Et cette insuffisance d'équipement résulte des coupes budgétaires imposées à l'Armée française. Les moyens matériels de celle-ci reculent régulièrement depuis de nombreuses années.

    On aurait pu imaginer, on aurait légitimement espéré, au moment de l'opération Libye de 2011, qu'un virage salutaire pourrait être enfin pris. Il n'en a rien été. Depuis lors, en effet, deux lois de Finances ont été votées : elles ont poursuivi la tendance dramatiquement descendante des budgets alloués à la défense nationale. Ceux-ci se situent durablement au-dessous de 2 % du produit intérieur considéré habituellement comme le seuil de crédibilité de l'effort de défense.

    Nous dénoncions dans notre petit livre "Pour une libération fiscale" (1)⇓ l'affaiblissement inéluctable des fonctions régaliennes d'un État au périmètre surdimensionné, et ceci en raison même de cette invasion des dépenses et des interventions publiques. Les lois de finances suivantes, votées sous Sarkozy pour 2012, sous Hollande pour 2013, n'ont hélas fait que prolonger cette tendance désastreuse.

    Concrètement la situation de nos forces s'est aggravée alors que leurs missions se sont développées.

    Non seulement l'armée en est réduite à opérer des "arbitrages" entre ses fournisseurs, selon l'urgence estimée de leurs factures, mais ses propres personnels reçoivent leurs soldes de manière irrégulière. Ceci tient, assure-t-on aux erreurs informatiques du logiciel "Louvois" mis en place en 2011. En mars 2012, des épouses de militaires, privées de ressources manifestaient pour protester contre cette situation scandaleuse. Pendant que des soldats français risquent leur vie dans des opérations extérieures, leurs familles sont quasiment abandonnées par l'État. Le 29 octobre 2012 l'actuel ministre socialiste Le Drian en était encore réduit à annoncer au cours d'une conférence de presse qu'il débloquerait 30 millions d’euros pour régler les problèmes de soldes avant Noël.

    À cet égard le lancement, sans doute nécessaire, des opérations militaires françaises en Afrique aura donc servi de double révélateur.

    D'une part, dans un monde confronté à de nouvelles menaces on ne pourra plus longtemps éluder les questions de défense. Ni au niveau national, ni encore moins au niveau européen, on ne saurait considérer comme satisfaisant l'effort militaire de nos sociétés de consommation.

    D'autre part la coopération européenne dans ce dossier demeure complètement embryonnaire. Le dossier malien le montre de manière éclatante.

    Les hasards du calendrier rapprochent cette situation de la petite commémoration franco-allemande purement formelle destinée à marquer le 50e anniversaire du traité de l'Élysée de 1963. Le bilan et l'inventaire de ces années mériteraient cependant un meilleur traitement.

    On aurait aimé que nos médias cessent de répéter les mêmes âneries conformistes, les mêmes clichés, comme si la "réconciliation" des deux pays n'avait pas pris racine dans des orientations gouvernementales largement antérieures, remontant à la déclaration Schuman de 1950, à la signature du traité de Rome en 1957, etc.

    On aurait également apprécié de ne plus entendre parler de l'Europe comme d'une "construction" utopique, mais comme d'une réalité continentale, culturelle, historique, indépendante de ses institutions fondée sur l'affinité de nos peuples.

    On aurait souhaité aussi que l'on prenne en compte, quand on parle de l'Europe, outre celle des deux plus gros États, des 25 autres pays de l'Union européenne.

    Il ne suffit pas de déplorer la baisse l'intensité de la coopération franco-allemande : on ne doit pas occulter l'importance du déséquilibre grandissant entre les deux pays.

    Ne croyons pas que nos partenaires se le dissimulent. Si, aujourd'hui encore les sondages montrent que 40 % des Français considèrent cette entente comme fondamentale et privilégiée, ce pourcentage est désormais tombé à 18 % en Allemagne. Pour nos cousins germains, il existe d'autres voisins, d'autres clients, d'autres interlocuteurs, comme la Pologne, comme la Russie, comme l'Europe centrale, etc. au moins aussi fiables. Dès 1987, avant même l'unification, der Spiegel insistait déjà, et à juste titre, sur l'importance de ses "Weltfirmas" à la conquête des marchés mondiaux et pas seulement du marché intérieur de notre continent.

    Depuis, de l'autre côté du Rhin, et au prix de lourds sacrifices imposés par le gouvernement Schroeder, nos voisins ont su accomplir d'importantes réformes structurelles.

    De ce côté-ci du grand fleuve on n'a pas cessé depuis, de s'enfoncer, au contraire, dans l'illusion d'une économie dirigée, dans l'égalitarisme idéologique, dans un assistanat de plus en plus coûteux : ce n'est pas tant le coût du travail qui pénalise les entreprises françaises ; c'est en fait la surcharge financière imposée à toute la nation par l'entretien du non-travail.

    Toutes ces données simples dénotent l'affaiblissement du pays. La langue de bois de nos politiciens, l'abrutissement de nos médiats et l'aveuglement de nos bureaucraties syndicales, CGT en tête, s'obstinent à nier la situation. Tout cela ne peut que l'aggraver.

    JG Malliarakis http://www.insolent.fr/

    Apostilles

    1. cf. "Pour une Libération fiscale".

