Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 21

  • Les oublis de Marisol Touraine.

    La question des retraites va sans doute très largement animer les débats des mois prochains et cette semaine voit le début d’une vaste préparation d’artillerie médiatique et politique de la part d’un gouvernement et d’un Parti socialiste « godillot » oublieux de ses discours d’il y a trois ans, quand le Pouvoir de MM. Sarkozy et Fillon cherchait à réformer le système et reculait l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans.

    Dimanche, c’est le ministre des Affaires sociales et de la Santé, Mme Marisol Touraine, qui tirait la première salve dans « Le Parisien » en expliquant doctement que « quand on vit plus longtemps, on peut travailler plus longtemps », sans un mot sur le recul de l’espérance de vie en bonne santé observé depuis quelques années en France et développé de façon claire et complète dans le dernier numéro de « Science & Vie » (juin 2013). Il est tout de même surprenant que ce ministre, officiellement chargé de la Santé, « oublie » cet élément qui remet en cause quelques discours simplistes sur l’évolution de l’espérance de vie qui ne peut être limitée à une simple question quantitative (le nombre d’années de vie « espéré », toujours en progression) et qui doit, évidemment, être pensée aussi en termes qualitatifs (le nombre d’années de vie en bonne santé, désormais en repli) !

    Il y a autre chose que semble oublier ce ministre, c’est qu’une partie de la résolution de la question des retraites passe par la baisse du chômage, en particulier par celui des actifs les plus âgés, aujourd’hui de plus en plus délaissés par un marché de l’emploi qui semble vouloir, d’une façon un peu triviale, de « la chair fraîche » ou, en tout cas, plus malléable et moins marquée par le passé « revendicatif » des générations du « baby boom ». Or, aujourd’hui, la mondialisation, qui prend en France le double aspect des délocalisations spéculatives et de la désindustrialisation accélérée, entraîne la destruction de nombreux emplois, considérés comme « trop coûteux » en France, pas tant à cause des charges sociales (effectivement trop lourdes pour de nombreuses entreprises, en particulier petites et moyennes) qu’à cause des salaires des travailleurs et cadres eux-mêmes, évidemment et heureusement plus élevés qu’au Bengladesh ou qu’en Chine…

    Pour régler, autant que faire se peut, la question des retraites, ce n’est pas un simple discours sur l’âge de départ ou sur la durée de cotisations qu’il faudra mais une véritable réflexion, argumentée et constructive, imaginative surtout et consolidée par une véritable pensée sociale et politique sur ce que l’on veut pour notre pays et sa société : il est à craindre que le gouvernement, dans cette urgence qu’il théâtralise pour mieux faire passer ce que ses membres actuels refusaient quand ils étaient dans l’Opposition, ne commette le péché d’injustice et de forfaiture sociale !

    En tout cas, avant de faire quelques propositions réalistes dans les temps qui viennent, je m’emploierai à développer les éléments évoqués plus haut pour montrer que la question des retraites est plus complexe que notre ministre n’essaye de le faire croire et qu’il ne sera pas possible de négliger la réflexion de fond sur la question sociale en France et sur les moyens politiques et institutionnels de la maîtriser, sinon de la résoudre…

    http://jpchauvin.typepad.fr/

  • Le mimétisme journalistique et le politiquement correct

    Guillaume Bernard répond à Atlantico à propos de la droitophobie. Extraits :

    "Les choses sont en train, lentement, de changer, un certain nombre d’intellectuels ou de politiques s’assumant de nouveau de droite. Cependant, il est peu niable qu’il n’y ait encore, en France, une « droitophobie » qui a commencé à apparaître à la fin du XIXe siècle, s’est amplifiée dans l’entre-deux guerres mondiales et a joué à plein à partir de la guerre froide. Elle est le fruit, d’un côté, de l’offensive intellectuelle de la gauche et, de l’autre, de l’abandon du terrain culturel par la droite pendant des décennies, toute une grande partie d’entre-elle se cantonnant à des arguments, en attaque ou en défense, sur le terrain de la gestion et de la comptabilité : elle accusait la gauche d’être financièrement irresponsable tandis qu’elle s’affirmait économiquement compétence.

    La droite a donc longtemps laissé, même si elle s’en défendait, non seulement le « monopole du cœur » mais aussi celui du cerveau à la gauche : les idées nouvelles et généreuses étaient à gauche, les vieilles lunes poussiéreuses étaient de droite. La droite s’est laissée intellectuellement comme écraser par la gauche (ce qu’Albert Thibaudet a pu qualifier de « mouvement sinistrogyre »). D’ailleurs, sous la Ve République, à part quelques personnalités, les hommes politiques de droite ne se sont pas, jusqu’à très récemment, reconus comme tels. Une expression, bâtie par le philosophe américain Léo Strauss, permet de comprendre le ressort profond de la « droitophobie » : la reductio ad hitlerum. Autrement dit, toute une partie de la gauche ne cherche pas à répondre rationnellement aux idées, aux arguments et aux raisonnement de la droite, mais entend les disqualifier, émotionnellement, en les associant voire en les assimilant à ce qui est instinctivement honni. [...]

    Toute une gauche intellectuelle a toujours eu un sentiment de supériorité parce qu’elle est supposée incarner le progrès, être dans le sens de l’histoire (et de la science). Ses adversaires étant, de toute façon, inéluctablement condamnés par l’évolution du monde, leurs idées étant malséantes voire nauséabondes, il est légitime d’utiliser contre eux des moyens radicaux pour les mettre hors jeu. Nous sommes, là, en présence d’une manifestation de terrorisme intellectuel dont le « politiquement correct » est la forme édulcorée. Le terrorisme intellectuel est l’une des stratégies visant la manipulation de l’opinion publique (elles ont été mises au jour notamment par le linguiste nord-américain Noam Chomsky). Ses méthodes peuvent être résumées ainsi : l’intimidation de l’adversaire par l’invocation de tabous « moraux » (c’est la police de la pensée), puis sa disqualification par le recours à des arguments d’autorité (la position combattue étant présentée comme simpliste, dépourvue de fondement ou inapplicable) entrainant son isolement par une présentation manichéenne des enjeux (contraignant les « neutres » à se coaliser contre lui sous peine de lui être assimilé) et, enfin, si nécessaire, sa diabolisation (technique de l’amalgame). [...]

    Vu de l’extérieur, il est assez fascinant de constater une quasi-unanimité parmi les journalistes sinon sur la position défendue sur certains sujets du moins dans la manière de les aborder. D’aucuns pourraient y voir un complot. L’explication est, très vraisemblablement, beaucoup plus simple : le mimétisme (dévoilé par Gabriel Tarde). Chacun cherche, naturellement, à réussir ou maintenir son intégration dans le corps social (en règle générale, la société dans son ensemble mais aussi, parfois, une communauté choisie). Afin de ne pas en être rejeté, l’individu épouse les valeurs majoritaires du groupe en question. Les idées qu’il défend sont moins les siennes que celles auxquelles il adhère par imitation du comportement dominant. Il n’y a pas de raison que ce qui est vrai pour le commun des mortels ne le soit pas aussi pour les journalistes.

