L'Aide médicale d'État autorise les immigrés clandestins à se faire soigner en France gratuitement, sans risquer aucun contrôle de leur situation. Le système est si confortable que les Français aimeraient être aussi bien traités.
Soigner un malade, fut-il immigré clandestin, c'est-à-dire un étranger entré (et installé) illégalement sur le territoire français, est, sans doute aucun, un devoir non seulement de charité, mais encore de simple humanité. L'Église défend l'une et l'autre raison. Mais si la protection sociale ainsi offerte - gratuitement - devient un automatisme, voire une combine, elle peut, en étant donnée au premier venu, et notamment à celui de l'extérieur, vicier tout un système, les coûts dépassant rapidement le financement qui est celui de notre Sécurité sociale.
Le signe emblématique de cet état de fait s'appelle l'aide médicale d'État (AME), qui a été mise en place, à compter du 1er janvier 2000, par Bernard Kouchner et Martine Aubry, en remplacement de l'aide médicale gratuite destinée aux sans-papiers, et qui était régie par les départements. Gérée par la Direction générale des affaires sociales, en accord avec la Caisse nationale d'assurance maladie, l'AME prend en charge, depuis cette date, les dépenses médicales des étrangers en situation irrégulière et sans ressources résidant en France.
Plus précisément, cette aide donne droit à la prise en charge à 100 % (avec dispense d'avance des frais), aux soins médicaux et aux prescriptions médicales, que ce soit chez le médecin ou à l'hôpital, dans la limite des tarifs conventionnels ; mais également au forfait journalier en cas d'hospitalisation. La grossesse et les soins aux enfants font évidemment partie des "pathologies" prises en charge - de même que l'interruption volontaire de grossesse, c'est-à-dire l'avortement. En conséquence, les sommes énormes allouées à cette aide médicale aux clandestins sert aussi la culture de mort !
Justifier de son identité sans papiers...
Les conditions que doit remplir le bénéficiaire de l'AME sont simples: résider en France depuis plus de trois mois, sur présentation mensuelle d'un justificatif de présence (inscription scolaire ou facture d'hôtel, carte d'abonnement RATP, voire visa... expiré); et disposer de ressources inférieures au plafond fixé pour la CMU complémentaire (621 € mensuels pour une personne, 1 800 € pour six personnes, en métropole, au 1er juillet 2008). La demande, enfin, doit être renouvelée chaque année. En outre, cette aide peut être attribuée, sur décision du ministre chargé de l'action sociale, à certaines personnes de passage en France. Quant aux clandestins qui ne peuvent pas justifier d'une présence de plus de trois mois, ils peuvent néanmoins bénéficier d'une prise en charge des soins d'urgence. L'étranger qui en fait la demande doit justifier de son identité - pour un clandestin, supposé "sans-papiers", la chose peut ne pas manquer de sel... Pour ce faire, l'intéressé peut présenter une carte d'identité, un permis de séjour périmé, ou tout autre document « de nature à attester l'identité du demandeur et celle des personnes à sa charge », telle une carte d'étudiant, ou l'« attestation d'une association reconnue ou d'un professionnel de santé prouvant la bonne foi du demandeur en cas d'impossibilité de produire un document probant ».
Qu'il s'agisse des ressources ou des justificatifs, on peut s'interroger sur la réalité (ou la véracité) des documents fournis. Qu'en est-il, en effet, du calcul de ressources pour des gens dont le travail au noir est officiellement reconnu, dans la plupart des cas, comme le principal revenu ? De même, si une carte d'identité bénéficie aujourd'hui de moyens de contrôle, il n'en est pas de même pour une carte d'étudiant, ou tout autre attestation. Encore ces justificatifs - selon un rapport publié en 2003 par l'Inspection générale des Affaires Sociales, qui comptabilisait pour cette année-là quelque 170 000 bénéficiaires - sont-ils susceptibles d'être remplacés par une déclaration sur l'honneur. Dans la capitale, 40 % des attestations de résidence et 99 % des justificatifs de ressources seraient ainsi suppléés. On comprend qu'il ne soit guère difficile pour un clandestin de bénéficier de cette AME puisque, en définitive, il n'est besoin ni de papiers, ni de ressources déclarées ; et qu'en pratique, il soit aussi aisé de passer la frontière et de fournir facilement ces attestations, pour se faire soigner aux frais de la France lorsque l'on est atteint d'une maladie lourde. Certains petits malins bien Français tentent même de se faire passer pour clandestins afin de bénéficier de l'AME, plus intéressante que la CMU !
Point n'est besoin de grands discours pour comprendre les abus que favorise ce système d'aide. En 2006, la dotation officielle au titre de l'AME était de 233,5 millions €. (Sans parler des 8,5 milliards au total de surcoût que représente l'immigration pour la protection sociale, selon les calculs du professeur Jacques Bichot). Une somme largement insuffisante, puisque la dette de l'Etat fin 2005, soit après cinq ans d'AME, dépassait les 400 millions. De ce fait, l'AME est devenue la part la plus importante des systèmes complémentaires aux services généraux de l'assurance maladie (les deux autres étant l'accès à la protection maladie complémentaire et le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante). L'an dernier, elle représentait 58,6 % de cette complémentarité ; cette année, elle s'est hissée à 80,5 % !
Olivier Figueras monde & vie - 20 septembre 2008
Migrations familiales
L'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) a rendu, le 10 septembre dernier, son rapport annuel sur les « Perspectives des migrations internationales ». Il n'y est, bien sûr, question que d'immigration légale. Mais la tactique du regroupement familial favorise l'entrée aussi bien d'étrangers en règle que de clandestins. L'OCDE note qu'en France, 2006 a été une année de stabilisation avec quelque 135 000 titres de séjour accordés. Mais il y a eu, dans ce cadre général, une forte augmentation (60 %)de migrations familiales. Or, la nouvelle loi relative à la maîtrise de l'immigration, entrée en vigueur le 20 novembre 2007, stipule que ce regroupement familial des étrangers demandeurs doit être soumis à un test évaluant leur connaissance de la langue française et des valeurs de la République. A en juger par l'actualité récente, il n'apparaît pas que ce contrôle soit toujours très suivi ...
- Page 75
-
-
Quand la communauté du renseignement se rebelle contre la stratégie suicidaire de la France en Syrie
Selon un ex-officier des renseignements français, « la crise syrienne a réveillé l’ours russe… Assad tiendra et notre politique doit changer ».
A. D., ex-officier de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure française) parie sur le temps pour rattraper les erreurs commises par le gouvernement français, dans la gestion de la crise syrienne, tout au long de ces deux dernières années. De retour de Beyrouth (il refuse d’avouer s’être rendu en Syrie et y avoir rencontré des responsables de différents services de sécurité), il énumère les erreurs commises par la France :
- Le ralliement à la politique américaine d’alliance avec les islamistes, sans tenir compte des intérêts historiques de la France en Syrie.
- Le renoncement à la précieuse mine syrienne de renseignements que lui fournissaient les services anti-terroristes syriens et qui protégeaient la France du terrorisme depuis de nombreuses années.
- Le pari irréfléchi sur la chute du régime de Bachar al-Assad, un pari qui a réveillé l’ours russe acculé, depuis le précédent libyen, à défendre férocement ses intérêts. Il en résulte une nouvelle guerre froide qui met à mal les fragiles intérêts de la France à travers le monde.
- La perte de la coopération stratégique avec la Syrie, en matière de sécurité et de politique au profit d’une situation dont le dénouement est amer dans le meilleur des cas et dans le pire des cas, un immense chaos qui risque de ne pas épargner les rues de Paris dont les banlieues contiennent une forte concentration de populations musulmanes.
Que fait un ancien officier de renseignement français au Liban et à proximité de la frontière syrienne ?
Réponse d’un autre expert des politiques sécuritaires occidentales : « Chez vous, un officier des renseignements à la retraite devient soit un fermier soit un intellectuel soit un commerçant soit un fou. En France, continue l’expert, il devient chercheur, par engagement personnel ou met ses compétences au service de l’un des nombreux instituts ou cabinets d’experts qui offrent leurs services de consultants au pouvoir en place ou à l’opposition ou bien à des parties influentes dans les deux camps. »
Notre officier retraité A. D., devenu chercheur, estime que la France a commis en Syrie des erreurs stratégiques et stupides, car elle est entrée dans un jeu (contre le régime syrien) dans lequel elle est perdante d’avance et dont les seuls gagnants, s’il en est, sont les Américains. Quant aux pertes, la France en aura la part du lion si le régime triomphe de ses ennemis armés et financés par les pays de l’Otan et des monarchies du Golfe.