  • Robert STEUCKERS : Adieu à Yves Debay, camarade d’école

    Nous venons d’apprendre la mort d’Yves Debay, fondateur et ancien directeur de la revue militaire “Raids” et créateur et directeur en exercice de la revue “L’Assaut”, grand reporter de guerre, brillant photographe des choses militaires. Il a été frappé par une balle en pleine tête à Alep en Syrie, où, apparemment, il couvrait un combat entre miliciens djihadistes et soldats kurdes de l’armée régulière syrienne. Yves Debay est le quatrième camarade d’école dont j’ai à déplorer la disparition, après Eric Volant, tué en franchissant un gué pyrénéen par des irréguliers de la Guardia Civil espagnole parce qu’il avait choisi de soutenir l’ETA, suite à son engagement communiste, dû à une très grande déception, celle de ne pas avoir été autorisé à étudier l’histoire; après Jean-Paul Leyssens, devenu gynécologue, tué par une avalanche dans la région de Grenoble et après Georges Ramos, suicidé, c’est maintenant au tour de ce sacré lansquenet d’Yves Debay de quitter notre monde vétuste et sans foi, le rendant encore plus fade.

    J’ai connu Yves Debay sur le chemin de l’école. Ucclois du quartier “Churchill” comme Leyssens, Yves Debay résidait dans un bel appartement de l’Avenue Messidor, face à la propriété Brugmann, qui n’avait pas encore été bâtie: c’était un endroit magique; de ce domaine de type aristocratique, aménagé par l’un de ces nombreux Allemands recrutés par Léopold II pour construire la Belgique moderne, il ne restait que les caves d’un ancien château en ruine, où, quand nous étions louveteaux, notre Akéla, un fils de la famille Biswall des chocolats Côte d’Or, organisait des jeux captivants où il s’agissait de s’emparer d’un “spoutnik” tombé par hasard dans les environs du château et qu’il ne fallait pas laisser aux mains de l’ennemi... Il s’ensuivait des bagarres homériques pendant tout l’après-midi.

    A l’époque des dernières années de nos secondaires à l’Institut Saint Jean-Baptiste de la Salle à Saint-Gilles, c’était les maquettes Tamiya qui nous intéressaient et Debay était un virtuose en ce domaine et un réalisateur de dioramas des plus réalistes: cette passion était la prémisse patente et essentielle de l’avenir original et hors du commun qu’il allait se forger en toute liberté. Nous étions dans les années 72 à 74. C’est Debay qui m’a présenté Frédéric Beerens, le théoricien du groupe, le lecteur infatigable auquel rien n’échappait ni en sciences ni en philosophie ni en politologie. C’est lui qui vient, en même temps que Bernard Leveaux, Président des “Amis de Jean Mabire”, de m’annoncer la nouvelle de la mort tragique de notre ami de jeunesse. Nous nous sentons tous deux très meurtris: c’est tout un pan de nos jeunes années qui vient de s’évanouir dans le néant de la mort et que nous ne pourrons jamais plus évoquer avec l’homme le plus haut en couleurs de notre petite bande.

    Les extraits de presse que j’ai déjà pu lire sur la grande toile nous campent tous un Debay jovial, amateur de dives bouteilles, provocateur, débiteur de blagues bien corsées qui doivent à coup sûr donner de l’urticaire aux thuriféraires dévots de la “political correctness”. C’est exact. Yves Debay n’aurait donc pas changé. Heureux homme: il a toujours échappé à ces étouffantes conventions sociales et langagières qui rendent notre civilisation si monotone, si désagréable à vivre. Mieux : il a réussi à faire accepter ses frasques, par se les faire pardonner! Beau tour de force!

    Yves Debay, dès son adolescence, était un collectionneur d’armes: je me souviens, toujours avec un réel plaisir, d’un beau jour ensolleillé de printemps, où il descendait du tram 18, à “Ma Campagne”, flanqué d’un autre Ucclois de Saint-Job, un certain Van H., garçon très poli, très bien élevé, toujours engoncé dans son loden “sapin vert”. Debay était hilare. Van H. “sapin vert” était attéré. Debay n’avait rien étudié pour son interrogation de mathématiques mais ne voulait pas d’échec: sur la plateforme du 18, il avait brandi un bel exemplaire de “Smith & Wesson” de l’armée britannique, menaçant de trucider le prof, un certain Gl., binoclard pète-sec, affublé d’un éternel cache-poussière blanc de pharmacien, si d’aventure il échouait à cette épreuve de math. C’était évidemment de la provocation. Il disait ça pour rire. Le but réel était de nous inviter dans la cave de Beerens pour s’exercer au tir avec l’arme favorite des anciens officiers de sa Gracieuse Majesté: grâce aux instructions bienveillantes de Debay, j’ai mis la balle dans le mille!

    Un autre jour, Debay descendait de son tram, une Winchester emballée dans une toile de camouflage, qu’il est allé ensuite exhiber à ses condisciples et ses professeurs, tous ravis. Autres temps, autres moeurs. Aujourd’hui, on appelerait les démineurs... Les tenants de la “Mietjesmaatschappij” en auraient fait cinq colonnes à la une dans la presse débile. On imagine les manchettes: “Des armes dans un institut catholique! Trafic de fusils à répétition! Incitation à la violence!”, etc. Son arme favorite toutefois était la M1 de sa mère, qu’elle avait manié au Katanga pour échapper aux troupes régulières congolaises et aux soldats de l’ONU, poursuivant Belges et gendarmes katangais, partisans de la sécession de cette province riche en minerais (de cuivre notamment). Debay affirmait que c’était grâce à cette arme que sa mère avait sauvé la vie de l’enfant de six ans qu’il était à l’époqu

