Des antiracistes manipulés par l'URSS
Patrick Gaubert, le président de la Licra, est furieux. En mai dernier, hommage à été rendu à l'Arc de Triomphe à Simon Petlioura, le « père de la nation ukrainienne ».
Or celui-ci aurait été un fieffé antisémite. Ce qui est faux. Mais comme c'est sur ce mythe que s'est fondée la Licra il y a bientôt 80 ans ...
Le jeudi 25 mai dernier, après une célébration sur la tombe de Simon Petlioura au cimetière de Montparnasse, une cinquantaine de personnes se sont retrouvées à 17 h 30 sous l'Arc de Triomphe entourées par un confortable dispositif policier alors qu'une vingtaine de militants de la Licra étaient tenus à distance. Au cours de la cérémonie, organisée par l'ambassade d'Ukraine à Paris, deux gerbes ont été déposées sur la tombe du soldat inconnu, dont une par l'ambassadeur, Yuriy Sergeyev. Etaient également présents des représentants du Comité représentatif de la communauté ukrainienne en France et de la Bibliothèque Simon Petlioura. Après la sonnerie aux morts ont retenti l'hymne ukrainien (« L'Ukraine n'est pas encore morte » ) et La Marseillaise. Le lendemain était organisé un colloque sur « La place et la personnalité de Simon Petlioura aujourd'hui » avec la participation de nombreux universitaires ukrainiens.
Le président de la Licra hurle au « scandale mémoriel »
Le 26 mai au soir, Le Monde publiait une tribune libre du président de la Licra, Patrick Gaubert, par ailleurs député UMP au Parlement européen, ancien chargé de mission auprès de Charles Pasqua au ministère de l'Intérieur et membre du comité consultatif de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). N'ayant pu obtenir du ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, qu'il consigne l'ambassadeur d'Ukraine à sa résidence plutôt que d'aller «profaner» la tombe du Soldat inconnu, Patrick Gaubert prenait les lecteurs du Monde à témoin de ce « scandale mémoriel » organisé pour le 80e anniversaire de la mort à Paris de Simon Petlioura, qui fut l'otaman - le commandant en chef de l'armée - et le président de la République ukrainienne indépendante (1919) jusqu'à ce que ses troupes soient, l'année suivante, battues par les forces bolcheviques :
« Nous sommes tout simplement en train d'assister à un viol de la mémoire, à un déni d'histoire, à un second assassinat, posthume celui-là, des victimes juives [...] Tous les Français doivent savoir qu'un assassin est honoré sur le sol même de la République, dans ses lieux de mémoire et de paix. Cela, la Licra ne le tolère pas. Au nom de son histoire et de toutes celles et tous ceux qui périrent de la folie des hommes. » On passera le couplet sur les « relents nauséabonds » que Gaubert sent exhaler de l'Est de l'Europe.
Pourquoi une telle hargne à l'égard d'un hommage rendu à un Ukrainien dont peu de Français connaissaient jusqu'alors l'existence ? Parce qu'un antisémite, fût-il obscur, n'a pas à être honoré sur la tombe du Soldat inconnu ? C'est ce que Gaubert voudrait faire croire, et c'est même ce qu'il est obligé de faire croire. Car si le mythe de l'antisémitisme de Simon Petlioura s'effondre, mythe forgé dans les années qui ont suivi la Révolution d'Octobre par la propagande soviétique, c'est la Licra elle-même qui vole en éclats et se voit obligée de reconnaître qu'elle a été créée sur une imposture.
Abattu de sept balles devant la librairie Gibert
Le 25 mai 1926, Simon Petlioura, en exil à Paris, déjeune chez Chartier puis se dirige vers le boulevard Saint-Michel. A la hauteur de la librairie Gibert, un homme l'apostrophe. Il se retourne et n'a que le temps d'apercevoir un homme pâle d'une quarantaine d'années qui braque un pistolet en sa direction. Sept balles l'atteignent dont une au cœur, mortelle.