    Faut-il en conclure que l’opinion publique est manipulée par une profession idéologiquement homogène ? Il s’agit d’une des questions les plus délicates de la sociologie politique. Il est certain que l’individu est influençable. Tout un chacun a souvent besoin (parce que personne n’est omniscient) d’être aidé pour formuler un avis sur certains sujets. En raison de son manque de temps et de références pour étudier une question, il recherche une synthèse. Or, les journalistes (avec les hommes politiques et les sondeurs) sont un relais privilégié des « abrégés de la décision » (énoncés courts et simples résumant une problématique et une position). Aussi, la personne est-telle tentée, par facilité, d’endosser ces formulations (le « prêt-à-penser ») et de les prendre pour le résultat de sa propre réflexion. En outre, ses groupes de référence (famille, amis, travail) filtrent l’information qu’elle reçoit et, par souci de tranquillité d’esprit, elle ne s’expose généralement qu’aux médias qui la confortent dans son opinion préétablie.

    Les journalistes ont donc la capacité de participer à faire progresser ou à bloquer le développement de certaines idées. Ils contribuent à former l’opinion publique en sélectionnant et hiérarchisant les sujets : ils focalisent l’attention sur certains événements ou idées et détournent d’autres. Sauf à faire ouvertement de la propagande, les médias ne disent pas directement et ouvertement ce qu’il faut penser, mais ils orientent vers ce à quoi il est intelligent, moral et légitime de s’intéresser. Tabler sur la sincérité et la compétence des journalistes ne les exonère donc pas de leur immense responsabilité. Sont-ils dans leur rôle et font-ils preuve d’une indépendance d’esprit quand ils se font les propagateurs du « politiquement correct » ou du « historiquement dans le vent » ? [...]

    Michel Janva  http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Le G8 appelle à des pourparlers de paix afin de fournir une couverture aux préparatifs de guerre américains contre la Syrie

    Le plan en cinq points pour la Syrie, préparé pour le sommet du G8 par le premier ministre britannique David Cameron, s’avère être un plan qui n’a pas vocation à être appliqué.

    Le 39e sommet du G8 a rassemblé le président américain Barack Obama, le président russe Vladimir Poutine, la chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre japonais Shinzo Abe, le président français François Hollande, le premier ministre italien Enrico Letta, le premier ministre canadien Stephen Harper, le président de l’Union européenne Herman van Rompuy et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso.

    Cameron a passé deux jours entiers à mettre le maximum de pression sur Poutine pour qu’il signe la demande de démission du président syrien Bashar el-Assad comme condition préalable à tout accord négocié sur la fin de la guerre civile sanglante dans le pays. Cela serait nécessairement rejeté par le régime syrien, lui ferait boycotter un sommet qui est proposé à Genève, ce qui serait par la suite utilisé comme prétexte pour une intervention militaire complète.

    Il était également espéré que la résolution comprendrait des dénonciations de l’usage des armes chimiques, y compris les assertions sans preuve que les forces syriennes s’en étaient servies. Le gouvernement Obama a employé la technique du «gros mensonge», citant les accusations d’utilisation par la Syrie de telles armes pour affirmer qu’Assad avait franchi une «ligne rouge,» qui justifierait la décision de Washington de commencer à envoyer ouvertement des armes à l’opposition syrienne.

    La Russie rejette l’affirmation que des armes chimiques ont été utilisées et a demandé à voir les preuves sur lesquelles s’appuient les États-Unis. Un autre point proposé était un engagement à s’opposer aux opérations des éléments liés à Al-Qaïda en Syrie. Ce point était inclus pour prendre en considération les inquiétudes sur le fait que l’opposition est dominée par des forces islamistes djihadistes.

    Ce plan proposait en outre «une planification dès le premier jour» pour une transition vers un nouveau gouvernement ayant un pouvoir exécutif.

    Le refus de Poutine d’accéder à ces demandes a fait échouer la machination préparée par Cameron et Obama, mais il ne fera rien pour arrêter les préparatifs de guerre qui sont déjà en cours.

    Le communiqué du G8 demande des pourparlers de paix dès que possible, mais ne mentionne pas le sort d’Assad. Bizarrement, il appelle tant les autorités syriennes que l’opposition à s’engager à la destruction de toutes les organisations affiliées à Al-Qaïda.

    Avant le sommet, Cameron a rencontré Poutine au 10, Downing Street, où le premier ministre russe a dénoncé la décision américaine d’armer l’opposition syrienne. Une réunion avec Obama a été tout aussi glaciale.

    La Maison-Blanche a annoncé vendredi soir qu’elle fournirait des armes au Conseil militaire suprême de l’opposition syrienne, ayant déterminé «avec un haut degré de certitude» que les combattants d’Assad avaient utilisé du gaz neurotoxique sarin. Avant de se rendre au sommet de Lough Erne en Irlande du Nord, Obama a fait des entretiens télévisés pour dissimuler la réalité du fait que les États-Unis vont armer des islamistes affiliés à Al-Qaïda et d’autres groupes du genre qui mènent une guerre sectaire brutale en Syrie.

    Obama a rejeté les comparaisons avec l’Irak sans expliquer pourquoi, insistant au contraire pour dire que «Le fait est que nous avons des intérêts sérieux là-bas [en Syrie] […] Nous ne pouvons avoir une situation de chaos qui perdure dans un pays important qui est frontalier d’un pays comme la Jordanie, qui est lui-même frontalier d’Israël. Et nous avons un besoin légitime de nous engager et d’être impliqués.»

    «Nous ne prenons pas partie dans une guerre de religion entre chiites et sunnites,» a-t-il affirmé.

    En fait, les États-Unis sont responsables d’avoir délibérément attisé une guerre civile sectaire, et ils se servent maintenant des morts et du chaos qu’elle a provoqués comme prétexte pour intervenir militairement.

    Faisant une critique explicite de Moscou, Obama a ajouté, «Assad, à ce stade – en partie en raison du soutien de l’Iran et de la Russie – croit qu’il n’a pas à s’engager dans une transition politique, il croit qu’il peut tout simplement continuer à réprimer par la violence plus de la moitié de la population.»

    Le président américain n’a pas pu expliquer comment Assad est censé s’engager dans une transition politique alors même qu’il va en être exclu.

    Obama et Poutine se sont rencontrés pendant une heure lundi, leurs premiers pourparlers en face à face depuis un an, et ont tenu une conférence de presse après. «Bien sûr nos opinions ne coïncident pas,» a dit Poutine, pendant qu’Obama notait que lui et Poutine avaient «des perspectives divergentes sur la Syrie.»