À propos de la coopération franco syrienne dans le passé, l’ex-officier français confie : « L’escalade politique entre la France et la Syrie n’est pas un problème en soi, car entre États, il n’y a ni amitié ni animosité éternelles ; seuls les intérêts décident de la nature des relations. La grande perte de la France est la perte de sa coopération sécuritaire avec la Syrie ». Il ajoute : « Les services de sécurité syriens ont épargné à la France, à plusieurs reprises, de terribles catastrophes que des terroristes d’origines arabes s’apprêtaient à provoquer. Seuls les renseignements fournis par les services syriens nous ont permis de les déjouer et de sauver des vies innocentes. »
La parole est toujours à l’ex-officier :
« Jusqu’aux débuts de la crise actuelle, la coopération continuait encore et des officiers des deux côtés coopéraient étroitement contre le terrorisme international. Mais la stupidité des politiciens français a acculé les services anti-terroristes syriens à mettre fin à cette coopération. Je ne les blâme pas ! Comment peut-on mettre sur la liste des sanctions françaises et européennes un officier (Hafez Makhlouf) blessé lors d’une opération contre des terroristes qui visaient les ambassades française et américaine à Damas ? ! Imaginez quelqu’un qui sauve nos enfants d’une mort certaine, et au lieu de l’en remercier, notre diplomatie le traite de terroriste et le met tel un criminel sur une arrogante liste de sanctions. »
Et de poursuivre : « Hafez Makhlouf et bien d’autres officiers syriens ont mené à bien des missions dont les retombées positives ne se sont pas limitées à la seule Syrie, mais ont bénéficié au peuple français et à d’autres peuples de l’est et de l’ouest. Je ne divulguerai pas un secret en disant que cet homme a reçu les remerciements de grands groupes pharmaceutiques pour avoir démantelé des fabriques clandestines de faux médicaments et pour avoir arrêté de grands trafiquants de drogues qui utilisaient la filière syro-libanaise pour écouler leurs marchandises de mort en Europe et surtout en France. Au lieu de les remercier, nous les avons mis sur la liste des sanctions ! »
La source française continue : « Nous avons obtenu, grâce à la coopération avec la Syrie, de précieux renseignements qui nous ont conduits à déjouer en 2008 un plan terroriste qui aurait fait des milliers de morts dans le métro de Paris. Les services de renseignement syriens ont obtenu leurs précieux renseignements après avoir arrêté, par le colonel Makhlouf, un groupe des plus dangereux terroristes d’Al-Qaïda dont Aymen el Daher alias Khaled Elkashef, Abdallah Azzam (qui n’a rien à voir avec le célèbre théoricien palestinien, aujourd’hui disparu, qui fut le mentor de Oussama Ben Laden et qui portait le même nom), Ghassan Abou Qassab, Abdelhakim Qassem, Naaman el Mandou, Layth Badran et le plus dangereux d’entre tous, Asaad Hourieh le chef de l’opération avortée du « métro de Paris » qui aurait fait des milliers de morts si elle n’avait pas été déjouée à temps. Cette opération, Al-Qaïda a mis des années pour la mettre au point, et ce groupe a été arrêté sur le chemin de la France, à travers la Syrie et le Liban et son aéroport de Beyrouth. Ils s’y rendaient pour mettre à exécution leur plan terroriste. »
Les officiers des services anti-terroristes français avaient presque élu domicile à Damas. Ils s’entretenaient avec les chefs des services de sécurité syriens. « Ces chefs vont-ils continuer à coopérer avec nous contre le terrorisme qui cible nos civils en France, alors que nous les avons mis sur la liste noire et leur avons interdit l’entrée de notre territoire ? ! », s’interroge cet ancien officier français qui connaît sur les bouts des doigts ce dossier ? « Les politiciens français sont-ils raisonnables quand ils croient qu’ils rendent service aux aspirations légitimes du peuple syrien en soutenant des terroristes, ceux-là même que nous avons combattus côte à côte avec nos homologues syriens ? L’État syrien nous a sauvés des attentats terroristes et nous sommes en train de les remercier en finançant des attentats terroristes sur leur territoire ! Est-ce une politique raisonnable ? ! »
Cette analyse désabusée de cet ancien officier français, qui a l’aval d’une écrasante majorité des services anti-terroristes français, finira-t-elle par peser sur les décideurs politiques à Paris et les amener à changer d’orientation avant qu’il ne soit trop tard ?
A cette question, l’ancien officier français répond : « Oui ! Il y a beaucoup de gens raisonnables dans les services français. Ils sont capables de peser sur le cours de l’actuelle politique française à l’égard de la Syrie, surtout après le fiasco du scénario libyen conçu et mis en œuvre par Paris et Londres. La position russe finira par conforter le camp des pragmatiques et mettra dans l’embarras les jusqu’au-boutistes qui cherchent à satisfaire les États-Unis. D’autant plus qu’il est devenu clair que le régime syrien tiendra, que le soutien russe au régime n’est pas conjoncturel : il est stratégique, constant et ne changera pas. C’est à nous de changer et il faut qu’on le fasse pour l’intérêt même de la France ».Arabi Press http://www.voxnr.com -
Les héros du 20 juillet 1944
Le Figaro Magazine - 24/01/2009
Au moment où sort « Walkyrie », le film qui met en scène l’attentat raté contre Hitler, de nombreux livres brossent le portrait de Stauffenberg et relatent un complot qui aurait pu changer le cours de l’Histoire.
Le 20 juillet 1944, Claus von Stauffenberg décolle de Berlin pour se rendre au quartier général de Hitler, la Wolfschanze (« la Tanière du loup »), en Prusse-Orientale. Alors chef d’état-major du commandant en chef de l’armée intérieure, le colonel doit assister à une conférence d’état-major présidée par le Führer. Son aide de camp transporte avec lui deux charges d’explosif. A leur arrivée, ils apprennent que la réunion a été avancée d’une demi-heure. Il faut faire vite. Déclarant vouloir se changer, Stauffenberg s’isole avec son aide de camp. L’irruption d’un sous-officier dans la pièce où ils se sont installés les empêche d’activer la totalité de l’explosif. Dans la salle de conférences, l’officier dépose sous la table la serviette qui contient la bombe, puis, au prétexte d’un appel téléphonique, quitte la réunion, puis la Tanière du loup.
Quelques minutes plus tard, c’est l’explosion. Treize personnes seront tuées ou gravement blessées. Parmi les rescapés, il y a Hitler, à peine contusionné. Rentré à Berlin, Stauffenberg, persuadé d’avoir atteint sa cible, déclenche l’opération « Walkyrie » : un plan de prise de contrôle du Reich par l’armée en cas d’insurrection. Certaines unités, commandées par des officiers liés au complot, marchent aussitôt. Les autres attendent la confirmation : Hitler est-il vraiment mort ? Il ne faudra que quelques heures pour que le dictateur prenne la parole à la radio.
Le soir même, Stauffenberg est appréhendé et fusillé, en compagnie des têtes du complot. Dans les jours qui suivent, 200 conjurés, civils ou militaires, sont arrêtés, torturés, condamnés à mort. Leurs femmes seront emprisonnées, leurs enfants, regroupés dans des centres de détention spéciaux. L’épuration de la Wehrmacht durera plusieurs mois, touchant plus de 7000 personnes et achevant la nazification de l’appareil militaire allemand.
Pour l’essentiel, Walkyrie, le film de Bryan Singer, relate bien la genèse et le déroulement du 20 juillet 1944. Au-delà du hasard, pourquoi l’affaire a-t-elle échoué ? L’historien britannique Ian Kershaw, dans un récit tiré de la biographie qu’il a consacrée à Hitler, n’hésite pas à parler de « dilettantisme » : trop de paramètres de calendrier, de coordination et de communication ont été négligés (1).
Claus Philipp Marie Schenk, comte von Stauffenberg, est la figure emblématique de cette aventure. Jean-Louis Thiériot, à qui l’on doit des biographies de François-Ferdinand d’Autriche et de Margaret Thatcher, raconte son itinéraire. Vieille aristocratie, esprit patriotique, carrière d’officier : comme des millions de ses compatriotes, Stauffenberg commence par subir l’attraction du nazisme. En 1939 et en 1940, il participe sans état d’âme à l’attaque contre la Pologne et la France. C’est la guerre contre la Russie, à partir de 1941, qui provoque son retournement.
Découvrant les erreurs stratégiques de Hitler et les crimes commis contre la population civile, notamment contre les Juifs de l’Est, l’officier est conduit à ce que Thiériot nomme le « choix d’Antigone » (2). Faisant appel à saint Thomas d’Aquin - qui a défini à quelles conditions une guerre peut être dite juste et dans quel cas tuer un tyran peut être légitime -, ce catholique conclut qu’il faut éliminer Hitler. Dans le film, cette profondeur du personnage, sa dimension spirituelle, est sans doute ce qui manque le plus.
Roland von Hoesslin, lui aussi livré au bourreau, avait suivi Stauffenberg parce qu’il était, explique August von Kageneck, « désespéré de la passivité des généraux devant Hitler » (3). Le complot du 20 juillet 1944, à quelques exceptions près (les généraux Beck, Stülpnagel, Witzleben, Olbricht ou Tresckow), est une entreprise menée par des colonels. Tel Philipp von Boeselager, qui aura l’incroyable chance de n’être pas pris et de survivre à la guerre (4).