    Souvent le lundi, Debay narrait les bagarres dans lesquelles il avait été impliqué le samedi soir dans l’une ou l’autre boîte de Bruxelles. Un jour, il exhibait son épaule, côté face, tenaillée par un tesson de bouteille et raccommodée de plusieurs points de suture... En dernière année d’humanités, j’ai personnellement eu une bagarre brève avec un hurluberlu qui nous agaçait copieusement, Leyssens et moi-même, en nous reprochant de ne pas avoir des idées conformistes en matières politiques. Les Congolais de la classe, dont une armoire à glace, qui, paraît-il, est aujourd’hui un ponte de la “Lyonnaise des Eaux” à Kinshasa, ne marchaient pas dans la combine de l’hurluberlu qui essayait de les exciter contre nous. En fait, ce gringalet, ce “freluquet tout de guimauve” (dixit Beerens), voulait que ce monsieur africain bien bâti, très fier de son appartenante à la race bantoue et futur cadre de la “Lyonnaise des Eaux”, me casse la gueule à sa place, par procuration en quelque sorte. Muni d’un fil de fer enroulé autour du poing, je n’ai frappé l’hurluberlu qu’une seule fois à la tête, fondant sur lui comme l’éclair: il n’a pas été assommé mais, pire pour son matricule, a éclaté en sanglots, sous les rires de commisération des trois Africains de la classe. Dans la bagarre brève, un banc de la classe s’est renversé sur un complice de l’hurluberlu: le professeur de latin a fait mander le préfet, surnommé “Mickey Mouse” parce que ses chaussures, comme celles de la célèbre souris de Disney, cuinaient très souvent et son nez, presqu’aussi long que celui d’un nasique, et ses incisives jaunâtres, souvent visibles, faisaient immanquablement penser au museau d’un souriceau. “Mickey” est arrivé riant de bon coeur, en voyant la déconfiture sanglotante de mon piètre adversaire, et en agitant ses clefs, car il ponctuait toujours sa présence de cet habituel cliquetis. Je n’ai pas été sanctionné. Mais l’hurluberlu a battu le rappel de ses coreligionnaires. A quatre heures, ils sont vingt-cinq devant la porte, prêts à nous faire notre fête. Nous sommes quatre: Debay, Leyssens (capable de frapper comme un dingue quand il le fallait), Isb. (un camarade arménien) et votre serviteur. Debay distribue des fiches électriques mâles à coincer entre les phalanges de nos doigts, pour le cas où il y aurait “friction”, et donne les ordres, bien dans son style: avancez lentement, en ricanant, sans reculer! Nous avons avancé, lentement, dans la rue d’Espagne, interrompus seulement par un “kamikaze” ennemi, le fameux “Rb” qui a tenté de briser notre ligne en fonçant droit sur nous avec sa pétrolette. Une bourrade sur l’épaule, quand nous avons desserré nos rangs pour le laisser passer l’a fait choir de sa selle et il est parti penaud. Constatant la perte et l’inefficacité de son unique élément motorisé, la double douzaine de matamores s’est disloquée sous les appels au calme d’un certain Bohyn, bonhomme débonnaire qui nous aimait bien. Le choc de cette guerre des boutons n’a donc pas eu lieu.

    Je pourrais encore rappeler bien des anecdotes de cette sorte: celui de la M1 et des pigeons de la propriété Brugmann, le toit de tuiles face à l’appart de Debay dans la rue Américaine, l’obus offert en cadeau à ce grand amateur de motos et d’armes qu’était un autre condisciple, Gr., les conséquences de ce cadeau, le voyage en Grèce avec les deux sombreros et la casquette para du Congolais N’zoao, la mémorable soirée arrosée d’Olympie, la cuite de son complice suisse C à l’alcool de banane, la terreur de la famille grecque qui nous hébergeait, la plus formidable bataille de boules de neige de mon existence dans le jardin du Comte de Grunne à Forest, les mésaventures de Debay avec Mme R et son amant D (un chauve qui gagnait chichement sa croûte comme représentant en lotions capillaires, authentique!), les collages d’affiches à Saint-Gilles (Place de Bethléem et Place Fontainas), l’affaire du passe-partout d’une résidence de l’Avenue Churchill et le “mésusage” qui en fut fait, etc.

    Bref, dans notre école, nous étions la bande des “Pas-comme-les-autres”, même si Leyssens, Beerens et moi étions en apparence parfaitement “scolaires”. Debay ne l’était évidemment pas. Il sentait en lui l’appel de l’action et du grand large. Chassé de l’école après un coup fumant, qu’il narre d’ailleurs à demis mots dans le bulletin des “Amis de Jean Mabire”, Debay quitte notre institut sans regret, tout comme nous qui aspirions à autre chose, et s’inscrit à l’école “toutes armes” de Sainte-Anne à Laeken. Après sa période d’instruction et de formation, il rejoint en Allemagne le “2ème Chacha” (= “Chasseurs à Cheval”), une unité blindée équipée de petits chars britanniques de type “Scorpion”. Dans sa garnison, proche du Rideau de Fer, Debay s’est forcément ennuyé. La vie quasi courtelinesque des casernes en temps de paix, renforcée encore par le surréalisme congénital et souvent éthylique des “gamelles” belges, n’était pas faite pour lui, qui avait d’ailleurs, en plus, la nostalgie de son Afrique natale. Il se porte volontaire en Rhodésie dans l’armée de Ian Smith, où il commande une unité d’infanterie africaine engagée contre les Mozambicains qui recevaient, à l’époque, des armes soviétiques. Debay est revenu en 1979, en pleine campagne électorale pour l’élection du premier Parlement européen. La Sûreté de l’Etat belge avait interdit de parole Giorgio Almirante, pourtant candidat, et Blas Piñar, venu de Madrid pour le soutenir: les deux hommes politiques devaient expliciter leurs programmes et intentions dans les salons de l’Hôtel Métropole. Les gauchistes avaient rameuté leur ban et leur arrière-ban et occupaient le centre de la ville, menaçant de prendre d’assaut le local du futur “Parti des Forces Nouvelles”, le long du canal, où Almirante et Piñar devaient se replier (ce qu’il ne firent pas). Quelques journalistes, dont Alain Derriks que j’accompagnais, étaient présents sur place. Y compris une délégation du “Parti Ouvrier Européen”, téléguidé par Lyndon LaRouche et son épouse allemande, et qui tentait de nous démontrer que Khomeiny était un agent de l’Intelligence Service. Près de trois cents personnes étaient rassemblées près du local, pour le défendre en cas d’attaque: du jamais vu dans les annales de la “droite” musclée en Belgique. Debay n’avait évidemment pas résisté au désir de venir sur place, alléché par la perspective d’une immense bagarre de rue. Ce furent de joyeuses retrouvailles. Dans sa malette, Debay avait des photos de Rhodésie, dont celles de son ordonnance, un géant noir avec la poitrine couverte de chaînes de munitions pour sa .30, qu’il portait avec autant d’aisance qu’un gentleman de la City trimbale son riflard. Debay a évoqué ce jour-là un engagement de son peloton: les Mozambicains, armés de mortiers soviétiques, avaient déclenché le combat en canardant les Rhodésiens mais sans régler la hausse de leurs pièces. Ils tiraient 600 m trop loin. Debay avait ordonné l’assaut, baïonnette au canon: les Mozambicains continuaient à tirer et s’étonnaient que les Rhodésiens et leur grand diable de chef blanc ne tombaient pas comme des mouches...