L'assassin, aussitôt arrêté, s'appelle Samuel Schwartzbard. Il est horloger, est né à Smolensk (Biélorussie), dit avoir vécu en Ukraine où sa famille, israélite, aurait été décimée par un pogrom, ce qui justifie son acte. Il ne dit pas, mais la police va bientôt le découvrir, que son idéalisme doit être tempéré par une condamnation à quatre mois de prison pour cambriolage en Autriche. Il a aussi été expulsé de Hongrie pour « raisons administratives ». Il est arrivé en France en 1911 à l'âge de 25 ans et s'y est marié.
Son procès s'ouvre le 18 octobre 1927 devant les assises de la Seine. Me Henry Torrès le défend, militant socialiste, celui-ci a rejoint de Parti communiste français au congrès de Tours (1920) puis l'a quitté pour fonder une organisation dissidente. Quatre ans plus tôt, il a déjà obtenu l'acquittement de l'anarchiste Germaine Breton, jugée pour l'assassinat, qu'elle avait reconnu, du responsable monarchiste de l'Action française, Marius Plateau. L'année suivante, il a aussi sauvé la tête de l'anarchiste italien Ernesto Bonomini, meurtrier de Nicola Bonservizi, représentant à Paris du régime fasciste de Benito Mussolini. Me Torrès va encore faire des miracles.
L'assassin acquitté sous une salve d'applaudissements !
Il peut cette fois encore s'appuyer sur une importante campagne de presse. Elle est animée par Bernard Lecache. Celui-ci, qui avait également rallié le PCF en 1920 avant de revenir dans le giron du Parti socialiste et est réputé pour ses diatribes antimilitaristes, mobilise ses réseaux. Quelques jours avant le procès, le ton est donné par L'Humanité qui titre : « La tragédie juive d'Ukraine » et prend la défense du « meurtrier du brigand Petlioura ». Lecache crée aussi pour l'occasion une nouvelle organisation, la Ligue contre les pogroms, à laquelle adhèrent aussitôt nombre de personnalités parmi lesquelles Albert Einstein, Léon Blum, Maxime Gorki ou Victor Hasch.
Me Torrès a convoqué quatre-vingts témoins, tous plus illustres les uns que les autres. Aucun n'a assisté à un pogrom, mais la plupart savent, de source sûre, qu'ils ont eu lieu et que Petlioura les a ordonnés. Samuel Schwartzbard lui-même s'emmêle dans ses récits historiques, confondant lieux, dates et protagonistes. Le 26 octobre 1927, le verdict tombe pourtant sous une salve d'applaudissements : acquitté ! La partie civile, qui n'en croit pas ses oreilles, doit se contenter de deux francs de dommages intérêts ! Même pas de quoi payer les obsèques !
« Dans les jours qui suivent, rappelle la Licra, la Ligue contre les pogroms se transforme en Ligue internationale contre l'antisémitisme (Lica) », qui deviendra la Licra, avec un « r » pour racisme, en 1979. Les statuts de l'association seront déposés en février 1928 et Bernard Lecache en prendra la présidence jusqu'à sa mort en 1968.
Dans le comité d'honneur de la Lica nouvellement créée figurent alors, outre Blum et Einstein qui poursuivent la lutte, les écrivains Romain Rolland et André Malraux, l'ancien président du Conseil et futur président de l'Assemblée nationale, Edouard Herriot, le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, qui recevra en 1951 le prix Nobel de la paix, etc. Sigmund Freud, Tristan Bernard et beaucoup d'autres la rejoindront plus tard.
La leçon d'histoire de l'ambassadeur d'Ukraine
Or tous ont été abusés, à l'exception bien sûr de quelques-uns qui savaient mais qui n'ont rien dit en raison de la nécessité qu'il y avait alors, pour le clan pro-soviétique, d'accréditer la thèse de l'antisémitisme de Simon Petlioura. Patrick Gaubert sait-il sur quelle mystification l'organisation qu'il dirige s'est créée ?