    Ce soir-là, Cameron a organisé un dîner privé pour les chefs de gouvernement uniquement, soi-disant pour permettre à tout le monde de parler franchement. Cependant, l’atmosphère était sans aucun doute ternie par les révélations du lanceur d’alerte de la NSA Edward Snowden qui a dit que la Grande-Bretagne espionne systématiquement tous ceux qui participent à de telles conférences.

    Cameron avait menacé qu’à moins que Poutine n’accepte son plan en cinq points, les sept autres membres du G8 feraient leur propre déclaration. Mais les responsables russes ont clairement dit qu’il n’y aurait aucun accord substantiel.

    Le vice-ministre des Affaires étrangères Sergei Ryabakov a dit plus tôt que la Russie avait refusé d’accepter une quelconque mention du sort d’Assad dans le communiqué. «Cela ne serait pas seulement inacceptable pour les Russes, mais nous sommes convaincus que ce serait totalement faux, dommageable et modifierait complètement l’équilibre politique,» a-t-il dit.

    Le ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov, s’exprimant depuis le Koweït, a dit, «Nous sommes catégoriquement contre […] les déclarations que la conférence devrait être une sorte d’acte de capitulation politique de la part de la délégation du gouvernement [Syrien] suivie d’une passation du pouvoir à l’opposition.»

    Donnant une idée de l’intensité des tensions, Hollande a déclaré publiquement, «Comment peut-on admettre que la Russie continue de livrer des armes au régime d’Assad alors que l’opposition n’en reçoit que très peu – et se fait massacrer ?»

    Après une dernière session non prévue sur la Syrie mardi, au prétexte de discuter du contre-terrorisme, le communiqué final dilué a été publié. La Russie et les États-Unis ont ainsi officiellement accepté de se rendre à des pourparlers de «paix» à Genève le mois prochain, bien que la plupart des commentateurs disent qu’ils s’attendent à présent à ce qu’il n’y ait aucune réunion avant au plus tôt le mois d’août.

    Le Guardian a cité des sources britanniques disant que Poutine aurait affirmé en privé qu’il n’avait aucun engagement personnel envers Assad et accepterait un gouvernement de transition sans lui, tant qu’il n’y aurait aucun vide politique au pouvoir et que le gouvernement comprenait des représentants de confiance du régime actuel et de son armée. Quoi que Poutine ait dit ou non, ceci un appel tacite à un coup d’État pour déposer Assad tout en préservant le régime bassiste.

    Quoi qu’il advienne par la suite sur le front diplomatique, les choses vont se poursuivre rapidement sur la scène militaire. Washington s’engagera dans une discussion sur le type d’armes et d’autres mesures nécessaires pour «faire pencher la balance» en faveur des opposants d’Assad.

    Obama va présenter les envois d’armes sous les termes les plus anodins – de petites armes qui ne sont «pas à la hauteur» de l’armement sophistiqué de l’armée syrienne, alors même que la France s’associe à l’Arabie saoudite pour apporter aux prétendus «rebelles» des missiles anti-aériens MANPADS de la classe Mistral, ainsi que des armes antichars.

    Obama va en outre continuer à questionner publiquement l’efficacité d’une zone d’exclusion aérienne, alors même que l’on en prépare une activement.

    Les États-Unis étudient déjà la possibilité d’établir une zone d’exclusion aérienne en Syrie, proche de la frontière sud avec la Jordanie, d’après deux diplomates occidentaux de haut rang en Turquie et un troisième dans la région. Samedi, les États-Unis ont confirmé que le ministre de la Défense Chuck Hagel avait approuvé une demande jordanienne que les chasseurs F-16 et les missiles Patriot restent dans le pays après un exercice militaire conjoint cette semaine. Des batteries de missiles Patriot ont déjà été stationnées à la frontière turque.

    Pour leur part, les gouvernements de Cameron et de Hollande vont entamer leurs propres discussions sur la question de savoir si le Royaume-Uni et la France se joindront aux États-Unis dans leurs envois officiels d’armes à l’opposition.

    La guerre contre la Syrie est refusée par la grande majorité des travailleurs aux États-Unis et en Europe. 70 pour cent des Américains s’opposent à l’armement de l’opposition, d’après l’institut Pew Research, tandis que 17 pour cent seulement des Britanniques soutiennent l’initiative américaine. Mais la guerre va continuer à être préparée à l’insu des peuples pour que les grandes puissances puissent se partager entre eux les pays riches en pétrole du Moyen-Orient.

    Chris Marsden http://www.mondialisation.ca

    Article original, WSWS, paru le 19 juin 2013

  • Le gaz sarin est aussi volatile que les promesses de Washington

    La Syrie a-t-elle ou non utilisé du gaz sarin contre son opposition armée ? Après avoir hanté les colonnes des journaux, la question a trouvé pour Paris, Londres et Washington une réponse positive. La ligne rouge aurait été franchie. La guerre serait donc imminente. En réalité, ce jeu médiatique arrive trop tard. En termes de droit international, la Syrie n’est pas signataire de la Convention sur les armes chimiques et peut donc les utiliser librement. Inutile d’inventer l’usage par Damas d’armes de destruction massive, la guerre touche à sa fin.

    La question de l’usage de gaz sarin par les troupes régulières syriennes ressemble à un jeu de dupes. Interrogé à ce sujet, le porte-parole du ministère syrien des Affaires étrangères, Jihad Makdisi, déclarait, le 23 juillet 2012, que son pays était susceptible d’en disposer et d’en faire usage exclusivement contre des ennemis extérieurs. Cette déclaration a été interprétée par la presse des États de l’OTAN et du CCG comme une menace à l’encontre des « rebelles », dans la mesure où Damas affirme qu’ils sont —comme jadis au Nicaragua— des « Contras », largement étrangers. Elle désignait en fait, et sans contestation possible, à la fois les membres de l’OTAN et Israël. Le porte-parole avait été extrêmement clair sur le fait qu’aucune arme de ce type ne serait utilisée contre des « insurgés » syriens.

    Peu importe, les propos de Jihad Makdisi étaient trop beaux pour une OTAN qui, en 2003, n’avait pas hésité à inventer des « armes de destruction massive » irakiennes. Par deux fois, les 20 août et 3 décembre 2012, le président Barack Obama mettait en garde la Syrie contre le recours à l’arme chimique. « Si nous commencions à voir des quantités d’armes chimiques déplacées ou utilisées, cela changerait mon calcul et mon équation », déclarait-il d’abord. Puis « Je veux être absolument clair pour Assad et ceux qui sont sous son commandement : le monde vous regarde, l’utilisation d’armes chimiques est et sera considérée comme tout à fait inacceptable. Si vous faites l’erreur tragique d’utiliser ces armes chimiques, il y aura des conséquences et vous en répondrez ».