    Après l’intermède rhodésien, Debay a servi dans l’armée sud-africaine puis dans l’armée française, heureuse d’accueillir ses expériences.

    Mise à part une visite à son nouvel appartement de la Rue Américaine à Ixelles au temps de son service au “2ème Chacha”, je n’ai plus vu Debay, depuis cette soirée électorale de 1979 et depuis nos folles années à l’Institut SJBLS, et j’ai loupé un rendez-vous qu’il avait donné à quelques anciens, dont les frères Beerens, parce que j’étais à l’étranger. Je vais le regretter jusqu’à mon dernier souffle, d’autant plus que j’espérais bien fort que Bernard Leveaux, qui connaissait Debay et le voyait plus souvent, nous organise bientôt un rendez-vous agréable dans une belle auberge. Le seul contact avec Debay a été indirect: par les revues “Raids” puis “L’Assaut”. C’est dans “Raids” que j’ai lu avec joie et attention ses mésaventures en Irak, son bivouac dans le désert avec son geôlier, le Lieutenant Ali, son retour à Paris où il a acheté de beaux jouets pour les enfants de l’officier irakien. Baroudeur de grand coeur, voilà ce qu’était bien mon camarade d’école le plus célèbre, Yves Debay!

    Lors de mes visites annuelles à la Foire du Livre de Francfort, je ne manquais pas de faire un tour dans le stand allemand qui proposait aux libraires les livres, richement illustrés, d’Yves Debay, en version originale ou en traduction. “Raids” et “L’Assaut” sont des revues de haute qualité, de facture parfaite, et Yves Debay a pu y déployer un autre de ses talents: celui du grand photographe qui sait cadrer à merveille ses sujets. J’ai rarement vu une collection de sujets photographiés aussi bien cadrés que les chars ou les soldats happés par le “Hasselblatt” d’Yves Debay. On a le tournis rien qu’en pensant à la richesse fabuleuse que doivent receler ses archives photographiques. Les collections de “Raids” et de “L’Assaut” prouvent qu’Yves Debay a été le plus productif de tous les bons sujets (que les sots diront “mauvais”) que comptait notre bande de “Pas-comme-les-autres”. L’histoire retiendra indubitablement son nom. Non seulement pour le très beau récit de sa captivité en Irak, véritable morceau d’anthologie, mais aussi pour des reportages hors ligne sur les manoeuvres de l’OTAN en Macédoine, sur l’arme blindée turque, sur les opérations dans les Balkans, sur les nageurs de combat grecs, sur le 2°REP à Sarajevo, sur les forces américaines en Allemagne à l’heure du “grand retrait”, etc. Comment ne pas être fasciné par la qualité exceptionnelle des photos dans ce numéro spécial hors-série (n°5) de “Raids” consacré aux chars de combat en action... ou par la remarquable technicité des dossiers de “L’Assaut” consacrés aux fusils d’assaut, etc.