Comment les rescapés et les familles ont-elles vécu les suites du complot ? Comment le 20 juillet 1944 a-t-il été reçu dans l’Allemagne de l’après-guerre ? Et aujourd’hui ? L’enquête menée par Jean-Paul Picaper, ancien correspondant du Figaro à Bonn, s’avère à cet égard passionnante. Non seulement l’auteur a interviewé les derniers témoins, mais il expose le long chemin parcouru pour que Stauffenberg et ses amis soient reconnus (5).
Joachim Fest, un historien allemand, montre la diversité des courants de ce qu’on a appelé après coup la « résistance allemande » : militaires, conservateurs, monarchistes, chrétiens-sociaux, libéraux, socialistes (6). Il souligne néanmoins que la seule entreprise sérieuse a été celle du 20 juillet 1944.
Et s’ils avaient réussi ? L’Europe de l’Est n’aurait pas échappé aux Soviétiques, mais la guerre aurait été écourtée, et des millions de victimes - soldats des deux camps, civils et déportés - auraient eu la vie sauve.
Songe-t-on au courage de ces hommes ? Il leur fallait affronter le danger qui menace tout rebelle au sein d’un État totalitaire, mais encore passer pour des traîtres, eux dont la vocation était de défendre leur pays. Avant de mourir, Peter von Wartenburg, un des conjurés, écrira ces lignes : « Peut-être viendra un temps qui nous jugera non pas comme des canailles, mais comme des prophètes et des patriotes. »
Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
(1) La Chance du diable, le récit de l’opération Walkyrie, de Ian Kershaw, Flammarion.
(2) Stauffenberg, de Jean-Louis Thiériot, Perrin.
(3) De la croix de fer à la potence, un officier allemand résistant à Hitler, d’August von Kageneck, Perrin, «Tempus».
(4) Nous voulions tuer Hitler, de Philipp Freiherr von Boeselager, Perrin, « Tempus ».
(5) Opération Walkyrie, de Jean-Paul Picaper, L’Archipel.
(6) La Résistance allemande à Hitler, de Joachim Fest, Perrin -
La libération d’Orléans (8 mai 1429)
Le siège d’Orléans (Vigiles de Charles VII).Lorsque naît Jeanne d’Arc en 1412, c’est au cœur d’un monde troublé : en 1378 s’est ouvert le Grand Schisme d’Occident qui voit s’installer un pape à Avignon et un autre à Rome (jusqu’en 1417) ; à l’Est, les Turcs menacent l’Occident ; et en France, le roi Charles VI est atteint de folie. Du fait de la maladie du souverain, ce sont les grands seigneurs qui tiennent la réalité du pouvoir (notamment les ducs de Bourgogne – Jean sans Peur à partir de 1404 – et d’Orléans).
Au début du XVe siècle c’est une guerre civile qui éclate entre les Armagnacs et les Bourguignons. Ces deux partis se sont formés autour de Louis puis Charles d’Orléans (pour le premier) et de Jean sans Peur (pour le second). Le premier parti défend l’idée d’un État fort et ferme envers ses ennemis, les seconds insistent plus sur les libertés et l’idée de réforme. Plus grave, les deux partis n’hésitent pas à faire appel aux Anglais.
I. Anglais et Français, Armagnacs et Bourguignons
Charles VI.En Angleterre, si Henri IV (1399-1413) incarne le parti de la guerre, les troubles intérieurs l’empêchent d’intervenir sur le continent. En revanche, avec l’avènement d’Henri V (1413), les hostilités reprennent. Revendiquant la couronne de France, il profite de l’anarchie politique française pour mener ses opérations. En 1415, il remporte la bataille décisive d’Azincourt puis conquiert la Normandie (1417-1419).
En 1420, l’assassinat de Jean sans Peur par les Armagnacs jette les Bourguignons dans le camp anglais. La même année, Henri V et Philippe de Bourgogne se jurent la paix à Troyes et déshéritent le dauphin (futur Charles VII), la couronne devant revenir à Henri V à la mort de Charles VI. Lorsque le roi « fou » meurt, la moitié nord du royaume et une partie de l’Aquitaine sont occupées, le dauphin n’étant que le petit « roi de Bourges ». Henri V meurt lui aussi en 1422, quelques semaines avant Charles VI. Son fils Henri VI doit assumer la double couronne, ce qui choque une partie de l’opinion française (le principe dynastique est violé) mais aussi anglaise (qui craint que le roi ne privilégie le continent au détriment de l’île).
Entre l’accession au trône de Charles VII en France et le siège d’Orléans, victoires et défaites alternent des deux côtés. A partir de 1427, le duc de Bedfort, chef de guerre anglais, se donne pour objectif de forcer le passage de la Loire, et pour cela de faire sauter le « verrou » que constitue Orléans (début du siège en octobre 1428). Charles VII songe alors à se réfugier en Dauphiné, voire hors de France.
II. D’un petit village de Lorraine à la Cour du Roi
Lieu de naissance de Jeanne d’Arc.Jeanne d’Arc est née en 1412 à Domrémy de l’union de Jacques d’Arc, laboureur aisé et d’Isabelle Romée. Le village est alors tenu par le capitaine de Vaucouleurs Robert de Baudricourt et est resté dans le giron du Valois. A 12 ou 13 ans, elle entend des voix célestes lui demandant d’obéir à Dieu : l’Archange saint Michel et les saintes Catherine et Marguerite. Ces voix lui révèlent qu’elle doit chasser les Anglais hors de France mais elle décide de les ignorer dans un premier temps. C’est lorsqu’elle en parle à son oncle que celui-ci décide de l’emmener chez Baudricourt.
Incrédule, le châtelain la renvoie chez elle. Ce n’est qu’un an plus tard, lorsque l’on commence à parler du siège d’Orléans par les Anglais, que le capitaine fait revenir la jeune fille, cette-fois escortée par des villageois qui ont pris cause pour elle.
Après une entrevue avec le duc Charles de Lorraine, le capitaine décide de l’emmener à Chinon. Elle y est le 6 mars 1429. Jeanne aurait reconnu le roi déguisé en courtisan et mêlé à sa Cour. Elle le rassure quant à sa légitimité : « De Messsire, je te dis que tu es le vrai héritier de France, et fils du roi. Et Il m’envoie à toi pour te conduire à Reims ». D’abord prudent, le roi, poussé par son confesseur Gérard Machet (qui prend l’affaire au sérieux), et après avoir pris l’avis de théologiens et de docteurs, décide de laisser à Jeanne sa chance. Elle reçoit une armure, une épée, et fait peindre sur un étendard le Christ entre deux anges et fait inscrire « Jésus, Maria ! ». Plusieurs hommes de guerre (le duc d’Alençon, La Hire, Gilles de Rais, …) offrent leurs services.
Ce qui reste de l’armée royale est alors à Blois. L’armée venue de Chinon s’y agrège puis fait route vers Orléans, sur le point de tomber dans les mains anglaises. Les eaux de la Loire sont importantes : Jeanne gagne la ville en barque le 29 avril, tandis que l’armée royale l’accompagnant retourne à Blois.
III. Jeanne d’Arc à Orléans
Carte du siège d’Orléans. Cliquez pour agrandir (la carte s’ouvrira dans un nouvel onglet).Jeanne d’Arc adresse à Henri VI, Bedford et Talbot un message : « Rendez à la Pucelle ci envoyée de par Dieu les clés de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France… Je suis ci venue de par Dieu le roi du Ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France ! » A ce moment-là, la Pucelle n’a pas fait ses preuves et le message déclenche l’hilarité chez l’ennemi.
Jeanne d’Arc au siège
d’Orléans (Lenepveu, 1886-1890).C’est le 4 mai que l’armée royale est de retour avec des vivres, avec à sa tête Boussac. Elle contourne la ville par le Nord et attaque la bastide Saint-Loup (à l’Est d’Orléans) tenue par John Talbot. Jeanne d’Arc, lorsqu’elle apprend que le combat fait rage, fait une sortie et donne une victoire aux Français sur les Anglais qui commençaient alors à redresser la situation. Jeanne est cependant furieuse qu’on ait pris l’initiative de l’attaque à son insu, et le fait savoir.
Pourtant c’est encore sans elle que les chefs de guerre se concertent le 5 et prennent la décision d’attaquer la bastide des Augustins (au Sud). Jeanne finit pourtant par deviner le projet, et c’est elle qui donne l’assaut le 6 au matin qui se conclut, après une heure de combats, par une nouvelle victoire. Jeanne envoie alors une nouvelle lettre à l’ennemi mais il lui répond sans détour d’aller garder ses vaches, sans quoi elle serait livrée aux flammes.