    Les faucons libéraux et les néoconservateurs font alors campagne pour une intervention militaire occidentale. Selon eux, la Syrie connaîtrait un « printemps arabe » sauvagement réprimé par un « dictateur  ». La communauté internationale se devrait d’intervenir au nom de grands idéaux. Pas un mot évidemment sur les années de préparation et le financement de ce « printemps arabe », par l’OTAN et le CCG, pour s’approprier les hydrocarbures syriens et imposer un régime sioniste islamiste. Ainsi, le professeur Anne-Marie Slaughter, ancienne directrice de la planification auprès d’Hillary Clinton (2009-2011), compare le laissez-faire d’Obama en Syrie au cas rwandais dans le Washington Post [1].

    En 2003, la preuve des « armes de destruction massive » irakiennes était venue d’un témoin surprise. Alors que le chef de la mission d’inspection des Nations Unies, Hans Blix, confirme devant le Conseil de sécurité que de telles armes n’existent plus en Irak depuis 1991, Hussain al-Shahristani, un scientifique en exil, expose un témoignage donnant raison au secrétaire d’État Colin Powell : Saddam Hussein dispose d’armes chimiques, bactériologiques et nucléaires. Ses propos sont confirmés par l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres. Aucune de ses affirmations ne résistera aux faits. Une fois, l’Irak envahi, pillé et détruit, Washington admettra s’être trompé, tandis que son faux témoin deviendra Premier ministre adjoint de l’Irak « libéré » et que l’IISS continue ses opérations de propaganda.

    Cette fois, le travail d’intoxication revient à la France et au Royaume-Uni. Les deux puissances coloniales qui s’étaient partagées le Proche-Orient en 1916 poussent à une intervention militaire occidentale malgré les trois vétos russes et chinois. Le 27 mai, à la veille d’une réunion cruciale des ministres européens sur la possible livraison d’armes aux « rebelles », Le Monde publie une enquête de Jean-Philippe Rémy attestant de l’usage de gaz sarin à Damas. Le reporter a rapporté des échantillons de sang et d’urine qui ont été testés par un laboratoire militaire français. Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, réagit au quart de tour, puis le gouvernement britannique qui dénonce un « crime de guerre ». En définitive, selon la Maison-Blanche : « notre communauté du Renseignement atteste que le régime d’Assad a utilisé des armes chimiques, incluant du gaz sarin, à une petite échelle, contre l’opposition de multiples fois durant l’année passée ».

    Le problème est qu’il n’y a pas de problème : premièrement l’usage du gaz sarin est interdit depuis 2007 par la Convention sur les armes chimiques qui n’a été ratifiée ni par Israël, ni par la Syrie [2] De facto, ces deux États peuvent en fabriquer, en détenir et en utiliser légalement sans commettre de « crime de guerre ». Deuxièmement, l’usage de gaz sarin par les troupes régulières a beau être confirmé par Paris, Londres et Washington, elle reste fort peu probable. Le cas rapporté par Le Monde ne peut que surprendre : l’Armée arabe syrienne en aurait fait usage dans Damas, dans le quartier de Jobar, sans que le gaz franchisse la rue et atteigne la population civile du reste de la capitale. Les combattants touchés ne souffriraient pas de convulsions, indiquant une dissémination très faible. Ils se soigneraient avec des ampoules d’atropine, mais aussi avec des traitements locaux, notamment des gouttes dans les yeux, ce qui paraît inutile pour un gaz qui pénètre par la peau. Bref, les preuves franco-anglo-US ne résisteront probablement pas plus à l’épreuve des faits que celles accumulées par George W. Bush et Tony Blair contre l’Irak.

    Transmises par Washington à Moscou, les preuves occidentales ont fait rire Yuri Ushakov, le conseiller de politique étrangère du Kremlin. Il n’a pu s’empêcher de penser à la prétendue fiole d’anthrax brandie par Colin Powell au Conseil de sécurité.

    Dans la cas où l’usage de gaz sarin serait considéré comme une abomination nécessitant une intervention internationale, on se demande bien pourquoi les allégations de Carla del Ponte, membre de la Commission d’enquête du haut Commissariat aux Droits de l’homme, n’ont pas suscité les mêmes réactions. Elle déclarait, le 5 mai 2013, à la télévision suisse, que : « Lors de notre enquête – c’est-à-dire que notre équipe d’enquête interroge dans les pays voisins les diverses victimes ainsi que les médecins dans les hôpitaux de campagne sur place – j’ai lu la semaine dernière dans un rapport qu’il y a des indices concrets, même s’ils ne sont pas encore prouvés de façon irréfutable, que du sarin a été utilisé. On peut déduire cela de la façon dont les victimes ont été traitées. Et qu’il a été utilisé par les opposants, donc par les rebelles, et non pas par le gouvernement ». Les propos de la magistrate ne faisaient que confirmer les revendications de l’Armée syrienne libre qui, le 5 décembre 2012, montrait de pénibles tentatives de se doter d’armes chimiques et menaçait les alaouites d’en faire usage contre eux [3]. Toutefois, il n’y eut aucune réaction, vu le démenti cinglant apporté par sa propre Commission à la demande de la Haut-Commissaire, Navy Pilai. En l’absence de consigne politique, les propos de l’ex-procureure helvétique n’engagent qu’elle même.

    Une fois admis l’usage de gaz sarin par l’armée régulière, la Maison-Blanche dispose d’un argument pour légaliser ce qu’elle fait depuis le début du conflit : livrer des armes aux « Contras » [4]. S’engouffrant dans la brèche, le général Salim Idriss, commandant en chef de l’Armée syrienne libre, a passé commande de roquettes antichar et de missiles sol-air. Elles peuvent être utiles, mais pas décisives, car ce dont son « armée » a besoin, c’est d’hommes bien plus que de matériels. Cependant les livraisons US devraient se limiter à des armes légères et à des munitions : la guerre tire à sa fin. Washington n’espère plus conquérir la Syrie, juste faire liquider le Front Al-Nosra par l’ASL. Ceux qui ont cru en ses promesses en paieront les frais. La Turquie est paralysée par un soulèvement contre la politique des Frères musulmans, incarnée par Recep Tayyip Erdoğan, tandis que Washington vient de contraindre l’émir Hamad Al-Thani à céder le trône du Qatar à son fils Tamim. Le moment du nouveau partage du Proche-Orient, entre Russes et États-uniens, approche.

    [1] « Obama should remember Rwanda as he weighs action in Syria », par Anne-Marie Slaugter, The Washington Post, 26 avril 2013.

    [2] Cf. le site officiel de l’OPWC.

    [3] « L’ASL expose son laboratoire d’armes chimiques », Réseau Voltaire, 5 décembre 2012.

    [4] « Exclusive : Obama authorizes secret U.S. support for Syrian rebels », par Mark Hosenball, Reuters, 1er août 2012.