    Debay, le jour de sa mort, avait derrière lui quarante ans d’expériences militaires diverses, glanées sur tous les fronts possibles et imaginables de la planète. C’est une existence mouvementée qu’il a délibérément choisie, en toute liberté, en dépit de toutes les conventions sociales, au scandale des pense-petit. Et cette vie passionnante d’aventures a été rendue possible pendant quatre décennies par une baraka qui a été sa plus fidèle compagne. Le 17 janvier 2013, pour la première fois, à Alep, celle-ci était absente. La balle qui a tué Debay a mis fin à une incroyable existence, hors du commun, en une époque particulièrement triviale et “homogénéisée” à outrance, livrée aux pires des imposteurs. Debay fut l’une des dernières incarnations de l’homme voulu et chanté par Brantôme au 16ème siècle! Je regrette déjà de ne pas pouvoir lire les mémoires complètes, rédigées directement de sa main, que n’aurait pas manquer d’écrire ce vaillant et joyeux camarade d’école et de devoir à tout jamais me contenter des fragments, fort sublimes déjà, qu’il nous a laissés. Mais, par ailleurs, peut-on imaginer un Debay, usé par l’âge comme nous le serons tous, appuyé sur un bâton, souffrant des maux de la vieillesse, lui qui a gardé de ses seize ans jusqu’à la veille de ses soixante ans, jusqu’à la balle fatale d’avant-hier, la même trogne joviale, le même ricanement joyeux, les mêmes passions? Debay a choisi et trouvé, plus que les autres de notre petite bande, la liberté totale mais l’étreindre à pleins bras exige un double prix: pour vivre au rythme des armées, pour coller à la geste militaire qui se déroule hic et nunc, il faut composer avec le système puisque lui seul peut déployer la force armée, détient les clefs de la souveraineté. C’est ça la première tranche du prix à payer. Nous, européistes impériaux, nous aspirants à la souveraineté totale pour notre aire civilisationnelle, n’avons pas d’armée autonome qui puisse réaliser sur l’échiquier international nos voeux de “pax europea”. S’il avait opté sans concession pour notre radicalité, qu’il partageait en secret, Debay aurait été condamné à proclamer —vox clamans in deserto— une vérité inexistante dans le réel mais sans nul doute “advenante” dans un futur que nous espérons ardemment mais que nous ne connaîtrons pas. Debay a vécu dans l’action, et non dans l’espérance, et dans le réel imparfait, dont il acceptait certains travers, seule manière de nous léguer des récits militaires et des photographies magnifiques, seule façon possible de jouer à fond une vie à la Brantôme, une vie où on ne se dérobe pas, où on ne triche pas avec la mort. Yves Debay est mort de la mort du soldat, comme des millions d’autres, comme le fils d’Ernst Jünger à Carrare en 1944, et du reporter de guerre, comme Kurt Eggers en 1943 ou Jean Roy, reporter de “Paris-Match”, à Suez en 1956. Et cette mort brutale, soudaine, nette comme le coup de ciseau de la Parque, est la seconde moitié du prix à payer parfois (mais pas toujours), dès l’instant fatidique où la déesse “Baraka” se montre tout à coup distraite... Yves l’a payée, elle aussi, cette seconde moitié du prix. C’est à coup sûr une mort qu’il a dû envisager mille fois, qu’il aurait acceptée en riant, et un buvant un coup, et même deux, à la santé des grands ancêtres. Qu’il est parti rejoindre dans le Walhalla. Puisse la chair du sanglier Mimir lui ravir le palais. Puisse l’hydromel, servi par les Walkyries, lui arroser le gosier jusqu’au Ragnarök! Il l’a bien mérité!

    Robert Steuckers. http://robertsteuckers.blogspot.fr/

     

    Forest-Flotzenberg, 18 et 19 janvier 2013.

  • Le militantisme en question par Claude BOURRINET

    « Fabrice eut beaucoup de peine à se délivrer de la cohue; cette scène rappela son imagination sur la terre. Je n’ai que ce que je mérite, se dit-il, je me suis frotté à la canaille. »

     

    Stendhal, La Chartreuse de Parme.

     

    Qui s’avisera de lire la dernière fable de La Fontaine, son mot dernier avant la mort, connaîtra peut-être l’ultime message d’un sage épicurien en matière d’engagement : l’amateur de jardin ne place pas plus haut l’urgence sacrée de la contemplation, et tout ce qui en peut brouiller l’onde transparente est davantage qu’une faute philosophique : c’est un crime vis-à-vis de l’âme. La vertu de cet ultime apologue est de présenter, dans leur radical altruisme, les deux figures du militant qu’une civilisation ayant pour paradigmes l’apôtre et le citoyen a léguée à l’Europe. On ne fait pas plus concis. L’une, animée du zèle le plus politique, érige la justice en exercice de vertu. L’autre, poussée par une charité admirable, soigne avec abnégation son prochain. Les deux récoltent incompréhension, ingratitude et vindicte. L’hôte des bois, seul, dans son ermitage, sauve quelque chose du grand naufrage humain.

     

    Néanmoins, il n’est pas certain que l’épilogue de ce grand livre du monde que sont les Fables fût si péremptoire dans la condamnation d’un travers dont on sentait, en cette fin de grand siècle, les prémisses. Mainte saynète offre en effet matière, sinon à l’espoir, du moins à un certain plaisir de vivre, voire à un bonheur certain. Si La Fontaine verse quelque peu dans le jansénisme avec les affres de l’âge, il reste pour l’éternité un épicurien sensible aux  sollicitations positivement ordonnée d’un Monde qui n’est pas si désagréable que cela, nonobstant sa cruauté.

     

    En ce temps-là, peu avaient oublié Montaigne, le maître de tous, celui qui inspirait ou repoussait, parfois les deux à la fois, sans qui il ne fût ni Charon, ni Pascal, ni La Fontaine, ni beaucoup d’autres. Le châtelain périgourdin avait eu l’occasion de côtoyer La Boétie, qui promettait, ne fût-ce la mort, de donner à la France une plume et un grand cerveau, sinon un grand cœur. Montaigne conçut ses Essais comme un écrin pour l’ouvrage de son ami, lequel est tout un programme, puisqu’il s’intitule De la servitude volontaire. Les Temps étaient pourtant à la rébellion (mais l’une n’empêche pas l’autre), Parpaillots, Ligueurs s’empoignaient, avec l’aide fraternelle des ennemis de la France, pour s’entrégorger pour la plus grande gloire de leur Dieu. Cet âge de fer vit naître, peut-être, le militant moderne. On se mit à concevoir des programmes politiques destinés à changer le régime monarchique, la religion se transmuta en idéologie, et les Églises devinrent des partis. L’État n’était plus le médiateur naturel du Dieu transcendant et du peuple chrétien : il était devenu un instrument autonome, susceptible de transformations, malléable, améliorable, dont on pouvait s’emparer, et qui possédait sa propre Raison. Ainsi, avec le militant, naquit la politique.