Yuriy Sergeyev, l'ambassadeur d'Ukraine, a écrit au président de la Licra. Il ne doute pas de son honnêteté. Il pense qu'il manque d'informations comme lui-même en a été privé jusqu'aux années 1990, lorsqu'il a découvert que les « stéréotypes négatifs sur la personnalité de Simon Petlioura ont été imposés par l'URSS en France par l'entremise du Komintern », où « elles restent vivaces ». Car l'ouverture des archives du KGB, le travail mené par les organisations indépendantes de défense des droits de l'homme, les recherches historiques menées par les Ukrainiens dans le but de retrouver leur mémoire identitaire vont toutes dans le même sens : « Le procès de [Schwartzbard] a été instrumentalisé par les autorités soviétiques, par l'intermédiaire du Komintern, pour compromettre l'idée de l'indépendance ukrainienne en remettant sur l'un de ses artisans la responsabilité des persécutions des Juifs, tandis qu'elles avaient pour seule cause la politique officielle d'antisémitisme, partie intégrante de l'idéologie de l'Empire Russe. » « Dans les années 1920, ajoute-t-il, d'aucuns en ont profité pour contrecarrer la renaissance de l'Ukraine indépendante et semblent en user aujourd'hui pour empêcher le retour de l'Ukraine à la démocratie et à l'Europe. »
Il y a donc le mythe, auquel Simone Signoret n'a pas peu contribué avec son roman Adieu Volodia, et la réalité, très différente, établie désormais par de nombreux travaux dont ceux de Leon Poliakov ou de l'écrivain Issak Babel, qui, tué par le KGB, a témoigné que les pogroms, s'ils eurent effectivement lieu et furent effroyables - peut-être 100 000 morts - furent essentiellement dus aux troupes bolcheviques et, dans une mesure infiniment moindre, aux anarchistes de Nestor Makhno et aux forces monarchistes (les Russes blancs).
De plus, comme le rappelle le député ukrainien Andryï Shkil, l'éphémère gouvernement de Simon Petlioura (treize mois,) comprenait plusieurs juifs, dont Salomon Goldelman, en charge des Affaires nationales pour les minorités, ou Abraham Revoutsky, en charge des Affaires juives, poste n'ayant évidemment rien à voir avec le Commissariat aux Affaires juives de sinistre mémoire mais s'étant révélé nécessaire au bon gouvernement d'une nation aux peuples composites.
Mieux encore : lorsqu'il apparaît que certain, éléments de l'armée ukrainienne, échappait à son contrôle dans la situation pour le moins confuse qui était celle de l'Ukraine à l'époque, se livraient à des exactions à caractère antisémite, Simon Petlioura ordonna que les coupables soient retrouvés et châtiés. « Le Directoire [dirigé par Petlioura], écrit O. Kochtchouk dans Ukraine Europe, se livra à une intense propagande « anti-pogromiste » destinée à ses propres troupes et à toute la population de l'Ukraine. Le 30 juillet 1919, le Directoire offrit une forte somme à la communauté juive pour les victimes des pogroms. le 18 août 1919, l'otaman en chef confirma l'application de la peine de mort pour acte de pogrom », tous faits établis et recoupés par de nombreuses sources, dont les archives diplomatiques enfin soustraites des caves où les services soviétiques les avaient entreposée.
C'est donc sur une imposture, ou à tout le moins sur un malentendu, que la Licra a été fondée, occultant jusqu'au fait que, depuis Paris où il essaya encore, jusqu'en 1924, d'organiser la Résistance, Simon Petlioura n'eut de cesse d'en appeler à l'arrêt des persécutions contre les juifs. Puisque Gaubert est un adepte de la repentance, le temps est peut-être venu pour l'organisation qu'il préside de faire son mea culpa.
Gabriel Glauque Le Choc du Mois Juillet/Août 2006