  • [Vidéo] Nicolas en prison, Frigide expulsée : Jean-Pierre Pernaut note qu’« il ne fait pas bon être hostile au mariage homosexuel »

    Dans le JT de 13h de TF1 ce jeudi, le présentateur n’a pas caché son étonnement devant les méthodes utilisées par les autorités pour faire taire les opposants à la dénaturation du mariage.

  • Ce que vous ignorez sur le Groupe de Bilderberg

    Depuis plusieurs années, l’idée s’est répandue que le Groupe de Bilderberg serait un embryon de gouvernement mondial. Ayant eu accès aux archives de ce club très secret, Thierry Meyssan montre que cette description est une fausse piste utilisée pour masquer la véritable identité et fonction du Groupe : le Bilderberg est une création de l’OTAN. Il vise à convaincre des leaders et à manipuler l’opinion publique à travers eux pour la faire adhérer aux concepts et aux actions de l’Alliance atlantique.

    JPEG - 36.1 ko

    Première réunion du Groupe, à l’hôtel Bilderberg (1954)

    Chaque année, depuis 1954, une centaine des plus éminentes personnalités d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord se réunissent —à huis clos et sous très haute protection— au sein du Groupe de Bilderberg. Leur séminaire dure trois jours et rien ne transparait de leurs débats.

    Depuis la dislocation de l’Union soviétique, des journalistes se sont intéressés à cette organisation élitiste et secrète. Certains auteurs y ont vu un embryon de gouvernement mondial et lui attribuent les principales décisions politiques, culturelles, économiques et militaires de la seconde moitié du XXe siècle. Une interprétation qu’a relayée Fidel Castro, mais que rien n’est venue confirmer, ni infirmer.

    Pour savoir ce qu’est ou n’est pas le Groupe de Bilderberg, j’ai cherché des documents et des témoins. J’ai eu accès à l’intégralité de ses archives pour la période 1954-1966 et à de nombreuses pièces ultérieures, et j’ai pu discuter avec un de ses anciens invités que je connais de très longue date. Aucun journaliste à ce jour, et certainement pas les auteurs à succès qui ont popularisé les clichés actuels, n’a eu accès à tant de documents internes du Bilderberg.

    Voici ce que j’ai découvert et compris.

    La première réunion

    70 personnalités, issues de 12 pays, participent à la première réunion du Groupe. C’est un séminaire de trois jours, du 29 au 31 mai 1954, près d’Arnhem (Pays-Bas). Les invités sont répartis dans deux autres hôtels avoisinants, mais les débats se tiennent dans l’établissement principal qui donna son nom au Groupe.

    Les invitations, à en-tête du Palais de Soestdijk, sont sybillines. : « J’apprécierais vivement votre présence au congrès international, sans caractère officiel, qui se tiendra aux Pays-Bas vers la fin du mois de mai. Ce congrès désire étudier un certain nombre de questions d’une grande importance pour la civilisation occidentale et a pour but de stimuler le goodwill et l’entente réciproque grâce à un libre échange de vues ». Elles sont signées du prince consort des Pays-Bas, Bernhard zur Lippe-Biesterfeld, et accompagnées de quelques pages d’informations administratives sur le transport et l’hébergement. Tout au plus y apprend-on que les délégués seront issus des États-Unis et de 11 États ouest-européens, et que 6 séances de travail de 3 heures chacune sont prévues.

    Vu le passé nazi du prince Bernhard (qui avait servi dans la cavalerie SS jusqu’à son mariage en 1937 avec la princesse Juliana) et dans le contexte du McCarthysme, il est clair que les « questions d’une grande importance pour la civilisation occidentale  » tournent autour de la lutte contre le communisme.

    Une fois arrivé sur place, l’impression des invités est tempérée par les deux présidents de séance : l’entrepreneur états-unien John S. Coleman et le ministre belge sortant des Affaires étrangères Paul van Zeeland. Le premier est un militant du libre-échange, le second est un partisan de la Communauté européenne de Défense (CED) [1]. Enfin, on aperçoit en bout de tribune Joseph Retinger, l’éminence grise des Britanniques. Tout cela laisse à penser que les monarchies hollandaise et britannique ont sponsorisé cette réunion pour soutenir la Communauté européenne de Défense et le modèle économique du capitalisme libre-échangiste face à l’anti-américanisme que promeuvent communistes et gaullistes.

    Cependant, les apparences sont trompeuses. Il ne s’agit pas de faire campagne pour la CED, mais de mobiliser les élites pour la Guerre froide.

    S.A.R. le prince Bernhard a été choisi pour convoquer ce congrès parce que son statut de prince consort lui donne un caractère étatique sans pour autant être officiel. Il masque le commanditaire : une organisation inter-gouvernementale qui entend manipuler les gouvernements de certains de ses États membres.

    John S. Coleman n’est pas encore le président de la Chambre de Commerce des États-Unis, mais il vient de créer le Comité des citoyens pour une politique nationale du Commerce (Citizen’s Committee for a National Trade Policy — CCNTP). Selon lui, le libre-échange absolu, c’est-à-dire le renoncement à tous les droits de douane, permettra aux pays alliés des États-Unis d’accroître leur richesse et de financer la Communauté européenne de Défense (c’est-à-dire de réarmer l’Allemagne et d’intégrer sa puissance militaire potentielle au sein de l’OTAN)

    Or, les documents en notre possession montrent que le CCNTP n’a de citoyen que le nom. C’est en réalité une initiative de Charles D. Jackson, le conseiller en guerre psychologique de la Maison-Blanche. L’opération est pilotée en amont par William J. Donovan, l’ancien commandant de l’OSS (le service de renseignement US durant la guerre) désormais chargé d’édifier la branche américaine du nouveau service secret de l’OTAN, le Gladio [2].

    Paul van Zeeland n’est pas seulement le promoteur de la Communauté européenne de Défense, c’est aussi un politicien de grande expérience. À la Libération, il a présidé la Ligue indépendante de coopération européenne (LICE) dont l’objectif est de créer une union douanière et monétaire. Cette organisation a été mise en place par Joseph Retinger, déjà cité.

    Précisément Retinger, qui fait office de secrétaire du congrès de Bilderberg, a servi durant la guerre dans les services secrets anglais (SOE) du général Colin Gubbins. Aventurier polonais, Retinger s’est retrouvé conseiller du gouvernement Sikorski en exil au Royaume-Uni. À Londres, il a animé le microsome des gouvernements en exil se faisant ainsi le plus beau carnet d’adresse de l’Europe libérée.

    Son ami Sir Gubbins a officiellement quitté le service et le SOE a été dissout. Il dirige une petite entreprise de tapis et textiles, qui lui sert de « couverture ». En réalité, aux côtés de son homologue Donovan, il est chargé de créer la branche anglaise du Gladio. Il a participé à toutes les réunions préparatoires du congrès de Bilderberg et est présent parmi les invités, assis à côté de Charles D. Jackson.