     

    On connaît la position de Montaigne là-dessus. Le maire de Bordeaux et le grand commis qui s’entremit entre Henri III et Henri de Navarre, si son loyalisme le plaça dans les régiments royaux, où il fit avec un certain plaisir guerrier le coup de feu, se garda de s’offrir pleinement à la flamme du combat, où il eût à se brûler l’âme, le cœur, ou, quelque fût son nom, ce qui lui assurait de toutes les façons, devant le monde et devant lui-même, la pérennité de son être. Il s’en faut bien de se prêter pour ne pas se perdre. Tel était l’honnête homme, qui, moulé par un livre consubstantiel à sa recherche, invitait à exercer par le monde des hommes et face à la nécessité une indifférence active, qui n’est pas sans prévenir la nonchalance dévote de François de Sales. C’est bien là, chez Montaigne, qui n’évoqua jamais Jésus dans ses écrits, une sorte de synthèse improbable entre le stoïcisme et l’épicurisme. Aussi bien invoqua-t-il volontiers les figures emblématiques de Socrate, d’Alcibiade, de César, d’Alexandre, pour illustrer cette virilité négligente et attentive, cette implication dans les combats de la terre, et cette plasticité de l’âme et du corps, qui saisit le sel de la vie au moment du plus grand danger, comme si ce fût une promenade parmi les prairies élyséennes.

     

    Nous sommes loin du culte chevaleresque et du moine soldat. L’on n’y perçoit nullement la droite rectitude des héritiers de Zoroastre, des lutteurs manichéens et des croisés juchés sur leurs étriers afin de pourfendre le Mal et vider la cité des hommes des ennemis de la cité de Dieu.

     

    Il faudrait donc repenser le problème et du militantisme, et de l’engagement, en ayant conscience des conditionnement culturels et historiques qui en dessinent l’image. Bien évidemment, tout questionnement surgit en son point historial où la réponse est toujours contenue dans la manière d’interroger le destin. Les implicites sont bien plus redoutables que les apparences conceptuelles et rhétoriques les plus sensibles. La pensée, lorsqu’elle se fait servante de l’action, est freinée dans ses élans et ses capacités à creuser jusqu’aux racines. Elle exige un retrait.

     

    L’interrogation première devra porter sur cette inhibition quasi universelle à mettre à la question les plus évidentes légitimités, incertaines dans la mesure de leur évidence. À n’en pas douter, l’engagement pour une cause est une nourriture pour l’existence, même passagère, dont il est bien difficile de se passer comme viatique. Il ne s’agit parfois que de trouver la chapelle sur le marché des causes. Les situationnistes, bien après Nietzsche, rejetaient cette forme de confort qui, même lorsqu’il impliquait la mort et la souffrance, le sacrifice et l’opprobre, semblait octroyer au croyant l’assurance d’un salut, au regard de Dieu, des hommes, ou de soi-même, en tout cas un rôle, dont la véritable et profonde raison réside dans l’irraison de pulsions inavouées ou d’un narcissisme, d’un amour-propre, pour user de la terminologie du Grand Siècle, qui confère à tout discours assertif, et même performatif lorsqu’il s’agit d’agir, cette dose plus ou moins volumineuse de soupçon, de défiance, qui ne demande qu’à envahir l’esprit et le cœur, et justifier toutes les désertions, les abandons et le ressentiment.

     

    Mais il est vrai que le nomadisme militant et la haine des anciens emballements sont des traits caractéristiques de la conscience contemporaine, comme si la maladie sectatrice dénoncée chez les réformés par Bossuet se trouvait soudain envahir le champ politique, une fois les Grands Récits idéologiques chus dans la poussière de l’Histoire.

     

    Il est permis de se demander si un tel type de conscience se manifestait dans l’Antiquité non chrétienne. Il ne semble pas qu’il y eût, avant l’universalisation de la Weltanschauung galiléenne, ce dépassement, cet outre passement qui caractérise le lutteur convaincu de sa bonne foi et désireux de convertir autrui, avec cette obsession clinique de la trahison, des autres et de soi-même. On pourrait certes excepter de la communauté philosophique grecque, très bigarrée, les disciples d’Antisthène, ces cyniques, qui privilégiaient la physis au Nomos, et convoquaient la parrhèsia, la franchise qui invite à tout dire, pour lancer des invectives à l’égard des pouvoirs en place, ce qui leur valut maints déboires sous l’Empire, sous lequel leur mouvement avait pris une tournure populaire. Julien n’hésitait pas à mêler dans le même mépris cette Cynicorum turba, munie du tribôn et de la besace, et les « Galiléens incultes », auxquels ils ressemblaient beaucoup. Les autres philosophes se contentaient d’une saine abstention, ou, de façon plus risquée, de jouer les conseillers des Princes.

     

    Pour le reste, les Anciens se battaient pour défendre les dieux du foyer, de la cité, de la communauté, ils n’avaient en vue que les intérêts de cette dernière, et si la pensée plus ample d’un ordonnancement impérial leur vint à l’esprit, à la suite des Perses et des Égyptiens, ce fut comme la donnée d’un état de fait, comme le fruit d’un arbre immense à l’ombre duquel devaient s’ébattre, dans leurs particularismes, les peuples variés constituant l’humanité. Nulle part, à nul moment, le Grec et le Romain n’apparaissent comme des sectateurs d’une religion impérieuse. À l’intérieur de la Cité s’affrontaient des factions, les potentes, les humiliores, populo grasso et populo minuto de toujours. Mais il s’agissait de combat politique, d’organisation de l’État, un État organique, lié par mille liens au tissu sociétal, et qui s’incarnait particulièrement dans des hommes, qui étaient des orateurs et des soldats. On recrutait des clientèles, on se faisait des armées privées. Ces solidarités verticales dureraient autant que l’ancien monde, jusqu’à la première moitié du XVIIe siècle, où les puissants, dans une sorte de protection déclinée jusqu’au bas de l’échelle sociale, unissaient les membres de la société, pour parfois les mobiliser contre un État de plus en plus froid et autonome.