Le 7 mai est décisif : le capitaine de la ville Raoul de Gaucourt refuse de sortir pour un nouvel assaut, prétextant l’attente de renforts supplémentaires, mais Jeanne n’est pas de cet avis et ordonne l’assaut des Tourelles (qui verrouille le pont au Sud). Elle part en première ligne, saisit une échelle qu’elle place contre la muraille et y grimpe. Un carreau d’arbalète lui transperce l’épaule et la jette à terre. Elle se croit morte et pleure. Les Français déferlent alors sur l’enceinte anglaise tandis que Jeanne leur cri : « Tout est à vous, et y entrez ! ». Le lendemain (8 mai), les Anglais lèvent le siège.
IV. Après Orléans
En 1429, la levée du siège d’Orléans paraît être le premier coup d’arrêt donné depuis longtemps à l’expansion anglaise. La nouvelle des exploits de Jeanne d’Arc (Orléans, Patay,…) parviendra aux oreilles de Christine de Pisan, retirée dans un couvent, qui versifiera sur ce renouveau attendu : « L’an mil quatre cent vingt et neuf / reprit à luire le soleil. / Il ramène le bon temps neuf / Que on n’avait vu du droit oeil / Depuis longtemps… » Réfugié à Lyon, le chancelier de l’Église de Paris se demande si l’on peut soutenir la Pucelle et conclut positivement « parce que sa cause finale est des plus justes : rendre le roi à son royaume, repousser et vaincre justement les plus odieux des ennemis. »
Après la libération d’Orléans, les chefs de guerre se posent la question de la poursuite de la campagne pour l’année. Frileux après les déboires passés (Azincourt…), la plupart entendent se contenter d’Orléans. Jean de Dunois, bâtard d’Orléans, arrive néanmoins à convaincre les chefs à poursuivre l’équipée, qui mènera au sacre de Charles VII à Reims…
Bibliographie :
FAVIER, Jean. La guerre de Cent Ans. Fayard, 1980.
GOBRY, Ivan. Charles VII, la reconquête de la France. Tallandier, 2001.
KERHERVÉ, Jean. Histoire de la France : la naissance de l’État moderne, 1180-1492. Hachette, 1998. -
Charité : l’Église en ses œuvres
Cécile Duflot s'en est pris à l’Église, coupable à ses yeux de manquer à la « solidarité ». Sur le terrain, les associations, congrégations et paroisses catholiques assument pourtant un rôle irremplaçable.
S'il existait un prix de la sottise politique, Cécile Duflot ne le remporterait peut-être pas, mais elle ferait à coup sûr une excellente candidate. Dans un entretien publié par le Parisien le 3 décembre, le ministre du Logement, évoquant la multiplication des sans-abri et l'éventualité d'une réquisition des biens de l’Église, déclarait : « Par exemple, il semble que l'archevêché de Paris possède des bâtiments quasi vides. Je viens donc de leur écrire pour voir avec eux comment utiliser ces locaux. (L’Église fait partie des personnes morales...) dans tous les sens du terme ! J'ai bon espoir qu 'il n'y ait pas besoin de faire preuve d'autorité. Je ne comprendrais pas que l’Église ne partage pas nos objectifs de solidarité. Pour moi, ce n'est pas une simple question légale, c'est un choix de société. »
Le contexte de cette déclaration blessante et menaçante (au fait, qu'est-ce qu'un bâtiment « quasi-vide » ?) suffisait à laisser planer le doute sur les intentions réelles de Cécile Duflot : en s'en prenant à l’Église, ne souhaitait-elle pas redorer aux yeux de sa famille politique un blason terni par son maintien au gouvernement malgré le conflit opposant les Verts et l'extrême gauche au premier ministre autour de l'aéroport de Nantes ? Surtout, ne voulait-elle pas « punir » l'épiscopat pour ses déclarations hostiles au « mariage » homosexuel ? De là à la soupçonner d'avoir utilisé le drame des sans-abri pour des raisons de basse politique politicienne, le pas était vite franchi.
L'épiscopat a vivement réagi à cette agression stupide. Dans un communiqué commun, le Diocèse de Paris et la Conférence des religieux et religieuses de France ont fait savoir au ministre que « l’Église n'a pas attendu la menace de réquisition brandie (...) pour prendre des initiatives » ; Mgr Dubost, évêque d'Evry, a répondu plus sèchement encore en invitant Cécile Duflot à « mettre à disposition ses salles de réception ».
L'intéressée a déchanté d'autant plus vite que la gauche catholique a elle aussi fort mal réagi. La presse de gauche ne l'a pas plus épargnée et il n'est pas jusqu'à L'Humanité qui, sous la plume de Paul Masson, a vu « dans le fait que Cécile Duflot en appelle à l'église pour offrir un toit aux sans-abri, un signe inquiétant de la mollesse du gouvernement face aux banques et aux grands groupes immobiliers ». Pour l'opération de com', c'est raté !
L’État-Providence réduit à l'impotence
Le gouvernement joue de malchance : l'émotion suscitée par les déclarations du ministre n'est pas encore retombée que l'hebdomadaire Le Point fait état d'un document de 2006, montrant que sous Jean-Marc Ayrault, les services de la mairie de Nantes ont fiché 129 SDF, en consignant « jusqu'aux moindres détails, même les plus intimes, y compris les relations homosexuelles ». La gauche fiche les pauvres ! Le premier ministre se défend en arguant qu'il s'agissait d'initiatives prises par quelques agents, sans aucune instruction et auxquelles il a été mis fin, la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) en ayant pris acte ; et que par conséquent, il n'y a « pas à faire de polémique autour de quelque chose qui n'existe plus ou si cela existait c'était de façon totalement marginale et ne correspondait à aucune décision, ni politique, ni administrative. » Si cette pratique s'était déroulée, par exemple, à Orange, de telles excuses eussent-elles suffi à étouffer la polémique ?
Les déclarations intempestives de Cécile Duflot sont pourtant encore plus dérangeantes que cette nouvelle affaire de fiches : elles dénoncent la carence de l’État-Providence ! Et soulignent paradoxalement l'efficacité de l'action de l’Église catholique en matière de lutte contre la pauvreté, associations, congrégations et paroisses confondues. Alors que l'Eglise travaillait jusqu'à présent dans la discrétion, les attaques du ministre attirent l'attention sur ses œuvres et en mettent en valeur la variété et l'importance. Des paroisses aux associations comme l'Ordre de Malte France, le Secours catholique, ou Aux captifs la libération, en passant par des congrégations comme Les Petites sœurs des pauvres qui accueillent des personnes âgées démunies et dont la fondatrice, Jeanne Jugan, a été canonisée voici trois ans par Benoît XVI. Le Centre Saint-Paul, cher à l'abbé de Tanouarn, accueille des personnes la nuit et organise lui aussi une maraude... Bref, les initiatives fourmillent.
Encore les apports de l'Église n'apparaissent-ils pas toujours en tant que tels... Ainsi l'association Habitat et humanisme, fondé par un prêtre lyonnais, le père Bernard Devert, mais qui se déclare laïque, propose des logements décents à faible loyer à des familles ou à des personnes démunies. Depuis sa création, voilà 20 ans, elle a aidé quelque 15 000 familles à trouver un logement ; or 25 % de son parc immobilier est issu de partenariat avec des congrégations catholiques, qui cèdent leurs locaux au-dessous des prix du marché pour permettre leur transformation en logements sociaux... Qu'en dit Cécile Duflot ?
Le ministre du Logement ferait bien de s'informer des réalités du terrain. Selon les responsables des relations extérieures de l'Ordre de Malte France, que nous avons rencontrés, la crise économique entraîne une augmentation de la pauvreté et le profil des personnes concernées a changé : parmi les sans abri, se trouvent aujourd'hui des travailleurs pauvres, auxquels leur rémunération ne permet plus de trouver à se loger. « On voit aussi de plus en plus de jeunes pauvres, pas toujours majeurs, qui se trouvent dans une situation de précarité que l'on ne connaissait pas autrefois », remarque Alain de Tonquedec, qui observe encore « une aggravation des situations de pauvreté familiale ». Et l'immigration amplifie le phénomène.
Il est douteux que l'État, surendetté, boulimique, impotent et asphyxié par le poids de ses dépenses, parvienne à endiguer cette montée de la pauvreté. Si les réalités économiques signent la fin de l’État-Providence, les organisations de charité catholiques auront à assumer un rôle de premier plan.
Eric Letty monde & vie 26 décembre 2012 -
La Commune de Paris (18 mars – 27 mai 1871)
Incendie du palais des Tuileries (24 mai 1871).En guerre depuis juillet 1870 contre la Prusse, le Second Empire tombe à la défaite de Sedan, le 2 septembre 1870 et Napoléon III se voit contraint de s’exiler en Grande-Bretagne. En effet, à peine deux jours plus tard, la République est proclamée à Paris, après que celle-ci ait été proclamée à Lyon et Marseille. Mais la guerre continue, et les Prussiens atteignent, victoires après victoires, les bords de la Seine. Le siège de la capitale débute le 19 septembre.