    À l’insu des participants, ce sont donc les services secrets de l’OTAN qui sont la puissance invitante. Bernhard, Coleman et van Zeeland servent de paravents.

    N’en déplaise aux journalistes imaginatifs qui ont cru discerner dans le Bilderberg une volonté de créer un gouvernement occulte mondial, ce club de personnalités influentes n’est qu’un outil de lobbying de l’OTAN pour la promotion de ses intérêts. C’est beaucoup plus sérieux et beaucoup plus dangereux, car c’est l’OTAN qui ambitionne d’être un gouvernement occulte mondial garantissant la pérennité du statu quo international et de l’influence US.

    D’ailleurs, la sécurité de chaque réunion ultérieure ne sera pas assurée par la police du pays hôte, mais par les soldats de l’Alliance.

    Parmi les dix orateurs inscrits, on relève deux anciens Premiers ministres (Guy Mollet, France et Alcide de Gasperi, Italie), trois responsables du Plan Marshall, le faucon de la Guerre froide (Paul H. Nitze) et surtout un très puissant financier (David Rockefeller).

    Selon les documents préparatoires, une vingtaine de participants sont dans la confidence. Ils savent plus ou moins en détail qui sont les tireurs de ficelles et ont rédigé à l’avance leurs interventions. Les moindres détails ont été ajustés et il n’y a aucune part d’improvisation. Au contraire, la cinquantaine d’autres participants ignore tout de ce qui se trame. Ils ont été choisis pour influencer leurs gouvernements respectifs et l’opinion publique de leur pays. Le séminaire est donc organisé pour les convaincre et pour les pousser à s’engager à propager les messages que l’on veut diffuser.

    Les interventions ne portent pas sur les grands problèmes internationaux, mais analysent la stratégie idéologique supposée des Soviétiques et exposent la manière dont elle doit être contrée dans le « monde libre ».

    Les premières interventions évaluent le danger communiste. Les « communistes conscients » sont des individus qui entendent placer leur patrie au service de l’Union soviétique afin d’imposer au monde un système collectiviste. Ils doivent être combattus. Mais cette lutte est difficile car ces « communistes conscients » sont noyés en Europe dans une masse d’électeurs communistes qui ignorent tout de leurs sombres desseins et les suivent dans l’espoir de meilleures conditions sociales.

    Progressivement, la rhétorique se durcit. Le « monde libre » doit affronter le « complot communiste mondial », non seulement de manière générale, mais aussi en répondant à des questions concrètes sur les investissements états-uniens en Europe ou sur la décolonisation.

    Enfin, les orateurs en arrivent au problème principal —que les Soviétiques, assurent-ils, exploitent à leur profit— : pour des raisons culturelles et historiques, les responsables politiques du « monde libre » emploient des arguments différents aux États-Unis et en Europe, arguments qui se contredisent parfois. Le cas le plus emblématique est celui des purges organisées par le sénateur McCarthy aux États-Unis. Elles sont indispensables pour sauver la démocratie, mais la méthode choisie est ressentie en Europe comme une forme de totalitarisme.

    Le message final, c’est qu’aucune négociation diplomatique, aucun compromis n’est possible avec les « Rouges  ». Il faut empêcher coûte que coûte les communistes de jouer un rôle en Europe occidentale, mais il va falloir ruser : comme on ne peut pas les arrêter et les fusiller, il faudra les neutraliser avec discrétion, sans que leurs électeurs eux-mêmes s’en rendent compte. Bref, l’idéologie qui est développée, c’est celle de l’OTAN et du Gladio. Il n’a jamais été dit que l’on truquerait les élections, ni que l’on assassinerait les tièdes, mais tous les participants ont admis que pour sauver le « monde libre », il faudrait mettre la liberté entre parenthèses.

    Bien que le projet de Communauté européenne de Défense (CED) ait échoué trois mois plus tard sous les coups de boutoir des députés communistes et « nationalistes extrémistes » (c’est-à-dire gaullistes) au Parlement français, le congrès fut considéré comme un succès. Malgré les apparences, il n’avait pas pour but de soutenir la création de la CED ou toute autre mesure politique précise, mais de diffuser une idéologie dans la classe dirigeante, puis à travers elle dans la société. Objectivement, les Européens de l’Ouest avaient de moins en moins conscience des libertés dont ils étaient privés et ils étaient de plus en plus informés des libertés qui faisaient défaut aux habitants de l’Europe de l’Est.

    Le Bilderberg devient une organisation

    Un second congrès est donc organisé en France, du 18 au 20 mars 1955. À Barbizon.

    Progressivement l’idée que ces congrès seront annuels et qu’ils nécessitent un secrétariat permanent s’impose. Le prince Bernhard se met en retrait lorsqu’il est pris en flagrant délit de trafic d’influence (scandale Lockheed-Martin). Il cède à l’ancien Premier ministre britannique Alec Douglas Home (1977-80), la présidence qui sera ensuite tenue par l’ancien chancelier et président allemand Walter Scheel (1981-85), l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre Eric Roll (1986-89), l’ancien secrétaire général de l’OTAN Peter Carrington (1990-98), et enfin l’ancien vice-président de la Commission européenne Étienne Davignon (depuis 1999).

    Pendant longtemps, le président du Groupe de Bilderberg est assisté de deux secrétaires généraux, un pour l’Europe et le Canada (les États vassaux), l’autre pour les États-Unis (le suzerain), cependant, il n’y a plus qu’un seul secrétaire général depuis 1999.

    D’une année sur l’autre, les débats sont très redondants, c’est pourquoi les invités changent. Il y a toujours un noyau dur qui a préparé le séminaire à l’avance et des nouveaux venus à qui l’on inculque la rhétorique atlantiste du moment.

    Actuellement, les séminaires annuels rassemblent plus de 120 participants, dont toujours un tiers forment le noyau dur. Ils ont été sélectionnés par l’Alliance en fonction de l’importance de leurs relations et de leur capacité d’influence, indépendamment de leurs fonctions dans la société. Ainsi, ils restent membres du noyau dur lorsqu’ils changent de métier.