     

    Il s’avère néanmoins qu’apparaissaient dans les temps antiques des revendications souvent rapportées par les marxistes dans leur désir d’asseoir leur usurpation sur les traces du passé. Par exemple, dans les pages consacrées à Tibérius et Caius Gracchus, Plutarque reproduit un discours censé avoir été prononcé par Tibérius : « Les bêtes, disait-il, qui paissent en Italie ont une tanière, et il y a pour chacune d’elle un gîte et un asile; mais ceux qui combattent et meurent pour l’Italie n’ont que leur part d’air et de lumière, pas autre chose. Sans domicile, sans résidence fixe, ils errent partout avec leurs enfants et leurs femmes, etc. » Comment éviter l’émergence de l’espoir quand il faut trouver du pain?  Les fils de Cornélie étaient assez grands pour se vouer au parti populaire et en perdre la vie. Leur stoïcisme les élevait à la conception d’un cosmos garant du Nomos de la Cité, et le caractère subversif de leur combat n’était qu’une tentative de restitutio de l’Urbs, des Temps anciens où le Romain était paysan et libre. On sent dans cette lutte héroïque cet élan de justice qui sert de modèle pour l’éternité aux révoltés de tous temps. Cependant, les Gracques sont d’ici-bas, de la portion sublunaire de l’univers, commune aux choses périssables et imparfaites, et l’édifice qu’ils convoitent, qui participe de la bonne vie en quoi Aristote voit le télos de l’action politique, n’est pas une cathédrale pointée vers le ciel. Leur silhouette ne ressemble pas à celles des saints peints par Gréco, longilignes, tendus presque à rompre vers un point du Ciel ouvrant des vertiges angoissés. Les Gracques ont combattu pour remplir le devoir de leur gens, de leur lignée, celle qui leur enjoignait de défendre le peuple, d’en être le protecteur. Logiquement, César reprendra le flambeau, et assurera les fondements d’un État plus apte à unir les membres de l’Empire.

     

    Depuis la Renaissance, il est d’usage d’invoquer l’exemple de la geste politique antique pour inspirer l’action. Mais la filiation est rompue, la parenté apparente de la politique contemporaine avec celle de l’antiquité est illusoire.

     

    La frontière, on le sent bien, tient à peu de choses, mais séparent deux contrées entièrement différentes. Augustin savait parfaitement que Cité terrestre et cité de Dieu étaient intimement mêlées, et qu’il n’était pas si loisible de les identifier au sein d’une vie qui se nourrit de tout ce qu’elle trouve pour se justifier. Tant que la notion de Res publica subsista, et quand elle revint dans la conscience des hommes, les luttes politiques manifestèrent la propension des clans, des ordres, des classes, des partis, à se projeter dans l’avenir pour établir ce que d’aucuns considéraient comme l’ordre légitime des choses. Chacun au demeurant, même dans les siècles « obscurs » où, selon toutes les apparences, le christianisme appuyait son empreinte, ne remettait en cause l’ordre naturel qui s’appuyait sur l’inégalité, la hiérarchie, l’occupation justifiée de places prédestinées qu’il ne s’agissait seulement que de consolider ou d’élargir. Les potentialités subversives du christianisme, un christianisme au fond vulgaire, comme il y eut un marxisme qu’on appela tel, n’apparaissaient pas, parce qu’on scindait nettement le bas et le haut de la Création, et que les fins de la Justice divines, parfois impénétrables, étaient reportées à plus tard, si possible après la mort, ou à la fin des Temps.

     

    Le militant se trouvait donc chez les orants, les moines. Les évêques, avant le Concile de Trente, ressemblent plus à des Princes qu’à des Bergers soucieux de l’éducation de leur troupeau. L’engagement du croyant, hormis lors de ces brusques flambées que furent les Croisades, qui n’étaient pas si fréquentes, au fond, mis à part l’Espagne de la Reconquista (période où se développe la figure du militant, telle qu’elle se réalisa plus tard dans la vocation de l’hidalgo Ignace de Loyola), était de bien tenir son rôle dans l’économie divine. Cette idée subsiste chez Calderon, dans sa pièce El Gràn teatro del mundo, par exemple, où pauvre, riche, seigneur etc. ont leur rôle dévolu de toute éternité.

     

    La tension néanmoins prégnante dans l’anthropologie humaniste et baroque, qui sourd parfois de minorités marquées par la structuration mentale lentement instaurée par des siècles de christianisme, tension qui se manifeste spectaculairement dans l’éruption de mouvements millénaristes, comme les mouvements paysans allemands, comme celui des anabaptistes, ou ceux des « Niveleurs » anglais, et même chez les jansénistes qui, bien que fondamentalement dans l’incapacité de proposer un programme politique, comme l’avaient fait les Réformés, ont durablement marqué de leur empreinte militante le paysage politique de la France des XVIIe et XVIIIe siècle, et bien plus tard, n’a pas été contrarié par l’adoption, au sein des grands commis de l’État, des principes machiavéliens de la Raison d’État, selon lesquels la fin justifie les moyens.