La Prusse entendant traiter avec un gouvernement légitime, des élections législatives sont organisées en février 1871 et, à la surprise générale, aboutissent à la victoire des monarchistes (près de 400 sièges, plus de 58 % des voix) : si les grandes villes accordent leurs voix aux républicains, les campagnes sont restées attachées aux valeurs traditionnelles. Le blanquiste Gaston Crémieux s’exclame : « Majorité rurale, honte de la France ! »
La paix est signée par le nouveau gouvernement royaliste (1er mars), qui appelle Adolphe Thiers au pouvoir en tant que président, en attendant un accord pour une Restauration monarchique. Les Parisiens ultra-républicains, ayant subi le dur siège des Prussiens, sont scandalisés par le résultat des urnes et par cette « lâche » capitulation.I. La révolution parisienne
Le 1er mars, en échange de la conservation du territoire de Belfort, qui s’est vaillamment défendu, Adolphe Thiers accepte que les Prussiens défilent sur les Champs Elysées, événement vécu comme une humiliation par les Parisiens. La nouvelle Assemblée prend d’autres mesures impopulaires : suppression du moratoire des effets de commerce, des loyers et des dettes, qui acculent à la ruine plusieurs milliers d’artisans ou d’ouvriers. Ultime humiliation : l’Assemblée décide de s’installer à Versailles, symbole de l’Ancien Régime, se méfiant d’une capitale instable (« chef-lieu de la révolte organisée » dit un orateur).
Dès la mi-mars, l’agitation se fait croissante et commence à se structurer. La Garde nationale (180 000 hommes), recrutée lors du siège, a gardé ses fusils et canons, et est plus importante en effectifs que les troupes officielles commandées par le général Aurelle de Paladines. Cette Garde nationale s’organise et forme un Comité central. Au programme, la défense de la République : « La République est le seul gouvernement possible. Elle ne peut être mise en discussion […]. La République française d’abord, puis la République universelle [...] ».
Adolphe Thiers voit le danger venir (un peu tard) et, le 18 mars, demande à 4000 hommes de récupérer les canons placés pour l’essentiel sur la butte Montmartre, alors non surveillée. Mais l’opération prend du retard, et les Parisiens sont alertés. C’est un échec. Les généraux Lecomte et Thomas sont faits prisonniers puis massacrés dans un local par la foule parisienne. A la suite de ce double assassinat, Thiers déclare la guerre à Paris : « On ne traite pas avec des assassins ». Le 18 mars, le Comité central s’installe à l’Hôtel de Ville et y dresse le drapeau rouge.
Dans la capitale, le 21 mars, une manifestation de soutien aux Versaillais est écrasée dans le sang par les révolutionnaires. Le 23 mars, l’Assemblée versaillaise vote à 433 voix contre 29 la création en province de bataillons de volontaires pour marcher sur Paris.
Les révolutionnaires organisent des élections le 26 mars pour s’asseoir sur une certaine légitimité : si les révolutionnaires l’emportent avec 66 sièges sur 85, l’abstention est supérieure à 50 %, ce qui s’explique par le fait que près de 100.000 Parisiens aient quitté la capitale depuis le début des événements. Les élus les plus modérés démissionnent rapidement. Le 28 mars, la Commune de Paris est proclamée place de l’Hôtel de Ville. Le 16 avril se tiennent des élections complémentaires (70 % d’abstentions) et douze élus rejoignent le Conseil.
Quelques personnalités cherchent à trouver un compromis entre Versailles et la Commune (Gambetta, Clémenceau, Victor Hugo,…) mais ils se heurtent aux deux partis.
Quant à Adolphe Thiers, il préfère attendre avant de prendre d’assaut la capitale. Il a retenu la leçon des révolutions de 1830 et de 1848 et sait qu’il ne faut pas épuiser la troupe dans des escarmouches et guet-apens. Comme Morny l’avait fait pour Louis-Napoléon Bonaparte après le 2 décembre 1851, il préfère laisser se développer l’insurrection pour mieux l’écraser ensuite.
● La mise en place d’un gouvernement parisien
Le Conseil de la Commune se comporte en un gouvernement ayant rompu avec le gouvernement légal de Versailles, se dotant par exemple d’une commission des relations extérieures. Il est composé de membres de tendances idéologiques diverses : un certain nombre d’internationalistes (17), une douzaine de socialistes proches des internationalistes, 9 blanquistes sans Blanqui (arrêté le 17 mars et prisonnier à Cahors) et une majorité de républicains de gauche. Il s’y trouve le peintre Gustave Courbet, le romancier Jules Vallès et le chansonnier Jean-Baptiste Clément. Dans ce Conseil, des fanatiques comme Raoul Rigault, chef de la police, qui se refuse de prononcer le mot « saint » et que l’on dit capable de citer le jour et l’heure de n’importe quelle réplique de Robespierre ou de Saint-Just. Un certain Allix entre d’office au Conseil pour son projet (pris au sérieux) de communiquer avec la province par le biais des escargots, auxquels il confère des dons télépathiques (il ne sera pas exécuté mais finira ses jours dans un asile psychiatrique).
Quelques mesures fortement symboliques sont prises : rétablissement du calendrier républicain, adoption du drapeau rouge, destruction de la colonne Vendôme (qualifiée de « monument de barbarie ») entamée le jour du 50e anniversaire de la mort de Napoléon Ier (5 mai 1871).
Gustave Courbet dirige l’opération de destruction de la colonne Vendôme. Lorsque les événements seront passés, celui-ci sera condamné à intégralement payer la reconstruction.● La Commune et les francs-maçons
Les francs-maçons s’impliquent largement dans la défense de la Commune de Paris. Le 26 avril, le Grand Orient de France envoie une délégation pour adhérer à la révolution. Le 29, ils plantent une bannière de paix puis clament que si Versailles refuse cette paix ils prendraient parti pour la Commune, les armes à la main. Louise Michel parle dans ses Mémoires de 6000 francs-maçons défilant à Paris, représentant plusieurs milliers de loges !
Le 5 mai, les différentes loges se mettent d’accord sur une déclaration commune : « Les francs-maçons sont des hommes de paix, de concorde, de fraternité, d’étude, de travail ; ils ont toujours lutté contre la tyrannie, le despotisme, l’hypocrisie, l’ignorance. […] Attendus que les efforts des francs-maçons ont été trois fois repoussés par ceux-là mêmes qui ont la prétention de représenter l’ordre, et que leur longue patience est épuisée, tous les francs-maçons et compagnons doivent prendre l’arme vengeresse et crier : « Frères debout ! Que les traîtres et les hypocrites soient châtiés. » […] Frères en maçonnerie et frères compagnons, nous n’avons plus à prendre d’autre résolution que celle de combattre et de couvrir de notre égide sacrée le côté du droit.
Sauvons Paris ! Sauvons la France ! Sauvons l’humanité ! […]
Vive la République ! Vivent les Communes de France fédérées avec celle de Paris ! »II. L’idéologie communarde : socialisme, anticléricalisme et décentralisation
● Quelques réalisations sociales
Le 19 avril, la Commune annonce son programme dans sa Déclaration au peuple français : « C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles et des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage. » Le Comité central adopte plusieurs mesures sociales dont la réduction de la journée de travail à 10 heures, la fin du travail de nuit dans les boulangeries, le rétablissement du moratoire des loyers et des effets de commerce, l’abolition des amendes patronales et des retenues sur salaire. La Commune procède à une réquisition des ateliers abandonnés par leurs patrons (assimilés à des déserteurs). Un cahier des charges avec indication de salaire minimum est institué. L’union libre est reconnue pour les hommes et les femmes.
● L’anticléricalisme communard
Le 24 mai 1871, à la Roquette, Mgr Darboy, l’abbé Deguerry, trois jésuites et le président de la Cour d’appel de Paris, Bonjean, sont exécutés par un peloton de volontaires.Pour les Communards, l’Église apparaît à tous points de vue dans le camp de la contre-révolution versaillaise. Cette haine anticléricale se manifeste par des humiliations à l’égard des membres du clergé revêtant plusieurs formes : parodies de culte ou vases sacrés utilisés comme des gobelets. Certains crimes sont imputés à l’Église comme ces ossements découverts à l’église Saint-Laurent que l’on interprète arbitrairement comme des restes de femmes violées puis assassinées par des prêtres. A partir du 24 mai, un certain nombre de clercs passent par les armes, à commencer par Mgr Daboy, archevêque de Paris et l’abbé Deguerry, ancien confesseur de l’impératrice Eugénie. Le décret du 2 avril 1871 de la Commune supprime le budget des Cultes et sépare l’Église de l’État. L’enseignement confessionnel est interdit, les signes religieux chrétiens sont retirés des salles de classe et les biens du clergé sont confisqués.