    JPEG - 20.1 ko

    Étienne Davignon, secrétaire général du Groupe de Bilderberg

    Conseil d’administration

    Banquier suisse, directeur de la Deutsche Bank, vice-président du Forum de Davos.
    Roger C. Altman     Banquier états-unien, ancien conseiller des campagnes électorales de John Kerry et Hillary Clinton, directeur de la banque d’affaire Evercore Partners Inc.
    Francisco Pinto Balsemão     Ancien Premier ministre socialiste du Portugal (1981-83), président-fondateur du plus important groupe de télévision portugais SIC. (T)
    Fran Bernabè     Banquier italien, actuel patron de Telecom Italia (T)
    Henri de Castries     Pdg de l’assureur français AXA
    Juan Luis Cebrián     Directeur du groupe de presse écrite et audiovisuel espagnol Prisa.
    W. Edmund Clark     Banquier canadien, PDF de Toronto-Dominion Bank Financial Group
    Kenneth Clarke     Ancien vice président de British American Tobacco (1998-2007), Garde des sceaux et ministre britannique de la Justice, vice-président du Mouvement européen UK.
    George A. David     Pdg de Coca-Cola.
    Étienne Davignon     Homme d’affaire belge, ancien vice-président de la Commission européenne (1981-85), actuel vice-président de Suez-Tractebel.
    Anders Eldrup     Pdg de la société danoise des gaz et pétrole DONG Energy.
    Thomas Enders     Directeur d’Airbus.
    Victor Halberstadt     Professeur d’économie à l’université néerlandaise de Leiden, il conseille diverses sociétés telles que Goldman Sachs ou Daimler-Chrysler.
    James A. Johnson     Financier états-unien, il fut un des principaux responsables du Parti démocrate et un des artisans de l’investiture de Barack Obama. Il est vice-président de la banque d’affaire Perseus.
    John Kerr of Kinlochard     Ancien ambassadeur du Royaume-Uni à Washington, vice-président du groupe pétrolier Royal Dutch Shell (T)
    Klaus Kleinfeld     Pdg allemand du géant états-unien de l’aluminium, Alcoa.
    Mustafa V. Koç     Pdg de la holding Koç, première entreprise turque.
    Marie-Josée Drouin-Kravis     Éditorialiste économique dans la presse écrite et audiovisuelle canadienne. Chercheuse au très militariste Hudson Institute. Elle est la troisième épouse de Henry Kravis.
    Jessica T. Mathews     Ancienne directrice des affaires globales au Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis. Actuelle directrice de la Fondation Carnegie.
    Thierry de Montbrial     Économiste, directeur-fondateur de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et de la World Policy Conference.
    Mario Monti     Économiste italien, ancien commissaire européen à la concurrence (1999-2005), co-fondateur du Spinelli Group pour le fédéralisme européen.
    Egil Myklebust     Ancien président du patronat norvégien, directeur de Scandinavian Airlines System (SAS).
    Matthias Nass     Directeur adjoint du quotidien allemand Die Zeit
    Jorma Ollila     Homme d’affaire finlandais, ancien Pdg de Nokia, actuel président du groupe pétrolier Royal Dutch Shell.
    Richard N. Perle     Ancien président du Conseil consultatif de Défense du Pentagone, il est un des principaux leaders des Straussiens (les disciples de Leo Strauss) et à ce titre, une figure majeure du néo-conservatisme.
    Heather Reisman     Femme d’affaire canadienne, Pdg du groupe d’édition Indigo-Chapters.
    Rudolf Scholten     Ancien ministre autrichien des Finances, gouverneur de la Banque centrale.
    Peter D. Sutherland     Ancien commissaire européen irlandais à la concurrence, puis directeur général de l’Organisation mondiale du Commerce.Ancien directeur de BP. Actuel président de Goldman Sachs International. Ancien président de la section européenne de la Commission trilatérale, et vice-président de l’European Round Table of Industrialists, actuel président d’honneur du Mouvement européen Irlande.
    J. Martin Taylor     Ancien député britannique, Pdg du géant de la chimie et de l’agroalimentaire Syngenta.
    Peter A. Thiel     Chef d’entreprise états-unien, Pdg de PayPal, président de Clarium Capital Management et à ce titre actionnaire de Facebook.
    Daniel L. Vasella     Pdg du groupe pharmaceutique suisse Novartis.
    Jacob Wallenberg     Banquier suédois, il est administrateur de nombreuses compagnies transnationales.

    JPEG - 20.3 ko

    Henry Kissinger, principal responsable des invitations au Groupe de Bilderberg

    Membres cachés du noyau dur

    Carl Bildt     Ancien Premier ministre libéral de Suède (1991-94), ancien envoyé spécial de l’Union européenne puis de l’ONU dans les Balkans (1995-97, 1999-2001), actuel ministre suédois des Affaires étrangères. (T)
    Oscar Bronner     Pdg du quotidien autrichien Der Standard.
    Timothy C. Collins     Financier états-unien, directeur du fond de placement Ripplewood. (T)
    John Elkann     PDG du groupe italien d’automobile Fiat (son grand-père Gianni Agnelli fut pendant quarante ans un des animateurs du Groupe de Bilderberg. Il a hérité de la fortune familiale après le décès de mort naturelle de son grand-père Giovanni et la mort prématurée de son oncle Edoardo. Cependant, des sources policières sont convaincues que Edoardo a été assassiné après qu’il se soit converti à l’islam chiite, de sorte que la fortune revienne à la branche juive de la famille).
    Martin S. Feldstein     Ancien conseiller économique de Ronald Reagan (1982-84), et actuel conseiller économique de Barack Obama. Il a aussi été conseiller de George W. Bush pour le Renseignement extérieur. Il enseigne à Harvard. (T)
    Henry A. Kissinger     Ancien conseiller de sécurité nationale des Etats-Unis et secrétaire d’Etat, personnalité centrale du complexe militaro-industriel US, actuel président de la société de conseil Kissinger Associates.
    Henry R. Kravis     Financier états-unien gestionnaire du fond de placement KKR. Il est un des principaux collecteurs de fonds du Parti républicain.
    Neelie Kroes     Ancienne ministre néerlandaise libérale des Transports, commissaire européenne à la concurrence, et actuelle commissaire à la société numérique.
    Bernardino Léon Gross     Diplomate espagnol, secrétaire général de la présidence du gouvernement socialiste de José-Luis Zapatero.
    Frank McKenna     Ancien membre de la Commission de surveillance des services de renseignement canadiens, ambassadeur du Canada à Washington (2005-06), vice-président de la Banque Toronto-Dominion.
    Beatrix des Pays Bas     Reine de Hollande. Elle est la fille du prince Bernhard.
    George Osborne     Ministre britannique des Finances. Ce néo-conservateur est considéré comme un eurosceptique. Il faut comprendre par là qu’il est opposé à la participation du Royaume-Uni à l’Union européenne, mais qu’il est partisan de l’organisation du continent au sein de l’Union.
    Robert S. Prichard     Économiste canadien, directeur du groupe de presse écrite et audiovisuelle Torstar.
    David Rockefeller     Le patriarche d’une longue lignée de financiers. Il est le plus ancien membre du noyau dur des Bilderbergers. Il est également le président de la Commission Trilatérale, une organisation similaire intégrant des participants asiatiques.
    James D. Wolfensohn     Financier australien ayant pris la nationalité états-unienne pour devenir président de la Banque mondiale (1995-2005), aujourd’hui directeur du cabinet conseil Wolfensohn & Co.
    Robert B. Zoellick     Diplomate états-unien, ancien délégué au Commerce des États-Unis (2001-05), actuel président de la Banque mondiale.