     

    L’ironie voudra que ce soit l’être le plus hostile à l’ancien monde, Lénine, le fondateur du parti bolchevik, qui synthétise ces traditions pour unir l’enrégimentement jésuitique et le prophétisme apocalyptique. La puissance d’un programme comme celui contenu dans Que faire ? ne peut s’apprécier que si l’on y distingue la jonction électrique entre le formidable effondrement des valeurs provoqué par l’avènement de l’ère moderne et l’exacerbation d’un vieux fonds mystique, particulièrement présent en Russie orthodoxe, un peu moins dans l’Europe occidentale agnostique.

     

    On découvrit il y a quelques décennies, au moment où mouraient ce que l’on nomma les « grands récits » que l’entrée en militantisme possédait de nombreux points communs avec la conversion, l’entrée en religion. Mais on ne put le dire que parce qu’on en était sorti, et que dorénavant on pouvait s’en moquer, comme du pape et des curés de village. Le militantisme de masse devint aussi étrangement suranné que les voix nasillardes de la T.S.F. et les chapeaux mous. Les sociologues et les ethnologues s’en donnèrent à cœur joie. On perdit même l’habitude de coller des affiches sur les murs. Et la production de « Grands récits » fut remplacée par les stories telling, les compagnons de route par des publicistes girouettes, et les électeurs par des consommateurs d’offres politiques. Dans le même temps, les rivalités générées par la Guerre froide, qui avaient donné l’illusion qu’un choix était possible, devenaient des options de gouvernance.

     

    Il faut une perspicacité hors du commun pour saisir du premier coup d’œil, qui vaut un instinct, la vérité d’un système, surtout quand on est plongé dans les conditions horribles qui étaient celles d’Alexandre Zinoviev, lorsqu’il avait 17 ans sous Staline. Du moment où la vue prend un peu de hauteur, qui n’est certes pas celle de Sirius, la question de savoir ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire se pose autrement que lorsque elle reçoit l’écume des événements, à la manière des journaux.

     

    Dans le premier chapitre du Voyage au bout de la nuit, Céline nous plonge dans une conversation de café du commerce. Bardamu et Ganate, anticipant les anti-héros beckettiens, parlent de tout, et changent d’avis en un temps record. La critique célinienne va loin. Car ce qui est dénoncé, dans le Voyage, ce n’est pas seulement la guerre, la colonisation, l’Amérique et la misère. Ce serait déjà beaucoup, mais dès les premières lignes, on saisit l’angle par lequel il faut aborder le monde contemporain, celui qui, faisant appel aux masses, est responsable de dizaines de millions de mort et de l’assassinat d’une civilisation comme on en a rarement vu dans l’Histoire. Ce n’est pas un hasard que Le Temps, le quotidien à succès de la belle époque, vienne à nourrir la conversation. Comme écrit Camus dans La Chute, un autre livre sans concession lui aussi, « Une phrase leur [les historiens futurs] suffira pour l’homme moderne : il forniquait et lisait des journaux. ». Une remarque de Ganate nous met au fait, comme pour nous offrir une clé : « … Grands changements ! qu’ils racontent. Comment ça ? Rien n’est changé en vérité. Ils continuent à s’admirer et c’est tout. Et ça n’est pas nouveau non plus. Des mots, et encore pas beaucoup, même parmi les mots, qui sont changés !… » En plus de Schopenhauer, il y a de L’Ecclésiaste et du Pascal chez Céline. Autant dire que c’est un moraliste de notre Temps de détresse, comme Cioran. Avec seulement de plaisir que le style.

     

    Venons-en justement, au style. Car il faut bien l’avouer, la dose d’optimisme pour faire d’un homme un militant est à peu de chose près la même que pour en faire un imbécile. L’aristocrate, comme le guerrier, sait bien lui, que le cœur de ce phénomène somme toute étrange qu’est l’existence est de savoir mourir élégamment. Tout le reste est du commerce et de la réclame.

     

    Comment prendre néanmoins les situations les plus désagréables ou les plus insupportables ? Les cas extrêmes ne semblent pas offrir beaucoup le choix. Ce même Zinoviev, dont l’autobiographie est un bréviaire pour tout dissident, sauva sa vie plusieurs fois par des gestes dont le génie venait de leur folie même. Ainsi, au sortir de la Loubianka, escorté par deux hommes du N.K.V.D., leur faussa-t-il compagnie de la manière la plus improbable, les sbires ayant oublié quelque chose et l’ayant laissé provisoirement sur place, dans la rue, ne pensant pas qu’il eût l’audace de partir. Ce qu’il fit, sans le sou, sans rien, pour suivre un destin picaresque. Et tragique.

     

    Alexandre Zinoviev, paradoxalement, ne ménageait pas sa peine lorsqu’il s’engageait dans une activité. Il fut bon travailleur, bon soldat, héroïque même. Comme Jünger fut un bon guerrier. Ce qui distingue le rebelle véritable est sa pensée de derrière. Pascal en était un. Le non que l’on porte au fond de soi est peut-être plus efficace que toute agit-prop. Ne fût-on qu’un seul à dire non, la machine est déjà grippée. L’absence d’assentiment, la passivité, la désertion morale sont bien plus dangereux pour le totalitarisme, dur ou mou, que l’attaque frontale, qui ne fait souvent qu’alimenter la propagande en retour et conforter la police. À la longue, ce travail de sape, la multiplication des refus intimes, parfois prudemment partagés avec des happy few, travaille le sol qui soutient l’édifice. Car tout totalitarisme ne vise pas que les corps : il ne peut subsister si ses membres n’adhèrent pleinement à ses rêves, qui ne sauraient être que désirables.

     

    La logique du monde étant régie, depuis des millénaires, par une destruction de plus en plus accélérée de la Tradition, le chaos est le point terminus de son évolution, ce qui peut néanmoins offrir des perspectives sportives permettant aux âmes guerrières d’exceller.

     

    Claude Bourrinet http://www.europemaxima.com