● La France des Communes
Si le Conseil compte une majorité de jacobins, les girondins et les internationalistes semblent être les plus influents. La Déclaration au peuple français proclame : « Nos ennemis se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de vouloir imposer sa volonté ou sa suprématie au reste de la nation, et de prétendre à une dictature qui serait un véritable attentat contre l’indépendance et la souveraineté des autres communes. Ils se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de poursuivre la destruction de l’unité française, constituée par la Révolution, aux acclamations de nos pères, accourus à la fête de la Fédération de tous les points de la vieille France. L’unité, telle qu’elle nous a été imposée jusqu’à ce jour par l’empire, la monarchie et le parlementarisme, n’est que la centralisation despotique, inintelligente, arbitraire ou onéreuse. »
Événement moins connu, des Communes naissent à Lyon (22 au 25 mars puis 30 avril et 1er mai) et à Marseille (du 22 mars au 4 avril), rapidement étouffées par Versailles. La Commune de Marseille écrit le 30 mars : « Nous voulons la décentralisation administrative, avec l’autonomie de la Commune, en confiant au conseil municipal élu de chaque grande cité les attributions administratives et municipales. » La Commune de Marseille est matée le 5 avril par le général Espivent, chargé de l’opération. Celui-ci écrit au ministre de la Guerre : « J’ai fait mon entrée triomphale dans la ville de Marseille avec mes troupes ; j’ai été beaucoup acclamé. […] Les délégués du comité révolutionnaire ont quitté la ville individuellement hier matin. » A Saint-Étienne, une Commune est également proclamée le 24 mars. Le préfet Lespée s’exclame que « la canaille ne lui fait pas peur » : l’ordre est ramené le 28 mars mais le préfet est capturé par le girondin Vitoire et mis à mort.
Autres villes qui connaissent des troubles : Bordeaux, Montpellier, Cette, Béziers, Clermont, Lunel, Marseillan, Marsillargues, Montbazin, Gigan, Maraussan, Abeilhan, Villeneuve-lès-Béziers, Thibery.
III. La Semaine sanglante (21-27 mai)
La destruction de l’Hôtel de Ville le 24 mai (image d’Epinal).Le 21 mai dans la soirée, les troupes versaillaises commandées par Mac-Mahon pénètrent par surprise dans Paris par la porte de Saint-Cloud et le Point-du-Jour. Le Nord et l’Est de la capitale sont tenus par les Prussiens qui assistent en spectateurs aux événements. A l’Ouest, les fédérés sont repoussés mais des barricades se hissent. Dans la soirée du 22, les troupes gouvernementales ont atteint la gare Saint-Lazare et Montparnasse. Le 23, Montmartre que les insurgés croyaient citadelle imprenable est reprise. Le 24, les troupes gouvernementales s’emparent du Panthéon. Le 25, l’ensemble de la rive gauche est contrôlée. Les derniers combats se jouent le 27 mai entre les tombes au cimetière du Père-Lachaise.
Pendant l’avancée versaillaise, les Communards incendient en représailles le palais des Tuileries (« repaire des rois »), le ministère des Finances, la Cour des Comptes et le Conseil d’État (nuit du 23 au 24 mai). Le 24, ce sont au tour de l’Hôtel de Ville, du Palais-Royal et du Palais de Justice de s’embraser. La cathédrale Notre-Dame de Paris est sauvée par l’intervention d’élèves infirmiers de l’Hôtel-Dieu. Le Louvre et ses collections sont sauvés in extremis par l’action des troupes du gouvernement (le feu allait se propager aux bâtiments). Mais il n’y a pas que des bâtiments qui ont disparu : les registres de l’état civil des Parisiens depuis le XVIe siècle, les archives hospitalières, 120 000 ouvrages de la bibliothèque de la Ville, 70 000 autres à la bibliothèque du palais, une centaine de tapisseries aux Gobelins.
La répression est impitoyable. Toute trace de poudre sur les mains vaut l’exécution. Le nombre de morts n’est pas connu mais les historiens s’accordent sur le chiffre de 20 000 communards tués durant la Semaine sanglante, contre un millier de morts pour les troupes versaillaises. 38 000 personnes sont arrêtées et jugées, 10 000 d’entre elles sont condamnées (93 à la peine de mort, dont 23 seulement sont effectivement exécutées ; 3500 à la déportation simple, 1200 à la déportation dans une enceinte fortifiée ; le reste est condamné à diverses peines de prison).
Bibliographie :
MICHEL, Louise. La Commune, Histoire et souvenirs. La Découverte, 1999.
ROUGERIE, Jacques. Paris insurgé, la Commune de 1871. Gallimard, 1995.
WINOCK, Michel. La fièvre hexagonale : les grandes crises politiques de 1871 à 1968. Points, 1999. -
États-Unis : Pour Roubini, « le pays est au bord d’une nouvelle crise »
Les États-Unis sont loin d’être tirés d’affaire malgré l’entente intervenue dans la nuit du Jour de l’An pour éviter de frapper le « mur fiscal », affirme le célèbre économiste Nouriel Roubini.
Selon lui, le dysfonctionnement du système politique américain fait en sorte que les États-Unis feront bientôt face à une nouvelle crise fiscale… dans deux mois.
«Si aucune action n’est prise d’ici le 1er mars, 110 milliards de réductions de dépenses entreront en vigueur», écrit dans le Financial Times celui qu’on surnomme Dr Doom, car il avait prévu la crise financière de 2007-2008. Les défis seront donc de taille pour les républicains et les démocrates déjà à couteaux tirés.
D’une part, la dette américaine atteindra son plafond. Il a été plusieurs fois renégocié dans le passé, mais ce processus est douloureux. À l’été 2011, cela avait provoqué de l’instabilité sur les marchés financiers.
D’autre part, les élus américains devront commencer à débattre des mesures à prendre à moyen terme pour assainir les finances publiques et réduire la dette du pays, qui s’élève actuellement à 16 443 milliards de dollars américains (en 2012, le déficit du gouvernement fédéral représentait 8,5% du PIB).«Cela mènera à une autre dispute entre les républicains, qui veulent réduire la taille du gouvernement fédéral, et les démocrates, qui veulent le maintenir mais sans être sûr de la manière de le financer», écrit Nouriel Roubini.
À ses yeux, on doit s’attendre à des débats épiques entre les deux partis. Par exemple, les États-Unis doivent-ils introduire une taxe sur la valeur ajoutée ? Une taxe à taux unique ? Des taxes plus élevées ou moins élevées sur le revenu ? Une taxe sur le carbone ?
«Ce sera bientôt bordélique», soutient l’économiste.
-
Contre l'édifice du mondialisme et de la pensée unique
À l'heure de la crise économique mondiale qui est inséparable de la crise morale de l'Occident, deux livres d'aspect anodin arrivent à point nommé. Apparemment hors sujet tous les deux, puisqu'il s'agit, pour l'un, d'un recueil (inédit) d'essais de Chesterton datés de 1926 que les éditions de l'Homme nouveau viennent de publier sous le titre Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (1); pour l'autre, des actes de la XIXe université d'été de Renaissance catholique en juillet 2005 : La pensée unique (2).
Et pourtant, chacun à sa manière éclectique et diversement datée, ils disent déjà quasiment tout, d'une part des causes profondes de notre grande crise économique et de ses « enfers sociaux », d'autre part des effets intrinsèquement pervers de la crise morale liée à ce funeste économisme. Alors que Benoît XVI s'apprête aussi à publier sa grande encyclique sur la doctrine sociale de l'Église, on en a eu un aperçu spectaculaire lors de son récent voyage en Afrique. « Si le Pape a été si contesté, c'est qu'en quelques mots, il a déstabilisé l'édifice de la pensée unique qui s'impose à la planète », résume bien Mgr Bagnard .
◊ « Ce que je reproche au capitalisme, ce n'est pas qu'il y ait trop de capitalistes mais précisément qu'il n'y en ait pas assez », disait Chesterton. C'est tout le « distributisme » chestertonien, cher à Philippe Maxence, qui est (si l'on y réfléchit bien) le seul moyen politique de « moraliser le capitalisme » contre l'édifice malsain du mondialisme. Louis Salleron en a lui-même développé le principe en France, en prônant non seulement la diffusion de la propriété individuelle mais l'organisation de la diffusion de la propriété collective privée, comme rempart de liberté personnelle, facteur de justice sociale et de développement économique maîtrisé. La propriété est pour la personne « un besoin vital de l'âme » (Simone Weil) - et non la personne pour la propriété !
Nicolas Sarkozy a par exemple jugé inacceptable que « Laurence Parisot dise qu'elle n'a pas le désir d'évoquer le partage des profits ». Mais de la distribution de la propriété, selon le principe clef de la destination universelle des biens, il n'en aura jamais été question, comme remède politique et durable à cette crise (dont le G20 ne vient finalement que de «réguler» et renouveler virtuellement les tares). Or, note Philippe Maxence, « ce n'est pas une mince surprise de constater qu'en usant des mots qui sont les siens, Chesterton avait déjà pensé la crise de l'environnement, la faillite des banques, la perversité du système de la grande distribution, la destruction de l'agriculture » !