    JPEG - 21.7 ko

    David Rockefeller, conseiller du Groupe de Bilderberg

    Les Bilderbergers n’engagent pas les entreprises ou institutions dans lesquelles, ils travaillent. Cependant, il est intéressant d’observer la diversité de leurs secteurs d’activité.

    Le lobby de la plus puissante organisation militaire mondiale

    Au cours des dernières années, le nombre de sujets abordés lors des séminaires annuels a augmenté en fonction de l’actualité internationale. Mais cela ne nous apprend rien, car ces discussions n’ont aucun objet en elles-mêmes, elles sont juste des prétextes pour faire passer des messages. Malheureusement, nous n’avons pas eu accès aux documents préparatoires les plus récents et ne pouvons que supputer sur les mots d’ordre que l’OTAN s’efforce de diffuser via ces leaders d’opinion.

    La réputation du Groupe de Bilderberg a conduit certains auteurs à lui attribuer des capacités de nomination. C’est stupide et cela masque les vrais tireurs de ficelles qui se trouvent au sein de l’Alliance atlantique.

    Par exemple, on a rapporté que durant la dernière campagne électorale présidentielle aux États-Unis, Barack Obama et Hillary Clinton ont disparu durant une journée, le 6 juin 2008, pour négocier à l’écart la fin de leur rivalité. Ils se sont en réalité rendus au séminaire annuel du Groupe de Bilderberg, à Chantilly (Virginie, USA). Or, le lendemain, Mme Clinton annonçait qu’elle se retirait de la course. Certains auteurs en ont conclu que la décision a été prise au cours de la réunion du Bilderberg. Ce n’est pas logique, dans la mesure où cette décision était certaine depuis trois jours vu le nombre de voix du sénateur Obama au sein du comité d’investiture du Parti démocrate.

    Selon notre source, c’est autre chose qui s’est passé. Barack Obama et Hillary Clinton ont conclu à l’écart un accord financier et politique. Le sénateur Obama a renfloué les caisses de sa rivale et lui a offert un poste dans son administration (Mme Clinton a refusé la vice-présidence et a choisi le département d’État) en échange de son soutien actif durant la campagne contre le candidat républicain. Puis, les deux leaders ont été introduits par James A. Johnson au séminaire du Bilderberg où ils ont assuré les participants qu’ils travailleraient ensemble. Depuis longtemps déjà, Barack Obama était le candidat de l’OTAN. M. Obama et sa famille ont toujours travaillé pour la CIA et le Pentagone [3]. De plus, les premiers financements de sa campagne ont été fournis par la Couronne d’Angleterre via l’homme d’affaire Nadhmi Auchi. En présentant le sénateur noir aux Bilderbergers, l’Alliance atlantique organisait à l’échelle internationale les relations publiques du futur président des États-Unis.

    De même, on a rapporté que le Groupe de Bilderberg a organisé un dîner impromptu, hors séminaire, le 14 novembre 2009 au Château de Val Duchesse, propriété du roi de Belgique. L’ancien Premier ministre belge Herman von Rompuy y a prononcé un discours. Or, cinq jours plus tard, il fut élu président du Conseil européen. Là encore, certains auteurs en on conclu à tort que le Groupe de Bilderberg était le « faiseur de roi ».

    En réalité, le président de l’Union européenne ne pouvait pas être choisi en dehors des cercles de l’OTAN, puisque —rappelons-le— l’Union européenne est issue des clauses secrètes du Plan Marshall. Et ce choix devait être avalisé par les États membres. Ce type de décision nécessite de longues négociations et ne se prend pas lors d’un dîner entre amis.

    Toujours selon notre source, le président du Groupe de Bilderberg, Étienne Davignon, a convoqué ce dîner exceptionnel pour présenter van Rompuy à ses relais d’influence. La chose était d’autant plus indispensable que la première personnalité à occuper la nouvelle fonction de président de l’Union était totalement inconnue en dehors de son pays. Au cours du repas, M. Van Rompuy a exposé son programme de création d’un impôt européen pour financer directement les institutions de l’Union sans passer par les États membres. Il restait aux Bilderbergers à clamer partout où ils le pouvaient qu’ils connaissent Herman von Rompuy et attestent de ses qualités pour présider l’Union.

    La réalité du Groupe de Bilderberg est donc moins romantique que certains auteurs à succès l’ont imaginée. L’incroyable déploiement de forces militaires pour assurer sa sécurité n’a pas tant pour objet de le protéger que d’impressionner ceux qui y participent. Il ne manifeste pas leur puissance, mais leur montre que la seule vraie puissance en Occident, c’est l’OTAN. Libre à eux de la soutenir et d’être appuyés par elle, ou de la combattre et d’être inexorablement écrasés.

    En outre, bien que le Groupe de Bilderberg ait développé à ses débuts une rhétorique anti-communiste, il n’était pas tourné contre l’URSS et n’est pas aujourd’hui tourné contre la Russie. Il suit la stratégie de l’Alliance qui n’est pas un Pacte contre Moscou, mais pour la défense —et éventuellement l’extension— de la zone d’influence de Washington. À sa création, l’OTAN avait espéré intégrer l’Union soviétique, ce qui aurait équivalu à un engagement de Moscou de ne pas remettre en cause le partage du monde issu des conférences de Postdam et de Yalta. Récemment l’Alliance a accueilli le président Dmitry Medvedev au sommet de Lisbonne et lui a proposé que la Russie se joigne à elle. Il ne s’agirait pas alors d’une vassalisation, mais de la reconnaissance du Nouvel Ordre Mondial, dans lequel toute l’Europe centrale et orientale est passée dans l’orbite états-unienne. Une adhésion russe vaudrait en quelque sorte traité de paix : Moscou reconnaitrait sa défaite dans la Guerre froide et le nouveau partage du monde.

    Dans ce cas, le Groupe de Bilderberg inviterait des personnalités russes à ses réunions annuelles. Il ne leur demanderait pas d’influer l’opinion publique russe pour l’américaniser, mais pour la convaincre de renoncer définitivement aux rêves de grandeur du passé.

    [1] La CED est un projet qui visait à créer une armée européenne intégrée à l’OTAN. Il fut rejeté en 1954 par le Parlement français à l’instigation des Gaullistes et du Parti communiste. Il faut attendre 2010-11 pour que ce projet trouve un début de réalisation avec l’entente franco-britannique au sein de l’OTAN et la guerre de Libye.

    [2] « Les armées secrètes de l’OTAN », par Daniele Ganser. Cet ouvrage est publié en feuilleton sur Voltairenet.org.

    [3] « La biographie cachée des Obama : une famille au service de la CIA » (2 parties), par Wayne Madsen, Réseau Voltaire, 30 août et 20 septembre 2010.