Et Louis Salleron qu'il faudrait aussi relire : « Parce que le capitalisme individualiste et libéral a privé de propriété un trop grand nombre d'individus, le communisme propose d'en priver tout le monde... Il est évident que la bonne solution est inverse: assurer la propriété à tout le monde. Patrimoine familial, patrimoine corporatif, patrimoine national et universel - voilà la vraie formule. L'argent ne fait obstacle à la propriété normale que si on le laisse évoluer en liberté. Mais rien n'est plus facile que d'assigner des règles à ses fantaisies. Le capitalisme n'a pris ce caractère odieux que parce qu'il est né et s'est développé dans une philosophie utilitariste. Un esprit nouveau et des structures modifiées peuvent parfaitement sauver les vérités qu'il contient en matière de propriété. » (Diffuser la propriété, NEL) .
◊ On ne peut servir deux maîtres à la fois : Dieu et Mammon. On passe ainsi de l'économie à sa religion nouvelle, en arrivant à la pensée unique qui prétend gérer « correctement » le « nouvel ordre mondial » à la manière de Babel, par un seul langage analogue à la novlangue d'Orwell : « Faisons des briques... Bâtissons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! » (Genèse XI). Il s'agit toujours de sauver et unifier l'homme sans Dieu, en se passant de sa loi (morale) naturelle, en donnant le primat à l'action sur la contemplation.
Onze historiens, journalistes, universitaires réunis par Renaissance catholique explorent les facettes (politiquement, moralement, religieusement, historiquement, économiquement, artistiquement correctes !) de cet impératif néo-totalitaire. Ils dénoncent paradoxalement, dans l'hégémonie de cette pensée unique, une dictature du relativisme née de la disparition de la vérité objective (sous la novlangue la confusion des mots et des idées !). Le laïcisme (ouvert ou fermé) est donc le cadre et même le temple (panthéon) de cette pensée unique. On pourrait dire de lui ce que disait le P. Molinié du pharisien : « C'est celui qui condamne la pensée de Dieu quand elle se présente trop nettement, parce que cette pensée condamne ses œuvres et sa propre pensée. Alors, mis au pied du mur, il est acculé à condamner Dieu pour ne pas céder ; c'est le péché contre le Saint-Esprit. »
RÉMI FONTAINE Présent du 8 avril 2009 -
Contre la désinformation : L'antidote Volkoff
« Plus un mensonge est gros, et plus les gens y croient », aurait un jour déclaré Joseph Goebbels. On peut reprocher de nombreux méfaits au ministre de la Propagande du IIIe Reich. On ne peut pas lui faire grief d'avoir manqué de franchise. Ce n'est pas le cas de tous ceux qui, depuis sa disparition, agissent le visage dissimulé sous le masque de la désinformation. À l'Est comme à l'Ouest.
Propagande. Publicité. Intoxication. Désinformation. Les quatre termes sont souvent utilisés comme s'ils recouvraient la même réalité. Or, s'ils peuvent être proches, ils ne se recoupent pas exactement Vladimir Volkoff, dans sa Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet (Editions du Rocher, 2003), a très bien démontré la différence existant entre ces quatre concepts.
Le mot propagande, qui date de 1689, vient de la formule latine congregatio de propadanda fide, « congrégation pour la propagation de la foi ». Il suppose la transmission d'une information à un public, information devant être salutaire pour lui et qui n'est pas perçue comme mensongère par l'informateur, mais au contraire comme l'expression de la seule vérité qui soit. À partir de 1792, la propagande est définie « comme, l'action exercée sur l'opinion pour l'amener à avoir certaines idées politiques et sociales, à vouloir et soutenir une politique, un gouvernement, un représentant ».
Le propre de la désinformation est de viser les foules
Sur le fondement de cette définition, l'action du docteur Goebbels mérite bien son nom. À travers les grandes messes païennes de Nuremberg, avec leurs étendards et leurs torches, les nazis prêchaient ouvertement l'adoration du Führer. La propagande s'exprime ainsi au grand jour. Elle ne dissimule pas son but. Elle affiche la couleur. Elle n'est pas sournoise. En ce sens, elle se distingue fondamentalement de la désinformation.
La publicité, qui est définie comme « le fait d'exercer une action psychologique sur le public à des fins commerciales », se rapproche de la propagande. Toutefois, celle-ci cherche à persuader, tandis que celle-là tente uniquement de séduire. Elle n'est pas non plus la désinformation car elle va droit au but. L'intoxication, quant à elle, peut être définie comme « une action insidieuse sur les esprits, tendant à accréditer certaines opinions, à démoraliser, à dérouter ». L'intoxication est une redoutable arme de guerre. Intoxiquer l'ennemi pour le prendre par surprise est une technique courante chez les stratèges.
Pierre Nord, alias le colonel André Brouillard du Deuxième Bureau, en a donné un bel exemple dans L'Intoxication (Rencontre, 1971). En 1943, les Alliés, qui ont déjà débarqué en Afrique du Nord, préparent l'invasion de la Sicile. Les Allemands les y attendent. Le choc risque d'être meurtrier. Les Américains vont alors les intoxiquer, en montant un stratagème, pour leur faire croire que leur action portera sur la Sardaigne et le Péloponnèse. Hitler tombe dans le panneau. Il concentre ses troupes sur ces deux lieux devenus stratégiques. Le 10 juillet, les Américains débarquent en Sicile sans difficulté. Pour Vladimir Volkoff, l'intoxication vise un groupe restreint de décideurs, comme un état-major. En revanche, la désinformation vise l'opinion publique.
Si Soljenitsyne a de l'écho, il faut le discréditer
Ces différences étant établies, Volkoff considère que la désinformation suppose trois éléments ; une manipulation de l'opinion publique, sinon ce serait de l'intoxication ; des moyens détournés, sinon ce serait de la propagande ; des fins politiques, sinon ce serait de la publicité. D'où la définition selon laquelle la désinformation est une manipulation « de l'opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés ». La désinformation ainsi définie, si elle est plus que jamais présente dans notre société de l'image, a connu son heure de gloire au cours de la guerre froide. Aux premières heures du 4 novembre 1956, un millier de chars soviétiques, soutenus par l'aviation, investissent Budapest. L'armée occupe bientôt tous les points stratégiques de la capitale hongroise. La radio du pays magyar, avant de tomber entre les mains des troupes d'occupation, a le temps d'adresser un appel au secours en direction de l'Occident incrédule et immobile : « Nous n'avons plus beaucoup de temps. Vous savez ce qui arrive. Aidez la nation hongroise, ses travailleurs, ses paysans et ses intellectuels. À l'aide ! À l'aide ! À l'aide ! » Qui s'est soulevé derrière le rideau de fer ? Le peuple ? Non, uniquement des réactionnaires. Des bourgeois. Des fascistes. La désinformation fonctionne. L'Occident ne bouge pas.
La machine à désinformer se mettra en marche à chacune des interventions militaires soviétiques survenues au cours de la guerre froide. Lorsqu'en 1980 l'Union soviétique entre en Afghanistan, Georges Marchais pourra, en toute sérénité, approuver le principe d'une «intervention» qui va se solder par des milliers de victimes et l'occupation d'un pays qui avait tout autant le droit qu'un autre à sa souveraineté. À chaque fois, l'Union soviétique, relayée en Occident par de puissants réseaux de désinformation, parviendra à banaliser ses aimes et tentera de discréditer ses adversaires, tel Alexandre Soljenitsyne, qui fit l'objet, en 1981, d'un ouvrage, signé d'un certain A. Flegon, au titre évocateur : Autour de Soljenitsyne et dont le but était de le faire passer pour antisémite.
Le communisme continue d'imprégner les esprits
Dernier exemple : le 1er septembre 1983, un Boeing sud-coréen est abattu par l'Urss. Celle-ci doit trouver une excuse à ce qui semble être une dramatique erreur. La campagne de désinformation se met en marche. Auprès de certains gogos occidentaux, l'opération est une réussite. Le 3 octobre, le premier ministre socialiste grec déclare que l'avion « exécutait une mission d'espionnage pour la CIA et avait violé l'espace aérien soviétique pour espionner certains objectifs ». Lorsque, le 9 février 1984, Youri Andropov, secrétaire général du parti communiste soviétique et ancien chef du KGB, s'éteindra, au Parlement européen, tous les députés, à la demande du ministre français des Relations extérieures, Claude Cheysson, observeront une minute de silence en sa mémoire. L'hommage des naïfs au virtuose ?
Nous pourrions multiplier les exemples à l'infini. La désinformation pendant la guerre froide a été telle qu'il n'est pas certain que les Soviétiques l'aient réellement perdue. À première vue, l'Occident a gagné. Militairement et économiquement. Mais intellectuellement, le communisme n'a-t-il pas triomphé ? Il est probable que oui. Même peur ceux qui le condamnent, le communisme demeure un mal relatif, lorsque le nazisme est à jamais catalogué comme le mal absolu. L'idée communiste reste une grande idée qui a été dévoyée, notamment par Staline. Les communistes repentis tiennent le haut du pavé. Ils ne sont plus communistes, mais ils ne regrettent rien. Ils y croyaient. Ils étaient jeunes. Ils avaient un bel idéal. Tentez de soutenir ces niaiseries en racontant que vous êtes un nazi repenti. Le résultat ne sera sans doute pas le même.
Les communistes, malgré les travaux de Stéphane Courtois, sont parvenus à faire oublier leurs méfaits. Cent millions de victimes. L'invention des camps de concentration. La déportation de populations. La torture pratiquée au cours des interrogatoires. La faillite économique des pays qu'ils ont dirigés. Le recours à la terreur. Le mensonge comme moyen de gouvernement. La pollution de pays entiers. Le nazisme, qui a fait moins de victime que le communisme, a été définitivement, et à juste titre, rejeté dans les poubelles de l'Histoire. Le communisme, lui, parade toujours sur le haut de l'estrade. Tel est le résultat de soixante-dix ans de désinformation.
« L'espoir des peuples occidentaux est d'apprendre à vivre sans s'en laisser compter », écrivait Volkoff en 1986, alors que l'Union soviétique paraissait pouvoir durer mille ans et était l'ennemi principal de tous les instants. Il ne croyait pas alors à la capacité des Américains de pratiquer la désinformation et donnait trois raisons à cela : l'impossibilité de mener une action sur les médias de l'ennemi (qui étaient, dans son esprit et dans le contexte historique, ceux du bloc soviétique contrôlés par un système totalitaire) ; l'« intention politique précise et ferme » (la formule est de Pierre Nord), qui, selon Volkoff, fait défaut de façon structurelle aux démocraties : le manque de temps (en raison des élections entraînant des changements de majorité) alors que la désinformation « nécessite une action prolongée, s'étendant sur plusieurs années au moins ».
Le premier obstacle ayant sauté, qu'en est-il des deux autres ? Les événements de ces dix ou quinze dernières années ont montré que, par-delà les scrutins et parfois contre eux, subsistaient dans les démocraties, et notamment dans la démocratie américaine, des appareils d'Etat qui, eux, ont tout le temps pour planifier, sont mus par une volonté « précise et ferme » et n'ignorent rien des techniques exposées par Volkoff, notamment dans sa préface à La Désinformation, arme de guerre (L'Age d'homme, 1986). « À condition qu'un temps suffisant soit accordé à l'opération et qu'un nombre suffisant d'individus "massifiés" aient été touchés, écrivait-il, l'opération se déroulera d'elle-même, grâce aux truchements subalternes qu'on appelle caisses de résonance », à savoir ceux qui, croyant propager de l'information, « colportent la désinformation ».
Le meilleur des mensonges est parfois la vérité
Depuis l'effondrement de l'« Empire du Mal », les Américains sont devenus, à leur tour, des mièvres en matière de désinformation. La manière dont ils ont vendu à l'opinion publique les deux guerres du Golfe et l'agression de la Serbie en constitue la plus belle illustration. À coup d'images tronquées, de faux témoignages et de rumeurs soigneusement entretenues, ils sont parvenus à construire deux épouvantails, Saddam Hussein et Slobodan Milosevic, dont l'élimination est devenue, dans l'inconscient de tous, une œuvre de salubrité publique. Même les Soviétiques, au temps de leur splendeur, n'étaient pas parvenus à une telle perfection dans le machiavélisme le plus sournois.
La désinformation étant devenue l'outil essentiel de la manipulation des foules, il est essentiel de conserver un esprit critique devant tout événement. Surtout s'il paraît évident. Anodin. Avéré. Car comme l'a dit l'écrivain américain Isaac Asimov : « The closer to the truth, the better the lie, and the truth itself, when it can be used, is the best lie. » « Plus un mensonge est proche de la vérité, plus il est efficace ; et la vérité elle-même, lorsque l'on peut en faire usage, est le meilleur des mensonges.. »
Thierry Normand Le Choc du Mois février 2007 -
Les écolos, en Vert et contre tout
Comment participer au gouvernement tout en s'opposant à lui sur le terrain ? Les Verts n'en sont plus à une incohérence près.
On l'a appris mercredi 19 novembre par un communiqué du Parti socialiste de Harlem Désir : le PS et EELV - cet horrible sigle réducteur du tout aussi horrible Europe Ecologie Les Verts - ont décidé de mettre en place, dès le début de l'année prochaine, trois groupes de travail pour traiter de l'agriculture, de la fiscalité écologique et de la conversion écologique de l'industrie. Des questions écologiques qualifiées de « majeures pour un nouveau développement de notre société. » Le but de ces nouvelles structures, composées tant d'élus que d'experts des deux partis, sera de définir un « socle de propositions communes » afin d'enrichir celles du gouvernement.
Une décision qui ne laisse pas d'intriguer ceux qui se souviennent que le gouvernement Ayrault compte, justement, deux ministres issus du parti écologiste. Et si Pascal Canfin, ministre délégué au Développement auprès du ministre des Affaires étrangères, est assez transparent, Cécile Duflot, ministre « plein » de l’Égalité des territoires (?) et du Logement, ne manque guère une occasion (cf. notre numéro 864 du 8 septembre 2012) de s'exprimer, à propos de tout et de rien - sauf, peut-être, de ce qui concerne son ministère... -, de préférence à contre-courant de ses collègues.
À croire que cette alliance, toute de raison certes, ferait presque figure du mariage de la carpe et du lapin !
Il est vrai qu'il y a d'autres motifs de friction entre les deux formations politiques. À commencer par l'opposition physique et frontale des Verts, sur le terrain, au projet d'aéroport international du premier ministre aux lisières de sa bonne ville de Nantes, pour poursuivre par leur refus des Verts de participer à une primaire commune dans la capitale, à l'occasion des prochaines élections municipales en 2014. Ils ne sont pas tout à fait les seuls au demeurant, le Parti de gauche ayant lui aussi récusé cette proposition. Mais on doit avouer que la primeur de cette technique d'importation américaine au sein même du PS, à l'occasion de la succession de Martine Aubry, n'a pas convaincu grand monde...
Hulot « envoyé spécial » pour la protection de la planète
Quoi qu'il en soit, ce décalage entre deux partis alliés dans le gouvernement cèle mal, chez les Verts, un déficit structurel qui, pour avoir longtemps été latent, est de plus en plus visible. Car, passée la parenthèse présidentielle d'Eva Joly, les deux écologistes les plus emblématiques se nomment Nicolas Hulot (photo) et Daniel Cohn-Bendit. Or, l'un comme l'autre ont pris leurs distances avec le parti, notamment pour des différends graves sur la question européenne. Et Cécile Duflot, qui aurait pu transformer son essai à la tête des Verts, a finalement préféré intégrer un gouvernement où elle semble un peu plus mal venue chaque jour, et surtout chaque débat, qui passent...
Oh ! certes, l'écologie n'est pas morte. Elle rime trop avec idéologie pour que François Hollande la laisse tomber. C'est ainsi qu'il vient de nommer Nicolas Hulot son « envoyé spécial » pour la protection de la planète - ce qui lui permettra sans doute de brûler du kérosène sous tous les deux, et en tout cas aux quatre coins de la planète.
EELV a décidé de s'en féliciter, même si beaucoup, au sein du parti, n'apprécient que modérément l'ancien animateur télévisuel, comme il a fini par s'en persuader lorsque les militants, à l'occasion des primaires présidentielles, lui ont préféré Eva Joly. Il est vrai que Hulot est un véritable oscillateur politique, capable de passer de Chirac à Mélenchon sans le moindre état d'âme, à la condition de maintenir l'indépendance de son discours - dans le seul domaine idéologique de l'écologie il est vrai, ce qui la relativise fort.
Cette adhésion est sans doute tout ce qui reste au parti écolo pour se prouver qu'il existe. Ça, et quelques propositions marginales comme la promotion d'une espèce de canopée solaire qui viendrait couvrir le périphérique parisien de panneaux photovoltaïques, ou la lutte contre le réacteur nucléaire EPR de Flamanville.
Il n'empêche que ça sent le roussi - ce qui n'est guère écolo... Sans doute las des poux que les responsables Verts ne cessent de chercher au gouvernement (auquel, pourtant, leurs proches continuent de participer), un certain nombre d'élus locaux quittent EELV pour dénoncer un fonctionnement illisible, et des décisions incompréhensibles.
Et ce n'est sans doute pas l'organisation, par Gabriel Cohn-Bendit, grand frère de Dany le rouge, d'un forum des écologistes censé permettre une « action trans-partisane », qui rendra le discours écolo plus cohérent...
Olivier Figueras monde & vie 26 décembre 2012